Tunisie
Question de :
M. Jean-Marc Ayrault
Loire-Atlantique (3e circonscription) - Socialiste, radical, citoyen et divers gauche
Question posée en séance, et publiée le 19 janvier 2011
SITUATION EN TUNISIE
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.M. Jean-Marc Ayrault. Madame la ministre des affaires étrangères et européennes, la conduite des affaires étrangères de la France est un métier difficile ; la France dialogue, et cela même avec des nations qui ne sont pas gouvernées selon les principes de la démocratie.
Ce réalisme a été partagé par tous les gouvernements. Mais ce réalisme ne doit pas rendre aveugle aux violations répétées des droits de l'homme et des libertés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Il est ainsi incompréhensible que Nicolas Sarkozy ait cru bon de faire l'éloge, au mois d'avril 2008 à Tunis, d'un régime " engagé dans la promotion des droits universels et des libertés fondamentales ", au moment même où Ben Ali renforçait le caractère policier de ce régime. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
De l'aveuglement à la faute, il n'y a souvent qu'un pas ; et c'est celui que vous avez franchi mardi dernier en répondant aux questions de plusieurs d'entre nous. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)
Face à un soulèvement majoritaire et populaire, le pouvoir tunisien a choisi la répression et fait tirer à balles réelles sur des manifestants pacifiques et désarmés. La France aurait dû, par votre voix, s'élever avec force pour condamner ces crimes sans appel ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC. — Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Au lieu de cela, vous avez suggéré de mettre au service d'une dictature notre savoir-faire en matière de sécurité.
Hier, après le décès d'un photographe de presse français, votre porte-parole s'est contenté d'un laconique : " Il s'agit d'un emploi disproportionné de la violence. "
Madame la ministre, les mots me manquent (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP) pour qualifier des prises de position qui disqualifient la France aux yeux du monde, et des Tunisiens.
Ma question est très précise. Par ces déclarations, engagiez-vous la parole de la France ? Représentiez-vous fidèlement la pensée du chef de l'État ? Et si tel n'était pas le cas, quelles conséquences comptez-vous en tirer sur le plan personnel ? (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président Ayrault, je voudrais d'abord assurer Mme Alliot-Marie de toute ma confiance et regretter l'exploitation peu honnête que vous faites de ses propos. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC. — Protestations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Bruno Le Roux. Ce n'est sûrement pas à vous de donner des leçons d'honnêteté !
M. François Fillon, Premier ministre. L'histoire avance souvent plus vite que la diplomatie, et nous en avons fait collectivement l'expérience lors de la chute de l'Union soviétique comme lors de la réunification allemande. (" Eh oui ! " sur plusieurs bancs du groupe UMP.) D'une certaine façon, la révolution tunisienne nous le rappelle encore.
J'entends les critiques que vous formulez. Je pourrais, pour y répondre, citer de larges extraits du très beau discours prononcé par Lionel Jospin au mois d'octobre 1997, lorsqu'il recevait à Matignon le président Ben Ali. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Henri Emmanuelli. Ça faisait longtemps !
M. François Fillon, Premier ministre. Je pourrais évoquer le satisfecit donné au Gouvernement de M. Ben Ali par Dominique Strauss-Kahn au mois d'octobre 2008, quelques minutes après avoir reçu du chef de l'État tunisien une haute décoration. (Applaudissements et exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais je ne le ferai pas, parce que ce ne serait pas à la hauteur du défi que doit relever le peuple tunisien.
M. Henri Emmanuelli. Non, vous n'êtes pas à la hauteur !
M. François Fillon, Premier ministre. Ce défi, c'est de réussir une transition démocratique à la hauteur des espoirs nés du mouvement populaire engagé par les Tunisiens, et qui les a conduits à faire preuve d'un grand courage et à braver tous les risques.
Mme Monique Iborra. C'est facile de le dire maintenant !
M. François Fillon, Premier ministre. Le sort de la Tunisie est entre les mains des Tunisiens.
Le rôle de la France, c'est d'accompagner la Tunisie sur le chemin difficile de la démocratie.
Mme Monique Iborra. En envoyant des troupes ?
M. François Fillon, Premier ministre. Comme le Président de la République l'a rappelé dès samedi, la France est aux côtés du peuple tunisien.
La France souhaite l'organisation d'élections libres, qui sont la seule issue possible à la crise que traverse la Tunisie. Nous sommes d'ailleurs prêts à fournir au gouvernement tunisien, s'il le désire, l'assistance nécessaire à la préparation et à l'organisation de ces élections.
Nous voulons ensuite indiquer au gouvernement tunisien que nous sommes décidés à accroître notre effort de coopération économique et culturelle. Nous sommes déjà en Tunisie le premier bailleur de fonds d'aide au développement ; faire plus, ce sera montrer notre confiance dans le processus démocratique engagé.
En disant aux nombreux Français qui résident en Tunisie que nous les encourageons à y rester, nous montrons aussi notre confiance dans ce processus démocratique.
Nous nous engageons enfin, dans le cadre de l'Union européenne, à obtenir un accroissement de l'aide et surtout l'octroi de ce statut avancé déjà accordé au Maroc ; cela peut constituer un autre signe pour permettre aux Tunisiens de progresser sur la voie de la démocratie.
M. Manuel Valls. Votre discours a bien changé !
M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, l'essentiel, c'est la très ancienne et très forte amitié qui lie la Tunisie à la France, le peuple tunisien au peuple français. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
À ce peuple tunisien, fier, courageux, auquel nous lie un héritage millénaire, nous disons, ensemble, que cette amitié est plus forte que tous les régimes et que nous continuerons de l'aider.
M. Bruno Le Roux. Vous l'avez laissé tomber, ce peuple !
M. François Fillon, Premier ministre. Enfin, j'aimerais que l'opposition n'ait pas deux discours d'une région à l'autre de l'Afrique et n'oublie pas qu'il y a en ce moment, en Afrique, un chef d'État qui a volé les élections, et qui doit subir les mêmes critiques sur tous les bancs de l'Assemblée nationale ! (Mesdames et messieurs les députés des groupes UMP et NC se lèvent et applaudissent longuement. — Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Henri Emmanuelli. C'est pitoyable !
M. Bruno Le Roux. N'importe quoi ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Auteur : M. Jean-Marc Ayrault
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 janvier 2011