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Commission des affaires européennes

mardi 11 janvier

17 h 30

Compte rendu n° 182

Présidence de M. Pierre Lequiller Président

I. Communication de Mme Marietta Karamanli sur les déchets électriques (document E 4191)

II. Examen du rapport d’information de M. Yves Bur sur les droits fondamentaux en Europe

III. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

IV. Informations relatives à la Commission

COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES

Mardi 11 janvier 2011

Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission

La séance est ouverte à 17 h 30

I. Communication de Mme Marietta Karamanli sur les déchets électriques (document E 4191)

Le Président Pierre Lequiller. Je vous souhaite à tous une bonne année. Au plan européen, celle-ci va être chargée, notamment en ce qui concerne la gouvernance économique. Le Président de la République et la Chancelière Angela Merkel ont déclaré lors du dernier sommet franco-allemand de Fribourg qu’il fallait « aller plus loin » dans ce domaine, au-delà des décisions déjà prises par le Conseil européen, afin de faire progressivement converger les économies. C’est un vaste chantier, absolument prioritaire.

Beaucoup d’autres « chantiers » sont en cours au niveau de l’Union. Notre Commission est engagée sur les principaux sujets d’actualité : réforme du marché intérieur, évolution de la régulation financière, discussion des prochaines perspectives financières et question des ressources propres, suivi du G20, avenir de la PAC, mise en place du service d’action extérieure, évolution vers une politique industrielle, question des brevets, poursuite des négociations sur le changement climatique, réforme de la politique de la pêche, etc.

Beaucoup d’auditions importantes sont également prévues dans les prochaines semaines. Je vous signale notamment celles de M. Gérard Mestrallet le 19 janvier, Mme Christine Lagarde le 2 février, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet le 15 février, M. Alain Juppé le 16 février.

La Commission fera aussi prochainement plusieurs déplacements, notamment une mission franco-allemande en Croatie la semaine qui vient et un déplacement à Varsovie pour la prochaine réunion du Triangle de Weimar, probablement en avril.

*

* *

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Après vous avoir présenté une première communication sur la proposition de directive relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) en octobre dernier, j’ai souhaité procéder à des auditions complémentaires. Le Parlement européen devant se prononcer en première lecture début février sur la proposition, il m’a paru opportun de revenir sur cette question aujourd’hui. Au Conseil, un accord politique est envisagé sous présidence hongroise.

La directive de 2003 actuellement en vigueur vise à prévenir la production de déchets d’équipements électriques et électroniques et organiser la collecte et le recyclage de façon spécifique. Elle pose le principe de la responsabilité du producteur de l’équipement, par exception au principe général de responsabilité du détenteur du déchet. La Commission européenne propose la refonte de cette directive afin de remédier aux insuffisances juridiques, techniques et administratives, responsables selon elle de résultats insuffisants en matière de collecte et de recyclage des DEEE dans l’Union européenne.

Plusieurs difficultés, que j’avais évoquées dans ma communication d’octobre dernier, concernent :

- les déchets couverts par le champ d’application : le Conseil est divisé, certains Etats, dont la France, étant favorables à un champ d’application ouvert, tous les déchets sauf ceux expressément exclus , d’autres préférant un champ fermé, la liste des déchets étant alors annexée à la proposition.

- les objectifs de collecte : la Commission propose de porter ce taux d’ici 2016 à 65 % des équipements mis sur le marché au cours des trois précédentes années. Une majorité d’Etats membres juge l’objectif irréaliste, ce qui a conduit la présidence belge à proposer une approche par étapes. La France est favorable à l’objectif de 65 %, tout en soulignant que des moyens supplémentaires devraient être disponibles pour les producteurs.

La proposition vise également à relever de 5 % les taux de recyclage et de valorisation de la directive actuelle. Afin d'encourager le réemploi, des objectifs de recyclage associés à la réutilisation sont fixés.

Je tiens à cet égard à souligner, et il s’agit d’une remarque qui s’applique à l’ensemble de la problématique des déchets, que l’éco-conception des produits doit être une priorité, de façon à permettre le réemploi et le recyclage et à limiter l’impact sur l’environnement.

Sur la définition du producteur, la Commission européenne prévoyait d’adopter une définition communautaire, c’est-à-dire de prendre en compte le premier « metteur au marché » au niveau de l’Union européenne alors qu’actuellement une définition nationale s’applique : le producteur est le premier « metteur au marché » sur le territoire national, producteur ou importateur. Le Conseil s’y est opposé, en raison des difficultés de contrôle que cela entraînerait. En outre, la définition du producteur au niveau européen pourrait créer un décalage entre les sommes perçues dans les Etats membres, les objectifs de collecte et les besoins de financement effectifs pour le traitement des DEEE sur le territoire national, certains Etats pouvant alors faire le choix de pratiquer un « dumping » à l’éco-participation, ce qui menacerait la réalisation des objectifs de collecte européens.

La Commission proposait parallèlement de rendre les registres nationaux interopérables, afin de permettre la surveillance des activités des producteurs et des quantités de déchets sur l’ensemble du territoire de l’Union mais, compte tenu de la situation actuelle, les Etats membres ont marqué leur préférence pour des registres nationaux par crainte d’une perte de fiabilité des données.

Le Parlement européen doit se prononcer en première lecture la première semaine de février. La commission de l’environnement a adopté en juin 2010 plusieurs amendements proposés par le rapporteur, M. Karl-Heinz Florenz. Les députés européens ont notamment proposé de porter l’objectif de collecte d’ici 2016 à 85 %. Ils se sont prononcés en faveur d’une définition du producteur au niveau de l'Union européenne.

D’autre part, le rapport de la commission de l’environnement du Parlement européen prévoit que les quantités de déchets collectées seront déclarées par tous les acteurs de la collecte. Cela signifie que les déchets collectés par les ferrailleurs seraient pris en compte dans les objectifs généraux, alors que leurs activités ne répondent pas aux exigences de dépollution. Plus globalement, il convient de prévenir les fuites de déchets hors des filières agréées et on peut regretter que cette question ne soit pas abordée dans la proposition de directive, notamment pour empêcher que ces déchets ne soient ensuite exportés clandestinement vers les pays en développement, alors même que l’Union européenne a approuvé l’interdiction de l’exportation de déchets dangereux vers ces pays, dans le cadre de la convention de Bâle.

Parmi les dispositions adoptées par la commission de l’environnement du Parlement européen, l’une me paraît poser problème : il s’agit de la suppression de la « contribution visible ». La proposition de directive prévoit de maintenir la possibilité pour les Etats membres d’afficher séparément du prix des produits les coûts de collecte et de recyclage des déchets électriques et électroniques, qui était prévue à titre transitoire dans la directive de 2003. Cette possibilité d’affichage avait été justifiée dans la directive de 2003 par l’existence d’un stock d’équipements dits « historiques », mis sur le marché avant l’entrée en vigueur de la réglementation. Huit Etats membres ont utilisé cette possibilité. En France, la contribution visible est appliquée depuis novembre 2006. Elle répercute intégralement l’éco-contribution versée par les producteurs à l’éco-organisme auquel ils ont choisi d’adhérer, et qui a la charge de l’enlèvement et du traitement des déchets d’équipements électriques et électroniques. Le montant de l’éco-contribution est fixé par les éco-organismes.

Quels sont les avantages de ce système ? Tout d’abord la contribution visible permet d’informer les consommateurs sur l’existence d’une filière de collecte et de recyclage des DEEE et sur les coûts de fin de vie du produit qu’ils achètent. De plus, elle constitue une base pour le financement de la filière. Le Sénat a adopté un amendement à la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit tendant à maintenir la contribution visible jusqu’en 2013 pour tous les équipements, dans l’attente de l’adoption de la directive.

Mme Odile Saugues. Le traitement des déchets est un sujet très important, il y a urgence à agir. Mais de quelle façon appliquer ce futur système aux pays dans lesquels la collecte n’est même pas assurée de manière régulière – je pense au Sud de l’Italie, où les liens entre ces circuits et la mafia sont connus – et qui sont le point de départ de « fuite » de ces déchets vers des pays en voie de développement ? Cette directive est certainement nécessaire, mais comment assurer son application dans des pays ne pratiquement pas correctement la collecte ?

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Je n’ai pas de réponse directe à cette question. Les objectifs européens sont ambitieux mais il convient d’en assurer le contrôle effectif. C’est tout le problème des filières clandestines en matière de déchets. Des pays deviennent de véritables « poubelles ». Il faut assurer le recyclage et le traitement mais aussi agir sur la conception même des produits, afin d’avoir des produits moins polluants.

M. Pierre Forgues. Pourquoi la commission de l’environnement du Parlement européen préconise-t-elle la suppression de l’affichage du coût du recyclage ? Cette visibilité du coût a une vertu pédagogique indéniable ! S’agissant du problème de la définition du producteur au niveau européen ou national, quelle serait la différence ? Le « producteur » n’est-il pas nécessairement celui qui fabrique le produit ? Quant au champ d’application, je suis favorable à ce qu’il soit ouvert. Il faut éviter de baser le système sur des listes. J’observe d’ailleurs que ces questions, au-delà des déchets électriques et électroniques, concernent tous les secteurs de l’industrie. J’en prends pour exemple la question, qui correspond à des préoccupations concrètes pour ma circonscription, de la déconstruction des avions, qu’il est très difficile de financer et de mener dans les conditions les plus « écologiques » possible.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. La notion de producteur désigne au sens de la directive le « metteur au marché », qu’il s’agisse du producteur ou de l’importateur. S’agissant de l’affichage du coût, les habitudes sont variables selon les pays, par exemple il n’est pas pratiqué en Allemagne.

M. Yves Bur. Le paragraphe 6 des propositions de conclusions constitue-t-il simplement un vœu, ou traduit-il une action déjà engagée au niveau européen ? C’est bien en amont qu’il faut favoriser le recyclage.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. La directive relative aux déchets place la prévention au premier rang des priorités, et fait référence à ce titre à la conception écologique des produits. Il faut vraiment insister sur la prise en compte de ces considérations d’éco-conception au moment de la fabrication des produits, afin de réaliser des économies importantes au moment de leur recyclage.

M. Bernard Deflesselles. La révision de la directive de 2003 apparaît nécessaire à tous. Ne pourrait-on être plus « directifs » dans la formulation du paragraphe 4 des conclusions, en exprimant le regret que le problème de la fuite des déchets ne soit pas pris en compte et en demandant qu’il le soit ? D’autre part, la rapporteure indique que la France, favorable à l’objectif de 65 %, souhaite que des « moyens supplémentaires » soient accordés dans ce but aux producteurs ; pourriez-vous préciser cet élément ?

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. La France et d’autres pays réclament des moyens supplémentaires pour aider les producteurs. La France a proposé de créer une obligation de remise des déchets aux producteurs à partir des points de collecte. Il est nécessaire en effet d’accompagner les filières. Nous ne disposons pas à ce stade d’estimations chiffrées de ces besoins.

M. Bernard Deflesselles. Il conviendrait en tout cas de mentionner ce point dans les conclusions.

M. Marc Laffineur. S’agissant du point 4 des conclusions relatif à la question des fuites de déchets hors des filières agréées, en particulier parce qu’elles peuvent être liées à des exportations clandestines vers des pays en développement, y a-t-il un moyen de savoir ce que cela représente ? Il doit être très difficile de disposer d’estimations pour ces filières, les produits étant revendus illégalement.

Mme Marietta Karamanli, rapporteure. Nombre de ferrailleurs non agréés récupèrent effectivement les déchets électriques et électroniques.

M. Pierre Forgues. Pour un avion, dans le cas où une pièce est susceptible d’être réutilisée, elle doit d’abord être vérifiée par un contrôleur agréé par le constructeur avant sa remise sur le marché.

Puis, sur proposition de la rapporteure, la Commission a adopté les conclusions suivantes :

« La Commission,

Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) (Refonte) (COM (2008) 810 final/n° E 4191),

1. Approuve l’objectif d’amélioration du fonctionnement du système de collecte et de recyclage des déchets d’équipements électriques et électroniques de la proposition de directive ;

2. Souligne la nécessité de définir un champ d’application ouvert pour permettre la réalisation de cet objectif ;

3. Soutient l’objectif de collecte défini dans la directive mais estime nécessaire de prévoir des moyens supplémentaires pour les producteurs ;

4. Est favorable au maintien d’une définition du producteur au niveau national, afin d’éviter toute difficulté d’application, tout en soulignant que les modalités du passage à une définition au niveau de l’Union européenne devraient être préparées ;

5. Regrette que la question des fuites de déchets hors des filières agréées ne soit pas prise en compte dans la proposition de directive, en particulier parce qu’elles peuvent être liées à des exportations clandestines vers des pays en développement et demande que des dispositions soient adoptées pour remédier à ce problème ;

6. Approuve la prolongation de la possibilité d’affichage distinct du prix des produits des coûts de collecte et de recyclage des déchets électriques et électroniques, qui permet une information des consommateurs sur l’existence d’une filière spécifique et garantit son financement ;

7. Rappelle aussi la nécessité de favoriser l’éco-conception des produits et quand cela est possible la réutilisation des matériels, et ainsi économiser les matières premières et l’énergie. »

II. Examen du rapport d’information de M. Yves Bur sur les droits fondamentaux en Europe

M.  Yves Bur, rapporteur. L’actualité nous en fournit malheureusement souvent la preuve, la protection des droits de l’homme est un combat sans répit, qui exige une détermination et une vigilance sans faille. Ainsi, sur les ruines de la barbarie du premier XXème siècle, la construction européenne a arrimé son destin à celui de la promotion des libertés et des principes inhérents à la dignité humaine. C’est depuis 1949 la vocation du Conseil de l’Europe, la « première » tentative d’édification d’une Europe unie. Mais c’est aussi une dimension essentielle de l’Union européenne, héritière de la « seconde » édification européenne de 1951, et qu’on aurait tort de croire, sous la pression de la crise et des replis identitaires, à l’abri des répugnantes tentations des extrémismes.

Dans ce contexte, il faut avoir à l’esprit l’une des innovations les plus importantes, mais malheureusement l’une des plus discrètes, du traité de Lisbonne. Forgeant de nouvelles armes sur le front des droits de l’homme, notre nouveau traité a en effet doté l’Union d’un arsenal de protection des droits et des principes fondamentaux d’une exceptionnelle qualité.

Il a en particulier accordé une valeur juridique équivalente à celle des traités à la Charte des droits fondamentaux proclamée à Nice en décembre 2000.

La portée de ce progrès doit certes être nuancé. Loin de toute rupture juridique, la Charte s’intègre dans une longue tradition respectueuse des droits de l’homme. Si la construction européenne a longtemps déployé ses racines dans les domaines économiques, ses juges de Luxembourg ont tôt veillé à soumettre les actes européens à de nombreux « principes généraux du droit », communs à tous les Etats membres, qu’ils ont progressivement identifiés. Le traité de Maastricht a figé cette jurisprudence dans le marbre des traités. Puis le traité d’Amsterdam, soumettant les pays candidats à une exigence d’irréprochabilité sur les droits de l’Homme, a introduit à l’encontre des Etats coupables d’une violation « grave et persistante » des valeurs européennes des sanctions rigoureuses, allant jusqu’à la privation des droits de vote, mais improbables, car soumises à l’unanimité.

Par ailleurs, la Charte ne crée aucun nouveau droit ex nihilo. Elle constitue à l’inverse une cristallisation des principes déjà consacrés dans les traditions et les textes antérieurs communs à tous les Etats membres.

Enfin, les droits et les principes qu’elle proclame ne s’imposent qu’aux institutions de l’Union et aux Etats membres seulement lorsqu’ils appliquent le droit européen, et non lorsqu’ils exercent leurs compétences nationales.

Ces réserves relatives à la portée des innovations introduites par le traité de Lisbonne ne doivent pas pour autant éclipser les deux principaux apports de la Charte.

Tout d’abord, pour la première fois dans l’Histoire, se trouvent rassemblés dans un seul document, aisément lisible et accessible, un ensemble ambitieux de droits civils, politiques, économiques et sociaux actualisés aux évolutions les plus récentes.

L’énoncé des droits civils et politiques modernisent ainsi les droits garantis par la Convention européenne des droits de l’homme en introduisant les droits dits de « nouvelle génération » : droit à l’intégrité physique et mentale, notamment face au clonage et à la médecine, droit à la protection des données personnelles, droits des consommateurs et des enfants.

La Charte égrène ensuite des droits économiques et sociaux très ambitieux, allant du droit syndical au droits d’accès aux services de l’emploi et à la sécurité sociale en passant par l’aide au logement ou le droit à des services sociaux. Certes, ces droits ne sont pas directement opposables aux autorités publiques. Cependant leur respect s’imposera dans les actes européens qui tendent à les concrétiser, les juges étant invités à leur donner un poids réel lorsque des recours mettent en balance des normes qui leur sont antagonistes.

C’est d’ailleurs le destin des déclarations des droits de l’homme, et la grande plus-value de la Charte. Elle porte en-elle la perspective d’une « vie propre », d’un dynamisme grâce auxquels des droits considérés comme bornés au moment de leur rédaction peuvent s’émanciper des interprétations restrictives, tant il est vrai, et heureux, qu’en matière de droits de l’homme « l’offre crée la demande ».

Le second avantage important de la Charte est qu’elle donne une nouvelle impulsion politique en plaçant les droits fondamentaux tout en haut de l’agenda européen.

Dans cette dynamique, le Parlement européen s’est montré déterminé à saisir ses nouveaux pouvoirs, comme celui d’approuver la conclusion des engagements internationaux dans le cas de Swift ou des PNR, pour défendre une conception exigeante des droits de l’homme.

Dans un même esprit, la Commission européenne, qui dispose désormais d’une Commissaire aux droits fondamentaux, Mme Reding, ayant en outre le statut de vice-présidente de la Commission, a affiché sa volonté de faire de la Charte « la boussole de toutes les politiques de l’Union ». Elle a ainsi décidé, dans sa communication du 20 octobre 2010, d’assortir toutes ses propositions d’une étude d’impact sur les droits fondamentaux et de rédiger un rapport annuel sur l’application de la Charte dans l’Union.

Toutefois, cette entrée en force de l’Union intervient dans un domaine déjà occupé, et avec un très net succès, par le Conseil de l’Europe.

L’aîné de la coopération européenne a en effet su édifier un dispositif de protection des droits d’une qualité, d’une expérience et d’une efficacité incontournables.

Son fleuron est évidemment la Convention européenne des droits de l’homme, dont on célèbre aujourd’hui le soixantième anniversaire, et sa Cour de Strasbourg qui s’est imposée, en matière de droits de l’homme, comme la Cour suprême incontestée de 800 millions de citoyens, développant une jurisprudence audacieuse solidement intégrée aux législations nationales.

Mais le Conseil de l’Europe a aussi institué de très nombreux mécanismes de contrôle et de suivi des droits, qui ont accoutumé à l’échelle du continent tout entier une surveillance permanente de l’état des droits de l’homme.

Citons, parmi les nombreux acteurs que j’ai rencontrés, la « Commission de Venise » qui diffuse le patrimoine constitutionnel européen dans le monde entier, la Commission pour la prévention de la torture, dont les rapports sans concession sur l’état des prisons sont désormais des rendez-vous réguliers de l’actualité, ou le Commissaire aux droits de l’homme, qui depuis 1999 exerce une magistrature morale en tirant parti de sa visibilité médiatique et de son accès aux plus hautes autorités des Etats.

Grâce à ces outils exceptionnels et au travail remarquable de son Assemblée parlementaire, forum démocratique du continent rassemblant les parlementaires de quarante-sept pays, dont notre collègue M. Jean-Claude Mignon préside avec talent la délégation française, le Conseil de l’Europe a ainsi joué un rôle décisif pour ancrer la démocratie et l’Etat de droit dans les nouvelles démocraties libérées de l’emprise soviétique.

Or, à peine sorti de cet « âge d’or » de l’après-1989, le Conseil de l’Europe doit maintenant affronter une nouvelle crise d’identité face au nouveau partenaire qu’est l’Union européenne, à la force de frappe financière et juridique sans égal. Chacun connaît en effet les faiblesses du Conseil.

Ses moyens, d’abord, sont très modestes. Son budget, gelé depuis 2005, ne dépasse pas 218 millions d’euros, soit 0,2 % des crédits consacrés par l’Union à la cohésion sociale ou 15 % du budget du seul Parlement européen. Ses procédures de décision, ensuite, sont souvent verrouillées par la rude contrainte de l’unanimité, lorsque Bruxelles dispose à l’inverse des moyens de trancher et d’agir vite. Enfin, le Conseil a pu accuser, au cours des années 90, une certaine dispersion de ses activités dans de trop nombreux domaines isolés, comme la culture ou l’éducation, dans lesquels il ne disposait pas toujours de la « masse critique » nécessaire, sans que ce constat ne s’étende d’ailleurs à ses activités les plus précieuses, comme la pharmacopée européenne.

Il n’en reste pas moins que le Conseil de l’Europe demeure « la » référence incontournable dans le domaine des droits de l’Homme grâce à la diversité de ses instruments, à son expérience et, surtout, à son emprise sur tout le continent.

Arrivant en second, l’Union européenne doit ainsi tenir pleinement compte des activités du Conseil, une trop forte étanchéité entre les deux institutions menant inéluctablement à la redondance, au risque d’affaiblir leurs actions réciproques, de contredire l’effort d’assainissement budgétaire que s’imposent tous les Etats européens, et, pire, de laisser émerger des doubles standards selon que l’on habite d’un côté ou de l’autre des frontières de l’Union.

Fort heureusement, mes travaux m’ont permis de constater que ce rapprochement indispensable des deux Europe des droits de l’homme est aujourd’hui en bonne voie. Il est vrai que le traité de Lisbonne parcourt la moitié du chemin en imposant que l’Union adhère à la Convention européenne des droits de l’homme. Il fournit ainsi l’opportunité d’une unification juridique de l’Europe des droits, en confiant à la Cour européenne des droits de l’homme la mission de veiller à ce que le droit européen, comme tous les droits nationaux, respecte toujours la conception exigeante qu’elle s’est faite des droits civils et politiques à la base de notre contrat social.

Cette adhésion, bien engagée grâce à l’adoption en juin dernier des mandats de négociation, prendra du temps, puisqu’elle sera suspendue à une ratification unanime dans les quarante-sept Etats du Conseil de l’Europe et de l’Union.

Elle suppose de lever des obstacles techniques importants pour protéger les spécificités du droit de l’Union européenne.

Je pense notamment au statut particulier des traités, si difficiles à modifier, comme nous sommes bien placés pour le savoir en France. Est-il opportun que la Cour de Strasbourg puisse censurer des dispositions des traités fondateurs et rouvrir ainsi la boîte de Pandore des négociations intergouvernementales ? Je ne le crois pas, et nous semblons nous orienter vers une solution plus satisfaisante grâce à laquelle ces textes fondamentaux feraient l’objet de « réserves » protectrices.

Mais je pense aussi au précieux monopole de la Cour de Luxembourg dans l’interprétation du droit européen, qui seul garantit la cohérence d’un droit appliqué au quotidien par les juges de 27 Etats aux traditions juridiques souvent différentes.

Dans un même esprit, l’existence de deux textes différents, la Charte et la Convention européenne, interprétés par deux Cours indépendantes, pourrait attiser des contradictions de jurisprudences. Le mieux, à mes yeux, est de s’en remettre à la qualité du dialogue entre les deux cours, en sauvegardant la prééminence de l’une, la Cour de Strasbourg, sur les droits communs aux deux textes.

Mais l’essentiel est ailleurs. Les droits n’ont de réalité que s’ils peuvent être aisément et rapidement défendus par les citoyens. A cet égard, le plus grand danger qui guette l’Europe des libertés est l’embolie des juridictions. La Cour de Strasbourg est aujourd’hui proche de l’asphyxie, en dépit des réformes récentes, faisant face à un stock de 120.000 affaires pendantes. La Cour de Luxembourg atteint à son tour l’extrême limite de ses capacités. Un effort de rationalisation devra être entrepris, sans lequel la confiance des citoyens menace d’être significativement érodée.

Cette unification juridique doit toutefois être complétée par un rapprochement des actions concrètes des deux organisations européennes.

Les craintes de redondance entre le Conseil et l’Union ont rencontré une incarnation presque caricaturale avec la création, en 2007, d’une Agence de l’Union européenne des droits fondamentaux dont les moyens budgétaires, avec 20 millions d’euros par ans, et humains, avec un staff de presque cent experts, contrastent durement avec la cure d’austérité que s’impose Strasbourg depuis de nombreuses années.

Notre commission avait alors vivement critiqué cette énième manifestation de l’« agenciarisation » de l’Europe par laquelle, au cours des dernières années, il n’est guère de crises ou même de volonté d’Etat d’accueillir une institution européenne qui n’ait rencontré en réponse l’institution d’une nouvelle Agence, nourrissant une inflation spectaculaire qui grève désormais 600 millions d’euros du budget européen.

Cette préoccupation à l’esprit, j’ai souhaité examiné de près les plus-values concrètes de l’Agence, en me rendant à Vienne et en interrogeant à son sujet tous mes interlocuteurs, tant à Strasbourg qu’à Bruxelles. Ces travaux m’ont permis de dégager quelques conclusions que j’espère consensuelles.

La qualité des travaux de l’Agence me semble tout d’abord absolument incontestable.

L’Agence a en effet su édifier, conformément à son statut, un appareil statistique exceptionnellement fouillé et précis, animé d’un souci constant d’emprise sur le terrain et de relations directs avec les personnes concernées.

La conviction de ses experts est en effet qu’une protection efficace des droits repose avant tout sur l’établissement de données pertinentes mesurant concrètement et régulièrement les principales difficultés rencontrées sur le terrain. Ces études exhaustives permettent de mieux cibler l’action publique. Ainsi, au cours de ses travaux sur les droits de l’enfant, l’Agence a pu identifier la problématique particulière des enfants seuls demandeurs d’asile, dont le nombre signale fréquemment l’apparition de difficultés connexes, par exemple liées à la traite des êtres humains.

Cette démarche technique est plus complémentaire que redondante avec celle du Conseil de l’Europe.

Elle l’est par nécessité, parce que Strasbourg ne dispose manifestement pas des moyens de mener des études d’une telle ampleur. Le commissaire au droit de l’homme m’a ainsi indiqué que les travaux de l’Agence lui offraient une considérable plus-value, en mettant à sa disposition un appareil statistique qu’il ne pourrait établir seul, lui-même se contentant d’en étendre les méthodes aux autres membres du Conseil.

Les démarches des deux institutions sont aussi complémentaires dans leur philosophie.

L’Agence privilégie une approche de « conviction par la preuve », armée par des comparatifs rigoureux et la promotion des meilleures pratiques, à une posture dénonciatrice de tel ou tel Etat que lui interdisent d’ailleurs ses statuts. Cette « modération » explique sans doute la modestie de sa couverture médiatique, qui peut nuire à sa légitimité mais certainement pas à la qualité de ses travaux.

A l’inverse, les organes du Conseil de l’Europe s’inscrivent dans une démarche beaucoup plus immédiatement politique et opérationnelle, tirant pleinement partie de leur visibilité médiatique.

De cette complémentarité spontanée est d’ailleurs né un mode de coopération à bien des égards exemplaire. Face aux réticences du Conseil de l’Europe, l’Union a veillé à étroitement associer Strasbourg au fonctionnement quotidien de l’Agence. Le Conseil est ainsi représenté au sein de son conseil d’administration et de son comité exécutif. Il participe à l’élaboration de son programme de travail annuel. Une personne de référence assure dans les deux organes une coopération permanente, tandis qu’une réunion annuelle du Comité des ministres de Strasbourg fait le bilan des actions entreprises.

Dans les faits, après une période d’ajustement, il semble qu’une véritable communauté de vue se soit établie tant sur le choix des sujets explorés que sur les modalités de leur traitement. Ainsi, par exemple, le Conseil et l’Agence ont décidé, le 2 novembre dernier, de travailler désormais en commun sur la question des Roms en se concentrant sur l’application des dispositions concrètes du plan d’action adopté le 20 octobre 2010 par les quarante-sept Etats du Conseil de l’Europe.

Il m’est même apparu, de manière paradoxale, que les travaux de l’Agence étaient souvent bien mieux connus des acteurs du Conseil de l’Europe que des institutions de Bruxelles elles-mêmes qu’elle a pourtant pour vocation d’éclairer !

Cette constatation motive d’ailleurs mes recommandations. Plutôt que de réclamer une bien improbable suppression d’une Agence au bilan flatteur, il me semble plus judicieux de renforcer encore ses liens avec le Conseil, qui dispose ainsi d’un nouvel outil, tout en invitant les institutions européennes, et nos parlements nationaux, à mieux recourir à cette expertise remarquable.

Cette expérience pourrait d’ailleurs opportunément inspirer le chantier plus vaste des relations entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe.

La culture de la complémentarité est en effet, à mes yeux, beaucoup moins le fruit de procédures tatillonnes que de démarches progressives et concrètes, assises sur quelques constats lucides. La force la plus précieuse est la capacité de façonner l’agenda, de définir les priorités. Ici, le Conseil de l’Europe, fort de son expérience, bénéficie d’atouts maîtres. Les deux Europe sont beaucoup plus complémentaires qu’on ne le dit trop souvent. A l’Union, certes, la force de frappe financière et juridique. Mais le Conseil dispose de ses propres forces : son expertise, unanimement reconnue, la tribune médiatique que lui congère sa Cour de Strasbourg et ses organes qui ont trouvé leur place dans le débat public ; surtout, la cohérence géographique est de son côté, tant il est vrai que les défis contemporains en matière de droits fondamentaux supposent aujourd’hui de s’attaquer à leurs racine.

Dès lors, chacun doit savoir se concentrer sur ses plus-values. Le Conseil de l’Europe doit ainsi, à mes yeux, retrouver un réel élan politique pour s’imposer comme « le » forum et « le » gardien des droits fondamentaux en Europe. Le courageux recentrage des activités engagé par son Secrétaire général va dans la bonne direction. Mais pour aller plus loin, ses Etats membres doivent mieux s’impliquer, par exemple en s’assurant que son Comité des ministres réunissent réellement des ministres, et non leurs simples représentants comme trop souvent, ou en veillant à ce qu’il se saisisse de vrais sujets pour débattre sans concession de la situation des droits de l’homme, comme le fait très régulièrement son Assemblée parlementaire. Ce renouveau serait utilement incarné par un « grand débat » annuel fixant les grandes priorités de l’agenda des droits et dénonçant les violations les plus manifestes, relayé par l’organisation d’une session commune entre l’Assemblée parlementaire du Conseil et le Parlement européen.

L’Union européenne, pour sa part, doit veiller à laisser toute sa place, nécessairement prééminente, aux travaux du Conseil de l’Europe, par exemple en consacrant un chapitre de son rapport annuel sur l’application de la Charte à l’état de convergence des travaux des deux institutions et en introduisant dans toutes les propositions européennes un considérant justifiant précisément les plus-values attendues de l’action de l’Union par rapport aux acquis du Conseil de l’Europe.

M. Pierre Forgues. Je souscris à ces principes. Ces organismes reposent principalement sur des principes déclaratifs. Je demeure cependant sceptique lorsque le rapporteur explique que la Charte européenne des droits fondamentaux aura, de par sa valeur juridique, un grand impact. L’on voit notamment bien comment, lorsque les saisines se multiplient, les juridictions se trouvent dans une situation impossible, telle que la CEDH dont vous venez de nous indiquer qu’elle doit faire face à quelques 120 000 dossiers en attente. La justice doit être rendue au niveau national. L’actualité récente nous a notamment démontré les difficultés auxquelles se heurte la presse en Hongrie, alors même que ce pays assure la présidence de l’Union européenne ! Que faire si la charte n’y est pas respectée ? Je souhaite que toute la fermeté nécessaire soit mise en œuvre pour résoudre ce problème car il serait inacceptable que le pays exerçant la présidence de l’Union ne respecte pas un droit aussi fondamental que la liberté de la presse.

M. Yves Bur, rapporteur. Je pense que le nombre de recours auprès des juridictions européennes démontre bien le besoin des citoyens. Toutes les justices nationales ne sont pas au même niveau et les droits de l’homme ne sont pas défendus de manière identique dans tous les pays d’Europe. Bien sûr, les juges nationaux sont chargés de l’application du droit national et du droit européen. Mais la perspective d’une juridiction européenne est nécessaire car ce processus permet progressivement d’élever le niveau de défense des droits fondamentaux.

En ce qui concerne la présidence de l’Union européenne, nous avons été interpellés par la nouvelle législation hongroise sur la liberté de la presse. Si le processus de sanctions est lourd et relativement improbable, le Premier ministre hongrois a d’ores et déjà indiqué qu’il modifierait la loi si elle s’avérait non conforme au droit européen. Les pressions exercées porteront, espérons le, leurs fruits.

M. Jean-Claude Mignon. Je souhaite saluer le travail du rapporteur. Parler des droits fondamentaux en Europe est très important et il est heureux qu’Yves Bur se soit intéressé au rôle du Conseil de l’Europe et aux débats actuels sur ces questions. Le Conseil de l’Europe est la plus ancienne organisation paneuropéenne visant à éviter que les droits fondamentaux ne soient bafoués et à prévenir les conflits. Il accomplit parfaitement ses fonctions qui sont variées : ce ne sont pas seulement les droits de l’homme qui sont traités par le Conseil de l’Europe, son assemblée parlementaire, la CEDH, le Comité de prévention contre la torture et le commissaire européen des droits de l’homme. Leurs missions vont au-delà. Pourtant, son budget se réduit comme peau de chagrin, n’ayant pas été augmenté depuis 2005, et l’Union européenne a décidé de créer une agence des droits fondamentaux pour refaire ce que fait le Conseil de l’Europe. M. Prescott a dénoncé le fait qu’on ait créé cette agence pour faire plaisir aux Hongrois. Il faut lire le rapport de notre collègue sénateur Denis Badré, parlementaire en mission, sur les agences européennes qui coûtent très cher.

Pas moins de vingt membres du Conseil de l’Europe n’appartiennent pas à l’Union européenne (citons la Russie, la Turquie et la Norvège) et ne comprennent pas cette gabegie alors que le Conseil de l’Europe dispose de services très compétents et d’une très grande expérience. En outre, le citoyen européen ne comprend pas la coexistence des deux cours de justice, dont il faudrait se demander si l’on a vraiment les moyens de les entretenir. On peut se demander si, au final, une seule cour devrait être maintenue. La CEDH, qui existe depuis cinquante ans, n’a plus les moyens de fonctionner alors qu’elle effectue un travail remarquable. Je crains que ce que le rapporteur appelle l’«Europe de Strasbourg » ne soit très fragilisée et la ville de Strasbourg elle-même est dans une situation difficile. Dans le même temps, la subvention de l’Union à l’agence des droits fondamentaux est passée de 15 millions d’euros en 2008 à 20 millions d’euros en 2010. Le poste des salaires et indemnités a progressé de 2,6 millions d’euros à 6,8 millions d’euros sur la même période et le budget atteindra 22 millions d’euros en 2012. Ses effectifs ont quasiment doublé de 2007 à 2010. Rappelons que le budget de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe est de 15 millions d’euros seulement.

En conclusion, il est vraiment maladroit d’avoir créé cette agence, vis-à-vis des membres du Conseil de l’Europe qui ne font pas partie de l’Union européenne. Le Conseil réalise très consciencieusement un travail de qualité. Rappelons aussi le rôle de la commission du monitoring créée en 1989 après la chute du mur de Berlin. L’Union de l’Europe Occidentale a récemment été supprimée car elle n’apparaissait pas importante aux yeux des Vingt-sept mais a-t-on réfléchi aux autres pays membres ? M. Pierre Lellouche, lorsqu’il était secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes, a reconnu que l’agence des droits fondamentaux est une agence de trop. Je suis moi-même très opposé à cette agence créée à grands frais et qui n’apporte aucune valeur ajoutée s’agissant de la protection des droits fondamentaux sur le continent européen.

Mme Pascale Gruny. Sur la Charte des droits fondamentaux, je peux dire, ayant été coordinatrice de la Commission des pétitions au Parlement européen, que le préambule de la Charte est rassurant avec sa mention du respect des compétences et des tâches de la Communauté et du principe de subsidiarité. Ce principe s’est par exemple appliqué à propos d’une pétition concernant la liberté de la presse en Roumanie et d’une autre concernant le respect du droit de propriété par la loi littoral en Espagne. Le principe de subsidiarité, c’est très bien mais quelle en est l’application concrète ?

Je rejoins Jean-Claude Mignon sur les deux cours de justice – où va-t-on ? – et sur les agences. Il faut arrêter leur multiplication. On avait demandé une augmentation du budget de l'Union européenne pour financer les nouvelles compétences créées par le traité de Lisbonne à côté des politiques communes agricole et régionale, et cette demande a été rejetée. Le contrôle budgétaire n’a d’ailleurs pas validé les comptes de certaines agences. Les conclusions du rapport s’achèvent au point 8 en considérant essentiel que le Conseil de l'Europe et l’Agence européenne des droits fondamentaux entreprennent plus régulièrement des missions communes, ce qui revient à souhaiter leur mutualisation avec des économies à la clé, car il faut faire attention à l’argent public. Je suis vraiment défavorable aux agences.

M. Yves Bur, rapporteur. Les cours de justice sont le résultat d’une histoire. La Cour de justice de l'Union européenne a vocation à intégrer le droit européen dans le cadre de l'Union européenne mais pas au-delà de ses frontières. La Cour européenne des droits de l’homme a vocation à imposer le respect de la Convention européenne des droits de l’homme dont elle est issue. On ne peut pas réunir les deux cours parce qu’elles ne jugent pas la même chose. La Cour de justice de l'Union européenne est compétente pour l’application du droit européen aux vingt-sept Etats membres, la Cour européenne est compétente pour l’application de la Convention aux quarante-sept Etats membres du Conseil de l'Europe.

Il faut faire en sorte que la Cour européenne de Strasbourg soit la Cour européenne pour tout les droits communs à la CEDH et à la Charte, le « cœur » des droits fondamentaux, et que la Cour de justice de Luxembourg le soit pour l’interprétation du droit de l’Union européenne et des droits propres liés à la Charte des droits fondamentaux.

Il y a aujourd'hui une bonne entente entre les deux cours. J’ai ainsi pu constater sur le terrain que leurs relations étaient harmonieuses grâce à la prééminence reconnue à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg sur les droits et principes communs à la Charte et à la CEDH. Il y a une sorte de « gentlemen’s agreement » entre les deux cours pour reconnaître cet état de fait, l’avenir seul pouvant nous dire si ces bonnes pratiques doivent être formalisées dans des textes.

Le vrai problème est de limiter l’embouteillage des 120.000 affaires en cours devant la Cour de Strasbourg et peut-être faudra-t-il créer une structure préalable pour examiner la recevabilité d’un certain nombre de droits ou mettre en œuvre une automaticité dans le traitement d’affaires répétitives. Les procédures devant la Cour de Strasbourg sont de plus en plus lentes, nourrissant un stock énorme d’affaires pendantes. La Cour de Luxembourg atteint au même moment la limite de ses capacités avec environ 750 jugements par an. Ce risque d’asphyxie pose évidemment la question des moyens accordés aux deux juridictions.

Une autre vraie question est celle de l’Agence européenne des droits fondamentaux. Je me suis rendu à Vienne avec une solide méfiance à l’égard de cette énième Agence. Or paradoxalement, les jugements sévères exprimés par les politiques sont en totale contradiction avec l’expérience des techniciens, tant les experts de l’Agence que les acteurs du Conseil de l’europe, comme le Commissaire aux droits de l’homme, qui m’ont décrit le fonctionnement harmonieux de leur coopération et ont salué la qualité du travail de l’Agence.

Il faudra évidemment se poser la question de la multiplication des agences de l'Union européenne qui représentent globalement un budget de 600 millions d’euros, et il serait important que la Cour des comptes européenne se préoccupe du fonctionnement et de l’utilité de « l’agenciarisation » de plusieurs sujets.

En revanche, il me paraît délicat de réclamer la suppression de l’Agence, d’autant plus qu’il s’agit de droits de l’homme. Il faut plutôt veiller à organiser un travail plus étroit entre les organes, l’Agence permettant à bien des égards de suppléer aux moyens qui manquent au Conseil de l'Europe. Les ressources de l’Agence vont d’ailleurs se stabiliser après leur montée en puissance entre 2007 et 2012. Il faut instaurer un partenariat actif entre les deux institutions pour permettre à l’Agence de venir en appui du Conseil de l'Europe avec sa force de frappe financière. Cette complémentarité peut seule justifier le maintien de l’Agence, mais il ne faut pas oublier que les Etats n’en sont pas au point de donner directement de l’argent au Conseil de l'Europe.

Concernant l’adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, le processus va être extrêmement lent car, si l'Union européenne a défini très rapidement son mandat de négociation, la négociation va prendre du temps du côté du Conseil de l'Europe. La ratification ensuite par chaque pays risque d’être l’occasion pour certains d’entre eux de négocier sur d’autres sujets connexes à la Convention européenne des droits de l’homme.

Je propose aussi que l'Union européenne ne se substitue pas aux Etats membres et que, dans le Comité des ministres où elle disposera d’un siège et d’un droit de vote, elle n’utilise ce droit que quand il s’agit du droit européen mais ne le revendique pas quand il s’agit de l’analyse des droits nationaux.

Le Président Pierre Lequiller. Je vais essayer de faire une proposition de compromis pour nos conclusions, prenant en compte les points de vue de chacun, notamment celui de Jean-Claude Mignon, différent de celui de notre rapporteur, sachant que les conclusions proposées par le rapporteur soulignent déjà les réserves sur la création de nombreuses agences, insistent sur les doubles emplois et vont ainsi dans le sens des préoccupations de Pascale Gruny et Jean-Claude Mignon. Le sens du rapport d’Yves Bur est de constater qu’une complémentarité s’est créée et que l’Agence est utile et très utilisée par le Conseil de l'Europe.

Pour concilier les points de vue, je propose qu’au point 8 sur le danger de chevauchement des activités, on insère, après « qu’il est par conséquent essentiel », les mots suivants : « , si l’Agence est maintenue dans l’avenir, ce qui mérite réflexion, ».

On observe ainsi le fonctionnement actuel, qui semble aller dans le bon sens mais on introduit l’idée que la question du maintien de l’Agence ne peut être éludée et doit donc être examinée à la lumière de l’expérience.

Je précise par ailleurs que j’ai demandé à Yves Bur de faire ce rapport à la demande de Jean-Claude Mignon quand il est entré à la Commission.

M. Jean-Claude Mignon. Que faites-vous de la Russie, de la Turquie et des autres pays hors de l'Union européenne et de l’importance du Conseil de l'Europe pour l’ensemble de ces Etats ?

M.  Yves Bur, rapporteur. Ce qui m’interpelle, c’est la différence d’analyse entre les politiques, l’Assemblée parlementaire, du Conseil de l'Europe notamment, et les techniciens du droit qui, eux, nous ont dit que ça marchait plutôt bien. Ce n’était pas par pure politesse, parce que nous sommes allés au fond des choses sans langue de bois. L’Agence apporte au Conseil et aux services du commissaire aux droits de l’homme une technicité qu’ils ne peuvent pas se payer et permet au Conseil d’avancer dans ses constats et ses recommandations.

M.  Jean-Claude Mignon. Je suis chargé d’un rapport en vue de proposer des réformes du Conseil de l'Europe dans la ligne que les quarante-sept Etats membres ont demandée lors de l’élection du secrétaire général, et dans lequel je traite aussi de ce que nous venons d’évoquer. Je pense qu’il faut que nous soyons en phase et je suis d’accord avec la proposition du Président.

Je souhaiterais également une modification sur la phrase du rapport qui indique que l'Europe de Strasbourg et l'Europe de Bruxelles doivent désormais aller plus loin. Mettre l’accent sur les deux Europe me gêne et j’en parle devant un élu alsacien.

M.  Yves Bur, rapporteur. L’Agence ne se développera pas davantage à Vienne et la Cour de Strasbourg est le cœur du sujet, qu’il faut préserver et renforcer financièrement à l’avenir.

Mme Pascale Gruny. Il faut faire attention à ne pas opposer les deux Europe, celle de Bruxelles et celle de Strasbourg dans le corps du rapport. Il y a une économie locale et régionale à Strasbourg qu’il ne faut pas fragiliser alors qu’elle subit les fréquents assauts de ceux qui, au Parlement européen, demandent son repli vers Bruxelles, à chaque grève ou retard de train.

M.  Yves Bur, rapporteur. C’était l’esprit : l'Europe des droits de l’homme et l'Europe de l'Union européenne que l’on peut remplacer par le Conseil de l'Europe et l'Union européenne.

Sur proposition du rapporteur, la Commission a ensuite adopté les conclusions suivantes, ainsi modifiées :

« La Commission des affaires européennes,

Vu les articles 2, 6, 7 et 49 du traité sur l’Union européenne,

Vu le protocole (n° 8) relatif à l’article 6, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne sur l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, annexé au traité de Lisbonne,

Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales,

Vu la recommandation de décision du Conseil autorisant la Commission à négocier l’accord d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (SEC [2010] 305 final),

Vu la communication de la Commission européenne sur la stratégie pour la mise en œuvre effective de la Charte des droits fondamentaux par l’Union européenne (COM [2010] 573),

Vu le mémorandum d’accord entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne (CM [2007] 74),

Vu les rapports d’activité et les rapports annuels de l’Agence européenne des droits fondamentaux,

1. Se félicite du renforcement de l’appareil de protection des droits fondamentaux de l’Union européenne avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en particulier grâce à la valeur juridique, identique à celle des traités, conférée à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

2. Salue la volonté des institutions de l’Union européenne de placer la sauvegarde et la promotion des droits de l’homme et des libertés fondamentales au cœur de leurs préoccupations, relevant en particulier l’engagement de la Commission européenne à mener une étude d’impact sur les droits garantis par la Charte pour toutes ses nouvelles propositions législatives ;

3. Rappelle toutefois que l’action décisive, l’expérience incontournable et la qualité des nombreux instruments et organes du Conseil de l’Europe pour protéger et promouvoir les droits de l’homme occupent une place nécessairement prééminente. Pour éviter l’apparition d’une Europe des droits à deux vitesses, et au moment où les Etats européens s’astreignent à un vigoureux effort d’assainissement budgétaire, il est plus nécessaire que jamais d’écarter tout risque de chevauchement entre les activités de l’Union et celles du Conseil de l’Europe ;

4. Salue dans ce contexte la perspective de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. A cet égard, la Commission :

a) Se félicite de l’engagement rapide des négociations d’adhésion ;

b) Estime essentiel que le futur accord respecte les spécificités juridiques de l’Union, conformément aux dispositions du protocole n° 8 annexé au traité de Lisbonne, en particulier le monopole d’interprétation du droit de l’Union par la Cour de justice de l’Union européenne et le statut particulier du droit primaire tel qu’il résulte des traités, qui devra être préservé du contrôle de conventionalité effectué par la Cour européenne des droits de l’homme ;

c) Rappelle son attachement au principe d’accessibilité de la justice et au droit à un jugement dans un délai raisonnable, menacés par l’engorgement des juridictions européennes ;

5. Indique toutefois que l’unification juridique de l’Europe des droits de l’homme doit être complétée par la mise en place d’une intense coopération entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe. A cette fin :

a) Le Conseil de l’Europe, engagé dans un remarquable effort de réforme et de recentrage de ses activités sur la protection et la promotion des droits fondamentaux et des valeurs européennes, doit bénéficier d’une nouvelle dynamique politique passant notamment par une plus forte implication des autorités politiques des Etats membres dans les activités de ses divers organes ;

b) L’Union européenne, pour sa part, doit veiller à faire de l’action du Conseil de l’Europe la référence de base de tous ses travaux dans le domaine des droits de l’homme, en justifiant précisément les plus-values qu’elle entend apporter par rapport aux réalisations du Conseil de l’Europe et en dressant un bilan régulier de leur coopération, par exemple dans le rapport annuel établi par la Commission européenne sur l’application de la Charte des droits fondamentaux ;

c) Cette collaboration pourrait utilement être matérialisée par l’organisation d’un débat annuel commun sur l’état et l’agenda des droits de l’homme en Europe rassemblant le Parlement européen et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ;

6. Rappelle les réserves qu’elle avait formulées lors de la création de l’Agence européenne des droits fondamentaux, déplorant la multiplication des agences de l’Union européenne, dont le fonctionnement et les valeurs ajoutées concrètes doivent faire l’objet d’évaluations plus rigoureuses et régulières ;

7. Constate que les risques de double emploi entre l’Agence et les organes du Conseil de l’Europe ne se sont pas matérialisés jusqu’à présent, grâce à la mise en œuvre de formes appropriées de coopération institutionnelle, à l’émergence d’une réelle culture de complémentarité et à la qualité des travaux de l’Agence, qui bénéficient aussi à l’action du Conseil de l’Europe ;

8. Estime néanmoins que le danger de chevauchement des activités demeure et qu’il est par conséquent essentiel, si l’Agence est maintenue à l’avenir, ce qui mérite réflexion, que l’acquis du Conseil de l’Europe en matière de protection des droits fondamentaux serve toujours de référence principale dans les travaux de l’Agence et que les deux organes entreprennent plus régulièrement des missions communes. »

III. Examen de textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution

Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.

Textes » actés »

Aucune observation n’ayant été formulée, la Commission a pris acte des textes suivants :

Ø Agriculture

- proposition de décision du Conseil concernant la position de l'Union européenne sur l'adaptation de l'annexe 3 de l'accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse relatif aux échanges de produits agricoles (E 5823) ;

Ø Commerce extérieur

Ø Institutions européennes

- décision du Conseil portant modification de son règlement intérieur (E 5854).

Ø Politique sociale

- projet de règlement (UE) de la Commission portant adoption des spécifications du module ad hoc 2012 relatif au passage de la vie active à la retraite prévu par le règlement (CE) n° 577/98 du Conseil (E 5902).

Ø Recherche

- projet de règlement (UE) de la Commission modifiant le règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), en ce qui concerne l'annexe XVII (Cadmium) (E 5901).

Ø Santé

Point B

La Commission a approuvé les trois textes suivants :

- recommandation de la Commission au Conseil afin d'autoriser la Commission à ouvrir des négociations en vue de la conclusion d'un accord entre l'Union européenne et la République de Moldavie, modifiant l'accord entre la Communauté européenne et la République de Moldavie visant à faciliter la délivrance de visas (E 5801).

Textes tacites

En application de la procédure adoptée par la Commission les 23 septembre 2008 (textes antidumping), 29 octobre 2008 (virements de crédits), 28 janvier 2009 (projets de décisions de nominations et actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) concernant la prolongation, sans changement, de missions de gestion de crise, ou de sanctions diverses, et certaines nominations), la Commission a pris acte des documents suivants approuvés tacitement :

- virement de crédits n° DEC 65/2010 - Section III - Commission - Exercice 2010 (E 5906) ;

- proposition de règlement du Conseil portant modification du règlement (CE) n° 1292/2007 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de feuilles en polyéthylène téréphtalate (PET) originaires de l'Inde (E 5920) ;

- décision du Conseil modifiant la décision du Conseil 2010/656/PESC renouvelant les mesures restrictives instaurées à l'encontre de la Côte d'Ivoire (E 5923).

IV. Informations relatives à la Commission

Sur proposition du Président Pierre Lequiller, la Commission :

- a désigné Mme Anne Grommerch et M. Régis Juanico pour participer au groupe de travail sur l’étude, menée dans le cadre du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques, relative à la performance comparée des politiques sociales en France.

- a nommé M. Michel Herbillon rapporteur d’information sur l'Union européenne et le G20 (avec MM. Bernard Deflesselles, Robert Lecou, Christophe Caresche et Jérôme Lambert, précédemment nommés).

La séance est levée à 18 h 55

Membres présents ou excusés

Commission des affaires européennes

Réunion du mardi 11 janvier 2011 à 17 h 30

Présents. - M. Yves Bur, M. Patrice Calméjane, M. Bernard Deflesselles, M. Pierre Forgues, Mme Marie-Louise Fort, M. Hervé Gaymard, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Régis Juanico, Mme Marietta Karamanli, M. Marc Laffineur, M. Jérôme Lambert, M. Robert Lecou, M. Pierre Lequiller, M. Jean-Claude Mignon, M. Didier Quentin, Mme Odile Saugues

Excusés. - M. Pierre Bourguignon, M. Michel Herbillon

Assistaient également à la réunion. - M. Daniel Garrigue, Mme Pascale Gruny