XVe législature
Session extraordinaire de 2017-2018

Séance du mercredi 11 juillet 2018

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace (nos 911, 1137, 1053, 1097, 1098).
Hier soir, l’Assemblée nationale a fini d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
J’appelle les articles du projet de loi constitutionnelle. Sur les amendements nos 1246 et 1248, je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l’amendement no 1246, portant article additionnel avant l’article 1er.
Par cet amendement, nous proposons d’organiser les conditions pacifiques d’un changement de régime constitutionnel en prévoyant la possibilité, lorsqu’un cinquième – soit 20 % – des citoyens en décident, de convoquer une assemblée constituante. L’Équateur est l’un des pays qui a mis en place cette procédure en 2007, avec un seuil de 12 %, ce qui a notamment permis à ce pays de sortir d’une crise institutionnelle. C’est à la suite de l’adoption de la Constitution de 2008 que le pays a connu un renouveau politique, avec la tenue d’élections régulières et des mobilisations citoyennes et sociales.
Cet amendement prévoit la possibilité de convoquer une assemblée constituante, qui aurait pour mandat d’édicter une nouvelle Constitution, plutôt que de réviser l’actuelle conformément aux dispositions de l’article 89, qui nous apparaissent largement inadaptées aux nécessités du moment. Cet amendement ne remet nullement en cause la représentation nationale qui, en cas de Constituante, continuerait à exercer son mandat. La mission de cette dernière serait complémentaire et permettrait à une partie plus large de la population, qui n’est pas élue, de décider du déclenchement d’un processus constituant.
Lors du débat en commission, il nous a été reproché notamment de penser que ce qui ressortirait du projet de loi constitutionnelle serait nécessairement conforme à nos aspirations politiques, ce qui est bien mal connaître notre projet, car nous faisons totalement et définitivement confiance à l’intelligence collective. Nous faisons le pari de la démocratie, non parce que le vote donnerait nécessairement raison à nos idées, mais parce que nous pensons que le débat démocratique est nécessaire, et qu’il s’agit d’un mode de prise de décision qui répond à l’idéal égalitaire de notre République.
Enfin, madame la garde des sceaux, vous avez reconnu hier soir, en réponse aux orateurs inscrits dans la discussion générale, l’importance des moments historiques qui avaient donné lieu à des constituantes. Nous considérons que nous sommes dans un moment, non pas semblable, mais similaire : avec toutes les crises que connaît notre société sur le plan démocratique, économique, social et écologique, l’affaiblissement de l’ensemble des institutions et le délitement des rapports personnels, il serait nécessaire d’avoir recours à ce type de procédures.
Merci, madame Obono. Cela permettrait de sortir de ces crises par le haut. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Richard Ferrand, rapporteur général de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. La commission a émis, sur cet amendement, un avis défavorable, que je ne peux que confirmer. Elle a considéré qu’il était possible de procéder à la création d’une Constituante pour modifier la Constitution, dès l’instant qu’un candidat à la présidence de la République qui aurait ce projet dans son programme serait élu. Votre candidat, d’ailleurs, soutenait cette proposition, mais il n’a pas été élu. Pour notre part, nous n’avons pas choisi de devenir des constituants permanents.
Par ailleurs, nous ne pensons pas que les demandes émanant d’un cinquième des électeurs soient de nature à justifier qu’on s’engage dans des voies de révisions constitutionnelles permanentes. Une telle procédure serait plus génératrice de déstabilisation régulière de notre Constitution que de fécondité démocratique.
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement. J’émets le même avis que M. le rapporteur général. Madame la députée, je trouve symboliquement très intéressant que le premier amendement dont nous discutons ensemble soit celui qui fasse du recours direct au peuple un élément essentiel de la révision constitutionnelle.
En effet, pendant la campagne électorale, La France insoumise avait puissamment défendu le recours à une assemblée constituante. Vous vous inscriviez alors dans un processus de refondation de nos institutions, donc de notre Constitution. Dans cette hypothèse, il eût été logique que le peuple puisse s’exprimer par le biais d’une assemblée constituante, qui élaborerait un texte pouvant être ensuite adopté par voie référendaire.
Mais, comme M. Mélenchon l’a lui-même relevé hier lors de la discussion générale, c’est souvent à l’occasion d’une crise institutionnelle majeure que le peuple est sollicité. Telle n’est pas, me semble-t-il, l’hypothèse qui nous réunit aujourd’hui.
Il n’y a aucune raison pour réviser la Constitution ! Les options que vous proposez n’ont, d’ailleurs, pas été retenues par les électeurs au moment de l’élection présidentielle, en mai 2017. Les électeurs ont même explicitement décidé, en élisant le Président Macron, de rester dans le cadre de la Constitution de la Ve République. Nous ne sommes donc pas dans un processus de refondation, mais de… Démolition ! …rénovation de nos institutions. Dans ce cadre, il peut seulement être fait appel au cadre procédural défini par l’article 89 de notre Constitution, lequel est expressément prévu pour cela. Le Président de la République, sur proposition du Premier ministre ou des parlementaires, élabore un texte qui, in fine , sera soumis au Congrès ou à référendum. Un référendum serait préférable ! Il ne saurait donc y avoir recours à d’autres articles, comme l’article 11, à laquelle votre proposition fait peut-être référence en prévoyant une initiative populaire. Bien sûr, le général de Gaulle avait eu recours à l’article 11, en 1962, pour l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Bien sûr, le Président Mitterrand en avait même intellectuellement déduit que l’existence d’une pratique pouvait donner naissance à une coutume constitutionnelle, mais cela ne correspond absolument pas aujourd’hui à l’état de notre droit et à la régularité de nos procédures. Or, vous le savez, le respect des procédures est une condition essentielle de la démocratie. Aujourd’hui, notre procédure de révision constitutionnelle vous érige, et vous seuls, en pouvoir constituant. C’est la raison pour laquelle nous allons entrer maintenant dans ce débat constitutionnel. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon. Je vous remercie, madame la garde des sceaux, d’avoir ainsi pris le soin de nous répondre. Si nous saluons la qualité de votre argumentaire, vous nous permettrez de dire pourquoi nous ne pouvons pas vous suivre. D’abord, vous dites que l’élection présidentielle a été une réponse explicite à la demande que nous avons formulée pendant notre propre campagne, au nom d’une stratégie visant à passer à la VIe République, dont je conviens qu’elle suit une logique de transformation radicale de la société, baptisée par nous « révolution citoyenne ».
Cependant, je suis sûr que vous conclurez, comme nous, que le résultat d’une élection n’éteint pas ce qui nous a incités à y intervenir. La démocratie permet de prendre des décisions, pas de forcer des convictions. La particularité de la démocratie, c’est qu’on a le droit à la fois de perdre et de maintenir ensuite ses objectifs. C’est ce que nous faisons, en cet instant, avec le présent amendement, en postulant que le moment est venu que le peuple devienne constituant.
Vous avez eu l’amabilité de vous référer à mon intervention d’hier soir : vous aurez noté, j’en suis sûr, l’évaluation que je faisais du moment politique pour justifier la nécessité d’une Constituante. Le peuple se refonde en devenant constituant, et le peuple français a besoin de se refonder en se donnant de nouvelles règles, qu’il appliquera ensuite et qui seront ses nouveaux droits.
Pourquoi faut-il qu’il le fasse ? Parce que vous aurez noté, madame la garde des sceaux, qu’il est actuellement en grève générale civique permanente. À l’exception de l’élection présidentielle, toutes les élections se caractérisent par des taux d’abstention absolument inouïs et incroyables. Avec la Constituante, nous proposons de guérir ce moment politique d’une intense dramaturgie. Voilà pourquoi le moment est venu pour le pouvoir constituant que nous appelons de nos vœux.
Monsieur le rapporteur général, vous sous-estimez notre intelligence : nous ne sommes pas partisans d’un processus constituant permanent. Si c’est votre seule raison pour vous opposer à nous, alors il est temps de voter avec nous. Nous sommes pour la Constituante, voilà tout !
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Olivier Becht. Je tiens à expliquer notre vote sur cet amendement. Bien sûr, il peut être généreux de vouloir donner la parole au peuple pour changer de Constitution. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe FI.) Non, ce n’est pas de la générosité ! Cela s’appelle la démocratie ! D’ailleurs, en adoptant cet amendement, nous aurions le grand bonheur de mettre fin à tous les débats, puisque la présente révision constitutionnelle n’aurait plus aucun sens ; nous laisserions immédiatement place à la Constituante.
Il y aurait cependant à cela deux inconvénients majeurs. Premièrement, nous ne connaissons pas aujourd’hui de crise institutionnelle. Or le changement de Constitution ne peut intervenir que dans des circonstances exceptionnelles. Elles l’ont été dans le cas de la Révolution, et n’y a pas de révolution – vous le regrettez peut-être, mais c’est un fait. Nous ne sommes pas non plus dans un contexte de changement profond de régime ou de guerre, comme ce fut le cas lors des deux derniers changements de constitution.
Deuxièmement, l’initiative populaire constitutionnelle que vous proposez reviendrait, en réalité, à créer de l’instabilité constitutionnelle.
Pas du tout ! En effet, chaque fois que quelqu’un se sentirait insatisfait des institutions, il prendrait l’initiative d’une pétition pour les changer. C’est faux ! La Constitution de la Ve République a montré sa plasticité. Nous ne voterons donc pas cet amendement. Je mets aux voix l’amendement no 1246.
(Il est procédé au scrutin.)
(L’amendement no 1246 n’est pas adopté.) La parole est à M. Éric Coquerel, pour soutenir l’amendement no 1248. Le 11 septembre 1789, l’Assemblée constituante traita du droit de veto du roi. On demanda à ceux qui étaient contre ce droit et, donc, pour la souveraineté du peuple, de se placer à gauche et à ceux qui y étaient favorables à droite. La question de la souveraineté populaire, 230 ans plus tard, est toujours au cœur de nos débats. Le nouveau monarque, c’est la finance. La souveraineté populaire est attaquée, notamment par l’Union européenne, dans un contournement absolu des décisions des peuples : je pense au traité constitutionnel européen de 2005.
Aujourd’hui, avec la Ve République, ce déficit démocratique est aggravé par la personnalisation et la présidentialisation, voire une monarchisation intégrale et continue du régime dans lequel nous vivons. Autrement dit, 230 ans plus tard, il s’agit toujours de la même question.
La solution ne réside pas dans les lois de rafistolage que nous allons voter, visant à diminuer toujours plus le droit de vote du Parlement, ni même dans un amendement glissé par le chef de l’État, alors qu’il n’en a pas le droit, risquant d’entraîner la Ve République dans une présidentialisation encore accrue. La solution réside plus que jamais dans la souveraineté du peuple. Vous pourrez toujours essayer de nous convaincre : le seul moyen pour permettre au peuple de se refonder politiquement reste l’Assemblée constituante.
Tel est l’objet de cet amendement, qui diffère de l’amendement précédent en ce que, comme les États généraux devinrent Assemblée nationale constituante le 9 juillet 1789, il propose que ce soit l’Assemblée nationale qui, par un vote à la majorité absolue, puisse convoquer une assemblée constituante pour une durée maximale de deux ans et dont les travaux seront sanctionnés par un référendum. Voilà qui pourrait enfin redonner confiance aux citoyens, non pas dans la politique mais en eux-mêmes, dans ce combat majeur de la démocratie et de la République qu’est l’exercice de la souveraineté populaire.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Quel est l’avis de la commission ? Monsieur le député, la commission a émis sur cet amendement le même avis défavorable que sur l’amendement précédent. En vertu de l’article 89 de la Constitution, les membres du Parlement, singulièrement les députés, peuvent être à l’initiative d’une proposition de loi constitutionnelle, laquelle, si elle venait à être adoptée par les assemblées, serait obligatoirement soumise à référendum. Il existe donc d’ores et déjà une voie démocratique et constitutionnelle pour réviser la Constitution de la façon dont vous le souhaitez.
Enfin, contrairement à ce que j’ai entendu, le Président de la République, au nom duquel est présenté le projet de révision constitutionnelle, n’y a pas glissé un amendement : il a suggéré que le Gouvernement en dépose éventuellement un, ce qui est strictement constitutionnel et respectueux du Parlement.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable, pour les mêmes raisons que celles que j’ai avancées à propos de l’amendement précédent. La parole est à M. Alexis Corbière. Monsieur le rapporteur général, madame la garde des sceaux, nous ne comprenons pas votre obstination à refuser nos propositions, qui sont à la hauteur de la crise politique qui secoue notre pays. Mes chers collègues, imaginez un roman de science-fiction décrivant un régime politique dont les dirigeants ne sont élus que par 10 % à 15 % des électeurs inscrits. C’est notre cas, le vôtre tout autant que le mien. L’abstention aux dernières élections législatives a presque atteint 55 %. Aucun d’entre vous ne représente plus de 20 % des électeurs inscrits. La grève civique est là : elle produit une instabilité politique très forte. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Le taux d’abstention aux élections européennes s’élève à 65 %. Il en est de même de tous les scrutins.
Ouvrez les yeux, mes chers collègues. La crise politique non seulement est là, mais elle est lourde. Si vous ne refondez pas le lien de confiance entre le peuple et ses institutions, vous aggravez la crise. Le fait que vous ne la voyiez pas est la manifestation que vous vous satisfaites de cette non-participation du peuple, lequel en a assez de ne pas être consulté ou d’être trahi à l’occasion de scrutins. Il veut des droits nouveaux. Nous vous proposons un système stable et pacifique pour résoudre cette crise. Soyez raisonnables ! Votez nos amendements !
(Applaudissements sur les bancs des groupe FI et GDR.) Je mets aux voix l’amendement no 1248.
(Il est procédé au scrutin.)
(L’amendement no 1248 n’est pas adopté.) La parole est à M. Michel Castellani, pour soutenir l’amendement no 548. Cet amendement vise, au début du premier alinéa du Préambule de la Constitution, à remplacer les mots : « Le peuple français », par les mots : « Les peuples de France ». J’ai bien conscience que ce changement n’est pas anodin. Il est un peu tiré par les cheveux... Il n’est pas neutre. Il attaque de front toute une tradition historique centralisatrice française. Plusieurs de mes collègues me regardent du reste avec un œil suspicieux.
Je tiens tout d’abord à préciser que la Corse vit cette réalité depuis des siècles tout en ayant une conception très ouverte : nous sommes fiers et heureux que des personnes viennent tous les jours se fondre dans notre communauté. C’est une formule agrégative.
De plus, dans notre esprit, cet amendement n’est nullement opposable à l’unité du pays.
D’après le Conseil constitutionnel, le peuple français est « une catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi ». Le peuple français est un « concept juridique, » qui relève donc du droit et non de faits historiques et culturels. Or cette unité dans la citoyenneté n’est pas à nos yeux synonyme d’homogénéité du peuple : il faut tenir compte des réalités culturelles et géographiques concrètes dans les sentiments d’appartenance. Le peuple français est l’union de peuples divers dans l’exercice d’une souveraineté commune : telle est la réalité que nous voudrions voir inscrite dans la Constitution.
Quel est l’avis de la commission ? Monsieur le député, la commission, vous le savez, a repoussé cet amendement pour réaffirmer son attachement à l’unicité du peuple français, laquelle résulte à la fois de l’article 3 de la Constitution et du principe d’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine.
Comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner en commission, unicité ne signifie pas uniformité ou méconnaissance des diversités, notamment culturelles. Cette unicité n’interdit ni à la République d’être déjà conçue comme une organisation décentralisée, ni de reconnaître à certains territoires une plus grande capacité d’action, voire, comme nous le proposerons, d’inscrire la diversité de ces territoires à l’article 1er.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis que la commission. Il n’existe en France qu’un peuple, le peuple français. Très bien. Il ne me semble pas possible de faire mention des peuples sans s’accorder d’abord sur la portée effective qu’on voudrait donner à une telle approche. Comme l’a souligné le rapporteur général, l’amendement serait en contradiction aussi bien avec l’article 1erde la Constitution qu’avec son article 3.
De plus, au début du Préambule de 1958, c’est bien le peuple français dans son unité et sa permanence qui s’exprime lorsqu’il « proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme ».
La parole est à M. Michel Castellani. Je ne suis nullement étonné par les réponses de Mme la garde des sceaux et du rapporteur général. Je tiens toutefois à citer Mona Ozouf qui, dans Composition française, évoque les trois « lots de croyance » avec lesquels il lui fallait vivre en Bretagne : « la foi chrétienne de nos ancêtres, la foi bretonne de la maison et la foi de l’école dans la raison républicaine ». Ce passage illustre la pluralité des identités que nous avons tous, plus ou moins, en nous. Je regrette que cette pluralité soit souvent ressentie comme une menace et que les particularismes soient constamment jugés comme rétrogrades. Je regrette que, volens nolens , la loi et, encore moins, la Constitution ne les intègrent pas. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur Castellani, nous vous écoutons toujours avec attention, intérêt et respect. Comme vous le savez, le groupe La France insoumise vous a rejoint sur l’introduction d’un article relatif au statut particulier de l’île. La question que vous soulevez doit être considérée dans sa véritable dimension. Dans le vocabulaire républicain traditionnel, le mot « peuple » désigne l’ensemble des citoyens qui, parce qu’ils le décident en commun, déterminent la loi qui s’appliquera à tous. Dans le vocabulaire républicain, le mot « peuple » n’a donc jamais eu de signification ethnique ou culturelle. Le mot « peuple », pour un républicain, désigne ceux qui deviennent citoyens en formulant la loi et en l’appliquant.
Vous vous appuyez sur une autre définition du mot « peuple » : c’est la raison pour laquelle nous ne parlons certainement pas de la même chose en cet instant. Le mot « peuple » a, dans votre bouche, une signification culturelle. Il renvoie à l’usage en commun d’une langue.
Je vous ai toutefois entendu hier affirmer que votre position politique ne vise pas le démantèlement de la République française. Je connais suffisamment l’homme et le militant politique que vous êtes pour savoir que vous ne parlez pas en vain. Vous nous envoyez un signal : permettez-moi de vous dire que nombreux sont ceux qui voteront contre votre amendement sans, toutefois, voter contre la définition culturelle que vous donnez du peuple corse. Ils refusent simplement que le peuple français soit morcelé en autant de peuples.
Il n’y a qu’un cas où nous avons reconnu, quasiment à l’unanimité, l’existence d’un peuple autre que le peuple français, c’est celui de la Nouvelle-Calédonie, où il existait un fait colonial. Ce n’est pas ce que vous nous demandez. C’est pourquoi je vous demande d’entendre avec bienveillance notre refus de voter votre amendement. Je le répète : ce refus n’est pas la négation de votre définition du peuple, il est la réaffirmation de la nôtre.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Monsieur le président !
(L’amendement no 548 n’est pas adopté.) La parole est à M. Paul-André Colombani, pour soutenir l’amendement no 2115. Cet amendement vise à affirmer la dimension européenne de la République française en inscrivant, avec un volontarisme assumé, la notion de « composante des peuples de l’Europe ». Cette inscription permet d’intégrer la dimension européenne dans le bloc de constitutionnalité et de confirmer la dimension fédéraliste du projet européen dans la partie la plus éminente de la loi fondamentale.
La construction européenne est, certes, mentionnée à l’article 88-1, qui dispose que la France « participe à l’Union européenne ». Toutefois, cette formulation est devenue indigente eu égard à la nécessité impérieuse de relancer le projet européen. L’article 88-1 assimile l’Union européenne à une simple organisation internationale, et la notion de « participation » reste faible et peu ambitieuse. La France participe au même titre à l’OTAN, au Conseil de l’Europe et à l’Organisation des Nations unies, sans que ces organisations aient la même importance et le même niveau d’intégration que l’Union européenne.
En outre, évoquer les peuples de l’Europe confère une dimension plus démocratique au projet européen, alors que les discours europhobes tendent à opposer une Europe des technocrates à une Europe des peuples. Enfin, il ne serait pas conforme à des convictions europhiles de reléguer l’Union européenne au titre XV de la loi fondamentale et de ne pas affirmer d’emblée que la République française est devenue indissociable de la construction européenne.
Quel est l’avis de la commission ? La commission est défavorable à cet amendement, même si inscrire dans le Préambule de la Constitution l’ancrage européen de la République serait un symbole très fort.
Toutefois, comme vous l’avez vous-même souligné, monsieur Colombani, la Constitution mentionne déjà au titre XV, à l’article 88-1, l’adhésion profonde à l’idée européenne, en reconnaissant même l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne.
Cette situation est d’ailleurs source d’obligations constitutionnelles tout à fait importantes. Je pense notamment à l’exigence de conformité avec les principes européens, y compris ceux qui figurent dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dont la valeur juridique est identique à celle des traités européens.
Par conséquent, la commission n’a pas jugé utile d’aller plus loin.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis que M. le rapporteur général. Effectivement, la Charte des droits fondamentaux proclame que « les peuples d’Europe, en établissant entre eux une union sans cesse plus étroite, ont décidé de partager un avenir pacifique fondé sur des valeurs communes ». Même si nous avons envie de nous approprier cette définition, il ne faut pas confondre les niveaux de normes. Nous révisions ici la Constitution, la norme suprême de l’ordre juridique interne ; or M. le rapporteur général vous a rappelé que notre Constitution comportait un article permettant de faire le lien avec les normes internationales ou européennes. Il ne me semble pas nécessaire d’ajouter cela dans le texte même de la Constitution. Avis défavorable. Mes chers collègues, je vous rappelle que les réponses à la commission et au Gouvernement ne peuvent donner lieu qu’à deux interventions. Seulement ? Je ferai respecter cette règle. Nous pouvons aussi demander un scrutin public sur chaque amendement ! Je vous rappelle également que nous avons 2 480 amendements à examiner,… Ne vous plaignez pas, nous aurions pu en déposer davantage ! …ce qui donnera largement à chacune et à chacun l’occasion de s’exprimer.
La parole est à M. Sébastien Chenu.
Nous avons parlé de la notion de peuple. Je veux dire à nos collègues Michel Castellani et Paul-André Colombani toute la considération que j’ai pour leurs propos, même si je ne partage évidemment pas leur opinion. À vrai dire, je pense exactement l’inverse : tout ce qui vise à reconnaître des peuples ou à aller vers plus de fédéralisme aurait pour effet de rompre l’unité de la nation française. La pluralité des identités et des particularités locales est parfaitement intégrée dans la notion de « peuple » telle que l’entend notre Constitution. Souvenons-nous d’ailleurs de ce mot de Mirabeau, qui voyait la France comme « un agrégat inconstitué de peuples désunis ».
Les députés du Rassemblement national pensent au contraire qu’il faut partout rappeler la primauté du peuple français, de la nation française qui, contrairement à ce que j’ai pu entendre, est parfaitement dissociable de la construction européenne.
La parole est à M. Jean-Louis Bourlanges. Cet amendement me semble rédigé de façon très étrange. Comment pouvons-nous être une composante de plusieurs peuples ? Nous sommes un peuple parmi les autres ou une composante d’une union des peuples d’Europe. Pourquoi ne pas écrire « composante des peuples de l’Europe et du monde » ? Cela ne signifie rigoureusement rien, sinon que nous aimons l’Europe et que nous sommes tous d’accord pour le dire.
Je pense vraiment que l’idée d’être la composante d’une pluralité constitue une inconséquence et une impropriété de vocabulaire : elle ne repose sur aucune affirmation d’une communauté supérieure. Ce qui est ici proposé est non seulement inutile, comme l’a dit M. le rapporteur général, mais également impropre.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe MODEM.)
(L’amendement no 2115 n’est pas adopté.) Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 661 et 2425.
La parole est à Mme Marie-Pierre Rixain, pour soutenir l’amendement no 661.
Cet amendement transpartisan est issu de la recommandation no 5 du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes – rapport qui, je le rappelle, a été adopté à l’unanimité. Il vise à remplacer, dans le Préambule de notre Constitution, l’expression « droits de l’homme » par l’expression « droits humains ».
Cet amendement est bien plus qu’une fantaisie féministe : il constitue une occasion de « visibiliser » les femmes.
L’expression « droits humains » correspond pleinement à la conception française de ces droits, tant sur les plans philosophique que juridique et politique, selon laquelle tout être humain, femme ou homme, possède des droits universels et inaliénables. Par ailleurs, elle s’inscrit dans une évolution juridique de long terme. Notons que l’expression est déjà utilisée pour définir ces mêmes droits opposables, tant par notre ministre de l’Europe et des affaires étrangères que par notre Président de la République lundi dernier.
Parce qu’il appartient biologiquement au genre humain et qu’il satisfait ainsi cet unique critère, chaque être humain peut prétendre au respect de ses droits, indépendamment de son genre.
Cette proposition s’inscrit dans une évolution juridique de long terme. Si, dès la Révolution, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen portait un idéal universaliste, force est de constater que les femmes n’étaient pas incluses dans les droits politiques nouvellement consacrés. C’est pour marquer le passage à une nouvelle étape que les rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme ont retenu le terme de « droits humains » après la Seconde guerre mondiale. Il convient aujourd’hui de consacrer cette évolution en changeant le terme employé. C’est, me semble-t-il, le sens de l’histoire et de nos valeurs.
(Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM, MODEM et FI.) La parole est à Mme Maina Sage, pour soutenir l’amendement no 2425. J’ai suivi la discussion de cet amendement en commission et, devant les petits sourires et les petits regards en coin sur ce sujet, j’ai décidé de soutenir la démarche de notre collègue en séance publique. La paternité de cet amendement revient donc à Mme Rixain – peut-être devrais-je plutôt parler de maternité…
Au-delà de la promotion des droits des femmes, l’expression « droits humains » fait référence aux droits de l’humanité en général. Par ailleurs, nous avons désormais non seulement des droits de première génération, mais également des droits de deuxième et troisième générations : au-delà des droits civils et politiques, il existe des droits économiques, sociaux, culturels, intergénérationnels, ainsi que des droits environnementaux.
Sachez qu’il s’agit d’un sujet sérieux. Au niveau international, cette terminologie est beaucoup plus utilisée aujourd’hui. Aussi l’adoption de cet amendement serait-elle une reconnaissance de l’action internationale en faveur des droits de l’humanité.
Je conclus en évoquant les droits environnementaux. Parler des droits humains, c’est aussi rappeler les menaces qui pèsent actuellement sur l’humanité, en particulier du fait du changement climatique et de l’accélération de l’appauvrissement de la biodiversité. Bref, l’expression « droits humains » permet d’ouvrir le débat sur des droits beaucoup plus englobants et d’évoquer la lutte en faveur de la protection et de la survie de l’humanité.
J’ai donc déposé cet amendement no 2425 pour soutenir Mme Rixain, parce que j’ai senti que nous étions passés un peu à côté du débat en commission. Bien évidemment, mes chers collègues, il est hors de question de toucher à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : ce n’est pas l’objectif de cet amendement, et je vous proposerai d’ailleurs un peu plus tard un amendement visant à sacraliser cette déclaration. Si vous regardez bien le préambule de notre Constitution, vous verrez qu’en 1958, l’expression « droits de l’homme » s’écrivait avec un « h » minuscule. C’est bien plus tard, par consolidation, que nous avons utilisé un « h » majuscule. Ces petits points de détail ont leur importance dans le débat sur cet amendement.
La parole est à Mme Yaël Braun-Pivet, présidente et rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques. La commission a repoussé ces deux amendements identiques, considérant que l’expression « droits de l’homme » désigne évidemment, depuis l’origine, aussi bien les droits de l’homme que ceux de la femme. Nous sommes tous d’accord sur ce point : je pense que personne ne peut dire le contraire. Nous sommes attachés à la dimension historique de cette appellation. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la Déclaration universelle des droits de l’homme font partie des fondamentaux de notre histoire.
La commission a considéré que l’expression « droits de l’homme » revêtait finalement beaucoup plus de sacralité que celle de « droits humains ». Nous devons respecter notre histoire, respecter le sens de cette expression. Finalement, madame Rixain, je pense que votre objectif sera mieux poursuivi par le terme « droits de l’homme », qui illustre bien l’université de ces droits que nous souhaitons tous promouvoir.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Je comprends parfaitement le souci de donner plus de place ou de visibilité aux droits des femmes et de lutter contre les stéréotypes sexistes – c’est d’ailleurs ce que fait le Gouvernement dans le cadre des politiques publiques qu’il conduit depuis longtemps sur ce sujet, comme d’autres gouvernements l’ont fait avant lui. Vous savez que l’égalité entre les femmes et les hommes est la grande cause du quinquennat. Il me semble toutefois que ce n’est pas sur le terrain constitutionnel qu’il faut porter le débat.
Comme Mme la rapporteure vient de le dire, l’expression « droits de l’homme » dépasse largement le genre masculin : elle a évidemment une portée beaucoup plus large, liée à la visibilité de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Par ailleurs, si nous modifiions ce terme, nous devrions réécrire quasiment intégralement non seulement la Déclaration de 1789, mais également du Préambule de 1946…
Mais non ! …qui, à chaque alinéa, évoque « l’homme ». Je cite un alinéa au hasard : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »
Ainsi, le passage des droits de l’homme aux droits humains ne s’impose pas, même pour une portée symbolique. Avis défavorable.
Mes chers collègues, j’ai bien noté que ce sujet suscitait de nombreuses demandes d’intervention. Exceptionnellement, je donnerai la parole à un député par groupe politique, au maximum.
La parole est à Mme Laurence Gayte.
J’ai bien entendu les avis de Mme la ministre et de Mme la rapporteure. Je pense qu’il est important de respecter l’histoire et son caractère sacré, mais la modernisation est très importante également.
Permettez-moi de vous faire partager une expérience que j’ai vécue lors de l’organisation, dans mon département, d’une étape du tour de France de l’égalité dont le titre était « Les femmes qui, elles aussi, ont fait l’histoire ». J’avais invité à cet événement 200 élèves, de l’école primaire à la terminale. Un lycéen m’a dit très sérieusement que, pour lui, les droits de l’homme ne concernaient bien évidemment pas la femme.
(Murmures.)
Cela montre bien que l’emploi unique du mot « homme », quand bien même il est compris dans une acceptation neutre, contribue en réalité à faire disparaître la femme de nos lois. La majuscule ne s’entend pas. En français, le neutre n’existe pas : un nom est soit masculin, soit féminin. L’usage du masculin n’est pas ou n’est plus perçu par nos jeunes de façon neutre, même si c’est l’intention du législateur.
Par ailleurs, l’expression « droits humains » est maintenant utilisée dans presque toutes les langues. Elle a également été utilisée par le Président de la République lors de son discours en hommage à Simone Veil.
Le remplacement de l’expression « droits de l’homme » par l’expression « droits humains » serait donc un symbole fort de modernisation. Cela ne veut pas dire que l’on oublie l’histoire : au contraire, on modernise.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR, ainsi que sur quelques bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Fabien Di Filippo. Il ne faut pas oublier, derrière l’expression « droits de l’homme », toute l’histoire de l’émancipation du peuple français et de l’espèce humaine. Je ne peux pas laisser dire ici que l’expression « droits de l’homme » dénoterait une connotation sexiste. L’expression « droits humains » est très bien ! C’est tout le contraire ! La notion de « droits de l’homme » ne connaît aucune race, aucun genre, aucune religion : elle est universelle. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.)
Aujourd’hui, notre rôle n’est pas de porter atteinte aux principes fondateurs de notre République, mais de montrer une certaine fidélité à l’esprit de nos institutions et toute la reconnaissance que nous pouvons avoir pour ce que la notion de « droits de l’homme » a apporté à chacun d’entre nous et à notre République. (Mêmes mouvements.) Excellent ! La parole est à Mme Danièle Obono. Je m’inscris en faux contre l’intervention précédente. Nous appuyons, quant à nous, les deux amendements et leur explication. D’abord, reconnaître les avancées réalisées au fil des textes et de l’histoire, ce n’est pas oublier dans quels contextes ni par qui ils ont été écrits. Il faut rappeler, en particulier, qu’il y a eu aussi, à l’époque, une Déclaration des droits des femmes et des citoyennes destinée à rappeler que, même si, dans l’idée, les droits de l’homme étaient censés être universels, les femmes étaient, concrètement, exclues de tous les droits politiques figurant dans la Déclaration. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a donc bien marqué des avancées, mais pas pour tout le monde, et cela se traduisait notamment dans sa rédaction.
Comme l’a déjà souligné Mme Sage, le vocable de « droits humains » dépasse la question du genre et renvoie à des droits de plusieurs types et de plusieurs catégories, élargissant ainsi la notion. C’est, pour le coup, aller dans le sens d’une histoire progressiste et d’un élargissement des droits que de l’inscrire dans le texte.
En outre, madame la garde des sceaux, cela n’obligera pas à réécrire tous les autres textes du bloc de constitutionnalité. De fait, nous apportons déjà des modifications au texte de la Constitution, par exemple en en supprimant le terme de « race », qui ne sera pas supprimé pour autant des autres textes.
Ces deux amendements vont dans un sens positif, à la fois symboliquement et pour ce qui est du contenu juridique du terme de « droits humains ». C’est la raison pour laquelle nous soutenons ces amendements et appelons à les voter.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) Très bien ! La parole est à Mme Elsa Faucillon. Madame la rapporteure, vous dites que tout le monde sait que la Déclaration des droits de l’homme concerne aussi bien les hommes que les femmes. Or il faut déjà dire qu’aujourd’hui, dans notre société, les femmes sont moins concernées que les hommes par de très nombreux droits – on pense notamment aux salaires, donc à l’emploi, mais il n’y a pas que cela. Il y a donc aujourd’hui des inégalités entre les hommes et les femmes en termes de droits.
En second lieu, lorsque nous parlons ici des « droits de l’homme », nous savons de quoi nous parlons, mais faites l’expérience, chez vous, d’en parler avec vos enfants : s’ils n’ont pas encore appris de quoi il s’agit, ils penseront que cela ne concerne pas les femmes.
(Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.) Bien sûr que si ! Cette appellation, quand nous la connaissons, reprend toute l’histoire qui la sous-tend et nous nous y inscrivons pleinement mais, en même temps, elle exclut 50 % de la population, voire un peu plus.
Monsieur Di Filippo, ne faites pas semblant de ne pas remarquer qu’il y a deux sexes, des hommes et des femmes,…
Ah oui ? …et que le choix qui a été fait n’a pas consisté à employer un mot qui regrouperait les deux, mais bien à trancher pour l’intitulé de « Déclaration des droits de l’homme ». Arrêtons de faire comme si la politique, l’histoire sociale et les inégalités n’étaient pas également affaire de représentation et de symboles.
Si donc cette notion renvoie à d’autres textes, nous n’avons pas à les réviser tous, mais puisque vous faites le choix d’opérer une révision constitutionnelle, c’est l’occasion de faire cette modification, qui ne répond pas seulement à des aspirations multiples dans la société, mais qui serait, à mon avis, un geste symbolique et politique très fort. Nous soutenons donc, bien évidemment, ces amendements.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe FI.) La parole est à M. Jean-Louis Bourlanges. Encore une remarque à caractère grammatical : la notion de genre est constitutive de la langue française, mais il n’existe pas de genre indiquant quelque chose qui soit commun aux hommes et aux femmes. Cela signifie-t-il qu’il n’y aurait pas de choses communes aux hommes et aux femmes ? Ce serait évidemment une interprétation dérisoire et fausse. L’usage s’est donc établi que, dans certains cas, on utilise un mot masculin – « homme » – pour désigner l’homme et la femme. L’usage est sexiste ! Dans d’autres cas, on utilise pour cela des mots féminins – par exemple le mot de « personne » : je suis une personne humaine, comme les hommes et les femmes qui sont ici… Et je tiens à dire que je ne veux pas être qualifié de « person » ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes MODEM, LaREM et LR.) La parole est à M. Sébastien Chenu. Je souscris aux arguments de la présidente de la commission des lois, car il y a dans ce débat un contresens : les « droits humains » ne sont pas les fils des « droits de l’homme », mais ils cherchent, en réalité, à promouvoir une certaine politique de la compassion, comme nous l’avons entendu dans notre hémicycle, tandis que les « droits de l’homme » cherchent à construire de la citoyenneté dans un espace clos – ils sont d’ailleurs intimement liés à la construction de l’État, alors que les « droits humains » transcendent cet aspect étatique.
Comment, par ailleurs, ne pas relever l’indigence, sinon la vulgarité, de l’argument selon lequel il s’agirait de « moderniser » la Constitution ? Ce n’est aucunement un argument en l’espèce, et il est rejetable. Les députés du Rassemblement national ne soutiendront donc pas ces amendements.
La parole est à Mme Maina Sage. Je veux apporter une précision. Nous sommes bien évidemment d’accord sur le fait que les droits de l’Homme – avec un grand « h » – doivent être respectés en tant que tels jusque dans leur terminologie, et cet amendement ne le remet nullement en question.
Je vous invite cependant à relire le Préambule de la Constitution de 1958, sur lequel porte cet amendement. Loin de nous l’idée de rebaptiser la Déclaration des droits de l’Homme de 1789 pour en faire une « Déclaration des droits humains » ! C’est très clair et je tenais à le préciser : il s’agit simplement d’introduire la notion dans le Préambule.
Si vous disposez du petit livret vendu à la boutique de l’Assemblée nationale, vous y lirez : « droits de l’homme », avec un « h » minuscule, car c’est bien ainsi que cela avait été rédigé, à l’époque, dans l’esprit du législateur. Le texte dit bien, d’ailleurs – c’est important pour votre choix de vote et je respecte pleinement ce que vous venez de dire sur les « droits de l’Homme » avec un « h » majuscule – que « le peuple français proclame son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789 ». Nous ne le remettons nullement en question et nous contentons d’ouvrir le débat en suggérant qu’il est peut-être temps, aujourd’hui, d’inscrire dans notre Constitution cette notion de « droits humains ».
Comme Mme la garde des sceaux, je considère que ce n’est là, bien évidemment, qu’une part infime de l’action politique que nous devons mener en continuant à nous battre pour ces droits. Je rappelle à ce propos que les « droits humains » ne concernent pas seulement les droits des femmes : ils expriment aussi l’idée, plus englobante, des droits de l’humanité, des droits de l’homme en général, qui touchent aux droits fondateurs, mais aussi aux droits de deuxième et troisième génération.
J’informe l’Assemblée que deux groupes m’ont transmis des demandes de scrutin public, mais l’ont fait trop tardivement. Je rappelle en effet que nous avons établi en conférence des présidents que cette demande devait être formulée avant la fin de la présentation des amendements – ceux-ci, qui étaient identiques, ayant d’ailleurs été présentés deux fois.
Je vous invite donc, lorsque vous le jugerez utile, à déposer les demandes de scrutin public avant la fin de la présentation des amendements.
(Les amendements identiques nos 661 et 2425 ne sont pas adoptés.) La parole est à M. Adrien Quatennens, pour soutenir l’amendement no 1043. Le Préambule de notre Constitution consacre la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen, mais il s’agit de celle de 1789, qui reste le fait d’un régime monarchique, car c’est en 1792 que la France devint République : c’est la Déclaration de 1793 qui acte le passage, sur le plan théorique, de la monarchie à un système effectivement républicain.
Dans sa version de 1793, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est bien plus complète que celle de 1789. Elle intègre de nouveaux droits humains, comme l’inaliénabilité de la personne, l’interdiction de la domesticité ou l’aide sociale inconditionnelle aux indigents. Pour elle, « les secours public sont une dette sacrée » et « la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler ».
Elle intègre aussi de nouveaux droits politiques, comme le droit de s’assembler paisiblement, le droit à l’intervention populaire et le droit de résistance à l’oppression. Ces principes ne sont toujours pas reconnus explicitement par notre Constitution, et les déclarations de certains responsables, les plus à droite de cet hémicycle ou au ministère de l’intérieur, peuvent parfois faire craindre une atteinte à la liberté de manifester et à la liberté de réunion.
C’est la Déclaration de 1793 qui rappelle que, « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
Dans notre histoire, le peuple français s’est souvent saisi de ce droit pour résister à l’oppression. Il est temps de lui donner une valeur constitutionnelle. Outre son caractère symbolique, l’ajout de la Déclaration de droits de l’homme et du citoyen de 1793 serait le moyen de faire découler des principes républicains originels à la fois nos grandes lois de la fin du XIXe siècle, notre organisation sociale issue de la Libération et nos engagements internationaux les plus fondamentaux. Son inscription dans le bloc de constitutionnalité est un moyen de réaffirmer les principes qui nous définissent comme peuple.
Quel est l’avis de la commission ? Nous avons, naturellement, eu l’occasion de débattre de cet amendement lors de l’examen du texte en commission. Je tiens donc à vous dire pourquoi celle-ci l’a repoussé et pourquoi vos rapporteurs persistent dans cette position.
D’abord, le bloc de constitutionnalité comprend déjà la Déclaration de 1789, dont nul ne peut douter du caractère universel : elle fonde l’édifice constitutionnel de notre régime et constitue la source de la protection des libertés fondamentales. Voilà pour mon premier point.
Deuxième point : la dimension sociale, culturelle et internationale des droits fondamentaux est également inscrite dans ce bloc, avec notamment le Préambule de la Constitution de 1946, qui protège le droit d’asile pour toute personne persécutée, le droit d’obtenir un emploi, l’égal accès à l’instruction et le caractère gratuit et laïque de l’enseignement.
Par conséquent, il ne nous paraît pas nécessaire d’y ajouter, comme vous le suggérez, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, dont les dispositions recoupent d’abord une grande partie de celles qui sont déjà contenues dans l’actuel bloc de constitutionnalité, sans toutefois que leur rédaction soit identique, ce qui pourrait induire des contradictions entre ces textes.
Les droits naturels et imprescriptibles de l’homme reconnus en 1789 sont plus nombreux que ceux qui figurent dans la Déclaration de 1793, où ne figure pas, par exemple, la résistance à l’oppression : il serait paradoxal de promouvoir le droit à l’insurrection sans prescrire la résistance à l’oppression, qui n’est consacrée que comme une conséquence des autres droits de l’homme.
Dans la Déclaration de 1789, la souveraineté réside dans la nation, alors qu’elle réside dans le peuple dans celle de 1793 : chacun comprendra pourquoi nous divergeons sur ce point.
Enfin, dans la Déclaration de 1793, le droit de manifester sa pensée et ses opinions paraît sans limites, tandis que, dans celle de 1789 – et nous préférons cette version, plus républicaine –, la possibilité est ouverte que l’on puisse répondre des abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.
Voilà, chers collègues, l’ensemble des arguments qui ont conduit la commission à repousser cet amendement.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Je ne saurais mieux dire que M. le rapporteur général, et j’émets donc le même avis défavorable.
J’ajouterai simplement que le Conseil constitutionnel puise déjà largement dans le bloc de constitutionnalité, tel qu’il est institué, des principes qui lui permettent d’encadrer et de prolonger ce que les constituants ont voulu dire.
La parole est à M. Guillaume Larrivé. Je ne voudrais pas que, d’une manière un peu précipitée, Jean-Luc Mélenchon et les députés du groupe La France insoumise nous proposent, avec l’adoption de cet amendement, le rétablissement de la peine de mort. En effet, la Déclaration de juin 1793 prescrit explicitement que « tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres. » Tout est dit : cette déclaration n’appartient en rien au patrimoine juridique de la France de 2018. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
(L’amendement no 1043 n’est pas adopté.) La parole est à M. Paul-André Colombani, pour soutenir l’amendement no 2116. Cet amendement va un peu dans le même sens : il propose d’intégrer dans le bloc de constitutionnalité la Convention européenne des droits de l’homme, dite CEDH, en créant ainsi un pont direct entre la Constitution et l’ordre public européen. À l’instar du droit de l’Union, le droit conventionnel européen des droits de l’homme est particulièrement intégré dans l’ordre interne.
Je ne m’étendrai pas davantage car le débat a déjà eu lieu en partie. Je veux simplement signaler que la Cour constitutionnelle italienne, la Consulta, a déjà franchi le pas en 2007 en reconnaissant que la Convention européenne des droits de l’homme constituait un critère d’interprétation de la conformité constitutionnelle des normes de droit interne.
Merci pour votre concision, mon cher collègue.
Quel est l’avis de la commission ?
La proposition d’introduire la CEDH dans le bloc de constitutionnalité ne paraît pas nécessaire tant elle se voit déjà reconnaître une valeur très importante dans notre ordre juridique interne… Trop importante ! …– certains d’entre vous ici le regrettent d’ailleurs –, ses dispositions primant même la loi. J’ajoute que cela créerait, du point de vue de la commission, une certaine confusion dans la hiérarchie des normes en plaçant sur un pied d’égalité des normes internationales et des normes constitutionnelles, alors que les secondes ont vocation à primer les premières. Avis défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Avis défavorable pour les mêmes raisons que celles qui viennent d’être exprimées. J’ajouterai que, puisque l’article 55 de la Constitution donne déjà une force supérieure aux traités, il n’est pas utile de faire cette mention. Très fréquemment, nos juridictions, notamment le Conseil d’État et la Cour de cassation, se réfèrent à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour infléchir leurs propres décisions et pour leur donner une dimension qui figure dans ce qui est précisé dans la Convention européenne des droits de l’homme. Je ne crois pas utile de le rappeler ici à nouveau. Avis défavorable. La parole est à M. Claude Goasguen. Pour une fois, je serai d’accord avec le Gouvernement, mais pour des raisons inverses. Vous avez raison, madame la garde des sceaux, de poser la question de la Cour européenne des droits de l’homme. Je veux souligner, à l’intention du Gouvernement, qu’un certain nombre d’États, loin d’intégrer la Convention européenne dans le bloc constitutionnel, comme cela est proposé dans l’amendement, ont eu l’intelligence de limiter l’influence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Il s’agit d’ailleurs de deux États majeurs de l’Europe : en Allemagne, la Cour de Karlsruhe a trouvé des moyens juridiques pour s’épargner un certain nombre de décisions de la Cour européenne ; quant à la Grande-Bretagne, ce point a été l’une des causes essentielles du Brexit. Nous sommes donc très loin d’une adhésion à l’inscription dans le bloc constitutionnel, et au contraire très proches de l’adoption de moyens juridiques nous évitant cette pression juridique permanente et insupportable de la Cour européenne sur notre droit. Celui-ci est un droit de grande qualité, qui doit être respecté.
(L’amendement no 2116 n’est pas adopté.) La parole est à M. Moetai Brotherson, pour soutenir l’amendement no 2016, qui, d’ailleurs, peut faire l’objet d’une présentation commune avec l’amendement no 2014… Non, monsieur le président, je les défendrai l’un après l’autre. Bien essayé ! (Sourires.) À l’instar du Président de la République, nous ne voulons pas que la scène internationale soit le théâtre d’un sport confortable, d’un jeu pour diplomates assis, instrument des faibles qui n’existerait plus que par langueur, par oubli de l’histoire qui nous a faits, laissant s’installer l’idée que l’on est plus fort hors du multilatéralisme. La paix s’est construite grâce au ciment que constitue le rapprochement des peuples et des États. Il est de notre devoir d’appeler toutes les forces vives de l’Europe et du monde à s’agréger pour bâtir un monde plus sûr.
L’ONU et l’Europe des peuples et des nations sont les deux faces d’une même pièce. Nous avons besoin du multilatéralisme, affirmait le Président de la République. Selon lui, c’est la règle du droit, c’est l’échange entre les peuples, c’est l’égalité de chacune et de chacun d’entre nous, c’est ce qui nous permet de construire la paix et de relever chacun de nos défis.
Pourtant, aujourd’hui, cette règle de droit est aussi importante qu’absente de notre bloc de constitutionnalité. Le présent amendement a pour objet d’y remédier en faisant en sorte que nos actes internationaux présents et futurs, ainsi que leur application, ne puissent constitutionnellement se soustraire aux principes fondateurs de la paix internationale. L’objectif est d’accompagner un projet européen en faveur des peuples : celui-ci est la clef de voûte de la paix, qui sans lui n’est que précaire.
Quel est l’avis de la commission ? Après la Déclaration de 1793 et la Convention européenne des droits de l’homme, voici donc maintenant la question de l’intégration de la Charte des Nations Unies dans notre Constitution. Sur cette question, le Préambule de la Constitution de 1946, qui figure bien dans notre bloc de constitutionnalité, prévoit déjà que « La République française […] se conforme aux règles du droit public international. Elle n’entreprendra aucune guerre dans des vues de conquête et n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ».
Deuxième point, concernant l’inscription de l’exigence d’une construction d’une Europe des peuples et des nations, un titre entier de la Constitution est d’ores et déjà consacré à l’Union européenne. Je crains d’ailleurs que la formulation retenue n’aille à l’encontre du projet européen que nous voulons défendre, allant au-delà d’une simple coopération d’États, de juxtaposition de nations, et promouvant une communauté de destins ambitieuse et intégrée.
Sur le plan juridique, votre amendement aurait pour effet de reconnaître à certains traités internationaux – pourquoi seulement certains, et pourquoi seulement ceux-ci ? –, une valeur égale aux principes constitutionnels, alors même que notre Constitution, dans la hiérarchie des normes, leur est supérieure. Pour toutes ces raisons, la commission a rejeté cet amendement. Avis défavorable.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Je demanderai à M. le député de bien vouloir retirer son amendement, sinon j’émettrai un avis défavorable. Bien sûr, la France est indéniablement attachée aux principes qui figurent dans la Charte des Nations unies. Mais il me semble que celle-ci n’a pas sa place dans la série des textes nationaux mentionnés dans le préambule de notre Constitution, qui, je le rappelle, est le texte suprême de notre ordre juridique interne.
Par ailleurs, votre amendement vise la Charte dans son ensemble, laquelle contient également des dispositions de procédure et d’organisation auxquelles nous ne pouvons pas donner la même importance qu’aux textes fondamentaux de notre ordre juridique, tels que la Déclaration de 1789 ou le Préambule de la Constitution de 1946.
Le deuxième point de votre amendement, relatif à l’inscription de l’engagement de la République pour la construction d’une Europe des peuples et des nations, ne me paraît non plus opportun. D’une part, la Constitution comporte un titre XV consacré à la construction de l’Union européenne ; d’autre part, c’est dans les traités eux-mêmes de l’Union européenne qu’est précisée la nature de celle-ci. Ainsi, l’article 1er du traité sur l’Union européenne précise que l’Union est instituée par des États qui lui attribuent des compétences en vue d’une union sans cesse plus étroite des peuples d’Europe. Pour l’ensemble de ces raisons, j’émets un avis défavorable si vous ne retirez pas votre amendement.
(L’amendement no 2016 n’est pas adopté.) La parole est à M. Moetai Brotherson, pour soutenir l’amendement no 2014. Notre époque revient sur des travers que l’humanité a déjà subis. Nous sommes témoins quotidiennement de discriminations, ici et ailleurs : arrestations de journalistes, de personnes ayant une orientation politique ou d’une autre, une orientation sexuelle ou une autre. Je fais ici référence à une période où il ne faisait pas bon venir de tel ou tel endroit de la planète, d’être de telle ou telle religion, d’appartenir à tel ou tel peuple ; à une période où certaines hégémonies ont conduit à des drames à l’échelle planétaire.
Pour se redresser de tous leurs torts, les hommes ont conclu un pacte, plus exactement une Charte : celle des Nations unies. Le Président Emmanuel Macron disait à l’ONU : « Si j’ai aujourd’hui le privilège de m’exprimer devant vous, je sais à qui je le dois. Je le dois à tous ceux qui, voici un peu plus de soixante-dix ans, se sont levés contre un régime barbare qui s’était emparé de mon pays, la France. Je le dois aux nations qui ont entendu le cri de ces résistants et qui, d’Amérique, d’Afrique, d’Océanie, d’Asie, ont, vers les côtes françaises, envoyé à leurs secours leurs filles et leurs fils. »
Mesdames et messieurs, chers collègues, aujourd’hui, la Charte des Nations unies, signée le 26 juin 1945, n’est pas dans notre bloc de constitutionnalité. L’ordre juridique français place le texte fondateur de la paix internationale sous la Constitution, en son article 55. Il est du même ordre, voire moins contraignant qu’une convention fiscale. Je pense que c’est là une erreur fondamentale car la Constitution régit, c’est vrai, l’ordre juridique interne, mais aussi l’ordre juridique international français et, partant, l’action de l’État vis-à-vis de la communauté internationale.
Quel est l’avis de la commission ? Même avis que précédemment : défavorable.
(L’amendement no 2014, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) Je suis saisi de deux amendements, nos 1611 et 1612, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
La parole est à Mme Delphine Batho, pour les soutenir.
Ces deux amendements ont, avec des rédactions différentes, le même objectif, à savoir que le Préambule de la Constitution prenne en considération toute la Charte de l’environnement. En effet, tel qu’il est rédigé aujourd’hui, il prend en considération toute la Déclaration des droits de l’homme, tout le Préambule de la Constitution de 1946 mais seulement les « droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement ».
Je ne sais pas si, à l’époque, cette rédaction était intentionnelle ; toujours est-il qu’elle prive de ce fait les considérants de leur efficacité juridique. Or, si certains considérants de la Charte de l’environnement sont descriptifs, deux d’entre eux prescrivent des devoirs : celui qui dispose que « la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation », et celui qui dispose que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». Ces deux amendements visent donc à ce que l’article préambule de la Constitution fasse désormais référence à la Charte de l’environnement dans son intégralité, et non dans ses seuls articles 1 à 10.
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements ? La commission, aux travaux de laquelle vous avez été très assidue, madame Batho, a émis un avis défavorable sur vos deux amendements, considérant que l’exposé des motifs de la Charte de l’environnement énonce des constats et apporte une justification aux droits et devoirs proclamés dans ses articles. Il présente, à titre principal, un caractère déclaratoire, ce qui explique qu’il ne soit pas expressément visé dans le Préambule de la Constitution.
Il n’en demeure pas moins que ce texte est déjà susceptible d’emporter des conséquences juridiques par l’effet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en appui à d’autres normes de référence. Le Conseil a explicité en 2014 que les sept alinéas précédant les dix articles de la Charte de l’environnement ont une valeur constitutionnelle mais qu’aucun d’eux n’institue un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
Par ailleurs, si de nouveaux principes doivent être consacrés en matière environnementale, nous préférons qu’ils le soient par l’ajout que nous proposons à l’article 1er de la Constitution, plutôt que par la voie que vous proposez. Avis défavorable, donc, sur vos deux amendements.
Quel est l’avis du Gouvernement ? Madame la députée, je comprends quelle était votre préoccupation en écrivant ces deux amendements. Je pense toutefois qu’ils ne parviendraient pas au but que vous recherchez. En effet, si je comprends bien, vous souhaitez renforcer la valeur juridique des différents articles et alinéas de la Charte de l’environnement de 2004. Comme vient de le dire Mme la rapporteure, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser quelle était la valeur juridique de ces différents éléments. Il l’a fait dans une décision de 2014, aux termes de laquelle les dix articles de la Charte de l’environnement ont valeur constitutionnelle : il le dit expressément. Mais il ajoute qu’aucun d’eux n’institue un droit ou une liberté que la Constitution garantit ; en français, cela veut simplement dire que l’on ne peut pas fonder de question prioritaire de constitutionnalité – QPC – sur un certain nombre d’entre eux.
Ce n’est donc pas la place dans la Constitution qui modifierait le rôle de ces articles, mais leur écriture même ; et dès lors que l’on ne modifie pas leur rédaction, ce n’est pas leur place dans la Constitution qui modifiera leur portée juridique. Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable.
La parole est à Mme Delphine Batho. C’est précisément la jurisprudence de 2014 qui fait problème et la rédaction du Préambule, croisée avec l’article 61-1 de la Constitution relatif à la QPC, induit cette interprétation. En 2014 le Conseil constitutionnel a estimé que les considérants dont nous parlons avaient valeur constitutionnelle, mais qu’aucun d’eux n’institue un droit ou une liberté garantie par la Constitution.
Nous débattrons tout à l’heure de ce qui doit figurer à l’article 1er, et ces amendements ne sont nullement en contradiction avec les avancées contenues dans cet article ; mais deux principes fondamentaux figurent dans la Charte de 2004 : le premier énonce que la Charte fait partie des intérêts fondamentaux de la nation ; le second, que les décisions d’aujourd’hui ne doivent pas compromettre celles des générations futures. Ces deux considérants sont exclus de la jurisprudence du Conseil constitutionnel du fait de la rédaction de la Charte. Je ne sais si cela résulte d’une maladresse commise à l’époque ou si c’était délibéré, mais cela pose assurément problème.
(Les amendements nos 1611 et 1612, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.) La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour soutenir l’amendement no 1912. Cet amendement de notre collègue Warsmann vise à corriger une erreur involontaire dans notre Constitution.
La Charte de l’environnement, qui devait être adoptée en 2004, l’a en réalité été le 28 février 2005 avant d’être promulguée le 1er mars 2005. Il s’agit de faire en sorte que la date de référence soit celle de son adoption, comme c’est le cas pour tous les autres textes de notre corpus législatif.
Quel est l’avis de la commission ? Monsieur le président Lagarde, je comprends parfaitement le raisonnement comme le souci du parallélisme des formes qui vous conduit à souhaiter qu’on modifie la Charte de l’environnement. Cela illustre toute votre rigueur juridique.
Je constate cependant que la Charte de l’environnement, treize ans après son adoption, la Charte de l’environnement est identifiée comme la charte de 2004. Il n’est donc pas souhaitable de modifier une date identifiée comme telle dans notre histoire. Avis défavorable.
(L’amendement no 1912, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.) La parole est à Mme Pascale Boyer, pour soutenir l’amendement no 2402. La Charte de l’environnement est constitutionnalisée depuis 2005, mais sa référence dans le Préambule de la Constitution se limite aux droits et devoirs qu’elle définit.
Mon amendement vise à ce que les grands principes contenus dans la Charte soient eux aussi considérés comme constitutionnels. Ainsi le Conseil constitutionnel pourra se référer aux équilibres naturels, à la diversité biologique ou aux générations futures. C’est de la portée de la Charte qu’il est question ici, au bénéfice de notre environnement.
Quel est l’avis de la commission ? Il est le même que pour l’amendement précédent : défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Même avis : je répète que ce n’est pas leur place dans la Constitution mais le contenu même de ces articles qui importe.
(L’amendement no 2402 n’est pas adopté.) La parole est à M. Paul-André Colombani, pour soutenir l’amendement no 2117. Cet amendement propose d’intégrer au bloc de constitutionnalité un texte fondamental supplémentaire : la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cette intégration vise à faciliter l’approfondissement du dialogue des juges. Depuis plusieurs années, l’intégration juridique entre nations européennes a entraîné une forte évolution de la conception traditionnelle de la hiérarchie des normes, dans laquelle la primauté de la Constitution est largement interrogée. Le débat est devenu plus symbolique que pratique, tant la primauté du droit de l’Union européenne est affirmée dans les faits.
Il résulte de tout cela que l’articulation entre la souveraineté affichée de la Constitution dans l’ordre interne et la primauté effective du droit de l’Union aboutit à une complexification Le modèle de la pyramide à plusieurs pointes, utilisé pour décrire les rapports entre la Constitution, le droit de l’Union et le droit conventionnel de la CEDH semble ici relever de la quadrature du cercle.
Intégrer la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne permet de mieux aménager la primauté de la Constitution, puisque cela hisse au niveau constitutionnel un texte qui a formellement une valeur conventionnelle mais qui, dans les faits, a une valeur quasi constitutionnelle.
Quel est l’avis de la commission ? Le raisonnement est le même que pour l’amendement relatif à la CEDH. L’avis est donc défavorable. Quel est l’avis du Gouvernement ? Le raisonnement est effectivement similaire, voire conforté puisque la Charte des droits fondamentaux, adoptée en décembre 2007, est devenue juridiquement contraignante grâce à l’article 6 du traité sur l’Union européenne, ainsi rédigé : « L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux […], laquelle a la même valeur juridique que les traités. »
Cette charte pourra être invoquée par les institutions de l’Union, auxquelles elle s’impose, et par les États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union.
Je rappelle par ailleurs que le dialogue des juges conduit à une harmonisation croissante des droits contenus dans les différentes déclarations nationales. Avis défavorable.
(L’amendement no 2117 n’est pas adopté.) Je suis saisi de six amendements, nos 1613, 907, 1109, 1402, 1526 et 2149, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 907 et 1109 sont identiques, de même que les amendements nos 1402, 1526 et 2149.
La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l’amendement no 1613.
C’est une discussion importante qui s’engage sur la nécessité de profiter de cette révision constitutionnelle pour adosser à notre Constitution une charte des droits numériques, sur le modèle de la Charte de l’environnement.
La question est très simple : les conditions générales d’utilisation des plateformes numériques sont-elles supérieures aux lois de la République ? La démocratie, les principes républicains s’appliquent-ils aux données personnelles des personnes physiques et morales établies en France dans le cyberespace ?
Le moment est venu d’accomplir un progrès très important en ce sens. C’est l’objectif de cet amendement. Je sais que d’autres amendements allant dans le même sens ont été déposés par nombre de collègues d’autres groupes. Si nous pouvions nous retrouver tous pour voter une telle avancée, ce serait extrêmement important et significatif au niveau international.
Sur les amendements identiques nos 907 et 1109, je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Ludovic Pajot, pour soutenir l’amendement no 907.
Avoir intégré au Préambule de la Constitution la protection de l’environnement nous paraît aller dans le bon sens, compte tenu de l’importance que nous attachons à la protection de nos écosystèmes ; mais, si cette protection est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Force est de constater que nos libertés dans tous les domaines, notamment sur internet, reculent chaque jour davantage. L’adoption récente par votre majorité du texte relatif au traitement des fausses informations en est la plus effroyable illustration.
Parlementaires, élus par et pour le peuple français, nous devons être les garants des libertés individuelles de nos concitoyens. C’est dans cet esprit que nous souhaitons intégrer au Préambule de notre Constitution une charte dédiée aux droits et libertés numériques. Cette charte à valeur constitutionnelle serait un outil à la fois symbolique et particulièrement efficace pour assurer la protection de nos données personnelles.
Mes chers collègues, l’internet reste un des derniers espaces où il est encore possible d’émettre librement des opinions, dans le respect du droit pénal évidemment. Nous n’acceptons pas cette république de la censure qui tend peu à peu à se mettre en place. Soyons à la pointe du combat pour nos libertés en décidant d’inscrire une telle charte dans le Préambule de la Constitution.
Je vois, au nombre des amendements identiques, que cette proposition transcende les clivages politiques.
La parole est à M. Bastien Lachaud, pour soutenir l’amendement no 1109. Notre société est en évolution permanente sur le plan technologique et les technologies numériques prennent de plus en plus de place dans nos vies. Souvent, les innovations techniques précèdent le droit qui les régule ou les garanties ; souvent, les membres du Gouvernement plaident en faveur de la modernisation du droit.
Une fois n’est pas coutume je vais dans ce sens : soyons modernes et inscrivons enfin dans la Constitution les droits du numérique pour garantir, ici aussi, les libertés publiques ; car, si nous ne donnons pas valeur constitutionnelle à ces libertés, il y a tout lieu de craindre qu’elles seront bafouées. Déjà les « GAFAM » tirent parti de leur situation de quasi monopole pour s’arroger non seulement le droit de ne payer quasiment aucun impôt en France, mais aussi de contrôler les données personnelles de nos concitoyens auxquelles ils ont accès par le biais d’algorithmes que nous ne pouvons ni contrôler, ni étudier afin d’empêcher toute discrimination.
Il est primordial de protéger la neutralité du net. Il est indispensable de protéger le droit à la vie privée si facilement menacé sur internet. Il est nécessaire d’inscrire la liberté d’expression dans la Constitution contre les risques de censure privée. Les enjeux sont décisifs : si ces droits ne sont pas suffisamment protégés, c’est la démocratie politique qui sera menacée.
Au moment où nous révisons la Constitution en modifiant dangereusement l’équilibre des pouvoirs en faveur de l’exécutif, il faut garantir au minimum la possibilité, pour le peuple, de débattre et de s’exprimer par les moyens modernes de communication.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à Mme Cécile Untermaier, pour soutenir l’amendement no 1402. Nous partageons totalement la volonté de constitutionnaliser une charte du numérique.
Pendant un an, à l’initiative de notre président, un groupe de travail transpartisan de l’Assemblée nationale a mené un certain nombre d’auditions qui nous ont permis d’affiner le dispositif qui vous sera soumis ultérieurement. Il nous paraît tout à fait indispensable de protéger les citoyens et les États du numérique et de le faire entrer d’une manière généreuse dans ce dispositif, tout en encadrant son utilisation.
C’est la raison pour laquelle nous considérons qu’il est absolument indispensable que les droits numériques figurent dans la Constitution, ainsi que nous le proposons par cet amendement.
Les droits numériques sont un bien commun, un bien que nous avons en partage, qui, à ce titre, doit relever de règles irréfragables et constitutionnelles.
Très bien ! La parole est à M. Philippe Latombe, pour soutenir l’amendement no 1526. Sur le plan des libertés fondamentales, le numérique offre des opportunités, notamment pour la liberté d’expression, mais également des risques qu’il convient de limiter. C’est dans cet esprit que le groupe de travail a travaillé et proposé ces amendements.
J’illustrerai mon proposé par un exemple.
Un certain nombre de pays, qui ne sont pas aujourd’hui considérés comme des démocraties, ont limité l’accès à internet. Pourquoi ? Pour éviter que les citoyens puissent s’exprimer librement. C’est pour cela que l’enjeu du numérique est important, tant en ce qui concerne les opportunités qu’il offre que s’agissant des menaces qui pourraient peser sur les libertés publiques. C’est pourquoi nous avons souhaité élaborer une charte du numérique. Le présent amendement, technique, vise à la mentionner dans le préambule de la Constitution. La rédaction en elle-même figurera dans l’amendement suivant.
Nous souhaitons que le débat ait lieu et que l’on ouvre vraiment ce chantier, avec une vraie réflexion. Si nous parvenions à élaborer une rédaction convenant à tout le monde, nous pourrions inscrire dans notre norme suprême ces éléments qui témoigneront une fois encore du rôle moteur de la France dans la défense des libertés fondamentales. C’est aussi important pour la place de notre pays en Europe et dans le monde.
La parole est à Mme Paula Forteza, pour soutenir l’amendement no 2149. Nous devrons étudier au cours de l’examen de ce texte trente amendements en lien avec le numérique, défendus ou cosignés par un total de 380 députés issus de six groupes et de sensibilités politiques différentes. Nous avons reçu beaucoup d’experts du numérique, des constitutionnalistes, des acteurs de la société civile. Ils ont pris position et il n’y a pas de doute : c’est un des grands enjeux de notre génération, et il est temps de l’intégrer dans notre texte constitutionnel.
Ces amendements présentent plusieurs dispositifs. Pourquoi, en ce qui nous concerne, défendons-nous une charte ? Parce que nous devons affirmer un ensemble de droits et libertés liés au numérique qui soit cohérent, non éparpillé dans le texte ; un ensemble qui mette en avant une vision française du numérique, un cadre pour notre action législative et publique dans un secteur qui se développe sans arrêt et parfois de façon chaotique. Nous voulons défendre un tel cadre sur le plan international alors qu’il est contesté par les États-Unis et par la Chine notamment.
L’accès au numérique et la maîtrise de ces outils est devenu aujourd’hui une condition préalable à l’exercice effectif des droits et des libertés fondamentales : la liberté d’expression, la liberté d’entreprendre, l’accès au savoir, l’accès aux services publics. Si nous ne nous consacrons pas à ce noyau dur de droits, une citoyenneté à deux vitesses se mettra en place.
Sans un droit d’accès à internet et un droit d’éducation au numérique, par exemple, la dématérialisation intégrale des services publics laissera des citoyens de côté. N’oublions pas que 13 millions de Français éprouvent des difficultés dans ce domaine.
Si nous ne consacrons pas encore la neutralité du net dans la Constitution, nous pourrons revenir en arrière en fonction des aléas politiques, comme ce fut le cas aux États-Unis. Nous mettrions ainsi en cause les principes même qui ont fondé internet, qui le font vivre aujourd’hui tel que nous le connaissons : l’ouverture, la neutralité, la non-centralisation. Nous nous exposerions à « casser internet », selon l’expression consacrée par les spécialistes du numérique et les nombreux citoyens qui se sont mobilisés aux États-Unis notamment à ce sujet.
Sur les amendements identiques nos 1402, 1526 et 2419, je suis saisi par le groupe Nouvelle Gauche d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission ?
Nous venons d’entendre la justification de propositions issues de plusieurs amendements visant à intégrer dans notre bloc de constitutionnalité une charte des droits numériques.
Je tiens d’abord à saluer les nombreuses initiatives, de grande qualité, qui ont été prises à ce propos. Certaines reprennent des propositions formulées par les groupes de travail transpartisans mis en place à l’Assemblée nationale et au Sénat, d’autres non, d’autres encore en ont quelque peu modifié le contenu.
Je constate aussi que certaines propositions formulées en commission ont été retravaillées, affinées. On ne peut que saluer un tel travail, qui ne peut que contribuer à la réflexion collective sur une question d’importance.
Toutefois, il me semble vraiment nécessaire de poursuivre la réflexion afin d’apprécier la portée concrète des dispositions que nous adopterions éventuellement avec ces amendements. Nous sommes en train de réviser notre loi fondamentale et nous ne pouvons pas simplement, en insérant une charte, laisser à l’appréciation d’experts et de juges la liberté de choisir l’interprétation à suivre. Il reste donc encore beaucoup à faire pour pouvoir légiférer en toute connaissance de cause, s’agissant notamment de la portée des amendements soumis à notre appréciation.
À titre de comparaison, je vous rappelle que lorsque le constituant a décidé d’intégrer au bloc de constitutionnalité la Charte de l’environnement, il l’a fait par le biais d’un projet de loi constitutionnelle dédié, avec une discussion parlementaire qui a fait l’objet d’une très longue maturation. Je vous rappelle que cette charte a été coécrite par une commission, que le Conseil d’État a été consulté et a eu l’occasion de rendre son avis, et donc d’éclairer notre Parlement, que différents rassemblements ont eu lieu – notamment un colloque national réunissant plusieurs centaines d’experts – et que quatorze assises territoriales se sont déroulées, au cours desquelles plusieurs milliers de citoyens sont venus exprimer leurs propositions, leurs critiques et leurs suggestions.
Par conséquent, et même si je ne sous-estime évidemment pas la qualité des travaux qui ont été engagés successivement, il me semble, à tout le moins, que les conclusions auxquelles nous arrivons aujourd’hui nécessitent une consultation beaucoup plus large, beaucoup plus ample. On ne peut pas considérer comme cela, au gré de la révision de notre Constitution, que, si vous me permettez cette expression triviale, l’occasion pourrait en quelque sorte faire le larron. La Constitution est une loi fondamentale et si l’on veut y insérer une charte supplémentaire, cela mérite des consultations beaucoup plus approfondies.
Mais qu’est-ce que vous faites, en ce moment ? Enfin, je rappelle que certains principes dont la consécration est envisagée sont déjà constitutionnellement protégés par l’interprétation et la mise en œuvre de la déclaration universelle de 1789 par le Conseil constitutionnel – la jurisprudence est constante. Je rappelle que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont consacrées par cette déclaration universelle, mais que la liberté de l’usage de tel ou tel outil pour exprimer cette liberté d’opinion et cette liberté d’expression n’a pas été consacrée dans la foulée. À ce rythme, il faudra prolonger la session extraordinaire jusqu’au 15 août… Tous les vecteurs de la liberté d’opinion et de la liberté d’expression ne sont bien entendu pas cités nommément dans cette déclaration universelle, mais celle-ci garantit de tels droits. C’est de l’obstruction parlementaire ! (Sourires) De même, le Conseil constitutionnel a constamment déduit la protection de la vie privée du principe de liberté qui la garantit dans notre Constitution.
En commission, nous avons décidé, nous y reviendrons, d’inscrire la protection des données personnelles à l’article 34 de la Constitution, qui définit ce qui relève du domaine de loi. À ce stade, cela nous paraît un complément utile et pertinent, sans être une extension précipitée à travers une charte insuffisamment discutée dans la société.
Sur la base de ces arguments, je vous suggère de retirer vos amendements.
C’est par là qu’il aurait fallu commencer ! À défaut, avis défavorable de la commission. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Quel est l’avis du Gouvernement ? Vous proposez différents amendements pour instituer une charte des droits numériques. D’emblée, je tiens à saluer les travaux réalisés en ce sens parce qu’ils ont le mérite de poser une question essentielle. Ce sujet renvoie à des enjeux contemporains très déterminants – nous en avons d’ailleurs longuement débattu, en particulier avec Paula Forteza, lors de l’examen de la loi sur la protection des données personnelles.
Ces enjeux sont tels qu’il faut être d’une extrême prudence, parce que nous touchons à des questions qui concernent les droits fondamentaux – parce que c’est en quelque sorte notre avenir économique, social, sociétal qui se joue.
Il faut être conscients, comme l’a dit M. le rapporteur général, que nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure d’évaluer parfaitement les conséquences qu’entraînerait l’introduction dans la Constitution de principes relatifs aux droits numériques. Or, on ne révise pas la Constitution sans évaluer précisément les conséquences d’une telle révision. Je crois que c’est encore plus vrai sur des sujets touchant les droits fondamentaux.
Créer de tels principes – qui sont tout à fait importants, compte tenu de ce que j’ai lu dans les différentes chartes proposées – sans que nous puissions en mesurer la portée avec précision c’est, même si je ne devrais peut-être pas le dire ainsi eu égard à l’ensemble de vos parcours, donner un pouvoir d’appréciation total aux juges et aux experts.
Je constate que les principes énoncés dans ces chartes ont fait l’objet de travaux divers mais je me pose un certain nombre de questions : ont-ils été suffisamment débattus dans notre société, voire en commission ? Chacun d’entre eux ne mérite-t-il pas des exceptions ? Ont-elles été toutes envisagées, dans quelle mesure, dans quelles limites ?
C’est important à relever : je constate que les six amendements visant à rédiger une charte ne sont pas identiques,…
Quelle mauvaise foi ! …ce qui témoigne clairement qu’il est aujourd’hui difficile de s’accorder spontanément sur les différents principes que l’on voudrait mettre en œuvre.
Par ailleurs, le renvoi à une charte soulève également des questions de principe. Doit-on multiplier les chartes adossées à notre Constitution ? Personnellement, je n’en suis pas totalement convaincue. Il me semble que ce démembrement de la Constitution n’est pas nécessairement souhaitable.
Enfin, et c’est le dernier point : intituler cette charte, comme le proposent certains dont, je crois, Mme Batho, « Charte 2018 », c’est prendre le risque de figer historiquement des principes qui, en raison de leur objet, seront amenés assez rapidement à évoluer, ce qui est encore plus vrai dans le domaine du numérique qu’ailleurs.
C’est pourquoi le Gouvernement n’est pas favorable à ces amendements. En revanche, comme nous l’avons fait lors du débat relatif au règlement général de protection des données – RGPD – nous avons introduit des protections importantes. Le Gouvernement sera donc favorable à un amendement consacrant la protection des données personnelles à l’article 34 de la Constitution.
J’ai reçu de nombreuses demandes d’intervention en réponse à la commission et au Gouvernement. Je donnerai la parole à un orateur ou à une oratrice par groupe. En revanche, je rappelle à ceux qui demandent une explication de vote qu’il n’y en pas sur les amendements, même lorsqu’ils font l’objet d’un scrutin public.
Je donne d’abord la parole à ceux qui ont défendu des amendements. Madame Batho, vous avez la parole.
Je regrette les réponses qui ont été faites alors que lundi, à Versailles, le Président de la République a expliqué qu’il importe désormais de construire la France et l’État providence du XXIe siècle.
Contrairement à ce qu’a dit M. le rapporteur général, aujourd’hui, les droits des citoyens ne sont absolument pas garantis dans le cyberespace, même par le RGPD, puisque pour pouvoir bénéficier d’une application, il faut cocher la case d’acceptation des conditions générales.
Le président de la République française a tout de même été espionné par la NSA sans que l’on considère qu’il s’agissait là d’une atteinte scandaleuse à la souveraineté nationale ! Des entreprises mettent en place des systèmes informatique et des algorithmes et sont massivement pillées ! La valeur de l’économie française est en train d’être siphonnée !
Il est effectivement possible d’objecter que le texte de la Charte doit être encore travaillé, mais, oui, il faut faire quelque chose ! Oui, cette révision constitutionnelle est une occasion qui devrait être consensuelle !
La solution de passer par l’article 34 – et j’ai moi-même d’autres propositions à faire sur cet article – n’est pas satisfaisante, car la question ne se limite pas à la protection des données personnelles. Il s’agit en réalité de dire une chose très simple : tout ce qui est dans la Constitution française, tout ce qui relève de la souveraineté populaire et de la démocratie s’applique aux données de nos citoyens et de nos entreprises dans le cyberespace. C’est aussi simple que ça !
Peut-être peut-on le formuler autrement qu’au travers d’une charte, mais le principe en lui-même est extrêmement simple : il s’agit de dire qu’aucune puissance étrangère, qu’aucune plateforme ne peut faire fi de la souveraineté démocratique du peuple.
(Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR.) La parole est à M. Bastien Lachaud. Monsieur le rapporteur général, madame la ministre, franchement, vos arguments sont un peu faibles et ne nous ont pas convaincus. Vous nous dites qu’il faut débattre davantage, qu’il faut consulter le peuple… Mais vous refusez vous-même de consulter le peuple lorsqu’il s’agit de réformer ce qui, dans la Constitution, relève des droits du Parlement ! D’après vous, nous sommes des constituants et nous sommes capables de le faire tout seuls. Mais alors, si nous sommes capables de réformer les pouvoirs du Parlement tout seuls, pourquoi ne pourrions-nous pas donner de nouveaux droits aux citoyens tout seuls ? Je ne vous comprends pas. Excellent ! Vous nous dites, madame la ministre, qu’inscrire « 2018 » dans ce texte, c’est figer une date, figer ces principes dans l’histoire. Dans ce cas-là, vous accepterez sans doute que nous modifiions la Charte de l’environnement, pour éviter qu’elle ne se fige, elle aussi ! Je vous attends aussi sur ce point.
Enfin, vous nous dites que le problème sera réglé si nous inscrivons la protection des données personnelles à l’article 34. Mais enfin, nous sommes à l’époque de l’intelligence artificielle et des algorithmes ! Ces éléments doivent être traités ! Quelques mois après le scandale de Cambridge Analytica, qui a fait apparaître des fraudes électorales en Grande-Bretagne et aux États-Unis, alors que des commissions d’enquête se multiplient et alors que nous attendons que la majorité de cette assemblée valide notre demande d’ouvrir une commission d’enquête sur ce scandale pour que nous puissions en tirer les conséquences, y compris dans la Constitution, vous ne pouvez pas ne rien faire !
Sur les questions économiques, enfin, et Mme Delphine Batho l’a dit, on sait que l’entreprise Alstom a été condamnée par la justice américaine à la suite des fuites et des écoutes de la NSA, parce que plusieurs milliers de mails ont été versés au dossier, qui n’ont pu être obtenus que par les écoutes de la NSA. Quand allez-vous défendre la souveraineté du peuple ? Quand allez-vous défendre la souveraineté de nos entreprises et de notre nation ?
Merci de conclure... Quand allez-vous enfin inscrire des droits numériques dans la Constitution ? (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Philippe Gosselin. Ces amendements posent une vraie question. Nous sommes effectivement à l’ère du numérique. Le préambule de la Constitution de 1946 énonçait des principes particulièrement nécessaires au temps d’alors. Le temps d’aujourd’hui, c’est l’intelligence artificielle, c’est le numérique, c’est ce monde qui va vite, et je crois effectivement qu’il serait bon de poser un certain nombre de principes sur toutes ces questions.
Je ne veux pas faire d’anachronismes. On parle des droits de l’homme de la première génération à propos des grands principes de liberté, d’égalité et de fraternité proclamés en 1789. La seconde génération, ce furent les grandes lois de la IIIe République. La troisième génération, ce furent les droits économiques et sociaux. Je ne vois pas de difficulté à ce que l’on inscrive enfin dans le dur les droits de la quatrième génération, en matière d’environnement, de bioéthique et de numérique notamment.
Ce sont de vrais sujets et je trouve que l’intérêt de ces amendements est de les mettre sur la table. Cela étant dit, en termes de méthodologie, nous demander de souscrire aujourd’hui à une charte dont on ne connaît pas le contenu est tout de même très délicat.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.) Il faudrait d’abord que nous nous mettions d’accord sur ce contenu.
Pour avoir échangé avec des collègues de différents bancs, je crois que nous partageons tous cette préoccupation. Nos concitoyens sont très attentifs à cette question et il convient de reconnaître les droits incontournables que sont l’accès au numérique ou la mort numérique, par exemple. La confidentialité, et même l’intimité numérique, sont des questions très importantes et derrière tout cela, c’est aussi la nécessité des cyperprotections qui se profile.
Bref, je répète que ce sujet est incontournable. Mais, à ce stade, puisque nous ne nous sommes pas mis d’accord sur le contenu précis de la charte, il serait plus prudent, si le Gouvernement s’engage à travailler sur cette question de façon précise, de retirer ces amendements, ou de les faire prospérer plus tard, dans le cadre de la discussion parlementaire.
Je note enfin qu’inscrire des dispositions à l’article 34 ne correspond pas nécessairement à ce qui est demandé dans ces amendements. En effet, leur objet est de fixer un certain nombre de grands principes tandis que l’article 34 est un simple répartiteur, pas un fixateur de droits fondamentaux. Il me semble que ce sont deux choses de nature différente.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel. Je crois que nous nous accordons tous à dire qu’une Constitution se doit d’être en phase avec son temps. Il est d’ailleurs apparu nécessaire de l’actualiser par le passé, notamment en 1946, pour que nos droits soient adaptés à l’époque, même si la Déclaration de 1789 était déjà de très grande qualité.
Qui peut nier qu’internet a bouleversé l’exercice de nos droits ? La reconnaissance constitutionnelle des droits numériques est donc devenue nécessaire, pour que la loi fondamentale résonne avec notre temps. Vous dites qu’il aurait fallu faire une évaluation et une étude d’impact. Pourquoi ne l’a-t-on pas lancée en même temps que les débats qui ont préparé ce texte ? Je rappelle que la charte des droits de l’Union européenne, qui date de 2000, comporte un chapitre sur le numérique. Le sujet est donc mûr aujourd’hui et il mérite d’être traité. S’il faut des éléments supplémentaires, mettons-nous au travail !
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde. Comme l’ont dit plusieurs intervenants, c’est évidemment une problématique de notre temps, même si je ne suis pas sûr qu’elle soit totalement maîtrisée à ce stade, et elle aura nécessairement des conséquences sur notre droit. Pour l’heure, il me semble en tout cas évident que nous ne pouvons pas intégrer dans le bloc de constitutionnalité un texte que nous ne connaissons pas dans son intégralité.
Deuxièmement, lorsqu’on veut intégrer quelque chose dans le bloc de constitutionnalité, le rapporteur général l’a dit, ce doit être au terme d’un débat au sein de notre assemblée et au Sénat, comme nous l’avons fait pour la Charte de l’environnement. On ne peut pas faire cela incidemment. Libre au Gouvernement, au groupe majoritaire ou à n’importe quel autre groupe de lancer ce débat. Mais, si nous voulons intégrer une charte du numérique dans le bloc de constitutionnalité, il convient de la discuter au Parlement, article après article, et en tant qu’élément du bloc de constitutionnalité. C’est, à nos yeux, l’argument le plus important : on n’intègre pas quelque chose dans le bloc de constitutionnalité de façon incidente.
Troisièmement, tout ne peut pas être constitutionnalisé. Parmi les principes qui figurent dans la charte en question, certains pourraient être constitutionnalisés, alors que d’autres relèvent du domaine de la loi ordinaire. Tout à l’heure, notre rapporteur général a dit justement que, lorsqu’on a consacré la liberté d’expression en 1789, on n’a pas écrit la loi de 1881. En effet, la liberté d’expression englobe la liberté de la presse, mais elle va au-delà.
Nous voterons donc contre ces amendements, non pas parce que nous sommes opposés au principe d’intégrer ces éléments au bloc de constitutionnalité, mais parce qu’il faut un texte plus court et plus fluide, qui soit réellement de nature constitutionnelle et qui se décline ensuite dans des lois ordinaires qu’il sera beaucoup plus facile de modifier au gré des évolutions technologiques que nous ne pouvons pas anticiper à l’instant
t . (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir.) Très bien ! La parole est à Mme Paula Forteza. Je voudrais rappeler le contexte de ces travaux. Cela fait un an que nous travaillons sur ce sujet, avec Cécile Untermaier et des sénateurs et des députés de tous bords. Nous avons étudié l’impact de ces dispositions. Nous avons choisi un noyau dur de droits, qui ont déjà été beaucoup discutés dans l’opinion publique, qui sont déjà traités par le droit national et européen et qui font l’objet d’une jurisprudence stable. L’idée serait de les consacrer pour pouvoir les protéger dans la durée. Nous n’inventons rien de nouveau.
Nous pourrons mettre ces éléments à votre disposition, pour continuer à travailler dessus. Il serait intéressant que nous puissions, au cours de la navette, retravailler ces textes, ces différentes chartes, qui sont du reste connues – vous pouvez en lire le texte.
Vous retirez votre amendement ? Non, je ne vais pas le retirer ! Je veux dire que je suis d’accord avec le Gouvernement et le groupe majoritaire, dont j’apprécie l’ouverture, pour traiter cette question à l’article 34. C’est un bon début, même si ce n’est pas suffisant. La protection des données personnelles n’est pas le seul principe que nous devons défendre, et j’espère que nos débats nous permettront d’avancer sur ces questions. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Elsa Faucillon. Nous révisons aujourd’hui la Constitution, car le Gouvernement en a décidé ainsi. Même si nous nous battrons pour qu’une révision d’ampleur de la Constitution ait lieu, je ne suis pas sûre qu’une nouvelle se produira dans les six mois – ou alors cela signifiera que vous aurez raté votre coup !
Il faut donc que nous profitions de l’occasion pour aborder l’enjeu majeur que constitue la question de l’accès au numérique, laquelle est d’ailleurs très liée à celle de l’accès aux droits. Aujourd’hui, on voit bien qu’il existe une fracture à ce niveau-là. On voit à quel point les services publics et l’accès aux droits sont liés à la question de l’accès au numérique. Or le compte n’y est pas.
Ne faisons pas semblant sur la méthode. Ne faisons pas comme si ce débat n’avait pas été ouvert il y a des mois, et même des années. Ne faisons pas comme si les députés n’avaient pas fait de propositions. Des amendements ont été déposés, qui proposent des projets de chartes : vous pouvez donc vous y référer et regarder si elles vous conviennent ou non.
C’est vrai ! Ne faisons pas un discours sur la méthode qui ne correspond pas à la réalité !
De plus, cela fait un an que Mme Paula Forteza et Mme Cécile Untermaier travaillent avec les collectifs citoyens. Et elles l’ont fait à votre initiative, monsieur de Rugy ! Il est donc faux de dire qu’on ne travaille sur ces questions que depuis un mois et qu’il faut remettre l’ouvrage sur le métier ! C’est faux !
Si vous êtes d’accord pour dire qu’il faut inscrire dans la Constitution une charte du numérique parce qu’il s’agit d’un sujet de société majeur, alors prononcez-vous sur le travail qui a été fait !
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) La parole est à M. Sacha Houlié. La parole officielle ! Comme cela a été dit, un travail a été entamé il y a un an sur les droits du numérique. Mais les droits, lorsqu’ils sont fondamentaux et qu’ils font l’objet d’une charte, sont d’abord reconnus internationalement. Ils sont ensuite reconnus par les plus hautes autorités de l’État – et ce fut la phrase « Notre maison brûle » de Jacques Chirac, en 2002. Mais même après cette reconnaissance par les chefs d’État, il faut encore plusieurs années pour les voir traduits dans la Constitution.
Or cette gestation ne me semble pas achevée, pour plusieurs raisons.
Premièrement, la neutralité du net, que nous entendons consacrer dans une charte, empêche les autorités, et notamment le législateur, d’exercer leur pouvoir de régulation. En effet, le législateur est le protecteur des libertés fondamentales. Or poser un verrou constitutionnel sur de tels droits reviendrait finalement à nous départir de la défense de ces libertés, au profit du juge.
(Exclamations sur les bancs du groupe FI.) N’importe quoi ! C’est donc parce que je n’entends pas affaiblir le Parlement que je ne veux pas traduire dans la Constitution immédiatement, ou de cette façon, la charte que vous nous proposez.
Par ailleurs, cette question est éminemment européenne, d’abord parce que c’est à l’échelle européenne que nous pourrons imposer aux GAFA de payer leurs impôts en France et en Europe, ensuite pour des raisons que le RGPD nous a démontrées très récemment, et enfin parce que c’est la seule façon, la seule puissance, la seule souveraineté qui nous permettra de réguler les acteurs du numérique.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Il n’y a pas de souveraineté européenne ! La parole est à M. Philippe Gosselin, pour un rappel au règlement. J’aimerais faire un petit rappel au règlement, monsieur le président, sur le fondement de l’article 58, alinéa 1 de notre règlement.
Serait-il possible, monsieur le président, que nous retrouvions le chronomètre ? Pas pour empêcher le débat, mais pour aider chacun à mieux calibrer son temps de parole. Je rappelle simplement qu’il n’y a pas loin de 2 500 amendements et que nous allons siéger des jours et des nuits. Je crois que chacun aura réellement le temps de s’exprimer. Avec ce petit outil, vous pourriez être non seulement le président de cette assemblée, mais peut-être aussi vous prendre pour Chronos, qui sait ? Pas Icare, non, certains s’y sont brûlé les ailes, mais Chronos, cela nous rendrait service collectivement !
(Applaudissements sur les bancs des groupes LR et FI et quelques bancs du groupe LaREM.) Je n’ai pas tendance à me prendre pour un dieu, mais en l’occurrence, je tiens le chronomètre et je suis bien le maître des horloges dans nos débats. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Un peu de calme, monsieur Gosselin, je ne fais que répondre à votre question ! Vous parlez de retrouver le chronomètre, mais il n’y en a jamais eu pour ce qui est des défenses d’amendements ou des réponses à la commission ou au Gouvernement. Nous pourrons, bien sûr, réfléchir à en étendre encore l’usage mais croyez bien qu’en l’espèce, les deux minutes sont plutôt largement dépassées (« Justement ! » sur les bancs du groupe LR), par les uns et les autres, et que je n’ai pas tendance à couper la parole dans ces nombreuses interventions. Nous allons à présent passer aux votes. Plusieurs scrutins publics ont été demandés.
(L’amendement no 1613 n’est pas adopté.) La parole est à M. Marc Fesneau, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. D’abord, six amendements sont en discussion commune, mais ils ne sont pas communs, alors que leurs auteurs étaient membres du groupe de travail de l’Assemblée nationale. Apparemment, leur travail n’a pas encore débouché sur un texte commun. Il n’y a que la date qui change ! Vous êtes de mauvaise foi ! Ensuite, ce groupe de travail devait collaborer avec le Sénat. Or, je ne crois pas qu’il ait participé à la version proposée, ou pas à toutes. Cela pose la question de la méthode.
Par ailleurs, je me souviens bien qu’en commission, nous avions décidé, avec Mmes Untermaier et Forteza, d’avancer sur l’article 34. Je reconnais, monsieur Gosselin, que nous ne sommes peut-être pas allés assez loin, mais c’était une première étape. Je ne suis pas certain que la révision constitutionnelle aura abouti dans trois mois, aussi verrons-nous si d’autres étapes peuvent être franchies.
Enfin, prenons garde à l’obsolescence programmée des chartes, qu’il est particulièrement difficile, ensuite, de modifier. Voyez la Charte de l’environnement : ceux qui l’ont rédigée, et qui ont pris le temps qu’il fallait pour cela, en 2003 et 2004, n’avaient pas pensé à y faire figurer le climat !
Il y a nécessité à travailler sur ce sujet, nous partageons tous cette opinion, mais attention à ne pas se précipiter pour écrire des chartes parfois trop dans le détail.
(Exclamations sur les bancs du groupe FI.) Il n’y a pas de précipitation ! Se précipiter, ça ne veut pas dire qu’on travaille mal, monsieur Coquerel, mais peut-être qu’on arrive un peu tôt. À se jeter dans les détails plutôt qu’en rester aux grands principes, on prend le risque de devoir modifier en permanence les chartes. Je le répète, le climat ne figurait pas dans la Charte de l’environnement de 2004. C’est dire si les chosesvont vite et s’il faut écrire avec prudence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM et quelques bancs du groupe LaREM.) Je mets aux voix les amendements identiques nos 907 et 1109.
(Il est procédé au scrutin.)
(Les amendements identiques nos 907 et 1109 ne sont pas adoptés.) Je mets aux voix les amendements identiques nos 1402, 1526 et 2149.
(Il est procédé au scrutin.)
(Les amendements identiques nos 1402, 1526 et 2149 ne sont pas adoptés.) Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 1614, 1110, 2169, 2343, 1403 et 1529, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Delphine Batho, pour soutenir l’amendement no 1614.
Il me semblait que tous les amendements ayant trait à la charte étaient tombés, monsieur le président, mais peut-être était-ce une erreur. Ils seraient tombés si les précédents avaient été adoptés, mais ce n’est pas le cas. Nous poursuivons l’examen des amendements, qui étaient présentés par morceaux. Les morceaux précédents ont été rejetés. Si vous en tirez la conséquence que votre amendement doit être retiré, vous pouvez le faire. Nous avons eu la même discussion en commission et ces amendements étaient tombés, monsieur le président. Mais il arrive que la règle soit différente en commission des lois et en séance publique.
Cet amendement est défendu. On y lit la charte des droits numériques. La version que nous vous proposons est différente de celle présentée par d’autres collègues, mais l’esprit est le même.
La parole est à Mme Danièle Obono, pour soutenir l’amendement no 1110. Il me permet de répondre à l’argument selon lequel le contenu de la charte ne serait pas connu. Cet amendement expose en effet ce contenu. Cette rédaction ne tombe pas du ciel et ne s’est pas faite dans la précipitation. Elle est le fruit d’un travail mené depuis un an dans notre institution, mais aussi des études conduites dans la société civile par nombre de chercheurs.
Nous devons nous adapter aux avancées qui ont été réalisées en ce domaine, tout en veillant au respect de la Constitution. Celle-ci a été révisée pas moins de vingt-quatre fois, soit tous les deux ans et demi environ. Si vous rejetez nos amendements, vous devrez à nouveau réviser la Constitution au cours de ce mandat, ce qui porte atteinte à la stabilité de ce texte.
Sur le fond, même si nous avons affaire à un domaine en perpétuelle évolution, certains principes relatifs aux droits et libertés numériques sont stables, et nous pourrions les inscrire dès aujourd’hui dans la Constitution, sans que cela nous empêche de les élargir ensuite.
Soit on prend en compte les années de recherche réalisées sur ce sujet, soit on se laisse influencer, comme semble l’être la majorité
(« Oh ! » sur les bancs du groupe LaREM) , par les lobbies des GAFAM – Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft – qui ne veulent surtout pas de ces droits et libertés. C’est pourquoi nous proposons d’inscrire dans la Constitution les principes de cette charte, et il n’y a aucun argument de fond ni de forme pour s’y opposer. Sur les amendements nos 1110 et 2169, je suis saisi par le groupe La France insoumise d’une demande de scrutin public.
Sur l’amendement no 2343, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Ces scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Paula Forteza, pour soutenir l’amendement no 2169.
La neutralité du net est aujourd’hui un principe de l’État de droit en France et en Europe. Cela n’a pas empêché le législateur de prendre des m