Italie
Question de :
M. Patrick Braouezec
Seine-Saint-Denis (2e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine
M. Patrick Braouezec souhaite interroger M. le Premier ministre à propos de la remise en cause de la parole donnée - depuis 1982 -, par différents gouvernements, à la quelque centaine d'Italiens à qui l'État français avait attribué, en toute connaissance de cause, l'asile politique. Après Paolo Persichetti, déjà extradé, et Cesare Battisti, c'est maintenant au tour de Marina Petrella de voir son asile politique annulé - pour répondre à la demande d'extradition de l'État italien - puisque la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles vient d'y répondre favorablement. Marina Petrella, ancienne militante des années 1980 en Italie, a été arrêtée le 28 août dernier sous le prétexte d'un contrôle de véhicule, vendu il y a plus d'un an. Marina Petrella, trente ans après les faits qui lui sont reprochés, dix-neuf ans après sa sortie de prison sans avoir été jugée, quatorze ans après sa condamnation à perpétuité et sa remise en liberté à l'issue de l'audience, quatorze ans après son arrivée en France, treize ans après une demande d'extradition non exécutée, après la naissance d'une deuxième fille et un métier stable, se voit, aujourd'hui, traitée comme une coupable de crimes imprescriptibles. Pourtant, elle est partie libre d'Italie pour la France et n'a depuis son arrivée jamais troublé l'ordre public et s'est remarquablement insérée. Extrader Marina Petrella, c'est entériner le reniement de tous les principes et règles fondamentaux, auxquels la France adhère dont la Convention européenne sur l'extradition de 1957 qui reconnaît explicitement - article 3 - que l'extradition ne sera pas accordée pour des infractions politiques. Or, c'est bien l'asile politique qui lui a été accordé il y a près de quinze ans.
Réponse en séance, et publiée le 9 janvier 2008
DEMANDES D'EXTRADITION DE L'ÉTAT ITALIEN
M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour exposer sa question, n° 100, relative aux demandes d'extradition de l'État italien.M. Patrick Braouezec. Marina Petrella, ancienne militante des années quatre-vingt en Italie, a été arrêtée le 28 août dernier, sous le prétexte d'un contrôle de véhicule. Trente ans après les faits qui lui sont reprochés, dix-neuf ans après sa sortie de prison sans avoir été jugée, quatorze ans après sa condamnation à perpétuité alors qu'elle n'avait pas été arrêtée à l'issue de l'audience, quatorze ans après son arrivée en France, treize ans après une demande d'extradition non exécutée, elle est traitée comme si elle était coupable de crimes imprescriptibles. Pourtant, elle était partie libre d'Italie, pour la France où elle a demandé le droit d'asile, qui lui a été accordé en toute connaissance de cause.
Je rappelle que, durant la période qui lui a valu condamnation, Marina Petrella a fait partie des activistes d'extrême gauche italiens dont certains ont été arrêtés, jugés selon une procédure d'exception et soumis à des condamnations collectives par une justice qui, n'ayons pas peur de le dire, ne fonctionnait pas de façon démocratique. Lors de son arrivée en France, Marina Petrella a été régularisée, ainsi qu'une bonne centaine d'autres Italiens dans la même situation, a fondé une famille et s'est intégrée dans la société française en respectant scrupuleusement les lois de la République et en travaillant dans des associations en lien avec la fonction publique. Elle a bénéficié d'une deuxième chance qu'elle n'a jamais trahie.
Aujourd'hui, le Gouvernement semble considérer qu'il serait de son devoir de répondre à la demande d'extradition formulée par l'État italien. Ce faisant, les autorités françaises renieraient un engagement solennel pris par la République française il y a vingt-cinq ans et tenu par tous les gouvernements, de gauche comme de droite. Violer cet engagement constituerait une trahison inacceptable de la parole de l'État : je cite les propos de Stéphane Hessel, d'Albert Jacquard, du pasteur Jacques Maury, de Jean Lacouture et de Monseigneur Rouet, archevêque de Poitiers qui avait employé ces termes dans un texte récent. Extrader Marina Petrella reviendrait à renier toutes les règles et principes fondamentaux, dont celui du délai raisonnable, et à accepter l'érosion des principes fondateurs de notre démocratie et de l'État de droit. En accédant à la demande italienne, vous porteriez un rude coup au droit d'asile. Oui, il faut que le Gouvernement l'entende, nous sommes nombreux, ici, dans cet hémicycle, mais aussi dans la rue, à déplorer que soit démenti l'engagement solennel pris par la République française d'accorder l'asile à la centaine d'activistes italiens.
Je suis aux côtés de ceux qui refusent que l'asile politique, institution juridiquement consacrée, soit remis en question. Notre pays doit rester une terre d'asile. La parole donnée par l'État ne peut être bafouée. Accepter de le faire, ce serait déshonorer la France. J'ose espérer qu'il y a encore des gens d'honneur pour défendre les valeurs démocratiques. Le Gouvernement s'honorerait en ne signant pas le décret d'extradition. Nous sommes nombreux à espérer qu'il répondra positivement à cette demande.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. Monsieur Braouezec, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du Premier ministre, qui est actuellement, comme la plupart de mes collègues, auprès du Président de la République, à l'occasion de sa conférence de presse - j'en viens également. M. le Premier ministre m'a demandé de vous répondre, s'agissant de la demande d'extradition concernant Marina Petrella.
Cette demande est soumise à une procédure stricte, dont la chambre de l'instruction de Versailles a fait en l'espèce une application minutieuse, en prenant soin d'approfondir le dossier et de demander les précisions qui lui paraissaient nécessaires. Les tribunaux ont en effet notamment la charge de vérifier les éventuels problèmes de prescription : cette procédure garantit les droits de la personne concernée.
Les faits pour lesquels Mme Marina Petrella a été condamnée sont de nature criminelle et sont donc considérés comme les plus graves. Derrière ce qui semble n'être que des procédures, il y a des personnes, des êtres humains auxquels la vie a été ôtée, ou qui ont été si atteints dans leur chair ou dans leur esprit que leur vie et celle de leurs proches en ont été bouleversées à jamais. Ces victimes ou leurs proches sont en droit de voir les sanctions prononcées exécutées.
La protection apportée par l'État français aux réfugiés italiens avait un fondement humanitaire et non juridique, qui ne peut donc être opposé à une demande d'extradition faite dans les formes et respectueuse de la procédure. Cette protection a été remise en cause à compter de 2002 à l'occasion de l'extradition de Paolo Persichetti et cette position n'a plus été démentie, l'État français assumant son choix.
Nous appartenons à l'espace judicaire européen, nous devons en tirer toutes les conséquences à partir du moment où il est vérifié que les procédures sont respectueuses des droits des personnes en cause. Or, je peux vous confirmer, monsieur Braouezec, que le travail minutieux effectué par les magistrats français sur la demande d'extradition de Mme Petrella a été guidé par ce souci. La France respectera ses engagements européens.
M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.
M. Patrick Braouezec. Votre réponse, monsieur le secrétaire d'État, ne me satisfait pas et ne satisfera pas non plus tous ceux qui se mobilisent aujourd'hui autour du cas de Maria Petrella.
Je voudrais simplement préciser deux points. D'une part, il ne s'agit pas de remettre en cause le travail de la chambre de l'instruction de Versailles qui a sans aucun doute étudié ce dossier, mais plutôt de traiter d'une question de principe. D'autre part, nous devons nous interroger collectivement sur les faits tels qu'ils se sont déroulés. Pourquoi l'État italien, s'il était sûr de son droit, après avoir condamné Maria Pétrella à perpétuité, lors de ce que nous pourrions qualifier de simulacre de procès, l'a-t-il, à l'issue de l'audience, laissée en liberté pendant plusieurs mois, avant qu'elle ne parte en France et qu'elle y demande le droit d'asile ? Le Gouvernement italien savait très bien où elle était et l'a laissée partir. L'État français s'est ensuite engagé envers elle comme envers une centaine de militants italiens de cette époque. C'est ce droit-là qui est aujourd'hui bafoué, et que nous vous demandons de respecter. Que la chambre de l'instruction de Versailles ait émis cet avis est une chose, que le Gouvernement français puisse reconnaître qu'un engagement a été pris par la République française en est une autre.
Mme Petrella vit sur le territoire français où elle a refondé une famille : elle est mère d'une petite fille de treize ans. Personne ne comprendrait que trente ans après les faits, quels qu'ils soient - et je ne rentre pas dans les considérations que vous avez évoquées -, on puisse effectivement souscrire à la demande d'extradition formulée par le gouvernement italien.
Auteur : M. Patrick Braouezec
Type de question : Question orale
Rubrique : Politique extérieure
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 8 janvier 2008