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TEXTE ADOPTÉ no 367

" Petite loi "

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

ONZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

26 octobre 1999

RÉSOLUTION

sur la préparation de la Conférence ministérielle
de l'
OMC à Seattle (COM [1999] 331 final/n° E 1285).

Est considérée comme définitive, en application de l'article 151-3 du Règlement, la résolution dont la teneur suit :

Voir les numéros : 1825 et 1834.

Politiques communautaires.

Article unique

L'Assemblée nationale,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la communication de la Commission européenne au Conseil et au Parlement européen du 8 juillet 1999 relative à l'approche de l'Union européenne en vue du cycle du millénaire de l'Organisation mondiale du commerce (COM [1999] 331 final/n° E 1285),

Vu l'avis 1/94 du 15 novembre 1994 de la Cour de justice des Communautés européennes qui établit un partage de compétences entre l'Union européenne et ses Etats membres pour conclure des accords internationaux en matière de commerce de marchandises et de services et de protection de la propriété intellectuelle,

Vu l'Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), auquel sont annexés les différents accords concluant les négociations commerciales du cycle d'Uruguay, signé le 15 avril 1994, dont la ratification a été autorisée par la loi n° 94-1137 du 27 décembre 1994, et entré en vigueur le 1er janvier 1995,

Vu les déclarations ministérielles de l'OMC adoptées par la Conférence ministérielle de Singapour le 13 décembre 1996 et par la Conférence ministérielle de Genève le 20 mai 1998,

Vu la déclaration de l'Organisation internationale du travail (OIT) relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, adoptée par la Conférence internationale du travail à sa 86e session à Genève le 18 juin 1998,

Vu les cent quatre-vingts accords multilatéraux sur l'environnement, dont une vingtaine comporte des dispositions restreignant la liberté des échanges,

Vu les conclusions des Conseils européens de Berlin des 24 et 25 mars 1999 sur l'Agenda 2000 et de Cologne des 3 et 4 juin 1999 sur l'OMC,

Considérant que l'article 20 de l'accord sur l'agriculture et l'article XIX de l'accord général sur le commerce des services de l'Accord de Marrakech disposent que devront commencer en janvier 2000 de nouvelles négociations commerciales sur l'agriculture et sur les services ;

Considérant que l'article III, alinéa 2, de l'accord instituant l'OMC, qui stipule que " l'OMC pourra aussi servir d'enceinte pour d'autres négociations entre ses membres au sujet de leurs relations commerciales multilatérales, (...) selon ce que la Conférence ministérielle pourra décider ", autorise l'inclusion d'autres sujets dans le futur cycle de négociations ;

Considérant que la Conférence ministérielle de l'OMC, qui se réunira à Seattle (Etats-Unis d'Amérique) du 30 novembre au 3 décembre 1999, déterminera le contenu du prochain cycle et les modalités de ces négociations commerciales ;

Considérant que la mondialisation de l'économie, dont l'OMC n'est pas la cause, a des conséquences croissantes sur l'emploi, la répartition sociale et territoriale des richesses, le développement, l'environnement, lasécurité sanitaire et alimentaire et la diversité culturelle ;

Considérant que l'augmentation du commerce mondial a certes été positive pour ceux des pays qui y ont participé mais a creusé l'écart avecles autres, aggravant ainsi leur paupérisation ;

Considérant aussi qu'au sein même des pays bénéficiaires, des secteurs économiques ont gravement souffert et souffrent encore des effets négatifs de l'intensification des échanges ;

Considérant la légitime aspiration, individuelle et collective, des citoyens en matière d'information et de participation à des négociations dont l'incidence sur leur activité professionnelle, leur mode de vie et leur environnement culturel est déterminante ;

Considérant que les intégrations économiques régionales, qui ont leur valeur propre et ont tendance à se multiplier, doivent concourir à la constitution d'un monde multipolaire ;

Considérant que la place de l'Union européenne sur la scène internationale en termes de poids économique et d'échanges commerciaux extérieurs, comme en termes de valeurs sociales et culturelles, doit lui faire jouer un rôle de premier plan dans le rééquilibrage des relations économiques internationales ;

Considérant en conséquence que l'ouverture d'un nouveau cycle de négociations à l'OMC doit donner lieu à un renforcement des règles multilatérales, seules garantes de la maîtrise de la libéralisation des échanges ;

I. - AU REGARD DU CADRE GÉNÉRAL DES NÉGOCIATIONS

1. Soutient le renforcement des principes fondamentaux de l'OMC, laquelle constitue un cadre multilatéral de relations intergouvernementales qui rejette tout unilatéralisme et se fonde non pas sur des rapports de force mais sur des règles de droit claires, équitables et acceptées par tous et qui doit établir un équilibre entre la régulation et la libéralisation des échanges commerciaux ; souhaite en outre que l'OMC devienne réellement universelle, avec l'adhésion notamment de la Chine et de la Russie, rende son fonctionnement plus transparent, par une diffusion des documents en cours de négociation et par l'association des organisations non gouvernementales (ONG), et réforme sa procédure de règlement des différends, afin de la rendre plus transparente et donc plus impartiale et plus efficace ;

2. Regrette l'absence de bilan global de l'Accord de Marrakech, tant au niveau de la mise en _uvre de ses disciplines que de ses incidences, positives comme négatives, pour tous les membres de l'OMC, sur l'activitééconomique, l'emploi et le développement durable ; demande que la Commission européenne présente au Conseil un tel bilan, une première fois avant l'ouverture du nouveau cycle de négociations et, à l'avenir, de façon périodique en fonction des principales échéances de l'OMC ;

3. Approuve le fait que, dans les prochaines négociations, une priorité soit accordée aux pays en voie de développement afin de les aider à s'intégrer au système commercial international ; demande que la classification des pays en voie de développement distingue les pays émergents des pays les moins avancés, sachant que ces derniers doivent se voir accorder le traitement spécial et différencié prévu à la partie IV del'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), notamment par toute forme d'assistance à la mise en _uvre des accords, des mesures douanières préférentielles et des dérogations ou des délais d'application ; approuve en ce point la proposition de la Commission européenne d'aboutir à une décision, dès la Conférence de Seattle, pour l'octroi d'une franchise de droits sans réciprocité aux produits des pays les moins avancés ;

4. Approuve le principe, défendu par la Commission européenne, de l'ouverture d'un cycle complet de négociations qui inclue non seulement l'agriculture et les services - sous réserve d'un mandat particulièrement ferme sur les moyens de la sécurité sanitaire et alimentaire et sur le respect de la diversité culturelle et des services publics non marchands - constitutifs de " l'agenda incorporé " de Marrakech, mais aussi les droits de douanes sur les produits industriels, la propriété intellectuelle, les marchés publics, les obstacles techniques aux échanges et les " nouveaux sujets " qu'il est nécessaire de lier au commerce international, comme les normes fondamentales du travail et l'environnement, mais aussi l'investissement et le droit de la concurrence, par exemple, à défaut desquels on ne pourrait aboutir à un accord équilibré et profitable à tous les membres de l'OMC ; approuve également le principe d'un " engagement unique ", selon lequel rien ne sera décidé tant qu'il n'y aura pas d'accord sur l'ensemble des questions abordées, refusant ainsi tout accord partiel avant la fin du cycle de négociations; admet néanmoins la possibilité évoquée par la Commission européenne d'aboutir à des décisions ponctuelles dès la conférence ministérielle de Seattle, pour autant qu'un consensus existe et que ces décisions ne préjugent pas des négociations du futur cycle; considère que la durée de trois ans préconisée par la Commission européenne pour ce cycle ne doit pas constituer une date butoir s'il s'avérait que son respect pouvait porter préjudice au contenu même des accords ;

5. Approuve, dans la perspective d'une intégration institutionnelle dans le système de l'ONU, le fait que l'OMC renforce sa coopération avec les autres organisations internationales - Fonds monétaire international (FMI), Banque mondiale, Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED), Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Organisation des Nations uniespour l'alimentation et l'agriculture (FAO), Organisation mondiale de la santé (OMS), Organisation internationale du travail (OIT), Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), Organisation mondiale desdouanes (OMD)... - pour envisager les relations économiques internationales dans toutes leurs dimensions ; précise qu'il incombe à chacune de ces organisations internationales d'édicter des normes dans sondomaine de compétence respectif ; estime donc que l'OMC n'a vocation à élaborer des règles que dans le domaine du commerce international, mais qu'elle doit, dans sa procédure de règlement des différends, en complément de ses règles propres, faire application des règles définies par les autres organisations internationales pour autant qu'il s'agisse de problèmes liés à l'échange international ;

6. Souligne l'importance majeure pour l'Union européenne de mieux se faire comprendre des pays en voie de développement, et en particulier des pays les moins avancés, sur sa conception de l'échange international, respectueuse des différences, et, dans cette acception, de l'utilité de l'OMC pour favoriser leur développement durable ;

II. - AU REGARD DE L'AGRICULTURE ET DES SERVICES (" L'AGENDA INCORPORÉ ") ET DES DROITS DE DOUANES INDUSTRIELS

7. Demande que, dans le domaine agricole, la politique agricole commune réformée constitue le mandat de négociation de la Commission européenne, ce mandat ayant pour objectif le maintien de la préférence communautaire, du revenu agricole et de la capacité exportatrice de l'agriculture européenne ; estime nécessaire à cette fin que les quinze Etats membres de l'Union européenne maintiennent l'unité de vues dont ils ont su faire preuve lors du Conseil européen de Berlin sur l'Agenda 2000 ; estime que l'Union européenne doit avoir une attitude résolument offensive pour obtenir :

- la pleine reconnaissance du principe de multifonctionnalité de l'agriculture, qui caractérise une agriculture productrice de biens, actrice de l'aménagement du territoire et des paysages ruraux, garante du maintien de l'emploi et de la protection de l'environnement comme de la sécuritésanitaire de l'alimentation, et qui est donc un élément essentiel du modèle agricole européen,

- le renforcement des normes internationales de sécurité sanitaire etalimentaire, définies dans le cadre de l'OMS et de la FAO, et la reconnaissance du principe de précaution fondé sur l'inversion de la charge de la preuve pour les produits pouvant comporter des risques,

- le réexamen du statut dérogatoire dont bénéficient les pays émergents afin de réserver le traitement spécifique et différencié aux pays les moins avancés,

- la reconnaissance des aspirations des consommateurs en matière de qualité et de diversité de l'alimentation, reflet de la diversité culturelle ;

- la prise en compte, dans le champ des négociations, de pratiques restrictives ou à visées commerciales de nos partenaires, en particulier des Etats-Unis, comme les modalités contestables de certaines formes d'aide alimentaire et le recours abusif aux crédits à l'exportation des produits agricoles, ou encore, dans d'autres cas, l'existence de sociétés commerciales d'Etat disposant de droits exclusifs à l'exportation ;

8. Demande que l'Union européenne approfondisse, dans le cadre de la FAO par exemple, le dialogue avec les pays en voie de développement, en particulier les pays les moins avancés, sur la base d'objectifs communs d'indépendance alimentaire, de sécurité d'approvisionnement et de régulation des marchés agricoles mondiaux ;

9. Demande que l'Union européenne érige en priorité la promotion de la diversité culturelle; demande instamment qu'en ce domaine des régles spécifiques, débattues par exemple dans l'enceinte de l'UNESCO, continuent à être appliquées à l'audiovisuel et aux autres services culturels, quel que soit leur support physique, afin de permettre le développement de politiques nationales ou communautaires de soutien ;

10. Souhaite qu'en matière de services, secteur dans lequel l'Union européenne et la France disposent d'avantages comparatifs certains, soit négociée une ouverture des marchés des pays tiers aussi large que celle existant actuellement pour le marché communautaire, sous réserve d'une attention particulière à des secteurs sensibles comme l'énergie, lestransports, les services postaux et de dispositions spécifiques pour les pays les moins avancés ;

11. Accepte, en matière industrielle, de nouvelles négociations pour abaisser les droits de douane, dans le but de rapprocher les niveaux moyens de protection des pays tiers du tarif douanier commun et de supprimer les " pics tarifaires " encore existants, tout en soulignant la nécessité de rester attentifs à la situation de nos secteurs à forte intensité de main-d'_uvre comme le textile et l'habillement ; souhaite aussi que l'OMC, en liaison avec l'OMD, poursuive les négociations visant à réduire les obstacles non tarifaires au commerce ;

III. - AU REGARD DES " NOUVEAUX SUJETS " DE NÉGOCIATION : LES LIENS ENTRE COMMERCE ET NORMES FONDAMENTALES DU TRAVAIL, ENVIRONNEMENT, INVESTISSEMENT ET DROIT DE LA CONCURRENCE

12. Souhaite que l'Union européenne joue un rôle moteur afin de convaincre les pays membres de l'OMC, et en particulier les pays en voie de développement, de la nécessité d'un lien entre les questions commerciales et les normes fondamentales du travail ainsi que les aspirations sociales à de meilleures conditions de vie et de travail ; demande que le Conseil, revenant sur le manque d'ambition de la Commission européenne, qui appelle certes à une coopération renforcée entre l'OMC et l'OIT mais se place en deçà despositions affichées par le Conseil européen de Cologne, lui donne mandat pour solliciter au sein de l'OMC la création d'un groupe de travail sur les liens entre le commerce et les normes fondamentales du travail ; demande instamment que l'Union européenne transmette le plus rapidement possible au secrétariat de l'OMC une communication exposant ces vues sur les normes fondamentales du travail pour préparer la Conférence de Seattle ;

13. Approuve la poursuite des négociations relatives au lien entre le commerce et l'environnement, en liaison avec le PNUE rénové, afin d'intégrer l'impératif de développement durable dans tous les accords de l'OMC dans le cadre d'une interprétation large de l'article XX de l'accord GATT ; demande que l'OMC applique, dans sa procédure de règlement des différends, les règles contenues dans les accords multilatéraux sur l'environnement ;

14. Approuve la poursuite de négociations relatives aux liens entre commerce et droit de la concurrence, afin de préparer, éventuellement dans une enceinte internationale qui reste encore à créer, l'élaboration d'un cadre réglementaire destiné à enrayer les pratiques de plus en plus fréquentes telles que les abus de positions dominantes, les ententes illicites ou les concentrations monopolistiques, qu'elles soient nationales ou multinationales ;

15. Approuve l'ouverture de négociations en vue d'établir un cadre multilatéral des investissements directs étrangers, qui, à l'inverse du projet d'accord multilatéral sur l'investissement (AMI), porte remède au manque de sécurité et de lisibilité des contextes locaux, qui intègre les préoccupations des pays en voie de développement, et en particulier les moins avancés d'entre eux, favorise le développement durable, affirme la capacité des Etats à réglementer l'activité, sur leurs territoires, des investisseurs, et précise les devoirs de ces derniers ;

IV. - AU REGARD DU SUIVI DES NÉGOCIATIONS

16. Souligne l'importance pour l'Union européenne de constituer autour d'elle un réseau d'alliances incluant le plus grand nombre possible de partenaires, avec une attention particulière pour les PECO (pays d'Europe centrale et orientale), les pays européens non communautaires, les pays méditerranéens, les pays ACP (groupe des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique), le MERCOSUR (Marché commun du Sud), l'ASEM (Sommet euro-asiatique) et, plus généralement, les pays en voie de développement ;

17. Souhaite qu'en application de l'article 133 du traité instituant les Communautés européennes, le Conseil de l'Union européenne donne à la Commission européenne un mandat de négociation clair et précis pourparticiper à la Conférence de Seattle, demande qu'au vu de la déclaration ministérielle qui sera adoptée à Seattle, le Conseil adopte des mandats de négociation précis qui guideront l'action de la Commission européenne tout au long du futur cycle ;

18. Souhaite qu'en application de l'article 88-4 de la Constitution, le Gouvernement soumette à l'Assemblée nationale, avant leur adoption par le Conseil, les propositions de mandats de négociation qui auront ainsi été élaborées par la Commission européenne ;

19. Demande que le Gouvernement tienne l'Assemblée nationale régulièrement informée, et au moins une fois par an, du déroulement de ces négociations, au travers de ses organes compétents et notamment de sa Délégation pour l'Union européenne.

A Paris, le 26 octobre 1999.

Le Président,

Signé : Laurent FABIUS.