Question au Gouvernement n° 1310 :
Corse

11e Législature

Question de : M. Alain Moyne-Bressand
Isère (6e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants

Question posée en séance, et publiée le 5 mai 1999

M. le président. La parole est à M. Alain Moyne-Bressand.
M. Alain Moyne-Bressand. Monsieur le Premier ministre, dans vos réponses aux questions sur les événements liés à la destruction volontaire d'une paillote en Corse par les services de l'Etat, vous venez d'éluder la responsabilité pénale du Gouvernement. C'est une réponse irresponsable, que les juges apprécieront. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
En revanche, vous ne pouvez pas éluder votre responsabilité politique, ni celle de votre gouvernement. La semaine dernière, pour reprendre vos propos, il s'agissait d'une simple affaire locale liée au dysfonctionnement d'un service de l'Etat,...
Un député du groupe socialiste. Il n'a pas dit ça !
M. Alain Moyne-Bressand. ... d'une «affaire de l'Etat», et non d'une «affaire d'Etat». Le ton n'est plus aux jeux de mots.
La semaine dernière, vous affirmiez qu'aucun des responsables politiques de l'Etat, aucun ministre de ce gouvernement n'était intervenu dans cette affaire de quelque façon que ce soit.
M. Jean-Pierre Blazy. Il l'a redit !
M. Alain Moyne-Bressand. Hier, on apprenait que le préfet Bonnet était placé en garde à vue et que la préfecture était perquisitionnée. Un quotidien du soir titre aujourd'hui: «La préfecture est un repaire de malfrats.»
Peut-on imaginer que le Gouvernement et, en premier lieu, le cabinet du Premier ministre n'étaient pas au courant ? Si c'était le cas, cela signifierait une déliquescence grave de l'Etat et une perte d'autorité du Premier ministre sur ses services.
Ce qui est clair aujourd'hui, c'est que c'en est fini avec la «méthode Jospin», qui mettait en avant rigueur et morale. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous nous apercevons que, dans le droit d'inventaire que vous prônez, vous avez conservé les vieilles recettes «barbouzardes» de l'époque Mitterrand. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert; claquements de pupitres.)
Plusieurs députés du groupe socialiste. Et Pasqua, quelles étaient ses méthodes ?
M. Alain Moyne-Bressand. De la dignité, mesdames et messieurs, le moment est grave !
Plusieurs députés du groupe socialiste. Carton jaune !
M. Alain Moyne-Bressand. Nous allons demander la création d'une commission d'enquête sur le fonctionnement du cabinet du Premier ministre (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), et en particulier sur le traitement des dossiers de sécurité intérieure et de la Corse; mais nous ne pouvons dès à présent que faire le constat suivant.
M. Christian Bourquin. La question !
M. Alain Moyne-Bressand. C'est vous qui avez choisi le préfet Bonnet. C'est vous qui lui avez donné carte blanche. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est vous qui avez autorisé la création d'une organisation militaire d'exception tout en affichant une volonté d'Etat de droit de façade.
Alors, dites-nous franchement quelles sont les informations qui sont remontées à votre cabinet et quel rôle il a effectivement joué. Quelles conséquences pensez-vous en tirer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le député, le Gouvernement n'a qu'une politique, c'est l'établissement de l'Etat de droit, tel que l'a rappelé tout à l'heure le Premier ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants).
Certes, l'Etat de droit peut avoir ses contrefacteurs, mais il a aussi ses ennemis:...
M. Laurent Dominati. Vous !
M. le ministre de l'intérieur. ... ceux qui, depuis vingt-cinq ans, font régner en Corse la menace, le crime...
M. Arnaud Lepercq. L'incendie est un crime !
M. le ministre de l'intérieur. ... la compromission et la terreur, et qui croient aujourd'hui pouvoir pavoiser !
Il y a eu des défaillances individuelles. Ces défaillances individuelles ne portent pas atteinte à l'honneur d'un corps que nous respectons: l'arme de la gendarmerie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)
S'agissant des attaques que vous portez contre le Gouvernement, et particulièrement contre son chef, sachez que le préfet représente partout tout le Gouvernement. Il est clair que le Premier ministre coordonne l'action de tous les ministères. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Philippe Vasseur. Eh bien, alors !
M. Jean-Michel Ferrand. Démissionnez tous !
M. le ministre de l'intérieur. Il n'y a là rien que de normal.
S'agissant des propos que vous colportez, monsieur le député, imputant au Monde l'expression «repaire de malfrats» à propos de la préfecture, je vous ferai rentrer ces mots dans votre gorge (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants parce que vous croyez pouvoir vous abriter derrière ce journal alors que vous citez le bâtonnier Sollacaro, qui est, de notoriété publique, un militant nationaliste, sur lequel je pourrais vous apprendre beaucoup de choses ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
En parlant de méthodes «barbouzardes», vous employez des mots qui n'ont pour but que de déstabiliser, à travers le Gouvernement, l'Etat de droit, et qui vous rendent complices de ceux dont, déjà hier, vous étiez les complices. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur quelques bancs du groupe communiste. - Vives protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Laissez-moi vous dire que le préfet Bonnet bénéficie de la présomption d'innocence. Il n'est plus en état d'assumer ses fonctions. Le Gouvernement en a tiré les conclusions. Mais j'ai reçu ce matin, par Chronopost, une lettre du préfet Bonnet (Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), qu'il m'a envoyée deux heures avant d'être mis en garde à vue par décision de l'officier de police judiciaire.
Je veux vous lire simplement deux phrases de cette lettre manuscrite qui m'est arrivée peu avant midi. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Lucien Degauchy. Pourquoi pas toute la lettre ?
M. Yves Fromion. C'est à la justice qu'il faut donner la lettre !
M. le ministre de l'intérieur. C'est un souci de justice élémentaire de ne pas écouter seulement l'accusateur, à savoir le colonel Cavalier, mais aussi l'accusé !
«Je vous confirme solennellement - écrit le préfet Bonnet - les propos que j'ai tenus dans votre bureau le 27 avril dernier. J'affirme sur l'honneur que j'ignorais que des gendarmes du GPS ou d'autres unités (Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) étaient en mission dans la nuit du 18 au 20 avril 1999, à Coti-Chiavari.»
Je pense que c'est un élément à verser au dossier.
Quant au raisonnement que vous tenez selon lequel les officiers de gendarmerie ne pouvaient pas ne pas en avoir rendu compte au préfet, qui ne pouvait pas ne pas en avoir rendu compte au ministre, qui ne pouvait pas ne pas en avoir rendu compte au Premier ministre, qui ne pouvait pas ne pas en avoir rendu compte au Président de la République (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), il ne tient pas la route ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Ne cherchez pas à exploiter cette lamentable affaire. Ce serait faire le jeu des terroristes et nuire gravement à l'Etat de droit, qu'il est de votre devoir, comme du devoir de tous ceux qui sont investis d'une responsabilité publique, de rétablir. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Philippe Auberger. C'est de «votre» devoir, à vous !

Données clés

Auteur : M. Alain Moyne-Bressand

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Collectivités territoriales

Ministère interrogé : intérieur

Ministère répondant : intérieur

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 5 mai 1999

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