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Situation dans le Caucase (rapport d’information de la commission des affaires étrangères)


Le mercredi 26 mai dernier, la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, présidée par M. Axel Poniatowski (UMP, Val d’Oise), a autorisé la publication du rapport d’information de MM. Christian Bataille (Socialiste, Nord) et Roland Blum (UMP, Bouches-du-Rhône) sur la situation dans le Caucase du Sud (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie).

Ce rapport (n° 2553) est disponible en ligne sur le site internet de l’Assemblée nationale (rubrique « dépôt officiel des documents ») et peut naturellement vous être envoyé par courrier.

Vous trouverez, ci-après, les principales conclusions du rapport.

Contact presse : Claude Joly (téléphone : 01.40.63.64.40)

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Mission d’information de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale
La situation dans le Caucase du Sud

Principales conclusions

Victime de sa géographie, faite de montagnes et de vallées profondes incitant à l’entre soi, le Caucase du Sud reste une région dangereuse. Traversé de tensions ethniques, du fait de la mosaïque culturelle qui le compose, le Caucase n’a jamais connu de réelle période de pacification, les conflits locaux n’ayant été qu’interrompus par la domination russe, puis soviétique.

Le retrait temporaire de la Russie, au lendemain de la disparition de l’Union soviétique, a ouvert la voie à un investissement massif des Occidentaux, Américains d’abord, suivis par l’Europe. Le Caucase est toujours un enjeu stratégique pour les grandes puissances, hier les empires perse, ottoman et russe, aujourd’hui la Russie, l’Europe, la Turquie, les Etats-Unis, l’Iran.

Les ressources en hydrocarbures de l’Azerbaïdjan ne sont qu’une donnée du problème. En réalité, la stabilisation du Caucase permettrait surtout d’assurer une voie d’accès à l’Asie centrale et à ses immenses ressources, notamment énergétiques. Comme au 19ème siècle, les ambitions occidentales d’un axe Est-ouest contournant la Russie au Nord et le Proche-Orient au Sud doivent cohabiter avec les visées russes d’un corridor Nord-sud vers le Moyen-orient et les mers chaudes.

La guerre russo-géorgienne d’août 2008 a attiré l’attention internationale sur cette région instable, porteuse de danger pour la sécurité de l’Europe et de la France. L’affrontement entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet du Haut Karabakh, la difficile reprise des relations entre l’Arménie et la Turquie, l’impasse des discussions actuelles entre la Géorgie et la Russie sur l’avenir des provinces séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud pèsent sur le développement d’une région marquée par une grande pauvreté, même en Azerbaïdjan, dont les ressources énergétiques considérables sont concentrées dans les mains de la famille Alyiev et de ses obligés.

Ces conflits ouverts ne doivent pas faire oublier la survivance des multiples tensions persistant dans le Caucase et à ses marges. Le sort de la minorité arménienne en Géorgie, l’avenir de la province azerbaïdjanaise du Nakhitchevan, enclavée entre l’Arménie, la Turquie et l’Iran, la présence d’une communauté azérie nombreuse en Iran, les importantes communautés caucasiennes vivant en Russie, toutes ces particularités soulignent la complexité des questions politiques dans le Caucase.

A court terme, l’avenir des trois conflits les plus graves du Caucase n’incite pas à l’optimisme. Les négociations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sont bloquées, les principes fixées par l’OSCE à Madrid en 2007 ne recueillant plus l’approbation des deux parties, et l’Azerbaïdjan se focalisant sur l’occupation de 20 % de son territoire, en plus du Haut Karabakh, par les armées arméniennes, l’Arménie considérant pour sa part que l’Azerbaïdjan n’apporte pas les gages de confiance nécessaires en augmentant sa puissance militaire, faisant craindre une agression azerbaïdjanaise sur le Haut Karabakh.

La signature, à Zürich en 2009, des protocoles prévoyant la réouverture de la frontière entre l’Arménie et la Turquie et la reprise de relations diplomatiques, avait ouvert un immense espoir parmi les observateurs de la situation. Malheureusement, les procédures de ratification parlementaire de ces deux accords sont désormais suspendues. La Turquie a subi d’importantes pressions azerbaïdjanaises, visant à lier la reprise des relations arméno-turques au règlement du conflit sur le Haut-Karabakh. Parallèlement, une partie des forces politiques arméniennes, et de la diaspora, a affiché son hostilité à la ratification de ces textes, exigeant au préalable la reconnaissance par la Turquie du génocide de 1915.

Enfin, les relations entre la Russie et la Géorgie sont aujourd’hui au point mort. Après la reconnaissance de l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par la Russie, suivie par deux pays seulement, les discussions de conduites sous l’égide de l’Union européenne à Genève ne parviennent pas à dégager une solution de compromis entre les demandes légitimes de la Géorgie au respect de son intégrité territoriale, et la prise en compte des revendications autonomistes, également très anciennes, formulées par les gouvernements de fait de ces deux provinces.

Ces situations bloquées aggravent la tendance des Républiques caucasiennes à privilégier l’autoritarisme, et le recours à la rhétorique nationaliste la plus dure, pour fédérer leurs populations derrière les régimes en place. Les Etats caucasiens sont marquées par l’utilisation politique des forces de sécurité, la répression de l’opposition, une main mise croissante des autorités sur les média dans les Etats où ceux-ci bénéficiaient d’une certaine liberté. La lente transition démocratique des Etats du Caucase semble interrompue, alors qu’elle avait été présentée initialement comme le seul motif légitimant l’intervention des Occidentaux dans la région.

Encouragés par la faiblesse de la Russie à l’époque, les Occidentaux, au premier rang desquels les Américains, avaient en effet commis l’erreur historique d’imaginer pouvoir régler le sort de la région contre les ambitions russes. L’ambition américaine était claire : susciter l’implantation de régimes démocratiques et libéraux, au moins en apparence, afin de justifier une extension de l’OTAN jusqu’aux confins de la Russie.

Revenue à un statut de puissance qu’elle a toujours cherché à reconquérir, la Russie a montré qu’elle n’entendait pas laisser les régions situées à sa frontière basculer dans le camp occidental, dont certaines composantes lui semblent constituer des menaces. La Russie n’acceptera pas l’adhésion à l’OTAN de nouveaux pays situés à ses frontières, contrairement à ce qu’elle a laissé faire pour les pays baltes.

La Fédération de Russie est la seule puissance caucasienne. Cinq de ses républiques fédérées sont situées sur cette chaîne de montagnes. L’évolution du Caucase russe est une des plus grandes sources d’inquiétude pour Moscou, le terrorisme islamiste frappant encore au cœur de la Fédération comme l’ont montré les attentats d’avril dernier.

L’avenir du Caucase ne se fera donc pas contre la Russie, ni sans elle. Cette idée semble avoir été peu à peu abandonnée par les Etats-Unis, dont l’absence de réaction militaire lors de la guerre d’août 2008, malgré la proximité personnelle des deux chefs d’Etat, ne peut être ignorée. L’attitude provocatrice du régime géorgien actuel fait peser un risque sérieux pour l’avenir du pays, et plusieurs forces politiques d’opposition ont fait savoir qu’elles étaient prêtes, pour leur part, à reprendre le dialogue avec la puissance voisine.

L’Europe, pour sa part, peine à définir une stratégie pour son action dans le Caucase. Armée de bonnes intentions, et d’une puissance de frappe financière non négligeable, elle a réussi à se faire accepter dans la région comme interlocuteur neutre. Toutefois, elle n’est pas jugée crédible dans plusieurs domaines, notamment énergétique. Tant que le projet Nabucco ne sera pas effectivement lancé, l’Europe ne pourra pas offrir une perspective claire et concrète de développement pour le Caucase.

L’absence de vision stratégique pour l’Europe dans le Caucase est également liée aux hésitations européennes quant à la position à tenir vis-à-vis de la Russie. Ecartelée entre ses membres les plus russophiles, et les anciens pays du bloc de l’Est encore peu enclins à considérer la Russie autrement que comme un ennemi, l’Union européenne n’a pas encore d’agenda propre à faire valoir dans le Caucase.

En attendant une stratégie européenne pour la région, la France doit faire jouer ses atouts, qui sont nombreux. D’abord, elle entretient de très bonnes relations avec tous les pays de la région. Ces liens bilatéraux doivent lui permettre de jouer un rôle de bons offices chaque fois que cela est nécessaire. Elle assure déjà cette mission en co-présidant le groupe de Minsk de l’OSCE pour le règlement du conflit du Haut Karabakh. Elle a également joué un rôle clé en obtenant un cessez-le-feu entre la Russie et la Géorgie, alors qu’elle exerçait la présidence de l’Union européenne, situation qui a donné le poids nécessaire à l’Europe pour imposer sa présence.

En deuxième lieu, la France dispose d’une tradition diplomatique qui lui a toujours permis d’entretenir des liens privilégiés avec les grandes puissances voisines du Caucase du Sud, la Russie et la Turquie. Les divergences entre la France et la Turquie sur l’élargissement de l’Union européenne ne doivent pas empêcher notre pays de faire prendre conscience à cette grande puissance en construction qu’elle a un rôle positif à jouer dans son voisinage proche. Si la Turquie devait tourner le dos au Caucase et à l’Europe, elle porterait son attention vers le monde musulman et vers l’Asie, où elle bénéficie d’une immense zone d’influence grâce à la turcophonie, présente des rives de la Caspienne jusqu’aux territoires chinois.

La France ne peut qu’espérer qu’une stratégie européenne cohérente puisse être élaborée pour défendre nos intérêts dans le Caucase du Sud. En attendant, elle ne saurait rester passive, au risque de se voir impliquée dans des conflits locaux qui peuvent dégénérer à tout moment. Notre pays doit donc aider les grandes puissances voisines du Caucase à jouer le jeu de la stabilisation et du développement de la région, et renoncer à la tentation d’agiter les tensions caucasiennes pour mieux contrôler la zone.