politique pénale
Question de :
M. André Gerin
Rhône (14e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine
M. André Gerin attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le projet de refonte de la justice pénale des mineurs et de réécriture de l'ordonnance du 2 février 1945. Une commission chargée de formuler des propositions a été mise en place à cette fin. Elle devra remettre ses conclusions en novembre prochain. L'ordonnance de 1945 a marqué une rupture radicale dans l'approche de la délinquance des jeunes. L'innovation consistait à considérer l'enfant ou l'adolescent comme un être en devenir, pour lequel rien n'est définitivement joué, même quand il s'est égaré et qu'il se trouve menacé. Alors qu'auparavant la société s'appliquait à l'exclure et à le briser, la réponse devenait alors éducative. Depuis sa création, ce texte a fait l'objet de 31 modifications et d'une accélération de ces dernières au cours des années qui viennent de s'écouler. Il suffit d'en examiner le contenu pour s'apercevoir que, de plus en plus fréquemment, les changements intervenus ont conduit au recul du volet éducatif au profit de mesures niant la spécificité du mineur délinquant et reposant sur des dispositions essentiellement répressives, dont l'efficacité reste à démontrer. Ses déclarations laissent apparaître une volonté de confondre la justice pénale des mineurs et celle qui concerne les majeurs, comme c'est le cas aux États-unis, qui affichent un record en matière de délinquance des jeunes. Ce choix constituerait une grave régression. Il fait l'impasse sur le nécessaire bilan à dresser de cinq années de pratique mettant déjà en cause l'ordonnance de 1945 et privilégiant le «tout répressif». Il ignore les conséquences des carences de l'éducation, de la police, de la justice, de la protection judiciaire de la jeunesse. Il stigmatise et diabolise la jeunesse des classes populaires, ce qui ne peut que contribuer à jeter de l'huile sur le feu. À l'inverse, nous avons besoin d'une réflexion approfondie, sans complaisance notamment sur l'échec que constitue pour la société cette délinquance qui frappe y compris les plus jeunes, sur les effets de l'abandon des quartiers, d'une enfance, d'une jeunesse populaire sacrifiée, tout ce qui nourrit une culture de la violence sur fond de paupérisation sociale, morale et spirituelle. La justice des mineurs doit être renforcée, consolidée sur le socle de 1945, un socle éducatif repensé pour redonner de la pertinence, de l'efficacité à l'action en direction des jeunes concernés. Il lui a adressé des propositions en ce sens. Il souhaite connaître les suites qu'elle entend leur donner.
Réponse en séance, et publiée le 7 mai 2008
RÉFORME DE LA POLITIQUE À L'ÉGARD
DES MINEURS DÉLINQUANTS
M. André Gerin. Madame la garde des sceaux, ministre de la justice, voilà quelques jours, un collégien de Meyzieu dans mon département poignardait trois de ses camarades, avec l'intention d'en viser sept ou huit au total. Il n'avait jamais fait parler de lui. Malheureusement, de tels cas sont de plus en plus fréquents.
Pour autant, la délinquance juvénile n'est pas un phénomène uniforme et les réponses à y apporter ne sauraient l'être. Même si les situations sont parfois explosives, il s'agit seulement de la partie émergée de l'iceberg et il importe de s'interroger sur d'autres questions moins visibles.
Vous avez annoncé, madame la ministre, une refonte de la justice pénale des mineurs, en particulier de l'ordonnance du 2 février 1945. À cette fin, vous avez installé le 15 avril dernier une commission chargée de formuler des propositions en ce domaine, qui vous remettra un rapport en novembre prochain. J'ai lu avec attention les recommandations que vous lui avez adressées.
La jeunesse des quartiers populaires est dans une impasse. Elle est souvent stigmatisée et diabolisée. On nie souvent la spécificité des mineurs. La notion même d'enfant en danger a disparu et l'on voit apparaître des réponses tronquées. Rappelons que l'ordonnance de 1945 considère l'enfant comme un être en devenir, pour qui rien n'est définitivement joué : il est d'abord en danger et il s'agit non pas de l'exclure et de le briser, mais d'apporter une réponse éducative, dans des conditions adaptées à notre vie d'aujourd'hui.
Ce texte fondateur a été modifié trente et une fois. Et il ne faudrait pas que la prochaine réforme concrétise votre engagement de faire juger les seize-dix-huit ans comme des adultes. Ou alors il faudrait changer l'âge de la majorité et réinstaurer un service obligatoire, civique cette fois, pour les seize à vingt et un ans.
Sur quelle réalité agissons-nous ? Comment établir un diagnostic ? À Vénissieux, 20 % des jeunes sont issus de l'immigration. Ils sont pour une grande partie en échec scolaire et leur taux de chômage dépasse 40 %. Ils sont pris dans l'engrenage du no future et des exclusions.
L'action contre la délinquance juvénile doit être consolidée dans une démarche renouvelée, qui redonne pertinence et efficacité à l'ordonnance de 1945. Au-delà de la justice des mineurs, il s'agit plus largement de reconstruire l'autorité, rétablir des règles, réapprendre les limites et leur respect. La responsabilité pénale des moins de treize ans serait une mauvaise décision, mais il est évident que l'on ne peut pas s'en tenir au statu quo. Il faut innover par des approches et des moyens humains et financiers audacieux.
Or, force est de constater que ce n'est pas en ce sens que nous allons. Qu'en est-il, par exemple, de l'augmentation des effectifs des juges pour enfants ? Et de la généralisation de l'entrée à deux ans à l'école maternelle ? Entendez-vous généraliser l'enseignement des cultures et des civilisations dès l'école primaire ? Ne croyez-vous pas que des éléments essentiels de la politique de prévention et de traitement de la délinquance pourraient être adossés à l'ordonnance de 1945 ? Je pense en particulier à l'accompagnement des moins de douze ans après vingt-deux heures - j'ai réalisé une étude pertinente. Enfin, question importante dans les quartiers populaires, il faut prendre en compte la situation des jeunes exclus ou en échec scolaire. Cela passe par le développement de l'apprentissage dès l'âge de quatorze ans, pour inscrire tous les élèves dans un parcours valorisant, et par l'attribution de moyens suffisants à la protection judiciaire de la jeunesse.
Pour finir, madame la garde des sceaux, je tenais à vous remercier d'être présente ce matin. Accepteriez-vous que les pistes que j'ai évoquées soient explorées par la commission ?
M. le président. La parole est à Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, j'ai en effet installé, le 15 avril dernier, une commission chargée de me remettre des propositions en vue d'engager une véritable refondation de l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante. Modifiée trente et une fois, celle ci est passée de trente à soixante-dix-huit articles, dont seulement six remontent à sa création. Le texte a perdu de sa pertinence et de sa cohérence. Il importe donc de le réécrire. Je connais votre intérêt pour la délinquance des mineurs et je sais, pour vous avoir rencontré à plusieurs reprises dans votre circonscription, quelle action vous menez en faveur de la réinsertion des mineurs délinquants.
Cette commission est présidée par le recteur André Varinard. Elle est composée de professionnels du milieu judiciaire, d'universitaires, de spécialistes de la jeunesse, ainsi que de parlementaires de la majorité comme de l'opposition. Elle procédera aux auditions utiles et pourra effectuer des visites de terrain, si elle le souhaite, pour alimenter ses réflexions. Pour le reste, je souhaiterais que l'on se garde de faire un procès d'intention au Gouvernement sur les suites qui pourraient être données à un rapport qui ne lui a pas encore été remis.
Je tiens à revenir sur certains aspects que vous avez abordés.
D'abord, opposer la sanction et l'éducation est totalement dépassé aujourd'hui. Tenir un autre discours reviendrait à engendrer une grave confusion dans l'esprit des jeunes délinquants. Il faut, au contraire, remettre la sanction au coeur du travail éducatif auprès des jeunes délinquants.
Lorsque des mineurs délinquants ont dégradé le bien d'autrui ou agressé quelqu'un, la réponse pénale doit évidemment avoir une portée éducative. Mais il ne faut en aucun cas que ces mineurs soient traités comme s'ils n'avaient pas commis d'infraction. On ne peut pas faire abstraction de la victime et du respect des règles. Le mineur délinquant doit être avant tout sanctionné, car si on ne lui propose qu'une mesure éducative, il n'aura pas le sentiment d'avoir commis une infraction. Il pensera avoir bénéficié d'une assistance éducative et non d'une sanction.
Pour autant, il n'y a aucun désinvestissement dans la prise en charge éducative des mineurs délinquants. J'ai demandé aux parquets, par une circulaire du 27 juin 2007, d'assurer une réponse pénale à chaque acte de délinquance commis, car 80 % des mineurs sanctionnés dès la première fois ne récidivent pas. D'ailleurs, le taux de réponse pénale s'est amélioré puisqu'il est passé de 87 % à 92 % en moins d'un an.
Mais cela n'exclut pas une gradation dans les mesures appliquées aux jeunes selon leurs antécédents, leur personnalité, la gravité de l'acte et le contexte des faits. Il ne s'agit donc pas du " tout carcéral " parce que sanction n'est pas synonyme d'incarcération.
La mise en place de structures nouvelles constituant des alternatives à l'incarcération telles que les centres éducatifs fermés ou les centres éducatifs renforcés a contribué à limiter l'incarcération des mineurs. Les 32 centres éducatifs fermés existants ont accueilli au total près de 1 500 mineurs délinquants. J'ai souhaité que, pour 2008, cinq de ces structures soient renforcées par une équipe thérapeutique composée d'un psychiatre à temps plein, de deux psychologues et de cinq infirmiers. La prise en charge éducative est entièrement fondée sur un projet de réinsertion.
Le dispositif a produit des effets particulièrement positifs puisque 84 % des mineurs auraient intégré, à leur sortie d'un centre éducatif fermé, un parcours scolaire ou un cycle d'apprentissage. En outre, 61 % des mineurs qui sortent d'un tel centre ne récidivent pas dans l'année qui suit.
Le nombre de juges des enfants a également augmenté puisque 70 emplois ont été créés depuis 2003.
Pour conclure, la délinquance des mineurs est un échec pour notre société. Face à cela, deux attitudes sont possibles : soit on ne fait que constater, soit on agit. C'est la seconde que nous avons choisie, dans l'intérêt des mineurs, et plus largement parce que nous croyons en l'avenir de cette jeunesse.
M. le président. La parole est à M. André Gerin, pour une brève réponse.
M. André Gerin. Madame la ministre, pour ma part j'ai toujours partagé le diagnostic tel qu'il est. Sans préjuger des conclusions que la commission rendra au mois de novembre prochain, je déplore que ce problème soit traité " par morceaux " alors qu'il appelle une réponse globale. Je crains que l'on ne revienne en arrière par rapport à la conception fondatrice de l'ordonnance de 1945 qui garde sa pertinence, tout en sachant qu'il ne faut pas en rester au statu quo.
Auteur : M. André Gerin
Type de question : Question orale
Rubrique : Droit pénal
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 6 mai 2008