Document mis

en distribution

le 10 décembre 1999

graphique

N° 2010

--

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 décembre 1999.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1883) DE M. GEORGES SARRE ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de déterminer les circonstances qui ont permis à Maurice Papon de ne pas être mis sous contrôle judiciaire et de se soustraire à l'obligation de se constituer prisonnier,

PAR M. RAYMOND FORNI,

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Justice.

La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gérin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Jean-Yves Caullet, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Franck Dhersin, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Renaud Dutreil, Jean Espilondo, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Roger Franzoni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, José Rossi, Jean-Pierre Soisson, Frantz Taittinger, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann.

MESDAMES, MESSIEURS,

Au terme d'une procédure qui a duré près de vingt ans, Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde, a été condamné le 2 avril 1998 à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l'humanité en raison de son rôle dans la déportation de juifs entre 1942 et 1944.

Resté libre jusqu'à l'examen de son pourvoi par la Cour de cassation, il ne s'est pas constitué prisonnier la veille de cet examen, comme l'exige pourtant l'article 583 du code de procédure pénale. Déchu de son pourvoi, il a été arrêté par la police suisse à Gstaad, moins de vingt-quatre heures après avoir fait l'objet d'un mandat d'arrêt international, et incarcéré au centre pénitentiaire de Fresnes.

Malgré sa brièveté, la fuite de Maurice Papon a profondément ému l'opinion publique, qui s'est à juste titre interrogée sur les conditions dans lesquelles le condamné le plus célèbre de France avait pu ainsi sembler échapper à la justice de son pays.

Le jour même où la Cour de cassation a déchu l'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde de son pourvoi, mais avant son arrestation, M. Georges Sarre et plusieurs ses collègues déposaient une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de déterminer les circonstances qui ont permis à Maurice Papon de ne pas être mis sous contrôle judiciaire et de se soustraire à l'obligation de se constituer prisonnier.

Comme toutes les propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, l'initiative de M. Sarre doit être examinée sous le double point de vue de sa recevabilité et de son opportunité.

La recevabilité de la proposition n'est pas à l'abri de toute critique.

En effet, si, comme le demande l'article 141 du Règlement de notre Assemblée, celle-ci détermine avec précision les faits donnant lieu à enquête, l'exigence d'absence de poursuites judiciaires, posée par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, n'est que partiellement satisfaite. Dans une lettre du 6 décembre dernier adressée au Président de l'Assemblée Nationale, la Garde des Sceaux a fait savoir « qu'une procédure judiciaire est précisément suivie au parquet du tribunal de grande instance de Bordeaux pour déterminer notamment si, lors de la fuite, le condamné Maurice Papon a pu bénéficier de complicités susceptibles de constituer le délit de recel de malfaiteurs prévu et réprimé par l'article 434-6 du code pénal »..

Si la référence aux circonstances ayant permis à Maurice Papon de ne pas être mis sous contrôle judiciaire ne pose donc pas de problème de recevabilité, il n'en est pas de même pour celle relative aux conditions dans lesquelles l'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde s'est soustrait à l'obligation de se constituer prisonnier, même si le champ d'investigation ainsi déterminé est assez vaste et peut concerner d'autres faits que ceux visés par la procédure judiciaire.

L'opportunité de la proposition de résolution est également sujette à caution.

La fuite de Maurice Papon relève en effet davantage des lacunes de notre code de procédure pénale que des erreurs commises par des magistrats ou des insuffisances du dispositif policier.

Après avoir été placé sous contrôle judiciaire pendant les trois mois précédant son procès, Maurice Papon s'est constitué prisonnier la veille de celui-ci, le 7 octobre 1997, conformément à l'article 2151 du code de procédure pénale, qui dispose que « l'accusé qui se trouve en liberté doit de constituer prisonnier au plus tard la veille de l'audience de la cour d'assises ».

Trois jours après le début du procès, les avocats de Maurice Papon ont obtenu des trois magistrats de la cour d'assises que leur client soit remis en liberté. Les juges ont motivé leur décision en invoquant « le grand âge » de l'accusé, la « grave altération de son état de santé », « l'importance de la durée prévisible du procès » et la relativité, selon eux, du « trouble à l'ordre public » causé par une remise en liberté, ajoutant qu'il n'existait « aucune considération qui incline à privilégier l'hypothèse de la fuite de l'accusé, lequel s'est à ce jour spontanément maintenu à la disposition de la justice ».

Cette décision, en partie justifiée par la nécessité d'assurer la présence aux audiences de l'accusé, dont l'état de santé n'aurait peut-être pas supporté, pendant les six mois qu'a duré le procès, les trajets incessants de la prison au tribunal, a eu de lourdes conséquences sur la suite de la procédure.

En effet, contrairement au tribunal correctionnel, une cour d'assises, lorsqu'elle prononce une peine privative de liberté, ne peut pas assortir sa décision d'un mandat de dépôt ou d'arrêt contre l'accusé. L'article 465 du code de procédure pénale, qui autorise un tribunal correctionnel, lorsque ce dernier prononce une peine d'emprisonnement d'au moins un an, à décerner, par une décision spéciale et motivée, un mandat de dépôt ou un mandat d'arrêt contre le prévenu, n'est applicable que devant les juridictions correctionnelles (Cass. Crim. 3 janvier 1991).

Cette spécificité de la procédure criminelle trouve son origine dans l'obligation faite à l'accusé de se constituer prisonnier la veille de l'audience, obligation qui n'existe pas en matière correctionnelle : l'accusé ne pouvant comparaître que détenu devant la cour d'assises, le code de procédure pénale n'a pas prévu la possibilité de le faire incarcérer après sa condamnation, puisqu'il l'est par définition déjà et reste normalement en détention provisoire jusqu'à ce que ce que son éventuel pourvoi soit rejeté et que sa condamnation soit devenue définitive ; en revanche, un prévenu pouvant comparaître libre devant le tribunal correctionnel, il est normal que ce dernier puisse le placer en détention lorsqu'il prononce une peine d'emprisonnement.

Le code de procédure pénale n'a donc pas prévu le cas, il est vrai assez rare, où l'accusé est remis en liberté au cours du procès. A partir du moment où les magistrats de la Cour d'assises de la Gironde avaient mis fin à la détention de Maurice Papon, il était juridiquement impossible de le faire incarcérer jusqu'à ce que sa condamnation soit devenue définitive, c'est à dire jusqu'au rejet de son pourvoi par la Cour de cassation.

Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de résolution, les avocats de l'association des fils et des filles des déportés juifs de France ont essayé à plusieurs reprises après le procès d'obtenir le placement sous contrôle judiciaire de Maurice Papon ; la cour d'assises de la Gironde puis la chambre d'accusation de Bordeaux se sont déclarées successivement incompétentes. Répondant à une question de M. Georges Sarre, la Garde des Sceaux a indiqué le 20 octobre dernier lors de son audition devant la commission des Lois de notre Assemblée que la Chancellerie avait procédé « à une étude juridique sur cette question », mais que « le contrôle judiciaire [n'était] pas envisageable, car il constitue un substitut à la détention provisoire » et que « dès lors qu'il y a une mise en liberté, il n'y a donc plus ni détention provisoire, ni contrôle judiciaire possibles ».

Une fois sa remise en liberté décidée, les magistrats ne disposaient pas des moyens juridiques pour empêcher la fuite de Maurice Papon. Ils ont en revanche rejeté la demande de ses avocats tendant à obtenir une dispense de mise en état la veille de son pourvoi en cassation. Rappelons que l'article 583 du code de procédure pénale oblige les auteurs d'un pourvoi condamnés à une peine privative de liberté supérieure à un an et qui n'ont pas obtenu de dispense de la juridiction qui les a condamnés à se constituer prisonnier la veille de l'examen de leur pourvoi, sous peine d'en être déchus. Les dispositions de cet article, mises en cause dans le recours des avocats de Maurice Papon devant la Cour européenne des droits de l'homme, a déjà valu à la France deux condamnations par cette juridiction.

Maurice Papon étant juridiquement libre, le dispositif policier mis en place après sa condamnation était officiellement destiné à le protéger, pour éviter le geste d'un déséquilibré comme dans l'affaire Bousquet, et non à le surveiller. Après six mois de protection par les renseignements généraux et la sécurité publique, le dispositif a été allégé en octobre 1998 sur ordre de la direction générale de la police nationale. Les déplacements de Maurice Papon n'ont à partir de ce moment plus fait l'objet d'aucune surveillance, la sécurité publique maintenant seulement une garde statique devant son domicile. Même si on peut s'interroger sur les raisons qui ont conduit la direction de la police nationale à alléger les mesures de protection dont bénéficiait Maurice Papon, il n'en demeure pas moins que les circonstances qui ont permis à ce dernier de se soustraire à l'obligation de se constituer prisonnier la veille de l'examen de son pourvoi, pour reprendre les termes de la proposition de résolution, sont principalement à rechercher dans les lacunes de notre droit.

Or, il semble que ces lacunes sont sur le point d'être comblées. Lors de l'examen, au mois de juin dernier, du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence, les sénateurs ont adopté deux articles additionnels qui, d'une part, donnent la possibilité à une cour d'assises prononçant une peine d'enfermement sans sursis de décerner à l'encontre d'un accusé comparaissant libre un mandat de dépôt et, d'autre part, suppriment l'obligation de se constituer prisonnier la veille de l'audience.

La Garde des Sceaux s'est également engagée à faire adopter lors de l'examen de ce texte une disposition permettant aux juridictions criminelles de décerner à l'audience un mandat de dépôt contre un accusé. Elle a par ailleurs indiqué qu'elle souhaitait également réformer l'obligation de se constituer prisonnier la veille de l'examen d'un pourvoi en cassation.

Dans ces conditions, la constitution d'une commission d'enquête n'apparaît pas justifiée. Votre rapporteur ne peut donc que vous inviter à rejeter la proposition de résolution qui vous est soumise.

*

* *

Conformément aux conclusions du rapporteur, la Commission a rejeté la proposition de résolution.