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le 12 juin 2001

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N° 3118

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 juin 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 3035) DE M. CAMILLE DARSIÈRES, sur les régions ultrapériphériques et sur les propositions de règlement du Conseil (COM [2000] 774 final/E 1631, COM [2000] 791 final/E 1647),

PAR M. CAMILLE DARSIÈRES,

Député.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Voir le numéro : 3034.

Politiques communautaires.

La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : M. Bernard Roman, président ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Feidt, M. Gérard Gouzes, vice-présidents ; M. Richard Cazenave, M. André Gerin, M. Arnaud Montebourg, secrétaires ; M. Léo Andy, M. Léon Bertrand, M. Jean-Pierre Blazy, M. Émile Blessig, M. Jean-Louis Borloo, M. Michel Bourgeois, M. Jacques Brunhes, M. Michel Buillard, M. Dominique Bussereau, M. Christophe Caresche, M. Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier de Chazeaux, M. Pascal Clément, M. Jean Codognès, M. François Colcombet, M. François Cuillandre, M. Henri Cuq, M. Jacky Darne, M. Camille Darsières, M. Francis Delattre, M. Bernard Derosier, M. Franck Dhersin, M. Marc Dolez, M. Renaud Donnedieu de Vabres, M. René Dosière, M. Jean-Pierre Dufau, M. Renaud Dutreil, M. Jean Espilondo, M. François Fillon, M. Jacques Floch, M. Roger Franzoni, M. Claude Goasguen, M. Louis Guédon, Mme Cécile Helle, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, M. Henry Jean-Baptiste, M. Jérôme Lambert, Mme Christine Lazerges, Mme Claudine Ledoux, M. Jean-Antoine Léonetti, M. Bruno Le Roux, M. Jacques Limouzy, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Louis Mermaz, M. Jean-Pierre Michel, M. Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, M. Robert Pandraud, M. Vincent Peillon, M. Dominique Perben, M. Henri Plagnol, M. Didier Quentin, M. Jean-Pierre Soisson, M. Frantz Taittinger, M. André Thien Ah Koon, M. Jean Tiberi, M. Alain Tourret, M. André Vallini, M. Michel Vaxès, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann, M. Kofi Yamgnane.

MESDAMES, MESSIEURS,

La délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne a adopté, le 3 mai dernier, une proposition de résolution sur les propositions de règlement du Conseil E 1631 et E 1647.

Ces propositions de règlement, qui devraient être adoptées par le Conseil des Affaires générales le 14 juin prochain, constituent l'aboutissement d'une réflexion menée par les instances communautaires sur la place des régions ultrapériphériques au sein de l'Union européenne.

La reconnaissance juridique des spécificités de ces régions par les politiques communautaires a été difficile ; longtemps furent ignorés les handicaps géographiques et économiques dont souffrent de façon commune les quatre départements français d'outre-mer, la communauté espagnole des îles Canaries et les régions autonomes portugaises des Açores et Madère.

Le Traité d'Amsterdam consacre désormais à ces régions ultrapériphériques un article spécifique, l'article 299 § 2. C'est sur la base de cet article qu'a été élaboré le nouveau plan communautaire, présenté par la Commission le 29 novembre 2000, qui dresse un bilan des actions menées depuis dix ans et préconise un certain nombre de réformes.

Les propositions de règlement E 1631 et E 1647 s'inscrivent dans la logique de ce nouveau plan communautaire et proposent, sur la base de ce plan, une réforme des fonds structurels et des aides agricoles.

Ces réformes ont été l'occasion, pour la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, de mener une réflexion approfondie sur la place des régions ultrapériphériques au sein de l'Union européenne (1) ; le rapporteur, qui a également été désigné par la commission des Lois pour la présente proposition de résolution, y faisait part, notamment, de ses inquiétudes dans la perspective d'un élargissement de l'Union et réclamait, dans une proposition de résolution en huit points, le maintien de la spécificité des politiques communautaires en direction de ces régions.

C'est cette même proposition de résolution qui est proposée aujourd'hui à la commission des Lois et qui deviendra, si elle est adoptée, définitive dans les conditions prévues à l'article 151-3 du Règlement de l'Assemblée nationale.

Avant d'arriver au terme de la procédure, il convient en premier lieu de définir la place des régions ultrapériphériques au sein de l'Union européenne, puis de décrire les propositions de règlements communautaires soumis pour examen à la représentation nationale.

I. - LES RÉGIONS ULTRAPÉRIPHÉRIQUES DANS L'UNION EUROPÉENNE

A. LES ATERMOIEMENTS JURIDIQUES AUTOUR DE LA RECONNAISSANCE D'UNE SPÉCIFICITÉ

La reconnaissance des spécificités des régions ultrapériphériques a été difficile et ce n'est que récemment, avec le Traité d'Amsterdam, qu'une base juridique solide a pu être élaborée.

A l'origine, la notion d'ultrapériphérie était inconnue des traités fondateurs. Seuls les départements d'outre-mer étaient mentionnés à l'article 227 du Traité de Rome ; cet article, qui précisait dans le premier paragraphe que « le présent traité s'applique [...] à la République française » citait expressément les DOM, en distinguant les domaines pour lesquels la législation communautaire était d'application immédiate (libre circulation des marchandises, libération des services, règles de concurrence et agriculture) des autres domaines pour lesquels l'application était différée d'un délai de deux ans, après détermination de leurs conditions d'application par le Conseil statuant à l'unanimité.

Cette distinction faite entre les domaines d'application immédiate et ceux d'application différée avait été justifiée par la volonté de laisser aux départements d'outre-mer, dans un premier temps, un délai de transition préalable à leur insertion complète dans la Communauté. Non seulement cette distinction allait perdurer, le Conseil n'ayant pas statué dans le délai de deux ans prévu par le Traité de Rome, mais elle allait donner lieu à une jurisprudence controversée sur l'application du droit communautaire dans les départements d'outre-mer.

Un arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 10 octobre 1978 (Arrêt « Hansen ») reconnut dans un premier temps un principe de pleine applicabilité du droit communautaire aux départements d'outre-mer, avec, comme corollaire indispensable, un principe général d'adaptation de ce droit. L'arrêt Hansen se réfère, pour dégager ces deux principes, à la place réservée aux DOM dans la Constitution de 1958 : « le statut des DOM dans la Communauté est défini en première ligne, par référence à la Constitution française, aux termes de laquelle [...] les DOM font partie intégrante de la République ». La référence constitutionnelle est à cet égard déterminante ; l'article 73 postulant le principe de l'adaptation du régime législatif et de l'organisation administrative aux DOM nécessité par leur situation particulière, il en résulte automatiquement, à la lecture de l'arrêt Hansen, leur assimilation au territoire communautaire sous réserve d'adaptation spécifique. L'arrêt précise, à cet effet, que « le Traité de Rome ménageant les plus larges possibilités de prévoir des dispositions particulières adaptées à la situation géographique, économique et sociale particulières des DOM, il reste toujours possible de prévoir des mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins de ces territoires ».

Cette reconnaissance générale du principe d'adaptation posé par l'arrêt Hansen a néanmoins été fluctuante ; confirmé par l'arrêt « Coopérative agricole d'approvisionnement des avirons » en 1987, le principe d'adaptation a connu cependant une interprétation très restrictive avec l'arrêt « Legros » du 16 juillet 1992 et l'arrêt « Lancry » du 9 août 1994 ; dans ces deux arrêts, la Cour de justice des communautés européennes avait fait une interprétation extensive de la distinction faite par l'article 227 § 2 entre les domaines communautaires applicables immédiatement aux DOM et ceux bénéficiant d'un délai de deux ans préalable à leur application : « les dispositions du Traité mentionnées explicitement à l'article 227 § 2, premier alinéa, ont été applicables dans les DOM dès l'entrée en vigueur du traité CEE [...] Pour les autres dispositions, il est possible de prévoir des mesures spécifiques en vue de répondre aux besoins de ces territoires. » Cette interprétation réservait en fait le principe d'adaptation aux seules dispositions mentionnées au deuxième alinéa de l'article 227 § 2 faisant l'objet d'une application différée ; pour les autres domaines, énoncés précisément au premier alinéa, et qui touchait des domaines essentiels, tels que l'agriculture, la libre circulation des marchandises, la libération des services et les règles de concurrence, il était considéré que l'objectif communautaire devait prévaloir sur l'objectif spécifique de l'outre-mer.

Paraissaient ainsi menacés à terme des dispositifs essentiels aux économies ultra-marines, tels que l'octroi de mer ou le programme communautaire « POSEIDOM ».

Une réflexion approfondie sur la place des DOM dans l'espace communautaire s'imposait ; l'intégration de l'Espagne et du Portugal, qui, avec les Canaries, Madère et les Açores, connaissent également la question de l'éloignement géographique d'une partie de leur territoire, allait permettre à la France de sortir de son isolement. La déclaration de Funchal, le 25 novembre 1988, émanant des exécutifs des sept régions ultrapériphériques constitue la première tentative commune pour faire reconnaître par la Commission européenne les handicaps structurels de ces régions ; le traité de Maastricht a apporté une première réponse en faisant figurer, en annexe, une déclaration commune reconnaissant pour la première fois la possibilité d'adapter la réglementation communautaire aux spécificités de ces régions. Le contenu de cette déclaration restait cependant peu novateur, tandis que sa portée juridique était incertaine.

Il fallut attendre, en 1997, le Traité d'Amsterdam pour que soit réellement reconnue la place des régions ultrapériphériques ; l'introduction d'un nouvel article 299 § 2 à la place de l'article 227 § 2 consacre ainsi un véritable régime spécifique pour ces régions.

La notion d'ultrapériphérie, fondée sur les handicaps structurels permanents, l'éloignement et les spécificités géographiques, est d'abord énumérée de façon limitative : seuls sont cités à l'article 299 § 2 les quatre départements d'outre-mer, Madère, les Açores et les îles Canaries. La distinction entre domaines communautaires, directement applicables, et domaines d'application différée disparaît ; la possibilité d'adopter des mesures spécifiques pour ces régions est ainsi reconnue de manière générale.

La seule limite à ce principe d'adaptation figure au dernier alinéa : les mesures particulières ne doivent pas nuire à l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique communautaire. Cette restriction constitue, comme l'indiquera plus loin le rapporteur, un sérieux motif d'inquiétude pour l'avenir des politiques spécifiques aux régions ultrapériphériques.

Il a fallu ainsi quarante ans pour que soit expressément reconnue, dans un traité, la spécificité des départements d'outre-mer au sein de l'Union européenne ; force est cependant de reconnaître que l'absence de base juridique solide n'a pas empêché la mise en place de programmes communautaires spécifiques. Cette mise en place reposait davantage sur une jurisprudence ponctuelle, conjoncturelle que sur la loi fondamentale. Tout, sans cesse, pouvait être remis en question.

B. LES PROGRAMMES SPÉCIFIQUES D'AIDE AUX RÉGIONS ULTRAPÉRIPHÉRIQUES

Il n'est pas utile de reprendre de façon exhaustive l'ensemble des mesures techniques destinées aux régions ultrapériphériques (2) ; il s'agit plus simplement de retenir ici que la Communauté européenne, bien avant le Traité d'Amsterdam, a essayé de mettre en place des politiques spécifiques tentant de concilier les impératifs du droit communautaire avec une politique d'adaptation aux handicaps géographiques et structurels des régions concernées.

L'action communautaire en faveur des régions ultrapériphériques a ainsi principalement consisté à développer les fonds structurels et à adapter les politiques communautaires, notamment en direction de l'agriculture et de la pêche.

· L'allocation de fonds structurels

Depuis 1988 et la réforme des fonds structurels, les régions ultrapériphériques sont éligibles à l'objectif 1 en faveur des régions en retard de développement. Les programmes menés dans le cadre de ces fonds structurels, que ce soit au titre du fonds européen de développement régional (FEDER), du fonds social européen (FSE), du fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), ou de l'instrument financier d'orientation de la pêche (IFOP), ont tous eu pour objectif prioritaire de renforcer les infrastructures, afin de désenclaver et de réduire les handicaps liés à l'insularité, d'aider les secteurs créateurs d'emploi, et d'améliorer les ressources humaines, en insistant particulièrement sur les politiques de formation professionnelle.

Sur 10 ans, de 1989 à 1999, les régions ultrapériphériques ont ainsi bénéficié, dans le cadre de ces fonds structurels, de près de 7,272 milliards d'euros, soit 2,5 % des sommes attribuées à l'ensemble des régions européennes.

· L'adaptation des politiques communautaires

Les économies des régions ultrapériphériques sont majoritairement tournées vers l'agriculture ; c'est pourquoi l'adaptation de la politique agricole commune, à travers les POSEI, a toujours été privilégiée par les instances communautaires.

Les programmes d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité, dits POSEI, sont spécifiques à chaque pays ; les départements d'outre-mer ont été les premiers bénéficiaires, en 1989, de ce programme, avec la mise en place de POSEIDOM ; ont suivi en 1991 le POSEICAN pour les îles Canaries et le POSEIMA pour les Açores et Madère.

Le volet agricole des POSEI, pris en charge par le FEOGA-Garantie, représente environ 200 millions d'euros. Il finance essentiellement les régimes spécifiques d'approvisionnement (RSA) et les aides spécifiques aux productions locales. Les régimes spécifiques d'approvisionnement permettent de pallier les surcoûts d'approvisionnement dus à l'insularité et l'éloignement ; les aides spécifiques agricoles sont très diverses et concernent des productions particulières, telles que la pomme de terre à Madère, la canne à sucre à la Réunion, la banane aux Antilles et le riz en Guyane.

Outre l'adaptation de la politique agricole commune, les politiques spécifiques en direction des régions ultrapériphériques s'attachent également à prendre en compte les spécificités de ces régions dans le secteur de la pêche, avec, comme principal objectif, l'intégration dans les mécanismes de l'organisation commune des produits de la pêche et l'adaptation des mécanismes communautaires aux particularités des flottilles régionales.

Les dérogations fiscales et douanières constituent, enfin, un autre volet des programmes POSEI ; est notamment autorisé, dans le cadre de ce programme, l'ensemble des taxes à la consommation, spécifiques aux régions ultrapériphériques ; dans les départements d'outre-mer, l'octroi de mer et les taux d'accises spécifiques sur le rhum traditionnel sont principalement concernés par ces dérogations.

II. -  LES PROPOSITIONS DE RÈGLEMENTS COMMUNAUTAIRES E 1631 ET E 1647 : UNE NOUVELLE IMPULSION POUR LES RÉGIONS ULTRAPÉRIPHÉRIQUES

A. LE BILAN CONTRASTÉ DES POLITIQUES COMMUNAUTAIRES

En matière de politique structurelle, il est indubitable que les aides communautaires ont permis de développer un partenariat avec les instances locales permettant le désenclavement des régions ultrapériphériques ; ainsi, la modernisation des infrastructures portuaires a contribué à réduire les coûts de traitement du fret et le développement des infrastructures routières a eu des effets induits sur le tourisme, le secteur des bâtiments et des travaux publics. Il faut, dès lors, reconnaître que les fonds structurels ont constitué et constituent encore un volet essentiel de maintien de la cohésion économique et sociale.

S'agissant de l'adaptation des politiques communautaires, et tout particulièrement du volet agricole des POSEI, l'examen des résultats des régimes spécifiques d'approvisionnement (RSA) fait apparaître une amélioration de l'approvisionnement des régions concernées, ainsi qu'un abaissement des prix par la mise en concurrence des sources d'approvisionnement. En outre, les mesures de soutien aux productions locales ont permis une évolution de ces productions en terme qualitatif et quantitatif.

Néanmoins, il est apparu également que ces programmes communautaires comprenaient de nombreuses limites ; de l'aveu même de la Commission, les régimes spécifiques d'approvisionnement souffrent d'un manque de critères objectifs permettant de quantifier les surcoûts à compenser ; les mesures de compensation de surcoût ont ainsi conduit à de nombreuses disparités selon les produits et les circonstances économiques. En outre, leur efficacité a varié selon la structuration du secteur et la capacité des intervenants à mettre à profit les possibilités ouvertes. Les aides ont été d'autant plus efficaces qu'elles étaient adaptées aux réalités locales, en cohésion avec les aides générales de la PAC, et simples d'accès ; les mesures trop lourdes et trop complexes, telles que les programmes d'initiative pour les fruits et légumes ont été des échecs.

Les actions à caractère structurel sont plus difficiles à évaluer.

Leur efficacité dépend, en effet, des capacités d'engagement des Etats et des collectivités : les aides communautaires reposent sur le principe de cofinancement, les règlements communautaires limitant à 75 % la participation de la Communauté européenne au coût total du projet et à 50 % du financement public. La détermination de ce taux de cofinancement conditionne ainsi fortement les taux de mobilisation des enveloppes allouées.

De plus, le principe des aides communautaires tient à ce qu'elles ne sont versées, à l'exception d'un acompte de 5 à 10 %, qu'après la réalisation des travaux. Elles impliquent donc, dans un premier temps, un préfinancement des investissements, dans un contexte économique où l'accès au crédit est particulièrement difficile. A ce principe de préfinancement s'ajoute une lenteur des délais de remboursement par les autorités communautaires, atteignant parfois deux ans, qui obère incontestablement la viabilité économique des projets.

Ces règles communautaires de cofinancement et préfinancement conduisent bien souvent à ne rendre éligibles que les projets soutenus par de grandes entreprises, seules à même de pouvoir faire face aux délais de remboursement des prêts ; elles pénalisent ainsi les porteurs de petits projets, alors même que le dynamisme économique de ces régions est essentiellement le fait des petites et moyennes entreprises.

Les taux de consommation des crédits communautaires illustrent ces difficultés : pour les départements d'outre-mer, une sous-consommation importante des crédits communautaires a ainsi été constatée sur la période 1994-1999, les fonds n'ayant été engagés qu'à hauteur de 74,6 % et payés à hauteur de 42,66 %.

Face à ce bilan contrasté, les instances communautaires ont pris conscience de la nécessité de procéder à une réflexion de fond sur la place des régions ultrapériphériques au sein de l'Union européenne ; les règlements communautaires E 1631 et E 1647 s'inscrivent ainsi dans le cadre de cette nouvelle stratégie.

B. LES RÈGLEMENTS COMMUNAUTAIRES E 1631 ET E 1647

Les instances européennes ont estimé que la politique menée depuis dix ans en faveur des régions ultrapériphériques devait être poursuivie sur les mêmes principes, tout en perfectionnant les mécanismes communautaires afin d'assurer à ces régions un développement durable.

Le Conseil européen de Cologne, de juin 1999, a demandé à la Commission de présenter un rapport sur les mesures destinées à mettre en _uvre le nouvel article 299 § 2. Celle-ci a tout d'abord sollicité les trois Etats concernés, Espagne, Portugal et France, qui ont répondu par des mémorendums publiés fin 1999.

Ces trois pays demandaient, de façon unanime, l'amélioration des programmes POSEI, avec, notamment, une révision des listes de produits faisant l'objet des régimes spécifiques d'approvisionnement, étendues éventuellement à des produits non agricoles, l'amélioration des aides liées au surcoût des transports et du fret ainsi qu'une révision des modalités de réexportation des produits vers les pays de la Communauté et vers les pays tiers. La France ajoutait à ces revendications une demande d'assurance que l'octroi de mer et le statut fiscal dérogatoire des départements d'outre-mer pourraient être maintenus.

S'agissant des fonds structurels, l'Espagne, le Portugal et la France réclamaient, avec un taux de 85 % au lieu de 75 %, une harmonisation et une amélioration des taux d'intervention des concours communautaires.

Après la publication de ces mémorandums, la Commission a élaboré un rapport, le 14 mars 2000, adressé au Conseil et au Parlement européen, et transmis au Comité des régions et Comité économique et social. Sur la base de ces travaux, elle a ensuite présenté, le 29 novembre 2000, un plan visant à améliorer les aides de l'Union européenne aux sept régions ultrapériphériques ; ce plan communautaire souhaite privilégier les actions en faveur des productions traditionnelles dans le secteur de l'agriculture et de la pêche, développer les fonds structurels en insistant sur leur coordination et renforcer l'intégration des régions ultrapériphériques dans leur environnement régional.

Les deux propositions d'actes communautaires E 1631 et E 1647, transmises au Parlement français, sont les premières traductions concrètes de ce nouveau plan communautaire.

La première proposition, dite « paquet structurel », comprend cinq propositions de règlement ; elle insiste dans son exposé des motifs, sur les contraintes communes auxquelles sont soumises les régions ultrapériphériques : l'exiguïté des marchés locaux, les contraintes liées à l'approvisionnement et au stockage, les coûts de production élevés dans un contexte de niveau de chômage élevé justifie, toujours selon l'exposé des motifs, des adaptations dans les politiques structurelles conduites par la Communauté ; la principale modification consisterait ainsi à accroître les plafonds d'intervention pour la participation des fonds structurels aux projets locaux, ceux-ci passant de 75 à 85 % du coût total éligible et de 35 à 50 % du coût total éligible pour les investissements dans les petites et moyennes entreprises. Les taux d'intervention dans le domaine agricole serait également relevé ; le soutien financier communautaire serait étendu aux forêts. Enfin, les taux d'intervention financière de l'instrument financier d'orientation de la pêche (IFOP) seraient revus dans le sens d'une augmentation.

La deuxième proposition, dite « paquet POSEI », comprend quatre propositions de règlement ; sans qu'il soit nécessaire de détailler programme par programme et produit par produit les modifications proposées, il faut retenir de cette proposition que la Commission s'engage dans la voie d'une plus grande simplicité des aides et d'une amélioration de la transparence des subventions. Dans cet objectif, la liste des produits couverts par le RSA serait revue.

Ces deux propositions d'acte communautaire constituent un tournant dans la politique des instances européennes en direction des régions ultrapériphériques ; ce tournant fait l'objet d'une appréciation globale positive : le nouveau plan communautaire a en effet répondu pour une large part aux attentes des pays concernés et se traduira par une amélioration des aides et subventions aux régions concernées.

Toute inquiétude sur l'avenir des régions ultrapériphériques au sein de l'Union européenne n'a pas, pour autant, disparu.

III. - LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION : L'EXPRESSION D'INQUIÉTUDES PERSISTANTES

A. LES INQUIÉTUDES SUR LA PLACE DES RÉGIONS ULTRAPÉRIPHÉRIQUES AU SEIN DE L'UNION EUROPÉENNE

Les deux propositions d'acte communautaire sont le reflet d'une large concertation entre les pays concernés et les instances communautaires ; le résultat paraît satisfaisant même si la France n'a pas obtenu gain de cause sur l'ensemble ; demeurent notamment des divergences sur la réforme de l'Instrument financier d'orientation de la pêche (IFOP), pour laquelle la France n'a pas réussi à intégrer dans le programme de subventions les flottilles de bateau de 12 à 16 mètres, ainsi que sur la définition des petites exploitations agricoles et des PME-PMI susceptibles de bénéficier de la réforme des fonds structurels.

Au-delà même de ces divergences, le nouveau plan communautaire n'a pas répondu aux inquiétudes persistantes des régions ultrapériphériques.

· Le montant des enveloppes budgétaires

Les simulations pour la période 2000-2006 établies par les services de la Commission font apparaître une dépense supplémentaire annuelle de l'ordre de 50 millions d'euros due à la réforme des différents POSEI.

Cet effort supplémentaire est le résultat de négociations difficiles avec nos partenaires européens. Il est apparu en effet, au cours des négociations, que la question budgétaire prenait une place croissante dans le dossier des régions ultrapériphériques : les discussions ont ainsi fait apparaître des réticences de plus en plus marquées de certains pays membres, notamment du Royaume-Uni et de l'Allemagne ; ces deux pays ont, tour à tour, fait part de leur désapprobation à l'encontre de l'augmentation de l'enveloppe budgétaire consécutive à la réforme ; ils ont également annoncé qu'ils resteraient vigilants quant à sa mise en _uvre.

Les trois Etats concernés ont, à l'inverse, déploré la modestie des propositions financières, même si la France a tenté de soutenir une position plus médiane, attachée aux perspectives financières arrêtées à Berlin.

La question budgétaire constitue un volet incontournable de toute négociation au niveau communautaire ; elle risque néanmoins de revêtir une importance particulière dans les perspectives nouvelles que connaît l'Union européenne.

· Les régions ultrapériphériques face aux nouvelles perspectives de l'Union européenne

Il est indubitable que les perspectives d'élargissement de l'Union européenne vont changer la philosophie d'action de la politique communautaire à l'égard des régions ultrapériphériques ; un grand nombre de régions vont ainsi sortir de l'objectif 1 retenu pour l'attribution des fonds structurels, qui se fonde sur le critère d'un revenu moyen par habitant inférieur à 75 % de la moyenne communautaire. Il est ainsi très probable que les Canaries ne relèveront plus de cet objectif en 2006.

La crainte liée à l'élargissement est donc double : les régions ultrapériphériques craignent que les contraintes budgétaires n'incitent à revoir à la baisse les dispositifs actuels, et, également, que la sortie des Canaries des régions relevant d'une politique communautaire spécifique n'isole davantage la France et le Portugal. Les capacités de négociation des pays concernés par les régions ultrapériphériques s'en trouveraient nettement affaiblies ; les tentatives d'autres pays pour s'insérer dans cette logique de région ultrapériphérique ne paraissent pas pour autant pouvoir compenser cette perte : les îles de la mer Egée, pour lesquelles la Grèce a obtenu une extension des aides structurelles, au motif que ces îles périphériques connaissent un handicap du fait de la distance, ne subissent pas les mêmes contraintes et ne relèvent pas de la même problématique que les régions ultrapériphériques.

La cohésion des régions ultrapériphériques risque ainsi, à terme, d'être affectée ; leur capacité de négociation s'en trouverait affaiblie, alors que, dans le même temps, le Groupe interservices, organe de la Commission rattaché directement au Président de la Commission et chargé des questions d'ultrapériphérie, paraît connaître des difficultés d'organisation qui pourrait traduire le retrait de l'engagement de la Commission à l'égard des régions concernées.

L'affaiblissement des régions ultrapériphériques au sein de l'Union européenne coïncide, de plus, avec un isolement accru de ces régions dans leur environnement régional ; la création de la Zone de libre échange des Amériques (ZLEA), qui compte 34 pays, qui inclut les 11 Antilles anglophones, Haïti et les deux anciennes colonies de Guyane, le Guyana et le Surinam, constitue pour les départements français d'Amérique un enjeu supplémentaire et appelle que les membres de l'Union européenne affirment une solidarité sans faille.

Les régions ultrapériphériques risquent ainsi de subir très durement les conséquences des mutations de l'environnement régional et communautaire ; ces conséquences sont d'autant plus prévisibles qu'apparaissent des divergences d'interprétation de l'article 299 § 2.

· Les divergences dans l'application de l'article 299 § 2

Le nouveau plan communautaire pour les régions ultrapériphériques a révélé des divergences d'interprétation entre les pays concernés et la Commission européenne. Les trois Etats-membres considèrent que l'article 299 § 2 doit fonder l'ensemble de la politique communautaire en direction des régions concernées ; cet article, qui reconnaît et énumère les handicaps structurels dont souffrent ces régions, justifie à lui seul des dérogations permanentes et un traitement spécifique.

La commission fait de cet article une lecture plus sélective ; l'article 299 § 2 ne trouverait à s'appliquer que lorsque sont concernées des mesures particulières, réservées exclusivement aux régions ultrapériphériques, telles que, pour les départements d'outre-mer, l'octroi de mer ; pour les autres domaines, qui sont régis par des articles spécifiques en droit communautaire, tels que l'article 161 pour les fonds structurels et l'article 37 pour les mesures agricoles, l'adaptation des politiques aux contraintes des régions ultrapériphériques ne pourrait se faire que sur la base de ces articles spécifiques. Il s'agit là d'une lecture supplétive de l'article 299 § 2, vraisemblablement fondée sur le fait que celui-ci fait état, dans son quatrième alinéa, de la nécessité de ne pas « nuire à l'intégrité et à la cohérence de l'ordre juridique communautaire ».

Il paraît pourtant paradoxal de reconnaître, dans un article spécifique, les nombreux handicaps auxquels doivent faire face les régions ultrapériphériques et ne pas en tirer les conséquences logiques sur l'application d'un droit spécifique.

Le nouveau plan communautaire a ainsi été la première illustration de cette divergence d'appréciation ; la première version des propositions de résolution réformant les fonds structurels (E 1631) ne faisait état que des articles 37 et 161 du Traité instituant la Communauté européenne, laissant sous silence l'article 299 § 2. Les négociations qui ont suivi ont permis d'aboutir à un compromis dans lequel figureraient, dans les visas, à la fois les articles spécifiques aux matières concernées et l'article 299 § 2.

Cette divergence d'interprétation n'est pas que sémantique ; elle comporte des conséquences directes sur les procédures communautaires. En effet, les décisions prises sur la base de l'article 299 § 2 sont prises à la majorité après consultation du Parlement européen ; celles prises en application de l'article 37, concernant les mesures agricoles, exigent une majorité qualifiée tandis que celles qui le sont en application de l'article 161, concernant les fonds structurels, requièrent l'unanimité et l'avis conforme du Parlement européen.

Le risque existe donc, en matière de fonds structurels, qu'une unique référence à l'article 161 ne permette à un Etat membre de bloquer toute dérogation en matière structurelle.

B. LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION DE LA DÉLÉGATION POUR L'UNION EUROPÉENNE

La proposition de résolution adoptée le 3 mai dernier par la Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne exprime, en huit points, les diverses inquiétudes apparues lors des négociations du nouveau plan communautaire en faveur des régions ultrapériphériques.

Elle évoque dans les deux premiers points les enjeux représentés par l'interprétation de l'article 299 § 2 ; il est ainsi rappelé que cet article offre un cadre juridique adapté aux objectifs de la politique communautaire. Il est demandé en conséquence au Gouvernement d'intervenir auprès de la Commission et du Conseil pour que cet article serve de base juridique pour toutes les dispositions spécifiques ainsi que pour l'adaptation des politiques communautaires à destination des régions ultrapériphériques.

Les points 3 et 4 revendiquent la mise en place d'une stratégie globale pour le développement durable de ces régions dans la perspective des prochains élargissements de l'Union européenne ; il est demandé dans cet objectif de lier le plus longtemps possible le sort des sept régions ultrapériphériques, et de réviser les critères d'éligibilité aux fonds structurels.

Les points 5 et 6 réclament une étude d'impact préalable à la mise en place de programmes communautaires spécifiques ainsi qu'un suivi de ces programmes.

Le point 7 demande un accroissement des moyens attribués au Groupe interservices, dont le placement sous l'autorité du Président de la Commission doit être confirmé.

Le dernier point encourage la démarche des autorités régionales pour faire reconnaître auprès des instances communautaires les spécificités des régions ultrapériphériques.

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La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande donc d'adopter la proposition de résolution dont le texte figure ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la déclaration n °26 annexée au traité de Maastricht et l'article 299 § 2 du traité CE,

Vu le rapport de la Commission « Sur les mesures destinées à mettre en _uvre l'article 299 § 2 sur les régions ultrapériphériques de l'Union européenne » (COM (2000) 147 final),

Vu le mémorandum de la France pour la mise en _uvre de l'article 299§2 du traité (10 décembre 1999), ainsi que les mémorandums des gouvernements espagnol et portugais de novembre 1999,

Vu les propositions de règlement du Conseil COM (2000) 774 final/E 1631 et COM (2000) 791 final/E 1647,

Considérant que les régions ultrapériphériques ont bénéficié depuis 1989 de mesures particulières par exemple dans le cadre de l'adaptation des fonds structurels ou des programmes POSEI qui ont eu pour but de pallier le retard dans leur développement économique et social ;

Considérant que ces acquis ne peuvent être remis en cause et que les mesures spécifiques doivent s'inscrire dans la durée, compte tenu de la situation économique et sociale qui reste fragile dans ces régions et de la permanence des handicaps structurels, aux premiers rangs desquels figurent l'insularité et l'éloignement du continent européen, les conditions climatiques et orographiques, la dimension réduite des territoires, donc des marchés locaux ;

Considérant également que le concept d'ultrapériphérie ne peut se confondre avec celui seul de périphérie ou celui seul d'insularité qui concernent des territoires proches du continent européen ;

1. Rappelle que l'article 299 § 2 du traité montre une volonté forte de l'Union européenne d'instituer un cadre juridique adapté et de disposer de moyens efficaces pour sa mise en _uvre, et que cet article comporte des dispositions claires dans leur principe comme dans leurs objectifs ;

2. Demande au Gouvernement d'intervenir auprès de la Commission et du Conseil pour que l'article 299 § 2 serve de base juridique, tant pour les dispositions spécifiques à destination des régions ultrapériphériques, que pour l'adaptation des politiques communautaires à ces mêmes régions ;

3. Juge nécessaire qu'une nouvelle stratégie globale vise le développement durable des régions ultrapériphériques en s'appuyant sur des mesures appropriées et pérennes, et qu'en particulier le sort de ces régions reste lié le plus longtemps possible ;

4. Considère qu'à cet égard, il convient d'examiner les conséquences des prochains élargissements sur le traitement des régions ultrapériphériques et d'imaginer de nouveaux critères d'éligibilité aux fonds structurels qui prennent mieux en compte les spécificités géographiques et économiques ainsi que les handicaps permanents de ces régions ;

5. Souhaite que les programmes communautaires horizontaux comportent dès leur conception une étude d'impact des mesures envisagées sur les régions ultrapériphériques et incluent les adaptations justifiées par leur situation économique et sociale ;

6. Recommande que soit parallèlement mis en place un dispositif régulier d'évaluation des mesures spécifiques en faveur des régions ultrapériphériques afin de mesurer leur impact sur leur développement économique et social ;

7. Estime que le groupe interservices, créé pour garantir que l'Union européenne ne perde jamais de vue la nécessité d'une politique d'adaptation au profit des régions ultrapériphériques, doit, sous l'autorité du Président de la Commission, voir accroître les moyens nécessaires à sa mission ;

8. Encourage la démarche légitime des autorités régionales visant à promouvoir une politique communautaire répondant effectivement aux réalités économiques et sociales des régions ultrapériphériques, et conduite en étroite concertation avec ces autorités régionales dans le respect de la souveraineté des Etats.

1 () Rapport d'information n° 3034 présenté au nom de la Délégation nationale pour l'Union européenne : « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers une nouvelle approche globale plus cohérente ».

2 () Cf. Rapport d'information n° 3034, op. cit.