instruction
Question de :
Mme Élisabeth Guigou
Seine-Saint-Denis (9e circonscription) - Socialiste, radical, citoyen et divers gauche
Question posée en séance, et publiée le 8 janvier 2009
JUGE D'INSTRUCTION
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le Premier ministre, le Président Sarkozy veut, dit-on, supprimer le juge d'instruction.
Si cette décision était confirmée, elle constituera une terrible atteinte aux droits des citoyens. (Murmures sur les bancs des groupes UMP et NC.) D'abord parce que le juge d'instruction est un juge indépendant : s'il n'existe plus, le parquet conduira seul l'enquête. Or le parquet est aux ordres du Gouvernement. Dans les affaires sensibles touchant le pouvoir politique, on pourrait dès lors nourrir de sérieux doutes sur l'impartialité d'une enquête soumise aux instructions de ce même pouvoir politique.
M. M. Jean-Michel Fourgous et M. Philippe Houillon. N'importe quoi !
Mme Élisabeth Guigou. Premier problème : l'impartialité des enquêtes. Second problème : la rupture d'égalité de tous devant la justice.
Si l'on supprime le juge d'instruction, qui recherche aussi bien des preuves de culpabilité que des preuves d'innocence, les avocats seront seuls face à la puissance du parquet pour faire prévaloir la présomption d'innocence.
M. Georges Tron. Quel aveu !
Mme Élisabeth Guigou. Seules les personnes capables de payer un ou plusieurs avocats qui suivront l'enquête de près pourront être bien défendues. Toutes les autres, celles qui n'en ont pas les moyens, se retrouveront en situation d'infériorité.
Les citoyens ne sont égaux devant la justice que si le parquet est indépendant du pouvoir et l'enquête conduite par un juge indépendant.
M. Georges Tron. Quel aveu !
Mme Élisabeth Guigou. Il est vrai que l'on peut déplorer des dérives de la part de certains juges. Pour les éviter, la commission d'Outreau avait unanimement proposé de faire travailler en équipe les juges d'instruction. Des pôles regroupant les juges se mettent d'ailleurs en place.
M. Pascal Clément. C'est ce que j'ai fait !
Mme Élisabeth Guigou. Dès lors, monsieur le Premier ministre, pourquoi remplacer cette bonne réforme par une mauvaise ?
Après avoir autorisé le fichier Edwige, après avoir porté un coup sévère à l'audiovisuel public, allez-vous porter une nouvelle atteinte aux droits et aux libertés publiques ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. François Fillon, Premier ministre. Je vous remercie, madame Guigou, de me poser cette question sérieuse qui mérite autre chose que des réactions outrancières fondées sur la seule publication d'un article de presse. (" Très bien ! " et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Qui peut dire aujourd'hui qu'il ne faut pas réfléchir à la procédure pénale ? Qui peut soutenir aujourd'hui que la protection des libertés individuelles en France est satisfaisante ? Sans remonter à l'affaire d'Outreau, qui n'a pas été choqué par des mises en détention provisoire, par des gardes à vue totalement injustifiées au regard des risques que présentaient les personnes concernées ? (" Très bien ! " et applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Dans ces conditions, le Président de la République a souhaité - et c'est une question qu'il remet entre nos mains, entre celles des parlementaires - l'ouverture d'un débat sur la question de la confusion des pouvoirs entre le juge chargé de l'enquête et celui chargé de la défense des droits de la personne.
M. Christian Bataille. Le Président a déjà décidé pour nous !
M. François Fillon, Premier ministre. Du reste, vous savez fort bien que nous sommes sur ce point en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qui estime que le même juge ne peut assurer le déroulement de l'enquête et en même temps veiller à la protection des droits de la personne mise en examen. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)
Cette demande du Président de la République de l'ouverture d'un débat...
M. Christian Bataille. Tout est déjà décidé !
M. François Fillon, Premier ministre. ...est par ailleurs légitime au regard de la question du secret de l'instruction, devenu une véritable farce, ce dont nous nous offusquons à tour de rôle, sans jamais prendre la moindre mesure efficace pour le faire respecter !
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très juste !
M. François Fillon, Premier ministre. Que souhaitons-nous ? Tout d'abord, que la commission présidée par Philippe Léger, ancien avocat général près la Cour de justice des communautés européennes, travaille...
M. Jean Glavany. Laissez-la donc travailler !
M. François Fillon, Premier ministre. ...et nous fasse des propositions, afin que, sur cette base, nous puissions ouvrir un débat. Faut-il, par exemple, qu'il y ait un juge indépendant, madame Guigou, chargé de l'enquête, et un juge de l'instruction chargé de surveiller son déroulement mais non de la conduire ? Ne devons-nous pas réfléchir ensemble à l'instauration d'un véritable Habeas corpus à la française pour que nous ne retrouvions plus des situations comme celles que j'évoquais tout à l'heure ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UMP et NC.)
M. Michel Bouvard. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. J'ai été choqué, même si l'on n'a pas atteint là la gravité de l'affaire d'Outreau, de la mise en garde à vue d'une infirmière alors même que celle-ci avait immédiatement reconnu qu'elle avait commis une faute et qu'elle ne représentait pas le moindre danger. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC.)
M. Georges Tron. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. Voilà quels sont les termes du débat. Je suis convaincu, madame Guigou, que l'ensemble des parlementaires voudront y participer. Nous prendrons le temps de le mener dans le courant de l'année 2009.
Mais pour ce qui me concerne, je ne saurais me satisfaire de la situation française en matière de libertés individuelles. Elle ne me paraît pas conforme à l'idée que je me fais du pays des Lumières au XXIe siècle. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Auteur : Mme Élisabeth Guigou
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Droit pénal
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 8 janvier 2009