XVe législature
Session ordinaire de 2018-2019

Séance du mardi 04 décembre 2018

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (nos 1349, 1396).
Je vous rappelle que, à la demande du Gouvernement, nous examinons par priorité les articles 53 à 55 bis et les amendements portant articles additionnels relatifs à l’organisation des juridictions.
La parole est à M. Antoine Savignat. Je vous remercie, madame la présidente, d’avoir accepté que l’Assemblée examine par priorité l’article 53 qui représente l’un des principaux enjeux de ce texte et produira les conséquences les plus graves, sur l’ensemble de notre territoire, en matière de justice.
Cet article a pour objet la mort des tribunaux d’instance, ni plus ni moins. S’il est voté en l’état, le tribunal d’instance n’existera plus. Sa fusion avec le tribunal de grande instance est en réalité une absorption et une disparition. Évidemment, le contentieux sera toujours géré. Tout au long des débats en commission, nous vous avons entendu répéter, madame la garde des sceaux, que vous ne fermeriez aucun tribunal d’instance.
Mais, en disant cela, vous jouez sur les mots, puisque les chefs de juridiction, eux, auront toute latitude pour procéder à la fermeture des tribunaux d’instance à leur gré, pour la gestion de leurs effectifs, soit qu’ils estiment que leur activité est insuffisante, soit qu’ils souhaitent pallier la vacance des postes dans les tribunaux de grande instance. De telles dispositions emportent donc des conséquences extrêmement graves pour l’avenir des tribunaux et de la justice sur l’ensemble des territoires.
Nous ne pouvons pas supprimer ces juridictions, qui sont des juridictions de proximité, de tous les jours, faciles d’accès, celles des petits contentieux.
M. le Premier ministre a évoqué aujourd’hui les différences entre les grandes villes et les territoires. Il a également annoncé une grande concertation nationale sur les impôts et la dépense publique, dont la gestion des tribunaux d’instance fait partie. Pourquoi ne pas attendre l’issue de cette concertation pour savoir s’il y a matière à fermer des tribunaux d’instance ?
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.) La parole est à M. Philippe Gosselin. À mon tour de vous faire part de nos inquiétudes concernant cet article. Un des éléments qui se cache derrière cette fusion des tribunaux d’instance et de grande instance est la crainte que la justice de proximité ne disparaisse. À terme, le risque est grand que cette fusion ne se traduise par la disparition de points de justice et l’apparition de chambres détachées. Les anciens tribunaux d’instance deviendront ainsi des détachements des tribunaux de grande instance et perdront leur autonomie, tant en matière financière qu’en ce qui concerne leurs personnels.
À terme, il sera possible de regrouper ces points de justice sur le territoire. C’est un premier élément de crainte, qui éloignerait certains de nos concitoyens, les justiciables, d’une justice de proximité, du moins au sens où nous l’entendons.
Le présent article ouvre aussi la possibilité à des procureurs de devenir chefs de file dans un même département, où il y aurait plusieurs ressorts d’anciens TGI, donc de tribunaux judiciaires. Cela veut dire, de manière explicite, que, dans un même département, il pourra y avoir une hiérarchie entre procureurs – procureurs de plein exercice et procureurs de second rang, ceux qui ne seront pas chefs de file.
Il sera aussi possible d’organiser une forme de hiérarchie entre ces tribunaux judiciaires. Le texte ne dit pas qu’ils disparaîtront, mais que certains d’entre eux pourront se spécialiser. En se spécialisant, ils deviendront principaux ou secondaires. Il y a là tous les ingrédients d’une bombe à retardement. Ce ne sont peut-être pas les intentions premières du Gouvernement,…
Ni même les secondes ! …mais les effets sont là. Une partie de ce dispositif nous échappe totalement puisque les cartes pourront être revues avec de simples décrets, qui fixeront les détachements et les chambres dites secondaires. La parole est à M. Marc Le Fur. Nous sommes là au croisement entre les préoccupations de la justice et celles liées aux territoires. Nous le savons, la majorité rencontre quelques difficultés avec les territoires, qu’elle a ignorés. J’espère que les choses évolueront.
Jean-Paul Mattei et moi-même avons travaillé sur ce sujet, associant à nos réflexions des députés qui siègent sur tous les bancs de notre assemblée. Nous avons également reçu le concours des autorités des barreaux français, en particulier de son président, Jérôme Gavaudan, et de Christiane Féral-Schuhl. Nous avons travaillé à élaborer des propositions concrètes, honnêtes. Enfin, vous avez bien voulu, madame la garde des sceaux, nous recevoir le 10 avril pour un échange qui nous a permis de progresser, notamment sur la question des cours d’appel.
En Bretagne, nous étions particulièrement sensibilisés à ces questions puisque, comme vous le savez, le ressort de la cour d’appel de Rennes s’étend non seulement sur la Bretagne administrative, mais sur toute la Bretagne historique, y compris donc, sur la Loire-Atlantique, sur Nantes et Saint-Nazaire. Le maintien de cette organisation a fait débat.
Nous étions d’autant plus inquiets que ce texte envisageait initialement de faire correspondre les ressorts des cours d’appel avec ceux des grandes régions. Vous avez heureusement abandonné cette funeste idée, pour revenir à la Bretagne historique et à ses cinq départements, celle qui a toujours été respectée par l’ordre judiciaire.
Ce sujet est d’une brûlante actualité puisque, comme vous le savez certainement, madame la garde des sceaux, plus de 100 000 habitants de Loire-Atlantique ont récemment signé une pétition afin de demander le rattachement de leur département à la Bretagne historique, celle de toujours.
Malgré ces avancées, le président de la cour d’appel de Rennes, M. Ronsin, qui a certainement de multiples qualités, a qualifié, dans
Le Télégramme du 12 novembre, le rattachement de la Loire-Atlantique à la cour d’appel de Rennes de « bizarrerie ». Ce n’est pas une bizarrerie, mais une réalité historique constante.
Je regrette que ce propos, qui a choqué de nombreuses personnes, au-delà des milieux judiciaires, n’ait pas été démenti pour le moment. Madame la garde des sceaux, je ne doute pas de vous-même, mais les propos contradictoires de votre correspondant, avec lequel, je le sais, les liens hiérarchiques sont lointains, posent problème. J’espère que vous nous rassurerez totalement sur ce point.
Je reviendrai plus tard sur une question qui a beaucoup moins avancé, celle des TGI et des TI, sur laquelle je suis entièrement en phase avec mes collègues.
La parole est à M. Martial Saddier. Madame la garde des sceaux, je ne vous cacherai pas que cet article m’inspire les plus vives inquiétudes. Si je ne remets pas en cause votre version, je crains malheureusement que, dans quelques mois et quelques années, nous n’ayons à regretter fortement ce que vous proposez ce soir à la représentation nationale. En effet, votre texte ne tient pas compte de la spécificité de certaines zones géographiques.
La France est diverse. La crise que nous traversons montre à quel point certains de nos territoires et certains de nos concitoyens ne comprennent plus les décisions qui, jour et nuit, sont prises dans cet hémicycle.
Je voudrais vous parler des zones de montagne, où la distance ne s’évalue pas en kilomètres mais en temps de déplacement, notamment lorsque les routes sont enneigées, soit quatre à cinq mois dans l’année.
Certaines de ces zones de montagne connaissent un accroissement de population parmi les plus importants de notre pays. Elles ont de plus la particularité d’être des territoires frontaliers puisque, par définition, la mer et la montagne représentent la majorité des frontières de notre pays.
D’autres, comme Bonneville, en Haute-Savoie, ont la caractéristique d’avoir deux fois plus de lits touristiques que d’habitants permanents. Pour un territoire limitrophe du canton de Genève, et sur lequel on trouve le tunnel du Mont-Blanc et la plus forte concentration mondiale d’entreprises de la mécatronique, la perspective de n’avoir plus qu’un seul tribunal départemental et, à terme, de voir la cour d’appel supprimée n’est pas réjouissante.
Certes, ce n’est pas ce que vous dites, madame la garde des sceaux, mais nous pensons que cela se terminera ainsi. Vous comprendrez donc bien que nous ne pouvons pas partager votre vision.
La parole est à M. Vincent Rolland. Le projet de loi prévoit une refonte intégrale de notre carte judiciaire. Or une justice accessible est une justice uniformément rendue sur l’ensemble du territoire français. Il faut mesurer l’importance de la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance pour créer des tribunaux judiciaires que vous proposez. Elle met en péril le droit d’accès à la justice des citoyens.
Ce projet de loi ne doit pas aboutir à la création de déserts judiciaires que nous combattons avec force. Justice doit pouvoir être rendue pour chaque citoyen sans que celui-ci ne soit obligé de subir des délais d’attente bien trop longs ni d’effectuer des déplacements trop importants – Martial Saddier le disait à l’instant, en zone de montagne, les déplacements ne se calculent pas en kilomètres mais en minutes.
Souvent, dans les tribunaux de grande instance de moyenne capacité, les décisions de justice sont rendues plus rapidement que dans des tribunaux plus importants. Alors que nos concitoyens se plaignent de la lenteur de la justice, pourquoi la ralentir encore ?
Je demande au Gouvernement et à la majorité de respecter les engagements pris auprès de nous et des professions judiciaires, engagements dont nous ne trouvons pas trace dans ce texte.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) La parole est à M. Daniel Fasquelle. Madame la ministre, il faut tout se dire et abandonner les faux-semblants. Le débat de ce soir fait écho à celui sur le pouvoir d’achat. Lorsque nous soulignions l’existence d’un problème de pouvoir d’achat dans notre pays, votre majorité répondait, chiffres de l’INSEE à l’appui, qu’il n’en était rien. Il y a un problème de pouvoir d’achat dans notre pays – vous êtes obligés de le reconnaître aujourd’hui – tout comme il y a un problème de la justice.
La justice manque de moyens et la solution que vous avez trouvée pour y remédier est la réforme de la carte judiciaire, dont la conséquence est la création d’une justice à deux vitesses ; selon sa localisation sur le territoire national, un citoyen aura accès ou non au juge. C’est vrai pour les tribunaux d’instance, car la fusion avec les TGI signe leur mort programmée. La semaine dernière, vous m’avez expliqué que, étant député de l’opposition, j’énumérais des contre-vérités. Si les députés de l’opposition étaient les seuls à le faire, ce ne serait pas trop grave, mais les avocats et les magistrats que j’ai rencontrés dans ma circonscription ont très bien compris que votre réforme menait inéluctablement à la disparition des tribunaux d’instance.
Plus grave encore, du fait de la spécialisation des TGI, demain, dans un département comme le mien, le Pas-de-Calais, certains contentieux seront réservés à certains tribunaux. Il faudra donc faire une heure ou une heure et demie de route pour plaider son affaire et défendre ses intérêts alors qu’aujourd’hui chaque justiciable peut s’adresser à un tribunal d’instance près de chez lui.
C’est un sujet sérieux. Arrêtez les faux-semblants. Ne nous racontez pas que vous allez maintenir tous les tribunaux parce que c’est un artifice. Vous conservez des tribunaux d’instance transformés en chambres spécialisées que vous allez petit à petit vider de leur contenu. Vous maintenez les TGI mais leur spécialisation aura aussi pour effet de les vider petit à petit de leur substance. En apparence – et c’est très habile de votre part –, vous ne modifiez pas la carte judiciaire, mais, dans les faits, vous allez éloigner la justice de nos concitoyens. Prenons-en tous conscience.
Alors que les « gilets jaunes » occupent le devant de la scène, ne commettez pas la même erreur que sur le pouvoir d’achat. Ne mettez pas fin à la justice de proximité et inspirez-vous du chancelier d’Aguesseau qui vous a précédé, grand juriste et grand parlementaire, selon lequel « il faut traiter les affaires humainement ». Pour ce faire, il faut conserver une justice de proximité.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) La parole est à M. Bernard Perrut. Vous justifiez l’article 53 par le souci d’une justice rationalisée, plus efficace et adaptée aux nouveaux besoins de la société. Mais cet article va à l’inverse de ce que vous recherchez. Pis, eu égard à l’engorgement des tribunaux et à la réalité des territoires, il va à l’encontre des préoccupations réelles de notre société et répond davantage aux besoins économiques de la justice, pour ne pas dire à des besoins d’économies.
Priorité doit être donnée à la justice de proximité et à l’égal accès au juge sur tout le territoire. Les mesures prévues dans cet article risquent d’entraîner la suppression de plusieurs tribunaux de proximité et une fuite des compétences dans certaines matières vers les grandes villes. Inévitablement, cela créera de nouvelles fractures territoriales en même temps que cela renforcera l’engorgement de certains grands tribunaux.
Patrice Verchère et moi-même, députés du Rhône, voulions vous alerter sur la nécessité de maintenir le tribunal de Villefranche-sur-Saône. Je relaie ici les inquiétudes des magistrats qui ne peuvent pas forcément les exprimer publiquement ainsi que de l’ensemble des avocats qui vous ont sollicitée.
Les variations d’un TGI à l’autre dans la répartition des compétences risquent de rendre l’organisation judiciaire peu lisible et peu efficace pour le justiciable. Il faut revoir le contenu de l’article 53 qui, nous en sommes convaincus, ne va pas dans le bon sens.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) La parole est à M. Thibault Bazin. L’article 53 suscite de profondes inquiétudes qui n’ont pas été dissipées par l’idée de la fusion. Votre projet tend à masquer la fermeture programmée des tribunaux d’instance. La fusion avec les TGI comporte le risque de dépouiller les tribunaux d’instance de leurs moyens humains.
Dans ma circonscription, le tribunal d’instance de Lunéville joue un rôle essentiel dans l’accès au droit pour les justiciables. Avec votre projet, la proximité est menacée. Vous éloignez la justice des citoyens. Imaginez que ces citoyens devront faire une heure trente de route depuis les Vosges jusqu’au TGI de Nancy pour des contentieux qui, aujourd’hui, sont traités plus vite et mieux par un tribunal de proximité.
Votre réforme de la justice paraît profondément injuste pour les Français éloignés des plus grandes villes. L’accès à la justice est essentiel si la République ne veut pas abandonner certains territoires. La paix sociale, madame la garde des sceaux, est en danger dans certains territoires si les justiciables se sentent découragés par une justice ainsi éloignée.
Je vous appelle, chers collègues, à garantir une justice accessible à tous les Français. Cela passe par la suppression pure et simple de l’article 53. C’est une question de justice territoriale.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) La parole est à M. Sébastien Jumel. Vous savez à quel point la question de la présence territoriale des juridictions nous préoccupe. Cet après-midi, le Premier ministre a reconnu que trente ans de politique libérale avaient abouti aux mêmes conséquences dans les villes moyennes et dans les territoires abandonnés par la République.
Je veux citer l’exemple de ma circonscription. Ces politiques libérales se sont traduites par la disparition de l’Office national des forêts, du service de dragage de l’équipement, de recettes des finances, de services de la Banque de France, par la départementalisation de l’URSSAF ; par la concentration des services de la direction départementale de l’équipement, de services publics de remorquage, d’antennes de France Télécom ou des services des étrangers dans les sous-préfectures, bref, autant de sous-préfectures vidées de leur substance ; par la diminution des horaires des bureaux de poste ; par la fermeture d’antennes de douane, et j’en passe.
Chaque fois, lorsque ces réformes ont été menées, les services de l’État ont assuré aux élus qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que la réactivité et l’efficacité s’en trouveraient améliorées et que la proximité serait préservée. Chaque fois, les mêmes conséquences ont été observées.
Aujourd’hui, vous affirmez que les tribunaux de proximité seront maintenus, et j’ai envie de vous croire. Mais les études d’impact dont je dispose montrent qu’un tribunal de plein exercice comme celui de Dieppe, qui rassemble un TGI, un conseil des prud’hommes, un tribunal de commerce et un tribunal d’instance, représente 400 emplois directs et indirects. Si, demain, la spécialisation est appliquée, des cabinets d’avocats seront à coup sûr disloqués, des greffes seront délocalisés et des magistrats perdront leur ancrage territorial.
Nous attachons donc une grande importance à votre volonté non seulement de maintenir l’implantation des tribunaux mais aussi de préserver la plénitude de leurs compétences. Je viens de saisir le conseil de juridiction, instance que vous avez créée afin d’associer les élus et les membres de la communauté judiciaire aux réflexions sur le devenir des tribunaux. Le prochain conseil se réunit un mercredi – j’ai indiqué aux auteurs de la convocation que ce n’était pas un jour opportun pour les parlementaires. J’ai surtout demandé que soit inscrite à l’ordre du jour la question de la spécialisation afin que nous soyons consultés et que les tribunaux qui traitent des contentieux du quotidien, ceux qui ne font pas la une de l’actualité, puissent conserver l’ensemble de leurs compétences.
La parole est à Mme Véronique Louwagie. Nous abordons la question essentielle de la justice de proximité. Au travers de l’article 53, vous envisagez la fusion des TGI et des tribunaux d’instance du même ressort, ces derniers demeurant sous la forme d’une chambre détachée.
La faculté de regrouper au sein d’un seul tribunal dans un département certaines matières dont la liste sera déterminée par décret doit être appréhendée dans toutes ses dimensions. En effet, elle annonce la disparition de fait de juridictions de première instance et la création de tribunaux départementaux.
Madame la ministre, vous êtes venue visiter le tribunal de grande instance d’Argentan dans le département de l’Orne ainsi que le centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe. À cette occasion, vous avez pu mesurer le travail et les missions des magistrats dans les deux tribunaux d’Alençon et d’Argentan.
Je tiens à vous alerter sur les conséquences de l’article 53. La refonte de la carte judiciaire est une atteinte directe aux droits des justiciables et à la justice de proximité que nous défendons. Je ne souhaite pas qu’une telle menace pèse sur les citoyens du département de l’Orne. Le rôle des parlementaires que nous sommes est de garantir aux citoyens un égal accès à une justice de qualité et de proximité.
L’article 53 risque d’éloigner l’accès à la justice pour les citoyens. Madame la ministre, si vous êtes soucieuse des libertés fondamentales et préoccupée par les questions de proximité, si vous souhaitez contribuer à la réduction de la fracture territoriale, vous devez prendre la mesure de l’article 53 et le revoir complètement.
La parole est à M. David Habib. Madame la garde des sceaux, cette majorité possède une capacité à confondre réforme et big bang, explosion, déménagement, crainte. Votre capacité à vous mettre à dos toutes les professions et tous les territoires est déconcertante – cela frise l’excellence. Si vous êtes souvent traités d’amateurs, je dois avouer que votre aptitude à créer des foyers de tensions et à susciter des craintes chez nos concitoyens est exceptionnelle.
Ce soir, l’ensemble des professionnels de la communauté judiciaire nous regardent – ils me l’ont fait savoir – et ils souhaitent que chacun puisse se ressaisir.
Votre projet crée, à l’article 53, quelque chose d’exceptionnel : un triptyque fusion-spécialisation-disparition. Or, ce qu’attendent nos concitoyens, ce n’est pas cette justice qui éloigne.
Certains ont évoqué tout à l’heure l’Orne et d’autres départements. Pour ma part, et comme tous mes collègues, j’en citerai un qui m’est cher : le mien, qui s’étend, entre ses deux extrémités, sur près de 200 kilomètres – il y a ainsi, entre Hendaye à l’ouest et, à l’est, mon canton de Lembeye, 160 ou 170 kilomètres. Ce département compte deux TGI, que vous voulez spécialiser. Comment ferez-vous pour donner à chaque citoyen un accès facile à la justice et au service public de la justice ?
Vous décidez par ailleurs de ne rien supprimer, tout en annonçant une spécialisation et la création de procureurs dont les uns auront le titre de chef de file et les autres, je suppose, celui de procureur secondaire. C’est mettre le pied dans la porte pour permettre dans quelques années à cette même majorité, si jamais elle était réinvestie des mêmes responsabilités, de démanteler le service public et son organisation territoriale.
Nous nous y opposerons, parce que c’est une bombe à retardement et parce qu’il y va de l’intérêt du service public de la justice et, à un moment où nos concitoyens s’interrogent sur la proximité, de l’organisation de nos territoires et de la vie dans nos départements.
(Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) La parole est à Mme Emmanuelle Ménard. La grogne des magistrats, des avocats, des greffiers et des personnels de justice grandit en France – et dans l’Hérault – contre votre réforme de la carte judiciaire. C’est bien de cela, en effet, qu’il s’agit : la crainte de la suppression d’une justice de proximité est omniprésente. Votre réforme éloigne malheureusement les tribunaux du citoyen et – ce qui est un comble, car cela va à l’inverse de vos objectifs affichés –, rend l’accès à la justice moins égalitaire. M. Gosselin et, à l’instant, M. Habib ont parlé de bombe à retardement. C’est malheureusement le bon terme.
Ce qui pose véritablement problème, c’est la lisibilité de votre réforme pour le citoyen. Vous allez encore aviver le sentiment de déclassement et de mépris que ressent le citoyen français, ce qui n’est pas peu dire en ce moment. Vous ne pouvez pas ignorer ces personnes qui craignent par-dessus tout de devoir recourir à une plateforme sur internet, de devoir faire des kilomètres ou de ne plus avoir accès à un contact humain pour des problèmes qui touchent leur quotidien, c’est-à-dire leur vie. Ce sont toujours les mêmes qui sont touchés : les retraités et ces classes moyennes qui constituent le plus gros des troupes des gilets jaunes.
Alors, écoutez-les. Écoutez les professionnels de la justice qui sont à leur contact chaque jour et revenez sur votre réforme, qui n’aura pour conséquence qu’une ultime fracture de nos territoires.
La parole est à M. Alain Bruneel. Il est rassurant de constater que, depuis tout à l’heure, tous les orateurs disent la même chose : il y a un gros problème avec l’article 53, qui éloigne le citoyen de l’accès à la justice – je dirais même qu’il met en berne la justice de proximité.
Il y est proposé, entre autres, de fusionner les tribunaux d’instance et de grande instance. Je vous ai entendue déclarer, madame la ministre, que l’ensemble des lieux de justice seraient conservés. Permettez-moi de douter des engagements du Gouvernement et de ses ministres. Je ferai, à ce propos, un parallèle avec le plan santé et l’engagement de Mme Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, qui, il y a quelques mois, déclarait qu’aucun hôpital de proximité ne fermerait : cet engagement n’a pas été tenu car, pour ne citer qu’elles, nous avons assisté entre-temps à la fermeture de la maternité du Blanc, et celle de Creil est menacée.
Le tribunal d’instance tel qu’il existe aujourd’hui, avec une localisation distincte et son équipe de magistrats et de greffiers, va disparaître. Il sera englobé dans les TGI ou deviendra une chambre détachée. Vous jouez sur les mots, madame la ministre, en parlant de « fusion », alors que je parlerais plutôt, pour ma part, de « fermeture ». Les tribunaux d’instance n’auront plus de budget propre ni d’autonomie, leurs greffiers seront partagés et leurs magistrats affectés à d’autres contentieux. La justice de proximité, souvent vouée aux plus vulnérables, s’en trouvera délaissée. Aujourd’hui, les TGI affichent des délais de traitement des dossiers de six mois, contre quinze dans les TGI, et un taux d’appel de 6 %. Pourquoi s’en prendre à ce qui fonctionne ? Les professionnels du droit sont tous vent debout contre cette fusion et manifestent depuis des mois : hélas, vous ne les entendez pas.
(Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) La parole est à M. Jean Lassalle. L’article 53 me conduit à une méditation sur les cours accélérés de découverte de la France auxquels sont astreints, depuis quelques semaines, M. le Président de la République et M. le Premier ministre. Ils découvrent que cette France est beaucoup plus complexe qu’ils ne l’avaient imaginé et qu’un sérieux rattrapage s’impose. Je m’en réjouis. Je comprends aussi que cette réflexion atténue finalement un peu le chagrin de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, qui avaient été un peu vite renvoyés à leurs études et qui doivent maintenant comprendre pourquoi. C’est heureux.
Tous ont eu la même bonne idée de suivre les hauts fonctionnaires de notre pays. Je ne veux pas dire – Dieu m’en garde ! – que je n’aime pas les hauts fonctionnaires de notre pays, même si j’ai vu que leur traitement n’était tout de même pas si mal. Quand je pense qu’on s’en prend un peu partout à nous, modestes députés que nous sommes, avec nos malheureux 5 300 euros ! J’ai donc vu qu’ils n’étaient pas mal traités – mais ils ont la boîte bleue pour les bleus et la boîte rose pour les roses, et chacun fonce joyeusement. Nous ne connaissions pas la couleur de votre boîte à vous, mais nous savons maintenant que c’est la jaune.
Dans le domaine de la justice, la prime absolue revient à Rachida Dati, qui ne s’en est d’ailleurs jamais relevée. Cette vibrionnante jeune femme, qui avait fermé un tribunal chez moi,…
C’est chez moi qu’elle l’a fermé ! …est devenue je ne sais quoi. Sur le plan de l’administration territoriale, le champion du monde est tout de même M. Valls, qui a réussi à détruire 25 000 communes qui ne lui demandaient rien.
Madame la ministre, je vous supplie de ne pas imposer la double peine à François Bayrou en fermant la cour d’appel de Pau avec votre savoir-faire en la matière, c’est-à-dire la spécialisation des tribunaux d’instance : elle tombera toute seule, alors que lui-même aura peut-être des comptes à rendre à la justice.
La parole est à M. Stéphane Viry. L’article qui nous préoccupe est inscrit dans le chapitre intitulé « Améliorer l’efficacité en première instance », dans la thématique « Renforcer l’organisation des juridictions ». La crainte exprimée par de très nombreux acteurs et professionnels du droit est qu’il soit le prétexte à beaucoup de choses, une sorte de bouteille à l’encre, et qu’il donne par la suite un blanc-seing à toute réorganisation permettant, in fine, ce que nous craignons : la programmation de la disparition de certaines juridictions. Mon collègue a ainsi évoqué tout à l’heure la crainte que le département des Vosges soit privé, à terme, d’une juridiction de plein exercice.
Le souci majeur exprimé depuis que ce texte a été proposé est l’éloignement, pour les justiciables, de l’accès à la justice, ce qui serait dramatique pour tout un chacun. À ce jour, les crispations restent présentes, car aucun argument rationnel et pragmatique n’a pu rassurer les uns et les autres. J’ai bien lu dans le rapport les arguments du ministère, mais permettez-moi de dire qu’ils sont très théoriques : c’est un jargon de ministère, dépourvu de tout pragmatisme et de toute sérénité. Les craintes sont très nombreuses et, en l’état des débats – cet article a été examiné très rapidement en commission des lois –, nous n’avons aucune certitude. Je forme donc le vœu que ce soir, dans cet hémicycle, vous puissiez affirmer solennellement que cet article n’aura pas, dans l’avenir, les conséquences funestes que l’on peut craindre.
Je conclurai en évoquant la fonction particulière qu’est celle de juge d’instance. Le juge d’instance est le juge de l’humain, le juge de la proximité, le magistrat immédiatement accessible pour protéger les plus vulnérables. Je ne voudrais pas que cette fonction statutaire disparaisse à cause de cet article. Voilà les observations que je voulais formuler avant l’examen des amendements.
(Applaudissementssur plusieurs bancs du groupe LR.) La parole est à M. Frédéric Reiss. L’un des axes annoncés par ce projet de loi de programmation et de réforme de la justice consiste à renforcer l’accessibilité et la qualité de la justice pour tous les justiciables. Cet article 53, qui prévoit la fusion du TGI avec les tribunaux d’instance de son ressort dans une nouvelle juridiction unifiée, ne nous semble aucunement répondre à l’objectif initial. Une fois de plus, les besoins spécifiques de nos campagnes sont ignorés et la proximité est bafouée. Sous prétexte d’adapter notre système judiciaire aux mutations de la société, on assistera à un éloignement de la justice pour le citoyen.
En rétablissant les dispositions modifiées par le Sénat, le Gouvernement crée le tribunal judiciaire, qui met en cause la justice de proximité. Or la justice devrait assurer à tous une prise en charge équitable.
La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles – MAPTAM – et la réforme des grandes régions ont créé des fractures, notamment entre les métropoles et la ruralité. Cette réforme est de la même veine : elle compliquera le parcours des justiciables avec une organisation judiciaire incompréhensible, principalement dans les territoires ruraux. Les conditions de spécialisation départementale, que ce soit en matière civile ou en matière pénale, ne paraissent pas judicieuses.
Madame la ministre, vous défendez cette réforme pour une justice plus proche des citoyens en promettant le maintien de tous les lieux de justice. On a du mal à le croire. Nos territoires ont tous des particularités, dont votre projet ne tient pas compte. Cette idée de spécialisation ne peut fonctionner. Aussi soutiendrai-je les amendements de suppression de cet article.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) La parole est à M. Ugo Bernalicis. Renforcer l’organisation des juridictions ? Qui pourrait être contre ? Pas moi. Améliorer l’efficacité en première instance ? On serait bien ballot d’être contre. Maintenir des lieux de justice ? Personne ne peut être contre les lieux de justice. Voyez bien que la question n’est pas là et que, encore une fois, les mots sont piégés et piégeux.
En réalité, nous sommes dans un monde parallèle où l’on dénomme « renforcement de l’organisation des juridictions » un dispositif qui provoquera, en fait, une désorganisation des juridictions, où l’on parle d’« améliorer l’efficacité en première instance », alors que la première instance, qui fonctionnait bien, sera fusionnée avec les TGI, qui fonctionnent moins bien en termes de traitement des dossiers, comme l’ont relevé plusieurs de nos collègues, et que le plus probable est donc que l’efficacité en première instance sera dégradée – mais, me direz-vous, puisqu’il n’y aura plus vraiment de première instance, ce n’est pas si grave !
Quant aux « lieux de justice », ce ne sont pas des tribunaux, mais des… lieux : quatre murs, avec peut-être un toit qui, je l’espère, ne fuira pas trop, comme c’est le cas dans certains tribunaux.
Voilà la novlangue – pour ne pas dire la langue de bois ou, tout au moins, la langue hypocrite – dont est fait cet article 53. Or ce n’est pas de cela que nous devrions discuter – pas de mutualisation, de rationalisation, de réorganisation ou de tous ces mots du langage habituel de ceux qui veulent, au bout du compte, couper dans les effectifs et faire des économies d’échelle. Ce dont nous devrions discuter, c’est d’une augmentation extraordinaire de 5 % par an du budget et de la réouverture de tous les tribunaux fermés par Mme Dati. Nous devrions parler d’un plan, d’une feuille de route qui nous permettrait par exemple de dire que demain, là où il n’y avait pas de tribunaux, il y en aura un nouveau, pour permettre aux justiciables de disposer véritablement d’un service de proximité.
Il faudra, de toute façon, revenir à ce maillage du territoire par le service public. C’est du reste ce qu’a dit, paraît-il, le Premier ministre aujourd’hui même à midi, déclarant qu’il allait falloir réinstaller des services publics de proximité. Or vous voulez les détruire pour ce qui concerne la justice. C’est bien malheureux.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à Mme Cécile Untermaier. La population est, hélas, indifférente au texte dont nous débattons. En revanche, les citoyens sont, d’une manière générale, désespérés face au service public de la justice. Les pires doutes l’entourent et nous aurions dû nous préoccuper en priorité de les écarter.
Le mal causé par la réforme Dati est encore palpable sur nos territoires. Le service d’accueil unique du justiciable – SAUJ –, créé en 2016, était une espérance, en ce qu’il ancrait un territoire de justice, avec ses antennes, mais nous devons désormais nous demander ce qu’il abritera : sera-t-il une coquille vidée par une spécialisation au profit d’autres tribunaux ou un service d’orientation des justiciables vers d’autres lieux ?
Le service public de la justice ne doit pas faire l’objet d’économies en termes de présence territoriale. La crainte ne vient pas de nulle part : elle vient actuellement de partout et nous la ressentons sur nos territoires. On vient nous en parler, on nous l’écrit, on nous le dit. Nous devons donc être très prudents et travailler à la stabilité, à la cohésion et aux moyens de la justice, et surtout pas à sa désorganisation.
La parole est à M. Arnaud Viala. Madame la garde des sceaux, nos interrogations sur cet article sont anciennes puisque, lorsque vous étiez venue présenter à la commission des lois les chantiers de la rénovation de la justice, nous vous avions déjà interrogée sur l’éventualité d’une modification de la carte judiciaire. Je me souviens parfaitement de votre réponse, qui fut claire et nette : il n’y aurait pas de modification de la carte judiciaire.
Et voilà qu’au travers de cet article vous entreprenez de modifier, non pas les lieux de justice, mais les compétences des magistrats qui siégeront dans ces lieux, et de porter atteinte à la proximité, contraignant le justiciable à se déplacer en fonction du type de contentieux auquel il est confronté.
Comme nombre de mes collègues, je prendrai à mon tour l’exemple de mon département. Lors de votre visite du tribunal de Rodez en Aveyron, vous avez pu mesurer l’importance de ce type de tribunaux, sur le plan humain et sur celui de la proximité, et l’attachement des justiciables à ce que les contentieux qui les concernent soient traités au plus près de chez eux.
À titre personnel, je déplore que d’autres solutions n’aient pas été envisagées – j’aurai l’occasion d’y revenir lors de l’examen des amendements. Il me semble que, dans la plupart des territoires, les magistrats sont déjà extrêmement mobiles et que la plupart d’entre eux ne résident pas nécessairement là où le tribunal se trouve. Il serait beaucoup plus adéquat de réfléchir aux moyens de rapprocher les magistrats des justiciables que de préparer l’inverse, et de favoriser le maintien de tribunaux généralistes partout où cela est possible de façon à ne pas éloigner la justice de nos concitoyens.
La parole est à Mme Emmanuelle Anthoine. La fusion du tribunal d’instance et du tribunal de grande instance en un seul tribunal judiciaire suscite l’inquiétude des professionnels de la justice, notamment des avocats. Quant aux magistrats, ils sont particulièrement préoccupés par le sort du juge d’instance, le juge des petits litiges, des litiges du quotidien. Il n’y a pas de petits litiges ! Le siège, le ressort et les compétences du futur tribunal de proximité seront fixés par décret aux termes de cette loi, de sorte que rien ne garantit le maintien de tous les sites actuels, ni le traitement sur les sites maintenus des contentieux qui y sont actuellement traités. Cette loi semble donc ouvrir la voie au redécoupage de la carte judiciaire que nous redoutons.
Je veux me faire ici le relais de l’inquiétude des avocats, non seulement ceux du barreau de la Drôme, que je connais bien, mais de l’ensemble des avocats des territoires ruraux, qui ont manifesté dans de nombreuses villes où le tribunal d’instance risque de disparaître. Leur inquiétude – notre inquiétude –, c’est celle de ces territoires ruraux où la justice de proximité est incarnée par le tribunal d’instance. Or elle s’avère de plus en plus lointaine pour des justiciables qui doivent emprunter leur véhicule pour parcourir des distances plus longues en veillant à ne pas dépasser les 80 kilomètres à l’heure et en se ruinant en carburant.
Nous avons pourtant besoin de cette justice de proximité, au plus près d’un citoyen qui a de plus en plus le sentiment d’être privé de son droit à la justice.
Pouvez-vous, madame la ministre, vous engager devant la représentation nationale à ce que la fusion des tribunaux d’instance et de grande instance ne donne lieu à aucune fermeture de site dans la décennie à venir ? Sinon, nous aurons toutes les raisons de nous opposer à l’adoption de cet article et de l’article 54, qui fait également peser la menace d’un redécoupage de la carte judiciaire.
La parole est à Mme Caroline Fiat. Je n’aurai qu’une question, madame la ministre. Si j’en crois ce que j’ai pu lire et entendre, en fonction du contentieux, on devra se rendre devant tel ou tel tribunal. N’augmente-t-on pas la taxation des carburants sous prétexte d’inciter les gens à moins utiliser leur véhicule pour le bien de la planète et au nom de l’écologie ? Comment vais-je expliquer aux habitants de Moutiers, dans ma circonscription, qu’ils vont désormais devoir aller à Nancy, à 100 kilomètres de chez eux, et non plus à Briey, à 5 kilomètres ? Ne me dites pas qu’ils n’auront qu’à prendre le train : la ligne Moutiers-Nancy n’existe plus depuis longtemps ! Bravo ! Pouvez-vous répondre à cette question ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à M. Jean Terlier. Depuis près d’une heure que nous écoutons les orateurs inscrits sur cet article, je n’ai pas entendu d’opposition majeure. (Exclamations et rires sur les bancs des groupes LR, SOC, FI et GDR.) C’est une plaisanterie ? S’ils écoutent les Français comme ils nous écoutent ! Tout ce qu’on a pu entendre est l’expression de la crainte, parfaitement légitime, que la fusion administrative des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance ne se traduise par la suppression de lieux de justice. Il est vrai que, pour ma part, je partageais cette crainte : ma circonscription se situe en effet dans un département rural, le Tarn, qui compte deux TGI, l’un à Castres et l’autre à Albi, et qui porte encore les stigmates de la réforme Dati. Celle-ci s’est traduite par la suppression du conseil de prud’hommes de Mazamet, du tribunal d’instance de Gaillac ou de celui de Lavaur. Nous sommes tous élus de territoires qui ont subi la perte des lieux de justice de proximité qui maillaient nos territoires. Si le TGI de Castres venait à disparaître, c’est un maillon important de la justice de proximité qui disparaîtrait dans ce territoire enclavé.
Cette crainte n’est pas une opposition ferme à cet article 53.
Nous n’avons pas besoin d’un interprète, cher ami ! Malgré tout, cette crainte est un peu irrationnelle. Cela fait des semaines, des mois que Mme la ministre se rend dans vos territoires pour dire qu’aucun site ne fermera. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Le problème, c’est qu’on ne la croit pas ! Quand une ministre répète cela pendant des semaines, des mois, on peut la croire ! Il n’y a plus que vous pour croire le Gouvernement ! Il y a un élément qui manque dans vos développements, c’est l’intérêt du justiciable. Il a dépassé son temps de parole, madame la présidente ! Vous n’avez pas dit un mot de l’intérêt du justiciable. (Claquements de pupitres sur les bancs du groupe LR.) On en est à près de trois minutes ! C’est la justice En Marche ! Ne croyez-vous pas que l’intérêt du justiciable est de pouvoir se présenter devant un tribunal sans avoir à se demander s’il doit aller devant le tribunal d’instance ou le tribunal de grande instance ? (Protestations sur les bancs du groupe LR.) L’intérêt du bon fonctionnement de la justice n’est-il pas de faire en sorte qu’on n’ait pas un problème de greffier au tribunal d’instance et que ce soit un greffier du tribunal d’instance qui vienne prendre sa place ? Qu’est-ce qu’il raconte ? On ne comprend rien ! C’est ça, l’intérêt du bon fonctionnement de la justice, c’est ça, l’intérêt du justiciable… Merci, mon cher collègue… …et c’est ce que va permettre l’article 53. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à M. Alexis Corbière. Nous remercions notre collègue d’En Marche de nous avoir expliqué que, lorsque nous exprimons notre protestation et notre refus, c’est un accord que nous exprimons en réalité. Bravo pour cette habileté ! Il n’en reste pas moins que nous ne sommes pas d’accord avec cet article, que vous le vouliez ou non. N’abusez pas de cette méthode qui consiste à dire que les gens sont d’accord avec vous quand ils vous crient leur opposition : cela ne marche pas, vous êtes en train de le constater à une échelle plus vaste que celle de notre débat.
Vous avez cependant raison quand vous dites que nos territoires portent les stigmates de la terrible réforme Dati, qui a supprimé près de 300 tribunaux d’importances diverses pour des raisons d’austérité budgétaire, au point que la Cour des comptes s’en était félicitée.
C’est précisément parce que nous portons les stigmates de ces mauvais coups qu’il faudrait au contraire retisser le maillage des tribunaux d’instance. Or votre réforme ne le fait à aucun moment, elle ne modifie en rien cette réalité, sinon pour l’aggraver, sans doute de manière un peu plus habile qu’entre 2007 et 2012. Officiellement, certes, vous ne fermez aucun site, mais la fusion que vous proposez vise bien à éloigner toute une série de lieux de justice du justiciable. À l’heure où nos territoires sont confrontés à de nombreuses difficultés, notamment de transport, vous éloignez la justice du justiciable, vous affaiblissez le service public.
Alors que vous expliquez aux Français mobilisés que vous allez rouvrir des services publics, que la puissance publique va réinvestir certains quartiers, dans les faits, vous faites l’inverse ! C’est tout l’enjeu de cet article et voilà pourquoi nous nous y opposons et qu’il serait raisonnable que vous le retiriez.
(Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. Olivier Becht. Je ne doute pas un instant de votre bonne volonté et de votre sincérité, madame la ministre, quand vous affirmez qu’il n’y aura pas de suppression de juridictions, mais cela n’empêche pas la lucidité. Que va-t-il se passer en réalité ?
Dans un premier temps les chambres seront spécialisées, ce qui créera effectivement des contraintes pour les avocats, les magistrats et, surtout, les justiciables qui seront plus éloignés des lieux où leurs litiges seront jugés. Dans un second temps, la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance va placer la question de l’organisation de la juridiction sous la responsabilité des présidents de ces futurs tribunaux judiciaires. Or, quand ils seront confrontés à des contraintes, notamment financières, ces chefs de juridiction rationaliseront, comme ils l’ont toujours fait. C’est sous leur responsabilité qu’il sera procédé à une rationalisation de la carte judiciaire, c’est-à-dire à la fermeture de tribunaux dans les zones rurales les plus fragiles.
Ce que nous sommes en train de vivre devrait vous inciter à faire preuve de plus de prudence, à écouter la France rurale, qui perd chaque jour des services publics, et à revoir la rédaction de cet article.
La parole est à M. Sébastien Leclerc. En janvier, madame la ministre, j’ai posé au Premier ministre une question d’actualité sur votre projet de créer un unique tribunal départemental, ce qui sonnait le glas de nombreux TGI, surtout dans les départements qui, comme le Calvados, en comptent plusieurs. Vous aviez répondu à la représentation nationale que tout cela n’était que polémique et que vous n’entendiez pas toucher aux implantations judiciaires.
Or voilà que, dans ce projet de loi, par une subtilité de langage, vous maintenez tous les sites mais en les spécialisant. Croyez bien que nous avons désormais toutes les raisons de mettre votre parole en doute. La spécialisation d’un site, c’est sa mort annoncée. Vous allez mettre en œuvre un mode de fonctionnement qui ne satisfera personne pour mieux justifier ensuite la suppression de ces tribunaux.
Alors que notre pays traverse une crise politique majeure, ne vous obstinez pas à spécialiser les sites judiciaires et à fâcher les territoires : acceptez ces amendements.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à M. Julien Dive. Madame la garde des sceaux, vous n’êtes pas la ministre du pouvoir d’achat puisque vous n’êtes pas la ministre du budget : ne soyez pas, demain, la ministre de la mort de la justice, de la fermeture des tribunaux de nos territoires et de nos villes moyennes.
Ce que vous nous proposez dans cet article, auquel nous nous sommes clairement opposés – cela étant dit pour notre collègue Terlier –, ce n’est qu’un moratoire …
Un de plus ! … de la fermeture de nos tribunaux. Cela a été dit, la fusion entre TGI et TI, le fait de vider certains tribunaux de leur substance, tout cela n’est qu’un préalable à leur fermeture.
Madame la ministre, il est encore temps de revenir sur le principe de l’article 53. Les Français sont en colère en raison de la baisse de leur pouvoir d’achat : n’aggravez pas cette colère en vidant systématiquement nos territoires de leurs services publics.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à M. Raphaël Schellenberger. Madame la ministre, on peut parler de stratégie, d’accès au droit, de bien des sujets théoriques qui éloignent les Français de votre action – nous appelons d’ailleurs votre attention à ce propos.
Je suis le député d’un territoire qui comprend deux sous-préfectures – je m’associe à mon collègue d’Altkirch Jean-Luc Reitzer – qui, chacune, ont échappé de peu à la fermeture. Chacune, aujourd’hui, dispose d’un service de maternité – ils sont menacés de fermeture d’ici au mois de mars – et d’un tribunal d’instance, à Thann et Altkirch, que vous menacez aujourd’hui de fermer ou, à tout le moins, de dissoudre dans un grand ensemble.
Pour les vider de leur substance ! Demain, les gens n’iront plus à Thann ni à Altkirch, mais ils devront se rendre à Mulhouse, comme pour la maternité, comme pour l’ensemble des services publics de proximité. (M. Jean Lassalle et M. Fabrice Brun applaudissent.)
Or, la République, c’est la mairie, c’est l’école, c’est la justice, ce sont les services de santé de proximité, et c’est chacun d’entre eux que vous êtes en train d’éloigner des territoires, ce qui exaspère les Français, qui nous le font bien savoir. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. Je souhaite répondre à l’ensemble des orateurs en vous faisant tout d’abord une révélation : voici la carte des tribunaux telle qu’elle est aujourd’hui. Il y a beaucoup de jaune ! (Sourires.) Non ! Chaque tribunal de grande instance est signalé en rouge. Eh bien, ce sera exactement la même carte demain, après-demain et dans les années à venir, car tel est l’engagement que j’ai pris. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Avec des tribunaux vidés de leur contenu ! Je la tiens évidemment à votre disposition.
Contrairement à certains de mes prédécesseurs, je ne fais pas reposer mon travail sur une carte. Il est tout de même curieux, mesdames et messieurs les députés Les Républicains, que vous nous fassiez la leçon sur une prétendue carte qui n’existe pas, alors que vous savez très bien comment vous avez procédé il y a exactement dix ans
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM) et quelles traces cela a laissé sur les territoires. Ce que vous faites est beaucoup plus habile, effectivement ! Elle n’a pas tort ! Je n’ai donc pas de carte en sous-main, mais, c’est exact, j’ai une méthode fondée sur deux points essentiels que je souhaite rappeler.
Le premier, c’est la lisibilité. Vous l’avez dit, les uns et les autres, et vous en convenez donc : les justiciables ont des difficultés pour se repérer dans notre système judiciaire. Or, dans les territoires qui disposent de tribunaux de grande instance et de tribunaux d’instance, nous proposons de regrouper ces derniers en un tribunal judiciaire. Pourquoi ? Non pour faire des économies…
Bien sûr que si ! …comme j’ai pu l’entendre sur ma droite et sur ma gauche : le budget de la justice augmentera de 25 % en cinq ans. Ce n’est pas pour des raisons d’économie mais de lisibilité pour les justiciables. À l’avenir, ceux-ci pourront introduire une requête devant un tribunal, puis le service d’accueil du justiciable, si c’est nécessaire, les aiguillera. Une requête, un tribunal, c’est cela, la simplicité, et c’est cela qui nous pousse à procéder à cette réforme !
Le deuxième point, c’est la proximité, et elle est essentielle. Quel intérêt aurais-je à éloigner le justiciable de son juge ? J’ai parfaitement conscience qu’au premier degré, en première instance, chaque citoyen doit pouvoir trouver un juge à proximité lorsqu’il en a besoin.
Monsieur Schellenberger, les tribunaux d’instance de votre département resteront en place et il en sera de même partout ailleurs, mesdames et messieurs les députés : tous les tribunaux d’instance resteront où ils sont et ils conserveront toutes leurs compétences.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Et c’est pour une raison de fond que je peux l’affirmer : nous savons que, pour les contentieux du quotidien, chaque citoyen doit pouvoir trouver un juge. Quel intérêt aurions-nous à les éloigner ? Laissons les choses comme elles sont, alors ! Ce qui me permet de l’affirmer, ce sont au moins deux garanties. Vous disiez, madame Anthoine, que, à l’avenir, les compétences des tribunaux de proximité, les actuels tribunaux d’instance, seraient garanties par décret. En effet. Pourriez-vous me dire ce qu’il en est aujourd’hui ? C’est pareil. Les compétences des tribunaux sont précisées par décret. Il en sera donc demain comme il en est aujourd’hui. De ce point de vue-là, rien ne change. Cette garantie définie par décret en Conseil d’État énoncera leurs compétences. Ayez le courage de l’inscrire dans la loi ! Cela sert à quoi, alors ? Pourquoi cette loi, si rien ne change ? Deuxième garantie : ces tribunaux d’instance comprendront des juges des contentieux de la protection, ceux-là mêmes qu’on appelle aujourd’hui les juges d’instance. J’ai entendu ce que l’on m’a dit : plusieurs d’entre vous ont fait part de la nécessité de les maintenir. Je vous dis, quant à moi, qu’ils le seront même s’ils s’appellent les juges des contentieux de la protection. Ils se situeront dans les tribunaux de proximité et jugeront de tous les contentieux du quotidien, c’est-à-dire des tutelles, des surendettements, des crédits à la consommation, des baux d’habitation, ce qui fait la vie de tous les jours. Cela, nous le maintenons aussi.
J’ajoute que les juges des contentieux de la protection seront statutaires.
Ils le sont déjà aujourd’hui ! Nous disposerons donc de lieux judiciaires adéquats dont les compétences seront garanties par décret et dans lesquels siégeront des juges statutaires. Bref, la justice de proximité est garantie.
Je souhaite maintenant répondre à celles et ceux qui, parmi vous, se demandent s’il se cache quelque chose derrière tout cela, pour reprendre l’expression de M. Gosselin. Il ne se cache rien du tout ! Tout est transparent !
Si rien ne change, pourquoi un tel article ? Mais les choses changent, monsieur le député ! Sans doute ne m’avez-vous écoutée que partiellement. Je vous l’ai dit, il y aura de la lisibilité et de la simplicité pour le justiciable : une requête introductive d’instance, un tribunal, alors que, aujourd’hui, vous le savez, lorsqu’un justiciable introduit sa requête devant le mauvais tribunal, il doit attendre son rejet pendant six mois avant de pouvoir la réintroduire ailleurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Simplicité et lisibilité, c’est ce vers quoi nous tendons ! Pardonnez-moi de vous le dire avec véhémence, mais je crois à ce que je vous dis, rien n’est caché, et, lorsqu’on est certain de travailler en faveur d’une plus grande proximité entre justice et justiciable, on ne peut pas faire autrement que d’y mettre un peu de passion.
M. Gosselin affirme qu’une hiérarchie se créera entre procureurs. Quelle hiérarchie ? Il n’y aura aucune hiérarchie entre eux !
Certains seront chefs de file, d’autres non ! Pas du tout ! Il n’y aura aucune hiérarchie entre les procureurs quant à la conduite de l’action publique ! Chacun est indépendant mais, lorsqu’il s’agira de conduire des politiques partenariales, tel procureur de tel tribunal de grande instance pourra gérer telle politique partenariale – la lutte contre la radicalisation, par exemple –, et tel autre procureur de tel autre tribunal de grande instance du même département pourra gérer une autre politique partenariale, ce qui permettra d’unifier ces politiques. Il y aura des chefs de file. Aucune hiérarchie, mais une simple logique de prise en charge d’une politique publique ! Aucun éloignement de quiconque !
Évidemment, il n’y aura aucun tribunal principal et aucun tribunal secondaire, aucun ! Un département qui possède aujourd’hui plusieurs TGI les conservera, avec des compétences…
Certains auront une compétence unique. Absolument pas ! Les TGI ne seront pas spécialisés. Il ne s’agit pas de spécialiser tel ou tel tribunal, mais, je le redis clairement, d’affirmer que tous les tribunaux de grande instance continueront à gérer tous les contentieux de masse – qui sont bien entendu des contentieux essentiels : au civil, ce sont les contrats, la responsabilité civile, la famille. Tous les tribunaux auront ce type de compétences. Comment pourrait-il en être autrement ? Au pénal, ce sont les atteintes aux personnes, aux biens ; il en sera de même du contentieux routier. La situation sera la même dans tous les tribunaux de grande instance !
Nous proposons que quelques contentieux techniques de faible volume…
Ils sont nombreux ! Ce n’est pas anecdotique ! …puissent être répartis sur plusieurs tribunaux de grande instance lorsqu’un département en comprend plusieurs. Pas que dans les métropoles ? J’ai eu l’occasion de le dire, et je peux citer quelques exemples. Suis-je claire, monsieur Jumel, lorsque j’affirme que ces contentieux spécialisés seront répartis de manière équilibrée sur chacun des tribunaux de grande instance des départements qui en comptent plusieurs ? Sur chacun d’entre eux ! C’est dans la loi ! Il n’y a aucune ambiguïté : ils seront répartis sur chacun d’entre eux. Il y va de l’équilibre des territoires. C’est éloigner la justice des justiciables ! La loi dispose : « en tenant compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières ». J’en citerai quelques-uns tout à l’heure. Il n’y a donc aucun déséquilibre, aucun tribunal principal, aucun tribunal secondaire, ce n’est pas du tout l’objet de la loi.
Je ne voudrais pas être trop longue, mais je souhaite répondre à la question de M. Le Fur sur la carte des cours d’appel. Oui, je m’engage : j’ai dit que nous n’y toucherions pas et je n’ai pas l’habitude de dire une chose puis d’en faire une autre. Je me suis toujours très clairement engagée.
Il faut le dire au Premier président de la cour d’appel de Rennes ! Voilà ce que je souhaitais vous dire.
Monsieur le député Perrut, vous considérez que nous répondons à la nécessité de faire des économies. Non ! Formulée sans doute par le barreau de Villefranche-sur-Saône, vous agitez devant moi la crainte d’une disparition du tribunal. Je crois que je viens de vous répondre de manière globale mais, en l’occurrence, comment pourrais-je avoir pour objectif de fermer le tribunal de Villefranche-sur-Saône alors même que je viens d’y ajouter deux magistrats supplémentaires par rapport aux effectifs de 2016 ? Deux magistrats de plus ! Comment peut-on procéder ainsi et avoir pour objectif de fermer le tribunal ?
Par cynisme gouvernemental ! Ce n’est pas du tout l’objectif, je tiens à vous le répéter ici.
Monsieur Bazin, vous évoquez un problème d’accès au droit. Je vous garantis que les justiciables pourront accéder à tous les tribunaux.
Mme Untermaier a cité les services d’accueil unique du justiciable. Il s’agit là d’une démarche essentielle. Nous déploierons de tels services dans tous les tribunaux, parce que c’est l’un des éléments extrêmement puissants qui permettent de prendre en compte les demandes des citoyens et des justiciables.
Je me suis rendue à Flers et j’ai visité son petit tribunal d’instance, que je souhaite absolument protéger, parce que, comme dans tous les tribunaux d’instance, nous avons vu la qualité du travail qui y est effectué. Il y a un SAUJ, avec une greffière formidable, qui a été formée pour cela. Voilà ce que nous voulons déployer dans tous les tribunaux. Ce que j’ai vu là, c’est ce que nous verrons partout ailleurs.
(M. Erwan Balanant applaudit.) Et à Dieppe ? À Dieppe, ce sera extraordinaire ! (Sourires.) Ce sera formidable. Il y aura un SAUJ mirobolant, à Dieppe. J’attends de voir ! Monsieur Habib, vous parlez de « big bang ». Je ne vais pas reprendre l’ensemble des arguments que je viens de déployer. Je veux seulement vous dire qu’il y a bien une évolution dans l’organisation que je propose, mais que ce n’est pas un « big bang » au sens de la destruction. Vraiment, monsieur le député, concevez que l’on puisse évoluer sans détruire. Ce que nous proposons, c’est une évolution dans la proximité. Je ne développe pas davantage, car j’aurai l’occasion de m’exprimer sur les amendements. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Je suis saisie de plusieurs amendements de suppression, nos 54, 83, 297, 395, 437, 605, 607, 738, 867, 889, 1061 et 1362.
Sur ces amendements identiques, je suis saisie par les groupes Les Républicains et La France insoumise d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Annie Genevard, pour soutenir l’amendement no 54.
Mon amendement ouvre une longue série d’amendements identiques sur l’article 53, dont nous sommes nombreux à demander la suppression.
La fusion du tribunal d’instance et du tribunal de grande instance en une seule entité, le tribunal judiciaire, suscite, vous le savez, de grandes inquiétudes.
Ce sont de grandes inquiétudes, en effet, pour les justiciables, dont nous sommes la voix. Les professionnels de la justice que nous avons rencontrés nous l’ont dit : en éloignant le citoyen de la justice, on le dissuade d’y recourir, et donc de faire valoir ses droits.
Ce sont aussi de grandes inquiétudes pour les personnels – magistrats, directeurs de greffe, greffiers, fonctionnaires, avocats, huissiers de justice du ressort – qui aiment leur métier, mais surtout connaissent la population et ses problématiques.
Ce sont enfin de grandes inquiétude pour le territoire. Je pense en particulier au tribunal d’instance de Pontarlier, dont les personnels vous ont d’ailleurs écrit. Le mouvement des gilets jaunes peut aussi se lire comme un cri de colère de ces territoires qui ne se résolvent pas à perdre au fil du temps des services à la population. Écoles, cabinets médicaux, commerces, administrations publiques : chaque fois qu’une ville moyenne perd un service, c’est tout le territoire alentour qui en pâtit.
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)
Vous nous dites, madame le garde des sceaux, qu’aucun tribunal d’instance ne fermera. Mais, s’ils sont vidés d’une partie de leur substance, nous ne pouvons nous en satisfaire. Ça a déjà commencé ! Du reste, avant même que votre loi ne soit adoptée, certains effets négatifs se font déjà sentir. Je veux parler, par exemple, de la difficulté à attirer des magistrats dans nos tribunaux d’instance, car l’intérêt professionnel y perdra nécessairement de sa substance. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.) La parole est à M. Stéphane Viry, pour soutenir l’amendement no 83. Je dirai seulement quelques mots, pour compléter l’exposé de notre excellente collègue Annie Genevard.
La réorganisation judiciaire que vous prévoyez devrait aboutir à une nouvelle juridiction, unifiée et plus lisible. Il n’en demeure pas moins, madame la ministre, que la simplification de la saisine des juridictions en matière civile par la création d’un acte unique de saisine nécessiterait forcément de simplifier et d’ajuster l’organisation judiciaire.
Vous avez affirmé, et c’est désormais inscrit au compte rendu, qu’il n’y aurait pas de fermeture de lieux de justice. Il n’en demeure pas moins que la réorganisation prévue par votre réforme, avec une répartition des compétences territoriales et matérielles des juridictions, va entraîner une évolution brutale, radicale et dangereuse, dont il convient de mesurer les effets au quotidien pour les justiciables.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, je crains un recul important pour l’accès au droit des plus vulnérables de nos concitoyens. Je considère qu’il faudrait au contraire maintenir l’ensemble des juridictions de proximité, et même renforcer les dispositifs d’accès au droit dans des lieux fréquentés au quotidien. A fortiori, la répartition des compétences, qui pourrait varier selon les juridictions de première instance, risque, selon les départements, de rendre opaque et peu compréhensible la justice pour les justiciables. La rédaction de cet article, telle qu’elle a été modifiée en commission, suscite donc un certain trouble.
J’ajoute que l’idée d’instituer un juge des protections me semble tout à fait maladroite, car cela introduirait un doute quant à l’impartialité que requiert la fonction de magistrat.
Pour toutes ces raisons, je demande la suppression de cet article.
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)
La parole est à M. Sébastien Jumel, pour un rappel au règlement. Je souhaite faire un rappel au règlement, sur la base de l’article 58, alinéa 1, relatif au bon déroulement de nos débats, car nos tablettes électroniques ne marchent pas – il n’y a plus grand-chose qui marche, par les temps qui courent. Monsieur Jumel, vous auriez tout simplement pu demander aux huissiers de vous donner une autre tablette. Plus aucune tablette ne marche ! Je l’ignorais ! C’est la marche arrière absolue ! La mienne fonctionne ! J’aimerais faire un parallèle avec le texte qui nous est présenté : on nous a présenté une justice numérique ; on nous a présenté une justice sans juge ; et là, on nous propose une justice sans tribunaux. Ce que je veux dire, c’est que les nouvelles technologies ne remplaceront jamais l’efficacité de l’humanité, l’efficacité des hommes et des femmes qui font vivre le service public. C’est vrai pour l’Assemblée nationale et c’est vrai pour les tribunaux.
La justice numérisée, la justice dématérialisée, la justice sans juge et sans tribunaux, cela ne marchera pas !
Monsieur Jumel, je reconnais que cet incident technique est ennuyeux, mais les huissiers vont vous distribuer les amendements imprimés sur papier – ils ont d’ailleurs déjà commencé à le faire.
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 297. Je profite de l’intervention de Sébastien Jumel pour rappeler qu’en toutes circonstances il est sage de conserver une voie non dématérialisée de fonctionnement de nos administrations. Personne n’est à l’abri d’un bug, et une administration peut être paralysée en un instant, soit parce qu’il n’y a plus d’électricité, soit parce que l’informatique ne fonctionne plus. C’est une réalité, dans notre monde moderne, et je vous invite à la prudence. Il a raison ! J’en viens à mon amendement de suppression de l’article 53. Lisibilité et simplicité : contre de tels mots, madame la ministre, je ne sais pas lutter. Je ne sais rien dire, je suis paralysé, parce que je ne peux m’opposer ni à une meilleure lisibilité ni à la simplicité : je ne sais pas faire cela. Ce que je sais faire, en revanche, c’est contester votre texte, parce qu’il n’a rien à voir avec la lisibilité et la simplicité. Les avocats en colère qui étaient là-haut tout à l’heure et qui critiquent la future déshumanisation de la justice en savent quelque chose, et je tiens d’ailleurs à les saluer.
Vous n’avez pas répondu à mes interpellations, pas plus qu’à celles de mes collègues Caroline Fiat et Alexis Corbière, ce qui prouve que nous avons sans doute mis le doigt sur un point contestable de votre projet de loi.
Nous souhaitons supprimer cet article, cher collègue Terlier, car il va clairement dans le mauvais sens. Je n’ai pas besoin d’être rassuré, je ne suis pas un enfant, je n’ai besoin ni de pédagogie ni de tout le verbiage que vous utilisez sur les plateaux de télévision et qui révulse les Françaises et les Français.
Vous dites qu’il n’y aura une spécialisation que pour les contentieux de faible volume, mais c’est bien là toute la différence entre nous : il faut partir du plus petit dénominateur commun, de celui qui sera potentiellement le plus éloigné de la justice. Et c’est à partir de là qu’il faut construire notre maillage, et le service public que l’on rend. Vous, vous prenez les choses à l’envers et vous vous dites que, pour tel problème, nos concitoyens pourront prendre leur voiture et faire plusieurs kilomètres : vous raisonnez en dépit du bon sens.
Merci de conclure, mon cher collègue. Les compteurs, eux, fonctionnent très bien.
La parole est à M. Jérôme Nury, pour soutenir l’amendement no 395.
La fusion des tribunaux d’instance et de grande instance en une seule entité inquiète les justiciables, les élus locaux et l’ensemble des professionnels de la justice. Vous savez, madame le ministre, pour vous être rendue dans l’Orne, à Flers et à Argentan, que le maintien de ces institutions est une impérieuse nécessité, à la fois pour garder une justice proche et humaine, et pour conserver sur ces territoires des services qui assurent une forte présence de l’État.
Malgré l’engagement que vous avez pris de ne fermer aucun tribunal – et nous sommes prêts à vous faire confiance –, le risque est grand que l’un de vos successeurs, proche ou éloigné, ne tienne pas vos promesses – cela s’est déjà vu. L’autre risque, c’est que les tribunaux les plus modestes soient subrepticement vidés de leurs compétences et de certains contentieux : vos successeurs n’auront alors aucun mal à les supprimer.
Afin de ne prendre aucun risque et de vous éviter d’être la « Rachida Dati de La République en marche » à l’insu de votre plein gré, cet amendement vise à supprimer l’article 53.
La parole est à M. Martial Saddier, pour soutenir l’amendement no 437. Madame la garde des sceaux, malgré vos propos, vous n’avez pas su faire partager, comprendre et donc accepter votre réforme. Je dépose cet amendement de suppression, parce que, dans les cités judiciaires, ni les élus locaux, ni la profession judiciaire, ni les populations ne croient à cette réforme. Elle n’apportera pas d’efficacité, parce que ces instances sont déjà efficaces.
Par ailleurs, quand on sait que les justiciables vont devoir faire plusieurs centaines de kilomètres, voire plusieurs heures de déplacement en zone de montagne, on ne peut pas non plus nous vendre de la proximité ! Vous alimentez un vieux rêve, madame la garde des sceaux : celui de toutes celles et de tous ceux qui, depuis des décennies, rêvaient de n’avoir qu’un seul tribunal par département, là où il y en a plusieurs.
Enfin, vous auriez dû, pour être crédible, présenter un schéma immobilier de l’avenir des tribunaux dans chaque département. Et vous auriez dû présenter à la représentation nationale, en toute transparence, un schéma de spécialisation. Soit vous l’avez fait et vous ne voulez pas le présenter à la représentation nationale, ce qui est une faute ; soit rien n’est prêt, au moment où le Parlement s’apprête à voter cette loi, ce qui est également une faute. C’est pour toutes ces raisons que je défends cet amendement de suppression.
La parole est à M. Marc Le Fur, pour soutenir l’amendement no 605. Madame la garde des sceaux, autant je vous rends hommage s’agissant des cours d’appel, puisque vous avez su garder la carte historique, qui tient compte des réalités en matière de justice, autant je conteste vos décisions relatives aux tribunaux de grande instance et aux tribunaux d’instance.
Comparons les réformes. Je conviens que la réforme Dati fut brutale, mais elle fut franche.
Elle a été catastrophique ! Je crains, et j’exagère à peine, madame la garde des sceaux, que la vôtre ne soit hypocrite et dissimulée. Il s’agit de sauver les apparences et de supprimer des réalités : voilà le sujet. Nos petites villes auront toujours des tribunaux, qui s’appelleront tribunaux de proximité, mais, de fait, la réalité sera ailleurs. Je rends hommage à votre habileté, madame la garde des sceaux. Mais vous voulez tellement nous rassurer que vous finissez par nous inquiéter. Vous dites qu’il ne se passera rien, mais pourquoi faire ce texte s’il ne se passe rien ? Je n’ai pas dit qu’il ne se passerait rien ! Vous dites qu’il n’y aura pas de hiérarchie entre les tribunaux et entre les procureurs, mais alors pourquoi l’inscrire dans le texte ? Comment résoudra-t-on la question de l’existence de plusieurs tribunaux de grande instance dans certains départements ? Comment résoudra-t-on la question des tribunaux de grande instance qui se retrouvent à cheval entre deux départements ? C’est la situation de Saint-Malo et Dinan, entre l’Ille-et-Vilaine et les Côtes d’Armor.
Voilà des questions très concrètes. Soit on va jusqu’au bout des choses, soit on ne change rien. Il ne serait pas honnête à l’égard des justiciables, des professionnels du droit, de l’ensemble de nos interlocuteurs, de prétendre réformer à la marge pour mieux transformer en profondeur notre justice, en éloignant le justiciable du juge. La démocratie et la justice tiennent aussi de la proximité, ce que vous niez depuis dix-huit mois. La proximité est la condition d’un service public efficace.
La parole est à Mme Émilie Bonnivard, pour soutenir l’amendement no 607. Il est défendu. La parole est à M. Olivier Marleix, pour soutenir l’amendement no 738. La révolte de nos concitoyens se nourrit, depuis quelques semaines, d’un lourd sentiment d’injustice. Il leur semble payer les mêmes impôts que les autres sans bénéficier des mêmes services publics ni des mêmes droits, ce qui est pire.
Nous avons bien entendu vos dénégations et vos promesses de ne fermer aucun tribunal, mais vous faites pire puisque vous les supprimez tous, dès aujourd’hui, en faisant disparaître de nos codes les termes de tribunal d’instance et de juge d’instance. Alors qu’ils sont aujourd’hui protégés par la loi, ils seront demain à la merci d’une décision du chef de juridiction qui, s’il le souhaite, pourra les rayer d’un trait de plume.
Vous prétendez, madame la ministre, que nous n’aurions aucune raison de vous faire ce procès. Or, à Dreux, un précédent gouvernement, de ma famille politique, a supprimé un tribunal de commerce alors qu’il ne coûtait rien à la Chancellerie puisque le greffe était financé autrement. Pourtant, au nom d’une certaine doxa par laquelle il faudrait tout centraliser, ce tribunal de commerce a été supprimé. Vos propos ne nous rassurent pas et nous préférons ce qui est inscrit dans le droit. Si, il y a six mois, vous aviez encore l’excuse de ne pas entendre ce désir de proximité, vous ne pouvez plus l’ignorer aujourd’hui. N’éloignez pas davantage la justice de nos concitoyens.
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour soutenir l’amendement no 867. Oui, madame la garde des sceaux, il y aura bien deux poids, deux mesures, deux types de juridictions, deux types de procureurs, car le chef de filat induit, si ce n’est une différence hiérarchique, une autorité différente entre les procureurs.
S’agissant de la spécialisation des tribunaux, selon le futur article 211-9-3 créé par cet article, un tribunal pourra être désigné comme le seul compétent pour certains délits, contraventions et matières civiles dont la liste est assez longue. Certains tribunaux se verront ainsi reconnaître une compétence exclusive, ce qui dépasse largement le principe d’une simple fusion suivie de chambres détachées.
Vous nous avez préparé une réforme d’envergure, la plus vaste que nous ayons connue depuis l’ordonnance de 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et organisation des juridictions. Certes, avant vous, il y eut Mme Dati et je fais partie des réchauffés, des malheureux de cette réforme qui a fait de Saint-Lô le seul et unique chef-lieu de département de France sans présence judiciaire. Je ne suis pas près de l’oublier.
Demain se prépare une réforme moins radicale, mais la réforme de Mme Dati présentait l’avantage de nous montrer une carte sur laquelle nous pouvions discuter. Aujourd’hui, vous nous agitez une carte de loin et j’attends d’en savoir plus, mais je redoute à terme une disparition par évaporation des tribunaux d’instance, victimes du syndrome de la grenouille cuite : plongée dans l’eau froide que l’on réchauffe peu à peu, la grenouille ne se voit pas cuire et meurt lentement, sans réagir.
La parole est à M. Gilles Lurton, pour soutenir l’amendement no 889. Il est défendu. La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 1061. La suppression des tribunaux d’instance est inquiétante. Pas moins de 307 sont concernés en France, dont trois dans mon département, l’Hérault – Montpellier, Béziers et Sète. Vous répétez qu’il n’y aura pas de suppression, mais supprimer ou vider de sa substance revient au même. Vous n’avez pas su nous convaincre.
Vous prévoyez également de supprimer la fonction de juge d’instance, une fonction particulière qui est celle de la proximité et de l’humain. Le juge d’instance est celui du quotidien, de la vie de tous les jours, du conflit de voisinage qui prend des proportions énormes, envahit nos esprits, à chaque moment de la journée. Votre idée de réforme revient à une conception managériale, voire comptable de notre justice.
Nos concitoyens qui ont besoin de la justice ont à l’esprit une juridiction parfaitement identifiée pour ce qui concerne non les petits litiges mais ceux du quotidien. Le tribunal d’instance est celui des tutelles, du surendettement, du voisinage, notamment pour les plus fragiles. Du fait de votre réforme, nous n’avons plus aucune lisibilité. Nos concitoyens ne sauront plus à qui s’adresser et cela, ils le refusent, car ils en meurent à petit feu. Sachez les écouter, madame la garde des sceaux.
La parole est à M. Sébastien Jumel, pour soutenir l’amendement no 1362. Je vous ai toujours écoutée attentivement, madame la garde des sceaux, et l’alinéa 26 de l’article 53 vous contredit : lorsqu’il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département – en Seine-Maritime, Le Havre, Dieppe et Rouen par exemple –, l’un d’entre eux peut être spécialement désigné par décret pour connaître seul, dans l’ensemble de ce département, d’un certain nombre de contentieux dont vous dressez une liste. Vous oubliez au passage, pour évoquer le volume des affaires concernées et la technicité de ces matières, les amendements que nous avons proposés concernant la faible volumétrie et la haute technicité, deux adjectifs qui ne sont pas neutres pour garantir nos tribunaux.
J’ai une proposition honnête à vous soumettre. D’ici à la seconde lecture, que l’ensemble des conseils de juridictions qui regroupent les membres de la communauté judiciaire et les élus du territoire se réunissent pour évoquer la liste des compétences exercées par les tribunaux, y compris les spécialisations que vous envisagez de localiser à tel ou tel endroit. Qu’il nous soit ensuite proposé, avant la seconde lecture, un projet de décret pour acter la préservation de ces compétences dont vous dites ne pas vouloir déshabiller Pierre pour habiller Paul. Peut-être aurons-nous alors progressé pour mieux garantir la préservation sur nos territoires de vie des tribunaux de plein exercice.
L’ensemble des groupes vous interpelle sur ce sujet, et ce n’est pas de la posture politicienne, puisque la communauté judiciaire le fait également, tout comme les groupes parlementaires. C’est pourquoi je vous fais cette proposition : pour vous permettre de vous en sortir par le haut.
La parole est à Mme Laetitia Avia, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission. Je vous propose de sortir des postures, en effet, chers collègues, d’oublier les slogans, le vocabulaire funeste, d’arrêter d’agiter des épouvantails pour, enfin, revenir à la lettre du texte. (Protestations sur les bancs des groupes LR, GDR et FI.) C’est vrai, l’article 53 est dense, et je veux bien croire en la bonne foi de chacun, ici, car les confusions sont toujours possibles. Sans doute un manque d’intelligence ! Quel mépris ! Ce que j’entends ne correspond pas à la lettre de ce texte. On est peut-être trop cons pour comprendre. Vous êtes sans doute trop occupés pour avoir lu l’ensemble des alinéas. (Protestations sur les bancs des groupes LR et GDR.) Quelle arrogance ! Quel mépris ! On dirait le Président de la République ! Rappel au règlement ! Ainsi, vous citez l’alinéa 26, mais vous méconnaissez l’alinéa 30 qui suit. Ce texte prévoit un certain nombre de mesures, à commencer par la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance en un tribunal unique, le tribunal judiciaire. Nous l’avons maintes fois répété, l’ensemble des lieux de justice sera maintenu. Surtout, une disposition de ce projet devrait retenir notre intérêt : un accès unique pour le justiciable, quels que soient son lieu de résidence et le tribunal qui sera près de chez lui.
Le tribunal qui sera près de chez lui ne sera plus ni un tribunal d’instance ni un tribunal de grande instance, mais un tribunal judiciaire. Il est faux de prétendre qu’il faudra parcourir plus de kilomètres pour rejoindre un autre lieu de justice, puisque le justiciable pourra engager son action dans n’importe quel lieu. Il reviendra ensuite au greffe, à l’ensemble des services, de répartir les contentieux. Pensons aux justiciables : combien doivent se déplacer d’une ville à l’autre à la recherche du tribunal compétent ? Combien de contentieux sont frappés d’irrecevabilité à cause d’une erreur de saisine d’un tribunal, d’une erreur de compétence ? Combien de contentieux posent des difficultés parce que, d’un contentieux de 8 000 euros au départ, ils passent au-dessus du seuil du fait d’une demande reconventionnelle et basculent dans la compétence du tribunal de grande instance ? Si l’on pense avant tout au justiciable, la fusion des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance est une bonne mesure de simplification de la justice.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Elle insuffle de la flexibilité et de la souplesse dans l’organisation des greffes et facilite le travail des magistrats.
Mais cet article ne s’arrête pas là. Il prévoit encore d’instituer un juge statutaire chargé du contentieux de la protection pour les plus vulnérables, de favoriser la coordination avec les territoires, via les procureurs qui pourront assurer le lien administratif avec l’ensemble des territoires. Cette réforme permet d’ancrer davantage nos tribunaux dans les territoires, favorisant ainsi la proximité et la protection de nos territoires.
Je mettrai toutefois un bémol. Je l’ai dit à la ministre : je ne vois pas de spécialisation dans cet article. Il ne s’agit pas d’une simple question linguistique, mais d’une réalité.
La spécialisation est l’activité exercée à titre principal par une juridiction. Or, la ministre nous le répète depuis des semaines, nous allons regrouper au sein de ces tribunaux des contentieux de faible volumétrie et de haute technicité.
Ce sont donc des contentieux de niche, qui ne représentent pas l’activité principale d’un tribunal. Il ne s’agit donc pas tant d’une spécialisation des tribunaux que d’un regroupement, dans certains lieux de justice, des contentieux spécifiques.
Mais non ! Ces tribunaux ont en effet besoin de compétences plus nombreuses et d’une meilleure qualité de traitement, car on ne va pas tous les quatre matins dans un tribunal pour traiter de tels contentieux. Il n’est donc pas possible d’affirmer que le texte éloigne les justiciables du traitement de ces contentieux. Moi-même, qui suis avocate, je ne me rends pas tous les quatre matins dans un tribunal pour traiter des contentieux de niche. L’éloignement des justiciables n’est donc pas le sujet.
Je tiens également à répondre aux orateurs inscrits, ce qui me permettra d’être plus succincte par la suite. Monsieur Marleix et Monsieur Savignat, vous estimez qu’il sera possible de rayer d’un trait de plume les lieux de justice : vous semblez oublier que ces lieux de justice figurent dans le code de l’organisation judiciaire. Ils figurent dans l’annexe du décret qui fixe l’ensemble des lieux de justice, des tribunaux et des cours d’appel. Un chef de cour ne pourra donc pas rayer tout seul, d’un trait de plume, un lieu de justice.
(Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Un simple décret n’est pas suffisant. Laissez la rapporteure s’exprimer. Vous pourrez ensuite redemander la parole. Monsieur Saddier, vous avez affirmé que nous défendions ici le vieux rêve d’un tribunal départemental. Ce n’est absolument pas l’objet de cette réforme. Qui a défendu l’idée d’un tribunal départemental ? Les sénateurs républicains. Une telle proposition n’est ni présentée par le Gouvernement ni soutenue par la majorité.
Monsieur Perrut, vous avez prétendu que nous supprimions les tribunaux de proximité : non. Nous les créons, au contraire, grâce à ce texte. Monsieur Jumel, enfin, vous avez évoqué les conseils de juridiction. Vous avez visé le I de l’article 53, non le grand II : or il indique, à l’alinéa 30 de l’article, que le regroupement de ces contentieux spéciaux se fera après consultation des chefs de cour et des chefs de juridiction.
Je l’ai dit. Il ne pourra donc pas être imposé à quelque tribunal que ce soit.
Vous avez évoqué la possibilité d’associer les conseils de juridiction : c’est de l’ordre réglementaire et non législatif. C’est une bonne idée de pouvoir échanger avec toutes les parties prenantes. L’objet même du texte est d’ailleurs de s’assurer que l’ensemble des acteurs de terrain contribuent à la construction, à l’organisation et à l’activité des lieux de justice, et cela dans un seul intérêt : celui du justiciable.
Avis défavorable à ces amendements de suppression de l’article.
(Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) Quel est l’avis du Gouvernement ? Madame Genevard, vous avez évoqué la question de la protection des territoires. C’est le projet que je porte, l’ambition que je veux afficher. Vous avez raison, c’est de l’affichage ! Vous avez pris l’exemple de Pontarlier. Si je peux démontrer cette volonté de conserver la proximité, c’est parce que le texte augmente les compétences des actuels tribunaux d’instance. Pour répondre aux besoins, il sera possible, par exemple, d’y implanter le traitement des contentieux en matière d’affaires familiales post-divorce, pour lesquelles la proximité est essentielle. Si un besoin en matière familiale surgit dans tel ou tel territoire, les chefs de juridiction pourront implanter le traitement de ces contentieux dans les actuels tribunaux d’instance. Non seulement je maintiens la proximité, mais je la renforce.
Vous avez argué que ma réforme avait déjà eu des conséquences à Pontarlier, puisque le nombre de magistrats y est insuffisant. Je suis désolée, mais ce n’est pas ma réforme qui est responsable de cette situation. Vous savez aussi bien que moi, madame la députée, que la justice rencontre les mêmes difficultés que d’autres services publics : certains territoires sont moins attractifs que d’autres. C’est pourquoi nous devons inciter les magistrats et les fonctionnaires à s’y faire nommer. C’est ce que le directeur des services judiciaires et moi-même nous efforçons de faire. Cette situation, je le répète, n’est pas liée à la réforme en cours. L’honnêteté nous conduit à le reconnaître ensemble. Nous rencontrons le même problème pour certains établissements pénitentiaires en différents points du territoire. Il convient donc de distinguer la question des ressources humaines de celle du renforcement de la proximité, sur laquelle je m’engage.
Monsieur Saddier, vous avez évoqué à deux reprises la question de la Haute-Savoie, où sont implantés trois tribunaux de grande instance – à Thonon-les-Bains, Bonneville et Annecy. Ces trois tribunaux subsisteront dans la plénitude de leurs compétences – je l’ai déjà souligné. Ils conserveront leurs compétences en matière de traitement de contentieux de masse, qu’il s’agisse des contrats et de la responsabilité civile ou de la famille. Il n’y a aucun doute en la matière. Il en sera de même des tribunaux d’instance isolés. Dire le contraire, c’est contredire le texte, c’est inventer des choses qui n’y sont pas.
(M. Erwan Balanant applaudit.)
Vous m’avez demandé mon schéma de spécialisation. Je n’en ai pas, monsieur le député, puisque le texte prévoit… Pas vu, pas pris ! Non, monsieur le député, ce n’est pas « pas vu, pas pris » : c’est la logique du texte, qui est celle du respect des acteurs de terrain. Nous n’avons pas de schéma de spécialisation, tout simplement parce que lorsque plusieurs tribunaux de grande instance sont implantés dans un département, ce sont les acteurs de terrain qui, s’ils le veulent, je tiens à le souligner,… Ils le voudront, madame la ministre ! …nous feront des propositions pour que, comme Mme la rapporteure l’a souligné, des contentieux relevant d’un même domaine puissent être traités dans un même tribunal, dans le respect de l’équilibre des territoires. Ça ne veut rien dire, ça ! J’insiste sur ce point : les projets qui nous remonteront seront des projets de terrain. C’est cela et seulement cela qui est écrit dans le texte. Ce sera donc bien de la spécialisation. Monsieur Jumel, vous avez évoqué les conseils de juridiction : conformément à la méthode que je proposerai lorsque la loi aura été adoptée, mais sur laquelle je me suis déjà engagée, ces projets de terrain nous remonteront évidemment après avoir été traités dans les conseils de juridiction, qui intègrent l’ensemble des partenaires. C’est essentiel pour que le dispositif puisse fonctionner. C’est la raison pour laquelle, je le répète, je n’ai ni schéma préconçu ni carte : je fais simplement une proposition permettant à notre justice de mieux fonctionner.
De quoi parlons-nous, en effet ? Comme les tribunaux de Thonon-les-Bains, Bonneville et Annecy traitent chacun, dans une année, trois affaires de propriété littéraire et artistique, les magistrats sont contraints, pour chaque affaire, de se pencher sur un domaine dont ils n’ont pas nécessairement assimilé l’ensemble des compétences en vue d’acquérir les connaissances juridiques propres à ces dossiers. L’allongement de la durée des contentieux qui résulte d’une telle situation ne bénéficie pas au justiciable.
Dans le schéma que je vous propose, le tribunal de Thonon traitera, par exemple, les contentieux de propriété littéraire et artistique et celui de Bonneville les affaires, très peu nombreuses, qui relèvent du contentieux pénal de l’environnement. Le tribunal d’Annecy traitera un autre type de dossiers. Faible volume et technicité vont de pair : quand un contentieux est technique, sa volumétrie est généralement faible. C’est ainsi que les choses fonctionneront dans le respect de l’équilibre des territoires.
La question du traitement de dossiers spécialisés et pointus n’est pas nouvelle. Aujourd’hui, les contentieux relatifs aux brevets, aux affaires maritimes ou aux affaires militaires ne sont pas traités dans tous les TGI : ils ne le sont que dans certains d’entre eux. Nous ne voulons qu’étendre ce modèle.
Mes seuls objectifs sont la lisibilité et la proximité : je ferai tout pour les atteindre.
(Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
La parole est à M. Hubert Wulfranc, pour un rappel au règlement. Car ça commence à bien faire ! Je fais ce rappel sur le fondement de l’article 58, alinéa 1 de notre règlement, pour la bonne conduite de nos débats. Il a raison ! (Sourires) Alors que Mme la garde des sceaux – je parle sous le contrôle de notre président de groupe – témoigne depuis dix-huit mois sur ces bancs, par la qualité de ses réponses, de son profond respect du Parlement (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM) , j’invite Mme la rapporteure à faire de même (Applaudissements sur les bancs du groupe LR) et à retenir ses propos destinés aux porte-parole des groupes, en particulier à celui du groupe communiste. Il y va de la poursuite de la qualité de nos échanges et du respect mutuel qui doit s’instaurer dans cette enceinte, à un moment particulièrement délicat, que nul n’ignore, des rapports politiques.
C’est pourquoi je vous demande, madame la présidente, de vous montrer particulièrement vigilante à la qualité de nos échanges.
(Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, FI, SOC et LR.) Très bien ! Je tiens à rappeler que nous devons tous nous montrer respectueux les uns des autres.
La parole est à M. Antoine Savignat. Madame la rapporteure, je partage votre position : il faut sortir des postures et des slogans. Cessez donc de nous asséner qu’il n’y aura pas de fermeture de tribunaux ! (M. Ugo Bernalicis applaudit.) Le fait que les décrets maintiennent leur existence n’est pas une garantie. Le chef de juridiction à qui il manquera un cabinet d’instruction, de juge aux affaires familiales ou de juge des enfants pourra, selon son bon vouloir, affecter les trois magistrats de son ancien tribunal d’instance à l’ouverture ou à la réouverture d’un de ces cabinets.
La juridiction aura beau continuer d’exister sur le papier, elle sera vidée de sa substance puisqu’elle ne sera plus pourvue d’aucun juge. Oubliez vos slogans, oubliez vos postures !
Reconnaissons cependant une chose. Avec ce texte, plus particulièrement avec cet article, vous avez réussi un exploit : c’est la première fois que tous les professionnels du droit parlent d’une seule voix.
Vous oubliez la réforme Dati ! Vous avez fait l’unanimité contre vous. Le Gouvernement est seul contre tous ! Les avocats, qui se sont souvent montrés divisés dans l’histoire, parlent tous d’une même voix. Vous avez également réussi à faire parler d’une même voix les présidents des conseils départementaux, ainsi que ceux des conseils régionaux. Tous sont particulièrement inquiets des conséquences de ce texte. Alors écoutez-les ! Vous avez affirmé, madame la garde des sceaux, être certaine du bien-fondé de cet article : écoutez les gens, écoutez les professionnels ! Ça, ils ne savent pas ! La République en marche n’écoute personne ! Les seuls qui ne râlent pas, soyons honnêtes, sont les tribunaux de commerce, que vous n’avez pas touchés, parce qu’ils ne coûtent rien. Tous, nous avons bien compris que la seule question importante à vos yeux était celle du coût. Écoutez la rue, écoutez les professionnels (M. Ugo Bernalicis applaudit) , écoutez le Premier ministre, qui a reconnu que des erreurs avaient été commises dans les relations avec le Parlement et qui a souhaité lancer une grande concertation ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.) La parole est à M. Raphaël Schellenberger. Votre réponse ne manquait ni de dynamique ni de piquant, madame la rapporteure. Néanmoins, votre plaidoirie manquait énormément de sincérité. En réalité, l’article 53 découle d’une philosophie de l’organisation administrative de la France dont nous commençons à avoir un peu trop l’habitude. En anglais, on dirait big is beautiful . Et si je le dis en anglais, c’est parce que cette conception ne correspond pas à l’organisation de la République : il ne peut pas y avoir de mot français pour qualifier cette ineptie en matière d’organisation administrative du territoire. Parlez-en à Rachida Dati ! Cette idée, c’est que plus c’est grand, plus c’est efficace. Eh bien, c’est faux : en réalité, au sein de notre organisation judiciaire, c’est souvent dans les petits tribunaux que les choses marchent le mieux. Or ce sont les ressources des petits tribunaux qui marchent bien que vous voulez mobiliser pour faire fonctionner de grands tribunaux qui ne fonctionnent pas parce que vous n’arrivez pas à régler le problème de ces tribunaux plus grands. Pourtant, vous ne le réglerez pas en sucrant les moyens des petits tribunaux.
Le manque de sincérité s’est surtout vu dans votre conclusion, madame la rapporteure : en définitive, vous n’êtes pas d’accord avec Mme la ministre, puisque vous considérez que l’article 53 ne prévoit pas de spécialisation, alors que Mme la ministre a indiqué qu’il visait précisément à organiser la spécialisation des différents tribunaux au niveau local. Qu’y a-t-il donc alors dans cet article ? Vous êtes rapporteure de la commission des lois, issue de la majorité, et j’imagine que vous avez travaillé avec le Gouvernement sur ce texte. Or vous n’arrivez pas à être d’accord avec la ministre ! C’est tout de même formidable !
Je suis prêt à vous croire : il n’y a pas aujourd’hui de volonté, en tout cas de volonté affichée, de supprimer des tribunaux. Soit. Toutefois, vous nous dites que l’article 53 rend la chose possible. Or dans un an, elle sera devenue souhaitable, et un an plus tard, elle sera encouragée. Telle est la logique que vous nous proposez.
Merci, monsieur Schellenberger. Aujourd’hui, vous nous dites que cela n’arrivera pas. Demain, cela deviendra la réalité. La parole est à M. Ugo Bernalicis. Clairement, madame la ministre, vous nous mentez. (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
En effet, l’article 53, couplé à l’article 54 qui prévoit une expérimentation sur un bon tiers du pays, permettra aux premiers présidents de cour d’appel et aux procureurs généraux de mutualiser, fusionner, rationaliser ou de faire tout ce que vous voulez qui relève du même verbiage. Compte tenu des contraintes que connaissent aujourd’hui les tribunaux, notamment les tribunaux de grande instance en matière pénale, vous allez provoquer des mouvements de personnel : vous allez marier un tribunal d’instance qui fonctionne à peu près bien avec un tribunal de grande instance qui ne fonctionne pas bien pour arriver à une organisation dans laquelle tout dysfonctionnera ; voilà ce que vous allez faire.
Qui plus est, la spécialisation dont vous parlez aura lieu, car elle sera dans l’intérêt des présidents de cour d’appel ou de tribunal, qui sont aussi des gestionnaires : ils procéderont à cette spécialisation pour des raisons de coût. Et ne me dites pas que lorsque les tribunaux seront spécialisés, le justiciable n’aura pas à traverser le territoire ! Certes, cela concernera un faible volume d’affaires. Mais comme d’habitude, on se fiche des 3 ou 4 % qui restent sur le côté. Circulez, il n’y a rien à voir ! Ou plutôt, dans le cas présent : circulez, cela va vous coûter plus cher !
Oui, il y aura des spécialisations. Oui, les tribunaux seront plus éloignés. Telle est la vérité, au minimum. Car on peut craindre tout le reste, notamment des fermetures supplémentaires de tribunaux, mais je ne veux même pas entrer dans ce débat, parce que nous sommes déjà en deçà de tous nos objectifs, alors que nous devrions discuter ici d’un nouveau maillage du territoire et de la réouverture des tribunaux fermés par Mme Dati. Voilà qui aurait été une belle et grande réforme de la justice ! Nous aurions pu parler des territoires, de la manière d’être au plus proche des gens, dans le cadre de meilleures synergies, en lien avec les élus locaux.
En l’espèce, nous ne discutons de rien de tout cela. Vous êtes évidemment dans une logique de réduction des coûts. Pourquoi cherchez-vous, sinon, à vider les tribunaux de leurs dossiers, avec la numérisation et la déjudiciarisation de certaines affaires ? Pourquoi prévoyez-vous la représentation obligatoire, si ce n’est pour éloigner le justiciable, sachant qu’on ne touche pas à l’aide juridictionnelle ? Vous cherchez à désemplir les tribunaux, à les déshumaniser et à éloigner le justiciable. Voilà votre réforme,... Merci, monsieur Bernalicis. …et la pointe avancée de tout cela est l’article 53. C’est pourquoi nous demandons sa suppression. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.) La parole est à M. André Chassaigne. Je reviens sur les propos tenus par Mme la rapporteure et Mme la ministre. Contrairement à l’intervenant précédent, je pense que Mme la ministre décrit les choses telles qu’elles vont se passer.
Vous avez précisé très clairement, madame la ministre, qu’une forme de spécialisation pourrait se faire, en tenant compte non seulement du volume des affaires – contrairement à ce qu’a indiqué Mme la rapporteure –, mais aussi de la technicité des matières. Je peux d’ailleurs le comprendre s’agissant de certains domaines. Par exemple, j’avais été interpellé par des chefs d’entreprise, notamment par des couteliers thiernois, à propos du code de la propriété intellectuelle, dont le maniement exige une très forte maîtrise technique.
Toutefois, il y a plusieurs problèmes. Premièrement, si je lis bien l’alinéa 28 de l’article 53, la liste qui sera déterminée par décret en Conseil d’État, ce n’est tout de même pas n’importe quoi : elle pourra concerner le code du travail, le code de l’action sociale et des familles, le code de la sécurité sociale…
Il s’agit du droit pénal du travail ! Alors, j’ai mal interprété l’alinéa. Dans ce cas, il faut préciser quels seront les domaines exigeant une grande maîtrise technique qui sont susceptibles d’être concernés par la spécialisation. Oui, ce n’est pas clair ! C’est écrit ! Deuxièmement, la liste sera déterminée par un décret en Conseil d’État, mais la décision sera prise ensuite par le premier président de la cour d’appel et le procureur général près cette cour, après un simple avis des chefs de juridiction concernés.
Troisièmement, les juges sont soumis à des mouvements. Or l’orientation que vous donnez semble signifier qu’ils devront désormais se spécialiser. Compte tenu de cette spécialisation, il leur sera impossible, de fait, d’obtenir les mutations qu’ils souhaitent.
(M. Jean-Paul Dufrègne applaudit.) La parole est à M. Jean Terlier. Mme la rapporteure a démontré le bien-fondé de l’article 53 et a très justement évoqué la simplification qu’il tend à apporter. Je vais développer ce point et tenter de convaincre M. Bernalicis de voter l’article.
Prenons un exemple assez simple : un banal conflit de voisinage entre deux propriétaires.
Ce n’est jamais banal, un conflit de voisinage ! L’un des deux considère que le mur séparant les deux propriétés lui appartient, ce que l’autre conteste.