agriculteurs
Question de :
M. Stéphane Demilly
Somme (5e circonscription) - Nouveau Centre
M. Stéphane Demilly attire l'attention de M. le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche sur la crise profonde que traverse le monde agricole. Le 27 avril 2010, des milliers d'agriculteurs ont manifesté dans la capitale pour exprimer leur angoisse et leur désarroi. La crise qu'ils traversent n'est en effet pas uniquement une crise économique impactant leur revenu, c'est plus profondément une crise morale qui les amène à douter du sens de leur profession. Au-delà des indispensables mesures d'aide conjoncturelles que le Gouvernement met en oeuvre, cette crise morale appelle des réponses touchant à l'avenir même de notre agriculture. C'est pourquoi, alors que le Sénat s'apprête à examiner, à compter de ce 18 mai 2010, le projet de loi de modernisation de l'agriculture, il lui demande de lui préciser quelles réponses il compte apporter aux légitimes interrogations du monde agricole.
Réponse en séance, et publiée le 19 mai 2010
CRISE AGRICOLE
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, pour exposer sa question, n° 1057, relative à la crise agricole.M. Stéphane Demilly. Monsieur le ministre de la jeunesse et des solidarités actives, ma question s'adresse également à M. le ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche.
Le 27 avril dernier, plus de 1 500 tracteurs et 10 000 agriculteurs se sont donné rendez-vous dans les rues de Paris. L'accueil que leur a réservé la population est un signe fort de l'attachement des Français à leur agriculture et à leurs paysans. Cependant, nous en avons tous conscience, si l'ambiance était ce jour-là au dialogue avec les Parisiens, cette manifestation avait bien pour objet de dénoncer la crise gravissime dans laquelle se trouvent les agriculteurs français. Le ministre de l'agriculture a lui-même déclaré le 31 août dernier lors de la foire de Châlons-en-Champagne : " C'est la crise la plus grave qu'ait connue le secteur agricole depuis trente ans. "
De fait, la crise que traversent nos agriculteurs n'est pas seulement une crise économique qui impacte dramatiquement leurs revenus. C'est, plus profondément, une crise morale qui les amène à douter du sens même de leur profession.
Pour endiguer l'hémorragie, l'État doit naturellement agir dans l'urgence sur les besoins conjoncturels, mais il est également indispensable qu'il mène un travail de profondeur pour structurer et moderniser notre agriculture.
Évoquons en premier lieu les besoins conjoncturels.
Les agriculteurs, toutes productions confondues, doivent être accompagnés pour franchir ce cap difficile et retrouver un peu d'oxygène. Cela passe bien sûr par des mesures d'accompagnement pour les agriculteurs en situation fragile, et ce toutes productions confondues, des mesures telles que des reports d'annuités d'emprunt avec prise en charge des intérêts, des prises en charge ou reports de charges sociales ou encore des allégements de charges.
Toutefois d'autres mesures doivent être activées, comme le dégrèvement de la TIPP. N'oublions pas, pour ne citer que ce chiffre, qu'un hectare de betteraves " stocke " 40 tonnes de C02 !
Enfin, il faut impérativement obtenir un report des dates d'obligation de mises aux normes des éleveurs qui sont entrés dans cette démarche volontairement, mais qui ne peuvent aboutir dans les temps impartis faute de financement.
Il y a en second lieu des besoins structurels.
La crise que traversent toutes les filières agricoles montre l'impasse dans laquelle conduit une politique de dérégulation à outrance au niveau européen et mondial. Il faut donc retrouver un cap politique de régulation. Cela passe par la régulation des marchés au niveau intracommunautaire, avec la réhabilitation des politiques publiques de gestion des marchés par des systèmes de quotas, d'intervention et de stockage. Cela passe également par la régulation des marchés au niveau extracommunautaire, notamment à l'OMC, dont les discussions reprennent cet automne.
Par ailleurs, l'agriculture française doit retrouver de la compétitivité en faisant la chasse aux distorsions de concurrence, qui sont dues notamment à une pression réglementaire sans cesse accrue et à un coût du travail bien plus élevé que chez nos principaux concurrents européens.
Enfin, bien sûr, l'État doit se doter de moyens modernes d'accompagnement individuel de l'agriculture, avec des mécanismes fiscaux adaptés d'épargne de précaution, la mise en place de systèmes assurantiels multirisques, l'utilisation d'une part de l'emprunt national pour le développement de l'agriculture, pilier économique de notre pays.
Ma question est simple : alors que le Sénat s'apprête à entamer aujourd'hui l'examen du projet de loi de modernisation agricole, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, comment le Gouvernement compte répondre de façon urgente à ces besoins tant conjoncturels que structurels de notre agriculture ?
M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, ministre de la jeunesse et des solidarités actives.
M. Marc-Philippe Daubresse, ministre de la jeunesse et des solidarités actives. Monsieur le député, comme je viens de le rappeler, M. Le Maire prépare activement le projet de loi de modernisation de l'agriculture dont la discussion débute cet après-midi au Sénat. Vous trouverez dans ce texte un certain nombre des réponses aux questions que vous venez de poser.
Nous ne nions pas, le Président de la République en a parlé à plusieurs reprises, la crise très grave que traverse l'agriculture depuis trente ans. Je constate d'ailleurs dans le périmètre de mon ministère une augmentation sensible depuis un mois du nombre des personnes émanant de la ruralité et de l'agriculture qui demandent à bénéficier du revenu de solidarité active. Cela montre l'ampleur de la chute des revenus que vous avez soulignée.
Pour répondre à l'urgence, une première réponse a été apportée par le plan de soutien exceptionnel à l'agriculture, initié par le Président de la République dans le Jura et renforcé à l'occasion du salon international de l'agriculture, le 6 mars 2010. Il comporte un volet bancaire de 1,8 milliard d'euros de prêts et plus de 650 millions d'euros d'aide publique.
Au-delà de l'urgence, nous avons l'impérieuse nécessité de donner des perspectives de long terme dans le cadre de ce projet de loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche. Ce texte a pour objectif de stabiliser le revenu des agriculteurs en faisant du contrat écrit, comportant une quantité, un prix et une durée, la base obligatoire des relations entre producteurs et acheteurs.
Afin d'assurer une meilleure transparence dans la répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne commerciale, le texte renforce le rôle de l'observatoire des prix et des marges qui sera étendu aux coûts de production, à toutes les filières et à tous les produits agricoles. Les pratiques commerciales seront par ailleurs mieux encadrées. Les accords de modération des marges en cas de crise dans la filière des fruits et légumes, signés hier à l'Élysée, constituent à cet égard un signal très positif.
La loi renforcera également le rôle des organisations de producteurs et des interprofessions agricoles qui pourront fixer des indicateurs de tendance de marché. Les producteurs seront ainsi en capacité de négocier dans de meilleures conditions. À cet effet, Bruno Le Maire a demandé au commissaire européen à la concurrence, Joaquin Almunia, une adaptation du droit de la concurrence européen.
Pour faire face à l'instabilité des prix, aux risques climatiques, aux crises sanitaires, de nouveaux instruments de couverture des risques seront mis en place et disponibles à la fin de l'été prochain.
Aux solutions structurelles apportées par la loi de modernisation viendra s'ajouter la mise en place de plans de développement par filière - lait, élevage, fruits et légumes - destinés à renforcer leur compétitivité.
Enfin, il sera nécessaire de poursuivre notre stratégie en faveur d'une nouvelle régulation des marchés agricoles. Dans le prolongement de l'appel de Paris pour une politique agricole et alimentaire commune forte, lancé le 10 décembre dernier avec vingt-et-un de nos partenaires, vous pouvez compter sur la détermination de Bruno Le Maire qui prépare activement l'élaboration de cette nouvelle stratégie.
Auteur : M. Stéphane Demilly
Type de question : Question orale
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Alimentation, agriculture et pêche
Ministère répondant : Alimentation, agriculture et pêche
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 11 mai 2010