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17/06/2004 - 50ème anniversaire de l'investiture de Pierre Mendès France (3 rue Aristide Briand)

Messieurs les Premiers ministres,
Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Chers amis,

Personne ne pouvait sans doute, mieux que Jean Lacouture, biographe passionné et passionnant de Pierre Mendès France, lui rendre hommage à l'heure de la célébration du 50ème anniversaire de son investiture en qualité de Président du Conseil. Un problème de santé l'empêche d'être parmi nous ce matin. Nous regrettons vivement son absence en lui adressant nos vœux très chaleureux de prompt rétablissement.

Qu'il me soit toutefois permis, au nom de l'ensemble de mes collègues députés, d'évoquer quelques traits caractéristiques de ce grand Français qui a laissé dans notre Histoire et dans notre vie politique une trace que le temps n'effacera jamais.

Si l'Assemblée nationale s'est associée de manière solennelle à l'hommage qui nous réunit aujourd'hui dans cette salle à laquelle le nom de Pierre Mendès France sera donné tout à l'heure, c'est parce que le Parlement fut au cœur de la vie, de l'action et de la pensée politiques de Pierre Mendès France.

Comment ne pas se souvenir aujourd'hui du jeune parlementaire radical de 25 ans, élu à l'Assemblée nationale par ses concitoyens de la circonscription de Louviers, terre de mission où son parti l'avait envoyé trois ans plus tôt, au terme d'une âpre campagne parfois teintée d'antisémitisme ? En compagnie de Pierre Cot et de son ami Jean Zay, il devait alors prendre la tête du mouvement des « jeunes turcs » dont l'ambition était, à l'heure où montaient inexorablement les périls, de donner un nouveau souffle à l'héritage de ces grands républicains dont Pierre Mendès France se réclama tout au long de sa vie : Gambetta, Ferry, Clemenceau.

Cet idéal républicain, Pierre Mendès France le servit avec fièvre, intransigeance et passion, des jours sombres de la débâcle de 1940 au soir de la victoire, par un comportement exemplaire qui lui valut persécutions et faux procès diligentés par le Gouvernement de Vichy.

C'est d'ailleurs par fidélité à la justice de la République que Pierre Mendès France poursuivit, jusqu'au 30 avril 1954, les procédures qui permirent à la Cour de Cassation de casser le jugement prononcé à son encontre par le tribunal militaire de la XIIIème région le 9 mai 1941 au terme d'une parodie de procès diligentée par les autorités de Vichy.

C'est sa fidélité à la République qui conduisit Pierre Mendès France, après qu'il eut servi dans l'aviation du Levant jusqu'en mai 1940, à s'embarquer, avec sa famille, en compagnie des parlementaires qui refusèrent la défaite et l'armistice de juin 1940, sur le Massilia pour reprendre le combat en Afrique du Nord. C'est encore cette confiance dans le triomphe inéluctable des valeurs de la République qui conduisit Pierre Mendès France à s'évader de sa prison de Clermont-Ferrand pour rejoindre à Londres le Général de Gaulle dont il avait écouté « passionnément » l'appel du 18 juin 1940. Après plusieurs mois d'une vie clandestine qui le mena de Clermont à Grenoble, de Chambéry à Marseille puis à Genève et Lisbonne sous les traits d'un modeste employé de commerce grimé sous une épaisse moustache, il arriva à Londres le 1er mars 1942 et demanda immédiatement à rencontrer le Général de Gaulle à qui il confia son désir de rependre le combat dans son arme, l'aviation.

Engagé dans les Forces françaises libres, Pierre Mendès France fut alors affecté au groupe Lorraine où il combattit dans l'escadrille de Romain Gary.

Le Général de Gaulle, qui avait gardé le souvenir du brillant sous-secrétaire d'État au Trésor qu'il fut à 31 ans dans le second Gouvernement de Léon Blum, appela Pierre Mendès France comme Commissaire aux finances dans le Comité de libération nationale à Alger. Pierre Mendès France renoua ainsi, dès novembre 1943, avec les responsabilités politiques et les questions économiques et financières avant de devenir, à la Libération, ministre de l'économie nationale, tâche dans laquelle, aux côtés d'Aimé Lepercq, ministre des finances, il accomplit un immense travail pour la remise en ordre d'une économie ravagée par quatre années d'occupation. Dans ses Mémoires de Guerre, le Général de Gaulle salua le travail de ce "collaborateur d'une exceptionnelle valeur".

La République rétablie et la paix revenue, Pierre Mendès France retrouva la confiance de ses concitoyens de Louviers qui le portèrent, dès 1945, à la présidence du Conseil général de l'Eure et l'investirent d'un nouveau mandat de député dès 1946. Pierre Mendès France revint alors au Palais Bourbon avec une joie mêlée d'appréhension devant les débuts d'une IVème République dont il n'avait pas approuvé les principes et dont il pressentait la fragilité et l'impuissance.

Commence alors une période pendant laquelle Pierre Mendès France ne se reconnaît pas dans l'action menée au nom des Français, dans cette instabilité permanente que génère le système des partis et ses combinaisons médiocres. C'est l'époque des grands discours de Pierre Mendès France à l'Assemblée nationale et notamment de ses réquisitoires contre la politique indochinoise du régime et cette guerre "sans fin et sans espoir dans laquelle la France engloutissait des ressources qui auraient été plus nécessaires en Europe".

C'est précisément l'échec en Indochine qui conduit la IVème République à se tourner vers Pierre Mendès France à qui l'Assemblée nationale avait, jusqu'alors, refusé l'investiture. Montant à la tribune, Pierre Mendès France place d'emblée l'action qu'il entend conduire dans une triple référence à Raymond Poincaré, à Léon Blum et au Général de Gaulle, « sous le signe de l'amour de la patrie, du dévouement au bien public et du sens de l'Etat ».

S'ouvre alors cette période de 7 mois et 17 jours, demeurée dans la mémoire des Français comme le trop bref sursaut d'un système institutionnel condamnant inexorablement notre pays à l'instabilité, période aussi faste qu'éphémère durant laquelle Pierre Mendès France inscrit, dans notre Histoire, une exigence, une éthique du pouvoir qui font de lui une des grandes figures de la République.

Sept mois et 17 jours pendant lesquels, entouré de nombreux talents - Jacques Chaban-Delmas, le Général Koenig, Christian Fouchet, André Bettencourt, Edgar Faure, François Mitterrand - Pierre Mendès France, selon ses propres termes, « sachant que le Parlement pouvait à tout moment lui retirer sa confiance, agit comme si son Gouvernement était assuré de durer 20 ans ».

Sept mois et 17 jours pendant lesquels il poursuivit méthodiquement les objectifs qu'il s'était assignés lors de son investiture : mettre un terme à la guerre d'Indochine, amorcer la décolonisation, redresser l'économie du pays, lancer le premier programme d'application militaire de l'énergie atomique.

Si son opposition aux institutions de la Vème République maintint Pierre Mendès France éloigné des responsabilités après 1958, son rayonnement, son goût du dialogue, sa confiance dans la vocation internationale de la France le conduisirent, au soir de sa vie, à participer activement à la recherche de la paix dans cet épicentre des conflits du monde qu'est le Proche-Orient. Comment faire mémoire de l'exceptionnel parcours de cet homme sans évoquer son engagement personnel dans le dialogue entre arabes et israëliens qui le conduisit à Jérusalem lors de la visite historique du Président égyptien Anouar el Sadate à l'invitation du Premier ministre israëlien Ménahem Bégin ?

C'est à la compétence, à l'énergie, à la pédagogie déployées au service du pays par Pierre Mendès France durant toute sa vie que l'Assemblée nationale rend aujourd'hui un hommage solennel que je suis heureux de présider.

Cinquante ans jour pour jour après le discours qu'il prononça pour proposer aux députés un contrat de gouvernement et les convaincre de lui accorder leur confiance, Pierre Mendès France reste, en effet, pour beaucoup de nos concitoyens, une référence. Il est juste que l'Assemblée nationale honore aujourd'hui, quelle que soit la place des uns et des autres sur l'échiquier politique, la mémoire de celui qui a pris place parmi les meilleurs pédagogues de l'idée républicaine. Et qu'elle continue ainsi de méditer son message.