réglementation
Question de :
M. Patrice Martin-Lalande
Loir-et-Cher (2e circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire
M. Patrice Martin-Lalande attire l'attention de Mme la ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, sur le problème du délai mis par la justice pour traiter les recours systématiquement déposés par les opposants à certains projets publics de développement économique et de création d'emplois. Le Loir-et-Cher connaît ainsi trois situations de recours multiples hypothéquant lourdement les projets et menaçant gravement l'emploi : la création d'un village de vacances à Dhuizon (35 emplois), la création du « Carré des marques » à Romorantin-Lanthenay (300 emplois dans un premier temps, 600 à terme) et la création d'une plateforme logistique sur l'ancien site du GIAT à Salbris (600 emplois). Trois questions sur la manière de mieux concilier le droit de chacun à contester une décision publique et la nécessité de pouvoir mener à bien des projets d'intérêt général dans un délai compatible avec le temps économique se posent, à savoir comment assurer un fonctionnement plus rapide de la justice, comment sanctionner de manière plus dissuasive les recours abusifs, et comment obtenir une juste réparation du préjudice subi du fait d'un recours abusif.
Réponse en séance, et publiée le 29 janvier 2010
EFFETS DES RECOURS ABUSIFS
SUR DES PROJETS CRÉATEURS D'EMPLOIS
M. Patrice Martin-Lalande. Je tiens à attirer solennellement l'attention sur le problème du délai mis par la justice pour traiter les recours systématiquement déposés par les opposants à certains projets publics de développement économique et de créations d'emplois, comme le Loir-et-Cher en connaît pour trois projets :
D'abord, la création du village de vacances de Dhuizon, où trente-cinq emplois sont menacés et la construction d'une piscine pour les besoins de la population et des touristes remise en cause, les délais de recours ayant fait perdre les subventions de l'État dans le cadre du pôle d'excellence rurale ;
Ensuite, la création à Romorantin-Lanthenay du Carré des marques, où 300 emplois dans un premier temps, et 600 à terme sont remis en cause alors que la ville et la communauté de communes ont dépensé 7 millions d'euros pour les trente hectares réservés à la sortie d'autoroute A85.
Enfin, la création de la plateforme logistique de Salbris sur l'ancien site GIAT, où 600 emplois sont menacés alors que 25 millions d'euros ont été dépensés, dont une partie venait de l'État, pour la dépollution historique du site - je remercie à nouveau Mme Alliot-Marie, alors ministre de la défense, pour son action.
Sur le principe, je trouve injuste que la durée d'un recours permette à elle seule d'écarter un projet, même lorsque, juridiquement, ceux qui le contestaient peuvent avoir finalement tort. Cela m'amène à poser quatre questions sur la manière de mieux concilier le légitime droit de chacun à contester à tous les niveaux de juridiction une décision publique et la nécessité, tout aussi grande, de pouvoir mener à bien des projets d'intérêt général dans un délai compatible avec le temps économique.
Premièrement, comment assurer un meilleur fonctionnement de la justice en raccourcissant les délais de traitement des recours, au moins pour certains types de projets ?
Je sais que c'est une question de moyens humains, qu'il est difficile de multiplier dans le contexte budgétaire actuel, mais je crois qu'il faut se poser la question de savoir où est l'intérêt budgétaire de l'État. Il faudrait comparer très précisément, d'une part, l'économie réalisée par le budget de l'État en ne recrutant pas les deux juges du tribunal administratif qui auraient travaillé depuis trois ans notamment sur les trois recours justifiant ma question ; d'autre part, l'aggravation des dépenses ou la perte de recettes que représente pour la collectivité nationale le retard ou l'annulation de la création de 600 emplois à Salbris, de 300 emplois à Romorantin, 300 suivant ultérieurement, et de trente-cinq emplois à Dhuizon.
Deuxièmement, comment sanctionner de manière plus dissuasive les recours abusifs ?
Troisièmement, en cas d'échec du projet en raison des délais des décisions de justice, comment obtenir, de la part des requérants abusifs ou de la part de l'État, une juste réparation du préjudice subi par la collectivité du fait des frais engagés, des pertes de subventions ou du manque à gagner en terme d'activité, d'emplois et de recettes ?
Quatrièmement, le bassin de Romorantin-Lanthenay ayant déjà été très lourdement frappé en 2003 par la disparition brutale de plus de 2 000 emplois de Matra-Automobile, le Gouvernement avait décidé, sur ma demande, de mettre en oeuvre un des premiers contrats de site. Face au risque de perdre jusqu'à 1 200 emplois programmés, comment l'État compte-t-il agir pour éviter ou compenser cette nouvelle épreuve ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Monsieur le député, votre question est importante.
Je précise d'emblée que les délais de jugement devant les juridictions administratives ont été réduits ces dernières années de manière conséquente et qu'en tout état de cause les recours introduits contre les autorisations de construire ou d'aménager n'ont pas, en principe, vous le savez, de caractère suspensif. Ils ne sauraient de ce fait faire obstacle à la mise en oeuvre de ces décisions administratives.
Le code de l'urbanisme contient aussi des dispositions de nature à accélérer les procédures devant le juge administratif dans les contentieux d'urbanisme.
Le second alinéa de l'article L. 600-3 oblige ainsi le juge des référés à statuer dans un délai d'un mois lorsqu'il est saisi par une personne autre que l'État, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale, d'une demande de suspension assortissant un recours dirigé contre une décision relative à un permis de construire ou d'aménager.
L'article L. 600-5 du même code donne en outre au juge la possibilité de prononcer une annulation partielle du permis et prévoit que l'autorité compétente prend ensuite, à la demande du bénéficiaire du permis, un arrêté modificatif tenant compte de la décision juridictionnelle devenue définitive.
Le Gouvernement a de plus d'ores et déjà adopté des mesures réduisant les possibilités d'action des tiers ainsi que les délais pour agir. À titre d'exemple, l'article R. 600-3 du code de l'urbanisme prévoit qu'aucune action en vue de l'annulation d'un permis de construire ou d'aménager n'est recevable à l'expiration d'un délai d'un an à compter de l'achèvement de la construction ou de l'aménagement. L'action des associations est limitée par l'obligation d'avoir déposé les statuts en préfecture avant l'affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.
S'agissant des auteurs de recours abusifs, aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative, le juge peut leur infliger une amende dont le montant peut atteindre 3 000 euros. Cette amende est infligée dans les seuls cas de requêtes effectivement et manifestement abusives ou malintentionnées. Une jurisprudence constante estime que si l'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit, celui-ci dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages-intérêts en cas de malice ou de mauvaise foi ou encore de faute grossière ou dolosive. Conformément aux principes de la responsabilité civile, il conviendra alors que la collectivité territoriale qui sollicite la condamnation du requérant abusif devant la juridiction civile apporte également la preuve du dommage qu'elle prétend avoir subi.
Cela dit, je suis moi-même maire et donc confronté aux problèmes que vous évoquez : par conséquent, votre question m'interpelle. J'ai tout à fait conscience qu'au-delà des dispositions qui existent déjà et que je viens de rappeler et des efforts que nous engageons, il faudra peut-être je m'exprime là à titre personnel que nous examinions les choses de plus près pour pouvoir limiter davantage encore ces inconvénients que vous avez à juste titre rappelés.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Martin-Lalande.
M. Patrice Martin-Lalande. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de votre réponse, à la fois très précise sur le plan juridique quant aux progrès accomplis, et personnelle par votre connaissance des difficultés réelles que représentent ces recours multiples contre les projets publics.
Naturellement, il n'y a pas d'effet suspensif en droit, mais nous savons très bien que les investisseurs sont obligés d'attendre d'avoir apuré les risques d'échec juridique avant de lancer les investissements. Il leur serait en effet bien difficile, et on le leur reprocherait, de lancer une opération tant que tout n'est pas clair sur le plan juridique.
Je pense, et j'ai cru comprendre que la dernière partie de votre réponse allait dans mon sens, qu'il serait intéressant, compte tenu de la difficulté, sur le plan budgétaire, d'accorder de nouveaux moyens à la justice, qu'on puisse faire un bilan précis des coûts et des avantages de chacune des deux situations : d'un côté, le maintien du statu quo, c'est-à-dire le maintien des moyens actuels alloués à la justice et donc la perte des retombées de certains projets publics de développement économique et de création d'emplois ; de l'autre côté, la sortie du statu quo, c'est-à-dire l'augmentation des moyens actuels alloués à la justice et l'engrangement, en compensation, des retombées de certains projets publics de développement économique et de créations d'emplois.
Dans l'intérêt général, une appréciation de ces deux données devrait être faite systématiquement parce que sinon on comptabilise des choses dans le budget de la justice en oubliant, sans mauvaise intention, les dégâts que cela entraîne dans une autre partie de la vie nationale et collective, pour ces créations d'activités et d'emplois qui méritent d'être mieux prises en compte pour apprécier où est l'intérêt général.
Auteur : M. Patrice Martin-Lalande
Type de question : Question orale
Rubrique : Urbanisme
Ministère interrogé : Justice et libertés (garde des sceaux)
Ministère répondant : Justice et libertés (garde des sceaux)
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 janvier 2010