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le 17 octobre 2001

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N° 3312

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2001.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LES PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION :

1. (n° 3080) DE M. PHILIPPE MARTIN ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES, tendant à la création d'une commission d'enquête sur l'organisation et le déroulement des « Rave Party » non autorisées et plus particulièrement sur leurs implications sur la sécurité et la santé publiques, ainsi que sur l'environnement ;

2. (n° 3257) DE M. JACQUES BLANC, tendant à la création d'une commission d'enquête sur les « Rave Party »,

PAR MME NICOLE FEIDT,

Députée.

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(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.

Ordre public.

La Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : M. Bernard Roman, président ; M. Pierre Albertini, Mme Nicole Feidt, M. Gérard Gouzes, vice-présidents ; M. Richard Cazenave, M. André Gerin, M. Arnaud Montebourg, secrétaires ; M. Léon Bertrand, M. Jean-Pierre Blazy, M. Émile Blessig, M. Jean-Louis Borloo, M. Michel Bourgeois, Mme Danielle Bousquet, M. Jacques Brunhes, M. Michel Buillard, M. Dominique Bussereau, M. Christophe Caresche, M. Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, M. Jean-Yves Caullet, M. Olivier de Chazeaux, M. Pascal Clément, M. Jean Codognès, M. François Colcombet, M. François Cuillandre, M. Henri Cuq, M. Jacky Darne, M. Camille Darsières, M. Francis Delattre, M. Bernard Derosier, M. Franck Dhersin, M. Marc Dolez, M. Renaud Donnedieu de Vabres, M. René Dosière, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Laurence Dumont, M. Renaud Dutreil, M. Jean Espilondo, M. Roger Franzoni, M. Pierre Frogier, M. Claude Goasguen, M. Louis Guédon, Mme Cécile Helle, M. Philippe Houillon, M. Michel Hunault, M. Henry Jean-Baptiste, M. Jérôme Lambert, Mme Christine Lazerges, Mme Claudine Ledoux, M. Jean-Antoine Léonetti, M. Bruno Le Roux, M. Jacques Limouzy, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Jean-Pierre Michel, M. Ernest Moutoussamy, Mme Véronique Neiertz, M. Robert Pandraud, M. Dominique Perben, Mme Catherine Picard, M. Henri Plagnol, M. Didier Quentin, M. Dominique Raimbourg, M. Jean-Pierre Soisson, M. Frantz Taittinger, M. André Thien Ah Koon, M. Jean Tiberi, M. Alain Tourret, M. André Vallini, M. Michel Vaxès, M. Alain Vidalies, M. Jean-Luc Warsmann, M. Kofi Yamgnane.

MESDAMES, MESSIEURS,

Chaque année, des centaines de rassemblements musicaux désignés sous les termes de rave parties ou free parties sont organisés en France, dans des carrières, des clairières, des entrepôts, des friches industrielles désaffectées, des terrains privés, communaux ou militaires. Leur importance est inégale - de quelques dizaines à plusieurs milliers de participants -, mais le succès de la musique « techno », et l'attirance d'une partie de la jeunesse pour les valeurs qui lui sont associées, ne sont pas contestables.

L'organisation d'une manifestation ouverte au public suppose, en principe, qu'un certain nombre de précautions soient prises, notamment pour garantir la sécurité des participants, des conditions d'hygiène acceptables et le respect des biens d'autrui. Le plus souvent, l'autorité administrative s'assure que ces conditions sont bien remplies en imposant aux organisateurs, qui engagent ainsi leur responsabilité, des régimes de déclaration ou d'autorisation préalables. Les événements musicaux ne font pas exception à cette contrainte, qui est prévue par l'ordonnance du 13 octobre 1945 modifiée sur la police des spectacles. Un décret du 31 mai 1997 prévoit également un régime déclaratif pour certaines manifestations récréatives ou culturelles. Pourtant, les rave et a fortiori les free parties bénéficient d'un vide juridique qui leur permet, en raison du nombre limité de participants, de leur caractère non lucratif ou du statut indéterminé de leurs organisateurs, d'échapper à ces obligations. L'autorité administrative est souvent placée devant le fait accompli.

Or, au cours de la période récente, des accidents, parfois mortels, sont survenus à l'occasion de rave ou de free parties. De graves atteintes ont également été portées à des propriétés privées. Ces incidents ont été évoqués dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la sécurité quotidienne : le 26 avril 2001, l'Assemblée nationale a adopté un amendement de M. Thierry Mariani tendant à autoriser la saisie des matériels de sonorisation, pour empêcher l'organisation des manifestations non autorisées.

Cette initiative a mal été perçue par une partie de l'opinion publique et, le 28 juin, en nouvelle lecture, l'Assemblée nationale a finalement renoncé à légiférer, dans l'immédiat, sur cette question. Son rapporteur, M. Bruno Le Roux, réservé dès l'origine, a réaffirmé que, selon lui, le fait d'aborder ce phénomène sous un angle ostensiblement répressif, dans le cadre d'un projet de loi sur la sécurité quotidienne, sans concertation, méconnaissait la dimension culturelle des rave et des free parties. Il recommandait aux pouvoirs publics et aux responsables du mouvement « techno » d'élaborer conjointement un « code de bonne conduite » régissant les lieux de ces rassemblements et les conditions de sécurité à réunir. Il n'excluait pas que la circulaire du 28 décembre 1998, qui prévoit déjà une mobilisation et une implantation des services sanitaires à proximité de ces événements, puisse être modifiée, voire qu'une évolution législative soit envisagée, mais uniquement au terme de cette concertation, dans un climat de compréhension réciproque.

Au cours de l'été, le Gouvernement a effectivement renoué le dialogue avec les organisateurs de rave et de free parties. Plusieurs réunions ont été organisées. Le bilan de ce travail et partant, les éventuelles mesures à mettre en _uvre, seront examinés prochainement par le Parlement, le projet de loi relatif à la sécurité quotidienne étant inscrit à l'ordre du jour des deux assemblées, pour une lecture définitive, au cours de ce mois d'octobre.

Pourtant, sans attendre les conclusions de cette réflexion, deux propositions de résolution ont été déposées, tendant à la création de commissions d'enquête sur les rave et les free parties.

La première, de M. Philippe Martin et plusieurs de ses collègues (n° 3080, 22 mai 2001), propose d'enquêter sur le développement des rave « sauvages », sur leurs conditions d'organisation et de déroulement, ainsi que sur la responsabilité de l'Etat sur les questions d'ordre public, de sécurité et de santé publics.

La seconde, de M. Jacques Blanc (n° 3257, 6 septembre 2001), propose également d'enquêter sur les conditions d'organisation et les conséquences en termes de santé et de sécurité publiques des rave parties non autorisées sur le territoire français. La commission étudierait, en particulier, la responsabilité de l'Etat, et proposerait des solutions pour garantir la sécurité et la santé publiques des participants.

Il convient, en premier lieu, d'examiner la recevabilité de ces propositions de résolution sur le plan juridique.

· Les faits susceptibles de donner lieu à enquête sont déterminés avec précision, comme le stipule l'article 140 du Règlement de notre Assemblée.

· La condition tenant à l'absence de poursuites judiciaires, requise par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, n'est, en revanche, que partiellement satisfaite. Dans deux courriers datés des 21 juin et 20 septembre 2001, la garde des Sceaux a communiqué, en effet, au président de l'Assemblée nationale, les éléments suivants : « Je vous informe que depuis quelques années, à l'occasion de ces rassemblements festifs et musicaux, la Justice est intervenue lorsqu'elle a été saisie d'infractions pénales constatées lors de certaines « rave parties », telles des infractions à la législation sur les stupéfiants. En outre, à la suite de ces rassemblements, les services de police ou de gendarmerie ont pu relever des infractions d'atteintes aux personnes ou aux biens, telles par exemple des dégradations, des infractions aux législations ou réglementations sur le bruit et les nuisances sonores, sur les chiens dangereux, sur les dépôts d'ordures, sur les débits de boissons ». A titre d'exemple, deux procédures d'information judiciaire sont citées par la garde des Sceaux :

-  une procédure suivie au tribunal de grande instance de Bayonne des chefs de facilitation de l'usage de stupéfiants et mise en danger délibéré d'autrui, diligentée à la suite d'un malaise grave d'un participant à une rave party.

-  une procédure suivie au tribunal de grande instance de Montpellier des chefs de non respect de la législation des spectacles, provocation à l'usage de produits stupéfiants, dégradations, rébellion en réunion et avec arme.

Des procédures judiciaires sont donc en cours sur certains des faits qui ont motivé le dépôt des propositions de résolution précitées. Il convient de rappeler, néanmoins, qu'il revient à la seule Assemblée nationale d'apprécier si ces procédures sont de nature à faire obstacle à la création d'une commission d'enquête, et que l'interprétation de ce dernier critère a toujours été relativement souple. Il semble donc difficile de tirer argument de ces seules poursuites judiciaires pour rejeter a priori les demandes de commissions d'enquête qui nous sont présentées, d'autant que le champ d'investigation proposé dépasse celui des procédures précitées.

Toutefois, il appartient aussi à la rapporteure de se prononcer sur l'opportunité de ces initiatives.

Certes, il n'est pas contestable que l'organisation des rave et des free parties soulève, parfois, des difficultés : la sécurité des participants et le respect des riverains ne doivent pas être négligés. Mais, comme on l'a vu, dans ce domaine, la concertation doit précéder la prise de décision : la spécificité de ces événements est aisément perceptible et il convient de prendre en compte l'aspiration de la jeunesse pour certaines formes de liberté et de spontanéité culturelles. Au demeurant, il n'est pas anormal, au XXIe siècle, dans une démocratie moderne, de consulter et d'associer les citoyens aux décisions qui les concernent.

Dans ce contexte, les propositions de résolution nos 3080 et 3257 semblent surtout obéir à des considérations politiciennes : elles visent à contraindre l'Assemblée nationale à se prononcer de nouveau sur la difficile question des rave et des free parties, sans attendre l'issue des discussions en cours ni même la lecture définitive du projet de loi sur la sécurité quotidienne ; elles cherchent à « souffler sur les braises », c'est-à-dire à créer des tensions entre la jeunesse et les pouvoirs publics, en espérant que le climat de désordre qui en résultera profitera à l'opposition parlementaire... Encore une fois, la procédure du dépôt d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est détournée de son objet.

Récusant ces pratiques qui relèvent davantage de la « politique du pire » que d'une action responsable au service de l'intérêt général, la rapporteure vous invite à rejeter les propositions de résolution nos 3080 et 3257.

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Plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

Contestant l'affirmation de la rapporteure selon laquelle le dépôt de ces propositions de résolution relèverait de la « politique du pire », M. Francis Delattre a fait observer que, loin d'être des mouvements spontanés, les rave ou les free parties ont souvent les mêmes organisateurs, qu'elles donnent lieu à un véritable commerce de la drogue et que les associations sportives ou culturelles acceptent mal que ces rassemblements, au motif qu'ils rencontrent un vif succès dans la jeunesse, puissent échapper aux règles habituellement imposées pour l'organisation de manifestations ouvertes au public. Jugeant, au demeurant, anormal qu'il incombe aux petites communes d'assurer la sécurité et la salubrité du déroulement de ces manifestations, il a souhaité que le Parlement ait le courage de légiférer, afin de ne pas accréditer l'idée que ces rassemblements bénéficient d'un régime dérogatoire.

Approuvant la position de la rapporteure, M. Jean-Pierre Dufau a souligné qu'il ne s'agissait pas, en rejetant ces propositions de résolution, de méconnaître la réalité des problèmes soulevés par les rave parties, mais de ne pas souscrire à une démarche qu'il a qualifiée de « provocante » alors qu'une concertation est engagée afin d'apporter des réponses satisfaisantes à cette question.

Contestant vivement l'idée selon laquelle ces propositions de résolution auraient des visées politiciennes, M. Louis Guédon a souligné combien la question des rave parties préoccupe aujourd'hui l'opinion publique, faisant observer que celle-ci est sensible aux dangers que ces rassemblements peuvent représenter pour les jeunes, notamment en raison du commerce de drogues qui s'y développe. Sans nier l'utilité de privilégier une démarche de concertation sur cette question, il a fait observer qu'une commission d'enquête parlementaire n'était en rien assimilable à des investigations policières et serait probablement de nature à permettre une meilleure compréhension d'un phénomène qui touche l'ensemble des familles.

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Conformément aux conclusions de la rapporteure, la Commission a rejeté les propositions de résolution nos 3080 et 3257.

3312 - Rapport de Mme Nicole Feidt (commission des lois) sur les propositions de résolution : commission d'enquête sur les ordre-party -sécurité publique-