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le 16 décembre 1998

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N° 1255

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 décembre 1998.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES, DE L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU PLAN (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 980) de MM. Dominique Bussereau, François d'Aubert et Gilbert Gantier visant à créer une commission d'enquête sur Air France.

PAR MME Nicole BRICQ,

Députée.

____

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Transports aériens.

La commission des finances, de l'économie générale et du plan est composée de : MM. Augustin Bonrepaux, président ; Didier Migaud, rapporteur général ; Jean-Pierre Brard, Arthur Dehaine, Yves Tavernier, vice-présidents ; Pierre Bourguignon, Jean-Jacques Jegou, Michel Suchod, secrétaires ; MM.  Maurice Adevah-Poeuf, Philippe Auberger, François d'Aubert, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, François Baroin, Alain Barrau, Jacques Barrot, Alain Belviso, Christian Bergelin, Éric Besson, Jean-Michel Boucheron, Michel Bouvard, Mme Nicole Bricq, MM. Christian Cabal, Jérôme Cahuzac, Thierry Carcenac, Gilles Carrez, Henry Chabert, Didier Chouat, Alain Claeys, Yves Cochet, Charles de Courson, Christian Cuvilliez, Jean-Pierre Delalande, Francis Delattre, Yves Deniaud, Michel Destot, Patrick Devedjian, Laurent Dominati, Raymond Douyère, Tony Dreyfus, Jean-Louis Dumont, Daniel Feurtet, Pierre Forgues, Gérard Fuchs, Gilbert Gantier, Jean de Gaulle, Hervé Gaymard, Jacques Guyard, Pierre Hériaud, Edmond Hervé, Jacques Heuclin, Jean-Louis Idiart, Mme Anne-Marie Idrac, MM. Michel Inchauspé, Jean-Pierre Kucheida, Marc Laffineur, Jean-Marie Le Guen, Guy Lengagne, François Loos, Alain Madelin, Mme Béatrice Marre, MM. Pierre Méhaignerie, Louis Mexandeau, Gilbert Mitterrand, Alain Rodet, Nicolas Sarkozy, Gérard Saumade, Philippe Séguin, Jean-Pierre Soisson, Georges Tron, Philippe Vasseur, Jean Vila.

Mesdames, Messieurs,

La commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan est saisie d'une proposition de résolution (n° 980) de MM. Dominique Bussereau, François d'Aubert et Gilbert Gantier visant à créer une commission d'enquête sur Air France. Selon ses auteurs, l'objectif principal de la commission dont ils souhaitent la constitution serait principalement de réfléchir sur l'avenir d'Air France après la décision du Gouvernement de ne pas la privatiser, ainsi que d'apprécier les conséquences de la grève du mois de juin 1998 et de l'accord salarial qui a été signé avec les pilotes.

Votre Rapporteur relèvera le caractère circonstanciel de cette proposition de résolution. Sans doute a-t-elle été déposée le 16 juin 1998, à l'issue d'un conflit social important ; mais ce dernier a en fait servi de prétexte à une mise en cause générale de l'attitude du Gouvernement à l'égard d'Air France, alors que la situation de la compagnie avait déjà donné lieu à débat lors de l'examen de la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, qui donnait un fondement législatif à l'ouverture du capital d'Air France annoncée préalablement par les déclarations gouvernementales.

Il ressort des dispositions combinées de l'article 6 de l'ordonnance précitée n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du règlement de l'Assemblée nationale que la recevabilité des propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est soumise à deux conditions :

· les faits ayant motivé le dépôt de la proposition ne doivent pas faire l'objet de poursuites judiciaires ;

· la proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion.

*

* *

Sur la première de ces deux conditions de recevabilité - existence de poursuites judiciaires -, Mme le Garde des Sceaux a indiqué, par lettre du 10 août dernier à M. le Président de l'Assemblée nationale, que la Cour d'appel de Paris était actuellement " saisie d'un appel contre un jugement rendu le 3 mars 1998 par le tribunal correctionnel d'Évry relaxant le Président d'Air France de poursuites engagées du chef d'entrave au fonctionnement du comité d'entreprise, et que, d'autre part, une information judiciaire contre personne non dénommée est à ce jour en cours au tribunal de grande instance de Paris des chefs d'abus de biens sociaux et recel de ce délit concernant la gestion de la Compagnie Air France ".

Mme la Ministre conclut, ainsi qu'il est d'usage, qu'elle laisse à l'Assemblée nationale " le soin d'apprécier si ces procédures ne sont pas de nature à faire obstacle à la création d'une telle commission d'enquête parlementaire ".

Votre Rapporteur considère que cette lettre ne fait pas obstacle à la création d'une commission d'enquête, dans la mesure où le jugement en attente porte, d'une part, sur les relations sociales au sein d'Air France, d'autre part, qu'un éventuel cas d'abus de biens sociaux semble ne devoir influer que dans une proportion marginale sur la situation financière de la compagnie.

L'ordonnance précitée du 17 novembre 1958 soumet les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête à une seconde condition de recevabilité : elles doivent déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion.

Bien que l'accent soit mis sur le souhait de voir la commission d'enquête procéder à un examen de la compagnie Air France, portant non seulement sur sa gestion actuelle mais encore sur l'avenir qui pourrait être réservé à ce groupe, notamment dans la perspective d'une éventuelle privatisation, il ne fait aucun doute que l'objet de la proposition de résolution porte sur une entreprise nationale et répond, de ce fait, à la seconde condition de recevabilité posée par l'ordonnance du 17 novembre 1958.

*

* *

Recevable juridiquement, la proposition de résolution peut être désormais examinée sous l'angle de l'opportunité.

·   La privatisation d'Air France constitue la trame principale de cette proposition, qui porte en premier lieu sur le choix du Gouvernement de ne pas y procéder, et sur l'avenir de la compagnie compte tenu de cette décision.

On peut tout d'abord remarquer que la démarche ainsi retenue conduirait la commission à travailler sur des hypothèses, pour l'avenir, ce qui n'est guère conforme à la notion d'enquête.

Ensuite, le débat sur la privatisation d'Air France a déjà eu lieu, même s'il n'est sans doute pas clos. Lors de la séance de questions au Gouvernement du 10 juin 1998, M. le Premier ministre a eu l'occasion de rappeler les efforts successifs des pouvoirs publics pour renforcer les conditions du développement d'Air France : recapitalisation de 20 milliards de francs, lancement de la construction de deux nouvelles pistes à Roissy, conclusion avec les États-Unis d'un accord bilatéral de trafic aérien. Il a en outre précisé qu'il n'était nullement nécessaire qu'une entreprise fût entièrement privatisée pour que ses actions soient valorisées, et a cité en exemple le succès de l'ouverture partielle du capital de France Télécom, rappelant que le Gouvernement opérait une démarche similaire avec la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier  (1).

L'un des principaux arguments en faveur de la privatisation consiste à avancer que le maintien d'Air France dans le secteur public entrave la passation d'alliances, à l'heure où il est nécessaire d'en nouer pour être présent sur toutes les grandes routes aériennes. Cette argumentation repose en réalité sur une confusion car le terme " alliance " n'a pas de sens très défini : il peut s'agir de partages de code, dont l'objet se limite à une partie des réseaux en présence, voire à une ligne unique, ou d'accords globaux de coopération qui se traduisent parfois par des participations croisées de capital.

L'image, souvent répandue, qui fait d'Air France une compagnie isolée ne reflète pas la réalité. La situation est à cet égard extrêmement claire : la compagnie se situe au premier rang pour les partages de code, qui constituent des alliances à caractère opérationnel, mais n'appartient pas à un système d'alliance globale. Air France a ainsi mis en _uvre, le 19 juin dernier, des partages de code avec Continental et Delta, soit deux mois et demi après le nouvel accord aérien franco-américain. Les perspectives de cette politique demeurent cependant incertaines, en raison de l'évolution permanente des relations entre compagnies américaines et de l'état des négociations entre American Airlines et British Airways et entre United, Lufthansa et SAS.

En dehors des alliances avec des compagnies nord-américaines, Air France poursuit une politique d'accords diversifiés. En France, elle a renforcé sa coopération avec les transporteurs régionaux. Un accord de franchise avec Brit'air est entré en vigueur lors de l'hiver 1997/1998, de même qu'un accord plus limité avec Proteus. Par ailleurs, la compagnie travaille à étendre son dispositif européen. Après Maersk Air, Luxair et Eurowings, des négociations sont en cours d'achèvement avec Austrian Airlines (mise en code de 7 vols quotidiens sur Paris-Vienne à partir de l'hiver 1998/1999).

En Asie, Air France coopère étroitement avec Japan Airlines, avec la réussite des vols en partage de code sur Paris-Osaka. En Chine, Air France a conclu un accord avec China Eastern : cette compagnie constitue le partenaire le plus attractif, car elle est basée sur la plafe-forme de Shanghaï qui sera, à terme, la plus importante de la Chine continentale. Pour des raisons d'équilibre, la compagnie nationale a également maintenu ses relations avec Air China et souhaite garder des contacts avec les compagnies susceptibles d'émerger et qui pourraient, à terme, faciliter la desserte d'autres points en Chine (China Southern à Canton notamment).

Air France n'a pu en revanche conclure d'accord avec un partenaire européen et est également absente des cinq grands réseaux d'alliances. La plus ancienne de ces alliances, formée en 1993, rassemble Northwest et KLM, cette dernière ayant, en outre, conclu à l'automne 1998 un accord avec Alitalia au détriment d'Air France.

La Star Alliance fédère pour sa part au moins huit compagnies, dont trois forment le noyau central : United, Lufthansa et SAS. La densité de ses dessertes augmente au fur et à mesure qu'elle rallie de nouveaux membres : Varig, Thaï, Air Canada, Ansett/Air New Zealand et Singapore Airlines. Le projet d'alliance entre American Airlines et British Airways, annoncé dès 1996, est toujours soumis à l'examen des autorités américaines et communautaires.

En 1996, Delta a noué avec Swissair, Sabena et Austrian une alliance - l'Atlantic Excellence - dont la portée est limitée par la taille des partenaires européens. En outre, Delta tente de rassembler tous ses partenaires actuels (Aéromexico, Korean, Swissair, Sabena, Austrian) au sein du projet " One World Service " destiné à l'origine à contrebalancer la Star Alliance. Air France, sollicitée, a réservé sa réponse.

Le dernier système d'alliance n'est pas encore totalement intégré en raison notamment de l'absence d'immunité anti-trust. Air France et ses partenaires américains Continental et Delta tentent de développer un réseau, économiquement justifié par la complémentarité des réseaux américains des deux partenaires. Il s'agit d'une alliance sans doute transitoire, appelée à évoluer à terme vers un partenaire unique.

Les cinq grands systèmes d'alliances assurent désormais plus des deux tiers du trafic mondial en PKT (passagers/kilomètre/transportés), ce qui éclaire les enjeux économiques des négociations en cours.

Air France suscite l'intérêt de nombreux partenaires potentiels, en raison des réserves foncières de l'aéroport de Roissy. Par ailleurs, ses atouts industriels et commerciaux sont considérés comme appréciables. Les obstacles à l'appartenance à un réseau intégré d'alliances ne sont donc pas d'ordre opérationnel ; ils peuvent être plutôt recherchés dans la situation ambivalente de la compagnie. Le secteur public garantit à juste titre une forte protection sociale à ses salariés ; il peut donc être, pour des observateurs étrangers, considéré comme potentiellement porteur de conflits. Par ailleurs, l'attribution, conformément à l'article 51 de la loi du 2 juillet 1998 précitée, d'actions en échange d'une baisse de salaires est interprétée comme un mécanisme qui valorise à terme les actions émises lors de la future ouverture de capital, et n'en permet pas une éventuelle privatisation. Les futurs alliés éventuels de la compagnie adoptent de ce fait une attitude d'attente.

On ne pourra éternellement éluder le débat de l'appartenance d'Air France au secteur public. S'il est légitime que l'État, qui a contribué à hauteur de 20 milliards de francs au désendettement de la compagnie, en garde aujourd'hui le contrôle, il faut, pour l'avenir, se poser la question de la pérennité de ce contrôle. Il est en effet de plus en plus difficile de trouver la justification de la mission de service public d'Air France. Le transport aérien ne peut s'assimiler à la mission d'intérêt général qui fait l'essentiel de la notion du service public. La liberté d'aller et venir, les relations commerciales sont assurées par de multiples modes de transport. L'ouverture du ciel européen à la concurrence et le développement des compagnies charter ont considérablement démocratisé l'accès au transport aérien. De nombreuses compagnies proposent des tarifs plus attractifs qu'Air France pour des dessertes similaires. Au départ de Paris, le voyageur peut choisir parmi six compagnies pour aller à New York, parmi quatre compagnies pour Bordeaux ou Pointe-à-Pitre. Recourir, dans un tel contexte, à la notion de service public en altère profondément le sens, d'autant que les dessertes d'Air France ne présentent aucune spécificité, qu'il s'agisse des tarifs ou de considérations d'aménagement du territoire. De nos jours, le transport aérien est entièrement soumis au marché et à la loi de l'offre et de la demande, même si la concurrence est loin d'être parfaite.

Dans la phase actuelle de l'évolution générale du transport aérien où se développent les alliances commerciales, le statut d'Air France n'est pas un obstacle. Il pourrait le devenir si on en venait à des alliances capitalistiques, d'ailleurs volatiles, et beaucoup moins solides que les alliances commerciales où Air France est bien représentée.

Le Gouvernement a choisi d'ouvrir partiellement le capital de la compagnie. Laissons donc cette opération s'effectuer dans les meilleures conditions.

En tout état de cause, une commission d'enquête n'est pas l'outil adapté à ce débat autour d'une stratégie commerciale en cours d'élaboration, et il ne lui est guère possible de s'immiscer publiquement dans des négociations commerciales. Les compagnies aériennes étrangères partenaires d'Air France ne sont en outre pas obligées de répondre à une commission d'enquête, dont la compétence se limite au territoire français.

·   La proposition de résolution (n° 980) demande également qu'il soit procédé à une enquête sur le coût financier du conflit social de juin 1998 et, plus généralement, sur la situation financière de la compagnie aérienne sans prendre en considération le fait que les comptes d'Air France sont publics et que la direction a déjà fait part de ses estimations sur les pertes dues à la grève.

Les statistiques publiées par la direction générale de l'aviation civile font d'ailleurs apparaître que le chiffre d'affaires d'Air France se redresse incontestablement depuis trois exercices, comme l'indique le tableau ci-après.

ÉVOLUTION DU CHIFFRE D'AFFAIRES D'AIR FRANCE

(en millions de francs)

1995-1996

1996-1997

1997-1998

Passage régulier (1)

35.520

38.167

41.696

en % du chiffre d'affaires

67,2

68,6

68,7

Fret

6.739

6.780

7.616

en % du chiffre d'affaires

12,8

12,2

12,5

Autres activités aériennes (2)

1.991

2.049

2.370

en % du chiffre d'affaires

3,8

3,7

3,9

Total aérien

44.250

46.996

51.681

en % du chiffre d'affaires

83,8

84,5

85,1

Maintenance

2.429

2.320

2.494

en % du chiffre d'affaires

4,6

4,2

4,1

Prestation à bord

1.667

1.555

1.629

en % du chiffre d'affaires

3,1

2,8

2,7

Autres

4.483

4.731

4.911

en % du chiffre d'affaires

8,5

8,5

8,1

Total non aérien

8.579

8.606

9.034

en % du chiffre d'affaires

16,2

15,5

14,9

Total général

52.829

55.602

60.716

(1) transport de passagers sur vols réguliers.

(2) dont frètement et charter.

Source : direction générale de l'aviation civile.

On relèvera que le chiffre d'affaires passagers sur vol régulier s'élève à 41,69 milliards de francs pour l'exercice clos au 31 mars 1998, soit une progression de 9,2 % par rapport à l'exercice précédent. Le coefficient de remplissage a atteint son meilleur niveau avec 75,2 %.

Par ailleurs, le recours à de nouvelles procédures de gestion a permis une amélioration de 5,5 % de la recette unitaire au siège par kilomètre offert. Le taux de remplissage ainsi que les effets de prix et de change sont à l'origine de cette amélioration, partiellement atténuée par le moindre développement du réseau long courrier.

Au 31 mars 1998, l'excédent brut d'exploitation a atteint 7,39 milliards de francs, soit 12 % du chiffre d'affaires, ce qui constitue une amélioration notable. Le résultat financier s'élevait à la même période à 1,11 milliard de francs, soit une dégradation de 43 millions de francs par rapport à l'exercice précédent, essentiellement en raison de pertes de change sur l'endettement en devises. En revanche, les frais financiers nets ont poursuivi leur diminution, grâce à la baisse des taux et aux effets de la recapitalisation de la dernière tranche de 5 milliards de francs versée par l'État en septembre 1996.

Au 31 mars 1998, l'endettement net consolidé s'établissait à 15,5 milliards de francs, en baisse de près de 400 millions de francs par rapport au 31 mars 1997. Sur l'exercice 1996-1997, l'endettement net consolidé d'Air France était de 15,9 milliards de francs, en baisse de 5,1 milliards de francs par rapport à l'exercice précédent.

A la fin de l'exercice 1997-1998, les capitaux propres (incluant les provisions pour risque) d'Air France s'élevaient à 23,6 milliards de francs et le ratio endettement net sur fonds propres était de 0,98 contre 1,07 sur l'exercice précédent.

ÉVOLUTION DE LA STRUCTURE DE LA DETTE FINANCIÈRE PAR DEVISES

(en millions de francs)

Décembre 1993

Mars

1995

Mars

1996

Mars

1997

Mars

1998 (1)

Franc français

22.142,8

19.665,2

18.949,6

18.317,8

18.432,9

Dollar US

2.775,7

2.113,7

2.070,8

2.161,9

2.137,3

Yen

3.089,5

2.824,8

2.167,5

1.622,5

1.574,9

Divers

3.444,1

1.956,9

1.699

1.560

1.628

Livre

1.851

967,2

456,1

516

575

Mark

851,8

797,8

761,6

720,4

Dettes financières

33.303,1

28.379,6

26.140,8

24.939,8

25.028,5

ORA (2)

2.000

2.000

2.000

1.251,8

1.250,9

Blocage CDC P (3)

1.615,9

1.558,1

Trésorerie

1.855,7

3.173,7

6.609,8

9.936,2

10.733,3

Dettes financières nettes

37.158,8

27.205,9

19.834,1

14.697,3

15.546,1

(1) après fusion Air France et Air France Europe.

(2) obligations remboursables en actions.

(3) emprunts obligataires.

Source : Air France.

La direction d'Air France a publié le 2 décembre dernier les résultats du premier semestre de l'exercice 1998/1999. Bien qu'amplement bénéficiaire, le résultat net s'établit à 1,336 milliard de francs, soit 23,8 % en moins par rapport au premier semestre de l'exercice précédent. La grève a minoré les recettes de la compagnie de 1,8 milliard de francs et le résultat de 1,3 milliard de francs, alors que le mois de juin aurait pu permettre à Air France d'établir des records d'activité, en conformité avec le développement du trafic aérien dans cette période.

COMPTES DE RÉSULTATS CONSOLIDÉS D'AIR FRANCE

(en millions de francs)

Premier semestre
1998/1999

Premier semestre
1997/1998

Chiffres d'affaires

29.908

29.774

Excédent brut d'exploitation

3.599

4.336

Résultat d'exploitation

1.255

2.061

Résultat courant avant impôts

1.269

1.474

Résultat de l'ensemble consolidé

1.337

1.761

Résultat net - Part du groupe

1.336

1.752

Source : Air France

La situation financière d'Air France se caractérise donc par un indéniable redressement. Votre Rapporteur souligne en outre que les comptes d'Air France sont publics et que la direction et les services financiers d'Air France ont toujours été à la disposition des rapporteurs des deux assemblées du Parlement pour faire état des comptes de la compagnie. On mesure mal dès lors l'apport propre d'une commission d'enquête.

La proposition de résolution (n° 980) demande enfin que l'Assemblée enquête sur les conséquences de la grève du mois de juin 1998 et sur l'accord signé le 10 juin avec les pilotes.

Ainsi que l'a précédemment indiqué votre Rapporteur, le coût de la grève s'établit à 1,8 milliard de francs, en perte de recettes. Ce chiffrage, rendu public le 2 décembre dernier, démontre à lui seul le poids des pilotes au sein de la compagnie aérienne, alors qu'ils représentent 10 % des effectifs (soit 3.500 personnes) et que l'essentiel des efforts de rationalisation ont été supportés par les personnels au sol. Les pertes dues à la grève ont été atténuées par la bonne conjoncture du transport aérien, bien que la recette unitaire ait diminué. En effet, la crise asiatique a conduit à une intensification de la concurrence sur l'Atlantique Nord.

L'accord signé le 10 juin constitue avant tout un protocole encadrant une négociation dont la conclusion est intervenue en septembre 1998. Les relations entre la direction et les pilotes s'établissent au sein d'un cadre pluriannuel, dans lequel la compagnie vise trois objectifs précis :

· alimenter la plate-forme de Roissy ;

· modifier les conditions de travail des pilotes ;

· obtenir une économie budgétaire par une baisse de salaires en échange de l'attribution d'actions.

Le premier objectif est primordial pour Air France, car la plate-forme de Roissy constitue son atout majeur dans la compétition internationale. Roissy est géographiquement très bien située et peut servir de plate-forme de correspondance à de nombreux opérateurs, tant européens qu'américains. Si Air France ne peut y maintenir ses parts de marché actuelles (50 %), Roissy deviendra une arme pour ses concurrents.

Or Air France n'a pas pour l'heure les moyens, en termes de flotte aérienne, d'occuper à elle seule les nouveaux créneaux horaires qui se dégageront avec la mise en service de la troisième piste. Il est donc nécessaire que les pilotes acceptent la sous-traitance par la compagnie, notamment, de certaines lignes court courrier, afin d'amener des passagers sur les lignes internationales. L'accord avec les pilotes permet ce recours, ce qui évite à Air France de se lancer dans une course à l'investissement.

Le second objectif vise à rapprocher les conditions de travail des pilotes d'Air France, notamment les horaires, des normes en vigueur chez ses principaux concurrents (British Airways, KLM et Lufthansa). La direction d'Air France considère que l'accord remplit cet objectif.

Quant au troisième objectif, il est d'obtenir une économie sur la masse salariale des pilotes, afin de diminuer les coûts d'exploitation et de favoriser, corrélativement, l'ouverture du capital de la compagnie en valorisant les actions émises.

La cession d'actions aux salariés en échange de réductions de salaires est un procédé qui a déjà été mis en _uvre dans un passé récent. Il a été largement expérimenté par United Airlines, dont les salariés possèdent 51% du capital, ainsi que par Northwest, où leur part s'établit à 37%. Il a également été mis en pratique par Alitalia. En France, l'article 17 de la loi n° 94-679 du 8 août 1994 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier avait autorisé l'État à accorder gratuitement, jusqu'au 30 juin 1998, des actions d'Air France aux salariés qui, dans le cadre d'un accord collectif de travail, consentaient, volontairement et individuellement, à une réduction de leurs salaires pour une durée de trois ans.

L'extension de l'actionnariat salarié proposée par Air France répond avant tout à une préoccupation : réduire l'écart salarial du personnel naviguant technicien (PNT - pilotes) existant avec ses principaux concurrents. Cet écart est de 17 % en faveur de British Airways quand la livre sterling atteint sa parité actuelle avec le franc, et 22 % quand son cours approche de 8 francs. Il avoisine 40 % avec Lufthansa. Le coût des pilotes de la compagnie française s'établit autour de 3,6 milliards de francs par an, soit près de 1,8 milliard de francs de différence en compte d'exploitation par rapport aux deux compagnies précitées. Si un tel écart était maintenu, la seule activité rentable pour Air France serait le long courrier, susceptible d'amortir des coûts élevés. En revanche, l'ensemble du trafic court et moyen courrier lui échapperait, alors que la libéralisation du transport aérien et la baisse des tarifs qui en résulte entraînent logiquement un essor de ces trafics.

Les tableaux ci-dessous indiquent, au sein d'Air France, l'évaluation, de 1994 à 1996, des rémunérations mensuelles moyennes :

ÉVOLUTION DES RÉMUNÉRATIONS DES PERSONNELS AU SOL

(en francs)

1994

1995

1996

Cadres supérieurs (1)

H

40.846

40.338

39.049

F

31.615

32.428

32.197

Cadres principaux

H

27.838

26.627

26.277

F

25.174

24.346

23.930

Cadres

H

21.929

21.340

21.227

F

19.469

18.849

18.618

Maîtrise/techniciens

H

17.316

17.296

17.303

F

15.266

15.180

14.936

Agents

H

13.170

13.350

13.518

F

11.585

11.382

11.336

(1) y compris les dirigeants.

Source : Air France.

ÉVOLUTION DES RÉMUNÉRATIONS DES PERSONNELS NAVIGANTS

(en francs)

1994

1995

1996

Commandants

H

79.650

80.631

81.685

de bord

F

62.236

64.260

63.085

Officiers pilotes

H

44.576

49.143

51.810

F

36.388

40.867

44.324

Officiers

H

51.839

52.650

53.960

mécaniciens

F

41.867

41.981

46.335

Chefs

H

38.526

38.398

39.464

PNC (1)

F

37.354

38.064

38.924

Chefs hôtesses

F

32.702

32.848

33.390

Chefs stewards

H

32.845

33.013

33.868

Instructeurs

H

29.813

29.259

28.268

F

29.402

28.715

28.627

Chefs de cabine

H

27.214

27.108

27.243

principaux

F

26.455

26.779

26.841

Chefs

H

22.883

22.531

21.861

de cabine

F

22.372

22.112

21.487

Hôtesses

F

16.901

16.632

16.701

Stewards

H

17.853

17.704

17.633

(1) personnel navigant commercial.

Source : Air France.

Le dispositif d'échange d'actions contre une baisse des salaires concerne surtout les pilotes (commandants de bord - CDB - et officiers pilotes de ligne - OPL -). Aussi est-il utile d'indiquer leur évolution salariale :

ÉVOLUTION MOYENNE DES SALAIRES DES PILOTES

(en francs)

OPL A1 célibataire

OPL A2
marié 2 enfants

OPL 6 ans
marié

CDB 18 ans
marié 2 enfants

CDB fin de carrière
marié

Brut annuel

348.000

348.000

729.000

1.020.000

1.201.000

Indemnités perçues

35.000

35.000

43.000

43.000

43.000

Indemnités soumises

37.500

37.500

35.000

35.000

35.000

Base charges sociales

385.500

385.500

764.000

1.055.000

1.236.000

Charges sociales et assimilées

76.667

76.667

150.400

204.610

227.511

Net à payer

306.333

306.333

621.600

858.390

1.016.489

Source : Air France

Le mécanisme d'actionnariat salarié proposé par l'article 51 de la loi du 2 juillet 1998 précitée conserve quelque analogie avec celui retenu dans la loi n° 94-679 du 8 août 1994, du moins dans son principe, puisqu'il s'agit de diminuer le salaire des personnels en place en échange d'une cession gratuite d'actions à leur profit. L'État a estimé que ce dispositif était neutre, dans la mesure où la baisse de la grille salariale des pilotes augmenterait la valeur des actions. L'État compenserait ainsi, avec les actions qu'il conservera, la perte patrimoniale résultant de la cession gratuite.

A la suite du conflit social, l'accord entre les pilotes et la direction a été négocié au cours de l'été 1998. Il a été présenté le 1er octobre 1998 au comité central d'entreprise. Il prévoit une offre de base, consistant en un abandon de 11.575 francs par an en échange d'un nombre d'actions dépendant du nombre d'années de carrière à effectuer. Une offre complémentaire vise à l'abandon de 12.000 francs au moins par an pendant sept ans, en échange d'actions incessibles pendant cinq ans, tout en bénéficiant de 7.470 francs d'actions supplémentaires.

La direction escompte une économie de 400 millions de francs par an sur une masse salariale actuellement évaluée à 3,5 milliards de francs. L'objectif est de faire converger les salaires vers les niveaux constatés chez British Airways, KLM et Lufthansa, qui sont citées comme compagnies de référence dans l'accord. Une clause de révision d'ici trois ans est en outre instituée si la productivité de la compagnie s'améliore notablement.

Quoique ses applications pratiques soient complexes, l'accord salarial avec les pilotes est largement connu et son contenu ne justifie pas la création d'une commission d'enquête. Si les conséquences financières en sont positives pour la compagnie, il n'en est pas de même pour le climat social dans l'entreprise. Les progrès de productivité ont en effet été réalisés par l'ensemble des personnels, et non par les seuls personnels navigants. Mais les autres catégories de personnels ressentent l'impression que les personnels navigants bénéficient d'avantages, voire de privilèges.

En conclusion, une commission d'enquête n'apparaît ni utile, ni opportune. L'Assemblée dispose, au travers de ses commissions permanentes, de tous les moyens pour veiller à l'évolution de la situation financière d'Air France. C'est pourquoi votre Rapporteur conclut au rejet de la proposition de résolution.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du 9 décembre 1998, la commission des Finances, de l'Économie générale et du Plan a examiné, sur le rapport de Mme Nicole Bricq, rapporteur, la proposition de résolution de MM. Dominique Bussereau, François d'Aubert et Gilbert Gantier visant à créer une commission d'enquête sur Air France (n° 980).

Mme Nicole Bricq, rapporteur, après avoir relevé que la concomitance entre la fin du conflit social dont Air France a été le théâtre et le dépôt, le 16 juin 1998, de la proposition de résolution, en montrait le caractère circonstanciel, permettant à ses auteurs une mise en cause générale de l'attitude du Gouvernement à l'égard d'Air France, a reconnu que la situation financière d'Air France et la question de son avenir appelaient un débat politique pour lequel une commission d'enquête n'offrait pas un cadre adéquat.

Examinant la recevabilité de la proposition de résolution au regard des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du règlement de l'Assemblée nationale, Mme Nicole Bricq a tout d'abord estimé que l'ouverture d'informations judiciaires, d'une part, pour entrave au fonctionnement du comité d'entreprise, d'autre part, pour abus et recel d'abus de biens sociaux, ne lui paraissait pas, en raison de son caractère marginal, faire obstacle, en droit, à la constitution de la commission. Elle a en outre constaté que la proposition de résolution, portant sur une entreprise nationale, répondait incontestablement à la seconde condition de recevabilité.

Le Rapporteur s'est ensuite interrogé sur l'opportunité de la création de la commission d'enquête. Elle a indiqué que, pour la préparation de son rapport, elle avait entendu la direction d'Air France et qu'elle avait souhaité s'entretenir avec toutes les organisations syndicales, mais que seules Force Ouvrière et la Confédération française démocratique du Travail (CFDT) s'étaient rendues à son invitation, le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) ne lui ayant, pour sa part, adressé aucune réponse.

Sur le fond, elle a tout d'abord estimé que le travail sur des hypothèses portant sur l'avenir d'Air France n'était guère en accord avec la démarche de principe d'une telle commission. Elle a également soutenu, se référant aux déclarations récemment faites par le Premier ministre, que le débat sur la privatisation d'Air France avait déjà eu lieu, même s'il n'était sans doute pas clos. Elle a estimé qu'on ne pouvait défendre la thèse qu'Air France serait gênée, du fait de son appartenance maintenue au secteur public, pour passer des alliances, qu'au prix d'une confusion dans la compréhension de cette notion, qui désigne aussi bien des partages de code que des accords globaux de coopération. Elle a rappelé, à l'appui de cet argument, le premier rang occupé par la compagnie pour les partages de code, qui constituent des alliances à caractère opérationnel. Elle a attribué essentiellement les difficultés rencontrées par Air France pour entrer dans un réseau intégré à la situation ambivalente de la compagnie, dont l'appartenance au secteur public, certes garantie à juste titre d'une forte protection sociale pour ses salariés, pouvait apparaître à des observateurs étrangers comme une source potentielle de conflits.

Considérant que le débat sur l'appartenance d'Air France au secteur public ne pourrait être durablement éludé, Mme Nicole Bricq, après avoir estimé que, dans la situation actuelle, il était légitime que l'État, qui avait contribué au désendettement de la compagnie, en garde le contrôle, a souligné que, dans un domaine aujourd'hui complètement ouvert à la concurrence internationale, il était de plus en plus difficile de fonder sur la notion de service public l'existence du contrôle de l'Etat, alors que les activités commerciales de la compagnie ne présentaient aucune spécificité se traduisant dans sa politique tarifaire ou par des sujétions particulières d'aménagement du territoire. Elle a exprimé la crainte que le statut d'Air France ne soit un obstacle à la conclusion, dans une phase ultérieure de l'évolution cyclique du transport aérien, d'alliances capitalistiques ; elle a jugé, à ce propos, qu'une commission d'enquête n'était pas un outil adapté au débat autour d'une stratégie commerciale et qu'elle ne pouvait s'immiscer publiquement dans des négociations entre entreprises.

Le rapporteur a enfin examiné le troisième objet de la proposition de résolution, portant sur le coût financier du conflit social de juin 1998 et, plus généralement, sur la situation financière de la compagnie aérienne. Elle a noté le redressement incontestable, depuis trois exercices, du chiffre d'affaires d'Air France, avant de constater que la grève avait entraîné une baisse de 23,8 % du résultat du premier semestre de l'exercice 1998/1999 par rapport à la période comparable de 1997/1998, alors que le mois de juin aurait pu permettre à Air France d'établir des records d'activité en conformité avec l'évolution générale du transport aérien. Elle a rappelé que la direction d'Air France avait évalué l'impact de la grève à 1,8 milliard de francs.

Evoquant les négociations engagées avec les pilotes dans le cadre de l'accord signé le 10 juin 1998, Mme Nicole Bricq, après avoir rappelé la disproportion entre l'influence des pilotes au sein de la compagnie aérienne et leur importance dans ses effectifs, a décrit les trois objectifs précis assignés par l'accord à la négociation, appelée à se poursuivre dans un cadre pluriannuel : obtenir l'acceptation par les pilotes du recours à la sous-traitance, rapprocher leurs conditions de travail de celles des pilotes des compagnies européennes concurrentes, mettre en place un système d'attribution d'actions en échange d'une baisse négociée des salaires.

Soulignant que ce troisième objectif était au c_ur des négociations, dans la mesure où il permettrait une économie sur la masse salariale des pilotes, Mme Nicole Bricq a rappelé que la cession d'actions aux salariés en échange de réductions de salaires avait déjà été récemment mise en _uvre dans plusieurs compagnies et estimé que l'écart actuel entre les rémunérations salariales des pilotes d'Air France et celles pratiquées dans les compagnies concurrentes ne pouvait subsister en l'état sans mettre en péril la rentabilité globale de ses lignes de court et moyen courrier, et donc la présence d'Air France sur ce marché en plein essor du fait même de la libéralisation du transport aérien et de la baisse consécutive des tarifs.

Le Rapporteur a précisé que l'accord envisageait, pour la réalisation de l'échange, une offre de base et une offre complémentaire, dont elle a décrit les caractéristiques techniques, et ajouté que la direction d'Air France en attendait une économie de 400 millions de francs par an sur une masse salariale actuellement évaluée à 3,5 milliards de francs ; elle a mentionné l'existence d'une clause de révision d'ici trois ans en cas d'amélioration notable de la productivité de la compagnie. Elle a enfin ajouté que ce dispositif faisait actuellement l'objet d'un referendum auprès des personnes intéressées, dont la réalisation demanderait un certain temps.

Tout en reconnaissant que l'accord envisagé était d'une facture particulièrement complexe, Mme Nicole Bricq a considéré que son dispositif était largement connu et qu'une commission d'enquête n'apporterait à cet égard aucune information supplémentaire. Elle a au demeurant fait valoir que les catégories de personnel d'Air France autres que les pilotes, sur lesquelles porte l'essentiel du poids des efforts de productivité accompli, avaient accueilli avec une grande réserve un protocole qui leur paraît réserver aux pilotes un traitement particulièrement favorable.

Après avoir rappelé que les parlementaires disposaient, en l'état actuel des textes, de tous les moyens nécessaires pour obtenir les informations qu'ils peuvent souhaiter sur la situation d'Air France, le Rapporteur a conclu au rejet de la proposition de résolution.

Tout en se réjouissant des informations communiquées par Mme Nicole Bricq, rapporteur, à la Commission, M. François d'Aubert a déploré que la direction d'Air France n'ait jamais répondu aux questions qu'il lui avait posées sur les mêmes sujets en sa qualité de rapporteur spécial des crédits de l'Aviation civile. Il a estimé que l'écart entre l'évaluation du coût de la grève généralement admise au moment où la proposition de résolution avait été déposée et le chiffre, plus élevé, communiqué à la Commission par le Rapporteur, apportait un argument supplémentaire à la constitution d'une commission d'enquête dans la mesure où le manque à gagner ainsi constaté affectait la capacité de financement par la compagnie, de son programme d'investissement, d'un montant d'environ 40 milliards de francs. Il a déploré le manque de transparence des informations, contenues dans les comptes sociaux, sur les avantages accordés au personnel.

Il a regretté que le Rapporteur, sur la question des alliances, fasse exactement référence au discours de la direction d'Air France, qui masque par une sous-évaluation volontaire de l'intérêt des alliances capitalistiques la position de faiblesse dans laquelle elle se trouve à cet égard par rapport aux autres compagnies aériennes européennes.

Il a en outre dénoncé le flou entretenu par le Gouvernement, et notamment le ministre de tutelle, sur les conditions et le calendrier de l'ouverture du capital d'Air France. Saluant l'analyse du Rapporteur sur l'inadéquation de la notion de service public aux transports aériens, il a fait remarquer que l'esprit du service public ne semblait guère faire partie de la culture de l'entreprise. Il a, sur ce point, jugé qu'une enquête sur la manière dont les clients de la compagnie étaient traités pouvait être intéressante et que cela constituait un argument supplémentaire pour la constitution d'une commission d'enquête.

M. Alain Barrau, après avoir exprimé son accord avec le raisonnement général et les conclusions du Rapporteur, s'est déclaré cependant réservé sur ses propos relatifs au caractère inéluctable à terme de la privatisation, estimant au contraire que le rapport contenait la claire démonstration que le statut actuel d'Air France lui permettait de faire face à la concurrence avec les entreprises privées. Il a soutenu que la notion de service public pouvait être invoquée à l'appui de préoccupations d'aménagement du territoire, notamment dans l'organisation du transport aérien intérieur.

M. Philippe Auberger a estimé que si des accords commerciaux peuvent être conclus sans échanges de participations, un accord commercial était d'autant plus durable qu'il se concrétisait par un tel échange, garantie de liquidité et de rentabilité qui ne peut être obtenue que dans une entreprise privatisée. Il en a conclu que, pour cette raison, le statut actuel d'Air France constituait un frein à sa politique commerciale, en l'empêchant, notamment, d'intégrer de grands réseaux européens ou transcontinentaux. Il a ensuite évoqué la question du financement du programme d'investissements de la compagnie, soulignant que l'absence d'augmentation du capital ou d'émission d'obligations était également un handicap en la matière.

M. Maurice Adevah-Poeuf a déclaré qu'il n'y avait pas de lien mécanique entre la notion de service public et la propriété du capital, et que, dans ces conditions, il convenait de procéder à l'ouverture du capital d'Air France, sans entamer de débat théorique. S'agissant du coût de la grève, il a demandé si le chiffre de 1,8 milliards de francs correspondait à une perte du chiffre d'affaires d'Air France ou à une perte de ses résultats.

Répondant aux différents intervenants, Mme Nicole Bricq, rapporteur, a fait valoir qu'elle avait bénéficié d'un calendrier plus favorable que M. François d'Aubert pour la communication d'informations d'ordre financier, grâce, notamment, à la publication des comptes du premier semestre de l'exercice 1998-1999, le 2 décembre dernier, et qu'elle avait pu notamment vérifier l'impact de la grève sur les lignes long courrier susceptibles d'être affectées par un surcoût d'exploitation.

Elle a insisté sur le fait que les modalités de l'échange salaires-actions ne pouvaient être considérées comme définitives dans la mesure où elles devaient, à la suite de la réunion du comité d'entreprise du 1er octobre dernier, être approuvées par référendum. Elle a souhaité que cette procédure soit achevée rapidement afin que l'on puisse procéder à l'ouverture du capital de la compagnie en février ou en mars prochain, et, en tout état de cause, avant celle des compagnies Alitalia et Iberia.

Elle a ensuite évoqué la question des alliances en rappelant que, dans la phase actuelle de son cycle de développement, le transport aérien privilégiait les accords commerciaux par rapport aux accords capitalistiques. Elle a tenu à nuancer l'efficacité des alliances transcontinentales en prenant l'exemple de l'accord conclu entre les compagnies KLM et Northwest qui n'avait pas entraîné d'augmentation du volume des affaires de l'une ou l'autre compagnie, contrairement aux attentes initiales. Elle a indiqué que la direction d'Air France était consciente de l'importance des réseaux transcontinentaux pour son développement futur.

Rappelant les propos du Président de l'Assemblée nationale selon lequel on pouvait se poser la question du maintien du service public dans un système entièrement concurrentiel, elle a jugé préférable de procéder à l'ouverture du capital, et de se prononcer sur la poursuite éventuelle du processus en fonction des résultats obtenus.

Évoquant les aspects relatifs à l'aménagement du territoire, elle a précisé que ces questions relevaient du Fonds de péréquation des transports aériens et concernaient donc des lignes et non des compagnies aériennes, ce qui ne permettait pas de prendre argument de ces questions pour justifier le statut actuel d'Air France.

Enfin, elle a indiqué que le chiffre de 1,8 milliard de francs correspondait à une perte de recettes résultant de la grève, qui a par ailleurs minoré de 1,3 milliard de francs le résultat de la compagnie.

Le Président Augustin Bonrepaux se référant aux difficultés évoquées par M. François d'Aubert, a invité les rapporteurs spéciaux qui rencontreraient des obstacles du même ordre à les lui soumettre, ajoutant qu'il se tenait prêt à les soutenir pour qu'ils obtiennent les informations nécessaires à l'accomplissement de leur tâche.

La Commission a ensuite, sur la proposition du Rapporteur, rejeté la proposition de résolution visant à créer une commission d'enquête sur Air France (n° 980) de MM. Dominique Bussereau, François d'Aubert et Gilbert Gantier.10

N°1255. - Rapport de Mme Nicole BRICQ (au nom de la commission des finances)
sur la proposition de résolution (n°980) visant à créer une commission d'enquête sur Air-France

1 ) Première séance du 10 juin 1998, JO Débats Assemblée nationale, pages 4874 et suivantes. L'ouverture du capital d'Air France est prévue par l'article 51 de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier. JO Lois et Décrets, page 1027 et suivantes.