XVe législature
Session extraordinaire de 2017-2018

Séance du vendredi 13 juillet 2018

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (nos 911, 1137, 1053, 1097, 1098). Ce matin, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi constitutionnelle, s’arrêtant à l’amendement no 1141 portant article additionnel avant l’article 1er. Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 1141, 554, 1568, 553, 1567, 2229 et 1255, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 554 et 1568, ainsi que les nos 553, 1567 et 2229 sont identiques.
La parole est à Mme Marine Le Pen, pour soutenir l’amendement no 1141.
La Constitution, au-delà de l’organisation des institutions, est également le texte qui fixe les grands principes régissant notre société et définit les valeurs françaises héritées de plusieurs siècles d’histoire. Or du fait du développement spectaculaire de la recherche biomédicale durant ces cinquante dernières années, les questions éthiques ne peuvent plus être ignorées par notre texte fondamental.
Cet amendement vise donc à intégrer à la Constitution un certain nombre de principes intangibles et à placer le respect du corps humain à un niveau supérieur à celui de la législation ordinaire. Nous proposons de compléter l’article 1erde la Constitution par un alinéa ainsi rédigé : « La Constitution assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. »
Ces quatre phrases, dont l’inscription dans la Constitution vous est aujourd’hui proposée, ont été introduites dans notre code civil il y a vingt-quatre ans, conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain. Les travaux parlementaires qui ont conduit à la rédaction de ces dispositions législatives, inchangées à ce jour, montrent à quel point la représentation nationale a souhaité, dès cette époque, mettre en avant certains principes fondamentaux de notre bioéthique. C’est dans ce but qu’il vous est aujourd’hui proposé de transcrire mot pour mot deux articles figurant dans notre code civil, afin d’assurer pleinement leur intangibilité.
La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l’amendement no 554. La dignité est un principe de base qui devrait figurer dans la Constitution. C’est pourquoi nous vous proposons d’introduire, à l’article 1er, une phrase ainsi rédigée : « La France reconnaît une égale dignité de toutes les personnes humaines et s’engage à la respecter et à la protéger dans ses lois et règlements. » Le principe fondamental de dignité a été reconnu par le Conseil constitutionnel, qui s’est fondé sur le préambule de la Constitution de 1946. Il doit maintenant être explicitement mentionné pour que le législateur puisse s’en prévaloir, par exemple dans le cadre du droit au logement, ou de la lutte contre les trafics humains de toute sorte. La parole est à M. Philippe Vigier, pour soutenir l’amendement no 1568. Si M. le président m’y autorise, je défendrai en même temps les amendements nos 1568 et 1567, qui sont extrêmement proches. Madame la ministre, nous avons fait référence, hier, aux travaux du comité présidé par Simone Veil de 2008, chargé d’étudier dans quelle mesure le texte du préambule de la Constitution devait être complété afin d’assurer le respect de la diversité. Vous connaissez suffisamment bien le fonctionnement du Conseil constitutionnel, et sa décision du 27 juillet 1994 portant sur la loi relative au respect du corps humain et la loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, pour reconnaître la dignité comme un principe absolument fondamental. Cela doit nous inciter à nous interroger.
Comme nos collègues du groupe GDR l’ont dit hier, à la suite des travaux du comité de Simone Veil, une proposition de loi a été déposée en 2008, qui n’a malheureusement pas abouti. Puisque nous discutons du préambule de la Constitution et des principes fondamentaux, il est temps d’ériger la dignité humaine en principe fondamental, ce qui implique – et c’est l’objet de l’amendement no 1567 – de se donner les moyens, dans les lois et les règlements, de la protéger.
À titre personnel, je suis très attaché à cette rédaction, car dans un contexte d’évolution des lois bioéthiques, il est extrêmement important que le juge constitutionnel puisse s’appuyer sur un texte clair. Ceux qui ont eu la chance de lire le rapport du comité de Simone Veil savent combien il apporte un éclairage précieux.
La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l’amendement no 553. Il est très proche du précédent, et est également fondé sur la proposition du comité Veil. Nous proposons d’insérer, à l’article 1erde la Constitution, une phrase ainsi rédigée : « Elle [la République] reconnaît l’égale dignité de chacun. » L’amendement no 1567 a été défendu.
La parole est à M. Sébastien Jumel, pour soutenir l’amendement no 2229.
Le comité Veil a considéré qu’élever le principe de dignité au panthéon des principales valeurs de référence de la République pouvait justifier une révision constitutionnelle. Nos collègues belges, allemands, italiens et suisses ont introduit ce principe fondamental dans leur constitution respective, se référant ainsi à la Déclaration universelle des droits de l’homme, à la Charte européenne des droits fondamentaux et à la Déclaration universelle sur la bioéthique et les droits de l’homme. Les députés du groupe GDR pensent que le Gouvernement devrait s’intéresser de près à cette notion, non pas seulement pour imiter nos voisins européens, mais parce que, dans de nombreux domaines, comme celui de la politique de santé ou de la politique contre l’exclusion sociale, elle pourrait fortement nous inspirer.
En commission, on nous a dit que la notion de dignité était un concept trop flou pour figurer dans notre Constitution. Je me permets d’opposer aux dubitatifs cette formule de Karl Kraus : « Plus on regarde le mot de près, plus il vous regarde de loin ». J’ajoute que c’est simplement parce que les hommes sont tous égaux et dépositaires de la même dignité qu’elle doit être consacrée comme un principe fondamental de valeur constitutionnelle.
Enfin, cette inscription forcerait le législateur à adopter une définition consensuelle et démontrerait une attitude volontariste des pouvoirs publics, qui doivent adapter sans cesse le socle de valeurs communes. Cet amendement s’inscrit dans la logique des préconisations du comité Veil.
La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva, pour soutenir l’amendement no 1255. Nous souscrivons aux propositions qui viennent d’être faites, et qui s’inscrivent dans la lignée des préconisations du rapport du comité Veil, publié en décembre 2008. Il est essentiel que le respect de la dignité de chacun soit mentionné dans le texte fondamental, eu égard à l’extrême violence du contexte économique et social, ou aux évolutions en matière de bioéthique, qui peuvent la menacer. Il nous apparaît important d’aboutir à un consensus sur ce sujet. La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission. Ces amendements en discussion commune ont des contenus et une portée juridique différents, mais ils visent tous à consacrer dans notre loi fondamentale le principe de dignité humaine, qui n’est, pour l’heure, pas inscrit dans notre constitution. Pourtant, dès 1994, le Conseil constitutionnel a déduit du préambule de la Constitution de 1946 que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. » Le Conseil constitutionnel a considéré que la primauté de la personne humaine, le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, l’inviolabilité, l’intégrité et l’absence de caractère patrimonial du corps humain ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine étaient protégés par les lois de bioéthique et que ces principes tendaient à assurer le respect du principe de la dignité de la personne humaine.
Il est vrai que le comité Veil avait, malgré tout, préconisé son inscription à l’article 1erde la Constitution, mais il le faisait avec une extrême prudence, puisqu’il retenait une certaine acception de ce principe, tout en soulignant les questions que poserait une telle consécration. En effet, selon le comité, cette dernière ne manquerait pas de soulever la question de « l’ambivalence même de la notion », qui « recouvre et dissimule des options philosophiques et idéologiques divergentes ».
De l’aveu même du comité Veil, il n’y a pas d’acception suffisamment claire et homogène de cette notion, ni dans sa définition ni dans sa portée. J’en veux d’ailleurs pour preuve que ces amendements concordants proviennent de bancs différents, voire éloignés.
Opposés, même ! Cela nous laisse penser que tous les bancs n’ont pas la même définition de cette notion. C’est pourquoi la commission a jugé préférable de repousser ces amendements, sans nier leur intérêt. En l’absence d’une interprétation plus homogène de la notion, mieux vaut ne pas donner une suite favorable à ces propositions. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement. Je suis du même avis que M. le rapporteur général. Certes, on peut s’interroger sur l’inscription dans la Constitution du principe de dignité de la personne humaine. Il me semble qu’il aurait sa place dans le texte constitutionnel : il ne déparerait pas les grands principes comme la liberté ou les droits essentiels mentionnés dans la Constitution. Si j’émets un avis défavorable, c’est pour les raisons évoquées par M. le rapporteur général.
Notre bloc de constitutionnalité est composé du texte de la Constitution, y compris de son préambule – qui renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au préambule de la Constitution de 1946 et à la Charte de l’environnement de 2004 –, ainsi que des principes à valeur constitutionnelle – employons ce terme pour désigner des principes aux appellations diverses –, qui sont reconnus par le Conseil constitutionnel et sur lesquels il s’appuie pour effectuer son contrôle de constitutionnalité. Parmi ces principes figure – Richard Ferrand l’a rappelé –, la « sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation », dont le Conseil constitutionnel rappelle de manière constante – j’ai sous les yeux une décision qui remonte à moins d’un an – qu’il a valeur constitutionnelle. La dignité de la personne humaine figure donc déjà dans notre bloc de constitutionnalité. C’est la raison pour laquelle il ne me paraît pas absolument nécessaire de l’ajouter au texte.
La parole est à M. Philippe Vigier. Comme le disait précédemment Mme la ministre, le Conseil constitutionnel a reconnu ce principe dans une décision de 1994. Cela étant, monsieur Ferrand, je voudrais vous dire que, malgré vos tentatives, vous ne m’avez pas convaincu. Permettez-moi de rappeler que, dans son célèbre arrêt « Commune de Morsang-sur-Orge » de 1995, le Conseil d’État a affirmé que, « par son objet même », la pratique du lancer de nain « porte atteinte à la dignité de la personne humaine ». Cette décision, citée dans les travaux du comité Veil, que j’ai relus, est l’un des éléments sur lesquels s’est fondé le groupe de travail pour conclure à la nécessité de consacrer constitutionnellement « l’égale dignité de chacun ». Le Conseil constitutionnel, vous le savez, a veillé au respect de la dignité de la personne humaine dès 1994. Je ne comprends paspourquoi, eu égard à cette reconnaissance, vous refusez d’inscrire ce principe dans la Constitution, afin de lui offrir une base juridique plus solide. L’arrêt du Conseil d’État précité devrait nous inciter à le faire. La parole est à Mme Marine Le Pen. Nous finissons par nous demander à quoi nous servons si, plutôt que d’intégrer ces principes dans la Constitution, nous nous en remettons au Conseil constitutionnel, lequel, je le rappelle, n’est pas le législateur – même si, de temps en temps, il souhaiterait prendre notre place. Nous sommes le législateur. Si nous ne sommes pas capables de définir précisément les contours de ce concept, auquel nous sommes tous attachés, il nous faut nous demander, une fois de plus, à quoi nous servons. Dans mon amendement, je ne réclamais qu’une chose, l’inscription dans la Constitution de deux articles du code civil, appliqués depuis vingt-quatre ans – qui ont donc donné lieu à une jurisprudence. L’impossibilité qu’on nous oppose à cette demande constitue, en soi, un sujet de fond. La parole est à M. Michel Castellani. Nous avons écouté attentivement les explications de Mme la garde des sceaux et de M. le rapporteur, qui ne nous ont toutefois pas convaincus. Nous voyons mal en quoi le fait d’inscrire le principe de dignité de la personne dans la Constitution poserait problème. Dans le dictionnaire, la dignité de la personne humaine désigne le « principe selon lequel une personne ne doit jamais être traitée comme un objet ou comme un moyen, mais comme une entité intrinsèque. » Pour nous, cette définition complète la définition du citoyen, telle qu’elle figure dans la loi. La France est un des seuls grands pays démocratiques à ne pas intégrer le concept de la dignité de la personne, en tant que tel, dans sa Constitution. Nous peinons à en comprendre la raison. La parole est à Mme Clémentine Autain. Je voulais faire remarquer que la proposition de Mme Le Pen a pour objet de garantir le « respect de la dignité de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Je pense que cette formulation n’est pas totalement anodine. Malheureusement, la majorité a refusé d’intégrer notre amendement qui visait à consacrer, dans le droit constitutionnel, le droit à l’avortement. Dans la rédaction de l’amendement de Mme Le Pen, il y a sans doute un biais… C’est dans le code civil ! Certes, mais, en l’occurrence, il s’agit de constitutionnaliser un principe, madame Le Pen. Il y a des formulations dans le code civil et d’autres qu’on veut ériger au rang de principes constitutionnels. Il aurait été correct, juste et efficace de consacrer dans la Constitution le droit à l’avortement. La question de la dignité est une chose, mais la reconnaître dès le commencement de la vie d’un être humain en est une autre, qui me paraît assez sournoise de votre part ou, au contraire, particulièrement claire quant aux intentions de votre famille politique. Vous êtes aveuglée par votre idéologie ! La parole est à M. Sébastien Jumel. En premier lieu, si le fait que, d’un côté ou de l’autre de l’hémicycle, nous ayons un point de vue différent sur un principe fondamental devait justifier son effacement de la Constitution, nous aurions du souci à nous faire quant à la durée de vie de tels principes ! Ce n’est donc pas un argument recevable. Très juste ! En second lieu, si, comme vous l’avancez, le concept est flou, expliquez-moi pourquoi le Conseil constitutionnel l’a érigé en principe à valeur constitutionnelle. Il l’a, au contraire, jugé suffisamment clair pour être opposable. La ministre s’est d’ailleurs opposée mollement à ces amendements – ce dont je la remercie –, et les deux arguments qui ont été développés confirment que nous gagnerions à inscrire ce principe dans la Constitution. La rédaction que nous proposons, du côté gauche de l’hémicycle, à savoir une simple référence au principe de la dignité humaine, trouverait parfaitement sa place dans notre loi fondamentale et donnerait de la force à un projet constitutionnel dont le président de Rugy disait lui-même qu’il manquait d’ambition, puisqu’il n’était pas de nature à justifier un référendum. (Sourires.) La parole est à M. le rapporteur général. Je demande une suspension de séance, monsieur le président. C’est plutôt bon signe ! La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures quarante.) La séance est reprise.
La parole est à M. le rapporteur général.
J’ai souhaité cette suspension de la séance pour examiner, avec Mme la ministre, comment prendre en considération les différentes propositions avancées. On voit bien, à lire les exposés sommaires des amendements, que l’utilisation des mêmes mots peut recouvrir des objectifs fort différents. Il est dès lors difficile de mesurer l’effet réel qu’aurait l’inscription, sous quelque forme que ce soit, de la notion de dignité humaine dans notre constitution.
Toutefois, sensible aux arguments employés par plusieurs députés, issus de différents groupes, pour défendre cette inscription, et compte tenu de l’article 1
bis du traité de Lisbonne, qui dispose que « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine […] », nous avons jugé pertinent de continuer à travailler sur une formulation d’ici à la deuxième lecture du texte.
Si la volonté du constituant n’est pas homogène, on ne peut pas laisser penser, autour d’une formulation mal fondée ou polysémique, qu’un consensus a été trouvé. Cela reviendrait à laisser au juge le soin de trancher.
Depuis le début de ce débat, nous avons répété plusieurs fois que notre travail de constituant ne consistait pas à codifier la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce dernier, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler, a érigé en principe constitutionnel la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation, ce qui motive les appels des uns et des autres. Là encore, sur la méthode, cela nécessite que l’on trouve une formulation qui nous soit propre et qui soit clairement fondée, et que l’intention du constituant, s’il adopte cette disposition, soit clairement explicitée grâce à un débat exhaustif sur la portée des mots employés. Le faire ici et maintenant paraît sans doute un peu dangereux, les motivations n’étant pas clarifiées ni débattues.
Nous vous demandons le retrait de ces amendements, dans l’espoir de continuer à travailler pour aboutir d’ici à la deuxième lecture. Tel est en tout cas notre souhait. Si les amendements étaient maintenus, nous émettrions un avis défavorable à leur adoption.
La parole est à M. Xavier Breton. Je m’étais abstenu de prendre la parole lors du premier flot d’interventions, parce que, si nous sommes tous d’accord pour inscrire la notion de dignité dans la Constitution, afin qu’elle surplombe les textes législatifs, nous savons qu’elle doit être maniée avec précaution. Le comité Veil donnait d’ailleurs ce conseil.
J’entends l’engagement du rapporteur général de travailler sur le sujet. Dans les amendements, il y a deux formulations différentes : l’une indique que la République « reconnaît » la dignité et l’autre, proposée par notre collègue Acquaviva, affirme que la République « respecte » la dignité de chacun. J’ai bien entendu, monsieur le rapporteur général, que vous avez utilisé le mot « respecter » et non « reconnaître ». C’est important, car avec le verbe « reconnaître », on a l’impression que la dignité est seconde et dépend de la reconnaissance de nos institutions, alors qu’elle est intrinsèque à la personne humaine. Un adage dit que « L’homme est plus vieux que l’État », et nous devons, modestement, nous fixer l’objectif de respecter cette dignité et refuser de nous placer en surplomb d’elle.
Le choix des mots est important, la notion de dignité, même si elle est l’un des cinq principes à valeur constitutionnelle, occupant sûrement une place à part, héritée de sa dimension symbolique. En attendant les débats au Sénat et le retour du texte dans notre assemblée, il me semble que les termes « respecter la dignité » correspondraient mieux à l’esprit que nous voulons donner à cette notion.
La parole est à M. Sébastien Jumel. Je suis un peu dupe des arguments avancés. Je prends acte de l’engagement pris devant nous par M. le rapporteur général de travailler sur le sujet dans le cadre de la navette parlementaire, afin que satisfaction nous soit donnée en deuxième lecture. Toutefois, j’espère qu’il ne s’agit pas d’une façon d’exclure a priori tout amendement émanant de l’opposition. Je vous assure que non, cher collègue ! Il faudra s’en souvenir lors de la deuxième lecture du texte, d’autant que la terminologie et la définition que nous avons retenues sont issues des textes fondamentaux que j’ai cités tout à l’heure.
Enfin, l’argument selon lequel il convient de retirer un amendement au sujet duquel les interprétations divergent aurait dû vous inspirer hier, monsieur le rapporteur général, lorsque nous avons débattu des heures durant au sujet de la décentralisation et de la diversité des territoires. Nos collègues corses – avec tout le respect que je leur dois – avançaient une interprétation dotée d’une légitimité propre, et d’autres préféraient des définitions distinctes de la diversité des territoires.
Rien de tout cela ne vous a empêché de faire adopter les amendements identiques nos 2165 et 2170, dans le flou artistique le plus complet et en dépit des dangers qu’ils portent en eux. Par conséquent, considérer que l’existence d’exposés sommaires – dont vous savez qu’ils n’ont pas de valeur juridique – différents interdit d’adopter un amendement n’est pas un argument recevable.
Ils ont une valeur d’interprétation ! Tout cela me semble un peu dilatoire. Je maintiens l’amendement no 2229, que nous pourrions d’ailleurs adopter, quitte à l’enrichir et le modifier en deuxième lecture. Adopter un amendement et le travailler ensuite, cela se fait aussi. Au demeurant, nous enverrions ainsi un signal selon lequel, pour la première fois depuis l’ouverture des débats, une proposition de l’opposition est prise en compte. Et sur la suppression du mot « race » de la Constitution ? Vous avez retenu l’amendement de M. Lagarde et non le nôtre ! La parole est à Mme Cécile Untermaier. Je remercie les auteurs des amendements, grâce auquel nous débattons d’un sujet essentiel. Je remercie également Mme la ministre, M. le rapporteur général ainsi que Mme et M. les rapporteurs de s’engager dans la voie de la réflexion sur ce sujet. Vous démontrez ainsi, madame la ministre, madame et messieurs les rapporteurs, que vous êtes ouverts à nos observations en vue d’aboutir à un consensus.
Les membres du groupe Nouvelle Gauche soutiendront les amendements identiques nos 553, 1567 et 2229 visant à insérer dans l’article 1er de la Constitution la phrase : « Elle reconnaît l’égale dignité de chacun ». Certes, du point de vue sémantique, on peut débattre du choix entre « respecter » et « reconnaître ».
Pour ma part, je propose – car l’Assemblée nationale a vocation à légiférer – que nous votions ces deux amendements, en laissant à la sagacité des sénateurs, avec l’aide du Gouvernement et de nos rapporteurs, le soin de le modifier en conséquence, sur le fondement d’une étude d’impact plus élaborée que celle dont nous disposons aujourd’hui.
Démarche très juste ! La parole est à M. Philippe Vigier. En l’espèce, il ne s’agit pas de bavardage. Vous rappeliez tout à l’heure, madame la ministre, que le préambule de la Constitution n’a pas vocation à aborder tous les sujets. C’est exact.
En présentant tout à l’heure l’amendement no 1567, j’ai fait allusion aux travaux de la commission Simone Veil, à laquelle avait été confiée la mission de réfléchir aux moyens d’insérer la notion de dignité humaine dans le préambule de la Constitution, en vue de tirer les conséquences de l’arrêt du Conseil d’État
Commune de Morsang-sur-Orge . Et je rappelle que dès 1994, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur le principe dignité humaine.
Certes, l’exposé sommaire d’un amendement peut comporter des éléments d’interprétation. Cela étant, vous m’accorderez, monsieur le rapporteur général, que ceux de la plupart des amendements dont nous débattons ici sont, à quelques mots près, quasiment identiques. Ils ne prêtent pas, me semble-t-il, à des interprétations susceptibles de poser problème.
C’est clair ! Il est un peu dommage de ne pas se prononcer dès aujourd’hui. S’il est parfois une bonne chose, ainsi que l’a dit notre collègue Cécile Untermaier, de laisser la main au Sénat, nous devons jouer pleinement notre rôle. Nos institutions comptent deux assemblées. Chacune a le devoir d’avancer sur les sujets qui lui sont soumis.
Cependant, j’accepte de retirer l’amendement no 1567 à condition que vous preniez l’engagement, monsieur le rapporteur général, de travailler avec nous à une rédaction sur laquelle nous nous retrouvions. Ainsi, si le Sénat adopte une rédaction distincte, nous parviendrons ici – où de grandes convergences se sont manifestées, notamment avec notre collègue Jumel – à en élaborer une.
Le sujet est suffisamment important – au même titre que celui de la présence des mots « race » et « sexe » dans la Constitution, au sujet duquel notre collègue Lagarde s’est exprimé hier – pour que nous parvenions à nous accorder le plus largement possible sur la question de la dignité humaine, qui n’est pas une petite question et mérite à mes yeux d’être insérée dans le préambule de la Constitution, comme l’avait si bien imaginé Simone Veil. Avec un tel engagement, je suis prêt à faire en sorte que nous travaillions ensemble en vue d’aboutir à une nouvelle mouture de l’amendement.
(L’amendement no 1567 est retiré.) La parole est à Mme Marine Le Pen. Je maintiens notre amendement, tout en espérant que chacun pourra travailler sur ce sujet.
Monsieur Vigier, vous évoquez l’égale dignité de chacun, à laquelle on ne peut que souscrire, mais vous ne dites pas un mot de l’inviolabilité du corps humain, qui est un vrai sujet, ni sur le refus de la commercialisation du corps humain, sujet majeur sur lequel – contrairement à ce que vous avez affirmé, monsieur le rapporteur général – les États généraux de la bioéthique ont abouti à une position absolument commune. Quels que soient les interlocuteurs et les intervenants, tous sont d’accord. Dès lors, il faut faire de cette position notre loi supérieure, donc l’intégrer dans la Constitution.
Par ailleurs, je réponds à notre collègue Autain que les mots « dès le commencement de sa vie » figuraient à l’article 1er de la loi Veil, lequel a été abrogé puis repris à l’article L. 2211-1 du code de la santé publique, qui fait lui-même partie du livre II, relatif à l’interruption volontaire de grossesse. Vous m’avez donc intenté un faux procès, madame Autain.
Bravo ! La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva.
Pour notre part, nous insistons sur la notion de respect de la dignité de chacun. Cette formulation nous semble être la plus consensuelle et la plus claire. La dignité humaine existe ; on doit et on peut la qualifier.
Cela étant, nous prenons la balle au bond à l’issue de la suspension de séance, qui a permis de formuler la volonté d’engager une coconstruction et d’aboutir à une rédaction permettant de réunir un véritable consensus. Compte tenu de l’importance du sujet et du principe considéré, nous retirons notre amendement, en espérant, comme notre collègue Philippe Vigier, qu’une véritable coconstruction démontrera sans faillir le caractère noble du travail constituant.
(Les amendements nos 553 et 1255 sont retirés.) La parole est à M. Manuel Valls. J’aurais voté l’amendement de Philippe Vigier, mais la proposition avancée par M. le rapporteur général permettra, je l’espère, de parvenir à la meilleure solution, la plus solide juridiquement. Si j’interviens ici, c’est parce que j’ai vécu très directement une partie des débats – tous les arguments avancés ne font pas référence aux faits – tenus en 2013 et en 2014 au sujet des propos et des spectacles de M. Dieudonné M’bala M’bala. Tout à fait ! Au début de l’année 2014, après qu’un arrêt du tribunal administratif de Nantes a été cassé par le Conseil d’État le jour même, sur la base de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge , la situation demeurait fragile – et elle le demeurera si la notion de dignité humaine n’est pas constitutionnalisée.
J’invite donc moi aussi M. le rapporteur général – dont je ne doute pas de la bonne volonté – ainsi que le Gouvernement à travailler sur ce sujet, ici et au Sénat, afin de consolider juridiquement l’idée de dignité humaine et de lui donner la base la plus solide possible, ce qui permettra de mettre un terme à tout ce qui met en cause la dignité humaine de quelque façon que ce soit – dans des spectacles, des propos, des salles ou sur internet.
(Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et sur quelques bancs du groupe REM.) Cela n’a rien à voir !
(L’amendement no 1141 n’est pas adopté.)
(Les amendements identiques nos 554 et 1568 ne sont pas adoptés.)
(L’amendement no 2229 n’est pas adopté.) La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement no 453. Il vise à compléter l’article 1er de la Constitution par un alinéa ainsi rédigé : « La République française, fidèle à ses valeurs humanistes, assure et garantit le respect du principe d’indisponibilité du corps humain ». Nous poursuivons le débat sur la notion de dignité humaine, mais de façon plus précise.
En matière de bioéthique, notre droit repose sur deux grands principes, bien admis et partagés, fondés sur l’article 16 du code civil et confirmés avec constance par la jurisprudence : la dignité de la personne humaine et l’indisponibilité du corps humain. Le corps humain et ses dérivés ne sont pas une marchandise. Ils ne peuvent donc faire l’objet d’un contrat ou d’une convention prévoyant ou non une transaction financière. Certes, ce principe n’est pas absolu et fait l’objet d’exceptions. Toutefois, celles-ci doivent obéir à des conditions strictes de validité, réaffirmant par là même la solidité du principe.
Depuis une trentaine d’années, les progrès scientifiques dans le domaine des sciences de la vie et de la santé se sont accélérés, ce qui a suscité, au sein de nos sociétés, de nombreuses questions d’ordre éthique, lesquelles rencontrent un écho croissant au fur et à mesure de la diffusion des techniques. Par exemple, le trafic d’organes et le développement de la gestation pour autrui, la GPA, constituent des dérives inquiétantes. Aussi, afin d’éviter de fragiliser un pilier du modèle éthique français, il semble nécessaire d’inscrire clairement dans notre bloc de constitutionnalité le principe d’indisponibilité du corps humain en l’introduisant dans la Constitution française.
J’indique pour finir que nous pouvons nous appuyer sur les travaux menés par notre collègue Philippe Gosselin en 2016, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à rendre constitutionnel le principe d’indisponibilité du corps humain. Le rapport rédigé alors demeure d’actualité.
Quel est l’avis de la commission ? Pour les raisons évoquées précédemment, l’avis de la commission est défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde. Si je ne souscris pas à la rédaction de l’amendement – que la navette parlementaire permettrait d’améliorer –, je souscris à la nécessité d’élever l’indisponibilité du corps humain au rang constitutionnel. Les évolutions technologiques – et malheureusement sociologiques – de notre société nous exposent en effet à des dérives qui nous imposeront de légiférer et qui, surtout – dès lors que le Conseil constitutionnel peut être saisi dans le cadre des questions prioritaires de constitutionnalité –, devraient nous inciter à fixer une ligne, par la volonté de la représentation nationale, selon laquelle aucune parcelle, aucune portion, aucun élément d’un être humain ne peut jamais être considéré comme « marchandisable » – le mot n’est pas français mais chacun comprend ce que je veux dire –, échangeable, négociable.
Nous débattions tout à l’heure de la dignité humaine. Interdire que l’on touche à tout élément constitutif d’un être humain, à quelque stade de sa vie que ce soit, y compris avec son accord, est une façon de protéger les gens contre eux-mêmes, parfois contre leur précarité et leur misère. Cela me semble être une nécessité constitutionnelle.
J’admets que la rédaction de l’amendement est améliorable, mais il me semble nécessaire de travailler sur le sujet dans le cadre de la navette parlementaire. Objectivement, si la France émet un tel signal, compte tenu des valeurs qui la fondent, cela serait un beau message adressé au monde entier, tandis que les évolutions technologiques et sociales sont de plus en plus inquiétantes.
Très bien ! La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon. Nous soutiendrons l’amendement, même si nous aussi l’aurions peut-être écrit autrement. L’intention de notre collègue doit être reprise comme balle au bond. Que le texte soit amélioré au Sénat, voilà qui serait une bonne chose, mais le principe doit être posé, pour deux raisons.
La première, c’est que la marchandisation de tout gagne du terrain. Ce qui paraissait invraisemblable à un moment devient soudain banal à un autre, car les idées dominantes sont passées par là et ont fait leur office.
La seconde raison, c’est que nous devons prévoir une protection totale, y compris contre ceux à qui ce type de pratiques agréent. Je prends l’exemple – il y en aurait d’autres, de même nature – de la GPA : personnellement, j’y suis absolument hostile. Il ne s’agit pas de protéger les gens contre eux-mêmes, mais de proclamer que nous vivons dans une société où le corps n’est pas une marchandise, ne s’échange pas, ne se découpe pas. En revanche, le don gratuit de soi peut être fait à la science et dans certaines circonstances exceptionnelles.
Mais il faut marquer le fait que nous refusons de vivre dans une société où tout ou partie du corps pourrait faire l’objet d’une location ou d’une vente.
Dans ce domaine, on peut faire confiance à l’imagination tordue des marchands : prévenons les événements avant que l’irréparable ne se produise.
Très bien ! La parole est à M. Philippe Gosselin. J’avais déposé, il y a quelques années, une proposition de loi constitutionnelle sur ce sujet : elle visait à alerter sur les dérives actuelles. J’entends bien que la rédaction de l’amendement peut être améliorée : c’est le rôle de la navette parlementaire ; mais nous gagnerions collectivement, je crois, à fixer quelques interdits.
Il serait à mon sens paradoxal de débattre longuement, comme nous l’avons fait tout à l’heure, de la notion de bien commun sans considérer que l’homme, la femme, l’humanité ne sont pas aussi des biens communs. M. Mélenchon l’a dit : le corps humain n’est pas à vendre. Il existe aujourd’hui en ce domaine un modèle français, fondé sur l’article 16 du code civil. L’indisponibilité est une valeur très moderne, qu’il faut réaffirmer.
La parole est à M. Xavier Breton. Monsieur le rapporteur général, vous avez accompagné votre avis défavorable d’un « comme précédemment ». Est-ce à dire que vous vous engagez à travailler sur l’indisponibilité du corps humain comme vous avez promis de le faire sur le principe de dignité ? La parole est à Mme la garde des sceaux. La question de l’indisponibilité du corps humain est évidemment complexe. J’approuve une grande partie des points de vue qui viennent d’être exprimés. Toutefois, je voudrais appeler votre attention sur le fait que ce principe énonce qu’une personne ne peut disposer de son corps à sa guise ; il interdit par exemple de céder, gratuitement ou contre rémunération, son corps ou des éléments de celui-ci.
Or ce principe n’est pas absolu : il souffre certains tempéraments, expressément prévus par la loi. C’est la question du sang, des organes, des tissus, des cellules, des gamètes…
Bien sûr ! C’est la raison pour laquelle il n’est pas possible d’énoncer ce principe de façon absolue dans la Constitution. Une réflexion plus poussée me paraît donc nécessaire. C’est pourquoi j’ai émis un avis défavorable. L’engagement de réfléchir plus avant au cours de la navette parlementaire concerne-t-il aussi ce principe d’indisponibilité ? L’engagement pris par le rapporteur portait – si je puis me permettre de parler en son nom – sur la question de la dignité de la personne humaine. La parole est à M. le rapporteur général. Mme la garde des sceaux m’avait parfaitement bien compris. (Sourires.) L’engagement ne porte en effet que sur la question de la dignité.
(L’amendement no 453 n’est pas adopté.) La parole est à M. Christophe Bouillon, pour soutenir l’amendement no 1418. Dans une société où la communication et l’information tiennent une place de plus en plus importante, il convient, pour préserver la démocratie, de consacrer dans la loi fondamentale des principes dont chacun mesurera la portée : la liberté d’informer et de communiquer, le pluralisme et l’indépendance des médias, la protection des sources – l’Assemblée nationale a, à maintes reprises, évoqué cette dernière question.
Je n’ignore pas l’existence de l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ». Je n’ignore pas non plus la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, mais nous ne sommes pas à l’abri d’un revirement de cette jurisprudence.
C’est pourquoi nous proposons d’inscrire ces principes essentiels à la démocratie dans notre constitution.
La parole est à Mme Yaël Braun-Pivet, présidente et rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission. Sur la forme, l’article 1er n’a pas pour objet principal de garantir des libertés spécifiques ; il pose les principes fondateurs de la République.
Sur le fond, vous l’avez rappelé, ces libertés sont d’ores et déjà garanties par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : le Conseil considère, dans une jurisprudence tout à fait constante, qu’il existe un objectif de valeur constitutionnelle de « pluralisme des courants de pensée et d’opinion ».
Il ne nous semble donc pas utile d’inscrire ces libertés déjà protégées dans la Constitution – le rôle de celle-ci n’est pas de nous prémunir contre un éventuel revirement de jurisprudence. Avis défavorable.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Je n’ai rien à ajouter. Avis défavorable.
(L’amendement no 1418 n’est pas adopté.) La parole est à M. Christophe Bouillon, pour soutenir l’amendement no 1419. Ce n’est pas faire injure aux auteurs de notre constitution que de dire qu’ils n’ont pas intégré la question du numérique.
Le présent amendement tend à constitutionnaliser le principe de neutralité de l’internet, ainsi qu’à affirmer la responsabilité de l’État pour garantir l’accès aux réseaux numériques, la formation des citoyens à leur utilisation, le respect de la vie privée et la protection des données à caractère personnel.
Ces débats se déroulent à l’échelle européenne, comme dans notre société. Il convient, je crois, d’adapter notre constitution à la réalité numérique de notre époque.
Quel est l’avis de la commission ? Nous avons déjà longuement débattu de la charte du numérique et du principe de neutralité du net ; la commission n’a pas changé d’avis, et il ne me semble pas utile d’y revenir.
Quant à la protection des données à caractère personnel, nous vous proposerons – beaucoup plus tard – un amendement tendant à l’inscrire à l’article 34 de la Constitution.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à Mme Cécile Untermaier. Nous considérons pour notre part que nous devons, à l’article 1er, aborder la question du numérique. Une constitution du XXIe siècle ne peut pas ignorer un tel sujet, avec tous les problèmes qu’il pose, de souveraineté mais aussi de protection des données !
J’entends que vous prévoyez d’avancer sur ce sujet en modifiant l’article 34, et nous vous en remercions. Mais je me permets d’insister, et cette question vous sera sans doute posée au Sénat : il faut réfléchir à un principe qui pourrait être inscrit à l’article 1er.
La parole est à M. Claude Goasguen. Très franchement, cet amendement ne me paraît pas justifié. Tout d’abord, comme sur beaucoup de sujets, nous nous mettrions une fois de plus dans la main du Conseil constitutionnel. Certes, le Conseil est d’une infinie sagesse… Mais je voudrais rappeler que, chaque fois que nous nous mettons dans sa main, c’est un peu de notre patrimoine législatif qui s’en va. Très bien ! Ensuite, à trop vouloir coller à l’évolution technologique, nous faisons exactement le contraire de ce qu’il faudrait faire. Pardonnez-moi un plaidoyer quelque peu pro domo : faites confiance à l’imagination juridique ! Elle dépasse très largement la technologie. La force du droit, c’est d’ailleurs de s’adapter aux évolutions technologiques sans s’en remettre systématiquement au Conseil constitutionnel pour donner un avis qui, finalement, nous gêne.
Faites confiance au vieux juriste que je suis : l’imagination juridique prendra rapidement le pas sur l’idée que nous nous faisons aujourd’hui du numérique ; pour trouver des solutions, nous n’avons pas besoin d’appeler au secours les juristes approximatifs du Conseil constitutionnel.
Un peu de jalousie, peut-être ? (Sourires.) Gardons le pouvoir et essayons de réfléchir ensemble aux évolutions, sans pour autant transgresser nos règles de droit – qui sont, je crois, très solides en ce domaine, et facilement transposables. (M. Jean-Christophe Lagarde applaudit.) La parole est à M. Bastien Lachaud. Non, monsieur Goasguen, je ne crois pas que nos droits numériques soient aujourd’hui très solides. Pensons au scandale de Cambridge Analytica, aux fuites de données, à l’espionnage numérique auquel se livrent des puissances alliées – quoique pas forcément amies… Or nous n’avançons pas ; en ce domaine, il n’y a pas de droits reconnus aux citoyens, aux entreprises, aux administrations. Il y a un vrai problème.
Si nous ne nous saisissons pas de cette réforme constitutionnelle, nous raterons l’occasion de préserver, grâce à la Constitution même, la neutralité du net et l’accès libre aux réseaux numériques, comme la protection des données personnelles.
Madame la rapporteure, vous souhaitez amender l’article 34 de la Constitution et écrire que la loi est compétente en matière de protection des données personnelles. Mais la loi peut déjà intervenir : rappelons-nous, en 1978, la loi Informatique et liberté, qui a créé la CNIL ! Ce que vous faites ne changera rien. En revanche, garantir de nouveaux droits à l’article 1erserait une avancée. Nous garantirions ainsi notre souveraineté, tant sur la question des données que sur celle des réseaux.
Nous risquons de manquer un rendez-vous historique.
(L’amendement no 1419 n’est pas adopté.) Sur l’amendement suivant, no 2231, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Sébastien Jumel, pour le soutenir.
Madame la garde des sceaux, en commission des lois, vous avez affirmé que cette réforme visait à « reconnaître […] que la participation citoyenne et le rôle de la société civile sont la condition même du bon fonctionnement démocratique de notre pays ». Je partage entièrement cette conviction.
Notre amendement s’inscrit dans cette démarche, puisqu’il tend à inscrire dans la Constitution la démocratie participative. Élever celle-ci au rang de valeur constitutionnelle serait de nature à renforcer le lien, qui se distend chaque jour un peu plus, entre nos concitoyens et leurs institutions.
Comme maire, j’ai pu le mesurer : en prenant le soin d’associer les habitants aux décisions qui les concernent, en leur permettant de co-élaborer les rénovations urbaines, les aménagements urbains, et plus largement les politiques publiques, on apporte des réponses plus efficaces, plus concrètes. On crée aussi les conditions d’une meilleure appropriation des objectifs par les habitants eux-mêmes.
Par ailleurs, à l’heure où nous parlons, aucun amendement de l’opposition n’a été adopté.
(Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) S’agissant de la suppression du mot « race », par exemple, c’est la version de la commission qui a été adoptée.
Il faut créer les conditions d’une appropriation des enjeux constitutionnels par l’Assemblée. Cet amendement en donne l’occasion.
Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ? La commission a bien conscience que les citoyens doivent être de plus en plus associés à la vie publique et à l’élaboration de certaines politiques. Les nombreuses consultations menées par le Gouvernement, par les autorités locales ainsi que par les organes consultatifs existants, notamment la Commission nationale du débat public, que nous avons auditionnée, montrent à quel point la participation des citoyens, en particulier en amont de la décision, permet d’améliorer l’action des pouvoirs publics.
Comme vous, monsieur Jumel, nous estimons que ces consultations sont fondamentales et qu’il importe d’associer les citoyens aux décisions politiques – c’est d’ailleurs, dans certains cas, une des conditions pour qu’ils les acceptent. Mais nous ne pensons pas pour autant qu’il faille en constitutionnaliser le principe, encore moins à l’article 1erde notre constitution. C’est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable également, pour quatre raisons. Premièrement, notre démocratie se fonde sur le principe représentatif : l’article 3 de notre constitution dispose en effet que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
Toutefois, et c’est la deuxième raison, la démocratie représentative n’exclut pas l’intervention directe du peuple, soit par voie référendaire nationale, soit au niveau local, ce que certaines dispositions permettent.
Troisièmement, l’expression « démocratie participative » à laquelle vous avez recours dans l’amendement n’est pas définie très précisément. Certes, je l’emploie également, mais nous voyons fleurir ici ou là d’autres terminologies, telle « démocratie continue » ou « démocratie continuée ». Je craindrais de faire entrer dans la Constitution un concept qui n’est pas entièrement stabilisé.
Enfin, monsieur Jumel, j’espère que les dispositions concernant le Conseil économique, social et environnemental – CESE –, que nous aurons l’occasion de vous proposer, répondront à votre demande.
Je mets aux voix l’amendement no 2231.
(Il est procédé au scrutin.)
(L’amendement no 2231 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 1420. Cet amendement aborde un sujet similaire au précédent. Je conviens d’emblée que son positionnement à l’article 1ern’est pas le bon. Je le défendrai tout de même, cependant, dans la perspective d’en discuter à nouveau par la suite.
Comme la majorité l’a elle-même reconnu en adoptant, dès le début de la législature, une loi sur le sujet, les députés, en tant qu’élus du peuple, ont besoin d’établir une relation de confiance avec les citoyens et de favoriser la participation de ces derniers. Nous devons, tout au long du mandat qui nous a été confié, garder le contact avec nos électeurs.
Nous proposons donc d’inscrire dans la Constitution que la loi « favorise la participation des citoyens à l’édiction des normes publiques et à l’élaboration de politiques publiques » – car c’est bien aux citoyens que s’appliquent ces normes et s’adressent ces politiques. Vous apprécierez au passage, madame la rapporteure, le choix du verbe « favoriser » plutôt que « garantir ». Nous comptons ouvrir ainsi un canal de dialogue entre les citoyens et le Gouvernement et le Parlement. Il est en effet de notre responsabilité d’élus d’être à l’écoute des citoyens et de travailler dans la proximité avec eux et l’impartialité.
La démocratie représentative, je le précise, n’exclut pas un travail avec les citoyens. Il n’y a que Benjamin Constant pour la croire exclusive de leur participation.
Il ne dit pas tout à fait ça ! Au contraire, elle grandit et gagne en confiance dès lors qu’elle sait se tourner continûment vers les citoyens. Tel est l’objet du dispositif présenté, que nous vous reproposerons dans une autre partie du texte, l’article 1er étant consacré aux grandes priorités de l’État.
En conséquence, je retire mon amendement.
(L’amendement no 1420 est retiré.) La parole est à M. Jean-Félix Acquaviva, pour soutenir l’amendement no 1034. Le principe d’égalité devant la loi ne devrait pas faire obstacle à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes. Par ailleurs, il devrait être possible d’y déroger pour des raisons d’intérêt général. Or dans de nombreuses discussions entre l’État et les collectivités, c’est plutôt une forme d’égalitarisme qui est mise en avant.
Sur la question foncière, par exemple, des discussions ont eu lieu entre la collectivité de Corse et l’administration sur les moyens d’organiser,
via la fiscalité du patrimoine, la sortie de l’indivision. Celle-ci est en effet beaucoup plus fréquente dans l’île que dans les régions continentales, ce qui crée une rupture dans l’égalité d’accès au titre de propriété. Dans un tel contexte, une vision égalitariste de la fiscalité du patrimoine ne peut qu’aboutir à un système de dépossession foncière.
L’enjeu d’un tel amendement est de garantir que le principe d’égalité ne soit pas appliqué comme un couperet destiné à mettre fin à toute forme de dialogue.
Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable, vous n’en serez pas surpris, monsieur Acquaviva. Nous ne souhaitons pas constitutionnaliser toute la jurisprudence du Conseil constitutionnel ; or le principe que vous souhaitez voir inscrit se retrouve dans toutes les décisions du Conseil relatives au principe d’égalité.
(L’amendement no 1034, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Xavier Breton, pour soutenir l’amendement no 2364. Cet amendement vise à insérer dans l’article 1erde la Constitution l’alinéa suivant : « La loi protège la famille comme élément naturel et fondamental de la société. Les parents ont, par priorité, le droit de choisir l’éducation de leur enfant ». Cette disposition fait écho à l’alinéa 3 de l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée en 1946 par l’Organisation des Nations unies, et qui a déjà été intégrée dans plusieurs constitutions nationales.
Lundi dernier, le Président de la République a fait référence devant le Congrès à la réforme rendant l’école maternelle obligatoire dès trois ans. Or c’est l’instruction qui sera rendue obligatoire, non l’école elle-même. Le choix reviendra ensuite aux parents d’y inscrire ou non leur enfant.
On le voit, une confusion peut régner sur l’identité du premier éducateur des enfants. Nous pensons qu’il s’agit des parents, et qu’il faut interpréter le mot « premier » comme synonyme de « primordial », quand un ancien ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, l’entendait au sens chronologique.
C’est pourquoi nous proposons de placer la famille au cœur même de notre constitution.
Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. La rédaction du préambule de la Constitution de 1946 semble préférable car elle est moins susceptible d’être interprétée différemment sur tous les bancs de cet hémicycle. C’est poliment dit ! Vos propos, peu limpides, témoignent d’un certain embarras ! Ils ne sont que trop limpides ! Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable, d’autant que l’article 371-1 du code civil, au-delà des dispositions constitutionnelles, donne toutes les possibilités pour atteindre l’objectif visé.
(L’amendement no 2364 n’est pas adopté.) La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir l’amendement no 1277. Cet amendement vise à garantir le respect de la souveraineté du peuple, laquelle ne doit pas être prise en défaut par l’adoption d’un texte placé théoriquement à un rang supérieur dans la hiérarchie des normes.
Puisque la source de la souveraineté réside dans le peuple, il est évidemment impératif que sa volonté prime sur toute autre. Par conséquent, il est inacceptable que la signature d’un traité sur lequel il n’a pas été directement consulté puisse remettre en cause les droits que le peuple s’était reconnus dans la loi.
Nous voulons donc inscrire dans la Constitution une forme particulière de principe de faveur : dans le domaine social et environnemental, les dispositions d’un traité ne doivent pas pouvoir s’appliquer si elles sont moins protectrices des personnes que ne le serait la législation nationale.
La Constitution doit empêcher les stratégies de contournement de la souveraineté populaire. Il est inconcevable qu’un traité soit l’occasion de forcer la volonté populaire, comme cela a été le cas lors de la ratification du traité de Lisbonne, qui écrasait le résultat du référendum de 2005.
Depuis trop d’années, les traités européens, mais aussi les traités de libre-échange servent d’alibis à ceux qui détruisent la protection sociale, le droit du travail, les services publics ou l’environnement. Le projet de loi constitutionnelle dont nous discutons doit nous conduire à une démocratie plus responsable.
Cet amendement permettra à chacun d’assumer désormais ses vraies responsabilités. Le peuple verra sa voix respectée, et ceux qui sont prêts à bafouer ses droits ne pourront plus le faire en se dissimulant derrière un texte venu d’ailleurs.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable, également. Par cet amendement, monsieur Lachaud, vous proposez une inversion de la hiérarchie des normes, conduisant à écarter, par exemple, des conventions de l’Organisation internationale du travail ou de l’ONU. C’est un choix, qui n’est pas le mien. C’est la lutte finale contre l’État de droit ! La parole est à M. Éric Coquerel. Nous ne nions ces traités qu’à partir du moment où ils entraînent une régression sociale et écologique. Nous revenons là à notre discussion sur le principe de non-régression s’agissant des lois environnementales, dont j’ai défendu hier l’idée qu’il devrait être étendu au champ social. Nous devons garantir qu’en aucun cas une norme juridique internationale – un traité ou toute autre norme – n’ait pour effet de pénaliser les citoyens français en entraînant une régression par rapport à ce que prévoit sa constitution.
Il ne s’agit donc pas de refuser de reconnaître les conventions internationales, mais de nous protéger contre les régressions qu’elles peuvent induire, notamment en matière sociale ou écologique.
(L’amendement no 1277 n’est pas adopté.) La parole est à M. Gabriel Serville, pour soutenir l’amendement no 2371. La loi 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer dispose dans le premier alinéa de son article 1er : « La République reconnaît aux populations des outre-mer le droit à l’égalité réelle au sein du peuple français. » L’alinéa 3 ajoute que « cet objectif d’égalité réelle constitue une priorité de la Nation. »
Cette loi a franchi le filtre du Conseil constitutionnel et a fait l’objet d’un décret d’application avant d’être jetée aux oubliettes.
Toutefois, les débats que nous avons tenus hier dans cet hémicycle ont montré à quel point la question de l’égalité réelle préoccupe tous nos bancs ainsi que toutes les régions et collectivités de France. C’est pourquoi le groupe GDR propose de constitutionnaliser l’objectif de l’égalité réelle – j’insiste sur cet adjectif – pour les territoires et tous les citoyens.
Cet amendement vise donc à compléter le premier alinéa de l’article 1erpar la phrase : « Elle promeut l’égalité réelle des citoyens et des territoires ».
(L’amendement no 2371, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à M. Sébastien Jumel, pour soutenir l’amendement no 2225. Si le Conseil national de la Résistance a voulu faire faire du service public l’un des pivots de l’organisation de l’État et de notre République, celui-ci n’a jamais reçu de consécration constitutionnelle, faute de quoi, au fur et à mesure de la mise en œuvre des politiques libérales – et de manière accélérée depuis que vous êtes aux responsabilités –, le service public s’est trouvé démantelé, égratigné, abîmé.
Nous proposons donc une rédaction qui redonne du sens, du souffle, et du contenu à la notion de service public. Celle-ci prévoit notamment de conférer une valeur constitutionnelle au statut de la fonction publique, afin de garantir la mise en œuvre des missions d’intérêt général.
Tel est le sens de cet amendement qui n’a pas seulement une vocation d’affichage mais qui traduit notre vigilance.
Quel est l’avis de la commission sur l’appropriation collective des moyens de production ? (Sourires.) Défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Monsieur Jumel, vous avez reproduit presque mot pour mot l’article 9 du préambule de la Constitution de 1946. Je n’en vois pas l’intérêt.
En outre, le quatrième alinéa de l’amendement tend à imposer au législateur des contraintes très précises relatives au statut public des services publics, à leur gestion démocratique, leur régime juridique et au statut général des fonctionnaires.
Pour cette double raison, j’émets un avis défavorable.
La parole est à M. Sébastien Jumel. Je vois que la garde des sceaux est très vigilante. De même, les garanties que nous souhaitons inscrire dans la Constitution reflètent les points sur lesquels le discours du Président de la République appelle notre vigilance. Lors du congrès de la Mutualité française, il a déclaré vouloir mettre fin à une « société de statuts ». Il annonce ainsi clairement sa volonté de remettre en cause, en particulier, le statut de la fonction publique.
S’agissant de la gestion démocratique des services publics, elle est un gage de leur bonne appropriation par nos concitoyens. Il nous semble donc légitime d’inscrire ce principe au rang constitutionnel.
Je vous le confirme, nous entendons protéger la République contre vous-même.
Merci, monsieur Jumel, pour cette délicate attention.
(L’amendement no 2225 n’est pas adopté.) La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l’amendement no 573. Nous revenons sur le thème des langues régionales qui a déjà donné lieu à des débats assez longs et animés. Nous proposons de compléter le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution par les mots : « dans le respect des langues régionales de la France », et déplacer ainsi de l’article 75-1 vers l’article 2 la mention des langues régionales. La parole est à M. Marc Fesneau, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission. Ma réponse vaudra pour l’ensemble des amendements qui visent à inscrire les langues régionales dans l’article 2. L’ajout de la référence au français comme langue de la République en 1992 ne nous semble pas avoir constitué une arme contre les langues régionales, à moins de considérer que les langues locales étaient répandues dans la France des années soixante ou soixante-dix.
Quant à la décision du Conseil constitutionnel sur la charte européenne des langues régionales ou minoritaires qui est citée par un amendement, n’oubliez qu’elle s’appuie sur les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français, de sorte que les motifs ne manquaient pas pour prendre une telle décision.
En outre, le constituant a déjà rééquilibré les choses en 2008 en mentionnant les langues régionales dans la Constitution – il s’agit de l’article 75-1 dont nous avons parlé hier soir. Il n’y a pas lieu de revenir sur cet équilibre. Ce n’est en aucune façon manquer de respect à leurs locuteurs puisque ces langues font l’objet de promotion sur fonds publics et, en Corse, sont même enseignées à l’école publique dans le temps scolaire.
S’il est fait obligation aux fonctionnaires de s’exprimer et de rédiger leurs actes en français – c’est bien le minimum pour que chacun puisse les comprendre –, dans toutes les autres situations de la vie courante, celles qui n’engagent pas la représentation de l’État, les langues régionales peuvent librement s’exprimer – chacun a pu le constater dans des commerces, des stades ou des manifestations – sans qu’elles subissent la moindre démonstration d’irrespect ou de commisération.
Dans un rapport remis au Gouvernement en avril 1999, le linguiste Bernard Cerquiglini recensait soixante-quinze langues régionales en France. La France compterait donc, en vertu de ces amendements, soixante-seize langues co-officielles. Je rappelle, à toutes fins utiles, que ce serait trois fois plus que l’Union européenne – à laquelle nous demanderions sans doute dans la foulée de prendre en compte ces langues dans ses propres institutions.
Enfin, chacun comprend que ce serait la meilleure façon de défaire la nation. C’est la raison pour laquelle nous y sommes opposés. Si les juges et les fonctionnaires doivent obligatoirement pratiquer la langue du territoire dans lequel ils travaillent, c’en est fini de la mobilité géographique. Nous trouverons bien peu de préfets d’origine corse qui parlent couramment le breton, le flamand pour leur deuxième poste et le basque pour le troisième.
La commission émet donc un avis défavorable sur l’ensemble des amendements visant à inscrire le statut des langues régionales à l’article 2 de la Constitution.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Je procéderai de la même manière que le rapporteur. Je réaffirme avec force ce que j’ai déjà dit hier : la langue de la République est le français et le Gouvernement n’entend pas réformer le statut de cette langue que tous les citoyens ont en partage, et qui constitue un gage d’universalité important. Ce serait contraire à notre tradition républicaine ; ce serait méconnaître le rôle que le français a joué dans la construction de la nation française ; ce serait incompatible avec le fait que la République reconnaît des droits à des individus, pas à des groupes particuliers.
Cependant, la place particulière du français dans la Constitution est allée de pair avec de très nombreuses actions de promotion et de reconnaissance de l’importance des langues régionales, dans le patrimoine de la France et dans l’histoire collective. Il n’y a pas d’incompatibilité mais au contraire une très forte compatibilité entre ces deux approches, fondées sur un principe d’équilibre. C’est la raison pour laquelle la loi constitutionnelle de 2008 est venue préciser à l’article 75-1 que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ; de très nombreuses actions de promotion des langues régionales sont d’ailleurs menées dans notre pays. J’émets donc un avis défavorable.
La parole est à M. Claude Goasguen. Je soutiens l’amendement de M. Castellani. Ce débat est extrêmement important. Je m’étonne d’ailleurs un peu de vous entendre tenir de tels propos, monsieur le rapporteur, alors que vous appartenez au parti présidé par François Bayrou, qui a toujours été, comme moi, un défenseur ardent des langues régionales.
La disposition inscrite dans la Constitution est très importante, mais elle est complètement inefficace. En réalité, toutes les conventions européennes sur les langues régionales sont désavouées aussitôt signées. Le patrimoine de la France auquel appartiennent les langues régionales est en fait un patrimoine mort – il n’a fait l’objet d’aucune initiative.
Cette situation est absolument insupportable. Dans les rangs auxquels j’appartiens – et qui, je dois le dire, ne sont pas très favorables aux langues régionales –, on m’oppose qu’un statut pour les langues régionales serait terrible, que cela porterait atteinte à l’unité de la République, qu’il faudrait alors reconnaître l’arabe... Car au fond, vous le savez bien, le blocage concernant les langues régionales provient de l’opposition à l’enseignement de la langue arabe à l’école. Je note au passage que, de fait, la langue arabe est enseignée à l’école alors que les langues régionales ne le sont pas, sauf dans quelques régions particulièrement favorisées.
Quoi qu’il en soit, employer l’expression « dans le respect des langues régionales », ce n’est pas opérer une substitution. Et la France a beau être un pays un et indivisible, il serait important de reconnaître, un jour, qu’elle compte des cultures de grande tradition et qui méritent le respect. Certes, comme beaucoup d’entre vous, je suis sceptique sur l’inscription d’une telle reconnaissance dans le préambule – d’une manière générale, je suis partisan d’une approche restrictive du préambule.
Je le répète, je suis surpris d’entendre un centriste attaquer ainsi les langues régionales. François Bayrou a dû se retourner dans sa mairie !
(Sourires.) Très bien ! La parole est à M. Michel Castellani. Même si je le ferai avec moins de talent que notre collègue Goasguen, je souhaite également défendre les langues régionales.
Madame la ministre, je ne crois qu’il faille opposer le français et les langues régionales.
Je ne les ai pas opposés, j’ai parlé de complémentarité. En toute hypothèse, il ne viendrait à l’esprit de quiconque de vouloir gommer la langue française. C’est impensable – et d’ailleurs impossible.
Ce n’est pas la langue française qui est en danger. À tout le moins, ce ne sont pas les langues régionales qui la mettront en danger, car elles sont elles-mêmes, à l’heure actuelle, très sévèrement érodées. Il sera donc très difficile de les préserver sans que, d’une manière ou d’une autre, elles soient reconnues officiellement. Voilà ce qui nous motive, et non, en aucun cas, la volonté d’attaquer le français. Nous sommes aux antipodes de cet état d’esprit ; nous essayons au contraire de promouvoir la richesse et la diversité.
La parole est à M. Serge Letchimy. Je partage le point de vue de M. Castellani et de M. Goasguen. Il existe une obsession dont la France doit absolument se débarrasser : l’obsession de la désintégration de la République… Non ! Je ne dis pas que vous l’exprimez, mais on le ressent dès que des spécificités sont mises en avant. Or parmi les spécificités, figurent bien sûr la culture et l’identité. La France s’enrichit des particularités. L’universel qui ne reconnaît pas les particularités est un universel qui ignore la dignité humaine et l’identité, laquelle fonde la culture.
Vous faites une mauvaise analyse. Il n’est pas ici question de rendre officielles les langues régionales. Si c’était le cas, la crainte d’une désintégration pourrait se justifier. Il s’agit simplement de demander la reconnaissance d’un élément du patrimoine français,…
C’est une demande de respect ! …et cet élément est vivant.
Je parle le créole. Vous avez raison, monsieur le rapporteur : des enseignements en créole sont dispensés à l’université. Il existe aussi le parler direct. Des personnes de plus en plus nombreuses dans l’hexagone parlent le créole – et c’est tant mieux !
Mais qu’est-ce que le créole ? C’est la capacité, à travers notre culture, de construire une résilience propre à nous-mêmes. Ce n’est pas injurier ni le français, ni la République une et indivisible que de se sentir bien dans sa peau en recevant une éducation en créole. Le créole enrichit le français comme le français enrichit le créole. Or c’est cet enrichissement que vous niez.
Pas du tout ! Il y a urgence. La France n’a jamais reconnu la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, jamais, parce qu’elle souffre d’une obsession. Voici une très bonne occasion d’inscrire ce thème dans la Constitution, quitte à renvoyer les détails à une loi organique.
Le sujet est récurrent depuis de très nombreuses années. À chaque fois, on s’abrite derrière les mêmes arguments et on refuse de reconnaître que la diversité enrichit la République et l’universel.
Très bien ! Nous devons tout de même à la vérité de dire que notre assemblée a voté, sous la précédente législature, une proposition de loi constitutionnelle afin de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui a ensuite été rejetée par le Sénat. Elle aurait donc pu être intégrée dans ce projet de révision constitutionnelle.
(L’amendement no 573 n’est pas adopté.) Je suis saisi de cinq amendements, nos 562, 1664, 563, 2020 et 1078, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l’amendement no 562.
L’amendement précédent n’ayant pas été adopté, celui-ci n’a vraiment aucune chance de l’être, puisqu’il prévoit la co-officialité des langues régionales. Il faut comprendre que nous avons été mandatés par les électeurs sur un programme comprenant la co-officialité de la langue corse et que nous sommes ici pour faire part de cette volonté démocratiquement exprimée.
L’obligation d’utiliser le français dans les actes de justice édictée par l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, la politique menée par l’abbé Grégoire en 1794 – je l’ai évoquée hier et je n’y reviens pas –, la prescription de l’usage exclusif du français à l’école en 1891, tout cela a eu une fonction érosive extrêmement forte, à laquelle s’est ajoutée l’action des médias. De ce fait, les langues régionales sont de plus en plus marginalisées. Notre rôle sera de prendre en compte cette réalité culturelle pour essayer de sauvegarder ce qui constitue, qu’on le veuille ou non, un patrimoine.
La parole est à M. Moetai Brotherson, pour soutenir l’amendement no 1664. Il est défendu. Je vous donne à nouveau la parole, monsieur Brotherson, pour soutenir l’amendement no 563. Il est défendu. Vous gardez la parole, monsieur Brotherson, pour soutenir l’amendement no 2020. « [La France] a ses belles langues régionales si importantes dans ce Béarn et que je veux reconnaître, et que nous reconnaîtrons. Elle a toutes ses langues qui, de la Bretagne jusqu’à la Corse, doivent pouvoir vivre dans la République. » En prononçant ces mots, le Président de la République a suscité de grands espoirs dans tous nos territoires.
Je dois vous dire, mes chers collègues, que ma langue se meurt, non pas celle de Molière et de Gauguin, mais celle de mon peuple, qui vit depuis plus de mille ans sur un océan que la plupart d’entre vous ne connaissent pas. Ce peuple semble avoir été effacé, d’un trait de plume, de la Constitution sur laquelle nous nous penchons aujourd’hui. Ce peuple est effacé de manière assez ridicule dans la présentation de l’histoire de la Polynésie sur le site même du ministère des outre-mer. Ce peuple n’a pas d’autre choix que de faire évoluer ses langues ancestrales de la même manière que les langues vivantes étrangères.
Nous voulons donc que la France et le Président de la République en fonction honorent la parole donnée. Ce qu’on dit, on le fait, c’est la première et seule promesse d’Emmanuel Macron que nous devrions tous retenir.
Nous entendons partout sur ces bancs : « Loin de nous l’idée de vouloir faire disparaître telle ou telle langue ! » Cependant, on ne peut pas créer pour certains des droits que d’autres n’auraient pas. Et les personnes qui disent cela ignorent, pour la plupart d’entre elles, que le fait de ne pouvoir maîtriser que la langue française constitue un handicap. D’une part, cela provoque du décrochage scolaire, car nous ne nous reconnaissons pas dans l’histoire de la langue française. D’autre part, cela rend l’usage des langues vernaculaires obsolète au sein des institutions.
Nous souhaitons simplement que l’usage d’une langue ne soit pas atrophié par l’usage de l’autre, car cela conduit au déni de nos histoires respectives. Je souhaite également rappeler que la consécration d’une place plus importance pour les langues dites « régionales » dans la Constitution ne pourra donner naissance à une règle inférieure dans la hiérarchie des normes que si cette règle n’est pas contraire aux autres principes de la Constitution, notamment à l’égalité des citoyens.
La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l’amendement no 1078. Il relève d’une approche un peu différente puisqu’il est rédigé ainsi : « La loi organique liste les langues régionales qui sont reconnues selon les territoires historiques et culturels de la France ainsi que les modalités de leur développement. » Les langues régionales font l’objet d’une reconnaissance plus officieuse qu’officielle, comme nous venons encore de l’entendre. Il convient donc de clarifier les choses et de donner explicitement un statut à ces langues régionales, dans une loi organique spécifique. Quel est l’avis de la commission sur ces cinq amendements en discussion commune ? J’émets un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements, dont certains montent d’un degré supplémentaire en prévoyant la reconnaissance de la co-officialité des langues régionales. L’argument que nous avons présenté tout à l’heure s’impose donc avec encore plus de force.
Néanmoins, je reconnais, comme cela a été dit sur un certain nombre de bancs, qu’il est nécessaire de préserver ce patrimoine. Et il s’agit non pas de le conserver comme un « objet mort », selon les termes employés par M. Goasguen, je crois, mais de le promouvoir.
Eh oui ! Toutefois, ce n’est pas, me semble-t-il, au moyen de la co-officialité que nous devons le faire. Chacun doit faire sa part du travail, notre assemblée par la loi et les collectivités territoriales par leurs propres actions.
Vous m’avez interpellé, monsieur Goasguen, à propos des positions de François Bayrou sur ces questions. Les centristes ont toujours dit qu’il fallait défendre les langues régionales. Au demeurant, vous avez vous-même déclaré tout à l’heure, car vous êtes intellectuellement honnête, qu’il ne vous semblait pas opportun de modifier le préambule de la Constitution ni son article 2 à cette fin. Or c’est bien ce dont il est question, d’où mon avis défavorable.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis. La parole est à M. Claude Goasguen. Ne nous y trompons pas : c’est un grand débat, plus important que vous ne l’estimez. Pour ma part, je suis favorable à la diversité ; quelquefois, elle m’est imposée, et je l’accepte. On m’enjoint d’accepter la diversité issue de l’immigration ; je souhaite que l’on contrôle l’immigration, mais j’accepte cette diversité.
Reste que je suis l’exemple même de la diversité : je suis Corse et Breton, élu de Paris.
(Sourires.) Or on ne reconnaît pas cette diversité-là, pourtant aussi honorable que l’autre. C’est tout de même extraordinaire : on reconnaît la diversité de ceux qui viennent d’ailleurs, mais pas celle de ceux de l’intérieur. Très juste ! Je ne plaisante pas : à certains moments, c’est pesant ; on nous donne des leçons. Je suis profondément attaché à la diversité française, qui fait intrinsèquement partie de notre République. Et j’en ai assez d’entendre en permanence, y compris, je tiens à le dire, dans mon propre parti politique, qu’il faut accepter la nouvelle diversité sans reconnaître l’ancienne. Cela ne veut pas dire qu’il faut reconnaître les patois, mais cela signifie que nous avons contribué très largement à cette République, en Bretagne, en Corse, en Province, en Polynésie,… Très bien ! Aux Antilles ! …oui, aux Antilles et même à Paris ! (Sourires.)
C’est un vrai et beau sujet, même si je reconnais, bien sûr, que ce débat nous emmène hors du cadre juridique. En tout cas, ne prenez pas cela avec le sourire : c’est une meurtrissure profondément inscrite que de savoir que nos ancêtres bretons ou corses sont désormais considérés comme n’ayant plus droit de cité, alors que l’on dit en permanence aux Bretons et aux Corses qu’ils doivent accepter la diversité. Il ne doit pas y avoir deux poids, deux mesures. Je suis d’accord, il ne faut pas modifier le préambule de la Constitution, mais je tenais à rappeler cette souffrance que l’on peut éprouver parfois dans nos provinces.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Très bien ! Il faut prendre des engagements ! La parole est à M. Gabriel Serville. Il est dommage que nous n’ayons pas eu le temps d’examiner l’amendement qui visait à consacrer la primauté de la langue française. J’ai eu le sentiment que l’on voulait, par cette démarche, étouffer les autres langues. Cela m’a fait penser à une époque révolue où s’était mise en place, entre la France et ses possessions au-delà des mers, une dynamique dont le seul objectif consistait à tout écraser sur son passage.
En Guyane, je le rappelle, dans les administrations, à l’école, sur les marchés ou dans les magasins, 70 % des échanges se font dans une langue autre que le français. Les gens ne sont pas forcément locuteurs de langue française. Pourtant, les choses se passent correctement et la Guyane est toujours identifiée comme un territoire français.
Dès lors, je m’interroge : y aurait-il une volonté d’étouffer les langues régionales, dont on prétend par ailleurs qu’elles font partie intégrante du patrimoine français ? De mon point de vue, ce ne serait pas une insulte que d’associer certaines langues régionales au français dans certaines situations, notamment dans les administrations, car cela permettrait de fluidifier les relations entre les citoyens, entre les individus.
Le 28 juin dernier, le Président de la République lui-même a longuement évoqué la France archipélagique, comme Maina Sage l’a rappelé hier. Il a parlé de la démocratie des îles et a même envisagé d’organiser une sorte de forum des îles. Il y a donc, d’un côté, une certaine reconnaissance qui valorise ce que nous sommes, mais, de l’autre, lorsque nous demandons une reconnaissance en sens inverse, on trouve toutes sortes d’arguties ou de prétextes pour dire que ce n’est pas possible. Cela me dérange car la France tire souvent sa puissance – je pense notamment à sa zone économique exclusive ou à sa biodiversité – de ses possessions d’outre-mer, où l’on parle des langues différentes du français. La moindre des reconnaissances que notre nation pourrait manifester à l’égard de ces personnes qui parlent une langue autre que le français serait d’accorder un avis favorable à la demande formulée par M. Castellani.
La parole est à M. Moetai Brotherson. Il faut tout de même se souvenir que le statut du français comme langue officielle en Polynésie résulte d’un fait colonial. Le peuple qui y préexistait avait ses propres langues. Nos voisins du Pacifique Sud ont tous deux langues officielles, celle de l’ancien colonisateur et leur langue native,… Mais oui ! C’est évident ! …et cela n’en fait pas des nations moins patriotes. Pareil pour les Gallois ! Vous ne vous rendez pas compte de la situation ! En ce moment, se tiennent chez nous les festivités du heiva . C’est la grande manifestation culturelle de l’année, avec des chants et des danses, un événement très beau qui attire de nombreux touristes, mais qui est en train de devenir folklorique parce que la langue se meurt. Je prends le pari devant vous que, dans dix ans, ces manifestations se tiendront avec des non-locuteurs et que les ’orero , ces chants parlés magnifiques, seront déclamés en français, faute de locuteurs.
Notre approche patrimoniale va faire de ces langues régionales le dodo ou le tigre de Tasmanie de demain : on se réjouira d’avoir adopté de grands principes pour les protéger, mais on regardera les photos avec nostalgie ; voilà ce qui va se passer.
C’est vrai ! Il a raison ! La parole est à M. Michel Castellani. Il faudrait tout de même intégrer les langues régionales dans la Constitution, dans la mesure où la pratique et l’utilisation de ces langues sont régulièrement cassées par les plus hautes instances de l’État, précisément en raison des carences de son article 2.
Par ailleurs, la perte d’une langue n’enrichit en rien ni un individu ni un pays. Je regrette de ne pas pouvoir vous faire partager ce que j’ai vécu au contact de la littérature, de la poésie et de la musique corses ; je pourrais vous parler de la philosophie de la vie, de la richesse des sentiments… Ce sont des choses que l’on vit mais que l’on peut, hélas, difficilement transmettre. Je me contenterai donc de vous dire
in fine que l’affaiblissement des langues régionales ne renforce en rien la France, ni l’adhésion au sentiment d’appartenance qui en fait l’unité.
(Les amendements nos 562, 1664, 563, 2020 et 1078, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à Mme Maina Sage, pour soutenir l’amendement no 2418. Dans la continuité de ces échanges, je tiens à expliquer ce qui justifie, à nos yeux, de replacer l’article 75-1 consacré aux langues régionales à l’article 2.
Peut-être ce point n’a-t-il guère de sens pour vous, mais le Conseil constitutionnel a apporté une précision fort intéressante dans sa décision du 20 mai 2011 consécutive à une QPC, une question prioritaire de constitutionnalité : « [L’article 75-1] n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; […] sa méconnaissance ne peut donc être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité. »
J’invoquerai un autre exemple tout aussi pragmatique afin d’expliquer ma position, car l’amendement ne propose pas une mesure anodine dont le seul but serait de nous faire plaisir. Si nous voulons que la précision figurant actuellement à l’article 75-1 soit placée à l’article 2, juste après son premier alinéa, qui affirme que la langue de la République est le français, c’est pour que le Conseil constitutionnel puisse jauger ces deux indications, en les plaçant dans un même rapport. Oui, la langue officielle est le français, mais il faut ajouter aussitôt que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France.
J’ajoute un adjectif : « au patrimoine
vivant de la France. » Très bien ! Sans doute est-ce un peu provocateur de ma part, mais, si j’ajoute cette précision, madame la garde des sceaux, et si nous sommes aussi nombreux à intervenir sur le sujet, c’est que, dans les faits, l’article 75-1 n’a rien changé. D’ailleurs, la France ne ratifie toujours pas la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et les moyens consacrés par l’État aux politiques destinées à valoriser l’enseignement des langues régionales au niveau national sont insuffisants.
Je ne parle pas de la Polynésie car je tiens à nuancer les propos de mon collègue. Sans nier le danger qui menace les langues polynésiennes, je considère que nous sommes plutôt chanceux. Nous avons pu instaurer l’enseignement de la langue polynésienne. Notre collègue Nicole Sanquer est l’ancienne ministre chargée de l’éducation dans le gouvernement de la Polynésie française. La langue tahitienne bénéficie à l’école d’un enseignement obligatoire. Tant mieux !
Bien sûr ! Mais il faudrait ici que les autres langues régionales soient hissées au même niveau et que des moyens soient alloués pour permettre une vraie reconnaissance de ces langues. Je vous prie de conclure. Je finirai en rappelant l’engagement du Président de la République. Si vous annoncez beaucoup de chose, madame la garde des sceaux, le Président de la République, lui, a promis en 2016 qu’il ratifierait la charte européenne des langues régionales ou minoritaires et qu’il reconnaîtrait les langues régionales. Il est dommage que nous ne le fassions pas. Quel est l’avis de la commission ? Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Il est aussi défavorable. Dans la continuité de nos échanges précédents, je rappelle, pour répondre Mme Sage ainsi qu’à M. Goasguen, qu’affirmer que le français est la langue commune ne signifie pas que l’on n’a pas conscience de l’apport de l’ensemble des autres langues au français, ou de l’apport des autres langues et des personnes qui les parlent à la constitution de notre nation. La langue française n’est pas opposable aux autres, je le répète pour M. Castellani ; ces langues ne sont pas opposées mais complémentaires. Pour autant, je le répète, la langue française forme l’unité de la République, et c’est à ce titre que nous la maintenons.
Si, jusqu’à présent, nous n’avons pas ratifié la charte européenne, c’est en raison d’une difficulté de nature constitutionnelle, que l’inscription d’une précision dans la Constitution ne lèvera pas. Déplacer l’article 75-1 à l’article 2 ne changera rien à son écriture ni au raisonnement du Conseil constitutionnel. C’est un autre verrou qu’il faut débloquer si nous voulons ratifier la charte.
La parole est à M. Gabriel Serville. Madame la garde des sceaux, je puis vous assurer que l’adoption de l’amendement changerait quelque chose. Si vous le dites ! Elle changerait l’approche, le regard que nos concitoyens et le ministère de l’éducation nationale portent sur ces langues, ainsi que la manière de les enseigner, le cas échéant, dans nos écoles.
Avant l’arrivée des premiers colons en Guyane, six nations amérindiennes parlaient déjà leur langue. Aujourd’hui, elles disent qu’elles ont subi un grave génocide.
C’est vrai ! Quand les enfants de Guyane entrent à l’école française, où l’on enseigne en français, il s’opère un déni de réalité, une négation de leur langue maternelle, qui les entraîne dans la spirale infernale de l’échec. On se demande souvent pourquoi ils échouent à l’école. C’est essentiellement parce que le support de communication qu’on y utilise n’est pas adapté à ce qu’ils sont.
Placer la disposition de l’article 75-1 au début de la Constitution obligerait ceux qui sont chargés d’assurer l’éducation, d’allouer des moyens à l’éducation nationale sur nos territoires, à s’adapter ; en définitive, ils seraient obligés de reconsidérer la place des langues régionales dans les établissements scolaires. Je pourrais multiplier les exemples.
Madame la garde des sceaux, vous prétendez que l’adoption de l’amendement ne changerait rien. Vous vous trompez. Je suis convaincu au contraire qu’elle changerait bien des choses à la manière d’accompagner ces territoires qui en ont grand besoin.
(L’amendement no 2418 n’est pas adopté.) La parole est à Mme Maina Sage, pour soutenir l’amendement no 2407. Il est défendu. J’ajoute, madame la garde des sceaux, que votre réponse me semble encourageante. Vous souhaitez visiblement que nous arrivions à ratifier la charte européenne, ce qui est une bonne nouvelle. Vous dites qu’un verrou nous empêche de le faire. J’aimerais bien savoir lequel. Pourquoi ne pas utiliser la réforme constitutionnelle pour agir ? Pourquoi ne pas décider que nous ferons aboutir ce débat dans l’année ? Parce que le Sénat s’y oppose ! Quel est l’avis de la commission ? Il est défavorable, pour les motifs que j’ai déjà exprimés. Quel est l’avis du Gouvernement ?