Question orale n° 506 :
DOM-ROM : Guyane

13e Législature

Question de : Mme Chantal Berthelot
Guyane (2e circonscription) - Socialiste, radical, citoyen et divers gauche

Mme Chantal Berthelot attire l'attention de Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales sur les tensions extrêmement vives dans les villages du Haut Maroni du fait de l'orpaillage illégal. L'insécurité y est chaque jour croissante et la situation explosive. Lors d'un déplacement qu'elle a effectué dans cette zone début janvier, la population lui a fait part de l'intensification de cette activité après la fin de l'opération Harpie, notamment dans le secteur de la Crique Hélène-Lipo Lipo et en amont immédiat de Degrad Roche. Des vols et des pillages d'abattis se multiplient. La pollution des rivières, si essentielle dans le mode de vie des habitants, est indescriptible. Près d'un an après l'engagement du Président de la République de déployer tous les moyens pour éradiquer ce fléau, six mois après la fin de Harpie 1, la situation demeure intolérable. Devant ce qui est vécu comme un génocide par ces populations, laissées sans protection face aux violences subies, elle lui demande où en est l'opération Harpie 2 qu'elle avait annoncée lors du débat budgétaire en novembre 2008 et quels sont les crédits inscrits au budget pour assurer la sécurité des populations du Haut Maroni.

Réponse en séance, et publiée le 28 janvier 2009

LUTTE CONTRE L'ORPAILLAGE ILLÉGAL EN GUYANE

M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot, pour exposer sa question, n° 506, relative à la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane.
Mme Chantal Berthelot. Monsieur le secrétaire d'État chargé de l'outre-mer, le 4 novembre dernier, dans le cadre du débat budgétaire, je demandais à Mme la ministre la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales si l'État allait engager les 6 millions d'euros supplémentaires nécessaires chaque année pour conduire une opération type Harpie " le temps qu'il faudra ", conformément à la promesse du Président de la République il y a près d'un an, à Camopi ? Mme la ministre m'avait répondu à l'époque : " l'opération Harpie [...] qui a donné de très bons résultats - et je partageais ce point de vue - sera reconduite " et " l'État continuera à mettre en oeuvre les moyens nécessaires ".
Le budget est désormais voté mais l'armée et la gendarmerie en Guyane n'ont reçu à l'heure actuelle aucun moyen supplémentaire, ni en hommes ni en matériels, pour combattre efficacement l'orpaillage illégal. Or le temps presse et la situation devient chaque jour plus explosive. Dans les villages du Haut-Maroni, les tensions ont atteint un seuil critique en raison de l'intensification de cette activité et de ses effets désastreux sur la nature, par exemple par les rejets d'éléments polluants que sont le mercure, les hydrocarbures et les matières en suspension.
La déstablisation écologique que cela induit est en soi impardonnable. Mais elle devient criminelle - et je pèse mes mots, monsieur le secrétaire d'État - lorsque l'on mesure ce que cela signifie pour les communautés traditionnelles, dont les populations amérindiennes, qui habitent les dix bassins de vie du territoire du Parc amazonien. Dans leur mode de vie, le fleuve et la forêt représentent bien plus que la source principale de subsistance. Vivre en symbiose avec la nature est un élément essentiel de leur équilibre psychique et social. Laisser détruire la forêt, laisser polluer les rivières, c'est laisser mourir à petit feu nos concitoyens.
Savez-vous, monsieur le secrétaire d'État, que, selon une enquête menée en 2007, le taux de mercure quantifié dans les cheveux des habitants de cette zone était de 13,92 microgrammes par gramme de cheveux alors que l'Autorité de sécurité sanitaire européenne fixe le seuil de risque à un taux de 2,5 microgrammes, que, dans les villages isolés, le pourcentage de naissance d'enfants difformes, atrophiés, est beaucoup trop élevé, que le nombre de suicides parmi les Amérindiens est alarmant ?
Le drame de la société amérindienne, c'est que cette société est confrontée aux activités illicites induites par l'orpaillage illégal : exploitation de la misère, violences, braconnage à grande échelle, menaces, trafics de drogues, d'armes, prostitution, braquage, et j'en passe.
La parlementaire de la deuxième circonscription de la Guyane, la plus grande de France, que je suis ne peut rester muette devant ce phénomène que j'ai pu constater lors de deux déplacements que j'ai effectués, le premier les 12 et 14 novembre, le second les 6 et 8 janvier 2009. Je dois, dans cet hémicycle, me faire le porte-parole, le porte-voix de la souffrance, de la solitude, du désespoir et de la détresse de toute la population de ces villages - Elahé, Cayodé, Taluwen, Twenké, Antecum Pata. Elle se sent abandonnée de tous et est prête à prendre les armes pour se défendre.
J'ai rencontré les forces de l'armée et de la gendarmerie. Elles travaillent avec courage dans les conditions particulièrement difficiles mais n'ont pas les moyens pour mener efficacement leur mission.
M. le président. Madame Berthelot, il faudrait poser votre question.
Mme Chantal Berthelot. Alors, monsieur le secrétaire d'État, je vous pose deux questions : combien de temps encore la République laissera-t-elle une partie de ses citoyens sans protection ? Quand allez-vous mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour combattre efficacement l'orpaillage illégal sur notre territoire ?
M. le président. La parole est à M. Yves Jégo, secrétaire d'État chargé de l'outre-mer.
M. Yves Jégo, secrétaire d'État chargé de l'outre-mer. Madame la députée, lors de sa visite en Guyane le 11 février 2008, le Président de la République a annoncé le renforcement du dispositif de lutte contre l'orpaillage clandestin afin d'assécher les flux logistiques, de détruire les chantiers illégaux, de démanteler les filières d'économie souterraine, tout en protégeant les populations dont la santé, vous l'avez dit, est mise en danger par les rejets de mercure dans les cours d'eau, et en préservant l'écosystème guyanais qui est une des richesses nationales et mondiales.
Une opération de police, placée sous l'autorité du préfet, en liaison avec le procureur de la République, a mobilisé, vous le savez, des moyens très importants pendant plusieurs mois. Le Gouvernement a ainsi engagé plusieurs milliers d'hommes. Des renforts des armées et de la gendarmerie, dont un groupe du GIGN et des enquêteurs spécialisés, sont venus des Antilles et de métropole.
Des moyens militaires d'observation, de détection et de transport aérien ont également été mobilisés. Cette opération Harpie a permis d'obtenir des résultats tout à fait exceptionnels puisque nous avons saisi ou détruit du matériel et des marchandises pour un montant de 27 millions d'euros, 19 kilos d'or et 221 kilos de mercure.
L'engagement de l'État dans ce combat, qui est très ancien, s'est maintenu depuis le mois de juin dernier. Les actions sur le terrain se sont poursuivies. Ainsi, le montant cumulé des destructions et saisies de l'année 2008 s'élève à plus de 57 millions d'euros. Soixante-trois kilos d'or, ainsi que 323 kilos de mercure ont été saisis et 1 958 étrangers en situation irrégulière ont été interpellés. Neuf enquêtes judicaires sont en cours pour démanteler les réseaux qui alimentent les chantiers clandestins. La justice sera ferme, je vous le confirme, face à cette situation intolérable et inqualifiable.
L'État maintient la pression sur les orpailleurs clandestins, grâce à une optimisation de l'emploi des moyens, lesquels sont d'ailleurs en hausse substantielle puisque, sur les deux dernières années, les forces de police ont augmenté de près de 13 % et celles de la gendarmerie de presque 6 %. Je rappellerai à ce sujet que, proportionnellement à la population, la densité de personnels de la gendarmerie en Guyane est supérieure de 60 % par rapport à la moyenne de l'outre-mer. Tout cela pour vous dire que votre préoccupation est aussi celle du Gouvernement.
Quant à l'avenir, comme je l'ai annoncé, comme l'a dit Mme Michèle Alliot-Marie et comme l'a promis le Président de la République, d'autres opérations de type Harpie dont programmées. Vous comprendrez que je ne vous donne pas plus de précisions sur la date à laquelle elles seront mises en oeuvre. En effet, pour qu'elles soient efficaces, il faut éviter d'en avertir ceux qu'elles visent. Ces opérations qui se dérouleront tout au long de l'année 2009 ont pour but d'affaiblir les flux d'approvisionnement des sites d'extraction clandestins et de démanteler les réseaux financiers qui y sont liés. C'est un combat dans lequel, vous le voyez, le Gouvernement est pleinement engagé aux côtés des élus et des responsables locaux. Nous voulons, en effet, lutter contre ce fléau pour la Guyane en mobilisant des moyens exceptionnels et pérennes, car il ne faut pas se contenter d'actions trop ponctuelles.

Données clés

Auteur : Mme Chantal Berthelot

Type de question : Question orale

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : Intérieur, outre-mer et collectivités territoriales

Ministère répondant : Outre-mer

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 27 janvier 2009

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