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le 14 mai 2001

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N° 3046

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 mai 2001

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA PRODUCTION ET DES ÉCHANGES (1) SUR LES PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION :

1. (n° 2982) de MM. JEAN-LOUIS DEBRÉ , JEAN-FRANÇOIS MATTEI et PHILIPPE DOUSTE-BLAZY tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes notamment climatiques, environnementales et urbanistiques des inondations exceptionnelles afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts et de prévenir les crues à répétition ;

2. (n° 3031) de M. JACQUES FLEURY tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives et sur les moyens propres à faire face aux aléas climatiques,

PAR M. ÉRIC DOLIGÉ

Député.

--

(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Sécurité publique.

La Commission de la production et des échanges est composée de : M. André Lajoinie, président ; M. Jean-Paul Charié, M. Jean-Pierre Defontaine, M. Pierre Ducout, M. Jean Proriol, vice-présidents ; M. Christian Jacob, M. Pierre Micaux, M. Daniel Paul, M. Patrick Rimbert, secrétaires ; M. Jean-Pierre Abelin, M. Yvon Abiven, M. Jean-Claude Abrioux, M. Stéphane Alaize, M. Damien Alary, M. André Angot, M. François Asensi, M. Jean-Marie Aubron, M. Pierre Aubry, M. Jean Auclair, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, M. Jean-Pierre Balduyck, M. Jacques Bascou, Mme Sylvia Bassot, M. Christian Bataille, M. Léon Bertrand, M. Jean Besson, M. Gilbert Biessy, M. Claude Billard, M. Claude Birraux, M. Jean-Marie Bockel, M. Jean-Claude Bois, M. Daniel Boisserie, M. Maxime Bono, M. Franck Borotra, M. Christian Bourquin, M. Patrick Braouezec, M. François Brottes, M. Vincent Burroni, M. Alain Cacheux, M. Dominique Caillaud, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Jean Charroppin, M. Jean-Claude Chazal, M. Daniel Chevallier, M. Yves Cochet, M. Gilles Cocquempot, M. Pierre Cohen, M. Alain Cousin, M. Yves Coussain, M. Jean-Michel Couve, M. Jean-Claude Daniel, M. Marc-Philippe Daubresse, M. Philippe Decaudin, Mme Monique Denise, M. Léonce Deprez, M. Jacques Desallangre, M. Éric Doligé, M. François Dosé, M. Marc Dumoulin, M. Dominique Dupilet, M. Philippe Duron, M. Jean-Claude Étienne, M. Alain Fabre-Pujol, M. Albert Facon, M. Alain Ferry, M. Jean-Jacques Filleul, M. Jacques Fleury, M. Nicolas Forissier, M. Jean-Louis Fousseret, M. Claude Gaillard, M. Robert Galley, M. Claude Gatignol, M. André Godin, M. Alain Gouriou, M. Hubert Grimault, M. Michel Grégoire, M. Lucien Guichon, M. Gérard Hamel, M. Patrick Herr, M. Francis Hillmeyer, M. Claude Hoarau, M. Robert Honde, M. Claude Jacquot, Mme Janine Jambu, M. Aimé Kergueris, M. Jean Launay, Mme Jacqueline Lazard, M. Thierry Lazaro, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Jacques Le Nay, M. Patrick Lemasle, M. Jean-Claude Lemoine, M. Jean-Claude Lenoir, M. Arnaud Lepercq, M. René Leroux, M. Jean-Claude Leroy, M. Roger Lestas, M. Félix Leyzour, M. Guy Malandain, M. Daniel Marcovitch, M. Didier Marie, M. Alain Marleix, M. Daniel Marsin, M. Philippe Martin, M. Jacques Masdeu-Arus, M. Marius Masse, M. Roland Metzinger, M. Roger Meï, M. Yvon Montané, M. Gabriel Montcharmont, M. Jean-Marie Morisset, M. Bernard Nayral, M. Jean-Marc Nudant, M. Jean-Paul Nunzi, M. Patrick Ollier, M. Joseph Parrenin, M. Paul Patriarche, M. Germinal Peiro, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, M. François Perrot, Mme Annette Peulvast-Bergeal, M. Serge Poignant, M. Bernard Pons, M. Jean Pontier, M. Jacques Pélissard, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Jean-Luc Reitzer, M. Gérard Revol, Mme Marie-Line Reynaud, M. Jean Rigaud, M. Jean Roatta, M. Jean-Claude Robert, M. Joël Sarlot, Mme Odile Saugues, M. François Sauvadet, M. Jean-Claude Thomas, M. Léon Vachet, M. Daniel Vachez, M. François Vannson, M. Michel Vergnier, M. Gérard Voisin, M. Roland Vuillaume.

INTRODUCTION 5

EXAMEN EN COMMISSION 17

TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION 25

TABLEAU COMPARATIF 27

Mesdames, Messieurs,

Nos concitoyens de la vallée de la Somme sont aujourd'hui dans la plus grande détresse, après que leur bassin a été victime d'inondations spectaculaires et dévastatrices. Le bilan des crues exceptionnelles ne fait d'ailleurs que s'alourdir, puisque les populations des rives du Cher sont désormais également touchées, après celles de la Vilaine. On ne peut que rendre hommage à la volonté et au courage dont les sinistrés ont su témoigner pour surmonter cette épreuve, qui n'est pour l'instant malheureusement pas terminée, puisque les montées des nappes phréatiques ne devraient se résorber que d'ici deux à trois mois dans la vallée de la Somme.

Au premier mouvement de stupeur et de désarroi de la population, a succédé un sentiment légitime d'injustice et de « ras-le-bol ». La fréquence croissante d'inondations de grande ampleur, les lourdeurs et parfois l'inefficacité de l'action publique pour en limiter les dégâts, et surtout les carences manifestes des politiques de prévention excèdent et indignent, à juste raison, à la fois les victimes de ces risques et l'ensemble de la population française.

Pourtant, certaines expériences innovantes ont pu être menées et ont prouvé leur pertinence. Cela a notamment été le cas dans le bassin de la Loire, où M. Jacques Chirac, Président de la République, a récemment constaté que la constitution d'une équipe pluridisciplinaire et une large concertation entre l'État, les collectivités territoriales et l'établissement public territorial de bassin, permettaient de mettre en _uvre une politique ambitieuse de prévention, de protection et de prévision. Mais ce type d'actions, s'il a prouvé son efficacité, reste subordonné à l'émergence d'une volonté politique locale s'inscrivant dans la durée. Le problème de la prévention et de la gestion des inondations exceptionnelles demeure entier et mérite d'être traité avec la plus grande attention.

La représentation nationale ne pouvait demeurer passive face au drame humain, économique et environnemental qui résulte de cette triste actualité, en particulier à la veille de l'examen d'un important projet de loi sur l'eau. L'Assemblée nationale, qui a su dans le passé montrer son intérêt pour ce thème et la protection des populations, est aujourd'hui amenée à examiner à nouveau ce problème et les répercussions considérables qu'ont pu avoir les inondations récentes.

C'est pourquoi il nous revient aujourd'hui d'examiner deux propositions de résolution visant à la création de commissions d'enquête portant sur des sujets voisins :

- la première (n° 2982, déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 17 avril 2001), présentée par MM. Jean-Louis Debré, Jean-François Mattei et Philippe Douste-Blazy, propose la création d'une commission d'enquête « sur les causes notamment climatiques, environnementales et urbanistiques des inondations exceptionnelles afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts et de prévenir les crues à répétition » ;

- la seconde (n° 3031, déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 27 avril 2001), présentée par M. Jacques Fleury, propose la création d'une commission d'enquête « sur les causes des inondations répétitives et sur les moyens propres à faire face aux aléas climatiques ».

L'application conjointe de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale conduit à examiner la recevabilité de ces propositions de résolution avant de se prononcer sur leur opportunité.

La recevabilité des propositions de résolution peut être admise, Mme Marylise Lebranchu, Garde des Sceaux, ministre de la justice, ayant confirmé qu'aucune poursuite judiciaire n'est en cours sur les faits ayant motivé le dépôt des deux propositions.

Quant à l'opportunité de créer une commission d'enquête, elle ne fait pas de doute, comme en témoignent à la fois le caractère répétitif d'inondations de grande ampleur, les difficultés rencontrées dans la gestion de ces crises et l'inadaptation du dispositif législatif et réglementaire destiné à les prévenir.

1. La nécessité de tirer les leçons du caractère répétitif d'inondations de grande ampleur

L'apparition d'inondations spectaculaires n'est pas un phénomène nouveau : les épisodes de 1846, 1856 et 1866 pour la Loire, de 1910 pour la Seine, ou encore de 1875 pour la Garonne ont eu de graves conséquences pour des zones urbaines qui s'étaient étendues, lors de la révolution industrielle, à proximité des équipements fluviaux. La crue du Tarn à Montauban en 1930 a été la plus dommageable du siècle dernier, en ayant pour conséquences 200 morts, 10 000 sinistrés, 3 000 maisons détruites et 11 grands ponts emportés. Les eaux étaient montées de 17 mètres en 24 heures.

S'agissant de la période récente, selon le ministère de l'environnement, pour 160 000 km de cours d'eau, une surface de 22 000 km² est reconnue particulièrement inondable et est répartie sur 7 600 communes. Cela concerne 5 à 7 % du territoire français et la population potentiellement touchée s'élève à environ 10 % de la population française. Les inondations catastrophiques ont été nombreuses lors des dernières années :

- en juillet 1987, au Grand-Bornand en Haute-Savoie (23 morts) ;

- en octobre 1988, à Nîmes (10 morts) ;

- en septembre 1992, à Vaison-la-Romaine (41 morts) ;

- durant l'automne et l'hiver 1993-1994, dans l'Oise, l'Aisne, la vallée du Rhône et la Camargue (26 morts) ;

- durant l'hiver 1995, où 2 900 communes ont été déclarées en état de catastrophe naturelle (9 morts) ;

- en novembre 1999, dans l'Aude, le Tarn et les Pyrénées-Orientales (29 morts, 360 communes sinistrées, 2,6 milliards de francs de dommages) ;

- en décembre 2000, dans le Nord, le Pas-de-Calais, la Haute-Saône, la Manche, le Finistère, les Alpes-de-Haute-Provence, l'Ille-et-Vilaine ;

- en avril 2001, dans la vallée de la Somme. Selon le bilan de la préfecture de la Somme, on comptait, le 29 avril 2001, 1 155 personnes évacuées, dont 85 % provenaient d'Abbeville et de deux villages situés en amont, Fontaine-sur-Somme et Mareuil-Caubert. L'état de catastrophe naturelle a été déclaré dans 108 communes.

Les épisodes cités ci-dessus ont eu pour point commun de provoquer des dégâts humains et matériels considérables. Pour autant, ils ne correspondent pas tous au même type de phénomène. Il convient en effet de distinguer les inondations :

- par débordement direct, lorsque le cours d'eau sort de son lit mineur pour occuper son lit majeur ;

- par débordement indirect, quand les eaux remontent par les nappes alluviales, les réseaux d'assainissement ou d'eaux pluviales ;

- par stagnation d'eaux pluviales, en raison d'une capacité insuffisante d'infiltration, d'évacuation des sols ou du réseau d'eaux pluviales, en cas de pluviométrie exceptionnelle ;

- par ruissellement en secteur urbain, lorsque des orages intenses occasionnent un fort ruissellement (faible infiltration en raison des aires goudronnées), qui sature les capacités du réseau d'évacuation des eaux pluviales et conduit à des inondations aux points les plus bas, comme ce fut le cas à Nîmes en 1988 ;

- par crues torrentielles, notamment dans les zones montagneuses, mais également lorsque des rivières sont alimentées par des pluies de grande intensité (comme à Vaison-la-Romaine) ;

- par submersion de zones littorales ou lacustres, en cas de facteurs anormaux tels que des fortes marées ou des marées de tempête ;

- par dépressions tropicales et cyclones, accompagnés de fortes précipitations et conduisant à des crues soudaines et violentes ;

- enfin, par destruction d'ouvrages comme des digues, des barrages ou des levées.

Le caractère répétitif d'inondations d'ampleur exceptionnelle conduit naturellement à s'interroger sur la cause de ces phénomènes. Sur ce point, de nombreuses études ont été menées et tendent à mettre en évidence plusieurs facteurs, le premier d'entre eux étant l'intervention humaine, comme le notait déjà M. Thierry Mariani, rapporteur de la commission d'enquête créée en 1994 sur les inondations, dans son rapport intitulé « Inondations : une réflexion pour demain ». Les conclusions en la matière restent cependant nuancées et il serait opportun qu'une commission d'enquête dresse un état des connaissances sur le sujet, afin que soient identifiées, aussi clairement que possible, les causes de ces phénomènes. C'est en effet une condition préalable indispensable pour étudier, de manière approfondie, la pertinence du dispositif de gestion et de prévention des inondations.

Pour certains auteurs, le remembrement pourrait ainsi être un facteur causal des inondations se produisant sur de vastes bassins versants. Ainsi que le souligne M. Jean-Antoine Faby, membre de l'Office international de l'eau, cette pratique entraînant une augmentation de la taille des parcelles, pourrait être à l'origine de la suppression d'aménagements ayant une fonction hydraulique comme les fossés ou les mares, de la suppression de ruptures de pentes permettant de freiner l'écoulement des eaux et de favoriser les dépôts de sédiments, ou encore de l'augmentation de la vitesse de ruissellement en raison de l'extension des surfaces labourées au détriment des pâturages qui permettent de retenir l'eau.

Le drainage pourrait également être un facteur causal ou aggravant des inondations. Ses effets néfastes peuvent notamment se vérifier dans certaines zones humides où le ruissellement est particulièrement rapide. Toutefois, il peut parfois permettre un écoulement de l'eau en profondeur et donc réduire la vitesse d'écoulement en surface ; tout semble donc dépendre des conditions locales.

Il convient également de noter le rôle qu'ont pu jouer certains travaux de recalibrage ou d'endiguement de rivières, qui ont eu pour conséquence d'augmenter la vitesse de transit des ondes de crue et donc d'aggraver les risques d'inondation à l'aval. Parallèlement, en cas de mauvais entretien des rivières, le risque d'inondation peut être accru, le cours d'eau n'étant pas rétabli dans sa largeur et sa profondeur naturelles, ce qui tend à élever la ligne d'eau des grands cours ; en outre, l'absence de travaux d'entretien peut provoquer l'entraînement de matériaux solides lors des crues et aggraver les dégâts occasionnés.

Parmi les facteurs résultant de l'intervention humaine, il convient enfin de souligner le rôle des déforestations et plus généralement des dévégétalisations, qui ont contribué à accroître la vitesse du ruissellement, ainsi que l'imperméabilisation des sols par l'extension des zones constructibles et donc des surfaces goudronnées.

Au-delà de l'intervention humaine, le facteur climatique doit également être pris en considération parmi les causes des inondations exceptionnelles. Des études récentes menées par le laboratoire de géographie physique de Lyon tendent ainsi à conclure qu'en France, le temps a tendance à devenir plus irrégulier, plus violent et plus contrasté. Pour certains auteurs scientifiques, on pourrait voir, dans les épisodes pluviométriques récents, les premières manifestations du réchauffement climatique lié à l'effet de serre. Sur ce dernier point, les avis restent toutefois très partagés.

Il serait donc particulièrement utile que la commission d'enquête étudie, afin de les identifier le plus précisément possible, les causes des inondations exceptionnelles, qu'elles soient climatiques, environnementales ou urbanistiques. Mais au-delà des causes, elle devrait également se pencher sur les modalités de gestion de ces événements.

2. Une gestion des crises au coup par coup

Certes, les inondations de très grande ampleur restent exceptionnelles, même si elles surviennent selon une fréquence relativement soutenue. Mais ce caractère exceptionnel suffit-il à justifier l'impression d'improvisation qui domine lorsqu'on se penche sur la manière dont les pouvoirs publics gèrent ces crises et la période qui les suit immédiatement ?

Ce qui frappe en premier lieu, c'est la diversité des approches. Ainsi, lors des inondations des départements de l'Aude et du Tarn en novembre 1999, la mise hors de danger des populations a duré deux jours, les 12 et 13 novembre. On constate que dans le Tarn, le plan ORSEC s'est confondu avec la crise et a duré 72 heures, alors que dans l'Aude il s'est étendu bien au-delà, puisqu'il a duré un mois.

Le deuxième point à souligner est la nécessité de gérer la crise dans la durée, au-delà des effets d'annonces et du temps accordé à ces catastrophes par les media. La situation de la vallée de la Somme montre combien ce souci est légitime : selon les dernières estimations, les sinistrés auraient à subir les inondations jusqu'au mois d'août 2001.

Dans ce cadre, le dispositif actuel de gestion des crises est-il adapté ? Rien n'est moins sûr et il semble aujourd'hui indispensable de procéder à son évaluation. Il repose essentiellement sur le plan ORSEC, dont le volet financier est, pour beaucoup, insuffisant, et dont les mécanismes ne sont pas toujours bien connus. Il repose également sur les crédits alloués par l'Etat à l'issue de réunions interministérielles, au coup par coup. Il se fonde enfin sur les actions entreprises par les départements, qui disposent le plus souvent de moyens humains et financiers insuffisants. Quant à l'attribution d'aides communautaires, elle n'a rien de systématique ; c'est d'ailleurs pourquoi M. Jacques Chirac, Président de la République, a pris l'initiative d'intervenir auprès de M. Romano Prodi, président de la Commission européenne, afin d'étudier les modalités d'aides qui permettraient de faire face aux inondations dans la Somme.

Dans l'ensemble, la gestion des crises s'inscrit donc dans des mécanismes dérogatoires, qui ne semblent pas suivre de règles communes, d'où une impression de dispersion et de perte d'efficacité. La définition d'un dispositif harmonisé, précisant les modalités d'attribution des aides d'urgence selon des critères objectifs et transparents, ainsi que le rôle respectif des différents échelons territoriaux en la matière, semble aujourd'hui indispensable.

A cette fin, il serait particulièrement opportun qu'une commission d'enquête dresse un bilan, notamment financier, de la gestion des inondations de grande ampleur, et propose un arsenal juridique adapté, s'inscrivant dans la durée. Il conviendrait également qu'elle procède à l'évaluation, d'une part, de la gestion des crises proprement dites, c'est-à-dire essentiellement la préservation des biens et des personnes, et d'autre part, de la gestion de la « post-crise », qui concerne le redémarrage des activités économiques (entreprises pénalisées soit directement parce que leurs locaux ont été inondés, soit indirectement, en raison du blocage des voies de circulation, activités agricoles rendues impossibles, affaissements sous les habitations...) ou encore la définition des modalités de reconstruction.

3. La question de la pertinence du cadre juridique actuel en matière de prévention

Déjà, en 1994, M. Thierry Mariani soulignait que les inondations ne sont pas entièrement le fruit d'une fatalité et préconisait l'élaboration d'une politique rigoureuse et ambitieuse de lutte contre les inondations, l'objectif étant non pas de les empêcher, ce qui serait illusoire, mais de prévenir et de limiter autant que possible, les dégâts qu'elles occasionnent. Selon ses conclusions, cette politique devait reposer sur quatre piliers : une meilleure évaluation du risque d'inondation, l'amélioration et la modernisation du dispositif d'alerte, une meilleure gestion des zones à risques, et une information préventive des communes et des populations. On pourrait y ajouter aujourd'hui l'intérêt de mieux gérer la crise et la « post-crise ».

Sept ans après ces recommandations, qu'en est-il ?

On constate en premier lieu que pendant longtemps ont coexisté des instruments juridiques disparates destinés à prévenir les risques d'inondations. Il s'agissait :

- des plans de surfaces submersibles, qui visaient à permettre le libre écoulement des crues dans le lit majeur et à conserver la capacité des champs d'inondation ;

- de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, qui permet d'interdire ou de soumettre à des prescriptions spéciales des constructions pouvant être exposées à des risques importants ;

- des périmètres de risques pris en application de l'article R. 111-3 du code de l'urbanisme, dans lesquels des constructions pouvaient être réglementées ou interdites, après délimitation des zones exposées à des risques naturels par le préfet, à l'issue d'une enquête publique ;

- des plans d'exposition aux risques, créés en 1982, et qui délimitaient des zones, en fonction de l'intensité du risque, où étaient élaborées des prescriptions, y compris pour les constructions existantes ;

- des projets d'intérêt général, c'est-à-dire des projets d'ouvrages destinés à la prévention des risques et qui permettent à l'Etat de demander aux communes la mise en compatibilité de leurs documents d'urbanisme avec ces derniers.

L'ensemble de ces outils s'est révélé soit trop lourd à mettre en _uvre, soit inefficace. La loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite loi « Barnier », leur a donc substitué un instrument unique, le plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPR).

Celui-ci a pour objet de délimiter les zones à risques où peuvent être interdit ou soumis à prescriptions « tout type de construction, d'ouvrage, d'aménagement ou d'exploitations agricole, forestière, artisanale, commercial ou industrielle » (article L. 562-1 du code de l'environnement). Il délimite également, en tant que de besoin, les zones qui ne sont pas directement exposées au risque mais où les constructions peuvent aggraver ce dernier ; il lui revient enfin de définir les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde nécessaires. Sa procédure d'élaboration relève de l'initiative du préfet auquel il revient d'arrêter le plan, après avis des communes concernées.

Déjà lors de l'examen du projet de loi relatif au renforcement de la protection de l'environnement, en 1994, des inquiétudes étaient apparues quant à la portée effective qu'auraient les PPR. S'adressant à M. Michel Barnier, ministre de l'environnement, M. Pierre Albertini, député, déclarait : « s'il est bien que nous disposions d'un outil amélioré, c'est surtout la manière dont il sera utilisé qui sera déterminante quant à l'efficacité de la prévention des risques dans les deux mille communes concernées, qu'il s'agisse des avalanches, des inondations ou des éboulements. J'appelle donc votre attention sur le fait qu'il ne suffit pas de se donner bonne conscience en améliorant le dispositif. Encore faut-il qu'il en soit fait un usage responsable sur le terrain avec la mise en _uvre conjuguée de tous les pouvoirs, notamment ceux du représentant de l'Etat, afin d'adapter ce dispositif à l'ampleur du risque supporté par les populations (...) ». (1)

Aujourd'hui, si l'on dresse un bilan de l'élaboration et de l'application des PPR, on ne peut qu'être déçu. Ainsi que l'a souligné la Cour des Comptes dans son rapport relatif à la prévention des inondations en France, « les carences qui subsistent dans l'élaboration de ces plans et dans la sensibilisation de la population à ce risque ne permettent pas de considérer que celle-ci soit bien informée du risque d'inondation. Les retards accumulés ne laissent pas espérer une couverture satisfaisante du territoire pour la connaissance de ce risque avant au moins vingt ans (...). Trop peu nombreux, les documents réalisés sont aussi de qualité très inégale et, pour certains, à peu près dépourvus de prescriptions (...). La réforme récente des PPR n'a pas foncièrement amélioré le contenu des plans en matière d'inondations. Elle introduit une notion imprécise d'exposition indirecte au risque. Le nouvel instrument unifié permet surtout d'accélérer la cartographie du risque par son caractère simplifié et déconcentré, mais sans garantir la valeur de la prévention. »

A l'évidence, les PPR n'ont pas rempli leurs objectifs, non pas parce qu'ont eu lieu des inondations, dont on sait que certaines ne peuvent être évitées, mais parce qu'ils n'ont été élaborés que lentement, et aussi parce qu'ils n'ont donné que trop rarement lieu à une concertation avec les élus communaux. En outre, dans l'esprit du législateur, le PPR devait comprendre un volet réglementaire relatif aux prescriptions urbanistiques et pouvait également comprendre un certain nombre de mesures matérielles de prévention, de protection et de sauvegarde, à la fois pour les particuliers et les maîtres d'ouvrages publics. Or, dans la pratique, on constate que les PPR se limitent souvent au seul volet réglementaire, il est vrai d'un financement moins onéreux.

La création d'une commission d'enquête serait donc particulièrement opportune, car celle-ci pourrait dresser un bilan des procédures d'élaboration des PPR, des mesures contenues dans ces plans et des financements qui leur sont alloués. Il serait également très instructif d'étudier la pertinence de l'échelle à laquelle sont élaborés les PPR, afin de voir si ces derniers ont réellement donné lieu à concertation sur le plan local et surtout si leurs périmètres sont adaptés à la prévention du risque d'inondations, dont on peut penser qu'elle doit être appréhendée à l'échelon du bassin versant et non à celui de la commune. Enfin, il pourrait être utile de rendre compte des éventuels blocages administratifs qui ont pu apparaître tant lors de l'élaboration que lors de l'application des PPR.

4. Le difficile financement de la prévention

On peut également regretter, comme l'a d'ailleurs fait la Cour des Comptes dans son rapport précité, que l'approche économique du risque d'inondation soit lacunaire ou peu exploitée, alors que les sommes en jeu sont considérables, puisque l'on peut estimer, selon la Cour, que les indemnisations versées sur la période 1982-1995 par les compagnies d'assurances pour les sinistres d'inondations ont représenté un flux annuel d'environ 1,5 milliard de francs, et que le coût complet des dommages pourrait actuellement avoisiner 3 milliards de francs.

Ainsi que le souligne la Cour, « les études parcellaires entreprises pour élaborer les plans de prévention des risques ne peuvent être considérées comme des bilans de coût-efficacité, d'abord parce que l'échelle locale est inadaptée au risque d'inondation, qui doit être traité au niveau des grands bassins versants, et ensuite parce que ces études ne comportent pas de comparaison chiffrée entre le coût des ouvrages de protection et des dispositifs de prévention envisageables, d'une part, et la charge financière prévisionnelle des conséquences des inondations futures, compte tenu de leur probabilité d'occurrence, d'autre part ».

Or, si les politiques de préventions doivent avant tout se fonder sur une connaissance et une cartographie des risques, elles nécessitent également des financements, pour permettre, par exemple, la construction d'ouvrages de protection. Il serait donc particulièrement intéressant qu'une commission d'enquête entreprenne d'évaluer (ou de faire évaluer) les coûts en matière d'inondations car, à la fois le coût global de la prévention et celui des indemnisations, sont mal connus. Elle pourrait également se pencher sur la question cruciale de la répartition des contributions financières entre les collectivités territoriales, les établissements publics territoriaux de bassin et l'État.

5. Inondations et responsabilités : la confusion

Enfin, une commission d'enquête pourrait utilement étudier la diversité, voire l'éclatement des responsabilités en matière d'inondations, afin de formuler des propositions législatives pour simplifier et clarifier le système actuel.

La prévention et la gestion des inondations nécessite une coopération étroite entre l'Etat, les collectivités locales et leurs groupements et doit s'intégrer dans l'aménagement et la gestion globale des fleuves et des rivières. Or, la situation actuelle se caractérise par l'enchevêtrement et un empilement quasi aléatoire des responsabilités. Qu'on en juge plutôt :

- l'entretien des cours d'eau non domaniaux constitue une obligation pour les propriétaires riverains, tenus à un curage et à un entretien régulier de la rive, et donc responsables des ouvrages de protection contre les inondations ;

- l'entretien des cours d'eau domaniaux est à la charge de l'Etat, mais ses obligations se limitent à assurer le libre écoulement des eaux et non à protéger contre l'action naturelle des eaux ;

- les collectivités locales peuvent intervenir, quel que soit le régime juridique des cours d'eau, pour entreprendre tous travaux, ouvrages ou installations présentant un caractère d'intérêt général ou d'urgence ;

- c'est le maire qui a l'obligation de prévenir la population de la montée des eaux, mais il revient à l'Etat d'assurer une alerte météorologique auprès des communes :

- l'Etat organise une annonce des crues, mais cela ne constitue pas une obligation légale. Le préfet est, dans ce cas, responsable de l'organisation de l'annonce des crues par l'Etat dans le département, en s'appuyant sur le service d'annonce des crues et le service de protection civile chargé d'alerter les maires. La responsabilité de l'Etat n'est engagée qu'en cas de faute lourde ;

- le maire est responsable de la protection contre les dangers d'inondations, au titre de ses pouvoirs de police. Toutefois, lorsque l'ampleur de l'inondation risque de dépasser les capacités de la commune, il doit provoquer l'intervention du préfet ;

- en cas de dangers graves ou imminents, le maire doit prescrire l'exécution de mesures de sûreté exigées par les circonstances et en prévenir le préfet ;

- la responsabilité de la commune peut être engagée, en raison de l'absence de mesures de prévention contre les inondations, en cas de faute lourde ;

- en revanche, les établissements publics territoriaux de bassin qui interviennent à l'échelle du bassin de risque ne disposent à ce jour d'aucune compétence clairement identifiée par la loi en matière de prévention des inondations, alors que nombre d'entre eux interviennent en la matière, qu'il s'agisse de maîtrise d'ouvrage, de financement ou d'information.

Comme on le constate, le système actuel est particulièrement complexe, en raison notamment de la multiplicité des intervenants sur les territoires concernés. Comme le proposent MM. Jean-Louis Debré, Jean-François Mattéi et Philippe Douste-Blazy, il convient de tirer les leçons du passé et, par une étude approfondie, d'établir clairement les responsabilités des personnes ayant contribué à causer ou à aggraver les inondations, qu'il s'agisse de l'État, des collectivités territoriales ou des personnes privées, pour éventuellement émettre des propositions de réforme du système actuel.

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Votre rapporteur en est persuadé, la création d'une commission d'enquête portant sur les causes des inondations exceptionnelles afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts et de prévenir les inondations à répétition est aujourd'hui indispensable, compte tenu des éléments évoqués ci-dessus. Elle permettrait à la fois de tirer les leçons du passé, de dresser un bilan de l'application des recommandations émises en 1994 par la précédente commission d'enquête portant sur le sujet et d'évaluer l'efficacité du dispositif juridique actuellement à notre disposition en matière de prévention et d'indemnisation.

En outre, si ses travaux devaient conclure à des propositions de réformes, celles-ci pourraient utilement être intégrées dans le futur projet de loi sur l'eau que le Parlement devrait examiner à la rentrée prochaine. L'actualité récente nous l'a montré : le problème de la prévention et de la gestion des inondations reste entier. Ses répercussions humaines, économiques et sociales exigent que la représentation nationale exerce ses prérogatives de contrôle et prenne l'initiative de réformes qui se font attendre.

Votre rapporteur estime donc que les deux propositions de résolution qui sont soumises à l'examen de la commission de la production et des échanges sont tout à fait justifiées et considère qu'il est possible de donner satisfaction à leurs auteurs en aboutissant à un dispositif unique.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 9 mai 2001, la commission de la production et des échanges a examiné, sur le rapport de M. Eric Doligé, la proposition de résolution de MM. Jean-Louis Debré, Jean-François Mattei et Philippe Douste-Blazy tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes notamment climatiques, environnementales et urbanistiques des inondations exceptionnelles afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts et de prévenir les crues à répétition (n° 2982) et la proposition de résolution de M. Jacques Fleury tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives et sur les moyens propres à faire face aux aléas climatiques (n° 3031).

M. Eric Doligé, rapporteur, a tout d'abord souligné que si le thème de la prévention et de la gestion des inondations était en soi un sujet qui méritait d'être étudié avec intérêt, il s'inscrivait malheureusement dans l'actualité et devrait donc être traité « à chaud ». Notant que deux propositions de résolution visant à créer une commission d'enquête sur les causes des inondations avaient été déposées sur le bureau de l'Assemblée nationale, il a relevé qu'elles étaient identiques en de nombreux points et s'est déclaré confiant en la capacité des commissaires à aboutir à un dispositif unique.

Puis, évoquant les inondations récentes survenues dans les départements de la Vilaine, de la Somme et aujourd'hui du Cher, il a constaté que de tels événements étaient de plus en plus fréquents et d'une ampleur croissante. Cette situation, conjuguée à l'inefficacité de l'action des pouvoirs publics et à la carence des politiques de prévention, explique que nos concitoyens soient pour la plupart excédés. Le Parlement n'a pas souhaité rester passif dans un tel contexte ; en outre, l'examen du futur projet de loi sur l'eau, dont les avant-projets traitent peu des politiques à mener en matière d'inondations, constituerait un support judicieux pour intégrer les propositions qui pourraient émaner d'une commission d'enquête, si celle-ci devait être créée.

Puis, le rapporteur a indiqué que Mme Marylise Lebranchu, Garde des Sceaux, ministre de la justice, ayant fait savoir qu'aucune poursuite judiciaire n'était en cours sur les faits ayant motivé le dépôt des deux propositions de résolution, ces dernières étaient recevables.

S'agissant de l'opportunité de créer une commission d'enquête, il a estimé qu'elle ne faisait aucun doute. Il convient tout d'abord de tirer les leçons du caractère répétitif d'inondations de grande ampleur sur les vingt dernières années, ces catastrophes ayant malheureusement causé de nombreuses morts et des dégâts matériels très importants. Elles ont en outre pris des formes variées, qui ont dû être différemment gérées. Il serait donc particulièrement opportun qu'une commission d'enquête dresse un état des connaissances en la matière et qu'elle établisse quelles ont été les causes des inondations passées, que celles-ci aient été liées aux remembrements, aux drainages, à des facteurs climatiques, à un défaut d'entretien des rivières ou encore à certaines pratiques urbanistiques. Une telle analyse permettrait d'évaluer la pertinence du dispositif de gestion et de prévention des inondations, dont l'application reste variable selon les circonstances.

Il conviendrait également qu'une commission d'enquête étudie les modalités de gestion des crises dues à des inondations, l'impression dominante étant celle d'une gestion au coup-par-coup qui manque de cohérence et de continuité. Il est nécessaire de gérer à la fois la crise et la « post-crise », bien que l'on constate souvent un retrait des pouvoirs publics sur le moyen terme. Il serait, à cet égard, judicieux qu'une commission d'enquête établisse un bilan, notamment financier, des crises et qu'elle propose un cadre juridique permettant d'inscrire la gestion des inondations dans la durée.

L'inadaptation du dispositif juridique de prévention des inondations plaide également en faveur de la création d'une commission d'enquête. Certes, la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite loi « Barnier », a permis de simplifier un système confus qui reposait sur une multiplicité d'instruments, tels que les plans de surfaces submersibles, les plans d'exposition aux risques ou les projets d'intérêt général, auxquels la loi précitée a substitué un dispositif unique, le plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPR). Cela était certes une bonne initiative, mais dès la création des PPR, M. Pierre Albertini, député, soulignait que tout dépendrait de la manière dont ces plans seraient utilisés. Un rapport récent de la Cour des Comptes relatif à la prévention des inondations en France, montre que les résultats ne sont pas brillants. Le nombre de PPR approuvés reste insuffisant. Les difficultés rencontrées pour les appliquer sont en outre largement liées au fait que ces plans n'ont pas été élaborés comme le souhaitait le Parlement, en combinant un volet réglementaire et un volet comportant des mesures complémentaires résultant d'une large concertation locale. En pratique, la concertation entre l'Etat et les collectivités locales est rare, ce qui conduit ces dernières à concevoir les PPR davantage comme une obligation que comme un outil efficace de partenariat pour prévenir les risques naturels. Les mesures complémentaires souffrent, quant à elles, de financements insuffisants. Enfin, les périmètres des PPR sont souvent restreints, alors qu'il serait plus pertinent d'appréhender la prévention des inondations à l'échelle des bassins versants.

S'agissant du financement de la prévention, il se caractérise par une approche économique du risque trop succincte. Les analyses des coûts, a priori et a posteriori, sont souvent peu exploitées, et mériteraient une étude approfondie de la part d'une commission d'enquête, qui pourrait alors formuler des propositions sur les modalités de financement de la prévention. Les coûts des inondations sont en effet considérables, puisqu'on les estime à 3 milliards de francs par an, dont la moitié environ est indemnisée par les compagnies d'assurance.

Enfin, il serait opportun de créer une commission d'enquête pour étudier la question de la répartition des responsabilités en matière d'inondations, qui se caractérise aujourd'hui par une totale confusion. Les responsabilités étant éclatées entre les élus, l'Etat et les services techniques, on en vient à ne plus savoir qui est responsable, et quand. Ainsi, c'est le maire qui a l'obligation de prévenir la population de la montée des eaux, mais il revient à l'Etat d'assurer une alerte météorologique auprès des communes. L'Etat organise une annonce des crues, mais cela ne constitue pas une obligation légale ; sa responsabilité n'est engagée qu'en cas de faute lourde. Le maire est responsable de la protection contre les dangers d'inondations, au titre de ses pouvoirs de police, mais lorsque l'ampleur de l'inondation risque de dépasser les capacités de la commune, il doit provoquer l'intervention du préfet. Tous ces exemples montrent qu'une simplification du système actuel est nécessaire.

En raison de l'ensemble de ces éléments, le rapporteur a estimé que la création d'une commission d'enquête portant sur les causes des inondations exceptionnelles afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts et de prévenir les inondations à répétition était désormais indispensable. Elle permettrait à la fois de tirer les leçons du passé, de dresser un bilan de l'application des recommandations émises en 1994 par la précédente commission d'enquête portant sur le sujet et d'évaluer l'efficacité du dispositif juridique actuellement en vigueur en matière de prévention et d'indemnisation. En outre, les conclusions et propositions de cette commission pourraient utilement être intégrées dans le futur projet de loi sur l'eau que le Parlement aura bientôt à examiner. En conclusion, M. Eric Doligé, rapporteur, a émis le souhait que la commission de la production et des échanges adopte un dispositif intégrant les préoccupations de l'ensemble des commissaires.

Puis, M. Jacques Fleury a estimé que l'actualité montrait combien la création d'une commission d'enquête était nécessaire pour tirer les leçons des inondations et s'adapter à l'apparition de nouvelles exigences et de nouveaux problèmes. A cet égard, il a souligné l'originalité de la situation du bassin de la Somme, caractérisée par la durée des inondations, puisque selon certaines estimations, elles pourraient ne se résorber que d'ici six mois. La situation est donc totalement différente et peut être plus catastrophique que celle que l'on a pu connaître dans l'Aude en 1999, où les inondations ont été beaucoup plus brèves. Dans la Somme, de nombreux secteurs économiques sont désormais paralysés : les agriculteurs ne peuvent ni semer ni récolter et les commerces et entreprises, lorsqu'ils n'ont pas été inondés, souffrent du blocage des voies de circulation. Les conséquences économiques, patrimoniales et sociales des inondations devraient donc être particulièrement lourdes et il serait nécessaire qu'une commission d'enquête entreprenne de les recenser et de les analyser. Cela permettrait en conséquence d'élargir le champ de la prévention et d'éviter d'octroyer des financements à des investissements destinés à être victimes d'inondations répétitives.

Enfin, si les inondations de la Somme ont été très médiatisées en raison de leur caractère spectaculaire, il conviendrait qu'une commission d'enquête étudie certaines conséquences des intempéries parfois passées sous silence, notamment l'apparition d'affaissements de terrains et de véritables puits. Ainsi, dans la Somme, près de huit cents phénomènes de ce type se sont produits, sous des habitations, des parcelles cultivées ou encore des routes. L'évacuation de nombreux logements s'est révélée nécessaire, sans possibilité pour les habitants d'en reprendre possession avant qu'ait été certifiée leur viabilité. De tels problèmes méritent d'être étudiés par une commission d'enquête, qui pourrait utilement élargir son champ d'investigation aux conséquences des intempéries.

Puis, M. Philippe Duron a estimé que MM. Eric Doligé, rapporteur, et Jacques Fleury, avaient bien montré combien il importait d'étudier de nouveau le phénomène des inondations et les instruments disponibles pour les prévenir et les gérer, ce sujet ayant par ailleurs été fort bien traité par M. Thierry Mariani dans le cadre de la commission d'enquête de 1994.

Il a souligné que les inondations actuelles étaient liées à la fois à un phénomène climatique d'ampleur exceptionnelle et à une remontée des eaux des nappes souterraines. Pour y faire face, il a estimé indispensable d'améliorer la collecte des données afin d'assurer une information rapide et fiable des élus et des populations. Réservé sur l'opportunité de retirer aux maires les moyens de gérer ces crises, il a jugé nécessaire de les faire bénéficier plus largement des travaux d'analyse et de prévision menés par les services de l'État.

S'agissant de la politique de prévention, notamment en matière d'urbanisme, il s'est félicité de la montée en puissance des PPR, mais il a estimé souhaitable d'aller plus loin, notamment grâce aux schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) dont l'élaboration est lourde et complexe et dont il conviendrait de réformer la procédure, notamment s'agissant du rôle des commissions locales de l'eau.

Soulignant que la stratégie des compagnies d'assurances obéissait à une logique d'indemnisation, il a jugé qu'il fallait les inciter à faire mieux et notamment encourager les mesures individuelles de prévention, par exemple en cas de réhabilitation des logements pour le choix des matériaux. On peut aujourd'hui craindre pour l'avenir du dispositif d'indemnisation, qui date de 1982 ; l'État a ainsi dû l'abonder à hauteur de 2,4 milliards de francs.

Enfin, - a-t-il observé - même si le Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts (CEMAGREF) a mené des travaux d'évaluation du coût global des inondations pour les collectivités qui en sont victimes, les coûts économiques, directs et indirects, des inondations, ne sont pour l'instant pas bien connus et il est nécessaire de les étudier en prenant en compte les dommages subis par l'ensemble des acteurs économiques (agriculteurs, artisans, commerçants ou encore industriels).

M. Philippe Duron a conclu que compte tenu de ces éléments, la création d'une commission d'enquête était tout à fait justifiée.

M. Jean Launay a estimé que la mise en place d'une commission d'enquête pourrait être l'occasion, au-delà des événements récents, d'aborder d'autres questions importantes comme celles de la connaissance et de la cartographie des zones inondables, de l'information fournie à la population et portée à la connaissance des élus, de la gestion des procédures d'alerte, des travaux d'aménagement, des procédures applicables en situation de crise, comme les plans communaux de secours, ou encore la question de l'organisation de « retours d'expérience » à l'issue des inondations.

La commission devra également s'efforcer de définir une approche méthodique de la gestion des crises, opérationnelle quel que soit le lieu sur lequel le sinistre se produit, et, par une mise en commun des expériences, effectuer un travail de synthèse sur les politiques conduites à l'échelle des bassins versants, notamment par les établissements publics territoriaux de bassin.

M. Léonce Deprez a souligné que les difficultés rencontrées aujourd'hui révèlent les carences des politiques d'aménagement du territoire conduites au cours des années récentes et l'abandon de toute politique nationale et volontariste en la matière. Il faut donc souhaiter que le rôle de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) soit réévalué et que celle-ci se voie reconnaître une place majeure, inspiratrice de l'action des pouvoirs publics.

Il convient également de renforcer la politique d'aménagement des bassins versants. Il est néanmoins regrettable que la procédure d'élaboration des SAGE soit si lourde ; il a ainsi fallu près de dix ans pour élaborer le schéma d'aménagement et de gestion des eaux en Pas-de-Calais.

Quant aux inondations, elles ont largement pesé sur la situation de la SNCF et celle de ses usagers, de sorte qu'il serait opportun que la commission d'enquête puisse analyser les surcoûts ainsi induits - et que l'électrification de la ligne reliant le Pas-de-Calais et l'Ile-de-France soit enfin décidée.

M. Jacques Masdeu-Arus s'est déclaré préoccupé par la fréquence croissante de l'élévation du niveau de la Seine dans les Yvelines et a déploré que de nombreux équipements collectifs, tels des équipements sportifs, ne puissent fonctionner normalement en raison des inondations. Estimant nécessaire d'étudier avec attention la situation et la manière dont sont régulés les bassins de retenue, ainsi que l'urbanisation en Ile-de-France, qui contribue à imperméabiliser les sols, il s'est demandé si les capacités des bassins de retenue étaient aujourd'hui suffisantes. Il a par ailleurs souligné les problèmes d'affaissement des berges de la Seine, du fait de la circulation fluviale et a déploré l'absence de curage des fleuves, alors qu'une telle mesure de prévention coûterait moins cher que la gestion des inondations. Relevant que s'il appartenait aux PPR d'éviter une urbanisation excessive des zones inondables, certains espaces avaient néanmoins fait l'objet de constructions pour lesquelles des digues ont ensuite dû être érigées, il a insisté sur la nécessité de développer et d'améliorer le dispositif actuel en matière de prévention.

Puis, M. Jacques Fleury a déclaré qu'il n'était pas sûr que la politique d'aménagement du territoire soit la plus appropriée pour résoudre le problème des inondations. Citant l'exemple des inondations par montée des nappes souterraines, il a jugé nécessaire de réfléchir aux actions à mener dans de tels cas, pour lesquels le dispositif actuel n'est pas adapté. Rappelant que seulement deux ans auparavant, on s'inquiétait dans la Somme d'un éventuel assèchement, il a estimé que ces circonstances nouvelles exigeaient de nouvelles réponses, auxquelles la commission d'enquête aurait à travailler.

La commission a ensuite procédé à l'examen de l'article unique de la proposition de résolution n° 2982.

· Article unique 

La commission a examiné un amendement de M. Jacques Fleury, visant à préciser que figurent notamment, parmi les causes des inondations répétitives, l'utilisation des sols et la gestion des cours d'eau à l'échelle des bassins versants et tendant à introduire, dans le champ d'investigation de la commission d'enquête, les conséquences des intempéries, l'adéquation des outils d'indemnisation et les mesures permettant d'assurer, face à l'aléa climatique, la continuité de l'activité humaine.

M. Eric Doligé, rapporteur, a déclaré partager l'ensemble des préoccupations exprimées par les commissaires, tout en restant dubitatif quant au rôle que pourrait jouer la DATAR en matière de prévention des inondations. Soulignant la communauté d'intérêts des élus de zones ayant fait ou pouvant faire l'objet d'inondations, il a présenté un amendement portant rédaction globale de l'article unique et opérant une synthèse entre le texte de la proposition de résolution de M. Jean-Louis Debré et celui proposé par M. Jacques Fleury. Après que le rapporteur eut signalé qu'il avait en outre introduit dans le dispositif la nécessité d'évaluer les outils d'alerte ainsi que celle de respecter les sites et paysages, M. Jacques Fleury a proposé une modification rédactionnelle que le rapporteur a acceptée. Puis, M. Christian Bataille a déclaré que sous réserve de la modification rédactionnelle proposée par M. Jacques Fleury, le groupe socialiste était favorable au dispositif présenté par le rapporteur. M. Léonce Deprez, s'exprimant au nom du groupe UDF, a également déclaré approuver la proposition de rédaction globale rectifiée du rapporteur.

La commission a adopté l'amendement rectifié du rapporteur portant rédaction globale de l'article unique.

· Titre

La commission a adopté un amendement de coordination présenté par le rapporteur.

La commission a ensuite adopté la proposition de résolution (n° 2982) ainsi modifiée et intitulée.

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En conséquence, la commission de la production et des échanges vous demande d'adopter la proposition de résolution dont le texte suit :

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives ou exceptionnelles et sur les conséquences des intempéries afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts ainsi que la pertinence des outils de prévention, d'alerte et d'indemnisation

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, une commission d'enquête parlementaire de trente membres sur les causes des inondations répétitives ou exceptionnelles observées au cours des dernières années, notamment celles liées au climat, à l'environnement, à l'urbanisme, à l'utilisation des sols et la gestion des fleuves et des rivières à l'échelle des bassins versants, afin d'établir les responsabilités, et portant sur les conséquences des intempéries, pour évaluer les coûts ainsi que la pertinence des outils de prévention, d'alerte et d'indemnisation pour assurer, face à l'aléa climatique, la continuité de l'activité humaine dans le respect des sites et paysages.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte de la proposition de résolution

(n° 2982)

Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes notamment climatiques, environnementales et urbanistiques des inondations exceptionnelles afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts et de prévenir les crues à répétition

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Texte de la proposition de résolution

(n° 3031)

Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives et sur les moyens propres à faire face aux aléas climatiques

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Conclusions de la Commission

Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les causes des inondations répétitives ou exceptionnelles et sur les conséquences des intempéries afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts ainsi que la pertinence des outils de prévention, d'alerte et d'indemnisation

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Article unique

Article unique

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, une commission d'enquête parlementaire de trente membres sur les causes notamment climatiques, environnementales et urbanistiques des inondations exceptionnelles afin d'établir les responsabilités, d'évaluer les coûts et de prévenir les crues exceptionnelles.

Il est créé...

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membres chargée d'enquêter sur les causes des inondations répétitives observées au cours des dernières années, notamment celles liées au climat, à l'environnement, à l'urbanisme, à l'utilisation des sols et à la gestion des cours d'eau, sur la pertinence et l'adéquation des outils de leur prévention et de leur indemnisation, ainsi que sur les moyens propres à éviter face à l'aléa climatique, la perte de continuité de l'activité humaine, dans ses domaines économiques, administratif, culturel, comme dans la sphère du quotidien.

Il est créé...

...

membres sur les causes des inondations répétitives ou exceptionnelles observées au cours des dernières années, notamment celles liées au climat, à l'environnement, à l'urbanisme, à l'utilisation des sols et la gestion des fleuves et des rivières à l'échelle des bassins versants, afin d'établir les responsabilités, et portant sur les conséquences des intempéries, pour évaluer les coûts ainsi que la pertinence des outils de prévention, d'alerte et d'indemnisation pour assurer, face à l'aléa climatique, la continuité de l'activité humaine dans le respect des sites et paysages.

3046 - Rapport de M. Eric Doligé : commission d'enquête sur les causes des inondations (commission de la production)

1 () Débats parlementaires. Assemblée nationale, Journal officiel n° 118, jeudi 8 décembre 1994.