XVe législature
2e session extraordinaire de 2016-2017

Séance du mardi 26 septembre 2017

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (nos 104, 164, 161). Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi et a commencé d’entendre les orateurs inscrits sur l’article 3. La parole est à M. Thomas Rudigoz. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, ministre de l’intérieur, madame la présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, chers collègues, cet article 3 dans son ensemble constitue une mesure phare du projet de loi que nous examinons aujourd’hui. Il vise en effet à permettre au ministre de l’intérieur, aux fins exclusives de prévenir des actes de terrorisme, de soumettre à plusieurs obligations des personnes pouvant constituer une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics. Oui, nous créerons un dispositif de surveillance individuelle efficace et encadré qui ne sera pas la transcription de l’assignation à résidence prévue par l’état d’urgence.
Ce régime s’appliquera restrictivement à des individus menaçant l’ordre public – le texte vise très clairement des individus entrant en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations liées à la commission d’actes terroristes ou adhérant à des thèses incitant à la commission de tels actes ou en faisant l’apologie. On aura compris que, bien évidemment, tout un chacun ne sera pas concerné par une telle mesure.
Parmi les obligations que le texte institue, la plus forte est celle du pointage. En tant que maire d’arrondissement lyonnais, j’avais été alerté par les services de police de la nécessité d’imposer à un individu faisant l’objet d’une mesure d’assignation à résidence un pointage qui ne soit ni trop répétitif ni trop clairsemé. Force est en effet de reconnaître que l’obligation de pointer trois fois par jour n’est pas compatible avec une existence normale et comporte le risque de pousser à bout l’intéressé, ce qui aurait l’effet contraire de celui qui est recherché.
Par ailleurs, cependant, nous ne pouvons pas prendre le risque de laisser l’individu surveillé vaquer, dans une certaine liberté, avec une astreinte de pointage limitée à trois fois par semaine, conformément à une proposition émanant – dois-je le rappeler, chers collègues Larrivé et Ciotti ? – du Sénat, et donc d’une grande partie de vos amis, auxquels vous ne manquerez certainement pas de rappeler leur irresponsabilité, leur faute politique historique et leur faiblesse.
(Exclamations sur les bancs du groupe LR. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe REM.) En l’absence des autres orateurs du groupe La France insoumise inscrits sur l’article, la parole est à Mme Danièle Obono. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
Chers collègues, l’orateur suivant appartenait au groupe La France insoumise : c’est la raison pour laquelle je propose à Mme Obono de prendre la parole.
Quand c’est nous, c’est moins souple ! Ne vous inquiétez pas, vous aurez votre tour. Nous considérons que la mesure développée dans l’article 3 n’est ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée.
Elle n’est pas nécessaire car les mesures de surveillance prévues par le juge des libertés et de la détention – JLD – correspondent à celles qui peuvent être ordonnées par le juge d’instruction ou par le juge des libertés si une personne mise en examen encourt une peine d’emprisonnement correctionnel ou une peine grave. Elles peuvent également être décidées par le ministre de l’intérieur, en dehors de toute procédure judiciaire, à l’égard des personnes de retour d’une zone territoriale dominée par un groupement terroriste et susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique à leur retour. Plus largement, ce sont les services de renseignement qui disposent de nombreux pouvoirs pour prévenir la commission d’actes de terrorisme.
L’article 3 n’est pas non plus adapté car, de deux choses l’une : soit il existe véritablement des raisons sérieuses de penser qu’un comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics, auquel cas le procureur doit être saisi, dans la mesure où la préparation d’un acte terroriste est incriminée très en amont dans sa réalisation, soit les éléments en possession de l’administration ne sont pas suffisants pour établir cette menace d’une particulière gravité et les services de renseignement peuvent collecter davantage d’informations afin de caractériser cette éventuelle menace.
Enfin, cet article contient des mesures qui ne sont pas proportionnées, car l’assignation à résidence entrave gravement la liberté des personnes visées, avec des restrictions conséquentes de la liberté d’aller et venir et des atteintes éventuelles à la liberté de manifester. En principe, cette mesure n’est décidée que par un juge judiciaire, dans le cadre d’une information judiciaire. En l’occurrence, un simple soupçon, fondé sur des renseignements dont le contentieux des assignations à résidence prononcées dans le cadre de l’état d’urgence a pu montrer le caractère parfois évasif et subjectif, peut motiver ces mesures de surveillance.
La parole est à Mme Laurence Vichnievsky. Enfin une spécialiste du droit ! Cet article compte beaucoup pour notre groupe. Les mesures de surveillance et de contrôle qu’il prévoit font partie des nouveaux outils dont nous devons nous doter pour faire face à l’évolution de la menace terroriste.
En revanche, le régime de leur mise en œuvre appelle de notre part des réserves en termes d’équilibre institutionnel et de séparation des pouvoirs. En effet, il s’agit de mesures très contraignantes pour certaines d’entre elles, manifestement restrictives de l’une des libertés individuelles les plus fondamentales : celle d’aller et venir. Or le soin de prononcer ces mesures et de les renouveler est laissé au ministre de l’intérieur, alors que la Constitution fait de l’autorité judiciaire la gardienne de la liberté individuelle.
Nous avons déposé un amendement qui vise à réintroduire le juge judiciaire en cas de prolongation de ces mesures. Nous avons ainsi souhaité concilier efficacité et respect des textes qui organisent la séparation des pouvoirs dans notre République.
Je ne veux pas entrer dans une discussion technique sur la portée de l’article 66 de la Constitution en l’opposant à l’interprétation qui en est faite par le Conseil constitutionnel. Nous observons en revanche une tendance qui consiste, depuis une trentaine d’années, à restreindre l’intervention de l’autorité judiciaire au profit de l’exécutif.
C’est une tendance qui nous interpelle. La question n’est pas de savoir qui, du juge administratif ou du juge judiciaire, serait plus compétent ou plus indépendant. Le sujet pas abstrait : il s’agit, très concrètement, de l’équilibre entre les trois pouvoirs dans notre République : le législatif qui, aujourd’hui encore, n’occupe peut-être pas sa juste place, le judiciaire, dont l’intervention est de plus en plus restreinte, et l’exécutif qui, peu à peu, concentre beaucoup de pouvoirs entre ses mains.
Trop ! Et cela ne va pas s’arranger ! C’est à nous, chers collègues, d’être vigilants, aujourd’hui et pour un avenir que nous ne pouvons pas anticiper. (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs du groupe REM.) La parole est à M. Bruno Bilde. Mes chers collègues, le contenu de l’article 3 démontre que vous n’avez pas pris la mesure de la menace terroriste. En effet, à l’état de guerre doit correspondre une juridiction d’exception. Par conséquent, il n’est pas acceptable de circonscrire les déplacements d’un terroriste potentiel au périmètre de la commune, sous prétexte que nous devrions « permettre à l’intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle normale ».
Comment peut-on envisager de permettre à Salah Abdeslam, à Mohamed Merah, à Mehdi Nemmouche, aux frères Kouachi ou à Amedy Coulibaly de poursuivre tranquillement « une vie familiale et professionnelle normale » ? Comment ose-t-on brider les moyens de nos forces de renseignement et de sécurité sous prétexte de préserver la vie familiale et professionnelle d’un apprenti terroriste ?
L’alinéa que je viens de citer démontre bien, mes chers collègues, que vous n’avez pas pris la mesure de la menace. On n’adresse pas aux terroristes islamistes un manuel de politesse : on leur fait la guerre, voilà tout.
C’est pourquoi nous proposerons des amendements visant à durcir les conditions de surveillance des islamistes susceptibles de commettre des attentats.
(Applaudissements sur certains bancs.) La parole est à M. Patrice Verchère. Monsieur le ministre d’État, dans ce projet de loi, vous proposez, à travers l’article 3, d’étendre le périmètre de l’assignation à résidence à celui de la commune, arguant du fait qu’il ne faut pas reproduire par copier-coller les mesures prévues dans le cadre de l’état d’urgence. La proposition de prendre pour référentiel la commune n’apparaît pas du tout adaptée, compte tenu des disparités de surface et de densité entre les communes de notre pays. Ainsi, un individu qui serait assigné à résidence à Paris, Lyon ou Marseille aurait la possibilité de se déplacer dans un espace important, rendant délicate et compliquée la surveillance de ses activités potentiellement criminelles.
Quel est, dès lors, l’intérêt d’imposer à un individu représentant une menace d’une particulière gravité de ne plus sortir d’une zone qui est à l’échelle d’une commune ? Ne pensez-vous pas que le fait de pouvoir se déplacer dans toute une ville comme celle de Lyon est, malheureusement, largement suffisant pour organiser un attentat ou pour y participer ?
Imaginez, monsieur le ministre d’État, qu’un individu représentant une menace d’une particulière gravité soit assigné à résidence dans la ville de Lyon, que vous connaissez si bien. Imaginez cet individu se déplaçant, à quelques semaines de cette belle manifestation qu’est la Fête des lumières, de la place des Terreaux à la place du Pont, de la place Bellecour aux halles de la gare de la Part-Dieu, du plateau de la Duchère à Fourvière et du quartier de la Guillotière au quartier de la Confluence. Pensez-vous sincèrement que cet individu ne serait pas en mesure d’apporter une aide logistique à un projet d’attentat, voire de repérer les lieux pour permettre de commettre des actes odieux au moment même où des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants déambulent dans les rues de Lyon ?
En passant d’une assignation à résidence à une assignation à un territoire, nous rendons ce dispositif inopérant et inutile.
Monsieur le ministre d’État, nous sommes quelques-uns à vouloir prévenir réellement les actes de terrorisme en proposant la création d’un régime de rétention administrative ciblée sur les individus les plus dangereux et signalés par nos services de renseignement ou de sécurité. Nous espérons que le débat sur cet article le permettra.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.) La parole est à M. Olivier Marleix. Monsieur le ministre d’État, avec cet article, nous sommes vraiment au cœur de ce qui fonde nos différences d’approche sur le sujet. Vous nous proposez de sortir de l’état d’urgence avec un régime allégé, dans lequel il n’y a plus de contrôle des véhicules sur l’initiative de l’autorité administrative et où l’assignation à résidence ne pourra désormais se faire, comme vient de le dire M. Verchère, qu’à l’échelle d’une ville, ce qui signifie qu’un individu qui constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics aura toute liberté de se promener dans des villes comme Paris, Lyon ou Marseille.
Le décalage entre les termes mêmes du texte et le projet que vous prétendez être le vôtre est absolument édifiant. Alors que l’attentat du métro de Londres a eu lieu il y a quelques jours seulement et celui de Barcelone il y a quelques semaines, le régime que vous prévoyez est édifiant et nous ne partageons pas votre analyse qui consiste à faire croire aux Français qu’on aurait finalement le choix entre les termes d’une alternative simple qui seraient, d’un côté, l’état d’urgence et, de l’autre, un droit ordinaire plus ou moins mou.
Nous considérons quant à nous – et la décision du Conseil constitutionnel de 1985, qui a validé la loi de 1955 sur l’état d’urgence, l’a clairement exprimé – que le législateur a, face à des circonstances exceptionnelles, la faculté de prendre, pour un temps limité, des mesures exceptionnelles et nous regrettons qu’avec ce texte, vous ne le fassiez pas, vous contentant d’un dispositif allégé qui ne répondra pas aux objectifs de la sécurité que vous avez le devoir de garantir aux Français.
La parole est à Mme Marine Brenier. Monsieur le ministre d’État, à l’image du projet de loi que vous nous proposez, si cet article nous semble aller dans le bon sens par certaines mesures exceptionnelles intégrant le droit commun, les propositions qui nous sont faites par le Gouvernement nous paraissent malheureusement quelque peu timorées. Nous pensons par exemple qu’il faut faire preuve de plus de fermeté à l’égard des personnes faisant l’objet de ces mesures, en rendant notamment obligatoires les présentations périodiques ou en étendant ces mesures aux personnes diffusant des messages faisant l’apologie du terrorisme.
Nous présenterons donc un certain nombre d’amendements à cet article et espérons qu’ils seront retenus, dans la démarche constructive qui est le nôtre.
La parole est à M. Frédéric Descrozaille. Je souhaite tout d’abord adresser mes remerciements à tous mes collègues présents dans l’hémicycle : je regrette que nous ne soyons pas plus nombreux,… Il n’y a que les meilleurs ! …parce que ce que nous faisons est grave. Lorsque nous avons voté la prorogation de l’état d’urgence, en juillet, après des débats de mon point de vue inutiles, nous avons précisé que cette prorogation était la dernière, donnant rendez-vous au Gouvernement pour savoir quelles dispositions devaient passer dans le droit commun. La prorogation de l’état d’urgence est donc, selon moi, un sujet qui relève du passé.
Dans son esprit, le texte que nous examinons est grave car il confie le pouvoir de décider d’une privation de liberté à une autorité ne relevant pas du pouvoir judiciaire, ce qui est contraire au principe de la séparation des pouvoirs. L’article 3, en particulier, vise à placer pratiquement sous contrôle judiciaire des individus qui n’ont encore rien fait de répréhensible sur le plan pénal.
Je voudrais rendre hommage à la commission pour le travail qu’elle a effectué, notamment lors des auditions, mais aussi au ministre pour ce texte qui doit être juste et équilibré. Personnellement, j’ai de la sympathie philosophique pour la vigilance avec laquelle une partie de nos collègues veillent au respect des libertés publiques. Mais il n’est pas sérieux de contester le soulagement que nous devons aux forces de l’ordre : celles-ci sont absolument exténuées psychologiquement et physiquement par leur travail. Je me représente la tension qui doit être la leur du fait des responsabilités pesant sur elles. Il est très important que nous leur assurions des conditions de travail à peu près sereines, de manière à ce qu’elles restent efficaces.
Quel est le rapport avec ce texte ? De même, si j’approuve complètement l’idée selon laquelle il convient de prendre toute la mesure de la violence inouïe dans laquelle nous vivons – les enfants ne peuvent pas aller et venir hors de leur collège ou de leur lycée comme nous pouvions le faire lorsque nous avions leur âge –, ceux qui la défendent se sont parfois exprimés avec outrance, recourant à des superlatifs et à une surenchère indignes de ce texte : celui-ci mérite beaucoup de justesse et de pondération.
Pour conclure, s’agissant de mes propres interrogations, j’ai été rassuré par ce que j’ai entendu en commission, et je rends hommage au ministre pour la justesse et l’équilibre de ce texte.
(Applaudissements sur les bancs du groupe REM.) La parole est à M. Ludovic Pajot, dernier orateur inscrit sur l’article. L’article 3 concerne des personnes dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité, soit parce qu’elles sont en relation avec des terroristes ou des organisations terroristes, soit parce qu’elles incitent à la commission d’actes de terrorisme. Reconnaissez qu’un individu répondant à ces conditions peut objectivement être considéré comme un individu dangereux.
Pourtant, les mesures envisagées dans cet article sont surprenantes de mansuétude. Un tel individu peut être assigné à résidence, mais pas dans un périmètre inférieur à celui de la commune. S’il habite Paris, Lyon ou Marseille, cette interdiction, à supposer qu’elle soit respectée, ne sera finalement pas si contraignante ; il pourra donc continuer à rencontrer ses amis.
Cette décision d’assignation à résidence sera limitée dans le temps – pas plus de trois mois – et ne pourra être prolongée que sous certaines conditions de forme assez strictes. Le port du bracelet électronique ne sera possible qu’avec l’accord de l’intéressé et ne devra pas avoir pour objet sa localisation.
Sérieusement, mes chers collègues, quelle efficacité le législateur peut-il attendre de ce type de mesures, quand on les imagine appliquées à des gens comme les frères Kouachi, Mohamed Merah ou Amedy Coulibaly ? Faut-il rappeler qu’en laissant à des terroristes potentiels la possibilité de poursuivre une activité professionnelle normale, on prend le risque de voir se réitérer la décapitation de Saint-Quentin-Fallavier ? On le voit, ces mesures sont dérisoires. Les conditions qui les encadrent procèdent d’une vision hors sol et ne prennent en compte rien de ce qui s’est passé.
Cet article n’inspire finalement qu’une seule question : combien faudra-t-il d’attentats pour que vous compreniez à qui vous avez affaire et quelle est la psychologie de gens porteurs d’une idéologie sacrificielle – des gens pour qui la mort est une consécration ? Le drame, c’est que vous n’avez pas conscience que le terrorisme relève non pas d’actes de délinquance normaux, mais d’actes de guerre : tel est, je le crois, le vice originel de cette loi.
Très bien ! La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur. J’ai évidemment conscience de la menace à laquelle nous sommes confrontés. Il faut prendre un certain nombre de mesures, et c’est précisément la raison pour laquelle nous vous présentons ce texte. Celui-ci vise à assurer un certain équilibre.
À ceux qui pensent que, dans le cadre de l’état d’urgence, les assignés à résidence se comptent par milliers, je rappelle qu’ils sont actuellement trente-neuf. Il ne me paraît pas hors de la portée de nos services de renseignement de suivre trente-neuf personnes dans l’ensemble du pays.
Même si nous avons élargi le périmètre par rapport à celui qui existe sous le régime de l’état d’urgence, cela nous semble pouvoir satisfaire l’ensemble de nos services – du reste, si nous vous présentons ce texte, c’est parce que nous avons beaucoup travaillé avec eux et que nous avons pris en compte leurs exigences.
En outre, monsieur Verchère, il faudrait vous mettre d’accord dans votre propre camp et savoir exactement ce que vous voulez défendre. Si, comme vous le souhaitez, vous revenez demain au pouvoir, qui ferait la loi ? Vous, ici, à l’Assemblée nationale, ou bien vos amis du Sénat ?
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.) Michel Mercier, le rapporteur du texte au Sénat, n’appartient pas aux Républicains ! Or je rappelle que l’une des mesures qu’ils voulaient adopter consistait à limiter l’obligation de pointage à trois fois par semaine. De cette façon, comme cela s’est produit dans le cas de Saint-Quentin-Fallavier, nos services auraient pu perdre de vue un certain nombre de personnes parties commettre des actes criminels dans d’autres départements.
Ils souhaitaient également supprimer l’obligation pour les personnes concernées de déclarer leurs identifiants de communication électronique, ce qui, je le rappelle, n’implique pas que leur téléphone soit écouté. Elles doivent simplement déclarer leur téléphone et, si elles en achètent un autre, elles sont immédiatement poursuivies et incarcérées. Nous souhaitons rétablir cette disposition.
De la même manière, nous avons ajouté la possibilité d’incriminer les personnes entrant en relation non seulement avec des personnes de la mouvance terroriste, mais également avec des individus présentant une menace pour la sécurité et l’ordre public. Les terroristes sont en général en relation avec des trafiquants d’armes qui, même s’ils ne sont pas forcément terroristes eux-mêmes, leur fournissent les armes qu’ils utilisent ensuite.
Toutefois, parce que nous voulons un texte équilibré, nous avons également garanti un certain nombre de libertés. Nous avons été sensibles aux arguments de celles et ceux qui ne voulaient pas d’un régime totalement sécuritaire. Nous voulons un équilibre entre la sécurité et la liberté. Il y aura toujours des gens pour nous dire qu’il y a trop de sécurité et qu’ils veulent la liberté.
Oui, il y en aura ! Nous ! Comme je vous l’ai démontré tout à l’heure, instaurer un périmètre de protection renforce la liberté : sans cela, on ne pourrait plus organiser de grandes manifestations sportives ou culturelles. Notre mode de vie serait ainsi remis en question.
Et puis, de l’autre côté, il y a ceux qui veulent en rajouter toujours plus. Attention : je sais, pour l’avoir vu, ce que peut être un État policier.
En quelle année ? On en est loin ! Nous voulons porter remède à la menace terroriste sans pour autant que nous vivions dans un État policier. Caricature ! Restez calme ! Le texte que nous vous présentons est un texte d’équilibre entre sécurité et liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe REM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.) Je suis saisie de trois amendements, nos 253, 391 et 419, tendant à la suppression de l’article 3.
La parole est à M. Éric Coquerel, pour soutenir l’amendement no 253.
J’entendais un peu plus tôt quelqu’un dire que la République devait se protéger : nous sommes bien d’accord, mais elle doit également rester un État de droit. J’irai même jusqu’à dire que, pour se protéger, elle doit rester un État de droit, parce que c’est le principe même de la République. Exactement ! Nous avons affaire à un adversaire qui ne gagnera pas militairement en France – c’est impossible –, mais qui a pour objectif de diviser le peuple français et de nous faire revenir sur nos principes.
La question de la sécurité et de la liberté, évoquée par M. le ministre d’État, est toujours compliquée car, de manière naturelle – et c’est là tout notre débat –, nous avons tendance à l’envisager selon la gravité du risque. Un collègue, à propos de Lafarge, nous disait ainsi : « Vous voulez condamner Lafarge alors que les terroristes ici ont des moyens rudimentaires de pratiquer le terrorisme ». On voit bien que la façon d’apprécier un risque est très subjective.
Doit-on, en fonction d’un risque – le grand banditisme et le trafic de drogues sont aussi des risques –, revenir sur l’État de droit ? De manière démagogique, on peut très bien, comme certains de nos collègues, affirmer que ne pas le faire revient à protéger les terroristes.
Or la liberté est un compromis entre le tout-sécuritaire et la préservation des libertés. Ainsi, dans ce texte, l’assignation à résidence est définie dans des termes très vagues. Le problème, je le rappelle, est non pas l’assignation à résidence en elle-même, mais le fait qu’elle soit prononcée en dehors de l’intervention du pouvoir judiciaire. Tel est bien le problème posé par cet article et, plus largement, par ce projet de loi. Qui plus est, il est déjà possible aujourd’hui d’assigner à résidence, mais dans le cadre d’une procédure judiciaire normale, sans cesser d’être un État de droit. On nous propose en réalité de remplacer un pouvoir judiciaire normal par un pouvoir judiciaire administratif, qui interviendra
a posteriori , alerté par la victime. Merci de conclure, monsieur Coquerel. Pour conclure, si l’on voulait vraiment faire preuve de sérieux sur cette question, il faudrait nous interroger sur le nombre de juges antiterroristes en France et sur le nombre de policiers affectés à la surveillance. La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l’amendement no 391. Il est défendu. La parole est à M. Stéphane Peu, pour soutenir l’amendement no 419. Le présent amendement a pour objet la suppression de l’article 3. Nous considérons, d’une part, que les critères retenus et le champ d’application de cet article sont imprécis et, d’autre part, que l’élargissement considérable des pouvoirs de police administrative comporte des risques de dérive et d’abus. Enfin, ces mesures sont inefficaces dans la lutte contre le terrorisme.
Le champ d’application et les critères entourant ce dispositif sont imprécis ; or seules les notions juridiques claires, précises et non équivoques permettent d’éviter toute dérive.
L’article 3 poursuit le renforcement considérable des pouvoirs attentatoires aux droits fondamentaux attribués à l’autorité administrative. Mireille Delmas-Marty l’a parfaitement résumé : « La société de suspicion conduit à la confusion entre droit pénal et droit administratif : tandis que le droit "pénal" devient préventif et prédictif, le droit administratif, de nature préventive, devient punitif et répressif. D’où la confusion des pouvoirs au détriment de la garantie judiciaire et au profit de l’exécutif. »
La parole est à M. Raphaël Gauvain, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur ces amendements de suppression. Avis défavorable. Vous poursuivez la même tactique en demandant la suppression de chaque article.
J’ajouterai que l’objectif est évidemment de permettre l’ouverture d’une enquête judiciaire. Les auditions que nous avons menées – certains membres de la commission des lois étaient présents – ont révélé l’existence d’une zone d’ombre : les services de renseignement disposent d’indices qui ne peuvent pas être judiciarisés. Le directeur de la Direction générale de la sécurité intérieure – la DGSI – comme les services du renseignement territorial nous ont indiqué avoir encore besoin des outils qui leur sont offerts par l’état d’urgence. Ceux-ci sont donc conservés et inscrits dans les articles 1er et 3. Pour cette raison, l’avis est défavorable.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Ugo Bernalicis. On entre dans le cœur du sujet : la fameuse zone d’ombre. Comme ma collègue Mme Obono vous l’a dit, soit on a des éléments pour lancer une procédure judiciaire, soit on n’a pas d’éléments, et là les mesures administratives interviennent. La question est de savoir quel niveau de soupçon – et non pas de preuve – justifie des mesures restrictives de liberté.
Certaines personnes auditionnées ont argué d’une prétendue impossibilité à lancer une procédure judiciaire sur la base d’un renseignement provenant d’un service étranger ou dans le cadre de la protection des sources. Pourtant certains magistrats m’affirment le contraire. Mais le point de vue du ministère de la justice n’est peut-être pas celui du ministère de l’intérieur. J’aurais aimé que nos auditions nous permettent de confronter des points de vue contraires, au lieu d’entendre successivement des avocats et des magistrats de l’ordre judiciaire dire que cela peut faire l’objet d’un traitement judiciaire alors que l’intérieur dit le contraire.
S’il n’y a pas suffisamment de preuves et que vous souhaitez poursuivre quand même, même si cela vous embête, cela pose un problème de fond, celui de l’arbitraire. Est-on devenu à ce point liberticide pour en venir à ce genre de mesures ? Est-ce que l’on accepte d’agir de la sorte ? Où fixez-vous le niveau de soupçon – on a même parlé, dans nos auditions, d’« infra-soupçon » ? On entre là dans une zone d’ombre dans laquelle, précisément, il faudrait faire la lumière.
Non, monsieur le ministre d’État, vous n’êtes pas à équidistance de LR et de La France insoumise. Non, votre position n’est pas le juste milieu : le juste milieu, c’est nous, car nous sommes pour le droit commun, tandis que LR va encore plus loin que vous. Il est vrai que tout cela est une question de point de vue.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Sacha Houlié. Puisqu’il nous est demandé d’invoquer une autorité judiciaire, j’espère, monsieur Bernalicis, qu’un magistrat du parquet vous suffira, et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du procureur de la République de Paris, spécialiste s’il en est de l’antiterrorisme en France puisqu’il est en charge de ces dossiers. Interrogé sur l’article 3, il nous a invités à rechercher non pas ce qui est utile à l’autorité judiciaire mais ce qui est utile à la sécurité des Français.
Or ce qui est utile à la sécurité des Français, c’est que les trente-neuf personnes que M. le ministre d’État évoquait puissent faire l’objet de mesures individuelles de surveillance, même après la fin de l’état d’urgence, qu’elles soient tenues de pointer chaque jour au commissariat du coin et qu’elles puissent être contrôlées dans le périmètre de la commune. Et si ces personnes jugent qu’elles n’ont rien à se reprocher, il leur sera possible de porter un bracelet électronique, qui leur permettra de se déplacer dans tout le département.
Vous inversez la charge de la preuve ! Mieux, nous avons introduit dans ce texte l’interdiction de paraître dans un lieu déterminé lorsqu’une personne n’est dangereuse que dans un endroit déterminé. J’ai l’exemple, dans ma circonscription, d’un individu qui se rendait dans un stade de foot où jouait une équipe féminine. Cet homme avait une influence particulièrement néfaste. Eh bien, qu’on lui interdise de se rendre dans ce genre d’endroits me semble tout à fait naturel.
Que des mesures utiles à la sécurité des Français vous dérangent, je trouve cela regrettable.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.) Allons-y, passons-nous de la justice !
(Les amendements identiques nos 253, 391 et 419 ne sont pas adoptés.) Je suis saisie de quatre amendements, nos 254, 42, 211 et 43, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 254.
Chacun prend ses informations où il peut. Quant à moi ce n’est pas auprès du parquet que je vais les chercher mais de l’autre côté : un juge antiterroriste avec lequel je me suis entretenu m’a indiqué que s’il y a des éléments on peut judiciariser. Le principe de cet article est précisément de permettre à l’autorité administrative de restreindre les libertés d’un individu contre lequel il n’y a pas d’éléments.
Agir ainsi, c’est remettre en cause nos principes fondamentaux. Vous dites que cela ne concerne que trente-neuf personnes mais, quand bien même il ne s’agirait que d’une seule, on ne met pas en cause quelqu’un sur la base de simples soupçons ; on ne met pas en cause quelqu’un contre lequel on n’a pas de preuve ; on ne l’oblige pas à prouver son innocence alors qu’il ne sait même pas pourquoi il est mis en cause.
Et tout cela sur la base de notes blanches ! Faut-il vous rappeler ce qu’il y a dans les notes blanches ? Rien. Pourtant vous vous y connaissez en rien. C’est votre domaine, d’habitude.
(Exclamations sur les bancs du groupe REM.)
Nous disons, nous, que l’état du droit donne déjà tous les moyens d’agir. De votre côté, vous en voulez toujours plus. Voilà pourquoi le point d’équilibre se situe ici, et non au centre de l’hémicycle.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Guillaume Larrivé, pour soutenir l’amendement no 42. Comment mettre hors d’état de nuire des individus extrêmement dangereux qui veulent nous détruire ? Au fond c’est ça la question qui nous est posée. Non, pas du tout ! Une partie de la réponse est judiciaire, exclusivement judiciaire, strictement judiciaire. Nous en reparlerons mais naturellement nous ne l’oublions pas. Il y a toute une dimension pénale, répressive, qui permet de répondre à cette question concrètement, en judiciarisant des dossiers, en incarcérant des personnes qui sont condamnées et qui vont exécuter une peine de prison. Ça, c’est le volet répressif. La justice, ce n’est pas seulement la répression ! Il y a un second volet de police administrative préventive et, s’agissant de celui-ci, il y a, c’est vrai, des différences entre le Gouvernement et la majorité En marche, d’un côté, et le groupe des Républicains, de l’autre.
Les trois amendements que nous allons vous proposer constituent en réalité des variantes. L’un d’entre eux consiste à maintenir le régime de l’assignation à résidence sous l’empire de l’état d’urgence – nous y viendrons. Et puis il y a celui que je vous présente à l’instant et qui vise – je sais que ça ne va pas susciter votre approbation ; on a déjà eu ce débat en commission mais nous tenons à le défendre de nouveau – à créer un régime de rétention administrative ciblée à des fins d’antiterrorisme sur des individus repérés par les services de renseignement comme extrêmement dangereux mais dont le dossier n’est pas suffisamment constitué pour être judiciarisé. C’est au fond une sorte de zone grise qui ne permet pas la judiciarisation mais qui, de notre point de vue, exige une réponse restrictive de la liberté individuelle, c’est-à-dire très concrètement le placement dans un centre fermé.
Je ne veux pas être trop long mais j’appelle votre attention sur le fait qu’il existe déjà dans le droit positif des régimes analogues, non pas en matière antiterroriste mais en matière de régime d’hospitalisation d’office d’individus constituant un danger pour eux-mêmes ou pour autrui – c’est ce qu’on appelle les mesures d’hospitalisation d’office. C’est l’autorité administrative qui décide ; il y a bien un contrôle juridictionnel,
ex post , qui intervient. C’est ce que nous essayons de vous proposer amendement après amendement. La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement no 211. Le dispositif que vous nous proposez, monsieur le ministre d’État, a été qualifié par le représentant du Syndicat des commissaires de la police nationale, que nous avons auditionné, d’« assignation du pauvre ». On est, une fois de plus, en présence d’un dispositif complètement vidé de sa substance par rapport aux outils autorisés par l’état d’urgence. C’est une assignation au rabais, monsieur le ministre, que vous nous proposez, et elle n’aura plus, en réalité aucune utilité.
Guillaume Larrivé a rappelé le cadre juridique et l’utilité de prévenir une menace que l’on connaît mais qui ne peut être qualifiée judiciairement. La rétention administrative est l’étape ultime : nous voulons y parvenir. Nous étions, dans le cadre de l’état d’urgence, dans une étape intermédiaire, celle d’une assignation à résidence de douze heures – nous avions d’ailleurs souhaité la porter de neuf à douze heures, le 16 juillet 2016, en adoptant un amendement que j’avais défendu.
Aujourd’hui, vous détricotez complètement ce dispositif, monsieur le ministre d’État. D’abord, l’assignation à résidence devient une assignation dans une ville ; le périmètre minimal ne pourra dépasser les frontières de la ville. Cela veut dire que quelqu’un qui est assigné à résidence à Paris, à Marseille ou à Lyon – ville qui vous est chère, nous le savons – pourra vaquer librement à ses occupations dans cette ville entière et donc représenter pour elle et ses habitants une menace.
Ensuite, l’assignation à résidence sera de trois mois – certes renouvelables – au lieu de douze.
Les conditions sont donc extrêmement restrictives, alors que cette mesure a été utile : elle a été appliquée 700 fois et a permis d’assurer une plus grande protection. C’est pour cela que nous voulons la transposer dans le droit commun.
La parole est à M. Olivier Marleix, pour soutenir l’amendement no 43. Cet amendement, qui est un amendement de repli par rapport aux précédents, vise à maintenir l’assignation à résidence telle qu’elle existe aujourd’hui dans le cadre de l’état d’urgence.
De quoi s’agit-il ? De situations qui ne sont pas encore judiciarisables – le procureur Molins nous l’a dit en commission. Cela signifie très concrètement qu’on a un élément d’information qui vient d’un service de renseignement étranger – une écoute, par exemple – et qui ne peut pas constituer un élément de preuve devant un juge français ni justifier une mesure de détention provisoire.
Mais si ! Il faut donc une mesure administrative ; il n’y a pas de solution alternative.
Ce ne sont pas des cas d’école, monsieur le ministre d’État. Vous considérez qu’aujourd’hui il n’y a plus que trente-neuf personnes qui font l’objet d’une mesure d’assignation à résidence. On a malheureusement affaire à un public beaucoup plus important. On sait très bien que, aujourd’hui, plusieurs centaines de djihadistes français sont de retour dans notre pays – sans compter les djihadistes européens et francophones qui pourraient venir s’y installer ou y circuler. On n’aura pas forcément immédiatement les éléments permettant de les poursuivre et de les placer en détention provisoire.
Il faut donc trouver une solution. Nous considérons que nous sommes toujours face à une menace exceptionnelle, à des circonstances exceptionnelles qui justifient parfaitement que le législateur, comme le Conseil constitutionnel l’y a autorisé dans le passé, prenne des mesures exceptionnelles. C’est pourquoi d’ailleurs cette mesure est prolongée pour une durée d’un an. C’est la seule mesure qui nous semble garantir réellement la sécurité des Français.
Le sujet, ce n’est pas seulement de trouver une solution d’équilibre – le fameux « en même temps » – ; c’est d’abord la sécurité de nos compatriotes face à une menace que l’on sait réelle.
Quel est l’avis de la commission sur ces quatre amendements ? Avis défavorable.
S’agissant de l’amendement no 254, le débat vient d’avoir lieu.
En ce qui concerne la rétention administrative, le débat a effectivement eu lieu en commission. Ce que vous proposez est un changement radical de notre organisation judiciaire. Or, contrairement à ce que vous avez dit, la procédure judiciaire permet d’incarcérer des gens qui n’ont pas été condamnés, notamment ceux qui reviennent de théâtres d’opérations. Comme le procureur Molins nous l’a confirmé, un système de police administrative permet, dès la sortie de l’avion, de placer ces gens-là en garde à vue, de les déférer devant un juge d’instruction et de les placer en détention provisoire.
Pas tous ! Le système marche : pourquoi alors mettre en place une procédure de rétention administrative qui en plus ne sera pas limitée dans le temps ?
Autre exemple : les étrangers peuvent faire l’objet d’une rétention administrative dans la limite, je crois, d’un mois, une prolongation de quinze jours étant par ailleurs possible. Quant à vous, vous proposez une rétention dont la durée serait indéfinie : on pourrait laisser indéfiniment dans un camp quelqu’un contre lequel on n’aurait aucune preuve.
(Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Avis défavorable, donc.
Les autres amendements relèvent quant à eux d’un copier-coller de l’état d’urgence. Or le débat sur ce sujet a eu lieu : nous ne voulons pas d’un simple copier-coller, et nous souhaitons parvenir à un texte équilibré. Avis défavorable.
Il va falloir renouveler votre vocabulaire ! Quel est l’avis du Gouvernement ? Je rappelle à M. Bernalicis – mais peut-être que ses renseignements sont meilleurs que ceux du ministre de l’intérieur – que les services et la DGSI reçoivent un certain nombre de renseignements de la part de services étrangers. En effet. La règle, dans ce domaine, est de ne pas communiquer ce qu’un service de renseignement étranger – on appelle cela le tiers service – vous a donné. S’il en va autrement, aucun service ne communiquera plus avec les nôtres et nous serons confrontés à des attentats.
M. Ciotti, je l’ai dit, fait montre de continuité.
(Sourires.) Une fois encore, le sujet qu’il évoque a déjà été étudié. Lors de la réunion du Congrès, le précédent président, François Hollande, avait dit qu’il soumettrait l’ensemble des propositions formulées au Conseil d’État afin d’évaluer leur constitutionnalité. Or il avait en particulier soumis votre proposition de rétention administrative et le Conseil d’État avait jugé qu’elle n’était ni constitutionnelle ni en conformité, sur le plan conventionnel, avec les accords que nous avons conclus.
Voilà pourquoi nous ne sommes pas favorables à l’adoption de ces amendements
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM et sur quelques bancs du groupe MODEM.) La parole est à M. Ugo Bernalicis. Lorsqu’un renseignement provient de l’étranger, un procès-verbal peut user de la formule « selon nos sources… », sans dévoiler ces dernières afin d’ouvrir une enquête préliminaire, laquelle permettra de demander à un juge des libertés et de la détention de décider d’une assignation à résidence. Il est donc possible de le faire avec des éléments du même niveau de précision que celui des notes blanches.
Le problème toutefois n’est pas tant d’ouvrir une enquête judiciaire que de la clore et c’est là où l’autorité administrative, elle, ne s’embête pas : elle peut agir plus librement. Finalement, vous manifestez plutôt de la défiance envers le juge quand nous défendons un principe de confiance.
Au demeurant, il y a lieu de s’interroger sur l’utilité des assignations à résidence, ou des « mesures individuelles de surveillance ». C’est assez ubuesque : le renouvellement du dispositif suppose des éléments nouveaux, mais comme la personne se sait sous surveillance, elle se tient forcément à carreau. Aucun élément nouveau n’apparaît donc et,
in fine , la surveillance est interrompue. C’est quand même dingue ! Pour parler comme Jaurès, soit vous appliquerez mollement vos dispositions, soit vous irez chercher au tréfonds de chacun les motifs d’une assignation et d’une surveillance individuelle.
Nous aurions pu débattre de la perte de preuves, de même que de la judiciarisation des techniques de renseignement, au tout début : combien de renseignements ne peut-on utiliser judiciairement, précisément parce qu’ils relèvent du mode administratif et que l’on ne peut ouvrir une enquête ni les verser au dossier ? Voilà un débat qui aurait été intéressant, monsieur le ministre d’État.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Didier Paris. Le groupe La République en marche se trouve dans une position… D’équilibre ? (Sourires sur les bancs du groupe LR.) …ferme et sereine, entre le trop et le pas assez. Ben voyons ! Nous pouvons au moins être d’accord sur le fait qu’il existe des zones d’ombre autour de la commission d’actes terroristes mais nous divergeons profondément sur les solutions qui permettent de les éclairer.
Deux questions à propos des amendements déposés par le groupe Les Républicains : la rétention administrative pour qui, selon quels critères ? Les dispositifs proposés sont des mesures administratives privatives de liberté. Quand bien même elles seraient validées par le Conseil constitutionnel, elles constitueraient pour notre droit une véritable monstruosité. Nous ne souhaitons pas nous engager dans cette voie.
Ne refaisons pas le coup des mesures de placement ou d’hospitalisation d’office, lesquelles sont soumises à un examen médical préalable – il en va de même pour leur renouvellement – et sont placées sous le contrôle d’un juge des libertés. Avec ce que vous proposez, nous ne sommes pas du tout dans la même situation. Pas d’amalgames, s’il vous plaît !
En ce qui concerne les mesures proposées par le groupe La France insoumise, j’ai souvent du mal à comprendre des amendements qui sont pourtant censés éviter de complexifier le droit.
Nous avons présenté cet amendement car vous aviez refusé la suppression pure et simple de l’article ! Monsieur Bernalicis, vous avez eu l’occasion de vous exprimer ! Quoi qu’il en soit, nous ne souhaitons pas diviser les Français et la meilleure façon d’y parvenir, monsieur Coquerel, c’est de respecter les principes fondamentaux du droit ; c’est ce que nous vous proposons, tout simplement. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe FI. – Applaudissements sur les bancs du groupe REM.) C’est justement ce que vous ne faites pas ! La parole est à M. Guillaume Larrivé. Le sujet est trop grave pour que le Gouvernement et la majorité écartent d’une manière aussi péremptoire les propositions du premier groupe de l’opposition sur ces questions. On sent que vous faites un complexe ! (Sourires sur les bancs du groupe FI.) M. le ministre d’État dit et répète que le Conseil d’État a rendu un avis sur ces questions au mois de décembre 2015. Oui, c’est vrai, mais il ne portait pas sur ces amendements-là. Depuis, nous avons travaillé, nous avons lu cet avis, nous avons introduit dans notre dispositif de rétention administrative l’intervention d’un juge des libertés et de la détention, monsieur Paris ; nous avons vu ce point, bien sûr.
Nous aurions dû avoir un vrai débat technique approfondi en commission sur les modalités de la rétention. Je suis prêt à envisager une adaptation des délais que nous proposons mais c’est une question secondaire. La question de principe qui nous sépare vraiment, c’est que, selon nous la République française a le droit, à titre préventif,…
De manière prédictive ! …afin de prévenir cette immense atteinte à l’ordre public qu’est l’attentat terroriste, de placer dans un centre de rétention des individus repérés par les services de renseignement et que le ministre de l’intérieur, en conscience, a quant à lui le devoir de ne pas laisser en liberté. Voilà notre position.
Il s’agit sans doute, en effet, d’une différence assez considérable : nous n’arrivons pas à nous satisfaire de cette zone d’ombre évoquée à l’instant par Didier Paris. Nous n’arrivons pas à nous satisfaire de ce qu’en ce moment même, dans notre pays, des centaines d’individus connus des services de renseignement soient entièrement libres de leurs mouvements parce que la judiciarisation n’a pas été possible, parce que telle interprétation de la convention européenne des droits de l’homme, parce que tel avis du Conseil d’État, etc.
Que chacun assume ses responsabilités. Nous sommes l’Assemblée nationale, nous avons le devoir de voter la loi.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Il nous reste près de soixante-dix amendements à examiner sur ce seul article 3. Chacun aura l’occasion de s’exprimer, mais je vous propose d’en venir au vote après que nous aurons entendu M. Hutin. Le groupe socialiste et apparentés, que vous avez connu, monsieur le ministre d’État,… C’était le temps d’avant ! Ne lui rappelez pas de mauvais souvenirs ! …ou plutôt le groupe Nouvelle Gauche, a choisi la voie de la raison républicaine.
Ce texte n’est pas anodin : c’est de la dentelle, on se situe sur le fléau de la balance, il concerne les libertés individuelles, des choses extrêmement importantes.
Notre groupe formulera dans les articles qui viennent un certain nombre de propositions visant à ce qu’un contrôle parlementaire soit exercé et que les libertés individuelles soient préservées. Mais avant de continuer, monsieur le ministre d’État, je souhaite vous poser des questions que personne, jusque-là, n’a soulevées. Compte tenu de ce que nous allons décider s’agissant des assignations à résidence, disposez-vous en tant que ministre de l’intérieur des moyens d’appliquer cette loi, y compris en termes de personnels ? Disposez-vous d’assez de personnels pour s’occuper d’une assignation ? Est-il aujourd’hui possible, monsieur le ministre d’État, de considérer que le budget de la nation intègre le coût des mesures qui seront décidées cette nuit ?
Très bonnes questions ! La parole est à M. le ministre d’État. Je le dirai pour la dernière fois : les assignations concernent aujourd’hui 39 personnes tandis que le personnel de la DGSI compte 4 400 personnes. Oui, 4 400 personnes peuvent en contrôler 39. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.) Quelle réponse désagréable et méprisante !
(Les amendements nos 254, 42, 211 et 43, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à M. Ludovic Pajot, pour soutenir l’amendement no 166. L’objet du présent amendement est de durcir les conditions de contrôle des personnes ayant quitté le territoire national et dont il existe des raisons sérieuses de penser que ce déplacement a pour but de rejoindre un théâtre d’opérations de groupement terroriste. Ce contrôle doit être impératif lors du retour de l’individu sur le territoire national et non simplement facultatif comme le prévoit actuellement le texte de loi. Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable – je crois vous avoir déjà expliqué pourquoi à l’article 2. Le terme « peut » relève d’une pratique administrative commune afin de laisser à l’administration la possibilité ou non d’utiliser la mesure. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis défavorable.
(L’amendement no 166 n’est pas adopté.) La parole est à M. Ludovic Pajot, pour soutenir l’amendement no 167. Il convient de permettre au parquet d’être informé de manière automatique de l’identité de ces individus afin de lui permettre de déclencher l’action publique. Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable car cet amendement est déjà satisfait. Le parquet de Paris est immédiatement informé d’un retour et, nous en avons parlé tout à l’heure, engage les poursuites judiciaires adéquates. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis défavorable.
(L’amendement no 167 n’est pas adopté.) La parole est à M. Éric Ciotti, pour soutenir l’amendement no 208. Il est défendu.
(L’amendement no 208, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Ludovic Pajot, pour soutenir l’amendement no 357. Il est défendu.
(L’amendement no 357, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l’amendement no 396. Il est défendu, madame la présidente.
(L’amendement no 396, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Claude de Ganay, pour soutenir l’amendement no 479. Il est proposé de supprimer, à l’alinéa 8, les mots : « de manière habituelle ». Ce serait en effet très restrictif et il nous paraît plus logique de prévenir les actes de terrorisme de façon plus efficace en ouvrant la possibilité à des mesures de prévention à l’égard de tout individu étant entré en contact avec des personnes ou des organisations liées à la mouvance terroriste. Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Il me semble qu’avec la suppression de ces mots le texte en serait déséquilibré. Surtout, lors de nos auditions, les services de police et de renseignement ne nous ont à aucun moment indiqué que la rédaction actuelle pourrait poser un problème opérationnel.
(L’amendement no 479, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 486. L’article 3 évoque « des raisons sérieuses » qui justifieront la nécessité de procéder à des mesures de contrainte à l’encontre des personnes sur lesquelles pèseront des soupçons. Le groupe Nouvelle Gauche souhaiterait que ces raisons sérieuses soient objectivées dans un document. Cela nous paraît une nécessité en raison de la difficulté, soulevée d’ailleurs lors des débats sur l’état d’urgence, pour le juge administratif de connaître précisément les raisons sérieuses qui ont motivé la décision d’assigner à résidence. C’est pourquoi nous devrions, sortant de l’état d’urgence, conforter la notion de raisons sérieuses en affirmant que celles-ci doivent être explicitées par l’autorité décisionnaire. Très bien ! Quel est l’avis de la commission ? On en a discuté en commission et l’avis reste défavorable. Je rappelle que l’arrêté d’assignation doit être motivé et que ce sera l’office du juge de vérifier que les éléments apportés correspondent aux critères fixés par la loi et de prendre en conséquence sa décision de l’annuler ou pas. Compléter l’alinéa 8 n’est donc, à mon sens, pas nécessaire puisque l’obligation de motiver est déjà prévue. Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable. La parole est à M. Ugo Bernalicis. C’est un bon amendement mais je crains qu’il ne conduise, s’il est mis en œuvre, à une juridiciarisation de la procédure puisqu’il faudra vérifier des faits, ce qui serait toute la difficulté. Et puis on nous dit que des éléments d’information sont déjà requis, évoquant les notes blanches. Mais je rappelle que celles-ci ne sont pas datées et ne mentionnent pas l’identité de celui ou ceux qui les ont rédigées – pas même un numéro de matricule –, et le JLD concerné, pourtant spécialisé en matière de terrorisme, n’a pas accès aux dossiers confidentiels ni aux dossiers classés « secret défense », et donc n’a pas connaissance des éléments qui ont conduit à la rédaction des notes blanches – ce qui n’est pas le cas pour les magistrats du parquet. Vous devez avoir une belle note, vous ! (Sourires.) Je ne sais pas si vous savez, chers collègues, que le fonctionnaire de police qui la rédige – car c’est normalement le cas – évalue lui-même la qualité de son renseignement. Il indique : « Je pense que mon renseignement est plutôt fiable » ou « peu fiable, la source est aléatoire, elle me dit un peu tout et son contraire, cela dépend des jours » ou bien, au contraire, « c’est quelqu’un qui m’a déjà bien renseigné ». Mais savez-vous que ces indications ne figurent pas sur la note blanche ? On va finir par croire qu’il y en a une à votre nom ! C’est-à-dire qu’il s’agit d’un élément brut, non circonstancié, pas même au regard des circonstances décrites par le fonctionnaire de police lui-même. Et on met cela devant un individu en lui disant : « Voilà, vous êtes mis en cause. » On ne sait en vertu de quel principe et l’on inverse la charge de la preuve : débrouillez-vous pour prouver que ce qui est allégué contre vous n’est pas vrai. On a vu des cas assez extraordinaires où le ministère de l’intérieur arguait, dans ses mémoires en défense, qu’il était normal de ne rien trouver s’agissant de la personne incriminée parce qu’elle suivait les préceptes de Daech indiquant comment se dissimuler. Par conséquent, il était logique de ne rien découvrir et cela prouvait que la personne en question était bien un terroriste. On est en plein délire ! Très bien ! La parole est à M. Patrice Verchère. Une petite réaction à la suite des propos du ministre de l’intérieur. Vous avez déclaré, monsieur le ministre d’État, que les trente-neuf personnes aujourd’hui assignées à résidence pourraient tout à fait être suivies par des policiers dans le cadre des nouvelles mesures individuelles de contrôle. C’est vrai. Mais il est admis qu’il faut environ dix policiers pour surveiller une personne suspecte vingt-quatre heures sur vingt-quatre,… Tout à fait ! …soit environ 400 policiers sur un effectif total de 4 400 pour la DGSI, et en sachant que tous ne sont pas des policiers – il y a aussi des analystes, des interprètes et des informaticiens. Il me semblait important de le rappeler parce que vous donniez l’impression que la surveillance pourrait s’effectuer avec seulement trente-neuf policiers. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à Mme Cécile Untermaier. Mon collègue de La France insoumise a raison : tel qu’il est rédigé, cet amendement laisse penser qu’il s’agit d’une décision judiciaire. Dans la mesure où les débats parlementaires aideront les juges qui auront à trancher en ce domaine, je souhaite que l’on affirme dans le texte que le soupçon qui fondera l’arrêté concerné, puisque ce dernier sera contraignant et se traduira en partie par une privation de liberté individuelle, devra au moins être expliqué dans ledit arrêté, sans aller jusqu’à la juridiciarisation. Très bien ! La parole est à M. Didier Paris, dernier orateur, puis nous passons aux votes. Nous avons évoqué assez longuement en commission des lois cette question. Il me semble qu’elle procède d’une incompréhension. On peut parfaitement accepter l’idée que la raison pour laquelle on place des personnes sous une surveillance particulière doit être particulièrement motivée. Mais l’on ferait une erreur en pensant que l’important est la manière dont la preuve est apportée : non, l’important, c’est la preuve elle-même, quelle qu’elle soit, qui permet de considérer que nous sommes bien face à des personnes à l’encontre desquelles existent « des raisons sérieuses de penser » que leur « comportement constitue une menace d’une particulière gravité ». Justement, où sont-elles, les preuves ? C’est donc bien l’office du juge, comme l’a dit le rapporteur, qui doit prévaloir. C’est lui, en fonction de l’ensemble des éléments dont il dispose – sur lesquels il est particulièrement vigilant, l’état d’urgence nous l’a largement démontré, je le rappelle –, qui va permettre d’arriver au but : celui de prévenir les exactions susceptibles d’être commises par ces personnes dangereuses. Parce que selon vous le juge administratif considère la qualité de l’acte ? C’est de la mauvaise foi ! Monsieur Bernalicis, seul M. le ministre d’État a la parole pour répondre aux orateurs qui se sont succédé. Je tiens seulement à rappeler que nos services sont particulièrement précautionneux. S’agissant de ce genre de mesures de contrôle individuel, quel a été le pourcentage de celles qui ont été rejetées par les tribunaux administratifs ? Il est de l’ordre de 13 %. C’est 13 % de trop ! Cela montre que nous faisons évidemment attention avant de prendre de telles décisions.
(L’amendement no 486 n’est pas adopté.) La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l’amendement no 392. Vous savez bien, monsieur le ministre d’État, que le changement induit par cet article inquiète l’ensemble des professions du monde judiciaire. Le texte propose en effet que le ministre de l’intérieur ait l’initiative de la surveillance, ce qui retire au juge des libertés et de la détention, garant des libertés fondamentales au titre de l’article 66 de la Constitution, l’initiative des mesures de surveillance et de contrôle. Nous proposons donc de laisser cette prérogative à ce dernier. Quel est l’avis de la commission ? L’intervention du JLD est un vrai sujet de débat. Nous l’avons déjà eu en commission et nous allons l’avoir bientôt dans cet hémicycle, mais s’agissant du renouvellement de la mesure de contrôle. Cet amendement introduit, quant à lui, l’intervention du JLD dès la mise en place de la mesure. Or je souligne qu’il s’agira d’une mesure restrictive de liberté et non pas limitative de liberté. Par conséquent, il ne peut y avoir intervention du juge judiciaire. L’avis est donc défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à Mme Clémentine Autain. J’ai le sentiment, au vu du débat que nous avons aujourd’hui, que la fin justifie les moyens. Au nom de la lutte contre Daech et quelle que soit l’efficacité de ce que nous adoptons, nous estimons que nous pouvons inverser la charge de la preuve et, ce faisant, nous asseoir sur la justice ainsi que sur les principes de notre droit. Je constate, et c’était déjà vrai lors du débat que nous avons eu concernant le juge administratif et les perquisitions, que nous décidons de faire confiance aux agents concernés au mépris des règles de droit. Mais où va-t-on ? Si nous acceptons les perquisitions, les assignations à résidence, avant seulement de s’interroger s’il y avait une raison qui le justifiait, où va-t-on ? Où est passé le fondement de notre droit ? Il est aujourd’hui littéralement bafoué, au nom d’une efficacité qui restera introuvable, comme le montrent les 4 000 perquisitions ayant débouché dans seulement 0,5 % des cas sur des procédures pour faits liés au terrorisme. C’est déjà ça ! Le groupe La France insoumise conteste cet abus et le fait que, comme avec la loi travail, vous inversiez la charge de la preuve, mes chers collègues. L’ère du soupçon va régner alors que, sur la question des moyens pour le renseignement, pour l’accompagnement et pour le suivi des filières, rien n’est prévu. Nous ne pouvons même pas faire adopter des amendements qui permettraient de donner les moyens à la justice et à la police de mettre en œuvre, dans le cadre du droit commun, des mesures permettant de lutter efficacement contre Daech. Nous, nous estimons qu’on ne lutte pas contre Daech en bafouant ce qui constitue les règles fondamentales de notre République et de notre droit. Alors on fait comment ? Proposez des choses ! C’est pourquoi de nombreuses associations de protection des droits de l’homme sont littéralement vent debout contre l’inscription dans le droit commun des mesures prévues dans le cadre de l’état d’urgence.
Quelle République aurons-nous demain, et au nom de quelle efficacité, si l’on en arrive à justifier que ceux qui veulent le totalitarisme, que ceux qui veulent miner la République et la liberté soient traités de la sorte ?
N’est pas Jaurès qui veut ! Nous connaîtrons alors ce que mes collègues ont appelé une « démocrature ». (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Très bien ! C’est à peine excessif ! La parole est à M. Rémy Rebeyrotte. Je voudrais, en quelques mots, répondre à Mme Autain. Eh oui, mes chers collègues, l’ancien maire d’Autun répond à Mme Autain. (Sourires.)
Je le ferai en rappelant simplement, après qu’il a été question de Jean Jaurès, des propos tenus en 1848 par Victor Hugo.
Laissez-le tranquille ! « Quel est le républicain, de celui qui veut faire aimer la république ou de celui qui veut la faire haïr ?
« Si je n’étais pas républicain, si je voulais le renversement de la république, – écoutez ! – […] j’agiterais la rue, je mettrais l’armée en suspicion, […] je mettrais le pays lui-même en suspicion, […] je mettrais le pied sur la gorge au commerce, à l’industrie, au travail, je crierais
mort aux riches ! […] et en faisant cela, savez-vous ce que je ferais ? je détruirais la république. […] Que fais-je ? Tout le contraire. Je déclare que la république veut, doit et peut grouper autour d’elle le commerce, […] l’industrie, le travail, la propriété, la famille, les arts, les lettres, l’intelligence, […] la prospérité publique, l’amour du peuple et l’admiration des nations. » Quelle tirade ! « Je réclame la liberté, l’égalité, la fraternité et j’y ajoute l’unité. J’aspire à la république universelle. […] Savez-vous à qui il faut dire : Vous n’êtes pas républicain ? C’est aux terroristes. Vous venez de voir le fond mon cœur. Si je ne voulais pas la république, je vous montrerais la guillotine dans les ténèbres » – voilà pour l’autre extrême – « et c’est parce que je veux la république que je vous montre dans la lumière la France libre, fière, heureuse et triomphante. » Amen ! Il faudrait dire un bénédicité. Ce n’était pas très bien lu. Nous vous citerons d’autres passages de Hugo, vous verrez ! La parole est à M. Christian Hutin. Nous sommes en 2017, et les propos de notre collègue nous ont ramenés en 1848. Permettez-moi de vous rappeler, monsieur l’ancien maire d’Autun, qu’en 1848 Victor Hugo était extrêmement proche du futur Napoléon III. Mais non ! Si. Il n’avait pas encore viré à gauche. Par conséquent, s’agissant des propos que vous venez de citer, on est encore très éloigné du Hugo de Jersey et de Guernesey. Ça s’appelle un retour de citation dans la figure. Les propos que vous avez cités reflètent une idée qui perdure encore aujourd’hui – je le dis très franchement – dans ce que j’appellerai le macronisme, c’est-à-dire un libéralisme industriel. Il me semble que ce que défendait Victor Hugo à l’époque, en 1848, ressemble à ce qu’est aujourd’hui M. Macron, le Président de la République. Ce n’est qu’ensuite que Victor Hugo, devenu extrêmement républicain, a reçu tous les honneurs de la République, après avoir lutté contre une forme de dictature ou de micro-dictature – selon le point de vue.
Par conséquent, mon cher collègue, le texte que vous venez de citer ne correspond pas du tout à l’idée que nous nous faisons aujourd’hui de la République : il traduit une vision de la République extrêmement construite, industrieuse et proche des milieux patronaux. En un mot, elle est proche du MEDEF.
(Exclamations sur les bancs du groupe REM.) Cette vision va ensuite complètement changer : en 1848, ce n’est pas encore le Victor Hugo de Jersey et de Guernesey. Cela dit, il y a aujourd’hui dans notre régime un petit peu de Napoléon III. (Applaudissements sur les bancs des groupes NG, GDR et FI.) Je vous propose, monsieur Hutin, de clore cette discussion historique passionnante et de passer au vote sur l’amendement no 392.
(L’amendement no 392 n’est pas adopté.) La parole est à M. Jean-Carles Grelier, pour soutenir l’amendement no 372. C’est une des conséquences de la fin du cumul des mandats : il n’y a plus de maires dans cette assemblée. Eh oui ! Fallait-il pour autant que les maires soient également absents de ce projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ? Fallait-il les tenir à l’écart de tout le dispositif de sécurité publique, eux qui sont souvent les premiers interlocuteurs de leurs concitoyens en matière de sécurité, qui sont officiers de police judiciaire et qui, sous l’autorité des procureurs de la République, peuvent également être détenteurs de secrets et d’informations de nature confidentielle ?
Monsieur le ministre d’État, vous avez vous-même rappelé tout à l’heure les difficultés que vous avez pu rencontrer, en tant que maire de Lyon, dans le traitement de ces dossiers particulièrement sensibles. C’est dire si la place, le rôle et l’importance des maires doivent être consacrés. L’amendement no 392 vise donc simplement à porter à la connaissance des premiers magistrats des communes les informations relatives au placement sous surveillance de personnes résidant sur le territoire de leur commune, ou des mesures envisagées à leur égard.
Les maires sont depuis longtemps les soutiers de la République : il n’y a pas de raison pour qu’ils soient de plus, désormais, les cinquièmes roues du carrosse de l’État de droit.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Quel est l’avis de la commission ? Cette mesure relative à l’information des maires n’existait pas dans le cadre des assignations à résidence prononcées dans le cadre de l’état d’urgence. Raison de plus pour la créer ! S’il est vrai que le besoin d’information des maires est légitime, d’autres mesures administratives susceptibles d’être prises, comme le gel des avoirs, le sont sans qu’ils n’en soient informés. Je m’interroge donc sur ce point. C’est-à-dire ? C’est une mesure de bon sens ! Je m’interroge également, même si je n’ai jamais occupé les fonctions de maire, sur l’intérêt opérationnel de la mesure : à quoi va servir la communication aux maires de ces informations ? (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Pour toutes ces raisons, l’avis de la commission est défavorable. C’est pourtant un excellent amendement ! Messieurs, vous aurez l’occasion de reprendre la parole pour répondre au rapporteur.
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Cet après-midi, nous avons eu l’occasion, mais peut-être n’étiez-vous pas parmi nous, d’évoquer le rôle des maires. Il me semble que M. Ciotti était, sur ce point, à ce moment-là, assez d’accord avec moi : il ne servirait à rien que les maires disposent de toutes les informations. Ils ne sauraient en effet pas, dans cette hypothèse, quoi en faire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe REM.) Je note donc que l’avis du Gouvernement est défavorable.
La parole est à Mme Catherine Kamowski.
Vous évoquiez les fonctions de maire : je les ai moi-même exercées jusqu’au 19 juin dernier dans une ville de 15 000 habitants. Je rappelle que certains secrets sont d’ores et déjà opposés aux maires, dans le domaine social ou dans celui de la prévention de la délinquance par exemple.
Les maires ne savent pas tout. Certes, ils doivent assurer la paix publique et la protection des personnes et des biens, mais cela n’implique pas qu’ils sachent tout, car ils ne sont pas le seul maillon de la chaîne. La police et la gendarmerie jouent également leur rôle.
Il n’entre pas nécessairement dans les attributions du maire, et pas davantage dans celles de sa police municipale, de contrôler les personnes fichées S ou soupçonnées de participer, de près ou de loin, à une entreprise terroriste. Lorsqu’il s’agit de l’intérêt supérieur de la nation, le maire que j’ai été ne trouve pas incompréhensible de ne pas tout savoir. Beaucoup de collègues maires partagent ma position.
Du reste, cela n’irait pas sans poser des questions pratiques : que devrait faire le maire d’une telle information ? Il ne pourrait la transmettre à sa police municipale. En outre, ce n’est pas faire insulte aux maires de France que de dire qu’il est impossible de prévoir la réaction de l’un d’entre eux qui entendrait évoquer, dans un contexte différent, le nom d’une personne dont il saurait qu’elle fait par ailleurs l’objet d’une mesure administrative. Ce serait également, à mon sens, attentatoire à la liberté de cette personne.
Mais non ! Je ne suis donc pas favorable à l’amendement no 372. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe REM.) La parole est à M. Arnaud Viala. Je souhaite dire quelques mots en réaction à l’intervention de notre collègue : il est en effet impensable d’imaginer qu’un maire puisse ne pas être informé d’une mesure administrative comme celle que nous venons d’évoquer, alors que, dans la plupart des cas, la presse s’en fait l’écho.
Je l’ai d’ailleurs vécu il y a quelque temps dans la ville de Saint-Affrique, dans ma circonscription. Dans une telle situation, je n’imagine pas que le maire ne soit pas informé – le parlementaire que j’étais l’avait d’ailleurs été, à ce moment-là, par le préfet.
Simplement, dans la mesure où une telle situation est susceptible de créer un trouble à l’ordre public, en raison des craintes qu’elle suscite, il est absolument indispensable que le maire, en sa qualité de premier magistrat de la commune, soit informé de la présence d’une personne assignée à résidence sur son territoire.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
(L’amendement no 372 n’est pas adopté.) La parole est à M. Arnaud Viala, pour soutenir l’amendement no 106. Cet amendement vise en réalité à vous interroger, monsieur le ministre d’État. Vous ne souhaitez pas que l’état d’urgence soit prorogé. Or celui-ci permettait, en raison de son caractère exceptionnel, de prendre certaines mesures.
À travers cet amendement, je vous interroge sur la rédaction de l’alinéa 9 de l’article 3. Manifestement, elle vous permet d’introduire dans le droit commun la possibilité pour le ministre de l’intérieur de passer outre le principe de séparation des pouvoirs, c’est-à-dire de se dispenser d’informer le pouvoir judiciaire dans le cas de mesures personnelles applicables à une personne soupçonnée d’actes terroristes.
Pouvez-vous donc nous expliquer, monsieur le ministre d’État, pourquoi, ici, l’équilibre que vous recherchez fait tout à coup défaut ?
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Quel est l’avis de la commission ? Il est défavorable : dans le cadre du dispositif de contrôle administratif des retours sur le territoire national – CART –, dont nous avons parlé tout à l’heure, le ministre de l’intérieur prend déjà des décisions et des mesures restrictives de liberté. Une telle faculté lui est donc déjà offerte par le droit commun. Non, non ! Votre amendement, cher collègue, vise à introduire le juge judiciaire dans le dispositif et à soumettre la décision du ministre à son accord : pour le coup, je m’interroge sur la cohésion au sein de votre groupe. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Vous n’avez pas à le faire ! Quoi qu’il en soit, l’avis de la commission est défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Je rappelle que les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance constituent des mesures de police administrative visant à préserver l’ordre public et à prévenir les infractions : elles portent atteinte non pas à la liberté individuelle mais à la liberté d’aller et de venir. Il s’agit de mesures restrictives, et non privatives de liberté : tout notre débat porte sur ce point. Il n’existe dont aucune raison pour les subordonner à l’accord de l’autorité judiciaire.
Le Conseil constitutionnel juge en effet avec constance que « conformément à la conception française de la séparation des pouvoirs, figure au nombre des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" celui selon lequel, à l’exception des matières réservées par nature à l’autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle ». Une telle autorisation porterait donc
a priori atteinte à la séparation des pouvoirs. C’est un peu osé, comme conclusion ! Monsieur le ministre d’État, je déduis de votre démonstration que l’avis du Gouvernement est défavorable. Tout à fait !
(L’amendement no 106 n’est pas adopté.) Je suis saisie de trois amendements identiques, nos 323, 380 et 493.
La parole est à Mme Emmanuelle Anthoine, pour soutenir l’amendement no 323.
Il est défendu. La parole est à Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, pour soutenir l’amendement no 380. L’objet de l’amendement est de supprimer l’alinéa 10. Il existe en effet déjà, dans notre droit, des dispositions encadrant le dispositif qu’il prévoit.
Si une personne est en relation « de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme » ou « faisant l’apologie de tels actes », c’est-à-dire si elle remplit les conditions justifiant la mise en place d’une mesure de contrôle administratif, une information judiciaire pour association de malfaiteurs à caractère terroriste peut être ouverte, conformément à l’article 421-2-1 du code pénal. Le juge d’instruction ou le JLD peut ensuite décider de soumettre cette personne à un contrôle judiciaire.
Monsieur Pradié, vous allez pouvoir prendre officiellement la parole, pour soutenir l’amendement no 493. Vous observerez que je suis moins efficace avec un micro que sans, madame la présidente – et surtout moins passionnant ! À l’aise, Blaise ! Plus sérieusement, j’aimerais essayer de sonder et de comprendre le fond de votre pensée, sur ce sujet en particulier, monsieur le ministre d’État. Exercice compliqué ! Vous oscillez en effet entre deux argumentations pour justifier le desserrement de l’étau du contrôle du domicile jusqu’aux limites de la commune.
Il arrive que vous fassiez valoir l’argument consistant à dire que la mesure ne doit pas être attentatoire aux libertés et qu’il faut par conséquent permettre à celles et ceux qui sont sous surveillance de continuer à avoir une vie familiale et professionnelle. Je vous pose donc pour la quatrième fois la même question – pardon d’insister : parmi les trente-neuf personnes qui sont aujourd’hui dans cette situation, combien disposent d’un emploi, combien ont des obligations professionnelles réelles ?
Madame la présidente de la commission des lois, vous hochez systématiquement la tête ; si vous avez des informations, donnez-les !
Je ne hoche pas la tête ! Ce que je veux dire, c’est que si aucun d’entre eux, du fait de leur radicalisation, n’a véritablement de liens de famille extérieurs à son domicile ou de liens professionnels, alors cet argument tombe de fait ; il est factice.
Deuxième argument que vous avez évoqué : il s’agirait de rendre plus efficace le renseignement. Vous avez indiqué tout à l’heure qu’il y avait suffisamment de forces de l’ordre pour suivre avec efficacité les personnes concernées à l’échelle non plus du domicile, mais de la commune. Aujourd’hui, ces personnes sont au nombre de trente-neuf. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre d’État, combien il y en eut au plus fort de la menace ? Il faudra multiplier ce nombre par dix pour déterminer combien de forces de l’ordre il faudra mobiliser en regard – je ne pense pas que nous ayons les capacités suffisantes.
Enfin, il me semble qu’au fur et à mesure que notre débat avance, nous perdons de vue la nature de la menace. Or il ne s’agit pas de n’importe quelle menace – je le précise à destination de certains de mes collègues.
Monsieur Pradié, il semble que vous soyez volubile avec un micro ! Oui, mais ça vaut le coup ! (Sourires.)