- Texte visé : Projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, n° 4632
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par :
I. – Après l’article 3, insérer l’article suivant :
« Article 4
« Par dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises inscrit à l’article L. 451‑5 du code du patrimoine, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le tableau de Marc Chagall, intitulé « Le Père » et conservé dans les collections nationales placées sous la garde du Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle, dont la référence figure en annexe à la présente loi, cesse de faire partie de ces collections. L’autorité administrative dispose, à compter de la même date, d’un délai d’un an au plus pour restituer cette œuvre aux ayants droit de David Cender. »
II. – En conséquence, après l’annexe à l’article 3, insérer l’annexe à l’article 4 suivante :
« Annexe à l’article 4
« Numéro d’inventaire du musée national d’art moderne : AM 1988‑55 – Marc Chagall, Le Père. »
Cet amendement prévoit de faire sortir des collections nationales le tableau de Marc Chagall intitulé Le Père, conservé par le Musée national d’art moderne. Cette œuvre, entrée dans les collections nationales par dation en paiement des droits de succession en 1988 sans aucune connaissance d’une éventuelle provenance problématique, ni par la famille, ni par l’État, s’est révélée très récemment avoir été volée à Lodz (Pologne) à David Cender, pendant ou après le transfert des Juifs vers le ghetto de la ville en 1940. Les recherches menées par le ministère de la culture et le Musée national d’art moderne montrent que le tableau n’a plus été la propriété de l’artiste à partir d’une date inconnue, sans doute entre 1914 et 1922, qu’il a circulé avant-guerre jusqu’en Pologne, a été volé pendant la guerre, puis a été probablement racheté par Marc Chagall, sans doute après 1947 et au plus tard en 1953.
David Cender (1899, Lodz-1966, Metz) était un musicien et luthier polonais juif de Lodz. Au printemps 1940, la famille Cender est contrainte de s’installer dans le ghetto en abandonnant tous ses biens. En août 1944, le ghetto est « liquidé ». David Cender survit, mais sa femme et sa fille sont assassinées. Malade, il émigre en 1958 en France, où réside sa sœur.
En 1958, dans le cadre des procédures d’indemnisation ouvertes par la République fédérale allemande, David Cender déclare le vol de plusieurs œuvres lors de son transfert vers le ghetto, dont un tableau de Chagall, intitulé Vieil homme juif ou Juif ordonnant la prière, acheté à Varsovie au marchand d’art Abe Gutnajer en 1928. Il décrit l’œuvre de manière très circonstanciée et produit deux témoignages, dont celui, très précis, d’Edward Reicher (1900‑1975), médecin à Lodz et collectionneur, survivant des ghettos de Lodz et de Varsovie, émigré en France après-guerre.
En 1965, dans le cadre de l’instruction du dossier, Franz Meyer, l’auteur du catalogue raisonné de l’artiste et gendre de ce dernier, considère que le tableau décrit par David Cender peut correspondre à un tableau de Chagall ; en 1966, il fait lui-même le lien avec le tableau Le Père, dont il précise qu’il appartient, à cette date, à l’artiste. Si les autorités allemandes n’indemnisent pas David Cender car il n’était pas prouvé que le tableau avait été envoyé en Allemagne, critère de l’indemnisation, elles reconnaissent, en 1972, la propriété de David Cender sur cette œuvre, ainsi que sa spoliation.
En ce qui concerne le tableau des collections nationales Le Père, son parcours est inconnu avant 1953. On peut supposer que le tableau, peint à Paris en 1911 ou 1912, a quitté la propriété de Chagall lors de son absence de Paris entre 1914 et 1922, peut-être à la suite d’un vol mais il n’en existe aucune trace. C’est seulement en 1953 que le tableau est mentionné pour la première fois dans une publication, année où il appartient de façon certaine à l’artiste.
Compte tenu de la précision des témoignages et de la correspondance entre la description de David Cender et le tableau Le Père, du lien fait par l’auteur du catalogue raisonné avec ce même tableau, de la reconnaissance par l’Allemagne de la spoliation et compte tenu que d’après les spécialistes, Chagall a peint une seule œuvre telle que Le Père et correspondant à la description, il apparaît que ce tableau peut être identifié comme la toile volée à David Cender dans le cadre des persécutions antisémites et doit de ce fait être restitué à ses ayants droit.
Les recherches sur la provenance de cette œuvre ont abouti à la conclusion qu’elle avait été spoliée seulement après le dépôt du projet de loi. En conséquence, le Gouvernement, estimant nécessaire de procéder à une restitution de ce tableau aux ayants droit de David Cender, propose, afin de ne pas la retarder, d’inclure dans son projet de loi, par amendement, un article supplémentaire à cet effet.
Les ayants droit de David Cender à laquelle l’œuvre sera restituée ont été identifiés par une société de généalogie et de recherche de provenance conformément aux dispositions du droit commun des successions, en particulier des articles 730 et suivants du code civil, qui régissent la preuve de la qualité d’héritier.