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le 19 mai 1999

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N° 1604

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 mai 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1577) de MM. JEAN-LOUIS DEBRÉ, PHILIPPE DOUSTE-BLAZY et JOSÉ ROSSI tendant à la création d'une commission d'enquête sur le GPS (Groupe de pelotons de sécurité),

PAR M. RAYMOND FORNI,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Gendarmerie.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Jean-Yves Caullet, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Julien Dray, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, José Rossi, Frantz Taittinger, André Thien Ah Koon, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

MESDAMES, MESSIEURS,

L'incendie volontaire d'une paillote illégalement édifiée sur la rive sud du golfe d'Ajaccio dans la nuit du 19 au 20 avril dernier, que l'on ne peut évidemment que déplorer, a enclenché, sous l'impulsion d'une justice sereine, véloce et efficace, une succession rapide d'événements spectaculaires : mises en examen de plusieurs membres d'une unité spéciale de la gendarmerie nationale - le groupe de pelotons de sécurité (GPS) - dès le 24 avril, suivies de celle du colonel commandant de la légion de Corse deux jours plus tard, fin des fonctions du préfet de région le 3 mai, dissolution de l'unité précitée le lendemain, puis mise en examen et placement en détention provisoire du préfet de région et de son directeur de cabinet le 5 mai.

Les débats et les commentaires, légitimes au demeurant bien que parfois démesurés, auxquels a donné lieu cet enchaînement sans précédent de mises en causes de plusieurs responsables locaux de la politique de sécurité publique en Corse ont, sans surprise, trouvé une traduction parlementaire, les membres de l'opposition déposant deux propositions de résolutions tendant à la création de commissions d'enquête au sein de notre Assemblée.

La première en date, enregistrée à la présidence le 5 mai dernier, présentée par les trois présidents des groupes de l'opposition, MM. Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy et José Rossi, tend à « la création d'une commission d'enquête sur le GPS ». Cette proposition, dont l'objet est limité et précisément circonscrit, fait l'objet du présent rapport.

La seconde, enregistrée le 6 mai et soutenue par M. François d'Aubert et les membres du groupe Démocratie libérale et indépendants et apparenté, a une finalité tout à fait différente puisqu'elle propose d'enquêter « sur les dysfonctionnements des services du Premier ministre en ce qui concerne le traitement du dossier corse ». Même si l'exposé des motifs de cette proposition exprime des préoccupations parfois proches de celles manifestées par les auteurs de la précédente, la portée des investigations envisagées justifie néanmoins un examen spécifique qui fera donc l'objet d'un autre rapport, également présenté par votre rapporteur.

Enfin, pour mémoire, rappelons que le 11 mai dernier, la commission des Lois du Sénat a adopté une proposition de résolution présentée par MM. Jean Arthuis, Guy Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan créant une commission d'enquête sur « la conduite de la politique de sécurité menée par l'Etat en Corse ».

Quelle que soit l'émotion soulevée par les agissements prêtés au GPS et par le rôle des différents protagonistes de cette « lamentable affaire », la commission des lois se doit de respecter les dispositions légales qui régissent la constitution des commissions d'enquête. En l'occurrence, les articles 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, 140 et 141 de notre règlement, la conduisent à examiner, en premier lieu, la recevabilité de la proposition de résolution puis à se prononcer sur son opportunité.

I. -  UNE PROPOSITION SANS DOUTE RECEVABLE

Aux termes des articles précités, pour être recevable, la proposition de résolution doit déterminer avec précision soit les faits donnant lieu à enquête, sachant que, comme votre rapporteur le rappelle régulièrement, la commission des Lois adopte traditionnellement une interprétation souple de ce critère, soit les services publics et entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion.

Sans même faire référence à l'affaire de Cala d'Orzu qui fait l'objet de poursuites judiciaires, il est évident que la constitution du GPS, ses modalités de fonctionnement et ses activités constituent un ensemble de faits clairement identifiés susceptibles de donner lieu à enquête. En tout état de cause, à l'appui de leur demande, les auteurs de la proposition peuvent également invoquer le contrôle du service public qu'est le GPS. Sur ce point particulier la recevabilité de la proposition de résolution semble donc acquise.

Néanmoins, celle-ci doit également satisfaire une deuxième condition car les faits visés, y compris lorsqu'est en cause la gestion d'un service public, ne doivent pas donner lieu à des poursuites judiciaires en cours.

Il est évident qu'une proposition visant explicitement l'incendie de la paillote serait irrecevable, mais la rédaction plus générale retenue par les auteurs de la présente proposition est de nature à la rendre certainement acceptable au regard des prescriptions légales dans la mesure où l'ouverture d'une information sur une action isolée imputée au GPS n'empêche pas une commission d'enquête parlementaire de s'intéresser, d'une manière générale, à cette formation de la gendarmerie nationale.

Interrogée par le président de l'Assemblée nationale en application de l'article 141, alinéa 1, de notre règlement, la garde des sceaux a, par lettre en date du 18 mai dernier, indiqué que « l'information judiciaire, actuellement suivie au tribunal de grande instance d'Ajaccio, à la suite de l'incendie criminel ayant détruit, le 20 avril 1999, sur la plage de Cala d'Orzu à Coti-Chiavari, la paillote « Chez Francis » a conduit à ce jour, à la mise en examen et au placement en détention provisoire de quatre officiers et un sous-officier de cette unité de la Gendarmerie nationale, ainsi que de l'ancien Préfet de la région Corse, et s'est donc, à cet égard, attachée au fonctionnement et aux activités de celle-ci », tout en reconnaissant explicitement qu'« aucune poursuite pénale ne porte d'une façon générique sur le GPS aujourd'hui dissous... ». Comme on le constate, la réponse de la ministre ne remet pas en cause l'interprétation favorable donnée plus haut, même si l'on peut estimer que la recevabilité de la proposition serait mieux assurée dans le cas où son objet ne se limiterait pas au seul GPS.

En outre, la Garde des sceaux ajoute : « Par ailleurs, l'exposé des motifs développés au soutien de la présente proposition de résolution évoquant l'enquête sur l'assassinat du préfet Erignac, il convient de rappeler qu'une information judiciaire relative à l'assassinat du préfet de la région Corse perpétré le 6 janvier 1998 à Ajaccio est actuellement en cours au tribunal de grande instance de Paris. » Il va de soi que cette dernière information n'entre pas dans le champ que les auteurs de la proposition de résolution assignent à la commission d'enquête qui pourrait être créée.

II. - UNE PROPOSITION OPPORTUNE SOUS RÉSERVE D'UN CHAMP D'APPLICATION REMODELÉ

Tout en insistant sur le nécessaire respect de la présomption d'innocence, les faits que représente l'incendie de la paillote, reconnus par un certain nombre de gendarmes, mettent en cause directement la responsabilité personnelle et pénale de ceux-ci. Cela étant, ils conduisent naturellement à s'interroger aussi sur le mode de fonctionnement de cette unité particulière.

Rappelons que le « groupe de pelotons de sécurité » est une formation très récente puisque sa création officielle date du 1er juin 1998, en remplacement d'un escadron « traditionnel » de la légion de Corse. Dès l'origine, cette nouvelle unité, dont le cadre d'emploi a été fixé par une instruction du directeur général de la gendarmerie nationale du 27 juillet 1998, participait, pour la part qui incombe à la gendarmerie, du souci d'accroître l'efficacité de l'action de l'Etat dans l'île, notamment en matière de renseignement et d'intervention, l'accent étant également mis sur le renforcement des sections de recherche.

Contrairement à une idée reçue, cette vocation particulière du GPS n'a jamais été dissimulée. Ainsi, le rapport de la commission d'enquête sur l'utilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse présidée par M. Jean Glavany (1) évoquait précisément, dès le mois de septembre 1998, les missions confiées à la nouvelle unité, insistant sur le fait que celle-ci permettrait de pallier le manque de spécialisation des effectifs présents en Corse, notamment en matière de renseignement.

Moins d'un an après sa mise en place, le GPS fait donc la une de l'actualité à l'occasion d'une affaire invraisemblable dont le Premier ministre reconnaît lui-même avec lucidité qu'elle constitue « un coup dur pour l'Etat, la République, le Gouvernement aussi et pour la Corse. ». On ne peut que partager ce constat dès lors que ces agissements inacceptables affectent la crédibilité de l'action menée depuis le lâche assassinat de M. Claude
Erignac, action dont beaucoup reconnaissent loyalement qu'elle commençait à porter ses fruits.

Les interrogations soulevées quant aux conditions de fonctionnement du GPS sont justifiées, mais est-il opportun de cantonner le travail d'une éventuelle commission d'enquête aux seuls agissements de ce dernier ? Votre rapporteur ne le pense pas pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, on peut douter qu'il y ait matière suffisante à enquête. Le GPS, opérationnel depuis à peine un an, a une « histoire » nécessairement limitée et, même s'il a été fortement mobilisé depuis sa création, son organisation et son fonctionnement n'avaient probablement pas encore atteint leur régime de croisière.

Dans ce contexte, le rapport de l'Inspection générale de l'administration sur « le fonctionnement et l'organisation de la chaîne de commandement en Corse » et celui de l'Inspection générale des armées sur « les conditions de mises sur pied, d'emploi et de contrôle du groupe de pelotons de sécurité » qui concluent deux enquêtes administratives rapidement diligentées par le gouvernement et qui ont été rendus publics, apportent toutes les informations qu'il semble possible d'obtenir à ce stade. En particulier, le travail effectué par le général d'armée Yves Capdepont fait clairement ressortir le suremploi de l'unité au regard du caractère inachevé de sa formation et la prépondérance du commandant de légion sur sa direction et son contrôle, lui-même « sous la coupe d'un préfet exigeant ».

En définitive, il est a craindre que, compte tenu des poursuites judiciaires en cours et des éléments déjà disponibles, les travaux d'une commission d'enquête focalisée sur le seul GPS soient de peu d'intérêt informatif.

Ensuite, comme l'ont clairement montré les deux rapports précités, les incidents survenus dans la nuit du 19 au 20 avril dernier s'inscrivent dans le cadre d'une chaîne locale de commandement, tant administrative qu'opérationnelle, largement perfectible et d'une coordination manifestement insuffisante entre les différentes forces étatiques de sécurité intervenant dans l'île. Ajoutons que ces lacunes organisationnelles se sont conjuguées à une forte implication personnelle de plusieurs des responsables en présence, sans doute peu conforme aux usages en la matière.

Ces observations conduisent, une nouvelle fois, à s'interroger sur la portée de la rédaction de la proposition de résolution qui nous est soumise. Si l'on souhaite éviter que de tels dysfonctionnements réapparaissent à l'avenir, si l'on veut conforter durablement l'efficacité de la politique de rétablissement de l'Etat de droit, imprimée avec détermination par le gouvernement, il convient de dresser un bilan et de formuler des propositions qui vont bien au-delà du cas du GPS, dissous, rappelons le, dès le 4 mai dernier.

Enfin, s'intéresser aux agissements du seul GPS conduit à privilégier un champ d'investigations temporel beaucoup trop réducteur, alors que les défaillances des services en charge de la sécurité publique en Corse sont patentes depuis longtemps, ainsi que l'a notamment déploré le rapport de la commission d'enquête précité.

Au total, votre rapporteur préconise de remanier assez largement la rédaction de la proposition de résolution présentée par MM. Debré, Douste-Blazy et Rossi.

D'une part, délaissant le cas particulier du GPS, la proposition viserait désormais l'organisation de l'ensemble des forces de sécurité dépendant de l'Etat qui opèrent en Corse, leurs conditions de fonctionnement et les modalités de coordinations des différents services compétents. Il s'agit donc de privilégier une approche plus horizontale, qui permette notamment de dresser un tableau aussi complet que possible des moyens mobilisés, de faire le point sur leurs conditions d'emploi et d'éclairer les chaînes locales de commandement selon lesquelles elles agissent. En outre, rappelons que cette formulation permettrait de lever toute ambiguïté sur la recevabilité de la proposition.

Par ailleurs, il est absolument nécessaire de mettre en lumière la manière dont les services habilités à intervenir en Corse sont - ou ne sont pas - coordonnés. Les anecdotes faisant état d'actions parallèles, de doubles emplois, de tiraillements entre services, de susceptibilités ombrageuses et de chevauchements de compétences sont, hélas, monnaie courante. La cohérence et la crédibilité de l'action publique commandent de mettre un terme aux situations qui traduisent, trop souvent, une fâcheuse tendance à une « guerre des polices » indigne d'un Etat de droit.

Enfin, pour être utiles, les travaux d'une éventuelle commission d'enquête doivent s'inscrire dans une perspective de moyen terme.

A bien des égards, les errements constatés sont le résultat de la sédimentation de stratégies de sécurité complexes, souvent peu transparentes et parfois contradictoires. Sauf à tomber dans une démarche politicienne stérile et néfaste aux intérêts bien compris de la République et de la Corse, il apparaît donc judicieux de chercher à faire sereinement le point sur le fonctionnement et la coordination des forces de sécurité en Corse depuis le début de la 10ème législature, c'est à dire mars 1993. Le choix de cette période garantit un recul suffisant et permet également d'essayer de comprendre comment une autre majorité a appréhendé, de son côté, la difficile situation que connaît cette partie si riche de notre communauté nationale.

*

* *

Après l'exposé du rapporteur, plusieurs orateurs sont intervenus dans la discussion générale.

Après avoir rappelé la gravité des faits qui ont suscité l'ouverture du débat sur le fonctionnement du groupe de pelotons de sécurité (GPS), M. Claude Goasguen s'est inquiété des conséquences institutionnelles de l'attitude du Gouvernement qui refuse d'assumer sa responsabilité politique et laisse au juge la responsabilité d'apprécier les conséquences des dysfonctionnements de services de l'Etat. Il a souhaité qu'un consensus puisse se dégager sur l'objet de la future commission d'enquête, soulignant qu'il portait, à l'évidence, sur un problème institutionnel, puisqu'il s'agit de l'organisation des forces de sécurité en Corse. Toutefois, il a jugé inadéquat, incongru et polémique la limitation du champ des investigations à la seule Xe législature, dans la mesure où l'année 1993 ne saurait constituer une césure significative. Considérant qu'une référence élargie à la IXe législature pourrait à la rigueur avoir un sens, puisque M. Bernard Bonnet fut préfet en Corse de 1991 à 1992, il a estimé que les travaux de la commission perdraient tout intérêt s'ils se limitaient au passé immédiat, le buttoir de l'année 1993 ne permettant pas d'analyser le présent et d'éclairer l'avenir par la compréhension de problèmes bien plus anciens. Il a donc proposé de supprimer dans le texte du rapporteur la référence à la Xe législature, estimant qu'elle nuirait à la clarté du débat sur les difficultés spécifiques à la Corse et introduirait une intention de polémique, alors que la gravité des faits en cause rend particulièrement souhaitable un vote unanime sur la proposition de résolution. En outre, il a souhaité que ne soit pas créé un précédent regrettable, aucune commission ne s'étant jusqu'à présent fixé un cadre aussi rigide a priori.

Partageant l'analyse du rapporteur, M. Christian Paul s'est déclaré favorable à l'élargissement du champ d'investigation de la commission d'enquête au fonctionnement de l'ensemble des forces de sécurité en Corse et non pas du seul GPS. Il a rappelé que le rapport de la commission d'enquête présidée par M. Jean Glavany, déposé en septembre 1998, avait été adopté à l'unanimité de ses membres et souligné que la création du GPS, évoquée au cours de ses travaux, n'avait alors soulevé aucune objection, car elle était apparue comme un nécessaire renforcement des moyens de la gendarmerie. Il a jugé tout à fait pertinent que la commission d'enquête se penche plus particulièrement sur les années 1993-1999, puisque cette période a été marquée par un certain nombre d'événements ayant démobilisé les forces de sécurité ; il a notamment évoqué l'épisode de Tralonca, indiquant qu'il s'inscrivait dans le cadre de tractations entre le ministère de l'intérieur et le FLNC en vue d'une trêve des attentats.

A titre préliminaire, M. Robert Pandraud a estimé qu'il convenait de dédramatiser certains événements intervenus en Corse depuis la précédente législature, rappelant que l'incendie de la paillote ne constituait finalement que l'exécution, dans des conditions certes discutables, d'une décision de justice et que le rassemblement de Tralonca n'avait pas entraîné mort d'homme. Il s'est en revanche ému du fait que de nombreux agissements criminels, voire d'assassinats, demeurent impunis en Corse en raison des carences des enquêteurs et de l'appareil judiciaire. Pour cette raison, il a jugé qu'il n'était pas pertinent de limiter le champ d'investigation de la commission d'enquête aux faits intervenus depuis le début de la Xe législature. Pour illustrer son propos, il a cité plusieurs dates intéressant le fonctionnement des services de police et de la justice, comme l'institution d'un préfet délégué à la sécurité en 1983 et la création, à Paris, d'une juridiction spéciale chargée de réprimer les actes de terrorisme. Il a également rappelé les problèmes posés par l'intégration des rapatriés d'Afrique du Nord et l'importance du drame d'Aléria. Il a, par ailleurs, regretté la suppression du privilège de juridiction pour les affaires de droit commun impliquant les autorités publiques, considérant que l'audition d'un préfet par un juge d'instruction pouvant être soumis à des pressions locales n'était pas satisfaisante. Dans le même temps, il a estimé qu'il n'était pas pertinent de limiter l'enquête de la commission aux seules forces de gendarmerie dans la mesure où les dysfonctionnements constatés en Corse s'expliquent à la fois par les relations difficiles existant entre l'administration et la justice, entre la police et la gendarmerie ainsi qu'entre la préfecture et les autorités centrales. Revenant sur les affaires de terrorisme, il a estimé aberrant que les affaires insulaires soient jugées au même titre que les affaires de terrorisme international par la section antiterroriste de la Cour d'appel de Paris. Pour ces raisons, il a approuvé l'extension du champ d'investigation de la commission d'enquête, tout en regrettant sa limitation arbitraire dans le temps.

Après avoir rappelé que tous les gouvernements avaient été confrontés au problème du maintien de l'ordre en Corse, M. Christophe Caresche a estimé que la création du groupe de pelotons de sécurité s'inscrivait dans la continuité des politiques précédentes qui, pour des raisons opérationnelles, privilégiaient l'envoi de forces d'intervention d'élite, comme le RAID. Pour ces raisons, il a considéré que la date du début de la Xe législature était tout à fait pertinente l'analyse des événements intervenus en Corse.

Intervenant au titre de l'article 38 du Règlement, M. Pierre Lellouche a tout d'abord considéré que l'existence d'une enquête judiciaire sur les membres du GPS n'interdisait pas de créer une commission d'enquête parlementaire portant sur les origines de la création de ce service de gendarmerie. Il a, en outre, jugé que la référence à la durée d'existence relativement brève du GPS ne constituait pas un bon argument pour s'opposer à la constitution d'une telle commission, compte tenu de la gravité des faits commis et de la participation active de ce service à une véritable guerre des polices. Evoquant les événements de Tralonca, il a estimé que, si ceux-ci constituaient un dysfonctionnement sérieux, ils n'avaient pas cependant la gravité d'actes criminels commis par des officiers de gendarmerie sous les ordres d'un préfet de la République. Dénonçant un coup politique à travers la volonté manifestée par la majorité de faire remonter les travaux de la commission d'enquête à 1993, il a considéré qu'il serait plus intéressant de s'interroger sur les conséquences de l'amnistie accordée aux nationalistes en 1981 et en 1988 ou sur la suppression des juridictions d'exception en 1983.

M. André Gerin a estimé que les événements intervenus en Corse soulevaient la question de l'exemplarité des élus et des fonctionnaires d'autorité et alimentaient la crise de défiance existant entre les citoyens et la République. Jugeant que la singularité de la Corse ne justifiait pas sa stigmatisation, il a, par ailleurs, considéré que la guerre des polices régnant sur l'île portait atteinte à la lisibilité de l'organisation de l'Etat dans le contexte de la décentralisation et de l'émergence du fait régional. Il a enfin jugé nécessaire que l'ensemble des institutions de la Ve République soient remises à plat afin de restaurer la légitimité politique face au poids de la technostructure, grâce notamment à une revalorisation du rôle de l'Assemblée nationale.

Mme Nicole Catala a estimé que la période et le champ d'investigation de la commission d'enquête dont la création est proposée par MM. Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy et José Rossi, étaient pleinement satisfaisants. Jugeant que l'élargissement de la compétence de la commission à l'ensemble des forces de sécurité agissant en Corse était de nature à semer le soupçon sur ces services, elle a indiqué que le fait que des officiers supérieurs aient reconnu avoir exécuté des ordres illégaux suffisait à justifier la création d'une commission d'enquête limitée à ces seuls agissements.

En réponse à cette intervention, M. Gérard Gouzes, président, a rappelé les dispositions du troisième alinéa de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 interdisant la constitution de commissions d'enquête sur des faits donnant lieu à une enquête ou à une procédure judiciaire.

M. Alain Tourret a considéré qu'il serait néfaste de limiter les investigations de la commission d'enquête au seul GPS, remarquant qu'un tel choix serait de nature à troubler davantage le corps de la gendarmerie déjà durement éprouvé. Soulignant la complexité de l'histoire corse et évoquant à cet égard le débarquement, en avril 1958, en dehors de toute légalité, des forces armées soutenant le Général de Gaulle, puis l'arrivée massive des rapatriés d'Afrique du Nord et le drame plus récent d'Aléria, il a jugé qu'il était opportunde faire partir la date du champ d'investigation de la commission d'enquête à compter du début de la Xe législature, à défaut de remonter aux origines de la Ve République.

M. Jean-Antoine Léonetti s'est déclaré déçu et consterné par la tactique adoptée par la majorité et le Gouvernement. Il a déploré que l'on élargisse ainsi le cadre de la commission d'enquête et que la date de référence choisie par la majorité soit dictée par d'évidentes arrière-pensées. Il a considéré que les arguments du rapporteur étaient emprunts de contradiction dans la mesure où ils ne distinguaient pas clairement les responsabilités pénale et politique. Jugeant que si, dans l'affaire considérée, seule une responsabilité pénale pouvait être invoquée, comme l'affirme le Gouvernement, la création d'une commission d'enquête était inutile, il a estimé que, si la responsabilité politique du Gouvernement pouvait, en revanche, être mise en cause, la rédaction proposée par le rapporteur apparaissait alors comme une man_uvre de la majorité. Il a également tenu à rappeler que le GPS ne pouvait être assimilé à l'ensemble de la gendarmerie et a considéré qu'élargir le champ de la commission d'enquête au-delà de ce seul groupement était une manière de travestir la réalité des faits.

M. Jacques Floch a tout d'abord constaté que l'opposition n'avait que peu défendu la proposition de résolution initiale sur le fond. Puis, il a rappelé qu'au-delà des événements récents, le GPS avait connu des résultats positifs en Corse et que des enquêtes nombreuses et significatives avaient été menées avec succès. Il a estimé que le rapporteur avait clairement affirmé son intention d'examiner toutes les responsabilités en la matière mais qu'il appartiendrait évidemment à la commission d'enquête de faire la lumière sur ces responsabilités qu'on ne peut préjuger. Il a souhaité qu'on ne limite pas l'action du seul GPS, mais que l'on s'intéresse à l'ensemble des forces de sécurité en Corse, afin de déterminer précisément les raisons qui ont conduit aux incidents récents. Il a ajouté qu'on ne pourrait pas faire fi de l'histoire et que, par la force des choses, la commission d'enquête serait amenée, ne serait-ce qu'indirectement, à évoquer des faits antérieurs à 1993. Jugeant les arguments du rapporteur en tous points convaincants, il a souhaité que sa proposition soit adoptée.

Considérant que les responsables politiques ne pouvaient être que troublés par les récents événements en Corse, M. Gérard Gouzes a indiqué que la constitution d'une commission d'enquête s'avérait nécessaire. Il a noté cependant qu'elle ne pouvait porter sur une période trop courte et que, tant la proposition de M. Jean-Louis Debré, qui ne s'intéresse qu'au seul GPS, que celle que M. François d'Aubert, en ce qu'elle porte sur le dysfonctionnement des services du Premier ministre sur le traitement du dossier corse, tombaient dans ce travers. Il a également considéré que l'on ne pouvait revenir trop loin en arrière dans le cadre de cette commission, l'opposition adoptant à ce sujet des attitudes contradictoires puisque, d'un côté, elle propose des résolutions ayant un champ très limité et, de l'autre, elle en appelle à un traitement historique de la question de la sécurité en Corse. Exprimant son accord avec la démarche du rapporteur, il a conclu en insistant sur le fait que la commission d'enquête ne pouvait empiéter sur l'action de la justice comme en dispose l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  Après avoir jugé que la Corse se trouvait actuellement à un tournant de son histoire, il a justifié le champ d'investigation temporel proposé dans sa rédaction, reconnaissant que les dysfonctionnements étaient évidents depuis de nombreuses années mais qu'organiser les travaux de la commission d'enquête sans date de référence poserait de redoutables problèmes de méthode, compte tenu des délais impartis aux commissions d'enquête pour mener à bien leurs travaux. Il a toutefois admis qu'il eut été envisageable de faire remonter les investigations à 1983, date de la mise en place d'un préfet délégué à la sécurité en Corse, mais a cependant fait valoir que les compétences et les responsabilités de ce dernier avaient été précisément fixées par une circulaire interministérielle d'octobre 1994.

-  Rappelant que la commission des Lois du Sénat avait adopté une proposition de résolution prévoyant d'enquêter sur la politique de sécurité menée en Corse sans indiquer de période de référence, il a jugé préférable de fixer ex ante le cadre temporel des travaux de la commission d'enquête éventuellement créée, plutôt que de laisser cette dernière le définir arbitrairement.

-  Soulignant que les attaques de l'opposition se focalisaient sur une prétendue défaillance du Premier ministre, il a considéré qu'il n'était pas illégitime de chercher à comprendre comment celle-ci avait elle-même géré la politique de sécurité menée en Corse sous la précédente législature.

-  S'agissant de la rédaction initiale de la proposition de résolution, il a fait valoir que s'en tenir au GPS conduirait à mettre l'accent sur un seul service chargé de la sécurité, aux risques d'accroître les tensions entre les forces intervenant en Corse et, partant, de relancer la « guerre des polices ».

La Commission a rejeté un amendement de M. Claude Goasguen à la proposition de rédaction présentée par le rapporteur supprimant la référence à la Xe législature.

Elle a ensuite adopté la proposition de résolution dans la rédaction proposée par le rapporteur.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter la proposition de résolution dans la rédaction proposée par le rapporteur et dont le texte suit.

CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à créer une commission d'enquête sur
le fonctionnement des forces de sécurité en Corse

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, il est créé une commission d'enquête de trente membres afin de faire le point, depuis le début de la Xe législature, sur l'organisation des forces de sécurité dépendant de l'Etat opérant en Corse, sur leurs conditions de fonctionnement et sur les modalités de coordination des interventions des différents services compétents.

AMENDEMENT NON ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Article unique

Amendement présenté par M. Claude Goasguen :

Dans la proposition de rédaction présentée par le Rapporteur, supprimer les mots : « , depuis le début de la Xe législature, ».

_______________

N° 1604.- Rapport de M. Raymond Forni (au nom de la commission des lois) sur la proposition de résolution (n° 1577) de MM. Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy et José Rossi tendant à la création d'une commission d'enquête sur le GPS (Groupe de pelotons de sécurité).

1 () Corse : l'indispensable sursaut, Rapport AN n° 1077, 3 septembre 1998.