récidive
Question de :
Mme Delphine Batho
Deux-Sèvres (2e circonscription) - Socialiste, radical, citoyen et divers gauche
Question posée en séance, et publiée le 23 novembre 2011
MEURTRE D'UNE JEUNE FILLE EN HAUTE-LOIRE
M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.Mme Delphine Batho. Monsieur le président, en tant que femme, en tant que mère de famille, en tant que députée, au nom du groupe socialiste et, je pense, de l'ensemble de la représentation nationale, je voudrais exprimer notre effroi face au crime atroce qui a coûté la vie à la jeune Agnès.
Nous partageons la douleur de sa famille, de ses camarades, l'émotion des jeunes et de tous les Français.
Face à ce crime insupportable, nous voulons comprendre, nous voulons la vérité. La question légitime qui se pose, c'est : est-ce que ce crime pouvait être évité ? Il est normal qu'il y ait une enquête pour le déterminer.
Le fait que l'auteur présumé était déjà accusé de viol montre qu'il y a, à l'évidence, une faille dans la prévention de la récidive des délinquants sexuels. Cette faille, monsieur le garde des sceaux, on ne la découvre pas aujourd'hui.
Il y a, hélas, un échec français dans la lutte contre la récidive. Cela fait longtemps que nous disons qu'il faut s'inspirer des méthodes d'évaluation du risque de récidive et de psychocriminologie en vigueur au Canada depuis la fin des années 1970, et qui ont donné des résultats.
Cette réforme avait été annoncée par le Président de la République ; vous aviez cette responsabilité. J'ai ici le communiqué de Nicolas Sarkozy (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) qui, après avoir reçu, il y a deux ans, la famille de Marie-Christine Hodeau, violée et assassinée alors qu'elle faisait son jogging, annonçait cette grande réforme de la psychiatrie criminelle. Qu'est devenue cette annonce ? (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Éric Raoult. C'est indécent !
Mme Delphine Batho. Hier, vous avez annoncé une loi. Depuis le début du quinquennat, trois lois ont déjà été votées en matière de récidive. Pour quelle efficacité ? Et je ne parle pas du manque de moyens, en psychiatres, en criminologues, en médecins, en éducateurs. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Monsieur le garde des sceaux, la prévention de la récidive des délinquants sexuels est une exigence absolue. La seule chose qui compte, pour nous, c'est la recherche de solutions efficaces et pérennes. Les Français n'attendent pas des annonces, ils n'attendent pas des lois, ils veulent des actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président de l'Assemblée nationale, mesdames et messieurs les députés, madame Batho, je voudrais, au nom du Gouvernement et au nom de la nation tout entière, présenter mes condoléances à la famille d'Agnès, à ses amis, leur dire que nous partageons leur souffrance, que nous partageons aussi leur incompréhension et, pour beaucoup d'entre nous certainement, leurs doutes et leur colère.
Le rôle du Gouvernement, le rôle du Parlement, après un drame comme celui-là, c'est de s'interroger sur la question de savoir s'il aurait pu être évité ; c'est d'analyser ce qui s'est passé et de tirer toutes les conséquences de cet événement.
À la question que nous nous posons tous, et que, madame Batho, vous avez posée : " Est-ce que ce drame aurait pu être évité ? ", je réponds : oui. Dès hier, réunissant les ministres compétents, j'ai proposé trois décisions inspirées directement de ce qui s'est produit.
En premier lieu, j'ai demandé au garde des sceaux que, désormais, les parquets requièrent systématiquement la mise dans un centre éducatif fermé, dans l'attente de leur procès, des mineurs qui se sont rendus coupables d'un crime sexuel. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.) C'est une situation qui n'aurait jamais dû se produire. Ce mineur avait violé une jeune femme dans des conditions particulièrement odieuses, la menaçant de mort. Il n'aurait jamais dû être placé dans un établissement d'éducation normal sans surveillance particulière.
La deuxième décision que je vous propose concerne l'échange d'informations. Bien sûr, il y a un secret professionnel, et celui-ci est respectable. Mais comment imaginer que le chef d'établissement qui a reçu ce jeune homme déclare ne pas avoir été au courant de la nature de l'acte qu'il avait précédemment commis ? Comment comprendre que le psychiatre - je ne parle pas du psychiatre qui a évalué ce jeune homme, mais de celui qui le suivait - n'ait pas été au courant de la nature du crime qui lui était reproché ?
Je demande donc - et je propose que ce soit discuté dans le cadre de la loi de programmation dont vous allez débattre dans quelques jours - que l'on mette en place les modalités d'un secret professionnel partagé. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.)
Il n'y a aucune raison pour que les différents représentants de l'État - et je mets le chef d'établissement, d'une certaine façon, au niveau des représentants de l'État puisque, même s'agissant d'un établissement privé, il concourt à la mise en oeuvre d'un service public - ne soient pas informés : il doit y avoir une information.
M. Jacques Alain Bénisti. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. Ma conviction est que, si cette information avait été donnée, ce garçon n'aurait pas été placé dans cet établissement.
Troisièmement, je vous propose, dans le cadre du texte qui va être discuté dans quelques jours - et qui, je le rappelle, n'est pas un texte de circonstance puisqu'il avait été programmé depuis longtemps -, de travailler ensemble sur l'amélioration de l'expertise.
Je ne suis pas psychiatre et je n'ai aucune compétence dans ce domaine. Simplement, j'ai du mal à comprendre qu'un psychiatre ait pu dire qu'un jeune homme de dix-sept ans, qui avait commis un viol dans des conditions particulièrement atroces, en menaçant de mort la jeune fille qu'il a violée, ait été jugé comme n'étant pas dangereux pour la société. Il faut donc améliorer les conditions de l'expertise. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe NC.)
Madame Batho, je ne veux pas polémiquer,...
Mme Delphine Batho. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. ...parce que je pense qu'il n'y a aucune raison de le faire.
Ce que les Français attendent de nous, c'est une grande dignité. Nous n'avons pas à exploiter des événements comme ceux-là. Nous avons simplement à faire notre devoir, et notre devoir, c'est de prendre les décisions qui s'imposent. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Auteur : Mme Delphine Batho
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Droit pénal
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 23 novembre 2011