XVe législature
Session ordinaire de 2017-2018
Séance du lundi 16 avril 2018
- Présidence de Mme Carole Bureau-Bonnard
- 1. Immigration maîtrisée, droit d’asile effectif et intégration réussie
- Présentation
- Présentation (suite)
- Mme Élise Fajgeles, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Mme Marielle de Sarnez, rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères
- Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales
- Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Mme Annie Chapelier
- Mme Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes
- Motion de rejet préalable
- Motion de renvoi en commission
- Discussion générale
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
2e séance
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (nos 714, 857, 815 et 821).
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Madame la présidente, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, votre commission des lois a eu raison d’amender le titre de ce projet de loi afin d’en décrire plus précisément le contenu. Ce texte vise en effet trois principaux objectifs : une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif, une intégration réussie. Ces trois termes doivent être complémentaires pour construire dans l’avenir une société plus harmonieuse, une société apaisée.
Une immigration maîtrisée, d’abord. L’Europe vient de connaître une crise migratoire comme elle n’en n’avait plus vécu depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : alors qu’en 2010 le nombre de migrants était de 103 000, il a bondi à 291 000 en 2014 pour dépasser 1,8 million en 2015. Cette crise, nous le savons, a bousculé nos structures de protection, a contribué à faire monter les craintes,… Vous les entretenez, les craintes ! …et a fait basculer un grand nombre des pays de notre continent dans un populisme agressif et xénophobe.
Il n’est que de regarder les résultats des dernières élections : en Allemagne, le Bundestag compte désormais 92 députés d’extrême-droite ; en Autriche, le FPÖ a obtenu près d’un tiers des sièges, devenant ainsi un partenaire incontournable de la coalition au pouvoir ; en Italie, le Mouvement 5 étoiles arrive en tête avec 32 % des voix, et la Ligue du Nord, avec 17 % de suffrages, dépasse Forza Italia. Et en France, nous avons droit à Emmanuel Macron ! Et que dire des dernières élections en Hongrie, où le parti de Viktor Orban vient d’obtenir les deux tiers des sièges… Cela n’a aucun rapport avec l’asile, monsieur le ministre ! …suivi par Jobbik, un mouvement qui développe des thèses plus xénophobes et plus ultranationalistes encore. C’est l’original et la copie ! D’une certaine manière, l’élection d’Emmanuel Macron s’est inscrite à contre-courant. Pourtant, la France se trouve confrontée au même phénomène migratoire – même si c’est avec un temps de retard par rapport au reste de l’Europe. Qui sème la guerre récolte des demandeurs d’asile ! En 2017, avec des arrivées qui se sont réduites de moitié, l’Europe semble avoir franchi le pic migratoire. C’est là, on le sait, le résultat des accords passés avec la Turquie, qui ont permis une très nette réduction des flux vers la Grèce ou les Balkans. C’est là le résultat d’une diminution très forte – de l’ordre de 34 % – des arrivées en Italie depuis la Libye, tendance qui se poursuit sur les premiers mois de 2018. En Méditerranée occidentale seulement – Maroc, Espagne – le nombre de personnes franchissant les frontières augmente : en deux ans, on est en effet passé de 7 000 à 23 000 entrées irrégulières.
Mais alors que la demande d’asile diminue en Europe, elle continue à croître en France. En 2010, on comptait 52 000 demandes d’asile dans notre pays. L’an dernier, nous avons atteint 100 000 demandes, après trois années consécutives d’augmentation : 29 % de plus en 2015, 6 % de plus en 2016, et 17 % de plus en 2017. Résultat : malgré une augmentation continue des places disponibles au sein de notre dispositif national d’accueil, dont le nombre est passé de 44 000 en 2012 à 80 000 aujourd’hui, celui-ci ne peut héberger qu’à peine 60 % des demandeurs. Il faut créer des places ! D’où un transfert vers le système d’hébergement d’urgence qui, bien qu’il ait connu lui-même une montée en puissance – le nombre de places est passé de 62 000 en 2012 à 138 000 en 2017, dont 42 000 chambres d’hôtel –, est lui aussi saturé. Et encore, je ne mentionne même pas le plan grand froid, qui nous a permis d’atteindre 150 000 places – ce qui n’a pas empêché une multiplication de campements sauvages dans les rues de nos agglomérations. Eh oui ! Mesdames et messieurs les députés, quelle que soit la sensibilité des uns et des autres sur le sujet que nous abordons ce soir, nous devrions nous accorder sur le constat qu’on ne saurait continuer très longtemps dans cette voie, qui est à la fois indigne des traditions d’accueil de la France,… Ça, c’est sûr ! C’est pour cela que vous les aggravez ? …et de plus en plus difficile à vivre pour un certain nombre de nos concitoyens. Non ! Il est urgent de réagir à cette situation qui se dégrade d’année en année. Pour ce faire, c’est d’abord en amont qu’il convient de porter l’effort : c’est à cette condition que nous pourrons continuer à accorder l’asile dans des conditions dignes à celles et ceux qui ont besoin de protection.
Le Président de la République et le Gouvernement ne se situent pas dans une autre voie lorsqu’ils mènent une action forte sur le plan international. Bien au contraire : ils aggravent la situation ! Au Levant, il s’agit d’éviter que des populations soient à nouveau poussées à l’exode comme au moment où l’État islamique tentait d’instaurer le califat. C’est aussi le sens des décisions adoptées par le Gouvernement pour que des civils ne soient pas pris pour cible. En Libye, nous œuvrons avec le délégué général des Nations unies pour que se reconstitue, là aussi, un État capable de mettre fin aux agissements des réseaux qui ont fait des migrants de simples marchandises. Nous avons vu ces scènes insupportables, où des femmes et des hommes sont battus, torturés, violés, parfois réduits en esclavage. Donnez-leur l’asile ! Et la responsabilité de la France là-dedans ? (Protestations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Eh oui ! C’est bien la France qui a bombardé la Libye ! En Afrique subsaharienne, c’est la même volonté qui guide la France. Là aussi, si nous luttons pour rétablir les conditions de la sécurité, c’est pour permettre que s’établissent les conditions du développement économique, sans lequel rien n’est possible.
Oui, c’est en amont que beaucoup se joue. Comme l’a dit avec force le Président de la République à Ouagadougou, en s’adressant à la jeunesse africaine : « C’est à vous qu’il appartient de construire votre avenir sur votre continent, plutôt que de vous laisser duper par les chimères de passeurs qui n’ont qu’un but : s’enrichir, et qui chaque jour, sans scrupules, conduisent nombre d’entre vous à la mort, dans le désert, dans les camps, ou en Méditerranée. »
Le premier devoir de l’Europe est donc d’aider l’Afrique à construire son propre avenir économique. Pour cela, il faudrait une vraie politique d’aide au développement ! Et l’on sait combien grandes sont les potentialités de ce continent. Il faut aider à construire la rive sud de la Méditerranée.
Il faut aussi que l’Europe sache trouver des solutions communes en matière d’asile et d’immigration, et cela passe par des législations de plus en plus convergentes. C’est ce qu’elle a commencé à faire – mais encore trop peu – en tentant de mettre en place un régime d’asile européen commun. Et c’est à quoi entend contribuer la France avec ce projet de loi, dont la plupart des dispositions tendent à nous rapprocher du droit et des pratiques en vigueur chez nos partenaires les plus proches.
Le premier objectif, vous le connaissez, est de raccourcir les délais d’instruction du droit d’asile, à six mois en moyenne. Cela permettra non seulement de gagner en efficacité, mais aussi – je le dis – en humanité. En effet, ce qui crée des situations inextricables, insupportables sur le plan humain, c’est notre incapacité à trancher dans des délais raisonnables. Ça, c’est sûr ! Il y a des familles qui sont depuis quinze ans à l’hôtel : qui peut se dire satisfait d’une telle situation, qui peut penser que des enfants peuvent grandir, se former dans de telles conditions ? Votre texte ne réglera pas ces questions ! Quand une personne qui a fui les théâtres de guerre doit attendre parfois plus de deux ans dans la précarité, avant de savoir si elle pourra construire ici sa vie, qui peut prétendre que la France est à la hauteur de ses valeurs ?
Décider en six mois en moyenne, c’est donc offrir les possibilités d’une insertion rapide dans la société à ceux qui obtiendront l’asile. C’est aussi donner à ceux qui en seront déboutés les conditions d’un retour digne au pays. Car en six mois, ils n’auront pas perdu les liens avec leur famille, leurs repères, leurs amis ; nos politiques de retour doivent d’ailleurs viser à leur permettre de se construire une nouvelle vie. À condition qu’ils rentrent chez eux très rapidement ! Ramener, comme nous le souhaitons, le délai de décision à six mois, suppose la mise en place d’un certain nombre de mesures opérationnelles. Nous les avons prises, ou nous sommes en train de les prendre. Il s’agit d’abord de l’augmentation des moyens humains : vous avez voté, pour 2018, la création de 150 postes équivalents temps plein – ETP – dans les services étrangers des préfectures, de 15 ETP à l’OFII, de 15 ETP à l’OFPRA, de 51 à la CNDA. Ces effectifs nouveaux nous permettront d’accélérer les procédures. 15 personnes en plus à l’OFII, c’est cela qui va changer la donne ? Du reste, nous sommes déjà en train de le faire. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner devant votre commission des lois, alors que la durée moyenne d’instruction d’une demande d’asile était de quatorze mois fin 2016, elle n’est aujourd’hui plus que de onze mois. Quant au délai de premier accueil, il s’est considérablement réduit : il est passé de vingt-et-un jours il y a un an à treize jours aujourd’hui, et nous sommes même à moins de trois jours dans certaines régions.
Au-delà des moyens humains à mettre en place, il y a des changements organisationnels à opérer. C’est l’objet, par exemple, des centres d’accueil et d’examen des situations, qui permettent à la fois d’accueillir et de procéder à une première évaluation administrative.
Madame la rapporteure, vous avez souhaité que l’existence de ces centres soit désormais inscrite dans la loi. Eh bien, dès la fin de cette année, le Gouvernement aura créé un CAES dans chacune des treize grandes régions de notre pays.
Pour raccourcir les délais, il était nécessaire, enfin, conformément au souhait du Président de la République, de repenser un certain nombre de nos procédures. C’est ce que permettra cette loi, en facilitant la convocation par l’OFPRA et en rendant opposable la langue déclarée en préfecture, en autorisant la notification de l’OFPRA par tout moyen, en faisant passer le délai de recours devant la CNDA d’un mois à quinze jours, avec une décision qui produira ses effets… Quels effets ? …dès sa lecture et non plus à sa seule notification, et en développant, à tous les stades, le recours aux vidéo-audiences. Tous les avocats sont contre ! Vous êtes seul, monsieur le ministre ! Dernier point, le caractère suspensif du recours devant la CNDA sera aménagé dans trois cas bien précis : pays d’origine sûr, deuxième décision de rejet de l’OFPRA, demandeurs qui représentent une menace grave pour l’ordre public.
Nous voulons réduire les délais. Encore convient-il que les décisions prises puissent être exécutées, ce qui n’est pas le cas le plus général aujourd’hui : en 2017, 85 000 obligations de quitter le territoire français ont été prononcées, mais seulement 15 000 éloignements ont été réalisés. Il y a des Justes en France ! Cette situation n’est bonne pour personne, et d’abord pas pour celles et ceux qui, restés en France, sont condamnés à vivre dans une semi-clandestinité. C’est pourquoi nous prenons, avec cette loi, un certain nombre de mesures visant à rendre effectives les OQTF prononcées.
En ce début de débat, mesdames et messieurs les députés, je ne veux rien passer sous silence. Deux points ont fait l’objet de discussions entre nous, sur lesquels nous sommes arrivés à un équilibre en commission des lois :… C’est qui, « nous » ? …d’abord, l’allongement de la durée de la rétention ; ensuite, le fait que l’on puisse placer en CRA un certain nombre de familles. J’aurai l’occasion de m’exprimer plus largement sur ces sujets lors de l’examen des articles, mais je veux apporter dès maintenant quelques éléments d’explication.
Pour ce qui est de la période de placement en CRA, dont l’allongement est prévu par la loi, la commission a proposé qu’elle soit fixée à 90 jours, avec un séquençage renforçant la capacité du juge des libertés et de la détention à se prononcer à différents temps de la procédure. J’ai accepté cette proposition. Pas nous ! Et je veux simplement rappeler, à ceux qui trouveraient cette durée de 90 jours encore trop longue, que la directive « retour » prévoit une durée pouvant aller jusqu’à 180 jours, voire, dans certains cas particuliers, jusqu’à dix-huit mois, et que c’est là la durée prévue par la plupart des pays européens voisins. On surtranspose encore ! Ils ont inscrit cette durée dans leur législation parce que c’est cette disposition qui facilite, pour l’administration, l’obtention des laissez-passer consulaires nécessaires à la mise en œuvre des procédures d’éloignement. Or notre administration est précisément en train de travailler sur ce point.
J’ai participé, il y a quelques semaines à Niamey, à une réunion des ministres de l’intérieur qui, pour la première fois, nous réunissait dans une même volonté de combattre les migrations irrégulières et les trafics des passeurs – Europol en a repéré 65 000 en 2018 ; nous avons donc affaire non pas à des traversées individuelles sans aucun concours mafieux, mais à un vaste système de criminalité organisée à l’échelle de la planète ! Nous étions donc ensemble, pays d’origine, pays de transit et pays de destination, avec la même volonté de combattre ces trafiquants et de faire en sorte que l’on revienne à des procédures régulières. J’ai abordé ces sujets avec mes homologues. Ils sont disposés à agir ; nous devons donc l’être aussi.
Le deuxième point, dont je comprends qu’il soit sensible… Sensible ? Nous sommes tous d’accord pour dire que le placement des enfants en rétention est indigne ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) C’est vous qui l’avez permise en 2016 ! Il faut en parler à Mayotte ! …et sur lequel nous avons longuement débattu en commission des lois, avec tous les députés qui le souhaitaient, est celui du placement des familles en rétention. Il faut bien voir que cette mesure est d’abord destinée à régler les problèmes que nous pouvons avoir avec les pays européens récemment dispensés de l’obligation de visa. Pour les ressortissants de ces pays, il est aisé de venir dans un des États membres de l’Union européenne pour y demander l’asile avec leur famille. C’est ce que nous observons pour des pays tels que l’Albanie, première nationalité de demande d’asile en 2017,… Ce n’est pas un pays en guerre ! …ou, plus récemment, la Géorgie. Ces demandes d’asile, qui embolisent nos dispositifs d’accueil, ont peu de chances d’aboutir. Pourtant, l’éloignement de ces personnes s’avère difficile, précisément en raison du fait qu’elles sont accompagnées de leur famille, d’où le problème de la présence de ces familles en CRA.
Je sais que cette situation pose un problème à un certain nombre de députés. J’y suis sensible et j’ai dit devant la commission des lois que nous veillerons à ce que ces familles restent le moins longtemps possible en CRA, sans pourtant que l’on puisse fixer de date butoir, puisque tout dépendra des conditions matérielles permettant leur éloignement.
Je me suis engagé par ailleurs à ce que nous investissions fortement dans l’amélioration des conditions d’accueil en CRA, en particulier par l’aménagement d’espaces visant à accueillir des familles. Cela restera des prisons ! Je sais que beaucoup d’entre vous se sont rendus dans des CRA et qu’ils ont vu… Ça, oui ! …que les conditions d’accueil actuelles étaient souvent indignes. Je tiens à dire que je soutiendrai et accompagnerai tous les travaux parlementaires que vous souhaiterez mener sur ce sujet, afin que nous progressions ensemble et apportions les réponses les plus satisfaisantes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Tout le monde n’applaudit pas chez vous ! La majorité est déjà fracturée ! Mesdames et messieurs les députés, c’est parce que nous aurons réalisé tout cela, que nous aurons mis en place les conditions d’une immigration maîtrisée, que nous pourrons être totalement fidèles à la tradition d’asile développée dès 1793 par les constituants… On aura tout entendu ! …et à l’engagement de la convention de Genève de garantir une protection à « toute personne […] craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race,… Il est scandaleux d’utiliser le mot « race » ! Il n’y a qu’une race : la race humaine ! …de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Eh bien, c’est ce à quoi tend ce texte, qui se veut, dans ses dispositions, particulièrement attentif à toutes les personnes vulnérables. Ben voyons ! C’est pourquoi il comprend une série de mesures destinées à mieux sécuriser le droit au séjour des personnes protégées à titre subsidiaire et des apatrides, à mieux protéger les femmes victimes de violences conjugales ou exposées à un risque d’excision,… Et les hommes ? …et à renforcer l’effectivité de la protection au titre de l’asile lorsque celle-ci est accordée à un mineur. Et je tiens à préciser que cette mesure ne vise évidemment pas la problématique, devenue si prégnante, des mineurs non accompagnés, pour laquelle une négociation est en cours entre l’Assemblée des départements de France et le Premier ministre. Il était temps ! Demain, la France accueillera, dans les conditions que je viens de préciser, parce que c’est son honneur, parce que, en agissant ainsi, elle sera fidèle à sa tradition humaniste.
Nous pensons aussi que nous devrons savoir attirer les compétences, comme sait le faire, par exemple, un pays comme le Canada. C’est pourquoi nous étendrons le « passeport talent » et faciliterons le séjour des étudiants et des chercheurs, notamment de ceux qui sont inscrits dans un programme de recherche multilatéral de type Erasmus. C’est pourquoi nous créerons une carte de séjour temporaire d’un an renouvelable un an pour les jeunes au pair. C’est pourquoi nous sécuriserons et procurerons les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire « visiteur », afin de permettre une meilleure mobilité à ceux qui y ont recours – ils sont plus de 7 000.
Nous améliorerons en outre les conditions de séjour dans notre pays des étrangers travaillant en Europe dans un groupe international ayant des établissements en France. Enfin, nous mettrons bien évidemment en œuvre, comme s’y était engagé le Premier ministre, les mesures préconisées dans le rapport du député Aurélien Taché, qui visent à une meilleure intégration de tous ceux que nous accueillons : doublement des heures de cours de langue, différenciation des modes d’apprentissage selon le niveau de connaissance, mesures d’insertion professionnelle, droit au travail au bout de six mois.
Telle est, mesdames et messieurs les députés, la teneur de notre projet, tel qu’il a été adopté par la commission des lois.
Il y a ce texte, mais, au-delà, il y a tout ce que nous devons réussir pour assurer à ceux qui ont vocation à s’installer dans notre pays les conditions d’une pleine réussite. Un de vos collègues, venu en France comme réfugié à l’époque des Boat People , me disait récemment : « accorder l’asile, ce n’est pas simplement prendre une responsabilité pour quelques mois ou quelques années, c’est savoir accompagner celui qu’on aura accueilli, lui accorder d’acquérir une formation, de trouver un travail, lui donner la possibilité de vivre dans un quartier, dans une cité harmonieuse,… N’y a-t-il pas assez de chômeurs en France ? …et non le laisser cantonné aux marges de notre société ; c’est lui donner la chance d’une rencontre heureuse avec la culture de la nation qui l’accueille,… Revenez sur Terre ! …c’est lui apprendre à en partager les valeurs, non dans le reniement de sa culture d’origine, mais dans un enrichissement réciproque, entre une culture passée et la culture d’un pays dans lequel on a choisi désormais de vivre. » (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mesdames et messieurs les députés, votre collègue a raison. Lequel ? Le texte que nous examinons est d’importance. Les problématiques que nous traitons sont complexes, sensibles, parce qu’elles nous touchent au plus profond de notre humanité. Ce texte est d’importance ! (Sourires sur les bancs du groupe LR.) Il faut donc les traiter avec beaucoup de retenue, mais il faut aussi savoir les incorporer dans une vision de notre société qui soit durable, de long terme, car c’est à la soutenabilité d’une politique que l’on peut juger de sa pertinence.
C’est pourquoi, sur ces questions plus que sur toute autre encore, il faut agir avec un grand sens de la responsabilité.
On a parfois critiqué cette loi. Non ? Parfois ? Toutes les associations l’ont critiquée ! Vous avez le sens de l’humour ! Mais si l’on veut changer une société, il faut d’abord avoir le courage de la regarder en face, avec ses failles, ses vulnérabilités, car c’est comme cela que l’on pourra aller de l’avant.
Parce qu’il a été cité à ma droite, au centre et à ma gauche, je me permettrai à mon tour de citer Jean Jaurès,… On vous retrouve bien là ! …qui, dans son célèbre Discours à la jeunesse, disait : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire. » Oui, il faut partir du réel pour aller à l’idéal. Laissez donc Jaurès tranquille ! Eh bien, si nous voulons que, dans dix ans, la France soit celle que nous souhaitons,… Parlez du quotidien, de la France actuelle ! …une France unie, solidaire, fraternelle, dans toute la diversité des composantes de la nation, alors oui, sachons partir des réalités,… Il faut arrêter ! …des réalités telles qu’elles sont, car c’est comme cela que nous pourrons construire ensemble une société meilleure. Quel bla-bla ! Un peu de respect, chers collègues ! Mesdames et messieurs les députés, c’est parce que j’ai confiance dans la capacité de notre pays à dépasser tous les problèmes, en particulier celui que nous évoquons aujourd’hui, c’est parce que j’ai confiance dans la capacité de notre pays à inventer un avenir digne de notre passé que je vous présente avec confiance ce texte, un texte travaillé avec la commission des lois, avec la commission des affaires étrangères, avec l’ensemble des députés qui l’ont voulu,… Sans écouter l’opposition ! …un texte qui permettra de dépasser les doutes, les craintes et d’unir pleinement dans l’avenir l’ensemble de la société française. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.) Quelle envolée ! La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour un rappel au règlement. Madame la présidente, ce rappel au règlement concerne le déroulement de notre séance. Sur le fondement de quel article ? Sur le fondement de l’article 58, alinéas 1 à 4, ça vous va ?
Le ministre d’État, ministre de l’intérieur, lorsqu’il parle à la tribune, s’adresse à la nation française, à toute la nation, et les moyens techniques permettent aujourd’hui à l’ensemble des Français de suivre son intervention comme celles qui lui succéderont.
La moindre de choses, quand on s’adresse aux Français, est de parler un vocabulaire qu’ils peuvent tous comprendre. (« Quel mépris ! » sur les bancs du groupe LaREM.) Si vous permettez, le ministre a parlé de CRA, OQTF, CAES, CADA, CNDA, OFPRA sans préciser à aucun moment de quoi il s’agit. Je suis désolé, mes chers collègues, mais les Français ne connaissent pas forcément la traduction de ces sigles. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.) Ce n’est pas un rappel au règlement ! Monsieur Lecoq, il ne s’agit pas d’un rappel au règlement, mais d’un commentaire de ce qui a été dit. Plus grave, madame la présidente, le ministre a fait référence à la « race ». Je rappelle à la représentation nationale, qui n’a peut-être pas l’histoire présente à l’esprit, comme au ministre, qui s’en souvient peut-être, que, le 16 mai 2013, une loi a été votée tendant à la suppression du mot « race » dans la législation française. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et NG.) Le mot « race » figure dans la convention de Genève ! Ainsi, monsieur le ministre d’État, vous ne respectez pas la législation française votée dans cet hémicycle. Vous n’avez pas à vous référer à ce terme, qui constitue une référence raciste. Cela a été dit dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) Le mot figure à l’article 1erde la Constitution ! La parole est à Mme Élise Fajgeles, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, ministre de l’intérieur, madame la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur, madame la présidente de la commission des lois, mes chers collègues, nous voilà réunis en séance publique pour connaître d’un projet de loi qui a suscité des doutes, des interrogations, des tensions.
C’est pourquoi, en tant que rapporteure du texte, j’ai tenu à mener, avec l’ensemble de la représentation nationale, un travail de fond pour favoriser une approche concrète et pragmatique de ces sujets. En effet, en plus du sentiment d’humanité, une connaissance réelle des situations est indispensable à un travail législatif de qualité, pour combattre les préjugés et éviter de tout confondre.
Pour préparer ce débat, j’ai entendu plus d’une centaine de personnes, au cours de trente et une auditions, et effectué six déplacements, notamment à Calais, à Berlin et à la frontière franco-italienne, qui ont permis de recueillir les points de vue des différents acteurs de la politique de l’immigration et de l’asile.
Le débat en commission des lois fut également riche et dense, à l’image du sujet. Il a permis à chacun, quelle que soit sa sensibilité politique, de s’exprimer : près de 900 amendements ont été examinés au cours de six réunions. Près de vingt-huit heures de séance ont été nécessaires à l’expression de tous les points de vue.
Il est de notre responsabilité politique de faire toujours mieux la pédagogie des questions migratoires, complexes et épineuses, qui peuvent susciter des sentiments contradictoires.
L’hospitalité est un idéal que nous devons tous garder à l’esprit, mais nous savons que nous devons sans cesse le confronter aux réalités du monde, aux réalités de notre société. Si nous refusons de confronter notre idéal de générosité à ses conséquences concrètes, alors nous entretenons la confusion, l’incompréhension et nous contribuons à nourrir les peurs, terreau du populisme.
Les presque mille amendements que nous aurons à étudier cette semaine traduisent pour une part ces contradictions. D’un côté, une volonté légitime de générosité, mais qui n’explique pas comment notre pays peut intégrer toutes celles et tous ceux qui pourraient arriver, d’où qu’ils viennent, quelles qu’en soient les raisons. L’asile n’a rien à voir avec la générosité ! D’un autre côté, une volonté de dureté, de ne plus accueillir personne et de manier pour cela tous les fantasmes.
Entre ces deux approches, l’objectif de la politique du Gouvernement et de ce projet de loi est d’assumer la ligne de crête qui conduit à des solutions concrètes, à une approche réaliste, à une vision équilibrée des questions migratoires, qui sache concilier l’humanisme et le pragmatisme, l’humanité et la responsabilité. Pas l’humanisme ! Pour rappel, nous avons voté dans le projet de loi de finances pour 2018 une hausse de 26 % des crédits de la mission « Immigration, asile et immigration », qui bénéficie d’un budget inédit de 1,38 milliard d’euros. C’est de la réclame ? Oui, la France doit être à la hauteur de sa tradition historique d’accueil. Son devoir, son histoire est d’offrir l’asile à ceux qui sont persécutés, à ceux dont la vie est menacée dans leur pays d’origine, à ceux qui fuient les théâtres de guerre et qui demandent sa protection. Alors qu’en France, le nombre de dossiers de demande d’asile a franchi pour la première fois, en 2017, le seuil de 100 000, nous devons redonner pleine effectivité à notre droit d’asile pour le préserver.
L’engagement du Président de la République est de réduire le traitement de la demande d’asile à six mois. Cette réduction est une question de dignité, d’humanité : un demandeur d’asile ne doit plus attendre un an, voire dix-huit mois dans des conditions précaires pour savoir quelle sera sa situation administrative, s’il pourra rester sur notre sol ou quand il pourra commencer son parcours d’intégration.
Pour cela, il faut donc un raccourcissement des procédures, de toutes les procédures. C’est l’un des objectifs de ce texte : réduire les délais de traitement, pour plus de dignité et d’humanité. Lors de nos travaux en commission, le projet de loi s’est enrichi pour respecter cet objectif, tout en renforçant les garanties des demandeurs d’asile durant l’instruction de leur dossier : amendement tendant à ce que la notification des décisions par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, par voie électronique garantisse la réception personnelle par le demandeur d’asile ; amendements visant à apporter des garanties supplémentaires aux requérants dans le cadre du recours à l’audience vidéo par la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA ; amendement pour compléter la définition des pays d’origine sûrs afin d’exclure expressément de cette liste les pays où l’homosexualité peut encore faire l’objet de sanctions pénales.
Offrir plus d’humanité, plus de dignité, c’est également améliorer les conditions d’accueil et d’hébergement, ce qui constitue un des objectifs du texte.
Aucun de nous ne peut en effet se satisfaire des conditions indignes vécues dans les campements sauvages encore trop nombreux. Au cœur même de ma circonscription, dans le dixième arrondissement de Paris, j’ai vu ces campements se multiplier depuis plus de dix ans.
Le projet de loi propose, à travers le schéma national d’accueil, une répartition plus équilibrée des flux migratoires sur notre territoire. Pour avoir vu des étrangers attendre nuit après nuit devant la structure de pré-accueil du boulevard de La Villette, toujours dans ma circonscription, et pour avoir auditionné sur ce sujet de nombreux représentants d’associations, tout particulièrement de France terre d’asile, qui gère cette structure, je suis convaincue que nous devons renforcer la mission de pré-accueil des demandeurs d’asile, que le Gouvernement essaie de développer, notamment à travers le déploiement des centres d’accueil et d’examen des situations, les CAES.
La commission des lois a voté un amendement tendant à inscrire dans la loi cette mission d’hébergement préalable à l’enregistrement de la demande d’asile, qui permet à la fois de prévenir la constitution de campements et de traiter de façon digne les personnes qui manifestent le souhait de déposer une demande d’asile. On verra le résultat ! La commission a également adopté un amendement qui vise à encourager le Gouvernement à mettre fin à l’empilement des structures chargées de l’hébergement des demandeurs d’asile que nous avons connu au cours de ces dernières années et à clarifier et à harmoniser par le haut les prestations et les services rendus dans les lieux d’hébergement.
La dignité, l’humanité exigent aussi d’intégrer mieux, beaucoup mieux que nous ne le faisons aujourd’hui, les étrangers qui disposent d’un titre de séjour. Nous avons d’ailleurs adopté en commission un amendement du groupe MODEM qui modifie le titre initial du projet de loi. Nous discuterons en effet cette semaine du projet de loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ». Ça change tout ! S’agissant de l’hébergement des réfugiés, nous avons adopté un amendement qui lie le lieu d’hébergement provisoire du réfugié à celui qu’il avait en tant que demandeur d’asile.
D’autre part, le projet de loi comporte aujourd’hui des mesures permettant de mieux accueillir les talents et les compétences. C’est du sarkozysme ! La commission a complété ces dispositions pour y intégrer de nouvelles mesures visant à mieux intégrer les étrangers en situation régulière sur le territoire. Elle a complété le dispositif « passeport talent », notamment pour y inclure l’artisanat et les entreprises du domaine social et environnemental. Encore du sarkoysme ! Elle a consacré l’existence du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, qui permet la délivrance des titres de séjour « étranger malade ». Elle a amélioré la situation des femmes victimes de violences conjugales et des femmes dont l’ordonnance de protection a expiré. Reste à discuter de la question essentielle des conditions dans lesquelles le demandeur d’asile peut être autorisé à travailler pendant le temps d’examen de sa demande. Ce sera l’objet d’amendements en séance publique.
Mais nous ne serons à la hauteur de cette dignité et de cette humanité, que nous devons aux demandeurs d’asile et aux étrangers qui disposent d’un titre de séjour, que si nous assumons d’être inflexibles avec les personnes qui ne remplissent pas les conditions de séjour sur notre territoire.
Qui promeut, dans cet hémicycle, une politique d’accueil de tous ceux qui sont en quête d’une vie meilleure ? Qui promeut une ouverture totale de nos frontières ? Je me permettrai à cet égard de reprendre les propos tenus par le Président de la République le 27 juillet 2017 à Orléans : « Je ne veux pas d’une France qui fait croire aux gens dans le reste du monde qu’on peut faire tout et n’importe quoi, il n’existe pas le pays qui peut aujourd’hui accueillir l’ensemble des migrants économiques, il n’existe pas ». Rocard l’avait déjà dit ! On ne prend même pas notre part ! Une fois ce principe posé, il faut se donner les moyens de l’appliquer pour assurer une efficacité du respect des règles en matière de contrôles et de reconduite dans leur pays d’origine de ceux qui ne disposent d’aucun droit de séjour sur le territoire national. Rien de neuf ! Cet objectif est évidemment fondamental dans le projet de loi. Il y va du respect de notre pacte républicain, de la crédibilité de notre État de droit. Un certain nombre d’amendements visant à faire respecter les procédures de retour dans le pays d’origine ont été adoptés par la commission, dans le respect des conditions de dignité de la personne humaine. Ce travail, en lien avec M. le ministre d’État, a été particulièrement significatif pour donner tout son équilibre au projet de loi.
Nous avons encadré le régime des refus d’entrée, afin d’assurer le maximum d’humanité lors des contrôles à la frontière terrestre en général et dans les Alpes en particulier. Nous avons inscrit la prise en compte de la vulnérabilité avant toute mise en rétention. Nous avons retenu un nouveau séquençage de la rétention administrative. Celui-ci sera plus efficace et permettra de faire échec aux tentatives d’obstruction, comme les refus d’embarquement de plus en plus fréquents, mais il sera aussi plus restreint que ne le prévoyait le projet de loi initial. Je ne sais pas si vos amis socialistes seront d’accord ! Je tiens à nouveau à saluer la volonté, présente dans le texte, de privilégier l’assignation à résidence, en la rendant plus efficace, plutôt que la rétention, qui ne peut être la règle générale en matière d’éloignement. Quelle erreur ! Après la circulation des biens et de l’information, la mondialisation nous rappelle à ce qui est essentiel : la circulation des hommes. Avec le défi climatique, le défi migratoire est peut-être le plus grand du siècle. La commission a d’ailleurs adopté un amendement qui invite le Gouvernement à se doter rapidement d’une réelle stratégie concernant les déplacés climatiques.
Face à l’immensité de ce défi migratoire, le texte doit être apprécié avec humilité, dans un contexte qui dépasse le cadre parlementaire. Nous devons finaliser au niveau européen les négociations en cours sur l’asile. Nous devrons poursuivre notre politique volontariste d’aide au développement. Nous devrons continuer notre lutte implacable contre les filières et les réseaux de passeurs qui exploitent la misère humaine.
En attendant, ce projet de loi est une étape essentielle pour nous doter de procédures efficaces, garantir effectivement notre droit d’asile, améliorer l’intégration des étrangers sur notre territoire et faire respecter notre État de droit. Il est de notre responsabilité de nous y atteler avec rigueur, sans postures, au cours de cette semaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à Mme Marielle de Sarnez, présidente et rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, chers collègues, la commission des affaires étrangères a souhaité se saisir des enjeux européens et mondiaux soulevés par les sujets de l’asile et de la migration. Le projet dont nous débattons ce soir va dans la bonne direction, mais il n’est qu’un des éléments d’une politique à mener beaucoup plus globale. Le Gouvernement en est conscient, qui constate, dès l’introduction de l’étude d’impact, que le projet de loi « n’épuise pas la gestion des questions migratoires en France et en Europe […] ». Rien n’est plus vrai : c’est bien d’une stratégie européenne, d’une action diplomatique et de développement, d’une vision de long terme dont nous avons besoin. L’accélération des mouvements migratoires est un phénomène mondial, dû aux facteurs multiples que vous connaissez : crises, conflits, désastres naturels accentués par le changement climatique, démographie, pauvreté, inégalités internes et Nord-Sud.
Devant cette réalité du monde, il me semble que nous devons nous fixer deux objectifs. Premièrement, nous devons garantir et pérenniser le droit d’asile, qui est un droit fondamental. L’Europe a été dans l’incapacité d’appliquer ce droit correctement lors de la crise migratoire de 2015. Les dirigeants européens n’ont su ni anticiper, ni gérer la situation, malgré un arsenal juridique élaboré – je pense au mécanisme d’alerte rapide ou à la protection temporaire, qui n’ont pas même été déclenchés. Cette incapacité à gérer la crise migratoire a eu les effets que nous savons : l’inquiétude des opinions européennes s’est renforcée. Si l’accueil des demandeurs d’asile, en particulier des Syriens, s’était fait dans un cadre concerté et organisé, l’acceptation par les opinions publiques aurait été plus élevée et les réfugiés syriens accueillis dans notre pays plus nombreux.
Trois années plus tard, et faute de convergence, nous faisons toujours face à de graves défaillances dans le régime européen d’asile. Les délais de traitement, les conditions d’accueil des demandeurs, leurs chances d’obtenir l’asile, la probabilité d’être éloignés après un rejet, restent trop divergentes entre les États membres. Ainsi, tandis que 77 % des Irakiens obtiennent une protection internationale en Allemagne, ils ne sont que 23 % à en bénéficier en Finlande ; 82 % des Afghans l’obtiennent en France, mais seulement 37 % en Suède, pays pourtant très protecteur. Il y a donc du laxisme en France ! La durée moyenne globale de traitement d’une demande d’asile reste supérieure à un an en France, contre moins de sept mois en Allemagne. C’est pourquoi je soutiens sans réserve l’objectif du Gouvernement de réduire à six mois les délais dans notre pays, car c’est d’abord une question d’humanité pour les demandeurs d’asile.
Selon Eurostat, le rapport entre les départs effectifs d’étrangers sous obligation de quitter le territoire d’un État membre et le nombre des obligations délivrées a été, entre 2010 et 2016, de 23 % en France, contre 44 % en moyenne européenne, 71 % en Suède, et 89 % au Royaume-Uni et en Allemagne, où les retours volontaires sont très largement pratiqués. Ajoutons enfin que le système de relocalisation dans l’Union a donné un résultat plus que limité, et que le système de Dublin, qui prévoit le renvoi des demandeurs d’asile dans le premier pays d’accueil, ne fonctionne pas. Tous ces dysfonctionnements, qu’il faut regarder en face, ont créé de fait un « marché européen de l’asile ». Les déboutés en Allemagne vont tenter leur chance dans un autre pays, qui, en l’état actuel du droit, est tenu de réexaminer leur situation. C’est vrai ! Il y a bien là un dévoiement de la procédure et du droit d’asile. Une seule solution est envisageable pour y mettre un terme : harmoniser nos pratiques. Nous devons faire converger nos politiques nationales en ce qui concerne le délai de traitement des demandes d’asile, le taux de reconnaissance des principales nationalités et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile. Nous devons établir, enfin, une liste européenne des pays d’origine sûrs… Bravo ! …et aller vers une reconnaissance mutuelle des décisions sur la protection internationale en Europe. Cette convergence européenne de l’asile doit être mise en œuvre le plus rapidement possible, sous forme d’une coopération renforcée si nécessaire, entre États membres d’accord pour avancer ensemble. Bravo ! Elle devra, pour être complète, s’accompagner d’une gestion commune de nos frontières, avec, enfin, le contrôle et l’enregistrement de toutes les entrées et sorties aux frontières extérieures de l’Union européenne, et la mise en place d’un véritable corps de garde-frontières et de garde-côtes européens.
Deuxième objectif : nous avons besoin de construire un partenariat global et équilibré avec les pays d’origine et de transit, et en particulier avec l’Afrique. L’Afrique subsaharienne dispose d’environ 30 % des ressources naturelles mondiales, mais produit moins de 2 % des richesses de la planète. Les pays riches, dont l’Union européenne, conduisent de longue date une politique qui leur a permis d’accéder à des ressources naturelles qu’ils n’ont pas et d’écouler en retour les produits transformés et les surplus agricoles. Cette politique a eu des conséquences négatives sur le développement des économies africaines. Il nous faut donc rééquilibrer nos échanges, agir pour que l’Afrique retrouve la plénitude de l’exploitation de ses ressources naturelles et accède enfin à l’autosuffisance alimentaire.
C’est bien d’un nouveau partenariat entre l’Union européenne et l’Union africaine dont nous avons besoin sur ces questions commerciales, mais aussi sur les sujets migratoires. Les accords de gestion concertée passés par la France avec huit pays africains n’ont pas tenu leurs objectifs. Les contingents de titres de séjour n’ont pas été remplis, et le taux moyen des laissez-passer consulaires obtenus par la France s’élève à 26 %. Nous devons mettre en place un dialogue continu et de haut niveau avec les pays d’origine et de transit, trouver avec eux un équilibre dans la gestion migratoire, favoriser, autant que faire se peut, les retours volontaires et la réinsertion, agir ensemble pour le contrôle de leurs frontières, la lutte contre les trafics et la traite des êtres humains.
Mais si nous voulons lutter résolument contre l’immigration illégale, nous devrons définir clairement des voies légales. C’est pourquoi je propose que nous ouvrions à terme le débat – au moins le débat – sur la migration économique, qui représente en moyenne 25 % des migrations légales dans l’Union européenne, mais seulement 10 % en France. Plus que cela ! De plus, la liste de nos métiers sous tension n’a pas été revisitée depuis 2008. Nous devrons aussi introduire davantage de fluidité dans nos dispositifs, favoriser les allers et retours choisis… Surtout les retours ! …parce que c’est la seule façon de lutter efficacement contre la fuite des cerveaux. De même, nous devrons imposer des changements profonds si nous voulons, demain, une véritable politique de co-développement. Aujourd’hui, notre action est essentiellement multilatérale, ce qui nous prive d’un levier sur le plan politique et d’une capacité réelle d’action, équivalente, par exemple, à celle du Royaume-Uni. Les nouvelles orientations définies par le Gouvernement, en particulier le renforcement de la part du bilatéral et des dons par rapport aux prêts, vont dans le bon sens mais devront être suivies d’effets.
Mes chers collègues, nous avons besoin de débattre régulièrement de ces grands sujets que constituent l’asile et les migrations. Les objectifs du Gouvernement doivent être connus, et il nous faudra en vérifier la bonne application. C’est pourquoi je propose que notre Parlement y consacre un débat annuel.
Enfin, monsieur le ministre d’État, vous me permettrez, au terme de cette intervention, une suggestion. La France gagnerait à travailler, sous votre responsabilité et celle du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, à l’élaboration d’une feuille de route conjointe fixant, en complément du projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui, le cadre de notre réflexion nationale, européenne et mondiale pour les années à venir sur ce qui est probablement l’un des plus grands défis du siècle. Nous sommes prêts, pour notre part, à y contribuer. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.) La parole est à Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, madame la présidente de la commission des lois, mesdames les rapporteures, chers collègues, l’objectif de ce projet de loi est de conjuguer un impératif d’efficacité et une exigence d’humanité. Je crois que ce texte, largement enrichi lors de son examen en commission, va dans le sens de cet équilibre. L’examen en séance nous permettra, je l’espère, d’aller plus loin sur certains sujets : je pense notamment à la question du délit de solidarité, qui me tient particulièrement à cœur. Si la lutte contre les réseaux criminels d’immigration clandestine ne souffre aucune contestation, il ne faut pas la confondre avec l’engagement de celles et ceux qui apportent sincèrement leur aide aux personnes migrantes. Très bien ! À mes yeux, jamais un acte de solidarité désintéressée ne devrait être sanctionné.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre d’État, notre pays doit aujourd’hui faire face à des flux migratoires d’une ampleur incontestable et à une hausse conséquente du nombre de demandeurs d’asile. Au-delà des chiffres et des statistiques, sur le terrain, les difficultés sont bien présentes et cela nous oblige à réagir – j’en ai été frappée en allant au contact des administrations et des associations d’accueil, notamment dans mon département du Val-d’Oise. Le projet de loi présenté par le Gouvernement vise à répondre de manière opérationnelle à ces défis, en renforçant l’efficacité de nos procédures tout comme notre capacité à accueillir dans de bonnes conditions les étrangers qui ont vocation à être admis au séjour.
Mais accueillir ne suffit pas. Le grand défi auquel nous devons aujourd’hui apporter des réponses, c’est celui de l’intégration. La nécessité d’une intégration réussie est, évidemment, un enjeu de cohésion sociale, mais je suis convaincue que cela constitue également une véritable opportunité. Les étrangers qui arrivent aujourd’hui en France, leurs talents, leurs compétences, leur histoire, sont pour notre société une richesse. Très bien ! À nous de savoir les valoriser. Au-delà du présent projet de loi, je connais l’engagement du Gouvernement sur la question de l’intégration, engagement nourri par le rapport qui vous a été remis, monsieur le ministre d’État, par notre collègue Aurélien Taché. La nomination d’un délégué interministériel à l’intégration des réfugiés, en la personne d’Alain Régnier, facilitera la concrétisation et le suivi de ces propositions, dont je veux saluer l’ambition. La commission des affaires sociales s’est saisie du titre III du présent projet de loi, dédié à cette question de l’intégration, car nous croyons fermement que l’insertion sociale et professionnelle est la clé d’une intégration réussie. C’est cette conviction qui m’a amenée à auditionner des acteurs de la formation professionnelle et de l’emploi, qui ont tous souligné l’incroyable potentiel des réfugiés que nous accueillons aujourd’hui pour notre tissu économique.
Lors de l’examen du texte en commission des affaires sociales, comme en commission des lois, nous avons longuement débattu de la question de l’accès au travail des demandeurs d’asile. C’est un sujet important, et je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’en reparler longuement au cours de nos débats. Je tiens à rappeler qu’en France, le délai d’accès au marché du travail est parmi les plus longs d’Europe ; ce délai d’inactivité prolongée ne fait que des perdants. Nous devons avancer sur la question essentielle de l’accès au travail des demandeurs d’asile. Je tiens, à ce titre, à saluer l’adoption en commission des lois d’amendements permettant aux mineurs non accompagnés de concilier le dépôt d’une demande d’asile et la poursuite d’un contrat d’apprentissage. C’est une avancée particulièrement importante à mes yeux, qui va dans le sens d’une intégration réelle par le travail.
Monsieur le ministre d’État, j’ai bien entendu que M. le Premier ministre travaillait depuis plusieurs mois avec l’Association des départements de France sur la question des mineurs non accompagnés : c’est un chantier prioritaire. Je partage votre souhait que ces enfants soient considérés avant tout comme des enfants, et non pas comme des migrants. C’est pourquoi cet enjeu essentiel n’a pas vocation à être traité dans ce projet de loi. Sachez cependant que c’est un sujet qui fait l’objet de toute notre attention. Il me paraît à ce titre essentiel d’engager une réflexion sur l’accompagnement des mineurs isolés, et notamment sur les ruptures de parcours qui peuvent être induites par leur passage à la majorité.
Si notre commission des affaires sociales s’est montrée particulièrement attentive à la question de l’insertion professionnelle, un autre sujet a fait l’objet de nombreuses discussions : celui de la protection des migrants les plus vulnérables.
Je sais que cette préoccupation est largement partagée sur ces bancs, et je me réjouis de l’adoption par la commission des lois d’amendements qui visent à mieux protéger les femmes migrantes victimes de violences conjugales, à exclure de la liste des pays d’origine sûrs ceux qui pénalisent ou criminalisent l’homosexualité, à examiner la situation personnelle et la vulnérabilité des personnes, notamment en situation de handicap, avant tout placement en rétention ou lors d’un refus d’entrée en France. Ces avancées, il faut les saluer, et je suis convaincue que l’examen en séance nous permettra d’aller plus loin pour garantir une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Si l’on pouvait garder le silence lorsque les orateurs parlent à la tribune, ce serait bien. Je vous remercie.
La parole est à Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, nous y voici ! À l’orée d’un débat parlementaire attendu. Nous avons rendez-vous avec un sujet grave et important : il est question d’une rencontre de la France avec le reste du monde. Oui, nous devons avoir à l’esprit que, lorsque l’on parle de l’asile et des migrations, nous parlons de nous et nous parlons des autres.
À ce stade de la discussion, j’ai à cœur de vous rappeler trois points. Trois points qui forment une ligne d’horizon, que nous ne devons jamais perdre de vue.
Premièrement, l’asile est un bien précieux. Non, c’est un droit ! Il nous vient de loin, du fond de notre histoire ; il prit la forme en 1793 d’une garantie constitutionnelle pour les étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Le monde d’aujourd’hui n’a pas moins besoin, hélas, de combattants de la liberté. Le droit d’asile, c’est la France. Protégeons-le.
Deuxièmement, l’immigration nous concerne tous. Sur trois générations, un Français sur quatre a une ascendance étrangère, un sur trois si l’on remonte aux arrière-grands-parents. Pour ma part, deux générations suffiront, et certains en commission ont fait allusion à une histoire plus proche encore. Nous sommes tous, ou presque tous, des enfants ou des petits-enfants d’immigrés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) C’est vrai ! Troisièmement, l’immigration est une richesse. Des histoires se croisent et s’entrecroisent, des traditions se rencontrent, des cultures se découvrent, des couleurs se mélangent. Cette diversité est une chance.
Une chance pour chacun de nous, car elle nous prémunit contre l’immobilisme. Une chance pour la France, qui se grandit en s’ouvrant au monde. Ce n’est pas tout à fait le sujet du texte ! Le sujet pourrait donc sembler simple. Il ne l’est pas. Il touche à l’humain. Il est donc, comme l’humain, d’une infinie complexité. Et à ce titre, il ne peut se satisfaire de la caricature. Il n’y a pas, d’un côté, les défenseurs d’une humanité sans bornes, et de l’autre, une administration froide qui ne réagirait qu’aux chiffres. Il est, par contre, des équilibres que même le cœur ne peut nous faire négliger.
L’asile est en danger s’il est détourné de son objet. Et c’est le cas. La crise est dans les chiffres : 100 000 demandes en 2017, 50 % d’augmentation en cinq ans. Elle est dans les procédures aussi : plus d’un an d’instruction, un taux de protection d’un tiers environ, et que deviennent les autres ? J’ai vu aux Restos du cœur des familles vivre plusieurs années dans un hôtel social – vous en parliez, monsieur le ministre –, à cuisiner au fond d’un champ sur un réchaud protégé du vent dans un carton. Peut-on le tolérer ? Non ! Les migrations sont moins belles lorsqu’elles sont exploitées. C’est le cas, encore une fois. Les passeurs font miroiter des rêves qui ne sont qu’illusions et, au final, vampirisent ces populations en danger ; les femmes et les enfants deviennent des proies, dont nos regards ne peuvent se détourner. J’ai vu à Agadez, au Niger, des enfants dessiner des naufrages.
L’intégration ne peut pas être qu’une profession de foi. Elle demande des moyens. Et nous n’en avons pas suffisamment aujourd’hui. J’ai vu au Mesnil-Amelot des personnes prêtes à renoncer à leurs droits, pour une vie meilleure que nous ne pouvons leur offrir. Il est normal qu’il y ait, en chacun de nous, des idées qui s’entrechoquent. Moi-même, je vous ai souvent dit, monsieur le ministre d’État, à quel point la question des mineurs me préoccupait. Depuis des mois, nous débattons. À deux, à trois ou à cinquante. En commission des lois, au fil de vingt-huit heures de réunion, toutes les sensibilités ont pu s’exprimer. Je les ai entendues et je peux comprendre les doutes.
Mais le temps est venu de participer ensemble à une volonté commune. Quelle est cette volonté ? Vous nous invitez, monsieur le ministre d’État, à garantir le droit d’asile et à mieux maîtriser les flux migratoires : il le faut. À réduire les délais d’instruction des demandes d’asile : c’est essentiel. À nous donner les moyens d’intégrer ceux qui ont vocation à vivre parmi nous : nous serons à vos côtés. À lutter contre les réseaux et éloigner davantage ceux qui ne peuvent rester : c’est nécessaire. À rechercher des coopérations au-delà de nos frontières pour faire diminuer la pression migratoire : c’est indispensable.
Je le pense : cette politique globale que nous menons est à la hauteur des enjeux. Elle nous permet de faire face à la crise migratoire sans renier nos idéaux. Je vous invite à la soutenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Annie Chapelier, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, aucune femme, aucun homme, aucun enfant ne choisit de quitter son pays, sa terre et sa famille de gaieté de cœur.
Qu’il fuie son pays, pour sauver sa vie, parce que des menaces de mort pèsent sur lui, du fait de la guerre ou bien de persécutions, parce qu’il est une cible politique, religieuse ou sociale, qu’il quitte la terre où il a toujours vécu, parce que la vie y est si difficile qu’il ne peut y imaginer un avenir, qu’elle cherche à se soustraire à des coutumes barbares, telles que l’excision pour elle ou pour protéger ses enfants, qu’il réponde à un rêve de vie meilleure dans un occident idéalisé, jamais un migrant ne prend la décision de quitter son pays à la légère.
Pour toutes ces personnes en fuite, ou en quête d’une vie meilleure, la France, comme les autres pays occidentaux, représente une terre d’asile, image d’autant plus marquée qu’elle est la patrie des droits de l’Homme. Pour certains, la France sera une destination, pour d’autres un point de chute à leur long parcours migratoire, pour d’autres encore, un énième pays de transit.
Pour tous, elle sera un pays d’accueil, où, nous Français, pourrons nous enorgueillir de répondre présents à cet immense défi que sont les migrations présentes et à venir dans un monde bousculé, où le dérèglement climatique a pour conséquence de ne plus permettre à des régions entières de nourrir les populations qui y vivent et qui abandonnent donc ces terres devenues stériles ou infertiles.
Pour toutes ces personnes arrivant sur le sol français, demandeurs d’asile ou migrants économiques, le parcours aura été périlleux, toujours difficile, parfois inhumain. Il est consensuel de dire que ces parcours migratoires sont infiniment plus risqués pour les personnes vulnérables, dont les femmes, que pour les autres migrants. Toujours plus exposées à toutes les étapes de leur trajet, aux violences, physiques et surtout sexuelles, à l’exploitation, au harcèlement, elles représentent plus de 50 % de la population immigrée dans notre pays et plus de 40 % des personnes placées sous la protection de l’OFPRA. C’est parce que les femmes restent dans une situation de vulnérabilité accentuée et qu’il revient à la France d’assurer leur protection et de veiller à ce qu’elles bénéficient d’un accueil spécifique, que la délégation aux droits des femmes a souhaité se saisir de ce projet de loi. Mme Hai et moi-même avons donc remis un rapport d’information portant dix recommandations en ce sens. Car même sur le territoire français, les femmes demeurent plus vulnérables aux violences sexuelles et physiques, plus exposées à une exploitation sexuelle ou domestique, et davantage confrontées aux difficultés économiques.
L’accumulation de ces potentielles fragilités, très dépendantes des pays d’origine et des parcours migratoires, entraîne des difficultés propres, tant dans la demande d’asile que dans la procédure d’obtention de titre de séjour. Nous soulignons la nécessité de la prise en compte des persécutions liées au genre, des femmes menacées ou victimes de mutilations ou en péril de traite d’êtres humains, de mariage forcé ou de prostitution, mais aussi des communautés LGBT persécutées dans leur pays d’origine. Si ces persécutions et vulnérabilités spécifiques, complexes et multiples sont de mieux en mieux prises en compte par l’OFPRA, nous n’avons pu que constater une difficulté de détection, en particulier dans les premiers moments de l’accueil, et nous nous engageons à poursuivre l’effort, notamment par une formation systématique de tous les agents au contact des migrants, et ce, à toutes les étapes du parcours.
Le projet de loi veut dépasser les limites et les insuffisances du système actuel, tout en cherchant à garantir une protection optimale des personnes vulnérables. Ainsi, il prévoit de répartir de façon plus équilibrée les demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire, tout en tenant compte de la vulnérabilité ; il convient cependant de s’assurer que la région de destination du migrant dispose des structures adaptées à la prise en charge de cette vulnérabilité.
En élargissant la protection des victimes de violences conjugales aux victimes de violences familiales, il apporte une réelle avancée. Désormais, grâce à l’amendement des deux corapporteures à l’article 32, les femmes victimes de violence qui ont obtenu une ordonnance de protection et qui ont porté plainte contre leur agresseur, pourront obtenir le renouvellement de la carte de séjour de plein droit. Néanmoins, il nous semble qu’une réflexion pourrait s’ouvrir pour harmoniser les pratiques selon la diversité des situations juridiques des couples, pour gommer les différences de traitement selon que l’on est marié, pacsé ou en union libre. De même, en proposant un mécanisme permettant de corriger la situation très spécifique d’un parent étranger d’un enfant français dont le parent français refuse d’assurer la subsistance, nous espérons recueillir votre soutien, monsieur le ministre d’État.
Nos auditions, visites, rencontres et expériences nous ont tous amenés au même constat. La population civile, par le biais d’associations ou de particuliers, apporte sous des formes très différentes selon les territoires, aide, soutien et refuge aux migrants. Il nous semble important, pour ne pas dire essentiel, de permettre à nos concitoyens de continuer ces initiatives existantes, de participer à cet effort national dans un cadre légal et réglementaire et de prendre part à la vie citoyenne. À l’instar de certains de nos voisins européens, nous proposons, à titre expérimental, d’apporter un cadre légal à cette approche inclusive, au travers de l’implication des citoyens, accélérateurs et facilitateurs d’intégration des demandeurs d’asile.
Enfin, il nous semble également fondamental de mieux prendre en compte le caractère violent des parcours migratoires dans notre demande de processus d’examen des demandes. Dans ce voyage, trop de femmes et d’hommes vivent un réel enfer et sont victimes des pires atrocités ; par exemple, chaque migrant ayant transité par la Libye a été victime de viol, parfois de torture, voire d’esclavagisme. Notre devoir d’humanité nous impose de les accueillir au mieux, en prenant en compte leur statut de victime, et pas seulement leur origine, et de leur offrir une prise en charge adaptée à la hauteur des traumatismes subis.
C’est pourquoi nous espérons, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, pouvoir compter sur votre soutien pour avancer avec efficacité et détermination, mais aussi avec bienveillance et dignité, sur ces différents sujets. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à Mme Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, madame la présidente de la commission des lois, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, la représentation nationale a aujourd’hui la charge d’examiner le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. La France est une terre d’immigration, mais également d’asile. Réfugiés arméniens, Juifs fuyant les pogroms d’Europe de l’Est, républicains espagnols, Boat People vietnamiens, opposants chiliens au général Pinochet, aujourd’hui Syriens ou Afghans, toutes et tous ont cherché la protection de la France.
Le droit d’asile est une disposition constitutionnelle depuis 1946 et un engagement international de la France à travers la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Complété par les principes d’accueil, d’examen indépendant des demandes et de droit au maintien sur le territoire, il illustre la longue tradition d’accueil que la France a développée depuis le XIXe siècle. Un consensus national autour de l’aide inconditionnelle à celles et ceux qui fuient les guerres et les persécutions a toujours existé. Il prévaut encore aujourd’hui.
Malgré les nombreuses tentatives de légiférer, force est de constater que l’accueil des demandeurs d’asile en France n’est pas aujourd’hui à la hauteur des enjeux et continue de connaître des délais beaucoup trop importants. Comme corollaire de l’amélioration nécessaire de l’accueil des demandeurs d’asile, notre politique d’intégration doit également être largement améliorée. Dans le respect de cette tradition d’accueil des demandeurs d’asile, qui caractérise notre société et notre culture, la France doit avoir les moyens d’un asile qui fonctionne.
Face à ce constat, que le projet de loi partage, il est impératif de rendre l’asile en France bien plus effectif. L’effectivité du droit d’asile, c’est d’abord mieux accueillir les familles, en permettant aux parents de rejoindre leurs enfants reconnus comme réfugiés en France, afin de préserver l’unité familiale et de réduire la multiplication des demandes. Le droit d’asile doit devenir une réalité pour tous les demandeurs d’asile. Parmi eux, la situation des femmes est de première importance.
Les femmes représentent plus de 50 % de la population immigrée en France. Cette proportion est en hausse continue depuis les années 1970. Les demandeuses d’asile sont également de plus en plus nombreuses : elles représentent 33 % des premières demandes et 36 % des réfugiés.
Au dépôt de leur demande d’asile, 55 % d’entre elles sont isolées – célibataires ou en rupture familiale. Forte de ce constat, j’ai demandé à ce que la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes soit saisie pour travailler à l’amélioration du texte en matière de processus migratoire et de régime d’asile.
Je tiens d’ailleurs à remercier Annie Chapelier et Nadia Hai du travail de grande qualité qu’elles ont réalisé. L’une des spécificités des femmes réside dans leur vulnérabilité, qui est un sujet essentiel.
Les statistiques recueillies au cours des auditions que nous avons menées indiquent que les femmes occupent une place singulière au sein des phénomènes migratoires. Cumulant souvent plusieurs facteurs de vulnérabilité, elles peuvent être victimes de violences conjugales ou familiales, de mutilations sexuelles, de discriminations ou encore de mariages forcés.
Les violences sexuelles restent l’expression quasi-quintessentielle de la domination masculine, expliquait Françoise Héritier. C’est pourquoi elles relèvent de l’humanité tout entière. Aussi, je salue l’implication du Gouvernement, qui prend ici la défense des droits des femmes dans le cadre plus général des droits de l’Homme.
Les parcours migratoires des femmes sont en général plus risqués. Au cours de leur parcours migratoire, les femmes et les jeunes filles sont exposées à des violences – sexuelles en particulier – plus nombreuses et plus fortes que celles subies par les hommes. Aujourd’hui encore, le viol demeure une arme de guerre à grande échelle.
En Libye, les sévices sexuels et les tortures sont des pratiques quasi-systématiques infligées aux migrantes. Dans certaines régions d’Afrique, l’excision, considérée comme une pratique culturelle, incite les jeunes filles et leurs mères à partir vers l’Europe. La violence caractérisant de tels parcours migratoires provoque de lourds traumatismes, qui accentuent encore davantage la vulnérabilité des femmes migrantes.
Toutefois, l’accueil et la protection qu’accorde la France ne peuvent constituer le seul cadre de nos débats ni la seule politique en matière d’immigration, car accueillir, c’est aussi intégrer. L’octroi de l’asile ne doit pas constituer une fin en soi, mais bien le début d’un parcours d’intégration qui doit mener à une véritable émancipation de celles et ceux qui ont demandé la protection de la France et choisi de s’y établir, en particulier les mineurs.
Un tiers de la population française est d’origine immigrée. Celles et ceux que nous accueillons aujourd’hui feront partie de la société française de demain. Un droit d’asile effectif, juste et fonctionnel ainsi qu’une intégration réussie en matière d’éducation, de logement et d’emploi sont donc indispensables pour assurer un avenir prospère à ce pays.
Comme l’a affirmé le Président de la République, « l’immigration n’est pas quelque chose dont nous pourrions nous départir. De surcroît, l’immigration se révèle une chance d’un point de vue économique, culturel et social. […] Mais à condition de savoir la prendre en charge. Quand on sait les intégrer, les former, les femmes et les hommes renouvellent notre société, lui donnent une impulsion nouvelle, des élans d’inventivité, d’innovation ». (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.) J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Guillaume Larrivé. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les rapporteures pour avis, mes chers collègues, quel sera le visage de la France demain ou après-demain ? Beau et souriant ! C’est par cette interrogation majeure qu’il me semble nécessaire d’aborder cette première nuit de débats, car les lois relatives à l’entrée et au séjour des étrangers en France ne se résument pas à des règles juridiques.
Le droit de l’immigration, le droit de l’asile et le droit de la nationalité ne sont pas seulement les briques plus ou moins bien ajustées – solides parfois, fragiles souvent – d’une pyramide normative parmi d’autres. En cette matière, les travaux de la commission des lois comme ceux menés dans l’hémicycle ne sauraient se réduire à des discussions de spécialistes visant à ajuster tel chapitre, amender tel article ou modifier tel alinéa de nos codes juridiques. Très bien ! En vérité, une loi sur l’immigration n’est pas qu’une affaire de technique juridique. Ce qu’elle dessine, c’est bien le visage de la France et de sa relation au monde comme nation. C’est pourquoi un vrai débat est nécessaire, ici, à l’Assemblée nationale.
Nous ne vous ferons, monsieur le ministre d’État, ni une leçon, ni un procès d’intention. Je vous donnerai acte, ici ou là, de quelques points d’accord.
Je veux surtout, au nom du premier groupe d’opposition et de proposition, Les Républicains, expliquer ici pourquoi votre projet de loi ne peut être approuvé, et plus encore exposer les grandes lignes du contre-projet d’alternance visant à refonder la politique d’immigration que nous portons, Éric Ciotti, Annie Genevard, moi-même et l’ensemble de nos collègues.
Trop souvent, le débat a été interdit. Il est enfermé dans le conformisme de ceux qui se contentent de répéter des slogans ; il est cadenassé par le juridisme de ceux qui ont renoncé à toute volonté politique ; … Très bien ! … il est verrouillé par le moralisme de ceux qui aiment jouer les censeurs ; et il est aussi, très souvent, embrouillé par l’extrémisme de ceux qui soufflent sur les braises. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Et les droits de l’Homme ? De tout cela, notre pays devrait tenter de se libérer. Ouvrons le débat sur l’immigration, mais ouvrons-le vraiment, en étant guidés par une seule exigence : l’intérêt de la France ! L’intérêt national impose d’abord de refuser deux idéologies contraires, celle de la fermeture totale comme celle de l’ouverture totale.
L’idéologie de la fermeture totale est une brutalité. Telle n’est pas la vision des membres du groupe Les Républicains, ni le projet qu’ils portent. Rejeter toute mobilité, ce serait refuser la vie.
Plaider pour l’immigration zéro, c’est-à-dire l’interdiction absolue de l’installation de tout étranger partout en France, ce serait méconnaître l’histoire et la géographie de la France ; ce serait nier la réalité de la mondialisation ; ce serait renoncer au rayonnement de la francophonie qu’impulse notre pays, qui s’honore à former des étudiants étrangers dans ses universités et ses grandes écoles ; ce serait aussi, madame la présidente de la commission des lois, oublier la vocation de la France consistant à tendre la main aux vrais réfugiés politiques, qui sont les vrais combattants de la liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Très bien ! Il a raison ! Toutefois, l’idéologie de l’ouverture totale est encore plus dangereuse en France, car elle reste dominante dans l’expression publique. Elle a été très justement nommée par Pierre-André Taguieff « l’immigrationnisme, dernière utopie des bien-pensants ».
Les immigrationnistes pensent que l’immigration est toujours en soi une chance pour la France. Ils estiment qu’elle est par essence positive. Ils refusent l’idée même d’un droit de l’État-nation, car ils ne connaissent que les droits des personnes.
Ils refusent la légitimité et la légalité des frontières. Ils ne comprennent pas le choc de désintégration produit par l’immigration massive. Et comme l’immigration, à leurs yeux, est non seulement inéluctable mais souhaitable et va dans le sens de l’histoire, il est pour eux totalement impensable qu’on ne l’accepte pas comme un progrès.
Dès lors, la politique doit reculer, car il n’y a pas de place pour la délibération, la décision et le choix. Il faudrait applaudir – et il suffirait d’applaudir – au spectacle de la Providence qui, peu à peu, gomme la frontière, efface la distinction entre le national et l’étranger et va jusqu’à abolir la différence entre le légal et l’illégal. Très bien ! Absolument ! Dès lors, il n’y aurait plus vraiment de place pour les Français eux-mêmes, car la doxa immigrationniste réduit la France à n’être qu’un lieu sans âme, un terrain vague soumis à toutes les migrations sans autre identité que celle de la coexistence de plusieurs communautés juxtaposées les unes à côté des autres. Cette idéologie, on la trouve, bien entendu, à l’extrême-gauche, parmi les apôtres du No Border . (« Ah ! » sur les bancs du groupe GDR.) Chez nous ! On en voit les traces, aussi, sur les bancs de la gauche socialiste ou post-socialiste, aux marges de l’actuelle majorité (« Ah ! » sur les bancs du groupe NG.)– ainsi M. Boudié, parfois culpabilisé par l’idée même de contrôle, de maîtrise et de régulation. Nous sommes des communistes traditionnels, nous combattons pour la paix ! Mais elle s’exprimeaussi ailleurs, plus insidieusement – sous une autre forme, avec d’autres mots – parmi ceux qui voient la France comme une start-up nation ,… C’est votre tour, chers collègues de la majorité ! Vous, c’est plutôt le très vieux monde réactionnaire ! …c’est-à-dire un lieu neuf et multiculturel dont la vocation première serait de produire des échanges et des services à l’heure de la mondialisation. L’idéologie de la libre circulation absolue des biens, des capitaux, des services et des personnes est un autre sans-frontiérisme qui nie le droit de la France à continuer à exister comme État-nation. Très bien ! Nous, membres du groupe Les Républicains, avons la conviction qu’il est nécessaire de refuser les différentes versions de cette idéologie pour adopter une approche plus rationnelle, plus responsable, plus réaliste,… Plus réactionnaire ! Écoutez, ça vous instruit ! …et in fine plus humaine de la question migratoire.
Commençons par regarder la réalité en face. La France de 2018, monsieur le ministre d’État, reste fracturée par de très graves tensions… Dont vous êtes responsables ! …qui n’ont pas été effacées par la magie de l’élection d’un nouveau prince-président. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Absolument ! Chômage de masse, hyperviolence, fracture territoriale, menace communautariste, tentative de soumission islamiste : de ce malaise national, l’immigration massive n’est évidemment pas la seule responsable, mais il serait parfaitement irresponsable de prétendre que celle-ci n’a aucun lien d’aucune sorte avec ce que Marcel Gauchet appelait il y a quelques mois « le malheur français ».
Il serait parfaitement irresponsable de penser que l’immigration devrait encore augmenter massivement. Il serait également irresponsable de ne pas voir que les immigrés eux-mêmes sont victimes de l’absence de régulation. Très bien ! Bravo ! Ces femmes, ces hommes, ces adolescents et ces enfants venus du Sud, qui fuient la misère et parfois la tyrannie, espérant trouver en Europe des conditions de vie meilleures, sont la proie de nouveaux trafiquants d’esclaves, qui font l’indigne commerce de leur vie.
Parmi ceux qui échappent à la mort sur les chemins de l’exil, combien s’entasseront dans des logements insalubres, victimes des marchands de sommeil ? Combien seront relégués dans des quartiers-ghetthos, privés d’avenir ? Combien rejoindront les rangs des chômeurs, faute de maîtrise de la langue française et de compétences professionnelles ? Et donc ? Combien se verront refuser de facto l’accès au marché du travail et seront condamnés à vivre de l’assistance sociale ou de petits trafics ? Combien s’enfermeront dans le communautarisme et le ressentiment contre un pays, le nôtre, qui n’est pas le leur ? Tout démontre l’impasse où mène la fausse générosité des immigrationnistes ! Très bien ! C’est une tragédie. Les naufrages des migrants continuent à endeuiller chaque semaine la Méditerranée. L’émotion est là. La dignité, toujours, doit être sauvegardée ; mais la raison doit revenir.
Les migrants, c’est vrai, sont parfois des personnes menacées, poussées sur les routes de l’exil par les désordres du Levant et de la corne de l’Afrique ; mais ils ne sont pas tous des combattants de la liberté, ni de vrais réfugiés politiques. Ils sont nombreux, en réalité, à être des candidats à l’immigration à la recherche de nouvelles opportunités en Europe. Quelles opportunités ? En outre, il ne s’agit pas, pour l’essentiel, de mouvements spontanés, mais bien de flux organisés par des trafiquants qui adaptent leur activité criminelle en créant des circuits lucratifs.
Ces déplacements sont facilités par les carences des pays de transit, qui laissent passer les immigrés clandestins venus de pays d’Afrique subsaharienne ; ils sont aggravés par les lacunes européennes. Notre continent est en effet le plus ouvert au monde. On y distribue largement des visas, des cartes de séjour et des prestations sociales. C’est vrai ! Ce désordre a été accentué, au cours des dernières années, par le choix singulier de la chancelière allemande – d’ailleurs approuvé par le ministre de l’économie de l’époque, Emmanuel Macron –… Eh oui ! …dont le « Willkommen », lancé à l’été 2015, a durablement déstabilisé le continent. C’est l’honneur de l’Europe ! Le contrôle des frontières extérieures de l’Europe est resté une fiction. L’espace Schengen, caractérisé par un principe juridique de libre circulation et un périmètre géographique très étendu, s’est hélas révélé tragiquement inadapté au monde dans lequel nous vivons. L’immigration vers la France, quant à elle, ne cesse de croître.
Le rapport que notre collègue Jean-Michel Clément et moi-même avons présenté à la commission des lois, il y a quelques semaines, a permis de publier, objectivement, les vrais chiffres de l’immigration vers la France. Ah ! Le nombre de visas a augmenté de 25 % entre 2012 et 2017 ; l’an passé, notre pays a accordé plus de 3,4 millions de visas – c’est un record historique. Le nombre de cartes de séjour délivrées par la France entre 2012 et 2017 a augmenté de 35 %, et l’an dernier, nous avons délivré 262 000 titres de séjour ; c’est le chiffre le plus élevé des trente dernières années ! (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR.) Quant aux clandestins à qui le Gouvernement a donné des papiers entre 2012 et 2017, lors d’une opération de régularisation massive, ils étaient 181 000. Et sans aucune contrepartie ! Aujourd’hui, en France, on évalue le nombre de clandestins à 400 000… Comment estimer le nombre de clandestins ? …et le taux d’échec des mesures d’éloignement est de 86 %.
Par ailleurs, chacun garde à l’esprit – le ministre les a rappelés tout à l’heure – les chiffres qui démontrent l’explosion et le détournement du système de l’asile.
Pendant que l’immigration augmente, l’intégration recule. Je garde à l’esprit une étude de l’OCDE, qui démontre que 43 % des immigrés d’âge actif en France sont sans emploi. Tous ceux qui ont servi la place Beauvau – dans des fonctions éminentes ou plus modestes – savent qu’il existe en France une surdélinquance liée à l’immigration massive.
Cette réalité est corroborée par diverses études sociologiques et statistiques.
Ainsi, Christophe Guilluy écrit dans son livre Fractures françaises que « la surdélinquance des populations issues de l’immigration, notamment jeunes, est une réalité ». On constate en particulier une corrélation entre les territoires de la violence urbaine et ceux où se concentrent les dernières vagues migratoires. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Vous reprenez le discours du Front national, maintenant ! C’est scandaleux, monsieur Larrivé ! Il faudrait ajouter au débat d’autres statistiques, objectives, produites par le ministère de la justice qui indique notamment que 15 000 des 69 000 individus actuellement détenus en France sont de nationalité étrangère. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM. – « Chut ! » sur les bancs du groupe LR.) C’est loin d’être la majorité, ça ! Ces chiffres, bien sûr, dérangent ceux qui ont choisi de ne rien voir, ceux qui ont choisi de mettre des œillères, ceux qui ont choisi de s’enfermer dans l’idéologie immigrationniste et No Border . (Vives exclamations sur les bancs des groupes FI, GDR et NG.) Nous n’avons pas d’œillères, justement ! Mais ces chiffres sont une réalité – ils ne résument certes pas tout le défi migratoire, mais nous avons le devoir de les regarder en face, car ce sont des indicateurs de l’échec global de la politique d’immigration. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Exclamations diverses.) Il y a des immigrés ici, dans cette salle ! Que faire ? Je crois profondément qu’il est nécessaire de tirer les leçons des lois passées, y compris en dressant un bilan lucide des périodes récentes où nos prédécesseurs, à droite et au centre droit, ont gouverné mais n’ont pas su obtenir les résultats annoncés. Nous attendons toujours vos propositions ! Nous avons, à cet égard, un devoir d’inventaire, et plus encore un devoir d’invention. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Entre 1980 et 2016, ce sont vingt-sept lois relatives à l’immigration – je le dis sous le regard de M. le Premier ministre Manuel Valls – qui ont été votées, soit une réforme en moyenne tous les seize mois. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, écrit par des hauts fonctionnaires de grande qualité, est moins le produit d’une réflexion globale et cohérente que la sédimentation de textes votés au fil des années, selon des logiques parfois contradictoires, sous la contrainte de multiples directives européennes, et parfois sous la dictée de telle ou telle évolution jurisprudentielle venue de Luxembourg ou de Strasbourg. C’est simplement la réalité ! L’extravagante variété des catégories de titres de séjour et des décisions d’éloignement en est la marque. Les régimes contentieux sont d’une incroyable complexité ; le raffinement procédural plonge au quotidien les agents de l’État – services des préfectures et consulats, policiers, gendarmes, magistrats judiciaires et administratifs – dans un enfer bureaucratique structurellement défaillant. Eh oui ! Les faiseurs de mauvaises lois entravent ainsi l’État, et le privent en réalité de sa souveraineté, c’est-à-dire de sa capacité à agir. Hortefeux, où est-il ? Mais que proposez-vous ? Monsieur le ministre d’État, le projet de loi que vous nous soumettez continue, hélas, à obéir à cette logique bureaucratique. Il s’inscrit dans la continuité des lois de 2015 et 2016 présentées par les gouvernements de M. Hollande et que vous avez votées lorsque vous étiez sénateur socialiste du Rhône. Eh oui ! On l’oublie parfois – il n’y a pourtant pas de honte à être socialiste ! Votre projet de loi ne change pas l’architecture du droit de l’immigration et de l’asile.
Il se borne à modifier deux ou trois paramètres techniques, réduisant ici un délai de recours, augmentant ailleurs un délai de rétention.
Article après article, alinéa après alinéa, avec Éric Ciotti et nos collègues du groupe Les Républicains, nous débattrons des mesures que vous proposez, bien sûr. Et nous vous avertirons des effets pervers de certaines d’entre elles – je pense notamment à la déraisonnable extension de la réunification familiale des réfugiés, à la multiplication des cartes de séjour pluriannuelles ou à la marche arrière que constitue l’abrogation partielle de la loi du 20 mars 2018 relative aux demandeurs d’asile relevant du système de Dublin… C’est d’ailleurs là une bizarrerie que je tiens à dénoncer ici très directement : moins d’un mois après l’entrée en vigueur d’une loi que l’actuelle majorité a votée, vous vous apprêtez à en abroger une partie, en acceptant des amendements de l’aile post-socialiste du groupe majoritaire. C’est sans doute cela le nouveau monde !
Vous êtes fidèles en cela à la logique macronienne du « en même temps »… Ah ! Cela faisait longtemps ! …qui vous permet d’être à la fois – c’est très commode – pour et contre une même mesure, à moins que cela ne soit ni pour, ni contre, bien au contraire. Ce n’est pas tout à fait cela ! On vous expliquera ! La vérité est que cette petite loi de petits ajustements techniques et de petits compromis politiques internes à la majorité ne permettra pas à la France, hélas, de sortir du chaos migratoire. Voilà une petite motion de rejet ! Et où sont vos propositions ? Ce que nous vous proposons, avec Éric Ciotti et l’ensemble des députés Les Républicains, c’est un tout autre chemin, celui d’une vraie transformation permettant de réduire et de réguler l’immigration. ( « Ah ! Enfin ! » sur les bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
Cinq ruptures sont nécessaires – et j’entends l’impatience des députés macronistes en mal d’idées. (« Eh oui ! On attend vos propositions ! » sur les bancs du groupe LaREM.)
La première rupture, ce doit être la définition de plafonds d’immigration, c’est-à-dire de contingents limitatifs. Pour diminuer globalement l’immigration et la réguler intelligemment, il est indispensable que la France ait, demain, le pouvoir juridique de fixer chaque année le nombre d’étrangers admis à immigrer en France. C’est un enjeu majeur de souveraineté et d’efficacité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Très bien ! Le Gouvernement serait chargé d’assurer le respect de ces plafonds, définis par la représentation nationale. Très concrètement, un visa pourrait être refusé par un consulat ou une carte de séjour par un préfet lorsque le contingent annuel serait dépassé, comme il pourrait au contraire être accepté quand les limites ne seraient pas atteintes. La demande rejetée devrait alors être examinée l’année suivante. Ces plafonds s’appliqueraient à chacune des catégories de séjour : on déterminerait, par exemple, combien d’étudiants, dans quelles filières, la France souhaiterait former. C’est dans ce cadre, de même, que le regroupement familial pourrait être régulé. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Vous protestez, chers collègues de La République en marche, mais demain vous applaudirez Justin Trudeau qui ne fait pas autre chose ! Il est nécessaire, parallèlement, de mettre fin aux dispositifs légaux de rapprochement familial des clandestins, issus d’une interprétation extensive et déraisonnable de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et qui aboutissent contre toute logique à organiser une filière de régularisation massive en légalisant les contournements de la procédure de regroupement familial.
Pour que cette logique de contingentement soit respectée, il faudra aussi revoir de fond en comble les procédures d’attribution des cartes de séjour et de recours, selon un principe simple : le ressortissant étranger ne doit pouvoir faire qu’une seule demande de visa ou de carte de séjour, en indiquant le motif pour lequel il demande à être accueilli en France ; s’il est en France et s’il fait un recours contre une décision unique de rejet, il devra avoir l’obligation, sous peine d’irrecevabilité, d’être physiquement présent lors de l’audience du tribunal, ce qui lui permettra de bénéficier d’une carte de séjour en cas d’acceptation – et ce qui le contraindra, en cas de rejet, à être immédiatement placé en centre de rétention en vue de son éloignement effectif.
La deuxième rupture consistera à tarir les sources de l’immigration sociale. Il est temps de revoir les conditions dans lesquelles les étrangers résidant en France accèdent aux prestations sociales.
Un étranger qui exerce le même travail et verse les mêmes cotisations sociales qu’un Français doit bien sûr avoir accès à la même assurance sociale pour le protéger des risques liés aux accidents du travail, au chômage, à la maladie, à la vieillesse. Mais un étranger tout juste arrivé en France n’a pas à bénéficier de prestations sociales financées par les personnes qui résident en France de longue date. Vous ne faites que reprendre le discours du Front national ! C’est pourquoi, avec Valérie Boyer et Fabien Di Filippo, nous vous proposons de limiter l’accès aux allocations familiales et au logement social en le conditionnant à plusieurs années de résidence légale en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Une immigration maîtrisée, d’abord. L’Europe vient de connaître une crise migratoire comme elle n’en n’avait plus vécu depuis la fin de la Première Guerre mondiale. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : alors qu’en 2010 le nombre de migrants était de 103 000, il a bondi à 291 000 en 2014 pour dépasser 1,8 million en 2015. Cette crise, nous le savons, a bousculé nos structures de protection, a contribué à faire monter les craintes,… Vous les entretenez, les craintes ! …et a fait basculer un grand nombre des pays de notre continent dans un populisme agressif et xénophobe.
Il n’est que de regarder les résultats des dernières élections : en Allemagne, le Bundestag compte désormais 92 députés d’extrême-droite ; en Autriche, le FPÖ a obtenu près d’un tiers des sièges, devenant ainsi un partenaire incontournable de la coalition au pouvoir ; en Italie, le Mouvement 5 étoiles arrive en tête avec 32 % des voix, et la Ligue du Nord, avec 17 % de suffrages, dépasse Forza Italia. Et en France, nous avons droit à Emmanuel Macron ! Et que dire des dernières élections en Hongrie, où le parti de Viktor Orban vient d’obtenir les deux tiers des sièges… Cela n’a aucun rapport avec l’asile, monsieur le ministre ! …suivi par Jobbik, un mouvement qui développe des thèses plus xénophobes et plus ultranationalistes encore. C’est l’original et la copie ! D’une certaine manière, l’élection d’Emmanuel Macron s’est inscrite à contre-courant. Pourtant, la France se trouve confrontée au même phénomène migratoire – même si c’est avec un temps de retard par rapport au reste de l’Europe. Qui sème la guerre récolte des demandeurs d’asile ! En 2017, avec des arrivées qui se sont réduites de moitié, l’Europe semble avoir franchi le pic migratoire. C’est là, on le sait, le résultat des accords passés avec la Turquie, qui ont permis une très nette réduction des flux vers la Grèce ou les Balkans. C’est là le résultat d’une diminution très forte – de l’ordre de 34 % – des arrivées en Italie depuis la Libye, tendance qui se poursuit sur les premiers mois de 2018. En Méditerranée occidentale seulement – Maroc, Espagne – le nombre de personnes franchissant les frontières augmente : en deux ans, on est en effet passé de 7 000 à 23 000 entrées irrégulières.
Mais alors que la demande d’asile diminue en Europe, elle continue à croître en France. En 2010, on comptait 52 000 demandes d’asile dans notre pays. L’an dernier, nous avons atteint 100 000 demandes, après trois années consécutives d’augmentation : 29 % de plus en 2015, 6 % de plus en 2016, et 17 % de plus en 2017. Résultat : malgré une augmentation continue des places disponibles au sein de notre dispositif national d’accueil, dont le nombre est passé de 44 000 en 2012 à 80 000 aujourd’hui, celui-ci ne peut héberger qu’à peine 60 % des demandeurs. Il faut créer des places ! D’où un transfert vers le système d’hébergement d’urgence qui, bien qu’il ait connu lui-même une montée en puissance – le nombre de places est passé de 62 000 en 2012 à 138 000 en 2017, dont 42 000 chambres d’hôtel –, est lui aussi saturé. Et encore, je ne mentionne même pas le plan grand froid, qui nous a permis d’atteindre 150 000 places – ce qui n’a pas empêché une multiplication de campements sauvages dans les rues de nos agglomérations. Eh oui ! Mesdames et messieurs les députés, quelle que soit la sensibilité des uns et des autres sur le sujet que nous abordons ce soir, nous devrions nous accorder sur le constat qu’on ne saurait continuer très longtemps dans cette voie, qui est à la fois indigne des traditions d’accueil de la France,… Ça, c’est sûr ! C’est pour cela que vous les aggravez ? …et de plus en plus difficile à vivre pour un certain nombre de nos concitoyens. Non ! Il est urgent de réagir à cette situation qui se dégrade d’année en année. Pour ce faire, c’est d’abord en amont qu’il convient de porter l’effort : c’est à cette condition que nous pourrons continuer à accorder l’asile dans des conditions dignes à celles et ceux qui ont besoin de protection.
Le Président de la République et le Gouvernement ne se situent pas dans une autre voie lorsqu’ils mènent une action forte sur le plan international. Bien au contraire : ils aggravent la situation ! Au Levant, il s’agit d’éviter que des populations soient à nouveau poussées à l’exode comme au moment où l’État islamique tentait d’instaurer le califat. C’est aussi le sens des décisions adoptées par le Gouvernement pour que des civils ne soient pas pris pour cible. En Libye, nous œuvrons avec le délégué général des Nations unies pour que se reconstitue, là aussi, un État capable de mettre fin aux agissements des réseaux qui ont fait des migrants de simples marchandises. Nous avons vu ces scènes insupportables, où des femmes et des hommes sont battus, torturés, violés, parfois réduits en esclavage. Donnez-leur l’asile ! Et la responsabilité de la France là-dedans ? (Protestations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Eh oui ! C’est bien la France qui a bombardé la Libye ! En Afrique subsaharienne, c’est la même volonté qui guide la France. Là aussi, si nous luttons pour rétablir les conditions de la sécurité, c’est pour permettre que s’établissent les conditions du développement économique, sans lequel rien n’est possible.
Oui, c’est en amont que beaucoup se joue. Comme l’a dit avec force le Président de la République à Ouagadougou, en s’adressant à la jeunesse africaine : « C’est à vous qu’il appartient de construire votre avenir sur votre continent, plutôt que de vous laisser duper par les chimères de passeurs qui n’ont qu’un but : s’enrichir, et qui chaque jour, sans scrupules, conduisent nombre d’entre vous à la mort, dans le désert, dans les camps, ou en Méditerranée. »
Le premier devoir de l’Europe est donc d’aider l’Afrique à construire son propre avenir économique. Pour cela, il faudrait une vraie politique d’aide au développement ! Et l’on sait combien grandes sont les potentialités de ce continent. Il faut aider à construire la rive sud de la Méditerranée.
Il faut aussi que l’Europe sache trouver des solutions communes en matière d’asile et d’immigration, et cela passe par des législations de plus en plus convergentes. C’est ce qu’elle a commencé à faire – mais encore trop peu – en tentant de mettre en place un régime d’asile européen commun. Et c’est à quoi entend contribuer la France avec ce projet de loi, dont la plupart des dispositions tendent à nous rapprocher du droit et des pratiques en vigueur chez nos partenaires les plus proches.
Le premier objectif, vous le connaissez, est de raccourcir les délais d’instruction du droit d’asile, à six mois en moyenne. Cela permettra non seulement de gagner en efficacité, mais aussi – je le dis – en humanité. En effet, ce qui crée des situations inextricables, insupportables sur le plan humain, c’est notre incapacité à trancher dans des délais raisonnables. Ça, c’est sûr ! Il y a des familles qui sont depuis quinze ans à l’hôtel : qui peut se dire satisfait d’une telle situation, qui peut penser que des enfants peuvent grandir, se former dans de telles conditions ? Votre texte ne réglera pas ces questions ! Quand une personne qui a fui les théâtres de guerre doit attendre parfois plus de deux ans dans la précarité, avant de savoir si elle pourra construire ici sa vie, qui peut prétendre que la France est à la hauteur de ses valeurs ?
Décider en six mois en moyenne, c’est donc offrir les possibilités d’une insertion rapide dans la société à ceux qui obtiendront l’asile. C’est aussi donner à ceux qui en seront déboutés les conditions d’un retour digne au pays. Car en six mois, ils n’auront pas perdu les liens avec leur famille, leurs repères, leurs amis ; nos politiques de retour doivent d’ailleurs viser à leur permettre de se construire une nouvelle vie. À condition qu’ils rentrent chez eux très rapidement ! Ramener, comme nous le souhaitons, le délai de décision à six mois, suppose la mise en place d’un certain nombre de mesures opérationnelles. Nous les avons prises, ou nous sommes en train de les prendre. Il s’agit d’abord de l’augmentation des moyens humains : vous avez voté, pour 2018, la création de 150 postes équivalents temps plein – ETP – dans les services étrangers des préfectures, de 15 ETP à l’OFII, de 15 ETP à l’OFPRA, de 51 à la CNDA. Ces effectifs nouveaux nous permettront d’accélérer les procédures. 15 personnes en plus à l’OFII, c’est cela qui va changer la donne ? Du reste, nous sommes déjà en train de le faire. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner devant votre commission des lois, alors que la durée moyenne d’instruction d’une demande d’asile était de quatorze mois fin 2016, elle n’est aujourd’hui plus que de onze mois. Quant au délai de premier accueil, il s’est considérablement réduit : il est passé de vingt-et-un jours il y a un an à treize jours aujourd’hui, et nous sommes même à moins de trois jours dans certaines régions.
Au-delà des moyens humains à mettre en place, il y a des changements organisationnels à opérer. C’est l’objet, par exemple, des centres d’accueil et d’examen des situations, qui permettent à la fois d’accueillir et de procéder à une première évaluation administrative.
Madame la rapporteure, vous avez souhaité que l’existence de ces centres soit désormais inscrite dans la loi. Eh bien, dès la fin de cette année, le Gouvernement aura créé un CAES dans chacune des treize grandes régions de notre pays.
Pour raccourcir les délais, il était nécessaire, enfin, conformément au souhait du Président de la République, de repenser un certain nombre de nos procédures. C’est ce que permettra cette loi, en facilitant la convocation par l’OFPRA et en rendant opposable la langue déclarée en préfecture, en autorisant la notification de l’OFPRA par tout moyen, en faisant passer le délai de recours devant la CNDA d’un mois à quinze jours, avec une décision qui produira ses effets… Quels effets ? …dès sa lecture et non plus à sa seule notification, et en développant, à tous les stades, le recours aux vidéo-audiences. Tous les avocats sont contre ! Vous êtes seul, monsieur le ministre ! Dernier point, le caractère suspensif du recours devant la CNDA sera aménagé dans trois cas bien précis : pays d’origine sûr, deuxième décision de rejet de l’OFPRA, demandeurs qui représentent une menace grave pour l’ordre public.
Nous voulons réduire les délais. Encore convient-il que les décisions prises puissent être exécutées, ce qui n’est pas le cas le plus général aujourd’hui : en 2017, 85 000 obligations de quitter le territoire français ont été prononcées, mais seulement 15 000 éloignements ont été réalisés. Il y a des Justes en France ! Cette situation n’est bonne pour personne, et d’abord pas pour celles et ceux qui, restés en France, sont condamnés à vivre dans une semi-clandestinité. C’est pourquoi nous prenons, avec cette loi, un certain nombre de mesures visant à rendre effectives les OQTF prononcées.
En ce début de débat, mesdames et messieurs les députés, je ne veux rien passer sous silence. Deux points ont fait l’objet de discussions entre nous, sur lesquels nous sommes arrivés à un équilibre en commission des lois :… C’est qui, « nous » ? …d’abord, l’allongement de la durée de la rétention ; ensuite, le fait que l’on puisse placer en CRA un certain nombre de familles. J’aurai l’occasion de m’exprimer plus largement sur ces sujets lors de l’examen des articles, mais je veux apporter dès maintenant quelques éléments d’explication.
Pour ce qui est de la période de placement en CRA, dont l’allongement est prévu par la loi, la commission a proposé qu’elle soit fixée à 90 jours, avec un séquençage renforçant la capacité du juge des libertés et de la détention à se prononcer à différents temps de la procédure. J’ai accepté cette proposition. Pas nous ! Et je veux simplement rappeler, à ceux qui trouveraient cette durée de 90 jours encore trop longue, que la directive « retour » prévoit une durée pouvant aller jusqu’à 180 jours, voire, dans certains cas particuliers, jusqu’à dix-huit mois, et que c’est là la durée prévue par la plupart des pays européens voisins. On surtranspose encore ! Ils ont inscrit cette durée dans leur législation parce que c’est cette disposition qui facilite, pour l’administration, l’obtention des laissez-passer consulaires nécessaires à la mise en œuvre des procédures d’éloignement. Or notre administration est précisément en train de travailler sur ce point.
J’ai participé, il y a quelques semaines à Niamey, à une réunion des ministres de l’intérieur qui, pour la première fois, nous réunissait dans une même volonté de combattre les migrations irrégulières et les trafics des passeurs – Europol en a repéré 65 000 en 2018 ; nous avons donc affaire non pas à des traversées individuelles sans aucun concours mafieux, mais à un vaste système de criminalité organisée à l’échelle de la planète ! Nous étions donc ensemble, pays d’origine, pays de transit et pays de destination, avec la même volonté de combattre ces trafiquants et de faire en sorte que l’on revienne à des procédures régulières. J’ai abordé ces sujets avec mes homologues. Ils sont disposés à agir ; nous devons donc l’être aussi.
Le deuxième point, dont je comprends qu’il soit sensible… Sensible ? Nous sommes tous d’accord pour dire que le placement des enfants en rétention est indigne ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) C’est vous qui l’avez permise en 2016 ! Il faut en parler à Mayotte ! …et sur lequel nous avons longuement débattu en commission des lois, avec tous les députés qui le souhaitaient, est celui du placement des familles en rétention. Il faut bien voir que cette mesure est d’abord destinée à régler les problèmes que nous pouvons avoir avec les pays européens récemment dispensés de l’obligation de visa. Pour les ressortissants de ces pays, il est aisé de venir dans un des États membres de l’Union européenne pour y demander l’asile avec leur famille. C’est ce que nous observons pour des pays tels que l’Albanie, première nationalité de demande d’asile en 2017,… Ce n’est pas un pays en guerre ! …ou, plus récemment, la Géorgie. Ces demandes d’asile, qui embolisent nos dispositifs d’accueil, ont peu de chances d’aboutir. Pourtant, l’éloignement de ces personnes s’avère difficile, précisément en raison du fait qu’elles sont accompagnées de leur famille, d’où le problème de la présence de ces familles en CRA.
Je sais que cette situation pose un problème à un certain nombre de députés. J’y suis sensible et j’ai dit devant la commission des lois que nous veillerons à ce que ces familles restent le moins longtemps possible en CRA, sans pourtant que l’on puisse fixer de date butoir, puisque tout dépendra des conditions matérielles permettant leur éloignement.
Je me suis engagé par ailleurs à ce que nous investissions fortement dans l’amélioration des conditions d’accueil en CRA, en particulier par l’aménagement d’espaces visant à accueillir des familles. Cela restera des prisons ! Je sais que beaucoup d’entre vous se sont rendus dans des CRA et qu’ils ont vu… Ça, oui ! …que les conditions d’accueil actuelles étaient souvent indignes. Je tiens à dire que je soutiendrai et accompagnerai tous les travaux parlementaires que vous souhaiterez mener sur ce sujet, afin que nous progressions ensemble et apportions les réponses les plus satisfaisantes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Tout le monde n’applaudit pas chez vous ! La majorité est déjà fracturée ! Mesdames et messieurs les députés, c’est parce que nous aurons réalisé tout cela, que nous aurons mis en place les conditions d’une immigration maîtrisée, que nous pourrons être totalement fidèles à la tradition d’asile développée dès 1793 par les constituants… On aura tout entendu ! …et à l’engagement de la convention de Genève de garantir une protection à « toute personne […] craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race,… Il est scandaleux d’utiliser le mot « race » ! Il n’y a qu’une race : la race humaine ! …de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Eh bien, c’est ce à quoi tend ce texte, qui se veut, dans ses dispositions, particulièrement attentif à toutes les personnes vulnérables. Ben voyons ! C’est pourquoi il comprend une série de mesures destinées à mieux sécuriser le droit au séjour des personnes protégées à titre subsidiaire et des apatrides, à mieux protéger les femmes victimes de violences conjugales ou exposées à un risque d’excision,… Et les hommes ? …et à renforcer l’effectivité de la protection au titre de l’asile lorsque celle-ci est accordée à un mineur. Et je tiens à préciser que cette mesure ne vise évidemment pas la problématique, devenue si prégnante, des mineurs non accompagnés, pour laquelle une négociation est en cours entre l’Assemblée des départements de France et le Premier ministre. Il était temps ! Demain, la France accueillera, dans les conditions que je viens de préciser, parce que c’est son honneur, parce que, en agissant ainsi, elle sera fidèle à sa tradition humaniste.
Nous pensons aussi que nous devrons savoir attirer les compétences, comme sait le faire, par exemple, un pays comme le Canada. C’est pourquoi nous étendrons le « passeport talent » et faciliterons le séjour des étudiants et des chercheurs, notamment de ceux qui sont inscrits dans un programme de recherche multilatéral de type Erasmus. C’est pourquoi nous créerons une carte de séjour temporaire d’un an renouvelable un an pour les jeunes au pair. C’est pourquoi nous sécuriserons et procurerons les conditions de délivrance de la carte de séjour temporaire « visiteur », afin de permettre une meilleure mobilité à ceux qui y ont recours – ils sont plus de 7 000.
Nous améliorerons en outre les conditions de séjour dans notre pays des étrangers travaillant en Europe dans un groupe international ayant des établissements en France. Enfin, nous mettrons bien évidemment en œuvre, comme s’y était engagé le Premier ministre, les mesures préconisées dans le rapport du député Aurélien Taché, qui visent à une meilleure intégration de tous ceux que nous accueillons : doublement des heures de cours de langue, différenciation des modes d’apprentissage selon le niveau de connaissance, mesures d’insertion professionnelle, droit au travail au bout de six mois.
Telle est, mesdames et messieurs les députés, la teneur de notre projet, tel qu’il a été adopté par la commission des lois.
Il y a ce texte, mais, au-delà, il y a tout ce que nous devons réussir pour assurer à ceux qui ont vocation à s’installer dans notre pays les conditions d’une pleine réussite. Un de vos collègues, venu en France comme réfugié à l’époque des Boat People , me disait récemment : « accorder l’asile, ce n’est pas simplement prendre une responsabilité pour quelques mois ou quelques années, c’est savoir accompagner celui qu’on aura accueilli, lui accorder d’acquérir une formation, de trouver un travail, lui donner la possibilité de vivre dans un quartier, dans une cité harmonieuse,… N’y a-t-il pas assez de chômeurs en France ? …et non le laisser cantonné aux marges de notre société ; c’est lui donner la chance d’une rencontre heureuse avec la culture de la nation qui l’accueille,… Revenez sur Terre ! …c’est lui apprendre à en partager les valeurs, non dans le reniement de sa culture d’origine, mais dans un enrichissement réciproque, entre une culture passée et la culture d’un pays dans lequel on a choisi désormais de vivre. » (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
Mesdames et messieurs les députés, votre collègue a raison. Lequel ? Le texte que nous examinons est d’importance. Les problématiques que nous traitons sont complexes, sensibles, parce qu’elles nous touchent au plus profond de notre humanité. Ce texte est d’importance ! (Sourires sur les bancs du groupe LR.) Il faut donc les traiter avec beaucoup de retenue, mais il faut aussi savoir les incorporer dans une vision de notre société qui soit durable, de long terme, car c’est à la soutenabilité d’une politique que l’on peut juger de sa pertinence.
C’est pourquoi, sur ces questions plus que sur toute autre encore, il faut agir avec un grand sens de la responsabilité.
On a parfois critiqué cette loi. Non ? Parfois ? Toutes les associations l’ont critiquée ! Vous avez le sens de l’humour ! Mais si l’on veut changer une société, il faut d’abord avoir le courage de la regarder en face, avec ses failles, ses vulnérabilités, car c’est comme cela que l’on pourra aller de l’avant.
Parce qu’il a été cité à ma droite, au centre et à ma gauche, je me permettrai à mon tour de citer Jean Jaurès,… On vous retrouve bien là ! …qui, dans son célèbre Discours à la jeunesse, disait : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire. » Oui, il faut partir du réel pour aller à l’idéal. Laissez donc Jaurès tranquille ! Eh bien, si nous voulons que, dans dix ans, la France soit celle que nous souhaitons,… Parlez du quotidien, de la France actuelle ! …une France unie, solidaire, fraternelle, dans toute la diversité des composantes de la nation, alors oui, sachons partir des réalités,… Il faut arrêter ! …des réalités telles qu’elles sont, car c’est comme cela que nous pourrons construire ensemble une société meilleure. Quel bla-bla ! Un peu de respect, chers collègues ! Mesdames et messieurs les députés, c’est parce que j’ai confiance dans la capacité de notre pays à dépasser tous les problèmes, en particulier celui que nous évoquons aujourd’hui, c’est parce que j’ai confiance dans la capacité de notre pays à inventer un avenir digne de notre passé que je vous présente avec confiance ce texte, un texte travaillé avec la commission des lois, avec la commission des affaires étrangères, avec l’ensemble des députés qui l’ont voulu,… Sans écouter l’opposition ! …un texte qui permettra de dépasser les doutes, les craintes et d’unir pleinement dans l’avenir l’ensemble de la société française. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur plusieurs bancs du groupe MODEM.) Quelle envolée ! La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour un rappel au règlement. Madame la présidente, ce rappel au règlement concerne le déroulement de notre séance. Sur le fondement de quel article ? Sur le fondement de l’article 58, alinéas 1 à 4, ça vous va ?
Le ministre d’État, ministre de l’intérieur, lorsqu’il parle à la tribune, s’adresse à la nation française, à toute la nation, et les moyens techniques permettent aujourd’hui à l’ensemble des Français de suivre son intervention comme celles qui lui succéderont.
La moindre de choses, quand on s’adresse aux Français, est de parler un vocabulaire qu’ils peuvent tous comprendre. (« Quel mépris ! » sur les bancs du groupe LaREM.) Si vous permettez, le ministre a parlé de CRA, OQTF, CAES, CADA, CNDA, OFPRA sans préciser à aucun moment de quoi il s’agit. Je suis désolé, mes chers collègues, mais les Français ne connaissent pas forcément la traduction de ces sigles. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.) Ce n’est pas un rappel au règlement ! Monsieur Lecoq, il ne s’agit pas d’un rappel au règlement, mais d’un commentaire de ce qui a été dit. Plus grave, madame la présidente, le ministre a fait référence à la « race ». Je rappelle à la représentation nationale, qui n’a peut-être pas l’histoire présente à l’esprit, comme au ministre, qui s’en souvient peut-être, que, le 16 mai 2013, une loi a été votée tendant à la suppression du mot « race » dans la législation française. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI et NG.) Le mot « race » figure dans la convention de Genève ! Ainsi, monsieur le ministre d’État, vous ne respectez pas la législation française votée dans cet hémicycle. Vous n’avez pas à vous référer à ce terme, qui constitue une référence raciste. Cela a été dit dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) Le mot figure à l’article 1erde la Constitution ! La parole est à Mme Élise Fajgeles, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, ministre de l’intérieur, madame la ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur, madame la présidente de la commission des lois, mes chers collègues, nous voilà réunis en séance publique pour connaître d’un projet de loi qui a suscité des doutes, des interrogations, des tensions.
C’est pourquoi, en tant que rapporteure du texte, j’ai tenu à mener, avec l’ensemble de la représentation nationale, un travail de fond pour favoriser une approche concrète et pragmatique de ces sujets. En effet, en plus du sentiment d’humanité, une connaissance réelle des situations est indispensable à un travail législatif de qualité, pour combattre les préjugés et éviter de tout confondre.
Pour préparer ce débat, j’ai entendu plus d’une centaine de personnes, au cours de trente et une auditions, et effectué six déplacements, notamment à Calais, à Berlin et à la frontière franco-italienne, qui ont permis de recueillir les points de vue des différents acteurs de la politique de l’immigration et de l’asile.
Le débat en commission des lois fut également riche et dense, à l’image du sujet. Il a permis à chacun, quelle que soit sa sensibilité politique, de s’exprimer : près de 900 amendements ont été examinés au cours de six réunions. Près de vingt-huit heures de séance ont été nécessaires à l’expression de tous les points de vue.
Il est de notre responsabilité politique de faire toujours mieux la pédagogie des questions migratoires, complexes et épineuses, qui peuvent susciter des sentiments contradictoires.
L’hospitalité est un idéal que nous devons tous garder à l’esprit, mais nous savons que nous devons sans cesse le confronter aux réalités du monde, aux réalités de notre société. Si nous refusons de confronter notre idéal de générosité à ses conséquences concrètes, alors nous entretenons la confusion, l’incompréhension et nous contribuons à nourrir les peurs, terreau du populisme.
Les presque mille amendements que nous aurons à étudier cette semaine traduisent pour une part ces contradictions. D’un côté, une volonté légitime de générosité, mais qui n’explique pas comment notre pays peut intégrer toutes celles et tous ceux qui pourraient arriver, d’où qu’ils viennent, quelles qu’en soient les raisons. L’asile n’a rien à voir avec la générosité ! D’un autre côté, une volonté de dureté, de ne plus accueillir personne et de manier pour cela tous les fantasmes.
Entre ces deux approches, l’objectif de la politique du Gouvernement et de ce projet de loi est d’assumer la ligne de crête qui conduit à des solutions concrètes, à une approche réaliste, à une vision équilibrée des questions migratoires, qui sache concilier l’humanisme et le pragmatisme, l’humanité et la responsabilité. Pas l’humanisme ! Pour rappel, nous avons voté dans le projet de loi de finances pour 2018 une hausse de 26 % des crédits de la mission « Immigration, asile et immigration », qui bénéficie d’un budget inédit de 1,38 milliard d’euros. C’est de la réclame ? Oui, la France doit être à la hauteur de sa tradition historique d’accueil. Son devoir, son histoire est d’offrir l’asile à ceux qui sont persécutés, à ceux dont la vie est menacée dans leur pays d’origine, à ceux qui fuient les théâtres de guerre et qui demandent sa protection. Alors qu’en France, le nombre de dossiers de demande d’asile a franchi pour la première fois, en 2017, le seuil de 100 000, nous devons redonner pleine effectivité à notre droit d’asile pour le préserver.
L’engagement du Président de la République est de réduire le traitement de la demande d’asile à six mois. Cette réduction est une question de dignité, d’humanité : un demandeur d’asile ne doit plus attendre un an, voire dix-huit mois dans des conditions précaires pour savoir quelle sera sa situation administrative, s’il pourra rester sur notre sol ou quand il pourra commencer son parcours d’intégration.
Pour cela, il faut donc un raccourcissement des procédures, de toutes les procédures. C’est l’un des objectifs de ce texte : réduire les délais de traitement, pour plus de dignité et d’humanité. Lors de nos travaux en commission, le projet de loi s’est enrichi pour respecter cet objectif, tout en renforçant les garanties des demandeurs d’asile durant l’instruction de leur dossier : amendement tendant à ce que la notification des décisions par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, par voie électronique garantisse la réception personnelle par le demandeur d’asile ; amendements visant à apporter des garanties supplémentaires aux requérants dans le cadre du recours à l’audience vidéo par la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA ; amendement pour compléter la définition des pays d’origine sûrs afin d’exclure expressément de cette liste les pays où l’homosexualité peut encore faire l’objet de sanctions pénales.
Offrir plus d’humanité, plus de dignité, c’est également améliorer les conditions d’accueil et d’hébergement, ce qui constitue un des objectifs du texte.
Aucun de nous ne peut en effet se satisfaire des conditions indignes vécues dans les campements sauvages encore trop nombreux. Au cœur même de ma circonscription, dans le dixième arrondissement de Paris, j’ai vu ces campements se multiplier depuis plus de dix ans.
Le projet de loi propose, à travers le schéma national d’accueil, une répartition plus équilibrée des flux migratoires sur notre territoire. Pour avoir vu des étrangers attendre nuit après nuit devant la structure de pré-accueil du boulevard de La Villette, toujours dans ma circonscription, et pour avoir auditionné sur ce sujet de nombreux représentants d’associations, tout particulièrement de France terre d’asile, qui gère cette structure, je suis convaincue que nous devons renforcer la mission de pré-accueil des demandeurs d’asile, que le Gouvernement essaie de développer, notamment à travers le déploiement des centres d’accueil et d’examen des situations, les CAES.
La commission des lois a voté un amendement tendant à inscrire dans la loi cette mission d’hébergement préalable à l’enregistrement de la demande d’asile, qui permet à la fois de prévenir la constitution de campements et de traiter de façon digne les personnes qui manifestent le souhait de déposer une demande d’asile. On verra le résultat ! La commission a également adopté un amendement qui vise à encourager le Gouvernement à mettre fin à l’empilement des structures chargées de l’hébergement des demandeurs d’asile que nous avons connu au cours de ces dernières années et à clarifier et à harmoniser par le haut les prestations et les services rendus dans les lieux d’hébergement.
La dignité, l’humanité exigent aussi d’intégrer mieux, beaucoup mieux que nous ne le faisons aujourd’hui, les étrangers qui disposent d’un titre de séjour. Nous avons d’ailleurs adopté en commission un amendement du groupe MODEM qui modifie le titre initial du projet de loi. Nous discuterons en effet cette semaine du projet de loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ». Ça change tout ! S’agissant de l’hébergement des réfugiés, nous avons adopté un amendement qui lie le lieu d’hébergement provisoire du réfugié à celui qu’il avait en tant que demandeur d’asile.
D’autre part, le projet de loi comporte aujourd’hui des mesures permettant de mieux accueillir les talents et les compétences. C’est du sarkozysme ! La commission a complété ces dispositions pour y intégrer de nouvelles mesures visant à mieux intégrer les étrangers en situation régulière sur le territoire. Elle a complété le dispositif « passeport talent », notamment pour y inclure l’artisanat et les entreprises du domaine social et environnemental. Encore du sarkoysme ! Elle a consacré l’existence du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, qui permet la délivrance des titres de séjour « étranger malade ». Elle a amélioré la situation des femmes victimes de violences conjugales et des femmes dont l’ordonnance de protection a expiré. Reste à discuter de la question essentielle des conditions dans lesquelles le demandeur d’asile peut être autorisé à travailler pendant le temps d’examen de sa demande. Ce sera l’objet d’amendements en séance publique.
Mais nous ne serons à la hauteur de cette dignité et de cette humanité, que nous devons aux demandeurs d’asile et aux étrangers qui disposent d’un titre de séjour, que si nous assumons d’être inflexibles avec les personnes qui ne remplissent pas les conditions de séjour sur notre territoire.
Qui promeut, dans cet hémicycle, une politique d’accueil de tous ceux qui sont en quête d’une vie meilleure ? Qui promeut une ouverture totale de nos frontières ? Je me permettrai à cet égard de reprendre les propos tenus par le Président de la République le 27 juillet 2017 à Orléans : « Je ne veux pas d’une France qui fait croire aux gens dans le reste du monde qu’on peut faire tout et n’importe quoi, il n’existe pas le pays qui peut aujourd’hui accueillir l’ensemble des migrants économiques, il n’existe pas ». Rocard l’avait déjà dit ! On ne prend même pas notre part ! Une fois ce principe posé, il faut se donner les moyens de l’appliquer pour assurer une efficacité du respect des règles en matière de contrôles et de reconduite dans leur pays d’origine de ceux qui ne disposent d’aucun droit de séjour sur le territoire national. Rien de neuf ! Cet objectif est évidemment fondamental dans le projet de loi. Il y va du respect de notre pacte républicain, de la crédibilité de notre État de droit. Un certain nombre d’amendements visant à faire respecter les procédures de retour dans le pays d’origine ont été adoptés par la commission, dans le respect des conditions de dignité de la personne humaine. Ce travail, en lien avec M. le ministre d’État, a été particulièrement significatif pour donner tout son équilibre au projet de loi.
Nous avons encadré le régime des refus d’entrée, afin d’assurer le maximum d’humanité lors des contrôles à la frontière terrestre en général et dans les Alpes en particulier. Nous avons inscrit la prise en compte de la vulnérabilité avant toute mise en rétention. Nous avons retenu un nouveau séquençage de la rétention administrative. Celui-ci sera plus efficace et permettra de faire échec aux tentatives d’obstruction, comme les refus d’embarquement de plus en plus fréquents, mais il sera aussi plus restreint que ne le prévoyait le projet de loi initial. Je ne sais pas si vos amis socialistes seront d’accord ! Je tiens à nouveau à saluer la volonté, présente dans le texte, de privilégier l’assignation à résidence, en la rendant plus efficace, plutôt que la rétention, qui ne peut être la règle générale en matière d’éloignement. Quelle erreur ! Après la circulation des biens et de l’information, la mondialisation nous rappelle à ce qui est essentiel : la circulation des hommes. Avec le défi climatique, le défi migratoire est peut-être le plus grand du siècle. La commission a d’ailleurs adopté un amendement qui invite le Gouvernement à se doter rapidement d’une réelle stratégie concernant les déplacés climatiques.
Face à l’immensité de ce défi migratoire, le texte doit être apprécié avec humilité, dans un contexte qui dépasse le cadre parlementaire. Nous devons finaliser au niveau européen les négociations en cours sur l’asile. Nous devrons poursuivre notre politique volontariste d’aide au développement. Nous devrons continuer notre lutte implacable contre les filières et les réseaux de passeurs qui exploitent la misère humaine.
En attendant, ce projet de loi est une étape essentielle pour nous doter de procédures efficaces, garantir effectivement notre droit d’asile, améliorer l’intégration des étrangers sur notre territoire et faire respecter notre État de droit. Il est de notre responsabilité de nous y atteler avec rigueur, sans postures, au cours de cette semaine. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à Mme Marielle de Sarnez, présidente et rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, chers collègues, la commission des affaires étrangères a souhaité se saisir des enjeux européens et mondiaux soulevés par les sujets de l’asile et de la migration. Le projet dont nous débattons ce soir va dans la bonne direction, mais il n’est qu’un des éléments d’une politique à mener beaucoup plus globale. Le Gouvernement en est conscient, qui constate, dès l’introduction de l’étude d’impact, que le projet de loi « n’épuise pas la gestion des questions migratoires en France et en Europe […] ». Rien n’est plus vrai : c’est bien d’une stratégie européenne, d’une action diplomatique et de développement, d’une vision de long terme dont nous avons besoin. L’accélération des mouvements migratoires est un phénomène mondial, dû aux facteurs multiples que vous connaissez : crises, conflits, désastres naturels accentués par le changement climatique, démographie, pauvreté, inégalités internes et Nord-Sud.
Devant cette réalité du monde, il me semble que nous devons nous fixer deux objectifs. Premièrement, nous devons garantir et pérenniser le droit d’asile, qui est un droit fondamental. L’Europe a été dans l’incapacité d’appliquer ce droit correctement lors de la crise migratoire de 2015. Les dirigeants européens n’ont su ni anticiper, ni gérer la situation, malgré un arsenal juridique élaboré – je pense au mécanisme d’alerte rapide ou à la protection temporaire, qui n’ont pas même été déclenchés. Cette incapacité à gérer la crise migratoire a eu les effets que nous savons : l’inquiétude des opinions européennes s’est renforcée. Si l’accueil des demandeurs d’asile, en particulier des Syriens, s’était fait dans un cadre concerté et organisé, l’acceptation par les opinions publiques aurait été plus élevée et les réfugiés syriens accueillis dans notre pays plus nombreux.
Trois années plus tard, et faute de convergence, nous faisons toujours face à de graves défaillances dans le régime européen d’asile. Les délais de traitement, les conditions d’accueil des demandeurs, leurs chances d’obtenir l’asile, la probabilité d’être éloignés après un rejet, restent trop divergentes entre les États membres. Ainsi, tandis que 77 % des Irakiens obtiennent une protection internationale en Allemagne, ils ne sont que 23 % à en bénéficier en Finlande ; 82 % des Afghans l’obtiennent en France, mais seulement 37 % en Suède, pays pourtant très protecteur. Il y a donc du laxisme en France ! La durée moyenne globale de traitement d’une demande d’asile reste supérieure à un an en France, contre moins de sept mois en Allemagne. C’est pourquoi je soutiens sans réserve l’objectif du Gouvernement de réduire à six mois les délais dans notre pays, car c’est d’abord une question d’humanité pour les demandeurs d’asile.
Selon Eurostat, le rapport entre les départs effectifs d’étrangers sous obligation de quitter le territoire d’un État membre et le nombre des obligations délivrées a été, entre 2010 et 2016, de 23 % en France, contre 44 % en moyenne européenne, 71 % en Suède, et 89 % au Royaume-Uni et en Allemagne, où les retours volontaires sont très largement pratiqués. Ajoutons enfin que le système de relocalisation dans l’Union a donné un résultat plus que limité, et que le système de Dublin, qui prévoit le renvoi des demandeurs d’asile dans le premier pays d’accueil, ne fonctionne pas. Tous ces dysfonctionnements, qu’il faut regarder en face, ont créé de fait un « marché européen de l’asile ». Les déboutés en Allemagne vont tenter leur chance dans un autre pays, qui, en l’état actuel du droit, est tenu de réexaminer leur situation. C’est vrai ! Il y a bien là un dévoiement de la procédure et du droit d’asile. Une seule solution est envisageable pour y mettre un terme : harmoniser nos pratiques. Nous devons faire converger nos politiques nationales en ce qui concerne le délai de traitement des demandes d’asile, le taux de reconnaissance des principales nationalités et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile. Nous devons établir, enfin, une liste européenne des pays d’origine sûrs… Bravo ! …et aller vers une reconnaissance mutuelle des décisions sur la protection internationale en Europe. Cette convergence européenne de l’asile doit être mise en œuvre le plus rapidement possible, sous forme d’une coopération renforcée si nécessaire, entre États membres d’accord pour avancer ensemble. Bravo ! Elle devra, pour être complète, s’accompagner d’une gestion commune de nos frontières, avec, enfin, le contrôle et l’enregistrement de toutes les entrées et sorties aux frontières extérieures de l’Union européenne, et la mise en place d’un véritable corps de garde-frontières et de garde-côtes européens.
Deuxième objectif : nous avons besoin de construire un partenariat global et équilibré avec les pays d’origine et de transit, et en particulier avec l’Afrique. L’Afrique subsaharienne dispose d’environ 30 % des ressources naturelles mondiales, mais produit moins de 2 % des richesses de la planète. Les pays riches, dont l’Union européenne, conduisent de longue date une politique qui leur a permis d’accéder à des ressources naturelles qu’ils n’ont pas et d’écouler en retour les produits transformés et les surplus agricoles. Cette politique a eu des conséquences négatives sur le développement des économies africaines. Il nous faut donc rééquilibrer nos échanges, agir pour que l’Afrique retrouve la plénitude de l’exploitation de ses ressources naturelles et accède enfin à l’autosuffisance alimentaire.
C’est bien d’un nouveau partenariat entre l’Union européenne et l’Union africaine dont nous avons besoin sur ces questions commerciales, mais aussi sur les sujets migratoires. Les accords de gestion concertée passés par la France avec huit pays africains n’ont pas tenu leurs objectifs. Les contingents de titres de séjour n’ont pas été remplis, et le taux moyen des laissez-passer consulaires obtenus par la France s’élève à 26 %. Nous devons mettre en place un dialogue continu et de haut niveau avec les pays d’origine et de transit, trouver avec eux un équilibre dans la gestion migratoire, favoriser, autant que faire se peut, les retours volontaires et la réinsertion, agir ensemble pour le contrôle de leurs frontières, la lutte contre les trafics et la traite des êtres humains.
Mais si nous voulons lutter résolument contre l’immigration illégale, nous devrons définir clairement des voies légales. C’est pourquoi je propose que nous ouvrions à terme le débat – au moins le débat – sur la migration économique, qui représente en moyenne 25 % des migrations légales dans l’Union européenne, mais seulement 10 % en France. Plus que cela ! De plus, la liste de nos métiers sous tension n’a pas été revisitée depuis 2008. Nous devrons aussi introduire davantage de fluidité dans nos dispositifs, favoriser les allers et retours choisis… Surtout les retours ! …parce que c’est la seule façon de lutter efficacement contre la fuite des cerveaux. De même, nous devrons imposer des changements profonds si nous voulons, demain, une véritable politique de co-développement. Aujourd’hui, notre action est essentiellement multilatérale, ce qui nous prive d’un levier sur le plan politique et d’une capacité réelle d’action, équivalente, par exemple, à celle du Royaume-Uni. Les nouvelles orientations définies par le Gouvernement, en particulier le renforcement de la part du bilatéral et des dons par rapport aux prêts, vont dans le bon sens mais devront être suivies d’effets.
Mes chers collègues, nous avons besoin de débattre régulièrement de ces grands sujets que constituent l’asile et les migrations. Les objectifs du Gouvernement doivent être connus, et il nous faudra en vérifier la bonne application. C’est pourquoi je propose que notre Parlement y consacre un débat annuel.
Enfin, monsieur le ministre d’État, vous me permettrez, au terme de cette intervention, une suggestion. La France gagnerait à travailler, sous votre responsabilité et celle du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, à l’élaboration d’une feuille de route conjointe fixant, en complément du projet de loi que vous nous présentez aujourd’hui, le cadre de notre réflexion nationale, européenne et mondiale pour les années à venir sur ce qui est probablement l’un des plus grands défis du siècle. Nous sommes prêts, pour notre part, à y contribuer. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.) La parole est à Mme Fiona Lazaar, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, madame la présidente de la commission des lois, mesdames les rapporteures, chers collègues, l’objectif de ce projet de loi est de conjuguer un impératif d’efficacité et une exigence d’humanité. Je crois que ce texte, largement enrichi lors de son examen en commission, va dans le sens de cet équilibre. L’examen en séance nous permettra, je l’espère, d’aller plus loin sur certains sujets : je pense notamment à la question du délit de solidarité, qui me tient particulièrement à cœur. Si la lutte contre les réseaux criminels d’immigration clandestine ne souffre aucune contestation, il ne faut pas la confondre avec l’engagement de celles et ceux qui apportent sincèrement leur aide aux personnes migrantes. Très bien ! À mes yeux, jamais un acte de solidarité désintéressée ne devrait être sanctionné.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre d’État, notre pays doit aujourd’hui faire face à des flux migratoires d’une ampleur incontestable et à une hausse conséquente du nombre de demandeurs d’asile. Au-delà des chiffres et des statistiques, sur le terrain, les difficultés sont bien présentes et cela nous oblige à réagir – j’en ai été frappée en allant au contact des administrations et des associations d’accueil, notamment dans mon département du Val-d’Oise. Le projet de loi présenté par le Gouvernement vise à répondre de manière opérationnelle à ces défis, en renforçant l’efficacité de nos procédures tout comme notre capacité à accueillir dans de bonnes conditions les étrangers qui ont vocation à être admis au séjour.
Mais accueillir ne suffit pas. Le grand défi auquel nous devons aujourd’hui apporter des réponses, c’est celui de l’intégration. La nécessité d’une intégration réussie est, évidemment, un enjeu de cohésion sociale, mais je suis convaincue que cela constitue également une véritable opportunité. Les étrangers qui arrivent aujourd’hui en France, leurs talents, leurs compétences, leur histoire, sont pour notre société une richesse. Très bien ! À nous de savoir les valoriser. Au-delà du présent projet de loi, je connais l’engagement du Gouvernement sur la question de l’intégration, engagement nourri par le rapport qui vous a été remis, monsieur le ministre d’État, par notre collègue Aurélien Taché. La nomination d’un délégué interministériel à l’intégration des réfugiés, en la personne d’Alain Régnier, facilitera la concrétisation et le suivi de ces propositions, dont je veux saluer l’ambition. La commission des affaires sociales s’est saisie du titre III du présent projet de loi, dédié à cette question de l’intégration, car nous croyons fermement que l’insertion sociale et professionnelle est la clé d’une intégration réussie. C’est cette conviction qui m’a amenée à auditionner des acteurs de la formation professionnelle et de l’emploi, qui ont tous souligné l’incroyable potentiel des réfugiés que nous accueillons aujourd’hui pour notre tissu économique.
Lors de l’examen du texte en commission des affaires sociales, comme en commission des lois, nous avons longuement débattu de la question de l’accès au travail des demandeurs d’asile. C’est un sujet important, et je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’en reparler longuement au cours de nos débats. Je tiens à rappeler qu’en France, le délai d’accès au marché du travail est parmi les plus longs d’Europe ; ce délai d’inactivité prolongée ne fait que des perdants. Nous devons avancer sur la question essentielle de l’accès au travail des demandeurs d’asile. Je tiens, à ce titre, à saluer l’adoption en commission des lois d’amendements permettant aux mineurs non accompagnés de concilier le dépôt d’une demande d’asile et la poursuite d’un contrat d’apprentissage. C’est une avancée particulièrement importante à mes yeux, qui va dans le sens d’une intégration réelle par le travail.
Monsieur le ministre d’État, j’ai bien entendu que M. le Premier ministre travaillait depuis plusieurs mois avec l’Association des départements de France sur la question des mineurs non accompagnés : c’est un chantier prioritaire. Je partage votre souhait que ces enfants soient considérés avant tout comme des enfants, et non pas comme des migrants. C’est pourquoi cet enjeu essentiel n’a pas vocation à être traité dans ce projet de loi. Sachez cependant que c’est un sujet qui fait l’objet de toute notre attention. Il me paraît à ce titre essentiel d’engager une réflexion sur l’accompagnement des mineurs isolés, et notamment sur les ruptures de parcours qui peuvent être induites par leur passage à la majorité.
Si notre commission des affaires sociales s’est montrée particulièrement attentive à la question de l’insertion professionnelle, un autre sujet a fait l’objet de nombreuses discussions : celui de la protection des migrants les plus vulnérables.
Je sais que cette préoccupation est largement partagée sur ces bancs, et je me réjouis de l’adoption par la commission des lois d’amendements qui visent à mieux protéger les femmes migrantes victimes de violences conjugales, à exclure de la liste des pays d’origine sûrs ceux qui pénalisent ou criminalisent l’homosexualité, à examiner la situation personnelle et la vulnérabilité des personnes, notamment en situation de handicap, avant tout placement en rétention ou lors d’un refus d’entrée en France. Ces avancées, il faut les saluer, et je suis convaincue que l’examen en séance nous permettra d’aller plus loin pour garantir une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Si l’on pouvait garder le silence lorsque les orateurs parlent à la tribune, ce serait bien. Je vous remercie.
La parole est à Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, nous y voici ! À l’orée d’un débat parlementaire attendu. Nous avons rendez-vous avec un sujet grave et important : il est question d’une rencontre de la France avec le reste du monde. Oui, nous devons avoir à l’esprit que, lorsque l’on parle de l’asile et des migrations, nous parlons de nous et nous parlons des autres.
À ce stade de la discussion, j’ai à cœur de vous rappeler trois points. Trois points qui forment une ligne d’horizon, que nous ne devons jamais perdre de vue.
Premièrement, l’asile est un bien précieux. Non, c’est un droit ! Il nous vient de loin, du fond de notre histoire ; il prit la forme en 1793 d’une garantie constitutionnelle pour les étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Le monde d’aujourd’hui n’a pas moins besoin, hélas, de combattants de la liberté. Le droit d’asile, c’est la France. Protégeons-le.
Deuxièmement, l’immigration nous concerne tous. Sur trois générations, un Français sur quatre a une ascendance étrangère, un sur trois si l’on remonte aux arrière-grands-parents. Pour ma part, deux générations suffiront, et certains en commission ont fait allusion à une histoire plus proche encore. Nous sommes tous, ou presque tous, des enfants ou des petits-enfants d’immigrés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) C’est vrai ! Troisièmement, l’immigration est une richesse. Des histoires se croisent et s’entrecroisent, des traditions se rencontrent, des cultures se découvrent, des couleurs se mélangent. Cette diversité est une chance.
Une chance pour chacun de nous, car elle nous prémunit contre l’immobilisme. Une chance pour la France, qui se grandit en s’ouvrant au monde. Ce n’est pas tout à fait le sujet du texte ! Le sujet pourrait donc sembler simple. Il ne l’est pas. Il touche à l’humain. Il est donc, comme l’humain, d’une infinie complexité. Et à ce titre, il ne peut se satisfaire de la caricature. Il n’y a pas, d’un côté, les défenseurs d’une humanité sans bornes, et de l’autre, une administration froide qui ne réagirait qu’aux chiffres. Il est, par contre, des équilibres que même le cœur ne peut nous faire négliger.
L’asile est en danger s’il est détourné de son objet. Et c’est le cas. La crise est dans les chiffres : 100 000 demandes en 2017, 50 % d’augmentation en cinq ans. Elle est dans les procédures aussi : plus d’un an d’instruction, un taux de protection d’un tiers environ, et que deviennent les autres ? J’ai vu aux Restos du cœur des familles vivre plusieurs années dans un hôtel social – vous en parliez, monsieur le ministre –, à cuisiner au fond d’un champ sur un réchaud protégé du vent dans un carton. Peut-on le tolérer ? Non ! Les migrations sont moins belles lorsqu’elles sont exploitées. C’est le cas, encore une fois. Les passeurs font miroiter des rêves qui ne sont qu’illusions et, au final, vampirisent ces populations en danger ; les femmes et les enfants deviennent des proies, dont nos regards ne peuvent se détourner. J’ai vu à Agadez, au Niger, des enfants dessiner des naufrages.
L’intégration ne peut pas être qu’une profession de foi. Elle demande des moyens. Et nous n’en avons pas suffisamment aujourd’hui. J’ai vu au Mesnil-Amelot des personnes prêtes à renoncer à leurs droits, pour une vie meilleure que nous ne pouvons leur offrir. Il est normal qu’il y ait, en chacun de nous, des idées qui s’entrechoquent. Moi-même, je vous ai souvent dit, monsieur le ministre d’État, à quel point la question des mineurs me préoccupait. Depuis des mois, nous débattons. À deux, à trois ou à cinquante. En commission des lois, au fil de vingt-huit heures de réunion, toutes les sensibilités ont pu s’exprimer. Je les ai entendues et je peux comprendre les doutes.
Mais le temps est venu de participer ensemble à une volonté commune. Quelle est cette volonté ? Vous nous invitez, monsieur le ministre d’État, à garantir le droit d’asile et à mieux maîtriser les flux migratoires : il le faut. À réduire les délais d’instruction des demandes d’asile : c’est essentiel. À nous donner les moyens d’intégrer ceux qui ont vocation à vivre parmi nous : nous serons à vos côtés. À lutter contre les réseaux et éloigner davantage ceux qui ne peuvent rester : c’est nécessaire. À rechercher des coopérations au-delà de nos frontières pour faire diminuer la pression migratoire : c’est indispensable.
Je le pense : cette politique globale que nous menons est à la hauteur des enjeux. Elle nous permet de faire face à la crise migratoire sans renier nos idéaux. Je vous invite à la soutenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Annie Chapelier, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, aucune femme, aucun homme, aucun enfant ne choisit de quitter son pays, sa terre et sa famille de gaieté de cœur.
Qu’il fuie son pays, pour sauver sa vie, parce que des menaces de mort pèsent sur lui, du fait de la guerre ou bien de persécutions, parce qu’il est une cible politique, religieuse ou sociale, qu’il quitte la terre où il a toujours vécu, parce que la vie y est si difficile qu’il ne peut y imaginer un avenir, qu’elle cherche à se soustraire à des coutumes barbares, telles que l’excision pour elle ou pour protéger ses enfants, qu’il réponde à un rêve de vie meilleure dans un occident idéalisé, jamais un migrant ne prend la décision de quitter son pays à la légère.
Pour toutes ces personnes en fuite, ou en quête d’une vie meilleure, la France, comme les autres pays occidentaux, représente une terre d’asile, image d’autant plus marquée qu’elle est la patrie des droits de l’Homme. Pour certains, la France sera une destination, pour d’autres un point de chute à leur long parcours migratoire, pour d’autres encore, un énième pays de transit.
Pour tous, elle sera un pays d’accueil, où, nous Français, pourrons nous enorgueillir de répondre présents à cet immense défi que sont les migrations présentes et à venir dans un monde bousculé, où le dérèglement climatique a pour conséquence de ne plus permettre à des régions entières de nourrir les populations qui y vivent et qui abandonnent donc ces terres devenues stériles ou infertiles.
Pour toutes ces personnes arrivant sur le sol français, demandeurs d’asile ou migrants économiques, le parcours aura été périlleux, toujours difficile, parfois inhumain. Il est consensuel de dire que ces parcours migratoires sont infiniment plus risqués pour les personnes vulnérables, dont les femmes, que pour les autres migrants. Toujours plus exposées à toutes les étapes de leur trajet, aux violences, physiques et surtout sexuelles, à l’exploitation, au harcèlement, elles représentent plus de 50 % de la population immigrée dans notre pays et plus de 40 % des personnes placées sous la protection de l’OFPRA. C’est parce que les femmes restent dans une situation de vulnérabilité accentuée et qu’il revient à la France d’assurer leur protection et de veiller à ce qu’elles bénéficient d’un accueil spécifique, que la délégation aux droits des femmes a souhaité se saisir de ce projet de loi. Mme Hai et moi-même avons donc remis un rapport d’information portant dix recommandations en ce sens. Car même sur le territoire français, les femmes demeurent plus vulnérables aux violences sexuelles et physiques, plus exposées à une exploitation sexuelle ou domestique, et davantage confrontées aux difficultés économiques.
L’accumulation de ces potentielles fragilités, très dépendantes des pays d’origine et des parcours migratoires, entraîne des difficultés propres, tant dans la demande d’asile que dans la procédure d’obtention de titre de séjour. Nous soulignons la nécessité de la prise en compte des persécutions liées au genre, des femmes menacées ou victimes de mutilations ou en péril de traite d’êtres humains, de mariage forcé ou de prostitution, mais aussi des communautés LGBT persécutées dans leur pays d’origine. Si ces persécutions et vulnérabilités spécifiques, complexes et multiples sont de mieux en mieux prises en compte par l’OFPRA, nous n’avons pu que constater une difficulté de détection, en particulier dans les premiers moments de l’accueil, et nous nous engageons à poursuivre l’effort, notamment par une formation systématique de tous les agents au contact des migrants, et ce, à toutes les étapes du parcours.
Le projet de loi veut dépasser les limites et les insuffisances du système actuel, tout en cherchant à garantir une protection optimale des personnes vulnérables. Ainsi, il prévoit de répartir de façon plus équilibrée les demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire, tout en tenant compte de la vulnérabilité ; il convient cependant de s’assurer que la région de destination du migrant dispose des structures adaptées à la prise en charge de cette vulnérabilité.
En élargissant la protection des victimes de violences conjugales aux victimes de violences familiales, il apporte une réelle avancée. Désormais, grâce à l’amendement des deux corapporteures à l’article 32, les femmes victimes de violence qui ont obtenu une ordonnance de protection et qui ont porté plainte contre leur agresseur, pourront obtenir le renouvellement de la carte de séjour de plein droit. Néanmoins, il nous semble qu’une réflexion pourrait s’ouvrir pour harmoniser les pratiques selon la diversité des situations juridiques des couples, pour gommer les différences de traitement selon que l’on est marié, pacsé ou en union libre. De même, en proposant un mécanisme permettant de corriger la situation très spécifique d’un parent étranger d’un enfant français dont le parent français refuse d’assurer la subsistance, nous espérons recueillir votre soutien, monsieur le ministre d’État.
Nos auditions, visites, rencontres et expériences nous ont tous amenés au même constat. La population civile, par le biais d’associations ou de particuliers, apporte sous des formes très différentes selon les territoires, aide, soutien et refuge aux migrants. Il nous semble important, pour ne pas dire essentiel, de permettre à nos concitoyens de continuer ces initiatives existantes, de participer à cet effort national dans un cadre légal et réglementaire et de prendre part à la vie citoyenne. À l’instar de certains de nos voisins européens, nous proposons, à titre expérimental, d’apporter un cadre légal à cette approche inclusive, au travers de l’implication des citoyens, accélérateurs et facilitateurs d’intégration des demandeurs d’asile.
Enfin, il nous semble également fondamental de mieux prendre en compte le caractère violent des parcours migratoires dans notre demande de processus d’examen des demandes. Dans ce voyage, trop de femmes et d’hommes vivent un réel enfer et sont victimes des pires atrocités ; par exemple, chaque migrant ayant transité par la Libye a été victime de viol, parfois de torture, voire d’esclavagisme. Notre devoir d’humanité nous impose de les accueillir au mieux, en prenant en compte leur statut de victime, et pas seulement leur origine, et de leur offrir une prise en charge adaptée à la hauteur des traumatismes subis.
C’est pourquoi nous espérons, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, pouvoir compter sur votre soutien pour avancer avec efficacité et détermination, mais aussi avec bienveillance et dignité, sur ces différents sujets. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à Mme Marie-Pierre Rixain, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, madame la présidente de la commission des lois, mesdames les rapporteures, mes chers collègues, la représentation nationale a aujourd’hui la charge d’examiner le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie. La France est une terre d’immigration, mais également d’asile. Réfugiés arméniens, Juifs fuyant les pogroms d’Europe de l’Est, républicains espagnols, Boat People vietnamiens, opposants chiliens au général Pinochet, aujourd’hui Syriens ou Afghans, toutes et tous ont cherché la protection de la France.
Le droit d’asile est une disposition constitutionnelle depuis 1946 et un engagement international de la France à travers la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Complété par les principes d’accueil, d’examen indépendant des demandes et de droit au maintien sur le territoire, il illustre la longue tradition d’accueil que la France a développée depuis le XIXe siècle. Un consensus national autour de l’aide inconditionnelle à celles et ceux qui fuient les guerres et les persécutions a toujours existé. Il prévaut encore aujourd’hui.
Malgré les nombreuses tentatives de légiférer, force est de constater que l’accueil des demandeurs d’asile en France n’est pas aujourd’hui à la hauteur des enjeux et continue de connaître des délais beaucoup trop importants. Comme corollaire de l’amélioration nécessaire de l’accueil des demandeurs d’asile, notre politique d’intégration doit également être largement améliorée. Dans le respect de cette tradition d’accueil des demandeurs d’asile, qui caractérise notre société et notre culture, la France doit avoir les moyens d’un asile qui fonctionne.
Face à ce constat, que le projet de loi partage, il est impératif de rendre l’asile en France bien plus effectif. L’effectivité du droit d’asile, c’est d’abord mieux accueillir les familles, en permettant aux parents de rejoindre leurs enfants reconnus comme réfugiés en France, afin de préserver l’unité familiale et de réduire la multiplication des demandes. Le droit d’asile doit devenir une réalité pour tous les demandeurs d’asile. Parmi eux, la situation des femmes est de première importance.
Les femmes représentent plus de 50 % de la population immigrée en France. Cette proportion est en hausse continue depuis les années 1970. Les demandeuses d’asile sont également de plus en plus nombreuses : elles représentent 33 % des premières demandes et 36 % des réfugiés.
Au dépôt de leur demande d’asile, 55 % d’entre elles sont isolées – célibataires ou en rupture familiale. Forte de ce constat, j’ai demandé à ce que la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes soit saisie pour travailler à l’amélioration du texte en matière de processus migratoire et de régime d’asile.
Je tiens d’ailleurs à remercier Annie Chapelier et Nadia Hai du travail de grande qualité qu’elles ont réalisé. L’une des spécificités des femmes réside dans leur vulnérabilité, qui est un sujet essentiel.
Les statistiques recueillies au cours des auditions que nous avons menées indiquent que les femmes occupent une place singulière au sein des phénomènes migratoires. Cumulant souvent plusieurs facteurs de vulnérabilité, elles peuvent être victimes de violences conjugales ou familiales, de mutilations sexuelles, de discriminations ou encore de mariages forcés.
Les violences sexuelles restent l’expression quasi-quintessentielle de la domination masculine, expliquait Françoise Héritier. C’est pourquoi elles relèvent de l’humanité tout entière. Aussi, je salue l’implication du Gouvernement, qui prend ici la défense des droits des femmes dans le cadre plus général des droits de l’Homme.
Les parcours migratoires des femmes sont en général plus risqués. Au cours de leur parcours migratoire, les femmes et les jeunes filles sont exposées à des violences – sexuelles en particulier – plus nombreuses et plus fortes que celles subies par les hommes. Aujourd’hui encore, le viol demeure une arme de guerre à grande échelle.
En Libye, les sévices sexuels et les tortures sont des pratiques quasi-systématiques infligées aux migrantes. Dans certaines régions d’Afrique, l’excision, considérée comme une pratique culturelle, incite les jeunes filles et leurs mères à partir vers l’Europe. La violence caractérisant de tels parcours migratoires provoque de lourds traumatismes, qui accentuent encore davantage la vulnérabilité des femmes migrantes.
Toutefois, l’accueil et la protection qu’accorde la France ne peuvent constituer le seul cadre de nos débats ni la seule politique en matière d’immigration, car accueillir, c’est aussi intégrer. L’octroi de l’asile ne doit pas constituer une fin en soi, mais bien le début d’un parcours d’intégration qui doit mener à une véritable émancipation de celles et ceux qui ont demandé la protection de la France et choisi de s’y établir, en particulier les mineurs.
Un tiers de la population française est d’origine immigrée. Celles et ceux que nous accueillons aujourd’hui feront partie de la société française de demain. Un droit d’asile effectif, juste et fonctionnel ainsi qu’une intégration réussie en matière d’éducation, de logement et d’emploi sont donc indispensables pour assurer un avenir prospère à ce pays.
Comme l’a affirmé le Président de la République, « l’immigration n’est pas quelque chose dont nous pourrions nous départir. De surcroît, l’immigration se révèle une chance d’un point de vue économique, culturel et social. […] Mais à condition de savoir la prendre en charge. Quand on sait les intégrer, les former, les femmes et les hommes renouvellent notre société, lui donnent une impulsion nouvelle, des élans d’inventivité, d’innovation ». (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.) J’ai reçu de M. Christian Jacob et des membres du groupe Les Républicains une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Guillaume Larrivé. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, madame la présidente de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les rapporteures pour avis, mes chers collègues, quel sera le visage de la France demain ou après-demain ? Beau et souriant ! C’est par cette interrogation majeure qu’il me semble nécessaire d’aborder cette première nuit de débats, car les lois relatives à l’entrée et au séjour des étrangers en France ne se résument pas à des règles juridiques.
Le droit de l’immigration, le droit de l’asile et le droit de la nationalité ne sont pas seulement les briques plus ou moins bien ajustées – solides parfois, fragiles souvent – d’une pyramide normative parmi d’autres. En cette matière, les travaux de la commission des lois comme ceux menés dans l’hémicycle ne sauraient se réduire à des discussions de spécialistes visant à ajuster tel chapitre, amender tel article ou modifier tel alinéa de nos codes juridiques. Très bien ! En vérité, une loi sur l’immigration n’est pas qu’une affaire de technique juridique. Ce qu’elle dessine, c’est bien le visage de la France et de sa relation au monde comme nation. C’est pourquoi un vrai débat est nécessaire, ici, à l’Assemblée nationale.
Nous ne vous ferons, monsieur le ministre d’État, ni une leçon, ni un procès d’intention. Je vous donnerai acte, ici ou là, de quelques points d’accord.
Je veux surtout, au nom du premier groupe d’opposition et de proposition, Les Républicains, expliquer ici pourquoi votre projet de loi ne peut être approuvé, et plus encore exposer les grandes lignes du contre-projet d’alternance visant à refonder la politique d’immigration que nous portons, Éric Ciotti, Annie Genevard, moi-même et l’ensemble de nos collègues.
Trop souvent, le débat a été interdit. Il est enfermé dans le conformisme de ceux qui se contentent de répéter des slogans ; il est cadenassé par le juridisme de ceux qui ont renoncé à toute volonté politique ; … Très bien ! … il est verrouillé par le moralisme de ceux qui aiment jouer les censeurs ; et il est aussi, très souvent, embrouillé par l’extrémisme de ceux qui soufflent sur les braises. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Et les droits de l’Homme ? De tout cela, notre pays devrait tenter de se libérer. Ouvrons le débat sur l’immigration, mais ouvrons-le vraiment, en étant guidés par une seule exigence : l’intérêt de la France ! L’intérêt national impose d’abord de refuser deux idéologies contraires, celle de la fermeture totale comme celle de l’ouverture totale.
L’idéologie de la fermeture totale est une brutalité. Telle n’est pas la vision des membres du groupe Les Républicains, ni le projet qu’ils portent. Rejeter toute mobilité, ce serait refuser la vie.
Plaider pour l’immigration zéro, c’est-à-dire l’interdiction absolue de l’installation de tout étranger partout en France, ce serait méconnaître l’histoire et la géographie de la France ; ce serait nier la réalité de la mondialisation ; ce serait renoncer au rayonnement de la francophonie qu’impulse notre pays, qui s’honore à former des étudiants étrangers dans ses universités et ses grandes écoles ; ce serait aussi, madame la présidente de la commission des lois, oublier la vocation de la France consistant à tendre la main aux vrais réfugiés politiques, qui sont les vrais combattants de la liberté. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Très bien ! Il a raison ! Toutefois, l’idéologie de l’ouverture totale est encore plus dangereuse en France, car elle reste dominante dans l’expression publique. Elle a été très justement nommée par Pierre-André Taguieff « l’immigrationnisme, dernière utopie des bien-pensants ».
Les immigrationnistes pensent que l’immigration est toujours en soi une chance pour la France. Ils estiment qu’elle est par essence positive. Ils refusent l’idée même d’un droit de l’État-nation, car ils ne connaissent que les droits des personnes.
Ils refusent la légitimité et la légalité des frontières. Ils ne comprennent pas le choc de désintégration produit par l’immigration massive. Et comme l’immigration, à leurs yeux, est non seulement inéluctable mais souhaitable et va dans le sens de l’histoire, il est pour eux totalement impensable qu’on ne l’accepte pas comme un progrès.
Dès lors, la politique doit reculer, car il n’y a pas de place pour la délibération, la décision et le choix. Il faudrait applaudir – et il suffirait d’applaudir – au spectacle de la Providence qui, peu à peu, gomme la frontière, efface la distinction entre le national et l’étranger et va jusqu’à abolir la différence entre le légal et l’illégal. Très bien ! Absolument ! Dès lors, il n’y aurait plus vraiment de place pour les Français eux-mêmes, car la doxa immigrationniste réduit la France à n’être qu’un lieu sans âme, un terrain vague soumis à toutes les migrations sans autre identité que celle de la coexistence de plusieurs communautés juxtaposées les unes à côté des autres. Cette idéologie, on la trouve, bien entendu, à l’extrême-gauche, parmi les apôtres du No Border . (« Ah ! » sur les bancs du groupe GDR.) Chez nous ! On en voit les traces, aussi, sur les bancs de la gauche socialiste ou post-socialiste, aux marges de l’actuelle majorité (« Ah ! » sur les bancs du groupe NG.)– ainsi M. Boudié, parfois culpabilisé par l’idée même de contrôle, de maîtrise et de régulation. Nous sommes des communistes traditionnels, nous combattons pour la paix ! Mais elle s’exprimeaussi ailleurs, plus insidieusement – sous une autre forme, avec d’autres mots – parmi ceux qui voient la France comme une start-up nation ,… C’est votre tour, chers collègues de la majorité ! Vous, c’est plutôt le très vieux monde réactionnaire ! …c’est-à-dire un lieu neuf et multiculturel dont la vocation première serait de produire des échanges et des services à l’heure de la mondialisation. L’idéologie de la libre circulation absolue des biens, des capitaux, des services et des personnes est un autre sans-frontiérisme qui nie le droit de la France à continuer à exister comme État-nation. Très bien ! Nous, membres du groupe Les Républicains, avons la conviction qu’il est nécessaire de refuser les différentes versions de cette idéologie pour adopter une approche plus rationnelle, plus responsable, plus réaliste,… Plus réactionnaire ! Écoutez, ça vous instruit ! …et in fine plus humaine de la question migratoire.
Commençons par regarder la réalité en face. La France de 2018, monsieur le ministre d’État, reste fracturée par de très graves tensions… Dont vous êtes responsables ! …qui n’ont pas été effacées par la magie de l’élection d’un nouveau prince-président. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) Absolument ! Chômage de masse, hyperviolence, fracture territoriale, menace communautariste, tentative de soumission islamiste : de ce malaise national, l’immigration massive n’est évidemment pas la seule responsable, mais il serait parfaitement irresponsable de prétendre que celle-ci n’a aucun lien d’aucune sorte avec ce que Marcel Gauchet appelait il y a quelques mois « le malheur français ».
Il serait parfaitement irresponsable de penser que l’immigration devrait encore augmenter massivement. Il serait également irresponsable de ne pas voir que les immigrés eux-mêmes sont victimes de l’absence de régulation. Très bien ! Bravo ! Ces femmes, ces hommes, ces adolescents et ces enfants venus du Sud, qui fuient la misère et parfois la tyrannie, espérant trouver en Europe des conditions de vie meilleures, sont la proie de nouveaux trafiquants d’esclaves, qui font l’indigne commerce de leur vie.
Parmi ceux qui échappent à la mort sur les chemins de l’exil, combien s’entasseront dans des logements insalubres, victimes des marchands de sommeil ? Combien seront relégués dans des quartiers-ghetthos, privés d’avenir ? Combien rejoindront les rangs des chômeurs, faute de maîtrise de la langue française et de compétences professionnelles ? Et donc ? Combien se verront refuser de facto l’accès au marché du travail et seront condamnés à vivre de l’assistance sociale ou de petits trafics ? Combien s’enfermeront dans le communautarisme et le ressentiment contre un pays, le nôtre, qui n’est pas le leur ? Tout démontre l’impasse où mène la fausse générosité des immigrationnistes ! Très bien ! C’est une tragédie. Les naufrages des migrants continuent à endeuiller chaque semaine la Méditerranée. L’émotion est là. La dignité, toujours, doit être sauvegardée ; mais la raison doit revenir.
Les migrants, c’est vrai, sont parfois des personnes menacées, poussées sur les routes de l’exil par les désordres du Levant et de la corne de l’Afrique ; mais ils ne sont pas tous des combattants de la liberté, ni de vrais réfugiés politiques. Ils sont nombreux, en réalité, à être des candidats à l’immigration à la recherche de nouvelles opportunités en Europe. Quelles opportunités ? En outre, il ne s’agit pas, pour l’essentiel, de mouvements spontanés, mais bien de flux organisés par des trafiquants qui adaptent leur activité criminelle en créant des circuits lucratifs.
Ces déplacements sont facilités par les carences des pays de transit, qui laissent passer les immigrés clandestins venus de pays d’Afrique subsaharienne ; ils sont aggravés par les lacunes européennes. Notre continent est en effet le plus ouvert au monde. On y distribue largement des visas, des cartes de séjour et des prestations sociales. C’est vrai ! Ce désordre a été accentué, au cours des dernières années, par le choix singulier de la chancelière allemande – d’ailleurs approuvé par le ministre de l’économie de l’époque, Emmanuel Macron –… Eh oui ! …dont le « Willkommen », lancé à l’été 2015, a durablement déstabilisé le continent. C’est l’honneur de l’Europe ! Le contrôle des frontières extérieures de l’Europe est resté une fiction. L’espace Schengen, caractérisé par un principe juridique de libre circulation et un périmètre géographique très étendu, s’est hélas révélé tragiquement inadapté au monde dans lequel nous vivons. L’immigration vers la France, quant à elle, ne cesse de croître.
Le rapport que notre collègue Jean-Michel Clément et moi-même avons présenté à la commission des lois, il y a quelques semaines, a permis de publier, objectivement, les vrais chiffres de l’immigration vers la France. Ah ! Le nombre de visas a augmenté de 25 % entre 2012 et 2017 ; l’an passé, notre pays a accordé plus de 3,4 millions de visas – c’est un record historique. Le nombre de cartes de séjour délivrées par la France entre 2012 et 2017 a augmenté de 35 %, et l’an dernier, nous avons délivré 262 000 titres de séjour ; c’est le chiffre le plus élevé des trente dernières années ! (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes FI et GDR.) Quant aux clandestins à qui le Gouvernement a donné des papiers entre 2012 et 2017, lors d’une opération de régularisation massive, ils étaient 181 000. Et sans aucune contrepartie ! Aujourd’hui, en France, on évalue le nombre de clandestins à 400 000… Comment estimer le nombre de clandestins ? …et le taux d’échec des mesures d’éloignement est de 86 %.
Par ailleurs, chacun garde à l’esprit – le ministre les a rappelés tout à l’heure – les chiffres qui démontrent l’explosion et le détournement du système de l’asile.
Pendant que l’immigration augmente, l’intégration recule. Je garde à l’esprit une étude de l’OCDE, qui démontre que 43 % des immigrés d’âge actif en France sont sans emploi. Tous ceux qui ont servi la place Beauvau – dans des fonctions éminentes ou plus modestes – savent qu’il existe en France une surdélinquance liée à l’immigration massive.
Cette réalité est corroborée par diverses études sociologiques et statistiques.
Ainsi, Christophe Guilluy écrit dans son livre Fractures françaises que « la surdélinquance des populations issues de l’immigration, notamment jeunes, est une réalité ». On constate en particulier une corrélation entre les territoires de la violence urbaine et ceux où se concentrent les dernières vagues migratoires. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Vous reprenez le discours du Front national, maintenant ! C’est scandaleux, monsieur Larrivé ! Il faudrait ajouter au débat d’autres statistiques, objectives, produites par le ministère de la justice qui indique notamment que 15 000 des 69 000 individus actuellement détenus en France sont de nationalité étrangère. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM. – « Chut ! » sur les bancs du groupe LR.) C’est loin d’être la majorité, ça ! Ces chiffres, bien sûr, dérangent ceux qui ont choisi de ne rien voir, ceux qui ont choisi de mettre des œillères, ceux qui ont choisi de s’enfermer dans l’idéologie immigrationniste et No Border . (Vives exclamations sur les bancs des groupes FI, GDR et NG.) Nous n’avons pas d’œillères, justement ! Mais ces chiffres sont une réalité – ils ne résument certes pas tout le défi migratoire, mais nous avons le devoir de les regarder en face, car ce sont des indicateurs de l’échec global de la politique d’immigration. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Exclamations diverses.) Il y a des immigrés ici, dans cette salle ! Que faire ? Je crois profondément qu’il est nécessaire de tirer les leçons des lois passées, y compris en dressant un bilan lucide des périodes récentes où nos prédécesseurs, à droite et au centre droit, ont gouverné mais n’ont pas su obtenir les résultats annoncés. Nous attendons toujours vos propositions ! Nous avons, à cet égard, un devoir d’inventaire, et plus encore un devoir d’invention. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Entre 1980 et 2016, ce sont vingt-sept lois relatives à l’immigration – je le dis sous le regard de M. le Premier ministre Manuel Valls – qui ont été votées, soit une réforme en moyenne tous les seize mois. Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, écrit par des hauts fonctionnaires de grande qualité, est moins le produit d’une réflexion globale et cohérente que la sédimentation de textes votés au fil des années, selon des logiques parfois contradictoires, sous la contrainte de multiples directives européennes, et parfois sous la dictée de telle ou telle évolution jurisprudentielle venue de Luxembourg ou de Strasbourg. C’est simplement la réalité ! L’extravagante variété des catégories de titres de séjour et des décisions d’éloignement en est la marque. Les régimes contentieux sont d’une incroyable complexité ; le raffinement procédural plonge au quotidien les agents de l’État – services des préfectures et consulats, policiers, gendarmes, magistrats judiciaires et administratifs – dans un enfer bureaucratique structurellement défaillant. Eh oui ! Les faiseurs de mauvaises lois entravent ainsi l’État, et le privent en réalité de sa souveraineté, c’est-à-dire de sa capacité à agir. Hortefeux, où est-il ? Mais que proposez-vous ? Monsieur le ministre d’État, le projet de loi que vous nous soumettez continue, hélas, à obéir à cette logique bureaucratique. Il s’inscrit dans la continuité des lois de 2015 et 2016 présentées par les gouvernements de M. Hollande et que vous avez votées lorsque vous étiez sénateur socialiste du Rhône. Eh oui ! On l’oublie parfois – il n’y a pourtant pas de honte à être socialiste ! Votre projet de loi ne change pas l’architecture du droit de l’immigration et de l’asile.
Il se borne à modifier deux ou trois paramètres techniques, réduisant ici un délai de recours, augmentant ailleurs un délai de rétention.
Article après article, alinéa après alinéa, avec Éric Ciotti et nos collègues du groupe Les Républicains, nous débattrons des mesures que vous proposez, bien sûr. Et nous vous avertirons des effets pervers de certaines d’entre elles – je pense notamment à la déraisonnable extension de la réunification familiale des réfugiés, à la multiplication des cartes de séjour pluriannuelles ou à la marche arrière que constitue l’abrogation partielle de la loi du 20 mars 2018 relative aux demandeurs d’asile relevant du système de Dublin… C’est d’ailleurs là une bizarrerie que je tiens à dénoncer ici très directement : moins d’un mois après l’entrée en vigueur d’une loi que l’actuelle majorité a votée, vous vous apprêtez à en abroger une partie, en acceptant des amendements de l’aile post-socialiste du groupe majoritaire. C’est sans doute cela le nouveau monde !
Vous êtes fidèles en cela à la logique macronienne du « en même temps »… Ah ! Cela faisait longtemps ! …qui vous permet d’être à la fois – c’est très commode – pour et contre une même mesure, à moins que cela ne soit ni pour, ni contre, bien au contraire. Ce n’est pas tout à fait cela ! On vous expliquera ! La vérité est que cette petite loi de petits ajustements techniques et de petits compromis politiques internes à la majorité ne permettra pas à la France, hélas, de sortir du chaos migratoire. Voilà une petite motion de rejet ! Et où sont vos propositions ? Ce que nous vous proposons, avec Éric Ciotti et l’ensemble des députés Les Républicains, c’est un tout autre chemin, celui d’une vraie transformation permettant de réduire et de réguler l’immigration. ( « Ah ! Enfin ! » sur les bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
Cinq ruptures sont nécessaires – et j’entends l’impatience des députés macronistes en mal d’idées. (« Eh oui ! On attend vos propositions ! » sur les bancs du groupe LaREM.)
La première rupture, ce doit être la définition de plafonds d’immigration, c’est-à-dire de contingents limitatifs. Pour diminuer globalement l’immigration et la réguler intelligemment, il est indispensable que la France ait, demain, le pouvoir juridique de fixer chaque année le nombre d’étrangers admis à immigrer en France. C’est un enjeu majeur de souveraineté et d’efficacité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Les Républicains.) Très bien ! Le Gouvernement serait chargé d’assurer le respect de ces plafonds, définis par la représentation nationale. Très concrètement, un visa pourrait être refusé par un consulat ou une carte de séjour par un préfet lorsque le contingent annuel serait dépassé, comme il pourrait au contraire être accepté quand les limites ne seraient pas atteintes. La demande rejetée devrait alors être examinée l’année suivante. Ces plafonds s’appliqueraient à chacune des catégories de séjour : on déterminerait, par exemple, combien d’étudiants, dans quelles filières, la France souhaiterait former. C’est dans ce cadre, de même, que le regroupement familial pourrait être régulé. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.) Vous protestez, chers collègues de La République en marche, mais demain vous applaudirez Justin Trudeau qui ne fait pas autre chose ! Il est nécessaire, parallèlement, de mettre fin aux dispositifs légaux de rapprochement familial des clandestins, issus d’une interprétation extensive et déraisonnable de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, et qui aboutissent contre toute logique à organiser une filière de régularisation massive en légalisant les contournements de la procédure de regroupement familial.
Pour que cette logique de contingentement soit respectée, il faudra aussi revoir de fond en comble les procédures d’attribution des cartes de séjour et de recours, selon un principe simple : le ressortissant étranger ne doit pouvoir faire qu’une seule demande de visa ou de carte de séjour, en indiquant le motif pour lequel il demande à être accueilli en France ; s’il est en France et s’il fait un recours contre une décision unique de rejet, il devra avoir l’obligation, sous peine d’irrecevabilité, d’être physiquement présent lors de l’audience du tribunal, ce qui lui permettra de bénéficier d’une carte de séjour en cas d’acceptation – et ce qui le contraindra, en cas de rejet, à être immédiatement placé en centre de rétention en vue de son éloignement effectif.
La deuxième rupture consistera à tarir les sources de l’immigration sociale. Il est temps de revoir les conditions dans lesquelles les étrangers résidant en France accèdent aux prestations sociales.
Un étranger qui exerce le même travail et verse les mêmes cotisations sociales qu’un Français doit bien sûr avoir accès à la même assurance sociale pour le protéger des risques liés aux accidents du travail, au chômage, à la maladie, à la vieillesse. Mais un étranger tout juste arrivé en France n’a pas à bénéficier de prestations sociales financées par les personnes qui résident en France de longue date. Vous ne faites que reprendre le discours du Front national ! C’est pourquoi, avec Valérie Boyer et Fabien Di Filippo, nous vous proposons de limiter l’accès aux allocations familiales et au logement social en le conditionnant à plusieurs années de résidence légale en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)