Question orale n° 138 :
politique de l'emploi

13e Législature

Question de : M. Jean-Yves Le Déaut
Meurthe-et-Moselle (6e circonscription) - Socialiste, radical, citoyen et divers gauche

M. Jean-Yves Le Déaut attire l'attention de M. le ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité sur la grave crise industrielle que connait actuellement la Lorraine. Les décisions de Total à Carling, de Mittal à Gandrange, ou de Kleber à Toul, qui n'hésitent pas à démanteler les filières industrielles lorraines, en sont les exemples les plus douloureux. La Lorraine aura perdu près de 4 500 emplois industriels dans la seule année 2007, soit une perte de près de 11 % des emplois industriels au niveau national. Le Président de la République a déclaré « vouloir » promouvoir et développer la culture industrielle et ouvrière française. Or, l'exemple de la Lorraine démontre qu'il n'y a pas de véritable politique industrielle dans notre pays. Cette crise serait encore plus grave, si certains Lorrains ne travaillaient pas dans les pays frontaliers : près de 60 000 Lorrains franchissent tous les jours la frontière pour aller travailler au Grand duché du Luxembourg, mais aussi en Belgique ou en Allemagne. Alors que le Luxembourg développe un grand pôle universitaire et de services dans le sud de son territoire avec 20 000 emplois à la clé (Esch/Belval), le développement de la partie française n'est, lui, qu'embryonnaire. Et les solutions proposées dans le contrat de projet État/région (13 millions d'euros de l'État) ne sont pas à la hauteur de l'enjeu. Aussi, il lui demande quelle mesure il compte prendre dans le projet de ré industrialisation de la Lorraine, quelle est sa stratégie de développement dans la partie française d'Esch/Belval, et s'il compte mettre en place l'une des 10 villes durables (eco polis) présentée dans le rapport Attali. La région lorraine a également développé le projet d'un grand centre d'éco construction associant un grand centre de recherche qui pourrait être le Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA), le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB), des industriels dans le domaine des matériaux isolants, et des universitaires. L'État soutiendra t-il ce projet dans la mesure où la Lorraine a accepté l'implantation du centre de recherche de Bure sur les déchets radioactifs ? Compte t-il créer des zones franches sur le territoire lorrain, pour compenser le différentiel de la TVA entre les pays voisins ? Comment compte t-il soutenir les deux pôles de compétitivité (matériaux innovants, produits intelligents et fibres naturels grand Est) ? Enfin, compte t-il réunir des assises dans le cadres d'un Grenelle industriel de la Lorraine, sur les bassins qui ont souffert ? Aussi, il aurait voulu savoir quelle réponse l'État compte donner à la Lorraine pour pallier cette crise, non seulement au niveau des bassins d'emplois concernés, mais également au niveau de l'ensemble de la région toute entière.

Réponse en séance, et publiée le 30 janvier 2008

POLITIQUE INDUSTRIELLE EN LORRAINE

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Déaut, pour exposer sa question, n° 138, relative à la politique industrielle en Lorraine.
M. Jean-Yves Le Déaut. La Lorraine connaît actuellement une grave crise industrielle. Les décisions de Total à Carling, de Mittal à Gandrange, de Kleber à Toul et de Cignet dont vient de parler mon collègue Féron, qui n'hésitent pas à démanteler les filières industrielles lorraines, en sont les exemples les plus douloureux.
La Lorraine aura perdu près de 4 500 emplois industriels dans la seule année 2007, soit une perte de 11 % des emplois industriels au niveau national.
Le Président de la République a déclaré " vouloir " promouvoir et développer la culture industrielle et ouvrière française. Or l'exemple de la Lorraine démontre qu'il n'y a plus de véritable politique industrielle dans notre pays.
Aujourd'hui, on veut fermer Kleber à Toul, alors que Michelin promet d'injecter 130 millions d'euros pour restructurer le site et payer le plan social. Nous pensons que ce sont les décisions antérieures du groupe Michelin qui sont responsables de cette situation. Cette fermeture n'est pas inévitable. Pour nous, le drapeau Michelin doit continuer de flotter à Toul !
Total veut également fermer un vapocracker à Carling. N'est-ce pas le début du désengagement de Total dans la pétrochimie continentale ? Cela entraînera, à terme, de grosses difficultés sur le site d'Ineos de Sarralbe.
Ces jeux de dominos industriels nous inquiètent d'autant plus que les décisions des groupes sont liées ni à des problèmes de surcapacité de production, ni à des excédents d'effectifs, ni à une vétusté des installations, pas plus qu'à des retards technologiques entraînant des baisses de rentabilité, mais bien à des considérations purement stratégiques.
M. Mittal a promis hier à M. Sarkozy d'étudier le plan des syndicats jusqu'au 1er avril. N'est-ce pas un stratagème pour laisser les esprits se calmer avant les municipales ? Nous ne pouvons admettre qu'un groupe ayant réalisé des dizaines de milliards d'euros de résultats en 2007 ne puisse pas investir 25 millions d'euros à Gandrange, alors que la demande d'acier ne cesse de croître.
Cette crise serait encore plus grave si certains Lorrains ne travaillaient pas dans les pays frontaliers : près de 60 000 Lorrains franchissent tous les jours la frontière pour aller travailler au grand-duché du Luxembourg. Alors que, comme M. Liebgott l'indiquait tout à l'heure, le Luxembourg développe un grand pôle universitaire et de services, Esch-Belval, dans le sud de son territoire avec 20 000 emplois à la clé, le développement de la partie française à la frontière n'est qu'embryonnaire. Et les solutions proposées par l'État dans le contrat de projet État-région, avec une participation de l'État de 13 millions d'euros, ne sont pas à la hauteur de l'enjeu.
Madame la secrétaire d'État, quelles mesures comptez-vous prendre pour réindustrialiser la Lorraine, pour aider non seulement les bassins d'emplois concernés mais également l'ensemble de la région ? La région Lorraine a bien des projets. Mais la politique industrielle de l'État nous donne l'impression d'être abandonnés.
Quelle est votre stratégie de développement dans la partie française d'Esch-Belval ? Envisagez-vous d'implanter l'une des dix villes durables " Ecopolis " présentées dans le rapport Attali à la frontière avec le Luxembourg, où, je le rappelle, 60 000 personnes se déplacent tous les jours ?
La région lorraine a également développé le projet d'un grand centre d'écoconstruction associant un centre de recherche, qui pourrait être le Commissariat à l'énergie atomique, le Centre scientifique et technique du bâtiment, des industriels dans le domaine des matériaux isolants et des universitaires. L'État soutiendra t-il ce projet ? Est-il prêt à soutenir la création d'une plateforme européenne sur l'écoconstruction ?
Par ailleurs, l'État compte t-il créer des zones franches sur le territoire lorrain, pour compenser le différentiel de TVA entre les pays voisins ?
L'État entend-il soutenir l'initiative de la région Lorraine qui compte organiser, dans le cadre d'un " Grenelle industriel ", des assises dans les bassins qui ont souffert ?
Enfin, l'État pense-t-il développer le fret ferroviaire sur le plateau lorrain en libérant des fuseaux sur les voies ferrées du sillon mosellan pour le TGV et le TER ? Compte-t-il créer sur la zone de Jarny, proche de l'autoroute A4, un grand centre de ferroutage ?
C'est à ces questions précises, sur ces sites menacés ainsi que sur le développement à terme de la Lorraine, que nous souhaitons, madame la secrétaire d'État, avoir des réponses.
M. le président. Après ce discours programme de M. Le Déaut, vous avez la parole, madame la secrétaire d'État chargée de la solidarité.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. Monsieur le député, il est une approche, la vôtre visiblement, qui consiste à ne retenir que les mauvaises nouvelles pour laisser entendre que tout irait mal et puis, il est une approche plus objective, qui s'intéresse aussi aux bonnes nouvelles pour se faire une opinion éclairée sur l'état de la situation.
Cette approche pourrait, par exemple, souligner les succès industriels récents de la région lorraine en mentionnant par exemple les contrats que vient de remporter Carbone Lorraine, pour 6 millions d'euros, la volonté d'EGL d'exploiter 160 millions de mètres cubes de charbon lorrain pour en extraire le gaz, ou le projet de centrale électrique de Poweo à Toul.
Cette approche objective pourrait également mettre en lumière que le visage de l'emploi se modifie en Lorraine, vous avez raison. Les chiffres du chômage publiés au mois de décembre montrent une baisse de 8,4 % sur un an et cette baisse est effective dans chacun des quatre départements de la région. De novembre 2006 à novembre 2007, cette baisse s'illustre aussi bien chez les hommes que chez les femmes, chez les moins de vingt-cinq ans, chez les plus de cinquante ans, chez les vingt-cinq - quarante-neuf ans et chez les chômeurs de longue durée. Les licenciements économiques ont diminué de plus de 30 % sur l'année et l'offre d'emplois a augmenté de plus de 13 %.
S'il est vrai que le visage de l'emploi évolue, ces mutations sont le signe d'une France qui veut s'appuyer sur des activités à forte valeur ajoutée pour garder une longueur d'avance sur ses concurrents. Ainsi, elle saura tirer partie des opportunités de la mondialisation.
C'est précisément pour faire face aux mutations économiques internationales que la France mène une politique industrielle de grande envergure, en s'appuyant sur la mise en avant de facteurs clés de la compétitivité industrielle, aux premiers rangs desquels se trouve la capacité d'innovation par la recherche-développement. À cet effet, le crédit d'impôt recherche a été triplé par Christine Lagarde ; il constitue aujourd'hui l'un des outils d'attractivité les plus performants au monde.
Cette volonté de nous appuyer sur une politique industrielle d'envergure dessine le contexte et les enjeux de la politique des pôles de compétitivité. La Lorraine n'a pas été oubliée. Deux pôles lui permettent désormais de s'appuyer sur son histoire pour préparer son futur.
L'État soutient ces deux pôles, dont trois projets ont déjà été labellisés pour un montant de 2,5 millions d'euros.
Le MIPI réunit, autour des matériaux innovants et produits intelligents, plus de 50 000 salariés, 1 800 chercheurs publics et privés et les universités de Nancy et Metz. Pour tenir compte de la réalité géographique plutôt que de percevoir la proximité de nos voisins belges et luxembourgeois comme un handicap, ce pôle s'appuie de manière transfrontalière sur la Wallonie et le Luxembourg, pour concevoir, produire et transformer des matériaux performants. De la sous-traitance automobile à l'énergie, ou au bâtiment, ce pôle répond aux enjeux de la Lorraine et a déjà lancé trois projets de coopération.
Le pôle Fibres naturelles Grand Est, qui s'appuie tout à la fois sur un savoir-faire lorrain et sur le tissu des PME et centré sur les fibres, le bois, le papier, les textiles et les composites, s'appuie sur trois cents chercheurs, quinze laboratoires et de nombreux centres de transferts de technologie.
La Lorraine a su trouver son unité autour de ses atouts régionaux dans ces deux pôles de compétitivité. Plutôt que d'essayer de mettre en oeuvre de nouveaux dispositifs importés de situations différentes, il me semble aujourd'hui plus important pour la région qu'elle conserve son unité pour faire vivre et se développer ces pôles qui sont une chance à saisir. C'est en tout cas ce que fera le Gouvernement.

Données clés

Auteur : M. Jean-Yves Le Déaut

Type de question : Question orale

Rubrique : Emploi

Ministère interrogé : Travail, relations sociales et solidarité

Ministère répondant : Économie, finances et emploi

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 29 janvier 2008

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