XVe législature
Session ordinaire de 2018-2019
Séance du lundi 17 décembre 2018
- Présidence de M. Marc Le Fur
- 1. Projet de loi de finances pour 2019
- Présentation
- Motion de rejet préalable
- Motion de renvoi en commission
- Discussion générale
- Mme Sabine Rubin
- M. Jean-Paul Dufrègne
- M. Charles de Courson
- Mme Nadia Hai
- Mme Véronique Louwagie
- M. Jean-Noël Barrot
- Mme Christine Pires Beaune
- Mme Lise Magnier
- M. Éric Coquerel
- M. Jean-René Cazeneuve
- M. Jean-Louis Bricout
- Mme Patricia Lemoine
- Mme Emmanuelle Ménard
- M. François Jolivet
- M. Éric Woerth, président de la commission des finances
- M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics
- Avant la première partie
- Article liminaire
- Amendement no 1317
- Article liminaire
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
1e séance
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi de finances pour 2019 (nos 1490, 1504).
À la demande du Gouvernement, en application de l’article 95, alinéa 4 du règlement, l’Assemblée examinera par priorité ce soir, à vingt et une heures trente, les articles 12 à 22 du projet de loi.
À la demande du Gouvernement, en application de l’article 95, alinéa 4 du règlement, l’Assemblée examinera par priorité ce soir, à vingt et une heures trente, les articles 12 à 22 du projet de loi.
La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
Le projet de loi de finances pour 2019 que nous vous avons présenté avec Gérald Darmanin repose sur trois choix politiques fondamentaux.
Le premier est celui du travail. Les événements passés, qu’il est inutile de rappeler, ont montré une chose simple : les Français veulent une juste rémunération de leur travail, afin de pouvoir en vivre dignement et vivre tout court. Ils veulent que le travail leur garantisse leur liberté : liberté d’avoir des loisirs, liberté de se déplacer, liberté de construire leur vie comme ils l’entendent. Des millions de nos concitoyens qui, pendant des semaines, ont poussé un cri de souffrance et de détresse, n’arrivent plus à vivre de leur travail. C’est vrai pour des millions de salariés, en particulier pour les femmes seules qui doivent élever leurs enfants et pour tous ceux dont le salaire se situe au niveau du SMIC. C’est à ce cri que le Président de la République a voulu répondre la semaine dernière. Et croyez-moi, ce cri est poussé non seulement en France mais partout en Europe ; il est la conséquence d’un modèle économique qui ne permet plus à beaucoup de salariés de vivre dignement de leur travail. Au-delà des réponses que nous apportons maintenant au niveau national, je suis convaincu que tous les États européens devront répondre à la même question : celle du modèle économique qu’ils veulent, des libertés qu’ils peuvent offrir aux salariés.
Le deuxième choix que nous avons fait avec Gérald Darmanin est celui de la compétitivité de nos entreprises. Nous restons totalement convaincus que le défi lancé à l’économie française est d’améliorer l’offre, grâce à plus d’innovation et d’investissement, afin de fabriquer des produits de meilleure qualité qui puissent se vendre sur les marchés extérieurs et créer des emplois et de l’activité sur nos territoires.
Le troisième choix est celui du rétablissement de nos finances publiques. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, il ne peut y avoir de croissance solide ni durable sans des finances publiques saines. Leur rétablissement est la condition de notre succès économique et de notre crédibilité politique – en Europe et au-delà –, dont Gérald Darmanin et moi-même voulons être les garants.
Nous sommes confrontés, je le répète, à une urgence qui impose de répondre aux souffrances et à la détresse des Français, mais nous voulons le faire en respectant les éléments fondamentaux des choix économiques et financiers que nous avons effectués depuis dix-huit mois : mieux rémunérer le travail, rétablir la compétitivité des entreprises et restaurer nos finances publiques. C’est le sens des décisions qui ont été annoncées par le Président de la République la semaine dernière et détaillées ce matin par le Premier ministre.
L’idée au cœur de ces choix est qu’il ne peut pas y avoir de succès économique sans justice, comme il ne peut pas y avoir de justice sans succès économique – car il faut créer des richesses pour pouvoir les redistribuer. L’essence de la politique économique de notre majorité depuis dix-huit mois, c’est précisément la volonté de conjuguer compétitivité économique et justice : nous voulons avancer sur les deux jambes, sans en privilégier une au détriment de l’autre. C’est par ce principe qu’ont été guidées nos décisions économiques. Certains veulent absolument opposer le ministère de l’économie, qui serait pour la compétitivité, et d’autres ministères, qui seraient pour la justice. C’est faux : tout ce que nous faisons depuis le début de notre mandat est animé de la même volonté de conjuguer ces deux objectifs.
Ainsi, dans le cadre du projet de loi PACTE – plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises –, nous avons pris les mesures nécessaires pour que les entreprises grandissent et deviennent plus compétitives, qu’elles soient capables d’innover et d’investir. Mais, dans le même temps, nous avons supprimé le forfait social à 20 % sur l’intéressement des entreprises de moins de 250 salariés, pour qu’elles puissent verser de l’intéressement à ces derniers et donc mieux rémunérer le travail ; nous avons développé l’actionnariat salarié ; nous avons modifié le code civil afin de reconnaître davantage la responsabilité sociale des entreprises en appelant chacune d’entre elles à prendre conscience de son rôle social dans la société française.
Et nous continuerons à conjuguer justice et compétitivité économique car c’est dans notre ADN, en particulier dans le mien. Dès février 2019, la prime d’activité augmentera massivement pour permettre à tous ceux qui travaillent d’être mieux rémunérés. Cette mesure viendra compléter les choix déjà opérés : la suppression des cotisations d’assurance maladie et d’assurance chômage, et celle du forfait social à 20 %, que je viens d’évoquer. Elle permettra à 5 millions de foyers d’être mieux rémunérés dès février 2019. Par ailleurs, dès janvier, les heures supplémentaires seront défiscalisées. Enfin ! Depuis le temps qu’on vous dit qu’il faut le faire ! Dès maintenant, les entreprises qui le peuvent – et non simplement les grands groupes – sont invitées à verser une prime exceptionnelle de fin d’année. Cette prime pourra atteindre 1 000 euros pour les salariés rémunérés jusqu’à trois SMIC et elle sera totalement exonérée d’impôts, de charges sociales, de CSG et de CRDS – contribution sociale généralisée et contribution à la réduction de la dette sociale. C’est simple : si une entreprise verse 600 euros, c’est la somme que le salarié recevra sur son compte en banque. Nous souhaitons que cette prime soit versée le plus rapidement possible. C’est pourquoi nous avons retenu une fenêtre de versement courte : du 11 décembre au 31 mars, avec la volonté que des millions de salariés français puissent toucher la prime d’ici à cette date.
Ces mesures d’urgence, auxquelles il faut ajouter l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraités modestes, représentent au total 10,3 milliards d’euros pour 2019. Je répète, elles se caractérisent par une cohérence et une détermination à améliorer la vie de ceux qui travaillent dans notre pays. L’ensemble de ces mesures – prime défiscalisée, prime d’activité, suppression des cotisations d’assurance maladie et d’assurance chômage, suppression du forfait social sur l’intéressement – permettront à des millions de Français de vivre mieux de leur travail en 2019.
Le coût supplémentaire ne viendra pas déstabiliser le deuxième principe de notre politique : la crédibilité économique. Je le redis avec force : nous devons poursuivre le rétablissement de nos finances publiques. Ce choix n’est pas technocratique mais politique, au sens le plus noble du terme : c’est le choix de ne pas céder à la facilité de la dépense publique et de ne pas laisser une dette insurmontable à nos enfants, qui auront à la payer demain.
Je vois de plus en plus souvent, dans le débat public, surgir l’idée que tout serait la faute de Bercy, responsable de tous les maux qui accablent la France. C’est un peu le cas quand même… Je m’insurge contre cette vision. D’abord, elle est lâche car les deux ministres à la tête de Bercy – Gérald Darmanin et moi-même – sont aussi deux élus de la République. Et si je n’ai pas plus de légitimité que vous, je n’en ai pas moins puisque j’ai été élu député, comme vous tous, en juin dernier, sous les couleurs de la majorité présidentielle. Gérald Darmanin comme moi-même assumons nos responsabilités politiques : si nous voulons le rétablissement des finances publiques, ce n’est pas parce que Bercy l’a décidé, mais parce que les deux ministres à sa tête, sous l’autorité du Premier ministre et du Président de la République, l’ont jugé nécessaire. Mais Bercy, c’est vous ! Cette vision – Bercy serait responsable de tous les maux de la France – est en outre profondément injuste car ce ministère compte des fonctionnaires remarquables de dévouement, de compétence et de professionnalisme, et je veux leur rendre un hommage appuyé. Qu’ils aillent d’abord sur le terrain ! S’ils n’étaient pas là, les décisions politiques que nous prenons en loi de finances ne pourraient tout simplement pas être appliquées. Je veux rendre hommage à tous ces fonctionnaires qui ne comptent pas leurs heures de travail, de recherche et de calcul,… Comme nous ! …car il n’y a pas d’État fort sans une administration du trésor, une administration fiscale et une administration budgétaire fortes. L’État, en France, est fort car il compte des fonctionnaires qui ont le sens de l’intérêt général et du dévouement à la nation ; je veux leur rendre hommage. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Nous avions annoncé, pour 2019, un déficit public de 2,8 %, en réalité de 1,9 % sans l’opération de transformation du CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – en allégement de charges. Notre objectif, je l’ai souligné plusieurs fois ces derniers jours, est de nous rapprocher le plus possible des 3 %,… C’est raté ! …à la fois pour contenir les déficits et la dette, et pour tenir nos engagements européens. Sur les 10 milliards que représentent les mesures d’urgence, 4 milliards seront financés dès l’année prochaine. Le déficit augmentera donc légèrement en 2019, mais il restera, comme nous l’avions promis, proche de nos engagements européens, c’est-à-dire des 3 %, puisqu’il s’établira autour de 3,2 %, soit environ 2,3 % hors effet exceptionnel de transformation du CICE en allégement définitif de charges.
Comment allons-nous financer ces nouvelles dépenses ? Nous allons demander un effort à ceux qui peuvent le plus contribuer, en concertation étroite avec eux. Nous avions pris l’engagement auprès des entreprises de baisser l’impôt sur les sociétés de 33,3 à 25 % d’ici à 2022. Cet engagement ne change pas : le taux d’impôt sur les sociétés s’établira bien à 25 % en 2022. Il passera de 33 à 31 % en 2019, mais cette baisse ne concernera que les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 250 millions d’euros. Les autres verront leur taux baisser à partir de 2020. Très bien ! Nous demandons donc un effort aux entreprises les plus prospères pour financer 1,8 milliard de dépenses exceptionnelles ; il me semble juste de demander aux entreprises qui le peuvent le plus de contribuer au meilleur financement du travail en France, afin de répondre aux urgences sociales.
Nous allons également, monsieur le rapporteur général, suivre la commission des finances et modifier la niche Copé, relative à l’imposition des plus-values de cession intragroupe, ce qui rapportera environ 200 millions d’euros.
Enfin, comme je vous l’avais annoncé la semaine dernière, nous allons taxer les géants du numérique – les Google, Amazon et autres Facebook – dès 2019. Je souhaite que cette taxation se fasse au niveau européen mais, en tout état de cause, pour l’ensemble de la taxation, il y aura une taxe nationale, qui nous permettra de remédier à cette injustice qui fait que nos PME et nos TPE paient actuellement 14 points d’impôt de plus que les géants du numérique. Cette taxe nationale concernera les revenus tirés de la publicité, ceux issus des frais d’intermédiation réalisés par les market places et ceux provenant de la revente des données personnelles des utilisateurs à des fins de publicité. Elle touchera le chiffre d’affaires des très grandes entreprises du numérique à compter du 1er janvier 2019. L’ensemble du chiffre d’affaires de 2019 sera donc bien inclus dans cette taxation, qui devrait rapporter 500 millions d’euros dès l’an prochain.
Enfin, pour financer ces dépenses supplémentaires, nous allons engager une réduction des dépenses publiques d’1 milliard à 1,5 milliard euros dès 2019. Je le répète, il n’y aura pas de baisse durable et réelle des impôts et des taxes sans réduction des dépenses publiques. Puisque nous avons accéléré la baisse des impôts, il faut accélérer la baisse des dépenses publiques. Il serait temps ! La logique est aussi simple que cela. Ce travail de réduction des dépenses publiques doit se faire main dans la main avec les parlementaires,… Ça nous changera ! …et je vous engage à participer au débat pour identifier des économies structurelles. Il doit se faire main dans la main avec les citoyens français, et je souhaite que le grand débat qui va s’ouvrir dans les semaines à venir soit l’occasion de poser enfin les choix devant les Français. On peut vouloir moins d’impôts et moins d’État, on peut vouloir plus d’impôts et plus d’État, mais on ne peut pas vouloir moins d’impôts et plus d’État, c’est incompatible. C’est ce choix que nous allons devoir présenter aux Français : quelles dépenses sont-ils prêts à réduire pour que nous ayons demain moins de taxes et moins d’impôts ? quel modèle de société veulent-ils construire et quelle fiscalité veulent-ils mettre en place pour financer ce modèle social ?
Enfin, il n’y aura pas de prospérité pour tous les Français sans des entreprises compétitives. Pour créer des richesses et des emplois, nous avons besoin d’entreprises qui soient plus compétitives, qui investissent davantage, qui innovent davantage.
C’est pourquoi nous avons décidé de ne pas décaler les allégements de charges prévus pour les entreprises, car nous avons besoin de préserver leur compétitivité, afin de leur permettre de réussir face à la concurrence européenne ou mondiale.
Voilà les grandes orientations de ce projet de loi de finances, que nous vous confirmons. Nous maintenons des orientations fondées sur la rémunération du travail, la compétitivité des entreprises et la bonne tenue des finances publiques. Je me réjouis que nous puissions à nouveau avoir ce débat aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à M. Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. La nouvelle lecture du PLF pour 2019 se déroule dans un contexte nouveau. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.) Chacun s’exprimera et livrera ses interprétations sur les manifestations qui se sont déroulées depuis le 17 novembre dans le pays, ainsi que sur les réponses à y apporter.
Deux choses me paraissent absolument certaines à ce stade.
Premièrement, le Gouvernement – je l’en remercie – a pris la pleine mesure de la situation et met tout en œuvre pour concrétiser les mesures annoncées par le Président de la République le 10 décembre dernier. C’était trop intelligent pour que je comprenne… Je me réjouis en particulier des précisions apportées sur l’organisation d’un débat national portant notamment sur la fiscalité écologique et le financement de la transition énergétique. Et l’immigration ! Il conviendra de déterminer comment la commission des finances, dont le rôle institutionnel est de traiter de ces sujets, peut y être associée.
Deuxièmement, les solutions à la crise ne pourront pas être apportées par un seul budget, même si ce projet de loi de finances contient déjà quelques mesures.
Je pense, en premier lieu, au rehaussement des crédits pour la prime d’activité. Pour mémoire, le PLF prévoyait initialement l’entrée en vigueur d’une nouvelle bonification de la prime d’activité au 1er août 2019. En première lecture, l’Assemblée avait avancé la date au 1er avril 2019. Le Sénat, à l’initiative du Gouvernement, l’a encore avancée au 1er janvier 2019. L’accélération de l’entrée en vigueur de cette mesure s’est traduite par l’adoption d’amendements de crédits en première lecture à l’Assemblée nationale puis au Sénat, augmentant au total de 716 millions d’euros les crédits de paiement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Je pense, en second lieu, à l’annulation de la hausse des taxes sur le carburant. Très bien ! La commission s’est ralliée à la position du Sénat, introduite à l’article 18 terdecies, gelant la trajectoire carbone sur les taxes intérieures de consommation. Dans le même esprit, et en allant sur ce point plus loin que le Sénat, la commission a décidé de proposer la suppression de l’article 19, dont l’objet était de mettre un terme au tarif réduit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques applicable au gazole non routier. Ainsi, au total, près de 4 milliards d’euros de hausse initialement prévue sur la fiscalité écologique ont été annulés, préservant d’autant, pour 2019, le pouvoir d’achat des ménages et le taux de marge des entreprises.
Selon les informations que vous avez communiquées, monsieur le ministre, la prévision de déficit public pour 2019 devrait être revue : au lieu de 2,8 % du PIB prévu initialement, il atteindra 3,2 %, dont 0,9 % au titre de la transformation du CICE en baisse de charges, soit, en réalité, 2,3 %.
Cela nécessitera un rappel pour coordination de l’article liminaire, ainsi qu’un amendement pour tirer toutes les conséquences sur l’article d’équilibre. Je présenterai alors des amendements pour revenir sur certaines mesures de compensation du coût du carburant, celles-ci ne se justifiant plus compte tenu de l’annulation de la hausse des taxes. L’ensemble des ajustements ont, au demeurant, reçu un avis favorable de la commission des finances.
Le contenu de ce projet de loi de finances constitue ainsi une première réponse à l’urgence sociale. D’autres réponses seront apportées très rapidement, puisque le Gouvernement a annoncé qu’un projet de loi spécifique sera adopté en conseil des ministres dès mercredi.
C’est la raison pour laquelle j’émettrai un avis défavorable sur les amendements tendant à anticiper les mesures que prépare le Gouvernement ou encore sur les amendements proposant des mesures alternatives. C’est à l’occasion du projet de loi à venir qu’il conviendra, à mon sens, d’en débattre.
L’objet de la nouvelle lecture est en effet d’achever l’examen des articles restant en discussion. La règle de l’entonnoir, découlant de l’article 45 de la Constitution, nous impose de bien séparer ces deux discussions : achevons ce soir et demain les dispositions restant en discussion sur le budget pour 2019, puis débattons à partir de mercredi des nouvelles mesures que proposera le Gouvernement. Mais comment les deux textes s’articulent-ils ? Je tiens d’autant plus au respect de cette règle que la tâche que nous avons à accomplir en nouvelle lecture est, cette année, considérable. La loi de finances pour 2019 contiendra en effet un nombre record d’articles. Cela s’explique principalement par le fait que le projet de loi de finances rectificative de fin d’année n’a comporté aucune disposition fiscale. Pour la première fois depuis 1985, il a ainsi permis d’éviter qu’un décret d’avance ne soit pris, sans autorisation parlementaire, pour réaliser les ajustements budgétaires en cours ou en fin de gestion. Ce changement permet d’opérer une distinction claire entre, d’une part, le projet de loi de finances initiale, qui porte la politique fiscale et les mesures budgétaires de l’année à venir, et, d’autre part, le projet de loi de finances rectificative, qui se concentre sur l’ajustement budgétaire de fin de gestion. Cela permet d’améliorer la lisibilité des débats budgétaires de l’automne et, je le répète, c’est plus conforme à l’esprit de la LOLF – la loi organique relative aux lois de finances.
En conséquence – c’est logique –, le projet de loi de finances en discussion comporte en nouvelle lecture beaucoup plus d’articles que l’an dernier.
Dans sa version initiale, le présent projet de loi de finances, adopté en conseil des ministres le 24 septembre, comportait 86 articles dont 1 article liminaire. Le déficit budgétaire pour 2019 était prévu à 98,7 milliards d’euros, et le déficit public, toutes administrations publiques confondues, à 2,8 % du produit intérieur brut.
En première lecture, l’Assemblée nationale a inséré 162 articles additionnels et supprimé 1 article, l’article 26, relatif à la TVA affectée aux régions. Le texte adopté en première lecture, le 20 novembre, comprenait ainsi 247 articles.
En première lecture, le Sénat a adopté conformes 122 articles et confirmé la suppression de l’article 26. Il a supprimé 32 articles, modifié puis adopté 94 articles, et inséré 116 articles additionnels. Le texte adopté en première lecture par le Sénat, le 11 décembre, comprenait ainsi 332 articles. Le Sénat a revu à la baisse la prévision de déficit budgétaire, à 42,5 milliards d’euros, à la suite du rejet des crédits de six missions budgétaires et d’un compte spécial. Cette prévision de déficit, peu réaliste, reposait sur l’adoption d’un budget ne permettant pas à l’État d’accomplir toutes ses missions, notamment de nature régalienne.
Une commission mixte paritaire s’est donc réunie le 12 décembre pour examiner les dispositions restant en discussion, soit au total 241 articles supprimés, modifiés ou insérés par le Sénat. La CMP n’a pu que constater qu’elle ne parviendrait pas à un accord sur l’ensemble des dispositions restant en discussion et a conclu à l’échec de ses travaux.
Une nouvelle lecture est dès lors nécessaire avant que le Gouvernement puisse demander à notre assemblée de statuer définitivement, en application du dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution. En nouvelle lecture, notre assemblée est saisie du texte adopté par le Sénat en première lecture. La commission des finances s’est réunie vendredi pour examiner les 241 articles encore en discussion. Je le rappelle, il s’agit d’un nombre record d’articles restant en discussion en nouvelle lecture – l’année dernière, il n’en restait que 150.
La commission a examiné ces 241 articles. Elle a adopté sans modification 72 d’entre eux et maintenu la suppression de 12 autres. Elle a par ailleurs adopté 198 amendements, tendant : à rétablir la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture pour 37 articles ; à adopter une nouvelle rédaction pour 45 articles ; et à supprimer 75 articles. La plupart des amendements adoptés ont été proposés par mes soins pour supprimer, rétablir ou modifier des articles, ou bien ils étaient identiques aux miens.
Les autres amendements adoptés portent sur cinq sujets.
En premier lieu, il faut mentionner un important sous-amendement de Bénédicte Peyrol et des membres du groupe La République en Marche sur le taux d’imposition minimal applicable aux revenus de source française des non-résidents fiscaux. Actuellement de 20 % du revenu imposable, il a été porté à 30 %, pour l’ensemble des non-résidents, par un amendement adopté en première lecture, alors que les non-résidents qui ne sont pas installés dans l’espace européen ne bénéficieront pas de la suppression des prélèvements sociaux sur les revenus du capital. Au lieu de prévoir un taux uniforme de 30 %, le sous-amendement adopté prévoit d’instaurer une certaine progressivité, en conservant un taux de 20 % sur la fraction du revenu de source française inférieure au seuil d’entrée de la seconde tranche de l’impôt sur le revenu.
En deuxième lieu, un autre amendement des mêmes auteurs prévoit, à l’article 12, de maintenir le taux actuel de la quote-part de la niche Copé à 12 % pour toutes les entreprises. Cela contribuera à dégager des recettes supplémentaires pour financer les mesures de pouvoir d’achat à venir.
En troisième lieu, la commission a adopté un amendement présenté par Émilie Bonnivard repoussant d’une année l’entrée en vigueur du malus sur les pick-up. Entre la première et la nouvelle lectures, des difficultés d’application nous ont été rapportées. Nous avons considéré que ce délai pouvait être mis à profit pour rechercher des solutions. Le Gouvernement présente un amendement concurrent, auquel je pourrais me rallier si la problématique des véhicules à usage professionnel est traitée. Je présenterai un sous-amendement en ce sens.
En quatrième lieu, la commission a adopté un amendement à l’article 54, présenté par Christine Pires Beaune et des membres du groupe Socialistes et apparentés (« Ah ! » sur les bancs du groupe SOC) demandant au Gouvernement un rapport pour évaluer la mise en œuvre de la nouvelle procédure de règlement des différends fiscaux au sein de l’union européenne.
Enfin, la commission a adopté un amendement d’Erwan Balanant et de membres du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, qui étend l’exonération de CFE – la cotisation foncière des entreprises – aux ports gérés par une personne privée, alors qu’actuellement seuls les ports publics en bénéficient.
Pour terminer, alors que nous abordons la dernière ligne droite du marathon budgétaire de l’automne, je tiens à remercier l’ensemble des groupes pour la bonne tenue et la qualité de nos débats en commission. Je souhaite naturellement qu’il en soit de même en séance publique. À l’issue des débats, je proposerai d’adopter le projet de loi de finances pour 2019 ainsi modifié. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Le Gouvernement a décidément toujours un temps de retard : retard sur la colère des Français et la crise sociale qui naissait, retard sur les mesures à prendre, alors même que Les Républicains n’avaient eu de cesse de vous alerter sur les risques pesant sur le pouvoir d’achat des Français,… Très juste ! …et même retard sur la pensée présidentielle, puisque, depuis l’annonce des mesures par Emmanuel Macron, vous semblez éprouver les plus grandes difficultés à les traduire dans les textes, à les financer et à aménager le calendrier parlementaire.
Depuis le début de cette contestation, le Gouvernement a subi les choses plutôt que de les piloter. C’est dans la précipitation, l’impréparation, et sous la contrainte, que vous avez maintenant décidé de dépenser une dizaine de milliards, alors même que nous n’avons pas le premier euro disponible.
Le texte que nous examinons maintenant en nouvelle lecture contient un article d’équilibre qui ne veut absolument plus rien dire. Il n’inclut pas l’ensemble des recettes et dépenses réellement prévues l’année prochaine car, dans moins de trois jours, le projet de loi d’urgence économique et sociale va venir impacter lourdement l’équilibre – ou le déséquilibre, devrais-je dire – des finances de l’État. Alors, monsieur le ministre de l’économie et des finances, monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, allez-vous nous présenter un nouvel article d’équilibre comprenant l’ensemble des dépenses contenues dans ce projet de loi de finances et l’ensemble des dépenses nouvelles contenues dans le texte à venir ?
C’est d’ailleurs à nouveau sur le déficit de l’État que l’effort va se reporter. Le solde budgétaire va continuer sa hausse : de 67,7 milliards d’euros en 2017, il va franchir en 2019 la barre des 100 milliards de déficit pour l’État, et certainement celle de 100 % du PIB de dette publique. Ce double 100 est le signe d’une situation qui n’est plus maîtrisée.
Messieurs les ministres, pouvez-vous nous dire comment vous allez financer l’ensemble de ces mesures nouvelles et dans quel texte elles figurent ? C’est une bonne question ! Mais les ministres eux-mêmes n’ont pas la réponse ! Comme vous l’avez remarqué, Les Républicains forment une opposition responsable. Nous vous avions annoncé qu’il faudrait annuler les hausses de taxes sur les carburants appliquées l’année dernière. Nous ne sommes pas écoutés ! Nous vous avions dit de ne pas augmenter de 25 % la CSG pour les retraités, car cette mesure était trop injuste. Nous vous avons fortement demandé de ne pas dégrader la situation avec les élus locaux, notamment ruraux, en supprimant la taxe d’habitation. Nos pressentiments étaient justes.
Le Premier ministre s’est dit prêt à entendre l’opposition sur des mesures d’économies. Alors, entendez-nous : nous sommes prêts à répéter nos propositions, car nous avons déjà mis sur la table un plan de réduction de la dépense publique – nous sommes la seule formation politique à l’avoir fait – et nous sommes prêts à la discussion et au débat à partir de ce plan.
Vous le savez bien vous-mêmes : si vous voulez aller plus loin que des mesures de court terme n’apportant aucune amélioration sur le plan structurel, il faut baisser la dépense publique. Vos marges de manœuvre sont égales à zéro car vous n’avez pas engagé de plan sérieux d’économies. C’est pour cela que vous êtes dans une impasse, et c’est même parce que vous avez construit cette impasse que vous êtes dans cette situation.
Viser 3,2 % de déficit avec 1,5 % de croissance, alors que celle-ci atteint 0,9 % dans la zone euro, ce n’est évidemment pas acceptable – vous le savez très bien –, même avec l’impact du double CICE. Si nous ne nous attaquons pas maintenant à notre déficit public, alors que la croissance est particulièrement forte depuis maintenant deux ou trois ans, je me demande bien quand nous le ferons, car la dette d’aujourd’hui, c’est du pouvoir d’achat en moins pour demain. Très bien ! Lors de la séance publique de jeudi, nous discuterons davantage des mesures en faveur du pouvoir d’achat que vous envisagez, mais je tiens à évoquer la hausse de la prime d’activité, logée, me semble-t-il, dans le PLF pour 2019. Comment sera-t-elle réellement financée ? Vous avez en effet indiqué au Sénat un chiffre de 600 millions d’euros, et j’imagine donc que vous allez augmenter ces crédits lors du présent examen ; sans doute déposerez-vous un amendement à cette fin, mais nous ne l’avons pas vu.
Le Premier ministre a également parlé d’une prime d’activité plus large, mais celle-ci n’en laissera pas moins de côté 50 % des salariés au SMIC, qui n’en bénéficieront pas. Ce ne sont pas les foyers les plus modestes ! Mais ce n’est pas ce qu’avait dit le Président de la République. Au lieu de les résoudre, votre projet de loi crée en réalité de nouvelles injustices. (Exclamations sur les bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Pour ce qui concerne l’annulation des hausses prévues des taxes sur les carburants, vous avez décidé de conserver l’amendement voté par les sénateurs, et je m’en réjouis. Confirmez-vous que vous ne reviendrez pas sur cette annulation, qui s’applique jusqu’à la fin du quinquennat ? C’est le but du débat national ! Plus généralement, sur un grand nombre des questions qui nous occupent aujourd’hui et nous occuperont jeudi, je me réjouis de voir que les amendements déposés avec constance par Les Républicains depuis l’année dernière sont enfin repris par le Gouvernement.
Il est clair que le Gouvernement n’a plus de cap. Oh ! Il n’en a jamais eu ! Si, et il n’en a jamais changé ! Je vous pose donc à nouveau ces questions : allez-vous nous présenter un nouvel article d’équilibre et pouvez-vous nous dire dans quel texte il figure ? allez-vous annuler la hausse de la fiscalité énergétique jusqu’à la fin du quinquennat, comme le dit le texte que vous nous enjoignez aujourd’hui de voter ? une fois ce plan d’urgence passé, allez-vous enfin présenter un plan de réduction des dépenses et des mesures visant à renforcer la compétitivité des entreprises, surtout à un moment où la croissance s’étiole en même temps que votre capacité réformatrice ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
Le premier est celui du travail. Les événements passés, qu’il est inutile de rappeler, ont montré une chose simple : les Français veulent une juste rémunération de leur travail, afin de pouvoir en vivre dignement et vivre tout court. Ils veulent que le travail leur garantisse leur liberté : liberté d’avoir des loisirs, liberté de se déplacer, liberté de construire leur vie comme ils l’entendent. Des millions de nos concitoyens qui, pendant des semaines, ont poussé un cri de souffrance et de détresse, n’arrivent plus à vivre de leur travail. C’est vrai pour des millions de salariés, en particulier pour les femmes seules qui doivent élever leurs enfants et pour tous ceux dont le salaire se situe au niveau du SMIC. C’est à ce cri que le Président de la République a voulu répondre la semaine dernière. Et croyez-moi, ce cri est poussé non seulement en France mais partout en Europe ; il est la conséquence d’un modèle économique qui ne permet plus à beaucoup de salariés de vivre dignement de leur travail. Au-delà des réponses que nous apportons maintenant au niveau national, je suis convaincu que tous les États européens devront répondre à la même question : celle du modèle économique qu’ils veulent, des libertés qu’ils peuvent offrir aux salariés.
Le deuxième choix que nous avons fait avec Gérald Darmanin est celui de la compétitivité de nos entreprises. Nous restons totalement convaincus que le défi lancé à l’économie française est d’améliorer l’offre, grâce à plus d’innovation et d’investissement, afin de fabriquer des produits de meilleure qualité qui puissent se vendre sur les marchés extérieurs et créer des emplois et de l’activité sur nos territoires.
Le troisième choix est celui du rétablissement de nos finances publiques. Comme je l’ai souligné à plusieurs reprises, il ne peut y avoir de croissance solide ni durable sans des finances publiques saines. Leur rétablissement est la condition de notre succès économique et de notre crédibilité politique – en Europe et au-delà –, dont Gérald Darmanin et moi-même voulons être les garants.
Nous sommes confrontés, je le répète, à une urgence qui impose de répondre aux souffrances et à la détresse des Français, mais nous voulons le faire en respectant les éléments fondamentaux des choix économiques et financiers que nous avons effectués depuis dix-huit mois : mieux rémunérer le travail, rétablir la compétitivité des entreprises et restaurer nos finances publiques. C’est le sens des décisions qui ont été annoncées par le Président de la République la semaine dernière et détaillées ce matin par le Premier ministre.
L’idée au cœur de ces choix est qu’il ne peut pas y avoir de succès économique sans justice, comme il ne peut pas y avoir de justice sans succès économique – car il faut créer des richesses pour pouvoir les redistribuer. L’essence de la politique économique de notre majorité depuis dix-huit mois, c’est précisément la volonté de conjuguer compétitivité économique et justice : nous voulons avancer sur les deux jambes, sans en privilégier une au détriment de l’autre. C’est par ce principe qu’ont été guidées nos décisions économiques. Certains veulent absolument opposer le ministère de l’économie, qui serait pour la compétitivité, et d’autres ministères, qui seraient pour la justice. C’est faux : tout ce que nous faisons depuis le début de notre mandat est animé de la même volonté de conjuguer ces deux objectifs.
Ainsi, dans le cadre du projet de loi PACTE – plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises –, nous avons pris les mesures nécessaires pour que les entreprises grandissent et deviennent plus compétitives, qu’elles soient capables d’innover et d’investir. Mais, dans le même temps, nous avons supprimé le forfait social à 20 % sur l’intéressement des entreprises de moins de 250 salariés, pour qu’elles puissent verser de l’intéressement à ces derniers et donc mieux rémunérer le travail ; nous avons développé l’actionnariat salarié ; nous avons modifié le code civil afin de reconnaître davantage la responsabilité sociale des entreprises en appelant chacune d’entre elles à prendre conscience de son rôle social dans la société française.
Et nous continuerons à conjuguer justice et compétitivité économique car c’est dans notre ADN, en particulier dans le mien. Dès février 2019, la prime d’activité augmentera massivement pour permettre à tous ceux qui travaillent d’être mieux rémunérés. Cette mesure viendra compléter les choix déjà opérés : la suppression des cotisations d’assurance maladie et d’assurance chômage, et celle du forfait social à 20 %, que je viens d’évoquer. Elle permettra à 5 millions de foyers d’être mieux rémunérés dès février 2019. Par ailleurs, dès janvier, les heures supplémentaires seront défiscalisées. Enfin ! Depuis le temps qu’on vous dit qu’il faut le faire ! Dès maintenant, les entreprises qui le peuvent – et non simplement les grands groupes – sont invitées à verser une prime exceptionnelle de fin d’année. Cette prime pourra atteindre 1 000 euros pour les salariés rémunérés jusqu’à trois SMIC et elle sera totalement exonérée d’impôts, de charges sociales, de CSG et de CRDS – contribution sociale généralisée et contribution à la réduction de la dette sociale. C’est simple : si une entreprise verse 600 euros, c’est la somme que le salarié recevra sur son compte en banque. Nous souhaitons que cette prime soit versée le plus rapidement possible. C’est pourquoi nous avons retenu une fenêtre de versement courte : du 11 décembre au 31 mars, avec la volonté que des millions de salariés français puissent toucher la prime d’ici à cette date.
Ces mesures d’urgence, auxquelles il faut ajouter l’annulation de la hausse de la CSG pour les retraités modestes, représentent au total 10,3 milliards d’euros pour 2019. Je répète, elles se caractérisent par une cohérence et une détermination à améliorer la vie de ceux qui travaillent dans notre pays. L’ensemble de ces mesures – prime défiscalisée, prime d’activité, suppression des cotisations d’assurance maladie et d’assurance chômage, suppression du forfait social sur l’intéressement – permettront à des millions de Français de vivre mieux de leur travail en 2019.
Le coût supplémentaire ne viendra pas déstabiliser le deuxième principe de notre politique : la crédibilité économique. Je le redis avec force : nous devons poursuivre le rétablissement de nos finances publiques. Ce choix n’est pas technocratique mais politique, au sens le plus noble du terme : c’est le choix de ne pas céder à la facilité de la dépense publique et de ne pas laisser une dette insurmontable à nos enfants, qui auront à la payer demain.
Je vois de plus en plus souvent, dans le débat public, surgir l’idée que tout serait la faute de Bercy, responsable de tous les maux qui accablent la France. C’est un peu le cas quand même… Je m’insurge contre cette vision. D’abord, elle est lâche car les deux ministres à la tête de Bercy – Gérald Darmanin et moi-même – sont aussi deux élus de la République. Et si je n’ai pas plus de légitimité que vous, je n’en ai pas moins puisque j’ai été élu député, comme vous tous, en juin dernier, sous les couleurs de la majorité présidentielle. Gérald Darmanin comme moi-même assumons nos responsabilités politiques : si nous voulons le rétablissement des finances publiques, ce n’est pas parce que Bercy l’a décidé, mais parce que les deux ministres à sa tête, sous l’autorité du Premier ministre et du Président de la République, l’ont jugé nécessaire. Mais Bercy, c’est vous ! Cette vision – Bercy serait responsable de tous les maux de la France – est en outre profondément injuste car ce ministère compte des fonctionnaires remarquables de dévouement, de compétence et de professionnalisme, et je veux leur rendre un hommage appuyé. Qu’ils aillent d’abord sur le terrain ! S’ils n’étaient pas là, les décisions politiques que nous prenons en loi de finances ne pourraient tout simplement pas être appliquées. Je veux rendre hommage à tous ces fonctionnaires qui ne comptent pas leurs heures de travail, de recherche et de calcul,… Comme nous ! …car il n’y a pas d’État fort sans une administration du trésor, une administration fiscale et une administration budgétaire fortes. L’État, en France, est fort car il compte des fonctionnaires qui ont le sens de l’intérêt général et du dévouement à la nation ; je veux leur rendre hommage. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Nous avions annoncé, pour 2019, un déficit public de 2,8 %, en réalité de 1,9 % sans l’opération de transformation du CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi – en allégement de charges. Notre objectif, je l’ai souligné plusieurs fois ces derniers jours, est de nous rapprocher le plus possible des 3 %,… C’est raté ! …à la fois pour contenir les déficits et la dette, et pour tenir nos engagements européens. Sur les 10 milliards que représentent les mesures d’urgence, 4 milliards seront financés dès l’année prochaine. Le déficit augmentera donc légèrement en 2019, mais il restera, comme nous l’avions promis, proche de nos engagements européens, c’est-à-dire des 3 %, puisqu’il s’établira autour de 3,2 %, soit environ 2,3 % hors effet exceptionnel de transformation du CICE en allégement définitif de charges.
Comment allons-nous financer ces nouvelles dépenses ? Nous allons demander un effort à ceux qui peuvent le plus contribuer, en concertation étroite avec eux. Nous avions pris l’engagement auprès des entreprises de baisser l’impôt sur les sociétés de 33,3 à 25 % d’ici à 2022. Cet engagement ne change pas : le taux d’impôt sur les sociétés s’établira bien à 25 % en 2022. Il passera de 33 à 31 % en 2019, mais cette baisse ne concernera que les entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 250 millions d’euros. Les autres verront leur taux baisser à partir de 2020. Très bien ! Nous demandons donc un effort aux entreprises les plus prospères pour financer 1,8 milliard de dépenses exceptionnelles ; il me semble juste de demander aux entreprises qui le peuvent le plus de contribuer au meilleur financement du travail en France, afin de répondre aux urgences sociales.
Nous allons également, monsieur le rapporteur général, suivre la commission des finances et modifier la niche Copé, relative à l’imposition des plus-values de cession intragroupe, ce qui rapportera environ 200 millions d’euros.
Enfin, comme je vous l’avais annoncé la semaine dernière, nous allons taxer les géants du numérique – les Google, Amazon et autres Facebook – dès 2019. Je souhaite que cette taxation se fasse au niveau européen mais, en tout état de cause, pour l’ensemble de la taxation, il y aura une taxe nationale, qui nous permettra de remédier à cette injustice qui fait que nos PME et nos TPE paient actuellement 14 points d’impôt de plus que les géants du numérique. Cette taxe nationale concernera les revenus tirés de la publicité, ceux issus des frais d’intermédiation réalisés par les market places et ceux provenant de la revente des données personnelles des utilisateurs à des fins de publicité. Elle touchera le chiffre d’affaires des très grandes entreprises du numérique à compter du 1er janvier 2019. L’ensemble du chiffre d’affaires de 2019 sera donc bien inclus dans cette taxation, qui devrait rapporter 500 millions d’euros dès l’an prochain.
Enfin, pour financer ces dépenses supplémentaires, nous allons engager une réduction des dépenses publiques d’1 milliard à 1,5 milliard euros dès 2019. Je le répète, il n’y aura pas de baisse durable et réelle des impôts et des taxes sans réduction des dépenses publiques. Puisque nous avons accéléré la baisse des impôts, il faut accélérer la baisse des dépenses publiques. Il serait temps ! La logique est aussi simple que cela. Ce travail de réduction des dépenses publiques doit se faire main dans la main avec les parlementaires,… Ça nous changera ! …et je vous engage à participer au débat pour identifier des économies structurelles. Il doit se faire main dans la main avec les citoyens français, et je souhaite que le grand débat qui va s’ouvrir dans les semaines à venir soit l’occasion de poser enfin les choix devant les Français. On peut vouloir moins d’impôts et moins d’État, on peut vouloir plus d’impôts et plus d’État, mais on ne peut pas vouloir moins d’impôts et plus d’État, c’est incompatible. C’est ce choix que nous allons devoir présenter aux Français : quelles dépenses sont-ils prêts à réduire pour que nous ayons demain moins de taxes et moins d’impôts ? quel modèle de société veulent-ils construire et quelle fiscalité veulent-ils mettre en place pour financer ce modèle social ?
Enfin, il n’y aura pas de prospérité pour tous les Français sans des entreprises compétitives. Pour créer des richesses et des emplois, nous avons besoin d’entreprises qui soient plus compétitives, qui investissent davantage, qui innovent davantage.
C’est pourquoi nous avons décidé de ne pas décaler les allégements de charges prévus pour les entreprises, car nous avons besoin de préserver leur compétitivité, afin de leur permettre de réussir face à la concurrence européenne ou mondiale.
Voilà les grandes orientations de ce projet de loi de finances, que nous vous confirmons. Nous maintenons des orientations fondées sur la rémunération du travail, la compétitivité des entreprises et la bonne tenue des finances publiques. Je me réjouis que nous puissions à nouveau avoir ce débat aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à M. Joël Giraud, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. La nouvelle lecture du PLF pour 2019 se déroule dans un contexte nouveau. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.) Chacun s’exprimera et livrera ses interprétations sur les manifestations qui se sont déroulées depuis le 17 novembre dans le pays, ainsi que sur les réponses à y apporter.
Deux choses me paraissent absolument certaines à ce stade.
Premièrement, le Gouvernement – je l’en remercie – a pris la pleine mesure de la situation et met tout en œuvre pour concrétiser les mesures annoncées par le Président de la République le 10 décembre dernier. C’était trop intelligent pour que je comprenne… Je me réjouis en particulier des précisions apportées sur l’organisation d’un débat national portant notamment sur la fiscalité écologique et le financement de la transition énergétique. Et l’immigration ! Il conviendra de déterminer comment la commission des finances, dont le rôle institutionnel est de traiter de ces sujets, peut y être associée.
Deuxièmement, les solutions à la crise ne pourront pas être apportées par un seul budget, même si ce projet de loi de finances contient déjà quelques mesures.
Je pense, en premier lieu, au rehaussement des crédits pour la prime d’activité. Pour mémoire, le PLF prévoyait initialement l’entrée en vigueur d’une nouvelle bonification de la prime d’activité au 1er août 2019. En première lecture, l’Assemblée avait avancé la date au 1er avril 2019. Le Sénat, à l’initiative du Gouvernement, l’a encore avancée au 1er janvier 2019. L’accélération de l’entrée en vigueur de cette mesure s’est traduite par l’adoption d’amendements de crédits en première lecture à l’Assemblée nationale puis au Sénat, augmentant au total de 716 millions d’euros les crédits de paiement de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ».
Je pense, en second lieu, à l’annulation de la hausse des taxes sur le carburant. Très bien ! La commission s’est ralliée à la position du Sénat, introduite à l’article 18 terdecies, gelant la trajectoire carbone sur les taxes intérieures de consommation. Dans le même esprit, et en allant sur ce point plus loin que le Sénat, la commission a décidé de proposer la suppression de l’article 19, dont l’objet était de mettre un terme au tarif réduit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques applicable au gazole non routier. Ainsi, au total, près de 4 milliards d’euros de hausse initialement prévue sur la fiscalité écologique ont été annulés, préservant d’autant, pour 2019, le pouvoir d’achat des ménages et le taux de marge des entreprises.
Selon les informations que vous avez communiquées, monsieur le ministre, la prévision de déficit public pour 2019 devrait être revue : au lieu de 2,8 % du PIB prévu initialement, il atteindra 3,2 %, dont 0,9 % au titre de la transformation du CICE en baisse de charges, soit, en réalité, 2,3 %.
Cela nécessitera un rappel pour coordination de l’article liminaire, ainsi qu’un amendement pour tirer toutes les conséquences sur l’article d’équilibre. Je présenterai alors des amendements pour revenir sur certaines mesures de compensation du coût du carburant, celles-ci ne se justifiant plus compte tenu de l’annulation de la hausse des taxes. L’ensemble des ajustements ont, au demeurant, reçu un avis favorable de la commission des finances.
Le contenu de ce projet de loi de finances constitue ainsi une première réponse à l’urgence sociale. D’autres réponses seront apportées très rapidement, puisque le Gouvernement a annoncé qu’un projet de loi spécifique sera adopté en conseil des ministres dès mercredi.
C’est la raison pour laquelle j’émettrai un avis défavorable sur les amendements tendant à anticiper les mesures que prépare le Gouvernement ou encore sur les amendements proposant des mesures alternatives. C’est à l’occasion du projet de loi à venir qu’il conviendra, à mon sens, d’en débattre.
L’objet de la nouvelle lecture est en effet d’achever l’examen des articles restant en discussion. La règle de l’entonnoir, découlant de l’article 45 de la Constitution, nous impose de bien séparer ces deux discussions : achevons ce soir et demain les dispositions restant en discussion sur le budget pour 2019, puis débattons à partir de mercredi des nouvelles mesures que proposera le Gouvernement. Mais comment les deux textes s’articulent-ils ? Je tiens d’autant plus au respect de cette règle que la tâche que nous avons à accomplir en nouvelle lecture est, cette année, considérable. La loi de finances pour 2019 contiendra en effet un nombre record d’articles. Cela s’explique principalement par le fait que le projet de loi de finances rectificative de fin d’année n’a comporté aucune disposition fiscale. Pour la première fois depuis 1985, il a ainsi permis d’éviter qu’un décret d’avance ne soit pris, sans autorisation parlementaire, pour réaliser les ajustements budgétaires en cours ou en fin de gestion. Ce changement permet d’opérer une distinction claire entre, d’une part, le projet de loi de finances initiale, qui porte la politique fiscale et les mesures budgétaires de l’année à venir, et, d’autre part, le projet de loi de finances rectificative, qui se concentre sur l’ajustement budgétaire de fin de gestion. Cela permet d’améliorer la lisibilité des débats budgétaires de l’automne et, je le répète, c’est plus conforme à l’esprit de la LOLF – la loi organique relative aux lois de finances.
En conséquence – c’est logique –, le projet de loi de finances en discussion comporte en nouvelle lecture beaucoup plus d’articles que l’an dernier.
Dans sa version initiale, le présent projet de loi de finances, adopté en conseil des ministres le 24 septembre, comportait 86 articles dont 1 article liminaire. Le déficit budgétaire pour 2019 était prévu à 98,7 milliards d’euros, et le déficit public, toutes administrations publiques confondues, à 2,8 % du produit intérieur brut.
En première lecture, l’Assemblée nationale a inséré 162 articles additionnels et supprimé 1 article, l’article 26, relatif à la TVA affectée aux régions. Le texte adopté en première lecture, le 20 novembre, comprenait ainsi 247 articles.
En première lecture, le Sénat a adopté conformes 122 articles et confirmé la suppression de l’article 26. Il a supprimé 32 articles, modifié puis adopté 94 articles, et inséré 116 articles additionnels. Le texte adopté en première lecture par le Sénat, le 11 décembre, comprenait ainsi 332 articles. Le Sénat a revu à la baisse la prévision de déficit budgétaire, à 42,5 milliards d’euros, à la suite du rejet des crédits de six missions budgétaires et d’un compte spécial. Cette prévision de déficit, peu réaliste, reposait sur l’adoption d’un budget ne permettant pas à l’État d’accomplir toutes ses missions, notamment de nature régalienne.
Une commission mixte paritaire s’est donc réunie le 12 décembre pour examiner les dispositions restant en discussion, soit au total 241 articles supprimés, modifiés ou insérés par le Sénat. La CMP n’a pu que constater qu’elle ne parviendrait pas à un accord sur l’ensemble des dispositions restant en discussion et a conclu à l’échec de ses travaux.
Une nouvelle lecture est dès lors nécessaire avant que le Gouvernement puisse demander à notre assemblée de statuer définitivement, en application du dernier alinéa de l’article 45 de la Constitution. En nouvelle lecture, notre assemblée est saisie du texte adopté par le Sénat en première lecture. La commission des finances s’est réunie vendredi pour examiner les 241 articles encore en discussion. Je le rappelle, il s’agit d’un nombre record d’articles restant en discussion en nouvelle lecture – l’année dernière, il n’en restait que 150.
La commission a examiné ces 241 articles. Elle a adopté sans modification 72 d’entre eux et maintenu la suppression de 12 autres. Elle a par ailleurs adopté 198 amendements, tendant : à rétablir la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture pour 37 articles ; à adopter une nouvelle rédaction pour 45 articles ; et à supprimer 75 articles. La plupart des amendements adoptés ont été proposés par mes soins pour supprimer, rétablir ou modifier des articles, ou bien ils étaient identiques aux miens.
Les autres amendements adoptés portent sur cinq sujets.
En premier lieu, il faut mentionner un important sous-amendement de Bénédicte Peyrol et des membres du groupe La République en Marche sur le taux d’imposition minimal applicable aux revenus de source française des non-résidents fiscaux. Actuellement de 20 % du revenu imposable, il a été porté à 30 %, pour l’ensemble des non-résidents, par un amendement adopté en première lecture, alors que les non-résidents qui ne sont pas installés dans l’espace européen ne bénéficieront pas de la suppression des prélèvements sociaux sur les revenus du capital. Au lieu de prévoir un taux uniforme de 30 %, le sous-amendement adopté prévoit d’instaurer une certaine progressivité, en conservant un taux de 20 % sur la fraction du revenu de source française inférieure au seuil d’entrée de la seconde tranche de l’impôt sur le revenu.
En deuxième lieu, un autre amendement des mêmes auteurs prévoit, à l’article 12, de maintenir le taux actuel de la quote-part de la niche Copé à 12 % pour toutes les entreprises. Cela contribuera à dégager des recettes supplémentaires pour financer les mesures de pouvoir d’achat à venir.
En troisième lieu, la commission a adopté un amendement présenté par Émilie Bonnivard repoussant d’une année l’entrée en vigueur du malus sur les pick-up. Entre la première et la nouvelle lectures, des difficultés d’application nous ont été rapportées. Nous avons considéré que ce délai pouvait être mis à profit pour rechercher des solutions. Le Gouvernement présente un amendement concurrent, auquel je pourrais me rallier si la problématique des véhicules à usage professionnel est traitée. Je présenterai un sous-amendement en ce sens.
En quatrième lieu, la commission a adopté un amendement à l’article 54, présenté par Christine Pires Beaune et des membres du groupe Socialistes et apparentés (« Ah ! » sur les bancs du groupe SOC) demandant au Gouvernement un rapport pour évaluer la mise en œuvre de la nouvelle procédure de règlement des différends fiscaux au sein de l’union européenne.
Enfin, la commission a adopté un amendement d’Erwan Balanant et de membres du groupe du Mouvement démocrate et apparentés, qui étend l’exonération de CFE – la cotisation foncière des entreprises – aux ports gérés par une personne privée, alors qu’actuellement seuls les ports publics en bénéficient.
Pour terminer, alors que nous abordons la dernière ligne droite du marathon budgétaire de l’automne, je tiens à remercier l’ensemble des groupes pour la bonne tenue et la qualité de nos débats en commission. Je souhaite naturellement qu’il en soit de même en séance publique. À l’issue des débats, je proposerai d’adopter le projet de loi de finances pour 2019 ainsi modifié. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Le Gouvernement a décidément toujours un temps de retard : retard sur la colère des Français et la crise sociale qui naissait, retard sur les mesures à prendre, alors même que Les Républicains n’avaient eu de cesse de vous alerter sur les risques pesant sur le pouvoir d’achat des Français,… Très juste ! …et même retard sur la pensée présidentielle, puisque, depuis l’annonce des mesures par Emmanuel Macron, vous semblez éprouver les plus grandes difficultés à les traduire dans les textes, à les financer et à aménager le calendrier parlementaire.
Depuis le début de cette contestation, le Gouvernement a subi les choses plutôt que de les piloter. C’est dans la précipitation, l’impréparation, et sous la contrainte, que vous avez maintenant décidé de dépenser une dizaine de milliards, alors même que nous n’avons pas le premier euro disponible.
Le texte que nous examinons maintenant en nouvelle lecture contient un article d’équilibre qui ne veut absolument plus rien dire. Il n’inclut pas l’ensemble des recettes et dépenses réellement prévues l’année prochaine car, dans moins de trois jours, le projet de loi d’urgence économique et sociale va venir impacter lourdement l’équilibre – ou le déséquilibre, devrais-je dire – des finances de l’État. Alors, monsieur le ministre de l’économie et des finances, monsieur le ministre de l’action et des comptes publics, allez-vous nous présenter un nouvel article d’équilibre comprenant l’ensemble des dépenses contenues dans ce projet de loi de finances et l’ensemble des dépenses nouvelles contenues dans le texte à venir ?
C’est d’ailleurs à nouveau sur le déficit de l’État que l’effort va se reporter. Le solde budgétaire va continuer sa hausse : de 67,7 milliards d’euros en 2017, il va franchir en 2019 la barre des 100 milliards de déficit pour l’État, et certainement celle de 100 % du PIB de dette publique. Ce double 100 est le signe d’une situation qui n’est plus maîtrisée.
Messieurs les ministres, pouvez-vous nous dire comment vous allez financer l’ensemble de ces mesures nouvelles et dans quel texte elles figurent ? C’est une bonne question ! Mais les ministres eux-mêmes n’ont pas la réponse ! Comme vous l’avez remarqué, Les Républicains forment une opposition responsable. Nous vous avions annoncé qu’il faudrait annuler les hausses de taxes sur les carburants appliquées l’année dernière. Nous ne sommes pas écoutés ! Nous vous avions dit de ne pas augmenter de 25 % la CSG pour les retraités, car cette mesure était trop injuste. Nous vous avons fortement demandé de ne pas dégrader la situation avec les élus locaux, notamment ruraux, en supprimant la taxe d’habitation. Nos pressentiments étaient justes.
Le Premier ministre s’est dit prêt à entendre l’opposition sur des mesures d’économies. Alors, entendez-nous : nous sommes prêts à répéter nos propositions, car nous avons déjà mis sur la table un plan de réduction de la dépense publique – nous sommes la seule formation politique à l’avoir fait – et nous sommes prêts à la discussion et au débat à partir de ce plan.
Vous le savez bien vous-mêmes : si vous voulez aller plus loin que des mesures de court terme n’apportant aucune amélioration sur le plan structurel, il faut baisser la dépense publique. Vos marges de manœuvre sont égales à zéro car vous n’avez pas engagé de plan sérieux d’économies. C’est pour cela que vous êtes dans une impasse, et c’est même parce que vous avez construit cette impasse que vous êtes dans cette situation.
Viser 3,2 % de déficit avec 1,5 % de croissance, alors que celle-ci atteint 0,9 % dans la zone euro, ce n’est évidemment pas acceptable – vous le savez très bien –, même avec l’impact du double CICE. Si nous ne nous attaquons pas maintenant à notre déficit public, alors que la croissance est particulièrement forte depuis maintenant deux ou trois ans, je me demande bien quand nous le ferons, car la dette d’aujourd’hui, c’est du pouvoir d’achat en moins pour demain. Très bien ! Lors de la séance publique de jeudi, nous discuterons davantage des mesures en faveur du pouvoir d’achat que vous envisagez, mais je tiens à évoquer la hausse de la prime d’activité, logée, me semble-t-il, dans le PLF pour 2019. Comment sera-t-elle réellement financée ? Vous avez en effet indiqué au Sénat un chiffre de 600 millions d’euros, et j’imagine donc que vous allez augmenter ces crédits lors du présent examen ; sans doute déposerez-vous un amendement à cette fin, mais nous ne l’avons pas vu.
Le Premier ministre a également parlé d’une prime d’activité plus large, mais celle-ci n’en laissera pas moins de côté 50 % des salariés au SMIC, qui n’en bénéficieront pas. Ce ne sont pas les foyers les plus modestes ! Mais ce n’est pas ce qu’avait dit le Président de la République. Au lieu de les résoudre, votre projet de loi crée en réalité de nouvelles injustices. (Exclamations sur les bancs du groupe MODEM et sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Pour ce qui concerne l’annulation des hausses prévues des taxes sur les carburants, vous avez décidé de conserver l’amendement voté par les sénateurs, et je m’en réjouis. Confirmez-vous que vous ne reviendrez pas sur cette annulation, qui s’applique jusqu’à la fin du quinquennat ? C’est le but du débat national ! Plus généralement, sur un grand nombre des questions qui nous occupent aujourd’hui et nous occuperont jeudi, je me réjouis de voir que les amendements déposés avec constance par Les Républicains depuis l’année dernière sont enfin repris par le Gouvernement.
Il est clair que le Gouvernement n’a plus de cap. Oh ! Il n’en a jamais eu ! Si, et il n’en a jamais changé ! Je vous pose donc à nouveau ces questions : allez-vous nous présenter un nouvel article d’équilibre et pouvez-vous nous dire dans quel texte il figure ? allez-vous annuler la hausse de la fiscalité énergétique jusqu’à la fin du quinquennat, comme le dit le texte que vous nous enjoignez aujourd’hui de voter ? une fois ce plan d’urgence passé, allez-vous enfin présenter un plan de réduction des dépenses et des mesures visant à renforcer la compétitivité des entreprises, surtout à un moment où la croissance s’étiole en même temps que votre capacité réformatrice ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)
J’ai reçu de Mme Valérie Rabault et des membres du groupe Socialistes et apparentés une motion de rejet préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à Mme Valérie Rabault. Un budget est toujours un acte de vérité qui inscrit de manière tangible les orientations politiques et parfois idéologiques du Gouvernement. C’est un acte de vérité car les chiffres ne mentent pas, même si certains les accusent de pouvoir être sujets à de multiples interprétations.
Si nous demandons le rejet de votre projet de loi de finances pour 2019, c’est pour deux raisons : son insincérité et son injustice.
Pour ce qui est, tout d’abord, de son insincérité, je dois dire, messieurs les ministres, que vous surpassez tout ce qui a été fait en matière budgétaire depuis des années – sauf peut-être en 2008, mais le contexte de crise financière et économique pouvait s’entendre,… C’est vrai ! M. Le Maire est d’accord ! …alors qu’un tel argument ne peut être retenu cette année.
Pourtant, que n’avons-nous entendu durant l’été 2017 ! Le ministre de l’action et des comptes publics annonçait qu’il voulait « rendre la loi de finances initiale plus sincère » et « mettre un terme aux sous-budgétisations initiales qui jettent un doute sur sa sincérité ». Or, en matière de sous-budgétisation, nous en avons pour notre compte – le tout avec le soutien de la Cour des comptes, dont le silence sur la situation actuelle m’étonne.
Oui, votre budget est insincère. Pour rappel, l’article 32 de la loi organique relative aux lois de finances dispose : « Les lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’État. Leur sincérité s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. » Si l’insincérité budgétaire est conçue comme l’action qui consiste à inscrire dans la loi de finances des informations ou des données contraires à celles dont on a connaissance, il semble qu’il s’agisse là d’une insincérité budgétaire absolue.
Insincérité, d’abord, sur le niveau de déficit public. L’article liminaire de votre projet de loi de finances fait en effet apparaître un niveau de déficit public de 2,8 % du PIB pour 2019 alors qu’en même temps, le Premier ministre a annoncé hier, dans une interview aux Échos , un niveau de déficit à « 3,2 % pour 2019 ». Or, à l’heure où je vous parle, le Gouvernement n’a déposé aucun amendement tendant à inscrire dans la loi un niveau de déficit de 3,2 %.
Insincérité aussi en matière de niveau de dépenses publiques. Dans cette même interview aux Échos , le Premier ministre indique en effet : « Dans le cadre de l’exécution du budget 2019, nous devrons trouver d’1 à 1,5 milliard d’euros d’économies. » Or le projet de loi de finances pour 2019 que vous nous soumettez ne fait nullement état de ces nouvelles économies. Il y a donc trois solutions : soit vous faites des coupes sur la sécurité sociale sans le dire, ce qui fragilisera encore plus les hôpitaux et l’ensemble des soignants, soit vous ne faites pas ces économies supplémentaires, soit vous procédez à des gels de crédits sans le dire. Quel que soit le scénario que vous retiendrez, votre pilotage des finances publiques sera marqué du sceau de l’insincérité et du mensonge.
Insincérité également en matière de recettes. Le budget que vous imposez à votre majorité pour 2019 fait apparaître 414 milliards d’euros de recettes, qui incluent les 4 milliards d’euros de taxes énergétiques supplémentaires. Or, dans l’urgence, vous avez dû renoncer à ces 4 milliards d’euros, mais ces montants n’apparaissent toujours pas dans le projet de loi qui nous est soumis, notamment parce que le Sénat a rejeté votre amendement sur l’article d’équilibre, contestant vos calculs sur le coût des amendements qu’il a adoptés en première lecture.
Insincérité enfin – même si elle n’est pas de nature constitutionnelle – dans la conduite de votre dialogue avec les entreprises. Vous vous affichez en effet en gouvernement business friendly mais, chaque année, à moins de deux semaines de la clôture de leur exercice comptable, pour celles qui clôturent au 31 décembre, vous demandez aux entreprises quelques milliards d’euros supplémentaires – 5 milliards l’an dernier, sans doute 3 milliards cette année. Cette insincérité est tellement criante que le président de l’Assemblée nationale a été dépêché hier à votre secours pour dire qu’« il n’y aura pas de carabistouille » et que vous tiendrez vos promesses. Chacun sait bien que, quand on est obligé de tenir de tels propos, c’est sans doute pour masquer la réalité – celle, précisément, de vos carabistouilles.
Venons-en à l’injustice du budget 2019. Depuis votre premier budget, débattu à l’automne 2017, nous vous alertons sur l’injustice de votre politique économique, qui se solde aujourd’hui par son inefficacité. Nous vous avons alertés et vous avons proposé des solutions alternatives sérieuses, chiffrées, budgétisées, qui vous auraient évité l’écueil flagrant de l’insincérité budgétaire. Nos deux propositions de contre-budget pour 2018 et 2019 étaient construites autour du fil conducteur suivant : réduire les inégalités et soutenir la reprise économique. Après dix-huit mois d’exercice du pouvoir, les résultats sont là : vous avez accru les inégalités et dégradé la reprise économique. Très bien ! Commençons par ce dernier point. Vous avez hérité, en 2017, d’une économie générant 2,2 % de croissance économique, c’est-à-dire capable de créer de la richesse supplémentaire. Vous êtes en train de la faire plonger car, cette année, la croissance économique devrait se situer autour de 1,5 %. Elle est désormais très lointaine, la période où vous pouviez écrire, dans le programme de stabilité 2018-2022, que la reprise à l’œuvre en 2017 résultait du « retour de la confiance des milieux économiques suite à l’élection présidentielle de mai 2017 ». La différence entre 2,2 % et 1,5 % de croissance est de l’ordre de 17 milliards d’euros. En d’autres termes, si l’économie française avait continué sur sa lancée, elle aurait créé 17 milliards d’euros de richesses de plus en 2018, ce qui aurait permis d’engranger dans les caisses publiques près de 8 milliards d’euros de recettes en plus.
Cette chute de la croissance vous est imputable et vous ne pourrez pas vous en dédouaner. Ce que vous avez mis en œuvre semble témoigner d’une méconnaissance des mécanismes et des ressorts de notre économie. En France, la croissance économique a trois moteurs : la consommation interne, qui contribue pour 60 % à la création de richesse ; le commerce extérieur, pour 20 % ; l’investissement, pour 20 %. Or votre politique économique n’a activé aucun de ces trois moteurs. Il n’est donc pas étonnant que nous subissions un ralentissement de la croissance économique. Pire, par endroits, vous avez fragilisé celui de ces moteurs qui compte le plus dans notre création de richesse : la consommation interne.
Cette dernière, vous l’avez fragilisée avec votre politique fiscale, en réduisant drastiquement le pouvoir d’achat des 8 millions de retraités qui, au 1er janvier 2018, ont subi la hausse de la CSG, ou celui des 15 millions de nos concitoyens qui n’ont d’autre choix que de prendre leur véhicule pour aller travailler tous les jours et à qui vous avez fait supporter cette année 3,7 milliards d’euros de hausse de fiscalité énergétique. Je rappelle que, sur le quinquennat, vous vouliez leur faire supporter 55 milliards d’euros de plus.
Ce montant de 55 milliards d’euros était tellement délirant qu’ici même, le 17 octobre dernier, votre ministre d’État, François de Rugy, m’a accusée de « faire peur aux Français en agitant des chiffres énormes », comme s’il fallait cacher ces derniers et surtout comme si vous pensiez que les Français pourraient ne pas s’en rendre compte par eux-mêmes. Oui, ces chiffres étaient énormes, mais ils étaient justes – ils ne faisaient que refléter la réalité du quotidien de nos concitoyens – et, face à la mobilisation des gilets jaunes, vous avez dû vous rendre à l’évidence.
Résultat des courses : avec votre politique économique, la croissance et la consommation des ménages français ont reculé en 2018.
Quant à la balance de notre commerce extérieur va connaître un nouveau record de son déficit, avec un montant avoisinant sans doute les 65 milliards d’euros. Bien sûr, le prix de l’énergie pèse négativement dans cette balance, mais il existe aussi des facteurs sur lesquels nous pouvons agir et sur lesquels, depuis dix-huit mois, vous n’avez pas fait grand-chose. Ainsi, lors de la discussion budgétaire, vous avez refusé tout ce qui pouvait soutenir l’exportation des PME et des ETI, comme le crédit d’impôt pour l’embauche d’une personne dédiée à l’export ou pour les dépenses de prospection commerciale.
L’investissement, enfin, souffre lui aussi d’un manque de dynamisme. Cela n’a d’ailleurs pas échappé à France Stratégie, qui lui a dédié cet automne un rapport cosigné, entre autres, par Louis Gallois. Deux observations apparaissent : l’investissement est concentré sur un nombre restreint de grandes entreprises, ce qui laisse les PME et les ETI en dehors de la dynamique ; en outre, l’investissement des entreprises françaises dans les machines et équipements est plus faible que celui des entreprises des autres pays européens. Là aussi, vous avez refusé de poursuivre le suramortissement de 40 % que notre majorité avait précédemment voté.
En faisant passer notre économie sous la barre des 2 % de croissance, vous la faites entrer dans une zone dangereuse où la dynamique de création d’emplois ne suffit plus pour faire baisser le chômage. En somme, depuis dix-huit mois, vous dilapidez, de votre seul fait, les avancées dont vous avez hérité en matière de croissance et de finances publiques.
J’en viens à l’injustice qui caractérise votre politique fiscale. Depuis 1981, il existe un pacte républicain en vertu duquel les Français détenteurs des patrimoines les plus élevés contribuent à la cohésion nationale par l’impôt de solidarité sur la fortune. Au cours des trente dernières années, ce pacte a été rompu une seule fois : en 1986. Que vous le vouliez ou non, messieurs les ministres, ce pacte fait partie de notre ADN républicain, qui commande le consentement à l’impôt. En le rompant, vous rompez le consentement à l’impôt et fragilisez par conséquent la cohésion de notre pays. Si vous avez la curiosité de consulter quelques cahiers de doléances rédigés par les gilets jaunes, il ne pourra vous échapper que cet aspect fait partie des premières revendications. Consentir à l’impôt ne peut se faire qu’avec un certain niveau de justice sociale et avec l’assurance que chacune et chacun sont réellement mis à contribution. Or la réalité est que la quasi-suppression de l’ISF rapportera au 1 % des Français les plus aisés 71 000 euros de cadeaux fiscaux sur la durée du quinquennat.
Permettez-moi, messieurs les ministres, de finir par une anecdote pour illustrer cette casse du pacte républicain. Comme de nombreux collègues ici présents, je rencontre les gilets jaunes. Voyez-vous, sur les ronds-points, j’ai rencontré de nombreux anciens emplois aidés, qui, à la suite de votre décision du mois d’août 017, se sont retrouvés sans emploi. Dans mon département, le Tarn-et-Garonne, nous sommes passés de 2 200 créations d’emplois par an à moins de 500 ;… La chute est du même ordre dans l’Aisne ! …pour la France, la chute est de 476 000 créations à moins de 100 000. Même sous Nicolas Sarkozy, on comptait chaque année environ 450 000 créations d’emplois aidés. Ah ! C’est bien de le rappeler ! Si l’on peut avoir un débat sur le rôle et l’efficacité des emplois aidés, on ne peut mener une politique du couperet comme vous l’avez fait. Ces personnes occupaient un emploi aidé ; elles étaient des maillons essentiels de la chaîne de solidarité au niveau local, en travaillant pour les unes dans les cantines des écoles, pour les autres dans les associations qui œuvrent au quotidien. Par votre couperet, vous leur avez montré que vous les méprisiez. Absolument ! Ce mépris est insupportable et il n’est pas républicain. Votre responsabilité est immense, vous ne pouvez que le constater aujourd’hui.
L’idéologie qui sous-tend votre politique budgétaire et fiscale casse la croissance, creuse les inégalités et affaiblit le consentement à l’impôt. La mobilisation des gilets jaunes n’est sans doute qu’une première étape. Quand vous aurez définitivement supprimé tous les emplois aidés, précarisé notre marché du travail et affaibli les moteurs de notre croissance, quand les premiers chiffres dressant le bilan de la suppression de l’ISF et de la mise en œuvre de la flat tax seront publiés, alors la colère risque de monter d’un cran. Il y a urgence ! Vous avez opéré un premier changement de cap politique mais il faut aller plus loin. Sinon votre nouveau monde ne sera que le stade ultime de la décomposition de l’ancien.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de voter en faveur de la motion de rejet préalable du PLF pour 2019. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.) Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à Mme Sabine Rubin. Le groupe La France insoumise votera pour la motion de rejet préalable car le projet de budget ne fait que renforcer les injustices et les inégalités – cela vient d’être développé et chiffré. De plus, votre politique économique, que l’on a déjà pu voir à l’œuvre l’année dernière, n’est d’aucune efficacité pour la fameuse relance que vous appelez de vos vœux.
Par ailleurs, vous n’avez pas absolument pas entendu les revendications nées du mouvement des gilets jaunes. Loin de redresser la barre dans le sens de la justice fiscale, vous ne faites qu’alourdir le budget de l’État, grignotant de ce fait les services publics – je reviendrai sur ce point ultérieurement. La parole est à M. Fabien Roussel. Le projet de loi de finances n’est pas encore adopté qu’il est déjà caduc puisqu’un projet de loi portant des dispositions d’urgence économiques et sociales est annoncé pour ce mercredi et qu’il y aura certainement un nouveau projet de loi de finances rectificative, peut-être en début d’année, proposant de nouvelles mesures d’économies pour financer les mesures que vous souhaitez mettre en œuvre.
Surtout, alors que ce texte est examiné en plein mouvement social, en pleine période de grogne et de colère des gilets jaunes – mais pas seulement, car je pense aussi aux infirmières, aux robes noires de la justice, aux cheminots qui se battent pour une gare ou pour une ligne SNCF, à toutes celles et ceux qui sont mobilisés au sein de leur profession –, rien dans ce texte ne répond à leurs attentes : rien à propos de la justice fiscale, rien à propos du rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune, lequel permettrait d’augmenter les recettes de l’État, de ne pas aggraver le déficit et de prévoir plus de moyens budgétaires pour répondre à toutes ces demandes. Il n’y a rien non plus pour financer la transition écologique, ou si peu, alors que la France est en retard sur ses objectifs – cela a encore été rappelé lors de la COP 24.
Pour toutes ces raisons, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiendra la motion de censure (Rires et exclamations)… C’était la semaine dernière ! Pardon : nous soutiendrons la motion de rejet préalable présentée par nos camarades socialistes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) La gauche est unie ! La parole est à M. Charles de Courson. Notre collègue Valérie Rabault soulève deux problèmes sérieux, qui incitent le groupe Libertés et territoires à ne pas nous opposer au rejet préalable : l’insincérité et l’injustice.
Je commencerai par l’injustice, puisque c’est l’une des trois raisons pour lesquelles notre groupe, en première lecture, a voté, à la quasi-unanimité, contre le projet de loi de finances. Il y a certes beaucoup à dire mais la vraie question est la suivante : les quatre mesures proposées par le Gouvernement vont-elles au moins dans le sens d’une atténuation de l’injustice de la loi de finances initiale ?
Quant à l’insincérité, si nous la craignons, nous attendons du Gouvernement qu’il nous explique, ce que M. le ministre n’a pas fait tout à l’heure, comment s’articule la loi de finances initiale avec le texte, dont on se demande quelle est la vraie nature, qui sera approuvé en conseil des ministres : où se trouvent les quatre mesures ? J’en parlerai longuement tout à l’heure car certaines figurent dans la loi de finances initiale – nous en discuterons –, tandis que d’autres n’y sont que pour partie et d’autres encore n’y sont pas du tout. C’est quand même un peu compliqué !
Notre groupe s’abstiendra parce que nous sommes impatients d’obtenir quelques éléments de réponse, et nous ne voudrions pas interrompre les débats, tant nous sommes impatients d’entendre les explications des deux ministres. La parole est à Mme Perrine Goulet. Depuis la première lecture du projet de loi de finances, nous vivons un moment grave qui appelle, de notre part à tous, de la responsabilité. Notre pays vit une colère sociale qui vient de loin et dont nous connaissons les origines. Oh là là ! Oui : vos taxes ! Nombreux sont ceux qui ont l’impression de payer toujours plus sans bénéficier des services qu’ils sont en droit d’attendre. Il s’agit là d’un problème de justice fiscale. Les Français veulent pouvoir vivre correctement de leur travail et c’est légitime. Cela fait un an qu’on vous le dit ! Le Président de la République a décrété lundi dernier l’état d’urgence économique et sociale, tout en poursuivant l’ambition de transformation du pays que le peuple a choisie il y a dix-huit mois. Nous devrions tous, dans cet hémicycle, soutenir ses propositions, qui vont dans le bon sens, y compris ceux qui, parmi nous, ont une responsabilité dans cette histoire. Escroquerie ! Car il ne faut pas se mentir : si nous en sommes là aujourd’hui, ce n’est pas uniquement de notre fait. C’est principalement de votre fait ! Vous en portez tous, autant que nous, la responsabilité : le ras-le-bol fiscal a bien plus de dix ans ! Voir plus ! Vous aggravez le déficit ! Mme Taubira, ancienne garde des sceaux – il me semble, Mme Rabault, que vous la connaissez bien –, a souligné hier, dans Le Journal du Dimanche , la responsabilité de la gauche. Selon elle, sa famille politique – la vôtre – « doit dégager très vite une perspective, au lieu de continuer à bavarder, rabâcher, radoter des choses informes et insensées » ! (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.) À la lecture de ces mots pleins de bon sens, je vous invite à réfléchir et à faire preuve d’un peu d’humilité : se remettre en question est une preuve d’intelligence et de courage.
Malgré la tempête, nous maintiendrons le cap : nous redresserons la France ! Il y a du boulot ! On n’est pas près d’en sortir ! Nous avons entendu la colère, nous y répondrons avec les mesures présentes dans ce projet de loi de finances et nous continuerons à y répondre très bientôt avec le grand débat sur le nouveau contrat pour la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.) En attendant cette échéance, je vous demande de ne pas profiter de cette colère sincère et légitime pour la dévoyer. Le groupe La République en marche ne votera pas la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Lise Magnier. Initialement, ce projet de budget était globalement plus sincère que ceux des législatures précédentes mais, on peut le dire, il est devenu plus illisible que ceux des législatures précédentes. Cela étant, comme vous le savez, l’État a besoin d’un budget pour fonctionner et il nous appartient évidemment de l’adopter avant la fin de l’année. Il ne nous paraît donc pas légitime de le rejeter d’emblée, d’autant que nous sommes en nouvelle lecture. C’est pourquoi le groupe UDI, Agir et indépendants votera contre la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Très bien ! La parole est à M. Jean-Louis Bourlanges. Je n’avais pas l’intention d’intervenir mais mon groupe se serait alors signalé par une humilité excessive. (Sourires.)
Si je comprends, sur le fond, les propos de Mme Rabault, il est clair que nous sommes en désaccord fondamental avec son approche, classiquement keynésienne. Oui. Nous avons choisi une autre voie, fondée économiquement. Tous les résultats de l’Europe qui marche le montrent :... Et le Portugal ? Et l’Espagne ? …l’Europe du nord, les Pays-Bas, les pays scandinaves, l’Allemagne. L’Allemagne est un modèle à suivre ? Vous plaisantez ? Je crois, à l’inverse, que la voie dans laquelle vous voulez nous engager n’est pas la bonne.
Cela étant, la véritable question qui se pose porte sur la procédure face à l’urgence. J’ai parlé d’humilité avec un peu d’ironie mais j’en parlerai maintenant sans ironie : le groupe MODEM est conscient de la gravité de la situation ; il est conscient de l’attente de nos concitoyens ; il est conscient, comme l’a dit le Président de la République, de la nécessité de répondre à une situation d’urgence. S’il ne faut pas méconnaître les procédures, il faut faire face à une situation exigeant de nous des réponses rapides, des réponses fortes, des réponses qui apaisent.
Depuis plusieurs semaines, nous vivons dans un climat d’insurrection, notre société est au bord de la guerre civile, la situation est vraiment tragique. Nous devons donc prendre des mesures. Le Président de la République a décidé d’orienter son action dans un certain nombre de domaines. Oui, nous sommes conscients du devoir que nous impose la situation. C’est sans joie que nous abordons le débat mais avec la certitude que nous accomplissons un devoir civique, un devoir de paix civile.
C’est pourquoi nous ne nous associerons pas aux motions de rejet préalable et de renvoi en commission, qui tendent à différer les réponses que les Français attendent. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.) Je mets aux voix la motion de rejet préalable. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 72
Nombre de suffrages exprimés 61
Majorité absolue 31
Pour l’adoption 10
Contre 51 (La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
La parole est à Mme Valérie Rabault. Un budget est toujours un acte de vérité qui inscrit de manière tangible les orientations politiques et parfois idéologiques du Gouvernement. C’est un acte de vérité car les chiffres ne mentent pas, même si certains les accusent de pouvoir être sujets à de multiples interprétations.
Si nous demandons le rejet de votre projet de loi de finances pour 2019, c’est pour deux raisons : son insincérité et son injustice.
Pour ce qui est, tout d’abord, de son insincérité, je dois dire, messieurs les ministres, que vous surpassez tout ce qui a été fait en matière budgétaire depuis des années – sauf peut-être en 2008, mais le contexte de crise financière et économique pouvait s’entendre,… C’est vrai ! M. Le Maire est d’accord ! …alors qu’un tel argument ne peut être retenu cette année.
Pourtant, que n’avons-nous entendu durant l’été 2017 ! Le ministre de l’action et des comptes publics annonçait qu’il voulait « rendre la loi de finances initiale plus sincère » et « mettre un terme aux sous-budgétisations initiales qui jettent un doute sur sa sincérité ». Or, en matière de sous-budgétisation, nous en avons pour notre compte – le tout avec le soutien de la Cour des comptes, dont le silence sur la situation actuelle m’étonne.
Oui, votre budget est insincère. Pour rappel, l’article 32 de la loi organique relative aux lois de finances dispose : « Les lois de finances présentent de façon sincère l’ensemble des ressources et des charges de l’État. Leur sincérité s’apprécie compte tenu des informations disponibles et des prévisions qui peuvent raisonnablement en découler. » Si l’insincérité budgétaire est conçue comme l’action qui consiste à inscrire dans la loi de finances des informations ou des données contraires à celles dont on a connaissance, il semble qu’il s’agisse là d’une insincérité budgétaire absolue.
Insincérité, d’abord, sur le niveau de déficit public. L’article liminaire de votre projet de loi de finances fait en effet apparaître un niveau de déficit public de 2,8 % du PIB pour 2019 alors qu’en même temps, le Premier ministre a annoncé hier, dans une interview aux Échos , un niveau de déficit à « 3,2 % pour 2019 ». Or, à l’heure où je vous parle, le Gouvernement n’a déposé aucun amendement tendant à inscrire dans la loi un niveau de déficit de 3,2 %.
Insincérité aussi en matière de niveau de dépenses publiques. Dans cette même interview aux Échos , le Premier ministre indique en effet : « Dans le cadre de l’exécution du budget 2019, nous devrons trouver d’1 à 1,5 milliard d’euros d’économies. » Or le projet de loi de finances pour 2019 que vous nous soumettez ne fait nullement état de ces nouvelles économies. Il y a donc trois solutions : soit vous faites des coupes sur la sécurité sociale sans le dire, ce qui fragilisera encore plus les hôpitaux et l’ensemble des soignants, soit vous ne faites pas ces économies supplémentaires, soit vous procédez à des gels de crédits sans le dire. Quel que soit le scénario que vous retiendrez, votre pilotage des finances publiques sera marqué du sceau de l’insincérité et du mensonge.
Insincérité également en matière de recettes. Le budget que vous imposez à votre majorité pour 2019 fait apparaître 414 milliards d’euros de recettes, qui incluent les 4 milliards d’euros de taxes énergétiques supplémentaires. Or, dans l’urgence, vous avez dû renoncer à ces 4 milliards d’euros, mais ces montants n’apparaissent toujours pas dans le projet de loi qui nous est soumis, notamment parce que le Sénat a rejeté votre amendement sur l’article d’équilibre, contestant vos calculs sur le coût des amendements qu’il a adoptés en première lecture.
Insincérité enfin – même si elle n’est pas de nature constitutionnelle – dans la conduite de votre dialogue avec les entreprises. Vous vous affichez en effet en gouvernement business friendly mais, chaque année, à moins de deux semaines de la clôture de leur exercice comptable, pour celles qui clôturent au 31 décembre, vous demandez aux entreprises quelques milliards d’euros supplémentaires – 5 milliards l’an dernier, sans doute 3 milliards cette année. Cette insincérité est tellement criante que le président de l’Assemblée nationale a été dépêché hier à votre secours pour dire qu’« il n’y aura pas de carabistouille » et que vous tiendrez vos promesses. Chacun sait bien que, quand on est obligé de tenir de tels propos, c’est sans doute pour masquer la réalité – celle, précisément, de vos carabistouilles.
Venons-en à l’injustice du budget 2019. Depuis votre premier budget, débattu à l’automne 2017, nous vous alertons sur l’injustice de votre politique économique, qui se solde aujourd’hui par son inefficacité. Nous vous avons alertés et vous avons proposé des solutions alternatives sérieuses, chiffrées, budgétisées, qui vous auraient évité l’écueil flagrant de l’insincérité budgétaire. Nos deux propositions de contre-budget pour 2018 et 2019 étaient construites autour du fil conducteur suivant : réduire les inégalités et soutenir la reprise économique. Après dix-huit mois d’exercice du pouvoir, les résultats sont là : vous avez accru les inégalités et dégradé la reprise économique. Très bien ! Commençons par ce dernier point. Vous avez hérité, en 2017, d’une économie générant 2,2 % de croissance économique, c’est-à-dire capable de créer de la richesse supplémentaire. Vous êtes en train de la faire plonger car, cette année, la croissance économique devrait se situer autour de 1,5 %. Elle est désormais très lointaine, la période où vous pouviez écrire, dans le programme de stabilité 2018-2022, que la reprise à l’œuvre en 2017 résultait du « retour de la confiance des milieux économiques suite à l’élection présidentielle de mai 2017 ». La différence entre 2,2 % et 1,5 % de croissance est de l’ordre de 17 milliards d’euros. En d’autres termes, si l’économie française avait continué sur sa lancée, elle aurait créé 17 milliards d’euros de richesses de plus en 2018, ce qui aurait permis d’engranger dans les caisses publiques près de 8 milliards d’euros de recettes en plus.
Cette chute de la croissance vous est imputable et vous ne pourrez pas vous en dédouaner. Ce que vous avez mis en œuvre semble témoigner d’une méconnaissance des mécanismes et des ressorts de notre économie. En France, la croissance économique a trois moteurs : la consommation interne, qui contribue pour 60 % à la création de richesse ; le commerce extérieur, pour 20 % ; l’investissement, pour 20 %. Or votre politique économique n’a activé aucun de ces trois moteurs. Il n’est donc pas étonnant que nous subissions un ralentissement de la croissance économique. Pire, par endroits, vous avez fragilisé celui de ces moteurs qui compte le plus dans notre création de richesse : la consommation interne.
Cette dernière, vous l’avez fragilisée avec votre politique fiscale, en réduisant drastiquement le pouvoir d’achat des 8 millions de retraités qui, au 1er janvier 2018, ont subi la hausse de la CSG, ou celui des 15 millions de nos concitoyens qui n’ont d’autre choix que de prendre leur véhicule pour aller travailler tous les jours et à qui vous avez fait supporter cette année 3,7 milliards d’euros de hausse de fiscalité énergétique. Je rappelle que, sur le quinquennat, vous vouliez leur faire supporter 55 milliards d’euros de plus.
Ce montant de 55 milliards d’euros était tellement délirant qu’ici même, le 17 octobre dernier, votre ministre d’État, François de Rugy, m’a accusée de « faire peur aux Français en agitant des chiffres énormes », comme s’il fallait cacher ces derniers et surtout comme si vous pensiez que les Français pourraient ne pas s’en rendre compte par eux-mêmes. Oui, ces chiffres étaient énormes, mais ils étaient justes – ils ne faisaient que refléter la réalité du quotidien de nos concitoyens – et, face à la mobilisation des gilets jaunes, vous avez dû vous rendre à l’évidence.
Résultat des courses : avec votre politique économique, la croissance et la consommation des ménages français ont reculé en 2018.
Quant à la balance de notre commerce extérieur va connaître un nouveau record de son déficit, avec un montant avoisinant sans doute les 65 milliards d’euros. Bien sûr, le prix de l’énergie pèse négativement dans cette balance, mais il existe aussi des facteurs sur lesquels nous pouvons agir et sur lesquels, depuis dix-huit mois, vous n’avez pas fait grand-chose. Ainsi, lors de la discussion budgétaire, vous avez refusé tout ce qui pouvait soutenir l’exportation des PME et des ETI, comme le crédit d’impôt pour l’embauche d’une personne dédiée à l’export ou pour les dépenses de prospection commerciale.
L’investissement, enfin, souffre lui aussi d’un manque de dynamisme. Cela n’a d’ailleurs pas échappé à France Stratégie, qui lui a dédié cet automne un rapport cosigné, entre autres, par Louis Gallois. Deux observations apparaissent : l’investissement est concentré sur un nombre restreint de grandes entreprises, ce qui laisse les PME et les ETI en dehors de la dynamique ; en outre, l’investissement des entreprises françaises dans les machines et équipements est plus faible que celui des entreprises des autres pays européens. Là aussi, vous avez refusé de poursuivre le suramortissement de 40 % que notre majorité avait précédemment voté.
En faisant passer notre économie sous la barre des 2 % de croissance, vous la faites entrer dans une zone dangereuse où la dynamique de création d’emplois ne suffit plus pour faire baisser le chômage. En somme, depuis dix-huit mois, vous dilapidez, de votre seul fait, les avancées dont vous avez hérité en matière de croissance et de finances publiques.
J’en viens à l’injustice qui caractérise votre politique fiscale. Depuis 1981, il existe un pacte républicain en vertu duquel les Français détenteurs des patrimoines les plus élevés contribuent à la cohésion nationale par l’impôt de solidarité sur la fortune. Au cours des trente dernières années, ce pacte a été rompu une seule fois : en 1986. Que vous le vouliez ou non, messieurs les ministres, ce pacte fait partie de notre ADN républicain, qui commande le consentement à l’impôt. En le rompant, vous rompez le consentement à l’impôt et fragilisez par conséquent la cohésion de notre pays. Si vous avez la curiosité de consulter quelques cahiers de doléances rédigés par les gilets jaunes, il ne pourra vous échapper que cet aspect fait partie des premières revendications. Consentir à l’impôt ne peut se faire qu’avec un certain niveau de justice sociale et avec l’assurance que chacune et chacun sont réellement mis à contribution. Or la réalité est que la quasi-suppression de l’ISF rapportera au 1 % des Français les plus aisés 71 000 euros de cadeaux fiscaux sur la durée du quinquennat.
Permettez-moi, messieurs les ministres, de finir par une anecdote pour illustrer cette casse du pacte républicain. Comme de nombreux collègues ici présents, je rencontre les gilets jaunes. Voyez-vous, sur les ronds-points, j’ai rencontré de nombreux anciens emplois aidés, qui, à la suite de votre décision du mois d’août 017, se sont retrouvés sans emploi. Dans mon département, le Tarn-et-Garonne, nous sommes passés de 2 200 créations d’emplois par an à moins de 500 ;… La chute est du même ordre dans l’Aisne ! …pour la France, la chute est de 476 000 créations à moins de 100 000. Même sous Nicolas Sarkozy, on comptait chaque année environ 450 000 créations d’emplois aidés. Ah ! C’est bien de le rappeler ! Si l’on peut avoir un débat sur le rôle et l’efficacité des emplois aidés, on ne peut mener une politique du couperet comme vous l’avez fait. Ces personnes occupaient un emploi aidé ; elles étaient des maillons essentiels de la chaîne de solidarité au niveau local, en travaillant pour les unes dans les cantines des écoles, pour les autres dans les associations qui œuvrent au quotidien. Par votre couperet, vous leur avez montré que vous les méprisiez. Absolument ! Ce mépris est insupportable et il n’est pas républicain. Votre responsabilité est immense, vous ne pouvez que le constater aujourd’hui.
L’idéologie qui sous-tend votre politique budgétaire et fiscale casse la croissance, creuse les inégalités et affaiblit le consentement à l’impôt. La mobilisation des gilets jaunes n’est sans doute qu’une première étape. Quand vous aurez définitivement supprimé tous les emplois aidés, précarisé notre marché du travail et affaibli les moteurs de notre croissance, quand les premiers chiffres dressant le bilan de la suppression de l’ISF et de la mise en œuvre de la flat tax seront publiés, alors la colère risque de monter d’un cran. Il y a urgence ! Vous avez opéré un premier changement de cap politique mais il faut aller plus loin. Sinon votre nouveau monde ne sera que le stade ultime de la décomposition de l’ancien.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de voter en faveur de la motion de rejet préalable du PLF pour 2019. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.) Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Dans les explications de vote sur la motion de rejet préalable, la parole est à Mme Sabine Rubin. Le groupe La France insoumise votera pour la motion de rejet préalable car le projet de budget ne fait que renforcer les injustices et les inégalités – cela vient d’être développé et chiffré. De plus, votre politique économique, que l’on a déjà pu voir à l’œuvre l’année dernière, n’est d’aucune efficacité pour la fameuse relance que vous appelez de vos vœux.
Par ailleurs, vous n’avez pas absolument pas entendu les revendications nées du mouvement des gilets jaunes. Loin de redresser la barre dans le sens de la justice fiscale, vous ne faites qu’alourdir le budget de l’État, grignotant de ce fait les services publics – je reviendrai sur ce point ultérieurement. La parole est à M. Fabien Roussel. Le projet de loi de finances n’est pas encore adopté qu’il est déjà caduc puisqu’un projet de loi portant des dispositions d’urgence économiques et sociales est annoncé pour ce mercredi et qu’il y aura certainement un nouveau projet de loi de finances rectificative, peut-être en début d’année, proposant de nouvelles mesures d’économies pour financer les mesures que vous souhaitez mettre en œuvre.
Surtout, alors que ce texte est examiné en plein mouvement social, en pleine période de grogne et de colère des gilets jaunes – mais pas seulement, car je pense aussi aux infirmières, aux robes noires de la justice, aux cheminots qui se battent pour une gare ou pour une ligne SNCF, à toutes celles et ceux qui sont mobilisés au sein de leur profession –, rien dans ce texte ne répond à leurs attentes : rien à propos de la justice fiscale, rien à propos du rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune, lequel permettrait d’augmenter les recettes de l’État, de ne pas aggraver le déficit et de prévoir plus de moyens budgétaires pour répondre à toutes ces demandes. Il n’y a rien non plus pour financer la transition écologique, ou si peu, alors que la France est en retard sur ses objectifs – cela a encore été rappelé lors de la COP 24.
Pour toutes ces raisons, le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soutiendra la motion de censure (Rires et exclamations)… C’était la semaine dernière ! Pardon : nous soutiendrons la motion de rejet préalable présentée par nos camarades socialistes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) La gauche est unie ! La parole est à M. Charles de Courson. Notre collègue Valérie Rabault soulève deux problèmes sérieux, qui incitent le groupe Libertés et territoires à ne pas nous opposer au rejet préalable : l’insincérité et l’injustice.
Je commencerai par l’injustice, puisque c’est l’une des trois raisons pour lesquelles notre groupe, en première lecture, a voté, à la quasi-unanimité, contre le projet de loi de finances. Il y a certes beaucoup à dire mais la vraie question est la suivante : les quatre mesures proposées par le Gouvernement vont-elles au moins dans le sens d’une atténuation de l’injustice de la loi de finances initiale ?
Quant à l’insincérité, si nous la craignons, nous attendons du Gouvernement qu’il nous explique, ce que M. le ministre n’a pas fait tout à l’heure, comment s’articule la loi de finances initiale avec le texte, dont on se demande quelle est la vraie nature, qui sera approuvé en conseil des ministres : où se trouvent les quatre mesures ? J’en parlerai longuement tout à l’heure car certaines figurent dans la loi de finances initiale – nous en discuterons –, tandis que d’autres n’y sont que pour partie et d’autres encore n’y sont pas du tout. C’est quand même un peu compliqué !
Notre groupe s’abstiendra parce que nous sommes impatients d’obtenir quelques éléments de réponse, et nous ne voudrions pas interrompre les débats, tant nous sommes impatients d’entendre les explications des deux ministres. La parole est à Mme Perrine Goulet. Depuis la première lecture du projet de loi de finances, nous vivons un moment grave qui appelle, de notre part à tous, de la responsabilité. Notre pays vit une colère sociale qui vient de loin et dont nous connaissons les origines. Oh là là ! Oui : vos taxes ! Nombreux sont ceux qui ont l’impression de payer toujours plus sans bénéficier des services qu’ils sont en droit d’attendre. Il s’agit là d’un problème de justice fiscale. Les Français veulent pouvoir vivre correctement de leur travail et c’est légitime. Cela fait un an qu’on vous le dit ! Le Président de la République a décrété lundi dernier l’état d’urgence économique et sociale, tout en poursuivant l’ambition de transformation du pays que le peuple a choisie il y a dix-huit mois. Nous devrions tous, dans cet hémicycle, soutenir ses propositions, qui vont dans le bon sens, y compris ceux qui, parmi nous, ont une responsabilité dans cette histoire. Escroquerie ! Car il ne faut pas se mentir : si nous en sommes là aujourd’hui, ce n’est pas uniquement de notre fait. C’est principalement de votre fait ! Vous en portez tous, autant que nous, la responsabilité : le ras-le-bol fiscal a bien plus de dix ans ! Voir plus ! Vous aggravez le déficit ! Mme Taubira, ancienne garde des sceaux – il me semble, Mme Rabault, que vous la connaissez bien –, a souligné hier, dans Le Journal du Dimanche , la responsabilité de la gauche. Selon elle, sa famille politique – la vôtre – « doit dégager très vite une perspective, au lieu de continuer à bavarder, rabâcher, radoter des choses informes et insensées » ! (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.) À la lecture de ces mots pleins de bon sens, je vous invite à réfléchir et à faire preuve d’un peu d’humilité : se remettre en question est une preuve d’intelligence et de courage.
Malgré la tempête, nous maintiendrons le cap : nous redresserons la France ! Il y a du boulot ! On n’est pas près d’en sortir ! Nous avons entendu la colère, nous y répondrons avec les mesures présentes dans ce projet de loi de finances et nous continuerons à y répondre très bientôt avec le grand débat sur le nouveau contrat pour la nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.) En attendant cette échéance, je vous demande de ne pas profiter de cette colère sincère et légitime pour la dévoyer. Le groupe La République en marche ne votera pas la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) La parole est à Mme Lise Magnier. Initialement, ce projet de budget était globalement plus sincère que ceux des législatures précédentes mais, on peut le dire, il est devenu plus illisible que ceux des législatures précédentes. Cela étant, comme vous le savez, l’État a besoin d’un budget pour fonctionner et il nous appartient évidemment de l’adopter avant la fin de l’année. Il ne nous paraît donc pas légitime de le rejeter d’emblée, d’autant que nous sommes en nouvelle lecture. C’est pourquoi le groupe UDI, Agir et indépendants votera contre la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Très bien ! La parole est à M. Jean-Louis Bourlanges. Je n’avais pas l’intention d’intervenir mais mon groupe se serait alors signalé par une humilité excessive. (Sourires.)
Si je comprends, sur le fond, les propos de Mme Rabault, il est clair que nous sommes en désaccord fondamental avec son approche, classiquement keynésienne. Oui. Nous avons choisi une autre voie, fondée économiquement. Tous les résultats de l’Europe qui marche le montrent :... Et le Portugal ? Et l’Espagne ? …l’Europe du nord, les Pays-Bas, les pays scandinaves, l’Allemagne. L’Allemagne est un modèle à suivre ? Vous plaisantez ? Je crois, à l’inverse, que la voie dans laquelle vous voulez nous engager n’est pas la bonne.
Cela étant, la véritable question qui se pose porte sur la procédure face à l’urgence. J’ai parlé d’humilité avec un peu d’ironie mais j’en parlerai maintenant sans ironie : le groupe MODEM est conscient de la gravité de la situation ; il est conscient de l’attente de nos concitoyens ; il est conscient, comme l’a dit le Président de la République, de la nécessité de répondre à une situation d’urgence. S’il ne faut pas méconnaître les procédures, il faut faire face à une situation exigeant de nous des réponses rapides, des réponses fortes, des réponses qui apaisent.
Depuis plusieurs semaines, nous vivons dans un climat d’insurrection, notre société est au bord de la guerre civile, la situation est vraiment tragique. Nous devons donc prendre des mesures. Le Président de la République a décidé d’orienter son action dans un certain nombre de domaines. Oui, nous sommes conscients du devoir que nous impose la situation. C’est sans joie que nous abordons le débat mais avec la certitude que nous accomplissons un devoir civique, un devoir de paix civile.
C’est pourquoi nous ne nous associerons pas aux motions de rejet préalable et de renvoi en commission, qui tendent à différer les réponses que les Français attendent. (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM et LaREM.) Je mets aux voix la motion de rejet préalable. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 72
Nombre de suffrages exprimés 61
Majorité absolue 31
Pour l’adoption 10
Contre 51 (La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
J’ai reçu de M. André Chassaigne et des membres du groupe de la Gauche démocrate et républicaine une motion de renvoi en commission, déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
La parole est à M. Fabien Roussel. Permettez-moi tout d’abord de revenir sur le scandale de Ford Blanquefort, parce que c’est aussi dans l’actualité et en lien avec l’utilisation de l’argent public. « Trahison » : monsieur le ministre, vous avez lâché le mot et il est bien choisi pour décrire la scandaleuse décision du groupe américain. À la veille de Noël, 850 personnes privées d’emplois ! Vous êtes révolté, écœuré ? Nous aussi !
Oui, mais une fois qu’on a dit cela, que fait-on ? Combien de temps supporterons-nous encore de tels camouflets ? Combien de temps tolérerons-nous que les grands groupes mondiaux empochent des millions d’euros d’aides publiques – pour le groupe Ford, cela s’élève à 45 millions d’euros ces dernières années, dont 8 millions au titre du CICE – tout en refusant de vous répondre et même de vous prendre au téléphone ? Cette désinvolture n’a que trop duré, car il y a Ford, mais il y a aussi General Electric, qui promet à la France de créer 1 000 emplois avant d’en détruire des centaines puis de renoncer avec cynisme à ses engagements initiaux. Il y a aussi Carrefour, qui engrange 134 millions d’euros au titre du CICE en 2016 – montant donné par les syndicats et jamais contesté par la direction –, avant de mettre en œuvre le plan de destruction de l’emploi que l’on connaît.
Oui, ils sont nombreux ceux qui se moquent ouvertement de l’État sans jamais subir de sanction. Alors, monsieur le ministre, allez au bout de votre colère légitime. Jeudi, vous avez déclaré que vous étiez écœuré par le choix de Ford, qui ne se justifie que par « sa décision de faire monter son cours en bourse ». Nous vous proposons une solution : remettre à l’ordre du jour la proposition de loi contre les licenciements boursiers que les députés communistes ont déposée en 2012. Exigez aussi le remboursement de toutes les aides versées en pure perte aux grands groupes qui délocalisent. Ce seraient autant de recettes nouvelles pour notre budget.
Vous avez fait de la maîtrise du déficit budgétaire l’alpha et l’oméga de votre politique, vous venez de le rappeler ici. Mais où est la logique quand on lâche dans la nature 40 milliards d’euros de CICE sans le moindre fléchage, sans la moindre exigence de résultat pour notre économie, pour l’emploi, alors que des services publics sont en tension, comme nos hôpitaux ?
Vous voyez bien, avec Ford et General Electric, que les promesses n’engagent que ceux qui les croient. L’argent public versé à ces grands assistés de la République ruisselle en fait dans le portefeuille des actionnaires. Voilà pourquoi il faut remettre à plat votre politique fiscale. Les gilets jaunes aujourd’hui et les syndicats avant eux ne demandent rien d’autre, et c’est pourquoi nous demandons le renvoi en commission de ce budget injuste pour la majorité de nos concitoyens – mais pas pour une minorité d’entre eux. Et pourtant, malgré ce qui monte dans le pays, en nouvelle lecture, dans le projet de loi de finances, il n’y a toujours rien pour augmenter les recettes.
Il n’y a rien sur l’impôt de solidarité sur la fortune, devenu pour vous un véritable totem auquel il serait sacrilège de toucher. C’est pourtant un des moyens de faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État, au nom de la solidarité, l’un des piliers de notre République. Nous demandons son rétablissement depuis des mois, et nous sommes tellement satisfaits de voir que cette demande est enfin reprise par une majorité des Français – mais pas par la majorité de cette assemblée. Vous ne touchez pas à l’ISF alors qu’en 2017, les 358 700 redevables à cet impôt affichaient un patrimoine de 1 028 milliards d’euros ! Vous croyez vraiment qu’ils sont à 3 milliards ou 5 milliards d’euros près ? En revanche, pour le budget de l’État, c’est un sacré trou dans le tapis : 5 milliards d’euros manquants, c’est 40 % du budget total de l’enseignement supérieur. C’est pourtant aux étudiants étrangers de payer des frais d’inscription en hausse pour compenser des trous dans leur budget, et c’est pour cela que nos étudiants manifestent aussi.
Il n’y a rien non plus, en nouvelle lecture, dans votre projet de loi de finances, pour rétablir une fiscalité plus juste sur le capital. Vous nous parlez tous les jours du coût du travail, ça, on l’a bien compris. Mais on a compris aussi que votre grande priorité, c’est alléger la fiscalité du capital. Et voilà le résultat : selon l’INSEE, en 2018, l’industrie française continue de perdre des parts de marché et des emplois, avec 2 600 emplois supprimés au cours des six premiers mois de l’année. Ce n’est pas ce que le ministre nous a dit ! Mais ce sont les chiffres de l’INSEE.
Quant aux déclarations d’investissements directs étrangers en capital, recensées par la Banque de France, elles atteignent, depuis le 1er janvier 2018, 34,6 milliards d’euros, soit l’équivalent de 2015, rien de plus, en dépit de toutes vos aides. Quel est l’effet du CICE, de la flat tax, de l’exonération de la taxe sur les dividendes, de la suppression de l’ISF ? Ceux qui cherchent du travail attendent toujours et ceux qui le perdent crient leur colère.
En revanche, sans surprise, la France reste la championne du monde de la distribution des dividendes. Nos barons du CAC 40 en sont tellement friands qu’ils en ont distribué 46,8 milliards en 2017, soit 48 % de leurs résultats en moyenne. Record du monde !
Vous avez refusé d’élargir l’assiette de la taxe sur les transactions financières ; vous avez mis en place la flat tax qui réduit les impôts de ceux qui tirent leurs revenus de la spéculation.
Quant à la niche Copé, si chère à la droite de cet hémicycle, vous avez certes accepté de ne pas l’amplifier pour les actionnaires – fort bien puisqu’on récupère ainsi 300 millions d’euros – mais elle coûte encore 7 milliards d’euros aux finances publiques en 2018 ! C’est une belle somme qui profite à une minorité, alors que nous pourrions immédiatement en faire bénéficier nos hôpitaux, nos EHPAD – établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes –, nos pompiers, ou encore pour la justice de proximité, bref, toutes les filières et les professions qui sont en colère par la faute de vos réformes.
Vous avez l’obsession de réduire la dépense publique – on l’a encore entendu aujourd’hui –, mais pas celle d’augmenter les recettes, alors qu’il était encore temps de corriger le tir en nouvelle lecture du PLF.
Il y a pourtant beaucoup d’argent à aller chercher, ailleurs que dans le porte-monnaie des salariés et des retraités, de nos services publics, de nos collectivités.
Je dirai un mot au sujet de l’évasion fiscale, qui a été remise à l’ordre du jour par le Président de la République. Elle coûte à notre budget entre 80 milliards et 100 milliards d’euros chaque année. Si cette somme entrait dans les caisses, nous serions à l’équilibre, avouez que ça changerait la donne ! Or que proposez-vous ?
Vous proposez de taxer les multinationales dont le siège serait basé dans les paradis fiscaux. Vous êtes sérieux ? C’est ce que vous voulez faire ? Mais votre proposition serait crédible si votre liste des paradis fiscaux l’était elle-même ! Or vous proposez de taxer les multinationales dont le siège se trouve sur Niue, Nauru, Guam ou les îles Palaos. Cela n’a pas de sens ! Pourquoi ne trouve-t-on pas, dans la liste des paradis fiscaux, la Suisse, le Luxembourg, l’Irlande ni les Pays-Bas ? C’est là que se trouvent les bénéfices des multinationales qui échappent à l’impôt !
Soyons sérieux et concrets sur ces questions ! Donnons-nous vraiment les moyens de récupérer cet argent qui nous est dû ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.) Quand vous aurez la parole, vous pourrez vous exprimer, mes chers collègues.
Recrutons des agents à la DGFIP – la direction générale des finances publiques –, par exemple, pour faire face aux enjeux, bien au-delà de votre modeste police fiscale, alimentée par des transferts d’effectifs ! Soyons aussi sévères envers les délinquants en cols blancs qu’envers ceux qui braquent les banques – nous n’en sommes pas là, car aucun col blanc n’est en prison, excepté Carlos Ghosn, et ce sont les Japonais qui l’y ont mis !
Les multinationales doivent payer leurs impôts là où elles réalisent leur activité et non dans les paradis fiscaux. C’est en vertu de ce principe simple, juste et compréhensible par tous que nous vous proposons de mettre en place, comme on sait le faire pour les citoyens, le prélèvement à la source des bénéfices des multinationales qui ont leur siège à l’extérieur de notre pays et pour certaines d’entre elles dans des paradis fiscaux notoires, dont certains sont membres de l’Union européenne. C’est tout à fait possible, monsieur le ministre. Renseignez-vous : ce système existe déjà aux États-Unis, en Allemagne, au Canada – on ne peut pas dire que ce soient des économies administrées ! La proposition de loi que nous vous soumettrons s’appuie sur les travaux d’économistes, de chercheurs et d’experts selon lesquels la France peut parfaitement mener seule une telle réforme, montrant la voie aux autres pays européens. Ne soyons pas timides sur ce sujet. Ne vous arrêtez pas au GAFA, comme vous le proposez, avec l’ambition de faire rentrer quelques millions d’euros alors que la fraude se compte en dizaine de milliards d’euros. Soyons fermes sur ce sujet et n’attendons pas un improbable feu vert de cette Union Européenne si libérale. Après tout, ni l’Irlande ni les Pays-Bas n’ont attendu le moindre feu vert pour pratiquer un dumping fiscal dévastateur pour nous. Voilà où se trouve l’argent qui pourrait rentrer dans les caisses de l’État.
Les Français souffrent de l’austérité qu’on leur impose depuis des années, dictée par des traités européens qu’ils n’ont pas votés. Oui, les Français ont du mal à boucler leurs fins de mois, à faire face à toutes ces factures qui s’envolent, celles du gaz, de l’électricité, des mutuelles. Ils n’arrivent plus à vivre dignement de leur travail, et ce ne sont pas les mesurettes en trompe-l’œil annoncées par le Président de la République qui vont durablement régler le problème du pouvoir d’achat.
Encore une fois, ce que vous donnez d’une main, vous le reprenez de l’autre. Votre vraie fausse augmentation du SMIC par le biais de la prime d’activité, financée sur le budget de l’État, donc par nous, est une véritable escroquerie. Au nom du dogme de l’abaissement du coût du travail, vous écartez d’emblée toute contribution des employeurs et vous leur envoyez le signal qu’ils n’ont pas besoin d’augmenter les salaires puisque l’État s’en chargera à leur place. Vous faites donc toujours supporter l’effort sur les mêmes et vous tirez les salaires par le bas. Pourquoi en effet le PDG de Carrefour, par exemple, augmenterait-il les salaires de ses caissières payées au SMIC si l’État le fait à sa place ? Pour cette raison, le salaire de nombreux salariés plafonnera au SMIC, et pendant longtemps ! Tout à fait ! C’est donc une mesure très injuste que vous proposez de mettre en place. En plus, les salariés qui toucheront la prime ne cotiseront pas sur cette somme pour leur retraite, la sécurité sociale, le chômage : c’est la double peine.
Au lieu de cela, monsieur le ministre, nous vous proposons d’ouvrir des négociations entre patronat et syndicats pour une hausse générale des salaires, dans le public comme dans le privé. Une hausse des salaires de 1 %, ce sont 2 milliards d’euros qui entrent dans les caisses de la sécu.
Monsieur le ministre, « un pays riche ne peut pas avoir de travailleurs pauvres ». Cette phrase n’est pas moi ; elle est de Pedro Sanchez, le Premier ministre espagnol. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR et SOC.) Prenez exemple sur l’Espagne ! La hausse de 22,3 % du SMIC va permettre à la sécurité sociale espagnole d’engranger 1,5 milliard d’euros supplémentaires, c’est la vérité ! Cessons d’envisager les hausses de salaires uniquement comme un coût : plus d’argent pour les salariés, c’est bon pour la croissance, c’est bon pour l’emploi et c’est bon pour le financement de la sécurité sociale. Vous voulez que le SMIC français s’aligne sur le SMIC espagnol ? On aura compris que je ne demande pas notre alignement sur le SMIC espagnol, bien inférieur au nôtre, mais notre alignement sur le taux de progression du SMIC espagnol, car nous en avons bien besoin ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Arrêtons le bricolage ! Les salariés ne veulent pas aller tous les trimestres à la CAF – la caisse d’allocations familiales – pour toucher un complément de salaire, ils ne veulent pas être des assistés ; ils veulent de véritables hausses de salaires, pérennes, pour vivre dignement de leur travail, cotiser à la sécurité sociale, payer des impôts, bref pour participer pleinement à la vie de la nation.
De même – et nous sommes là au cœur du PLF –, il y a des mesures urgentes à prendre pour baisser le coût de la vie de nos concitoyens tout en répondant à l’urgence climatique, à l’heure ou la COP 24 est loin de répondre à ce défi. Mettez en place un plan d’urgence pour la rénovation des logements qui sont de véritables passoires thermiques, avec l’objectif de rénover 500 000 logements par an ! C’est quand même autrement ambitieux qu’un chèque énergie ! Très bien ! Accordez une baisse de TVA sur les factures EDF et GDF,… Cela fait bien longtemps que GDF n’existe plus ! …dont les tarifs n’arrêtent pas de flamber ! Mettez en place un plan ambitieux pour les transports collectifs publics en donnant plus de moyens aux régions et autres collectivités qui aimeraient assurer la gratuité des transports, au moins pendant les pics de pollution – Lille a enregistré soixante jours de pics de pollution en 2018 !
En nouvelle lecture, nous aurions aimé débattre sur un projet de loi de finances exceptionnel, qui réponde aux défis climatiques tout en redonnant du pouvoir d’achat aux Français. Arrêtez de tourner autour du pot ! Prenez conscience de l’ampleur de la crise sociale et écologique, et renvoyez le PLF en commission pour que nous apportions tous ensemble les vraies réponses aux besoins que les Français expriment depuis des semaines ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances. Je sens, dans cet hémicycle, une furieuse envie de revenir en arrière, comme si, à la faveur de cette crise, tout d’un coup, on trouvait de la vertu aux solutions qui, depuis dix ans, auraient dû réduire la dette et la dépense publique… Vous l’augmentez encore ! …amélioré la situation des Français, augmenté le pouvoir d’achat, créé des emplois, des emplois industriels, rétabli la santé des entreprises et réindustrialisé le pays ! Pour prendre une référence qui vous ira droit au cœur, monsieur Roussel, « les faits sont têtus ». Depuis dix ans, ce que nous avons essayé de faire, collectivement, n’a pas marché. Depuis deux ans, cela ne marche pas mieux ! L’augmentation systématique de la dette publique – laquelle, je le rappelle, a augmenté de plus de 30 points entre 2008 et 2017, passant de 64 à 94 % – n’a pas non plus marché, je le dis aussi pour Mme Rabault. Et ce que vous faites, ça marche ? L’augmentation systématique de la dépense publique, quand on expliquait que l’argent serait redistribué avant même que des richesses aient été créées et que cela irait mieux pour les Français, cela n’a pas marché non plus, cela n’a pas réglé le problème du chômage,… La situation commençait à s’améliorer. …première raison de la persistance de la pauvreté dans notre pays.
La politique qui a été conduite depuis dix, quinze ou vingt ans n’a pas empêché la destruction d’1 million d’emplois industriels dans notre pays ni la fermeture de cent usines par an ! Notre échec est là ! (Applaudissements sur quelques bancs groupe LaREM.) Ne comptez donc pas sur nous pour revenir à des solutions qui ont échoué et ont mis la France dans la situation où nous l’avons trouvée en 2017. Vous n’êtes pas toutefois obligés de faire pire ! La solution n’est pas là. Soyez plus imaginatifs, plus créatifs pour essayer de trouver des solutions !
Par ailleurs, restons-en aux faits : vous prétendez, monsieur Roussel, que des milliers d’emplois industriels ont été détruits depuis un an, mais c’est faux ! Ce n’est pas L’Humanité qui le dit, c’est l’INSEE ! Ce sont 4 300 emplois industriels qui ont été créés en France depuis un an. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Je ne dis pas que c’est suffisant ; je dis simplement que, depuis un an, pour la première fois depuis dix ans, nous recréons des emplois industriels. Merci Hollande ! Vous nous dites que le taux de chômage reste très élevé. Certes, je suis d’accord avec vous, mais il n’empêche qu’il a baissé de 0,5 point depuis un an. Je ne dis pas que c’est suffisant ; je dis simplement qu’un fil, encore ténu, mérite d’être tiré. Sa solidité repose sur la compétitivité des entreprises, sur des produits de meilleure qualité, sur l’innovation, sur l’investissement, sur le suramortissement pour robotiser et digitaliser nos entreprises, pour réindustrialiser vraiment notre pays. Je crois profondément à cette politique, la seule, je crois, qui permettra à la France de sortir de l’ornière dans laquelle elle se trouve depuis des années. Je pense que nous partageons tous, ici, la volonté de réindustrialiser le pays. Cela n’empêche pas Ford de fermer une usine ! Néanmoins, reconnaissons-le humblement : si nous ne sommes pas capables d’avoir des entreprises industrielles disposant d’un capital suffisamment important pour investir et innover, nous n’y arriverons pas.
Valérie Rabault, vous dites : « ISF ! ISF ! ISF ! Il faut impérativement rétablir l’ISF ! » Mais enfin ! Si l’ISF avait permis d’éradiquer la pauvreté dans notre pays, de réduire le nombre de chômeurs et de diminuer la dette, cela se saurait ! Et vous y arriverez en le supprimant ? En matière de fiscalité du capital, nous préférons une politique qui permette à nos entreprises de disposer des capitaux dont elles ont besoin pour investir, innover, se moderniser, fabriquer des produits de meilleure qualité… L’argent va à l’assurance-vie, vous le savez bien ! …et gagner des parts de marché à l’extérieur. Une évaluation nous permettra sereinement de voir si cela fonctionne vraiment et d’examiner ce qui nous permet d’obtenir des résultats.
Vous affirmez, Valérie Rabault, que l’investissement décline dans notre pays. C’est ce qui est écrit dans le rapport de France Stratégie ! Lisez-le ! Pardon, mais non, c’est faux ! L’investissement a augmenté de 4 % en un an, selon l’INSEE. Notre débat sera serein dès lors qu’il se fondera sur des chiffres réels, authentiques : dans notre pays, depuis un an, l’investissement des entreprises a augmenté, la création d’emplois industriels a augmenté et le chômage a baissé. Je ne m’enorgueillis pas de ces résultats ; je les constate simplement et je dis qu’ils s’expliquent aussi par les choix qui ont été faits en matière de politique économique. Ces choix sont les vôtres, mesdames et messieurs les députés de la majorité, et ils ont été les bons ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
En ce qui concerne le comportement des entreprises, vous avez raison, monsieur Roussel : je reconnais bien volontiers qu’il y a toujours un mouton noir dont l’attitude est inacceptable et que je continuerai à dénoncer. Voilà quelques jours, au téléphone, j’ai dit très librement et directement au président de Ford Europe ma manière de penser, et je le redirai au président de Ford monde lorsqu’il aura le courage d’échanger avec moi. Il doit trembler ! Nous n’acceptons pas les décisions de cette entreprise, nous ne les comprenons pas. Nous continuerons à nous battre pour que Ford change d’avis et, tout simplement, revienne à la raison. Avec quel levier ? La proposition de Punch, sur laquelle nous travaillons depuis des mois, est bonne et solide. Les salariés ont eu le courage d’accepter des baisses de salaires, des suppressions de RTT, des conditions de travail plus difficiles, parce qu’ils ont préféré le maintien de l’emploi, pour eux et pour leurs camarades, au chèque que Ford leur proposait ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.) Permettez-moi de saluer leur dignité face à la lâcheté et à l’irresponsabilité de Ford. Ford, marque connue de tous, est tout simplement en train d’entacher sa crédibilité, sa réputation, faute d’avoir la lucidité d’accepter la proposition industrielle de Punch. Nous avons des moyens pour répondre à Ford et nous les emploierons pour, je l’espère, l’amener à revenir sur sa décision,… Très bien ! …de la même manière que je me suis battu pour Ascoval, afin que l’usine reste ouverte.
Permettez-moi de discuter à nouveau avec vous de cet autre dossier : ce qui nous a demandé le plus de temps, pour que l’offre de reprise d’Ascoval par Altifort soit viable, c’est tout simplement de trouver les 180 millions d’investissements nécessaires afin de moderniser l’aciérie et ainsi de faire fonctionner la tréfilerie. Oui, entre l’industrie et le capital, le lien est étroit, vous le savez parfaitement, et alléger la fiscalité sur le capital, c’est permettre la réindustrialisation de notre pays.
Enfin, s’agissant de la fiscalité internationale, je continuerai à me battre en faveur de la taxe européenne, car ce serait l’honneur de l’Europe de cesser d’être faible avec les forts et forte avec les faibles. C’est exactement ce que fait le Gouvernement ! Moi, j’aimerais que l’Europe ait le courage d’assumer des décisions fiscales courageuses. Quatre États restent encore à convaincre. J’ose espérer que, d’ici au mois de mars, avec mon collègue allemand Olaf Scholz, nous réussirons à convaincre nos partenaires européens d’adopter à l’unanimité une juste taxation des géants du numérique. Il n’y a pas qu’eux ! D’autres entreprises sont concernées ! En tout état de cause, une taxe nationale sur le chiffre d’affaires des géants du numérique sera instaurée, plus large que la taxe européenne, et elle s’appliquera à compter du 1er janvier 2019 pour que tout le chiffre d’affaires de 2019 soit taxé.
Quant à la taxation minimale, je pense que nous nous sommes mal compris : il ne s’agit pas d’aller récupérer l’argent qui se trouverait sur les îles Caïmans ou ailleurs. Nous avions cru que ce serait enfin le cas ! Il s’agit simplement de s’assurer que, quel que soit l’endroit où les multinationales installent leur siège social et concentrent leurs résultats, leur niveau d’imposition ne soit plus systématiquement inférieur à celui auquel elles sont soumises en France. Il s’agit non pas d’aller chercher l’argent dans les paradis fiscaux mais de prévoir des dispositifs d’imposition minimale. Telle est bien notre préoccupation première pour le G7 finances de l’année prochaine, sous présidence française. Nous voulons une imposition minimale, quel que soit l’endroit où les multinationales installent leur siège social, pour toutes les multinationales de France, afin qu’elles n’échappent pas à l’impôt auquel les autres entreprises – PME, TPE, commerçants – sont, elles, soumises. La justice fiscale, c’est aussi la garantie de la cohésion de notre société. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Sur la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Éric Coquerel. Monsieur Le Maire, comme j’aimerais que vous eussiez raison ! Une autre politique que celle appliquée depuis dix ans serait donc possible – je présume que vous incluez dans cette période le temps que vous avez passé comme directeur de cabinet de M. de Villepin, puis comme ministre de l’agriculture, sous les gouvernements Sarkozy. Quoi qu’il en soit, cela signifierait que vous mettriez mis fin à la politique de l’offre. Or vous continuez sur cette voie.
Ce matin, le Premier ministre a déclaré dans Les Échos que le travail coûte toujours trop cher, or, c’est, que cela reste d’actualité, comme on l’entend dans notre pays depuis dix ans. Depuis vingt ans ! Le travail coûterait trop cher ! C’est oublier que ce qui coûte trop cher, en fait, c’est le capital ! Vous ne faites qu’une chose : poursuivre la politique dont notre pays et les Français souffrent – ils se sont précisément révoltés pour cela – et même l’aggraver fortement, à un degré inédit dans ce pays. Mais c’est bien la même logique politique qui vous anime.
S’agissant de Ford, vous réitérez vos explications : la meilleure manière de favoriser l’investissement, c’est d’alléger la fiscalité du capital. Il y a un an, quand je vous ai demandé comment vous pourriez assurer que la fiscalité du capital servirait l’investissement, vous m’avez répondu que c’était du bon sens. Eh bien, Ford vous a donné l’exemple de ce qu’est le bon sens selon la logique du capital financiarisé.
Le groupe de La France insoumise soutient la motion de renvoi en commission déposée par le groupe GDR en raison de son contenu, certes, mais pas seulement. Il se confirme que notre démocratie n’est vraiment pas parlementaire : je suis très étonné que nous puissions réexaminer aussi vite le projet de budget, en évitant le débat qui s’imposait compte tenu des moments historiques que nous venons de connaître et qui, je l’espère, se poursuivront.
Dans ce projet de budget, par exemple, il aurait convenu de ne pas déclarer irrecevables les amendements de l’opposition visant à gager le rétablissement de la taxe carbone à son niveau de l’année dernière par le rétablissement de l’ISF, la suppression de la flat tax et d’autres dispositifs. Nous ne pouvons même pas les présenter ! C’est l’entonnoir législatif ! Il a bon dos, l’entonnoir, lorsqu’il s’agit d’éviter le débat de fond ! Diminuer la taxe carbone, cela signifie-t-il que les déficits publics seront creusés, qu’il faudra diminuer les dépenses publiques ou, au contraire… Je vous remercie, mon cher collègue. …rétablir et augmenter l’ISF ? Vous nous privez de ce débat essentiel… Nous aurons l’occasion d’y revenir. J’y reviendrai, oui. Dans l’immédiat, le groupe FI votera pour la motion de renvoi en commission. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne. Monsieur le ministre, vous avez dit, tout à l’heure, que le travail ne paie pas assez et que c’est aussi un problème européen ; nous sommes d’accord. Vous avez dit qu’il faut répondre aux souffrances qui ont été exprimées ces dernières semaines ; nous sommes d’accord. Vous voulez conjuguer justice et compétitivité ; nous sommes d’accord. C’est donc bien la répartition des richesses qui, aujourd’hui, est en cause. Le Maire est communiste ! Nous devons précisément revenir en commission pour corriger ces injustices criantes : suppression de l’ISF, flat tax, manque de progressivité de l’impôt, double CICE, évasion fiscale – je pense qu’il y a malheureusement plus d’un mouton noir, monsieur le ministre.
Il faut des recettes nouvelles, pas seulement des réductions de dépenses qui mettent à mal nos services publics, amplifient la fracture territoriale et le sentiment d’abandon qui en découle, comme les gilets jaunes le dénoncent.
Pour toutes ces raisons, le groupe GDR estime qu’il faut retourner en commission et prendre en compte nos propositions, qui, admettez-le, ont retrouvé beaucoup de crédibilité ces dernières semaines, comme en témoignent les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) Bravo ! La parole est à M. Charles de Courson. Les arguments de notre collègue Roussel sont, comment dire, quelque peu excessifs. Le groupe Libertés et territoires votera néanmoins en faveur de cette motion, pour une toute autre raison. Ah ! Nous ne savons toujours pas comment s’articulent le projet de loi de finances que nous sommes en train d’examiner et la future proposition de loi que le conseil des ministres adoptera mercredi – date à laquelle l’examen du premier ne sera toujours pas terminé. Eh oui ! Un renvoi en commission me semble donc plus prudent : avant d’ajuster ce PLF et de l’adopter en nouvelle lecture, on pourra en savoir un peu plus et disposer de l’autre projet de loi. Voilà pourquoi un renvoi en commission serait sage ! La parole est à Mme Amélie de Montchalin. Monsieur Roussel, je vous ai écouté attentivement, si attentivement que je vous ai interrompu et que je vous prie de bien vouloir m’en excuser.
Vous dites que nous tournons autour du pot. Est-ce tourner autour du pot que de geler les tarifs de l’électricité et de faire baisser les tarifs du gaz de 2 % au 1er janvier prochain ? Est-ce tourner autour du pot que d’apporter 500 euros supplémentaires par an à tous les salariés qui travailleront deux heures supplémentaires par semaine, en défiscalisant, en réduisant les charges sur ces heures ? Mesure que vous avez toujours combattue ! Est-ce tourner autour du pot que de proposer aux entreprises qui le peuvent de verser une prime de fin d’année de 1 000 euros sans charges ni impôts ? Est-ce tourner autour du pot que de permettre à 1,2 million de familles d’avoir plus d’argent pour boucler leurs fins de mois grâce à la prime d’activité, et de verser à tous les salariés qui n’ont que le SMIC pour vivre 100 euros de plus sur leur compte en banque en janvier ? Est-ce tourner autour du pot que de reconduire la prime de Noël ? Et la désindexation des retraites ? Est-ce tourner autour du pot que d’avoir voté dans le PLFSS l’augmentation de 20 % de ce que les salariés des TPE et des PME touchent au titre de l’intéressement et de la participation ? Merci les gilets jaunes ! Vous avez aussi évoqué l’enseignement supérieur. Est-ce tourner autour du pot que d’avoir supprimé la cotisation à la mutuelle étudiante au profit d’une cotisation de seulement 90 euros ? Est-ce tourner autour du pot que d’avoir ajouté 800 millions d’euros de crédits, en 2019, pour les universités et la recherche ?
Est-ce tourner autour du pot que d’avoir voté l’amendement sur l’abus de droit de notre collègue Bénédicte Peyrol, qui permet enfin de s’attaquer à l’optimisation fiscale d’une manière agressive ? Est-ce tourner autour du pot que de baisser de 6 milliards d’euros les impôts sur les ménages, notamment avec la baisse de la taxe d’habitation ? Pour les plus riches ! Non, je ne crois pas que la taxe d’habitation concerne les plus riches, monsieur Roussel ; elle concerne au contraire les 80 % de ménages qui ne sont pas parmi les plus riches.
Nous, élus de la majorité, reconnaissons avec beaucoup d’humilité… Je n’ai pas perçu beaucoup d’humilité dans vos propos ! …que nous devons aller plus vite. Nous devons faire en sorte que le travail paie beaucoup mieux, nous devons réduire encore plus la fracture territoriale et surtout mieux associer les Français à ces choix.
Monsieur Roussel, si ce texte n’est pas renvoyé en commission, nous nous attacherons à résoudre un problème qui vous tient particulièrement à cœur : la revitalisation du bassin minier. Il y a quelques minutes, notre rapporteur général nous a informés qu’il donnerait un avis favorable à votre amendement sur ce sujet, et je peux vous dire que nous voterons volontiers des dispositions favorables à la relance d’une région qui vous tient à cœur et qui a bien besoin d’être redynamisée. C’est du chantage ! (Sourires.) C’est pourquoi le groupe LaREM ne votera pas pour la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.) La parole est à Mme Lise Magnier. Pourquoi voter pour la motion de renvoi en commission ? Tout simplement parce que personne n’a vraiment de visibilité sur ce budget. Personne ne semble savoir à quel niveau exact nous allons atterrir, ni en termes de dépenses, ni en termes de recettes, ni en termes de déficit public, ni en termes de dette pour l’année 2019. Elle a raison ! Madame de Montchalin, vous venez d’égrener toute une série de mesures nouvelles, mais nous ne savons pas combien elles vont coûter ni comment vous allez les financer. Ils ne le savent pas eux-mêmes ! C’est l’avenir de la France qui est en jeu. Le Président de la République dit lui-même que « la dette, c’est de l’impôt au carré ». Or notre responsabilité est de ne pas faire reposer sur les générations futures le poids de nos décisions et de nos erreurs. C’est vrai. Nous devons disposer de suffisamment de temps pour analyser les amendements gouvernementaux, qui vont sensiblement modifier ce projet de loi de finances, et pour intégrer le fameux projet de loi d’urgence sociale et économique, actuellement en préparation.
Je le répète, nos débats et nos votes doivent être éclairés, nous le devons aux Français. C’est pourquoi le groupe UDI, Agir et indépendants votera pour la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir et LT.) Bravo ! Très bien ! La parole est à Mme Valérie Rabault. J’aimerais revenir sur quatre des points abordés par notre collègue Fabien Roussel.
S’agissant d’abord de Ford, en vertu de l’article 1er de la loi visant à reconquérir l’économie réelle, l’entreprise Ford est tenue « d’examiner les offres de reprise » et « d’apporter une réponse motivée à chacune des offres de reprise reçues ». Vous vous êtes contenté d’un communiqué de presse, monsieur le ministre, alors que vous devriez faire appliquer la loi, exiger que cet article 1er soit appliqué. Je vous ai déjà écrit au sujet d’Alstom et de General Electric le 14 juin, et vous ne m’avez pas répondu. À l’époque non plus, vous n’avez pas fait appliquer la loi, puisque vous pouviez demander 50 000 euros pour tout emploi non créé. C’est un engagement que l’État a signé et que vous n’avez pas tenu.
Ma deuxième remarque porte sur le lien que vous établissez entre industrie et capital. Si je reconnais volontiers, comme vous, qu’il existe un lien entre industrie et capital, ce que je note, c’est que l’argent de l’ISF n’a pas servi à financer les PME. En êtes-vous sûre ? Avez-vous des chiffres ? Oui. Le seul placement qui a énormément augmenté au cours de l’année 2018, c’est l’assurance-vie. Or celle-ci est investie essentiellement dans des titres d’État et des grandes entreprises, non dans les PME. Le lien entre industrie et capital, que vous soulignez, ne s’est donc pas concrétisé en 2018, bien au contraire, notamment parce que les 500 millions de l’ISF-PME ont disparu du financement des PME.
S’agissant, troisièmement, de la taxe sur les GAFA – les géants du numérique –, nous vous soutenons évidemment sur le principe. Le problème, c’est que cette taxe, pour l’heure, ne figure pas dans votre projet de loi de finances – mais peut-être déposerez-vous un amendement en ce sens tout à l’heure. Nous sommes prêts à vous soutenir sur le principe, je le répète, mais encore faudrait-il que nous sachions ce que vous prévoyez.
Enfin, notre collègue Fabien Roussel a soulevé la question des inégalités. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un pacte républicain, ce qui implique le consentement à l’impôt et le sentiment qu’il existe une justice sociale.
Le groupe Socialistes et apparentés votera donc pour la motion de renvoi en commission. Excellent ! La parole est à M. Jean-Noël Barrot. Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés votera contre le renvoi en commission, non seulement parce que, comme le dirait Charles de Courson, une telle motion ne sert à rien, mais aussi parce que nous considérons que nous ne pouvons plus attendre. Il est urgent de discuter des mesures de financement mais aussi des mesures de justice fiscale. Nous vous ferons un certain nombre de propositions en ce sens, par exemple la taxation des géants du numérique, la retenue à la source sur les dividendes pour les non-résidents ou encore l’instauration d’un taux plancher d’impôt sur les sociétés. Ce sont autant de réponses aux aspirations fortes qui se sont exprimées depuis un certain nombre de semaines. Nous voterons contre la motion et attendons avec impatience de pouvoir débattre. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes MODEM et LaREM.) Je mets aux voix la motion de renvoi en commission. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 68
Nombre de suffrages exprimés 65
Majorité absolue 33
Pour l’adoption 16
Contre 49 (La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)
La parole est à M. Fabien Roussel. Permettez-moi tout d’abord de revenir sur le scandale de Ford Blanquefort, parce que c’est aussi dans l’actualité et en lien avec l’utilisation de l’argent public. « Trahison » : monsieur le ministre, vous avez lâché le mot et il est bien choisi pour décrire la scandaleuse décision du groupe américain. À la veille de Noël, 850 personnes privées d’emplois ! Vous êtes révolté, écœuré ? Nous aussi !
Oui, mais une fois qu’on a dit cela, que fait-on ? Combien de temps supporterons-nous encore de tels camouflets ? Combien de temps tolérerons-nous que les grands groupes mondiaux empochent des millions d’euros d’aides publiques – pour le groupe Ford, cela s’élève à 45 millions d’euros ces dernières années, dont 8 millions au titre du CICE – tout en refusant de vous répondre et même de vous prendre au téléphone ? Cette désinvolture n’a que trop duré, car il y a Ford, mais il y a aussi General Electric, qui promet à la France de créer 1 000 emplois avant d’en détruire des centaines puis de renoncer avec cynisme à ses engagements initiaux. Il y a aussi Carrefour, qui engrange 134 millions d’euros au titre du CICE en 2016 – montant donné par les syndicats et jamais contesté par la direction –, avant de mettre en œuvre le plan de destruction de l’emploi que l’on connaît.
Oui, ils sont nombreux ceux qui se moquent ouvertement de l’État sans jamais subir de sanction. Alors, monsieur le ministre, allez au bout de votre colère légitime. Jeudi, vous avez déclaré que vous étiez écœuré par le choix de Ford, qui ne se justifie que par « sa décision de faire monter son cours en bourse ». Nous vous proposons une solution : remettre à l’ordre du jour la proposition de loi contre les licenciements boursiers que les députés communistes ont déposée en 2012. Exigez aussi le remboursement de toutes les aides versées en pure perte aux grands groupes qui délocalisent. Ce seraient autant de recettes nouvelles pour notre budget.
Vous avez fait de la maîtrise du déficit budgétaire l’alpha et l’oméga de votre politique, vous venez de le rappeler ici. Mais où est la logique quand on lâche dans la nature 40 milliards d’euros de CICE sans le moindre fléchage, sans la moindre exigence de résultat pour notre économie, pour l’emploi, alors que des services publics sont en tension, comme nos hôpitaux ?
Vous voyez bien, avec Ford et General Electric, que les promesses n’engagent que ceux qui les croient. L’argent public versé à ces grands assistés de la République ruisselle en fait dans le portefeuille des actionnaires. Voilà pourquoi il faut remettre à plat votre politique fiscale. Les gilets jaunes aujourd’hui et les syndicats avant eux ne demandent rien d’autre, et c’est pourquoi nous demandons le renvoi en commission de ce budget injuste pour la majorité de nos concitoyens – mais pas pour une minorité d’entre eux. Et pourtant, malgré ce qui monte dans le pays, en nouvelle lecture, dans le projet de loi de finances, il n’y a toujours rien pour augmenter les recettes.
Il n’y a rien sur l’impôt de solidarité sur la fortune, devenu pour vous un véritable totem auquel il serait sacrilège de toucher. C’est pourtant un des moyens de faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État, au nom de la solidarité, l’un des piliers de notre République. Nous demandons son rétablissement depuis des mois, et nous sommes tellement satisfaits de voir que cette demande est enfin reprise par une majorité des Français – mais pas par la majorité de cette assemblée. Vous ne touchez pas à l’ISF alors qu’en 2017, les 358 700 redevables à cet impôt affichaient un patrimoine de 1 028 milliards d’euros ! Vous croyez vraiment qu’ils sont à 3 milliards ou 5 milliards d’euros près ? En revanche, pour le budget de l’État, c’est un sacré trou dans le tapis : 5 milliards d’euros manquants, c’est 40 % du budget total de l’enseignement supérieur. C’est pourtant aux étudiants étrangers de payer des frais d’inscription en hausse pour compenser des trous dans leur budget, et c’est pour cela que nos étudiants manifestent aussi.
Il n’y a rien non plus, en nouvelle lecture, dans votre projet de loi de finances, pour rétablir une fiscalité plus juste sur le capital. Vous nous parlez tous les jours du coût du travail, ça, on l’a bien compris. Mais on a compris aussi que votre grande priorité, c’est alléger la fiscalité du capital. Et voilà le résultat : selon l’INSEE, en 2018, l’industrie française continue de perdre des parts de marché et des emplois, avec 2 600 emplois supprimés au cours des six premiers mois de l’année. Ce n’est pas ce que le ministre nous a dit ! Mais ce sont les chiffres de l’INSEE.
Quant aux déclarations d’investissements directs étrangers en capital, recensées par la Banque de France, elles atteignent, depuis le 1er janvier 2018, 34,6 milliards d’euros, soit l’équivalent de 2015, rien de plus, en dépit de toutes vos aides. Quel est l’effet du CICE, de la flat tax, de l’exonération de la taxe sur les dividendes, de la suppression de l’ISF ? Ceux qui cherchent du travail attendent toujours et ceux qui le perdent crient leur colère.
En revanche, sans surprise, la France reste la championne du monde de la distribution des dividendes. Nos barons du CAC 40 en sont tellement friands qu’ils en ont distribué 46,8 milliards en 2017, soit 48 % de leurs résultats en moyenne. Record du monde !
Vous avez refusé d’élargir l’assiette de la taxe sur les transactions financières ; vous avez mis en place la flat tax qui réduit les impôts de ceux qui tirent leurs revenus de la spéculation.
Quant à la niche Copé, si chère à la droite de cet hémicycle, vous avez certes accepté de ne pas l’amplifier pour les actionnaires – fort bien puisqu’on récupère ainsi 300 millions d’euros – mais elle coûte encore 7 milliards d’euros aux finances publiques en 2018 ! C’est une belle somme qui profite à une minorité, alors que nous pourrions immédiatement en faire bénéficier nos hôpitaux, nos EHPAD – établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes –, nos pompiers, ou encore pour la justice de proximité, bref, toutes les filières et les professions qui sont en colère par la faute de vos réformes.
Vous avez l’obsession de réduire la dépense publique – on l’a encore entendu aujourd’hui –, mais pas celle d’augmenter les recettes, alors qu’il était encore temps de corriger le tir en nouvelle lecture du PLF.
Il y a pourtant beaucoup d’argent à aller chercher, ailleurs que dans le porte-monnaie des salariés et des retraités, de nos services publics, de nos collectivités.
Je dirai un mot au sujet de l’évasion fiscale, qui a été remise à l’ordre du jour par le Président de la République. Elle coûte à notre budget entre 80 milliards et 100 milliards d’euros chaque année. Si cette somme entrait dans les caisses, nous serions à l’équilibre, avouez que ça changerait la donne ! Or que proposez-vous ?
Vous proposez de taxer les multinationales dont le siège serait basé dans les paradis fiscaux. Vous êtes sérieux ? C’est ce que vous voulez faire ? Mais votre proposition serait crédible si votre liste des paradis fiscaux l’était elle-même ! Or vous proposez de taxer les multinationales dont le siège se trouve sur Niue, Nauru, Guam ou les îles Palaos. Cela n’a pas de sens ! Pourquoi ne trouve-t-on pas, dans la liste des paradis fiscaux, la Suisse, le Luxembourg, l’Irlande ni les Pays-Bas ? C’est là que se trouvent les bénéfices des multinationales qui échappent à l’impôt !
Soyons sérieux et concrets sur ces questions ! Donnons-nous vraiment les moyens de récupérer cet argent qui nous est dû ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.) Quand vous aurez la parole, vous pourrez vous exprimer, mes chers collègues.
Recrutons des agents à la DGFIP – la direction générale des finances publiques –, par exemple, pour faire face aux enjeux, bien au-delà de votre modeste police fiscale, alimentée par des transferts d’effectifs ! Soyons aussi sévères envers les délinquants en cols blancs qu’envers ceux qui braquent les banques – nous n’en sommes pas là, car aucun col blanc n’est en prison, excepté Carlos Ghosn, et ce sont les Japonais qui l’y ont mis !
Les multinationales doivent payer leurs impôts là où elles réalisent leur activité et non dans les paradis fiscaux. C’est en vertu de ce principe simple, juste et compréhensible par tous que nous vous proposons de mettre en place, comme on sait le faire pour les citoyens, le prélèvement à la source des bénéfices des multinationales qui ont leur siège à l’extérieur de notre pays et pour certaines d’entre elles dans des paradis fiscaux notoires, dont certains sont membres de l’Union européenne. C’est tout à fait possible, monsieur le ministre. Renseignez-vous : ce système existe déjà aux États-Unis, en Allemagne, au Canada – on ne peut pas dire que ce soient des économies administrées ! La proposition de loi que nous vous soumettrons s’appuie sur les travaux d’économistes, de chercheurs et d’experts selon lesquels la France peut parfaitement mener seule une telle réforme, montrant la voie aux autres pays européens. Ne soyons pas timides sur ce sujet. Ne vous arrêtez pas au GAFA, comme vous le proposez, avec l’ambition de faire rentrer quelques millions d’euros alors que la fraude se compte en dizaine de milliards d’euros. Soyons fermes sur ce sujet et n’attendons pas un improbable feu vert de cette Union Européenne si libérale. Après tout, ni l’Irlande ni les Pays-Bas n’ont attendu le moindre feu vert pour pratiquer un dumping fiscal dévastateur pour nous. Voilà où se trouve l’argent qui pourrait rentrer dans les caisses de l’État.
Les Français souffrent de l’austérité qu’on leur impose depuis des années, dictée par des traités européens qu’ils n’ont pas votés. Oui, les Français ont du mal à boucler leurs fins de mois, à faire face à toutes ces factures qui s’envolent, celles du gaz, de l’électricité, des mutuelles. Ils n’arrivent plus à vivre dignement de leur travail, et ce ne sont pas les mesurettes en trompe-l’œil annoncées par le Président de la République qui vont durablement régler le problème du pouvoir d’achat.
Encore une fois, ce que vous donnez d’une main, vous le reprenez de l’autre. Votre vraie fausse augmentation du SMIC par le biais de la prime d’activité, financée sur le budget de l’État, donc par nous, est une véritable escroquerie. Au nom du dogme de l’abaissement du coût du travail, vous écartez d’emblée toute contribution des employeurs et vous leur envoyez le signal qu’ils n’ont pas besoin d’augmenter les salaires puisque l’État s’en chargera à leur place. Vous faites donc toujours supporter l’effort sur les mêmes et vous tirez les salaires par le bas. Pourquoi en effet le PDG de Carrefour, par exemple, augmenterait-il les salaires de ses caissières payées au SMIC si l’État le fait à sa place ? Pour cette raison, le salaire de nombreux salariés plafonnera au SMIC, et pendant longtemps ! Tout à fait ! C’est donc une mesure très injuste que vous proposez de mettre en place. En plus, les salariés qui toucheront la prime ne cotiseront pas sur cette somme pour leur retraite, la sécurité sociale, le chômage : c’est la double peine.
Au lieu de cela, monsieur le ministre, nous vous proposons d’ouvrir des négociations entre patronat et syndicats pour une hausse générale des salaires, dans le public comme dans le privé. Une hausse des salaires de 1 %, ce sont 2 milliards d’euros qui entrent dans les caisses de la sécu.
Monsieur le ministre, « un pays riche ne peut pas avoir de travailleurs pauvres ». Cette phrase n’est pas moi ; elle est de Pedro Sanchez, le Premier ministre espagnol. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR et SOC.) Prenez exemple sur l’Espagne ! La hausse de 22,3 % du SMIC va permettre à la sécurité sociale espagnole d’engranger 1,5 milliard d’euros supplémentaires, c’est la vérité ! Cessons d’envisager les hausses de salaires uniquement comme un coût : plus d’argent pour les salariés, c’est bon pour la croissance, c’est bon pour l’emploi et c’est bon pour le financement de la sécurité sociale. Vous voulez que le SMIC français s’aligne sur le SMIC espagnol ? On aura compris que je ne demande pas notre alignement sur le SMIC espagnol, bien inférieur au nôtre, mais notre alignement sur le taux de progression du SMIC espagnol, car nous en avons bien besoin ! (Exclamations sur les bancs du groupe LaREM.)
Arrêtons le bricolage ! Les salariés ne veulent pas aller tous les trimestres à la CAF – la caisse d’allocations familiales – pour toucher un complément de salaire, ils ne veulent pas être des assistés ; ils veulent de véritables hausses de salaires, pérennes, pour vivre dignement de leur travail, cotiser à la sécurité sociale, payer des impôts, bref pour participer pleinement à la vie de la nation.
De même – et nous sommes là au cœur du PLF –, il y a des mesures urgentes à prendre pour baisser le coût de la vie de nos concitoyens tout en répondant à l’urgence climatique, à l’heure ou la COP 24 est loin de répondre à ce défi. Mettez en place un plan d’urgence pour la rénovation des logements qui sont de véritables passoires thermiques, avec l’objectif de rénover 500 000 logements par an ! C’est quand même autrement ambitieux qu’un chèque énergie ! Très bien ! Accordez une baisse de TVA sur les factures EDF et GDF,… Cela fait bien longtemps que GDF n’existe plus ! …dont les tarifs n’arrêtent pas de flamber ! Mettez en place un plan ambitieux pour les transports collectifs publics en donnant plus de moyens aux régions et autres collectivités qui aimeraient assurer la gratuité des transports, au moins pendant les pics de pollution – Lille a enregistré soixante jours de pics de pollution en 2018 !
En nouvelle lecture, nous aurions aimé débattre sur un projet de loi de finances exceptionnel, qui réponde aux défis climatiques tout en redonnant du pouvoir d’achat aux Français. Arrêtez de tourner autour du pot ! Prenez conscience de l’ampleur de la crise sociale et écologique, et renvoyez le PLF en commission pour que nous apportions tous ensemble les vraies réponses aux besoins que les Français expriment depuis des semaines ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.) La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances. Je sens, dans cet hémicycle, une furieuse envie de revenir en arrière, comme si, à la faveur de cette crise, tout d’un coup, on trouvait de la vertu aux solutions qui, depuis dix ans, auraient dû réduire la dette et la dépense publique… Vous l’augmentez encore ! …amélioré la situation des Français, augmenté le pouvoir d’achat, créé des emplois, des emplois industriels, rétabli la santé des entreprises et réindustrialisé le pays ! Pour prendre une référence qui vous ira droit au cœur, monsieur Roussel, « les faits sont têtus ». Depuis dix ans, ce que nous avons essayé de faire, collectivement, n’a pas marché. Depuis deux ans, cela ne marche pas mieux ! L’augmentation systématique de la dette publique – laquelle, je le rappelle, a augmenté de plus de 30 points entre 2008 et 2017, passant de 64 à 94 % – n’a pas non plus marché, je le dis aussi pour Mme Rabault. Et ce que vous faites, ça marche ? L’augmentation systématique de la dépense publique, quand on expliquait que l’argent serait redistribué avant même que des richesses aient été créées et que cela irait mieux pour les Français, cela n’a pas marché non plus, cela n’a pas réglé le problème du chômage,… La situation commençait à s’améliorer. …première raison de la persistance de la pauvreté dans notre pays.
La politique qui a été conduite depuis dix, quinze ou vingt ans n’a pas empêché la destruction d’1 million d’emplois industriels dans notre pays ni la fermeture de cent usines par an ! Notre échec est là ! (Applaudissements sur quelques bancs groupe LaREM.) Ne comptez donc pas sur nous pour revenir à des solutions qui ont échoué et ont mis la France dans la situation où nous l’avons trouvée en 2017. Vous n’êtes pas toutefois obligés de faire pire ! La solution n’est pas là. Soyez plus imaginatifs, plus créatifs pour essayer de trouver des solutions !
Par ailleurs, restons-en aux faits : vous prétendez, monsieur Roussel, que des milliers d’emplois industriels ont été détruits depuis un an, mais c’est faux ! Ce n’est pas L’Humanité qui le dit, c’est l’INSEE ! Ce sont 4 300 emplois industriels qui ont été créés en France depuis un an. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Je ne dis pas que c’est suffisant ; je dis simplement que, depuis un an, pour la première fois depuis dix ans, nous recréons des emplois industriels. Merci Hollande ! Vous nous dites que le taux de chômage reste très élevé. Certes, je suis d’accord avec vous, mais il n’empêche qu’il a baissé de 0,5 point depuis un an. Je ne dis pas que c’est suffisant ; je dis simplement qu’un fil, encore ténu, mérite d’être tiré. Sa solidité repose sur la compétitivité des entreprises, sur des produits de meilleure qualité, sur l’innovation, sur l’investissement, sur le suramortissement pour robotiser et digitaliser nos entreprises, pour réindustrialiser vraiment notre pays. Je crois profondément à cette politique, la seule, je crois, qui permettra à la France de sortir de l’ornière dans laquelle elle se trouve depuis des années. Je pense que nous partageons tous, ici, la volonté de réindustrialiser le pays. Cela n’empêche pas Ford de fermer une usine ! Néanmoins, reconnaissons-le humblement : si nous ne sommes pas capables d’avoir des entreprises industrielles disposant d’un capital suffisamment important pour investir et innover, nous n’y arriverons pas.
Valérie Rabault, vous dites : « ISF ! ISF ! ISF ! Il faut impérativement rétablir l’ISF ! » Mais enfin ! Si l’ISF avait permis d’éradiquer la pauvreté dans notre pays, de réduire le nombre de chômeurs et de diminuer la dette, cela se saurait ! Et vous y arriverez en le supprimant ? En matière de fiscalité du capital, nous préférons une politique qui permette à nos entreprises de disposer des capitaux dont elles ont besoin pour investir, innover, se moderniser, fabriquer des produits de meilleure qualité… L’argent va à l’assurance-vie, vous le savez bien ! …et gagner des parts de marché à l’extérieur. Une évaluation nous permettra sereinement de voir si cela fonctionne vraiment et d’examiner ce qui nous permet d’obtenir des résultats.
Vous affirmez, Valérie Rabault, que l’investissement décline dans notre pays. C’est ce qui est écrit dans le rapport de France Stratégie ! Lisez-le ! Pardon, mais non, c’est faux ! L’investissement a augmenté de 4 % en un an, selon l’INSEE. Notre débat sera serein dès lors qu’il se fondera sur des chiffres réels, authentiques : dans notre pays, depuis un an, l’investissement des entreprises a augmenté, la création d’emplois industriels a augmenté et le chômage a baissé. Je ne m’enorgueillis pas de ces résultats ; je les constate simplement et je dis qu’ils s’expliquent aussi par les choix qui ont été faits en matière de politique économique. Ces choix sont les vôtres, mesdames et messieurs les députés de la majorité, et ils ont été les bons ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
En ce qui concerne le comportement des entreprises, vous avez raison, monsieur Roussel : je reconnais bien volontiers qu’il y a toujours un mouton noir dont l’attitude est inacceptable et que je continuerai à dénoncer. Voilà quelques jours, au téléphone, j’ai dit très librement et directement au président de Ford Europe ma manière de penser, et je le redirai au président de Ford monde lorsqu’il aura le courage d’échanger avec moi. Il doit trembler ! Nous n’acceptons pas les décisions de cette entreprise, nous ne les comprenons pas. Nous continuerons à nous battre pour que Ford change d’avis et, tout simplement, revienne à la raison. Avec quel levier ? La proposition de Punch, sur laquelle nous travaillons depuis des mois, est bonne et solide. Les salariés ont eu le courage d’accepter des baisses de salaires, des suppressions de RTT, des conditions de travail plus difficiles, parce qu’ils ont préféré le maintien de l’emploi, pour eux et pour leurs camarades, au chèque que Ford leur proposait ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.) Permettez-moi de saluer leur dignité face à la lâcheté et à l’irresponsabilité de Ford. Ford, marque connue de tous, est tout simplement en train d’entacher sa crédibilité, sa réputation, faute d’avoir la lucidité d’accepter la proposition industrielle de Punch. Nous avons des moyens pour répondre à Ford et nous les emploierons pour, je l’espère, l’amener à revenir sur sa décision,… Très bien ! …de la même manière que je me suis battu pour Ascoval, afin que l’usine reste ouverte.
Permettez-moi de discuter à nouveau avec vous de cet autre dossier : ce qui nous a demandé le plus de temps, pour que l’offre de reprise d’Ascoval par Altifort soit viable, c’est tout simplement de trouver les 180 millions d’investissements nécessaires afin de moderniser l’aciérie et ainsi de faire fonctionner la tréfilerie. Oui, entre l’industrie et le capital, le lien est étroit, vous le savez parfaitement, et alléger la fiscalité sur le capital, c’est permettre la réindustrialisation de notre pays.
Enfin, s’agissant de la fiscalité internationale, je continuerai à me battre en faveur de la taxe européenne, car ce serait l’honneur de l’Europe de cesser d’être faible avec les forts et forte avec les faibles. C’est exactement ce que fait le Gouvernement ! Moi, j’aimerais que l’Europe ait le courage d’assumer des décisions fiscales courageuses. Quatre États restent encore à convaincre. J’ose espérer que, d’ici au mois de mars, avec mon collègue allemand Olaf Scholz, nous réussirons à convaincre nos partenaires européens d’adopter à l’unanimité une juste taxation des géants du numérique. Il n’y a pas qu’eux ! D’autres entreprises sont concernées ! En tout état de cause, une taxe nationale sur le chiffre d’affaires des géants du numérique sera instaurée, plus large que la taxe européenne, et elle s’appliquera à compter du 1er janvier 2019 pour que tout le chiffre d’affaires de 2019 soit taxé.
Quant à la taxation minimale, je pense que nous nous sommes mal compris : il ne s’agit pas d’aller récupérer l’argent qui se trouverait sur les îles Caïmans ou ailleurs. Nous avions cru que ce serait enfin le cas ! Il s’agit simplement de s’assurer que, quel que soit l’endroit où les multinationales installent leur siège social et concentrent leurs résultats, leur niveau d’imposition ne soit plus systématiquement inférieur à celui auquel elles sont soumises en France. Il s’agit non pas d’aller chercher l’argent dans les paradis fiscaux mais de prévoir des dispositifs d’imposition minimale. Telle est bien notre préoccupation première pour le G7 finances de l’année prochaine, sous présidence française. Nous voulons une imposition minimale, quel que soit l’endroit où les multinationales installent leur siège social, pour toutes les multinationales de France, afin qu’elles n’échappent pas à l’impôt auquel les autres entreprises – PME, TPE, commerçants – sont, elles, soumises. La justice fiscale, c’est aussi la garantie de la cohésion de notre société. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Sur la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Dans les explications de vote sur la motion de renvoi en commission, la parole est à M. Éric Coquerel. Monsieur Le Maire, comme j’aimerais que vous eussiez raison ! Une autre politique que celle appliquée depuis dix ans serait donc possible – je présume que vous incluez dans cette période le temps que vous avez passé comme directeur de cabinet de M. de Villepin, puis comme ministre de l’agriculture, sous les gouvernements Sarkozy. Quoi qu’il en soit, cela signifierait que vous mettriez mis fin à la politique de l’offre. Or vous continuez sur cette voie.
Ce matin, le Premier ministre a déclaré dans Les Échos que le travail coûte toujours trop cher, or, c’est, que cela reste d’actualité, comme on l’entend dans notre pays depuis dix ans. Depuis vingt ans ! Le travail coûterait trop cher ! C’est oublier que ce qui coûte trop cher, en fait, c’est le capital ! Vous ne faites qu’une chose : poursuivre la politique dont notre pays et les Français souffrent – ils se sont précisément révoltés pour cela – et même l’aggraver fortement, à un degré inédit dans ce pays. Mais c’est bien la même logique politique qui vous anime.
S’agissant de Ford, vous réitérez vos explications : la meilleure manière de favoriser l’investissement, c’est d’alléger la fiscalité du capital. Il y a un an, quand je vous ai demandé comment vous pourriez assurer que la fiscalité du capital servirait l’investissement, vous m’avez répondu que c’était du bon sens. Eh bien, Ford vous a donné l’exemple de ce qu’est le bon sens selon la logique du capital financiarisé.
Le groupe de La France insoumise soutient la motion de renvoi en commission déposée par le groupe GDR en raison de son contenu, certes, mais pas seulement. Il se confirme que notre démocratie n’est vraiment pas parlementaire : je suis très étonné que nous puissions réexaminer aussi vite le projet de budget, en évitant le débat qui s’imposait compte tenu des moments historiques que nous venons de connaître et qui, je l’espère, se poursuivront.
Dans ce projet de budget, par exemple, il aurait convenu de ne pas déclarer irrecevables les amendements de l’opposition visant à gager le rétablissement de la taxe carbone à son niveau de l’année dernière par le rétablissement de l’ISF, la suppression de la flat tax et d’autres dispositifs. Nous ne pouvons même pas les présenter ! C’est l’entonnoir législatif ! Il a bon dos, l’entonnoir, lorsqu’il s’agit d’éviter le débat de fond ! Diminuer la taxe carbone, cela signifie-t-il que les déficits publics seront creusés, qu’il faudra diminuer les dépenses publiques ou, au contraire… Je vous remercie, mon cher collègue. …rétablir et augmenter l’ISF ? Vous nous privez de ce débat essentiel… Nous aurons l’occasion d’y revenir. J’y reviendrai, oui. Dans l’immédiat, le groupe FI votera pour la motion de renvoi en commission. La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne. Monsieur le ministre, vous avez dit, tout à l’heure, que le travail ne paie pas assez et que c’est aussi un problème européen ; nous sommes d’accord. Vous avez dit qu’il faut répondre aux souffrances qui ont été exprimées ces dernières semaines ; nous sommes d’accord. Vous voulez conjuguer justice et compétitivité ; nous sommes d’accord. C’est donc bien la répartition des richesses qui, aujourd’hui, est en cause. Le Maire est communiste ! Nous devons précisément revenir en commission pour corriger ces injustices criantes : suppression de l’ISF, flat tax, manque de progressivité de l’impôt, double CICE, évasion fiscale – je pense qu’il y a malheureusement plus d’un mouton noir, monsieur le ministre.
Il faut des recettes nouvelles, pas seulement des réductions de dépenses qui mettent à mal nos services publics, amplifient la fracture territoriale et le sentiment d’abandon qui en découle, comme les gilets jaunes le dénoncent.
Pour toutes ces raisons, le groupe GDR estime qu’il faut retourner en commission et prendre en compte nos propositions, qui, admettez-le, ont retrouvé beaucoup de crédibilité ces dernières semaines, comme en témoignent les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) Bravo ! La parole est à M. Charles de Courson. Les arguments de notre collègue Roussel sont, comment dire, quelque peu excessifs. Le groupe Libertés et territoires votera néanmoins en faveur de cette motion, pour une toute autre raison. Ah ! Nous ne savons toujours pas comment s’articulent le projet de loi de finances que nous sommes en train d’examiner et la future proposition de loi que le conseil des ministres adoptera mercredi – date à laquelle l’examen du premier ne sera toujours pas terminé. Eh oui ! Un renvoi en commission me semble donc plus prudent : avant d’ajuster ce PLF et de l’adopter en nouvelle lecture, on pourra en savoir un peu plus et disposer de l’autre projet de loi. Voilà pourquoi un renvoi en commission serait sage ! La parole est à Mme Amélie de Montchalin. Monsieur Roussel, je vous ai écouté attentivement, si attentivement que je vous ai interrompu et que je vous prie de bien vouloir m’en excuser.
Vous dites que nous tournons autour du pot. Est-ce tourner autour du pot que de geler les tarifs de l’électricité et de faire baisser les tarifs du gaz de 2 % au 1er janvier prochain ? Est-ce tourner autour du pot que d’apporter 500 euros supplémentaires par an à tous les salariés qui travailleront deux heures supplémentaires par semaine, en défiscalisant, en réduisant les charges sur ces heures ? Mesure que vous avez toujours combattue ! Est-ce tourner autour du pot que de proposer aux entreprises qui le peuvent de verser une prime de fin d’année de 1 000 euros sans charges ni impôts ? Est-ce tourner autour du pot que de permettre à 1,2 million de familles d’avoir plus d’argent pour boucler leurs fins de mois grâce à la prime d’activité, et de verser à tous les salariés qui n’ont que le SMIC pour vivre 100 euros de plus sur leur compte en banque en janvier ? Est-ce tourner autour du pot que de reconduire la prime de Noël ? Et la désindexation des retraites ? Est-ce tourner autour du pot que d’avoir voté dans le PLFSS l’augmentation de 20 % de ce que les salariés des TPE et des PME touchent au titre de l’intéressement et de la participation ? Merci les gilets jaunes ! Vous avez aussi évoqué l’enseignement supérieur. Est-ce tourner autour du pot que d’avoir supprimé la cotisation à la mutuelle étudiante au profit d’une cotisation de seulement 90 euros ? Est-ce tourner autour du pot que d’avoir ajouté 800 millions d’euros de crédits, en 2019, pour les universités et la recherche ?
Est-ce tourner autour du pot que d’avoir voté l’amendement sur l’abus de droit de notre collègue Bénédicte Peyrol, qui permet enfin de s’attaquer à l’optimisation fiscale d’une manière agressive ? Est-ce tourner autour du pot que de baisser de 6 milliards d’euros les impôts sur les ménages, notamment avec la baisse de la taxe d’habitation ? Pour les plus riches ! Non, je ne crois pas que la taxe d’habitation concerne les plus riches, monsieur Roussel ; elle concerne au contraire les 80 % de ménages qui ne sont pas parmi les plus riches.
Nous, élus de la majorité, reconnaissons avec beaucoup d’humilité… Je n’ai pas perçu beaucoup d’humilité dans vos propos ! …que nous devons aller plus vite. Nous devons faire en sorte que le travail paie beaucoup mieux, nous devons réduire encore plus la fracture territoriale et surtout mieux associer les Français à ces choix.
Monsieur Roussel, si ce texte n’est pas renvoyé en commission, nous nous attacherons à résoudre un problème qui vous tient particulièrement à cœur : la revitalisation du bassin minier. Il y a quelques minutes, notre rapporteur général nous a informés qu’il donnerait un avis favorable à votre amendement sur ce sujet, et je peux vous dire que nous voterons volontiers des dispositions favorables à la relance d’une région qui vous tient à cœur et qui a bien besoin d’être redynamisée. C’est du chantage ! (Sourires.) C’est pourquoi le groupe LaREM ne votera pas pour la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM et sur quelques bancs du groupe MODEM.) La parole est à Mme Lise Magnier. Pourquoi voter pour la motion de renvoi en commission ? Tout simplement parce que personne n’a vraiment de visibilité sur ce budget. Personne ne semble savoir à quel niveau exact nous allons atterrir, ni en termes de dépenses, ni en termes de recettes, ni en termes de déficit public, ni en termes de dette pour l’année 2019. Elle a raison ! Madame de Montchalin, vous venez d’égrener toute une série de mesures nouvelles, mais nous ne savons pas combien elles vont coûter ni comment vous allez les financer. Ils ne le savent pas eux-mêmes ! C’est l’avenir de la France qui est en jeu. Le Président de la République dit lui-même que « la dette, c’est de l’impôt au carré ». Or notre responsabilité est de ne pas faire reposer sur les générations futures le poids de nos décisions et de nos erreurs. C’est vrai. Nous devons disposer de suffisamment de temps pour analyser les amendements gouvernementaux, qui vont sensiblement modifier ce projet de loi de finances, et pour intégrer le fameux projet de loi d’urgence sociale et économique, actuellement en préparation.
Je le répète, nos débats et nos votes doivent être éclairés, nous le devons aux Français. C’est pourquoi le groupe UDI, Agir et indépendants votera pour la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI-Agir et LT.) Bravo ! Très bien ! La parole est à Mme Valérie Rabault. J’aimerais revenir sur quatre des points abordés par notre collègue Fabien Roussel.
S’agissant d’abord de Ford, en vertu de l’article 1er de la loi visant à reconquérir l’économie réelle, l’entreprise Ford est tenue « d’examiner les offres de reprise » et « d’apporter une réponse motivée à chacune des offres de reprise reçues ». Vous vous êtes contenté d’un communiqué de presse, monsieur le ministre, alors que vous devriez faire appliquer la loi, exiger que cet article 1er soit appliqué. Je vous ai déjà écrit au sujet d’Alstom et de General Electric le 14 juin, et vous ne m’avez pas répondu. À l’époque non plus, vous n’avez pas fait appliquer la loi, puisque vous pouviez demander 50 000 euros pour tout emploi non créé. C’est un engagement que l’État a signé et que vous n’avez pas tenu.
Ma deuxième remarque porte sur le lien que vous établissez entre industrie et capital. Si je reconnais volontiers, comme vous, qu’il existe un lien entre industrie et capital, ce que je note, c’est que l’argent de l’ISF n’a pas servi à financer les PME. En êtes-vous sûre ? Avez-vous des chiffres ? Oui. Le seul placement qui a énormément augmenté au cours de l’année 2018, c’est l’assurance-vie. Or celle-ci est investie essentiellement dans des titres d’État et des grandes entreprises, non dans les PME. Le lien entre industrie et capital, que vous soulignez, ne s’est donc pas concrétisé en 2018, bien au contraire, notamment parce que les 500 millions de l’ISF-PME ont disparu du financement des PME.
S’agissant, troisièmement, de la taxe sur les GAFA – les géants du numérique –, nous vous soutenons évidemment sur le principe. Le problème, c’est que cette taxe, pour l’heure, ne figure pas dans votre projet de loi de finances – mais peut-être déposerez-vous un amendement en ce sens tout à l’heure. Nous sommes prêts à vous soutenir sur le principe, je le répète, mais encore faudrait-il que nous sachions ce que vous prévoyez.
Enfin, notre collègue Fabien Roussel a soulevé la question des inégalités. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un pacte républicain, ce qui implique le consentement à l’impôt et le sentiment qu’il existe une justice sociale.
Le groupe Socialistes et apparentés votera donc pour la motion de renvoi en commission. Excellent ! La parole est à M. Jean-Noël Barrot. Le groupe du Mouvement démocrate et apparentés votera contre le renvoi en commission, non seulement parce que, comme le dirait Charles de Courson, une telle motion ne sert à rien, mais aussi parce que nous considérons que nous ne pouvons plus attendre. Il est urgent de discuter des mesures de financement mais aussi des mesures de justice fiscale. Nous vous ferons un certain nombre de propositions en ce sens, par exemple la taxation des géants du numérique, la retenue à la source sur les dividendes pour les non-résidents ou encore l’instauration d’un taux plancher d’impôt sur les sociétés. Ce sont autant de réponses aux aspirations fortes qui se sont exprimées depuis un certain nombre de semaines. Nous voterons contre la motion et attendons avec impatience de pouvoir débattre. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes MODEM et LaREM.) Je mets aux voix la motion de renvoi en commission. (Il est procédé au scrutin.) Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 68
Nombre de suffrages exprimés 65
Majorité absolue 33
Pour l’adoption 16
Contre 49 (La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)
La parole est à M. Fabien Roussel, pour un rappel au règlement.
Mon rappel se fonde sur l’article 58, alinéa 1er, relatif à l’organisation de nos débats.
Nous venons d’apprendre que des amendements déposés par plusieurs groupes de gauche, examinés en commission et relatifs à la justice fiscale, notamment au rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune, ont été déclarés irrecevables. Ces questions ne seront donc pas discutées en séance, alors même qu’elles sont mises à l’ordre du jour par le mouvement qui a lieu dans le pays, soutenu par 70 % de nos compatriotes. Nous devons avoir ce débat ! Il serait inadmissible et incompréhensible que les députés de la nation, qui représentent chacun des territoires, ne puissent pas s’exprimer sur ces amendements dans l’hémicycle. C’est de la censure ! Je pense notamment aux amendements relatifs au rétablissement de l’ISF, mais aussi à la question de la taxe sur les multinationales, que le ministre a évoquée, mais qui ne figurera pas dans le projet de loi de finances en nouvelle lecture, alors même que certains de nos amendements proposaient de l’introduire.
Nous demandons une suspension de séance, afin d’obtenir des éclaircissements sur les raisons qui rendent nos amendements irrecevables. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) La raison en est très simple, cher collègue : en nouvelle lecture, on focalise l’attention sur les articles qui n’ont pas donné lieu à un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Cela étant, la suspension étant de droit, elle aura lieu dès que tous les collègues souhaitant faire un rappel au règlement se seront exprimés.
La parole est à M. Éric Coquerel, pour un autre rappel au règlement. Mon rappel au règlement se fonde également sur l’article 58.
J’aimerais expliquer d’un mot la situation à ceux de nos collègues qui ne la connaissent pas. Les amendements qui, après avoir été examinés en commission, ont été déclarés irrecevables, ont un lien avec les articles du projet de budget. En effet, il existe plusieurs solutions pour contrebalancer l’annulation de l’augmentation de la taxe carbone. Ce que nous proposons, avec nos amendements, c’est d’aller chercher cet argent en rétablissant l’ISF. Ils n’ont que cela à la bouche ! On peut ne pas être d’accord avec cette option, mais il importe au moins d’en débattre. Cher collègue, un rappel au règlement n’est pas fait pour aborder le fond des sujets.
La parole est à Mme Christine Pires Beaune, pour un ultime rappel au règlement. Même article, même punition !
En commission des finances, nous avions déposé toute une série d’amendements. Vous nous avez alors dit, monsieur le rapporteur général, que nous pourrions les déposer en séance et que le débat aurait lieu à ce moment. Personnellement, je n’ai pas pris la parole en commission parce que je vous ai fait confiance, monsieur le président, et je constate aujourd’hui que nous n’aurons pas l’occasion de nous exprimer. Reconnaissez qu’on est bien mal parti pour se faire confiance et pour aller vite. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) Très bien ! La séance est suspendue. (La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.) La séance est reprise.
Nous venons d’apprendre que des amendements déposés par plusieurs groupes de gauche, examinés en commission et relatifs à la justice fiscale, notamment au rétablissement de l’impôt de solidarité sur la fortune, ont été déclarés irrecevables. Ces questions ne seront donc pas discutées en séance, alors même qu’elles sont mises à l’ordre du jour par le mouvement qui a lieu dans le pays, soutenu par 70 % de nos compatriotes. Nous devons avoir ce débat ! Il serait inadmissible et incompréhensible que les députés de la nation, qui représentent chacun des territoires, ne puissent pas s’exprimer sur ces amendements dans l’hémicycle. C’est de la censure ! Je pense notamment aux amendements relatifs au rétablissement de l’ISF, mais aussi à la question de la taxe sur les multinationales, que le ministre a évoquée, mais qui ne figurera pas dans le projet de loi de finances en nouvelle lecture, alors même que certains de nos amendements proposaient de l’introduire.
Nous demandons une suspension de séance, afin d’obtenir des éclaircissements sur les raisons qui rendent nos amendements irrecevables. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) La raison en est très simple, cher collègue : en nouvelle lecture, on focalise l’attention sur les articles qui n’ont pas donné lieu à un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Cela étant, la suspension étant de droit, elle aura lieu dès que tous les collègues souhaitant faire un rappel au règlement se seront exprimés.
La parole est à M. Éric Coquerel, pour un autre rappel au règlement. Mon rappel au règlement se fonde également sur l’article 58.
J’aimerais expliquer d’un mot la situation à ceux de nos collègues qui ne la connaissent pas. Les amendements qui, après avoir été examinés en commission, ont été déclarés irrecevables, ont un lien avec les articles du projet de budget. En effet, il existe plusieurs solutions pour contrebalancer l’annulation de l’augmentation de la taxe carbone. Ce que nous proposons, avec nos amendements, c’est d’aller chercher cet argent en rétablissant l’ISF. Ils n’ont que cela à la bouche ! On peut ne pas être d’accord avec cette option, mais il importe au moins d’en débattre. Cher collègue, un rappel au règlement n’est pas fait pour aborder le fond des sujets.
La parole est à Mme Christine Pires Beaune, pour un ultime rappel au règlement. Même article, même punition !
En commission des finances, nous avions déposé toute une série d’amendements. Vous nous avez alors dit, monsieur le rapporteur général, que nous pourrions les déposer en séance et que le débat aurait lieu à ce moment. Personnellement, je n’ai pas pris la parole en commission parce que je vous ai fait confiance, monsieur le président, et je constate aujourd’hui que nous n’aurons pas l’occasion de nous exprimer. Reconnaissez qu’on est bien mal parti pour se faire confiance et pour aller vite. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.) Très bien ! La séance est suspendue. (La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à dix-sept heures cinquante-cinq.) La séance est reprise.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Sabine Rubin.
Gageant que le rapport de force créé par les gilets jaunes serait de nature à renouer le dialogue, je voudrais vous soumettre un budget qui pourrait répondre à la double et légitime demande de ces derniers : la justice fiscale – ce n’est pas nécessairement moins d’impôt – et des services publics en nombre suffisant. Le présent texte ne répondant à aucune de ces deux exigences, je montrerai comment instaurer un budget d’un nouveau type.
Le vôtre s’obstine à appliquer le principe d’une politique fiscale allégée pour les plus riches, les entreprises du CAC 40 et leurs actionnaires, qui n’auront même pas à assumer la fameuse hausse de 100 euros annoncée. Il prive donc l’État de recettes importantes et, par conséquent, de services publics de qualité.
L’aumône de 100 euros accordée aux citoyens, par une augmentation déjà prévue de la prime d’activité et par la défiscalisation des heures supplémentaires, ne fera qu’empirer le mal, sans parler du non-respect de la règle des 3 %, si chère au Gouvernement. Nous ne savons pas comment vous parviendrez à résoudre cette équation.
On pourrait pourtant emprunter un autre chemin, qui permettrait de satisfaire cette double exigence citoyenne, tout en équilibrant le budget de la nation. Conjuguer une fiscalité plus juste et davantage de recettes est en effet possible.
Pour cela, il faut d’abord taxer le capital et la finance. Rétablir l’ISF et les droits de succession, supprimer la flat tax et taxer davantage les transactions financières, cela rapporterait 14,5 milliards. Avec ces recettes nouvelles, on pourrait financer une hausse du RSA – le revenu de solidarité active – et du minimum vieillesse à hauteur de plus de 1 000 euros, et rétablir le pouvoir d’achat des fonctionnaires en rattrapant le gel du point d’indice.
Outre la fiscalité sur le capital, la justice fiscale impose de rendre l’impôt sur le revenu plus progressif, en instaurant un barème de quatorze tranches, ce qui amènerait dans les caisses de l’État 10 milliards supplémentaires, avec lesquels on pourrait rénover nos universités, construire 15 000 logements étudiants et 200 000 logements publics, dès 2019.
Alors que les gilets jaunes protestent contre la vie chère, il est temps de taxer davantage les produits de luxe. Cela rapporterait 5 milliards, de quoi ouvrir 10 000 places en maisons de retraite ou 70 000 places en crèches, par exemple.
Enfin, on invoque un légitime souci écologique. Pourquoi ne pas abroger la niche fiscale sur le kérosène, ce qui permettrait de récupérer 3,5 milliards ?
Nous vous avons ainsi présenté un ensemble de mesures qui permettraient de récupérer 52 milliards.
Monsieur le ministre, à l’occasion de l’examen en nouvelle lecture du projet de budget 2019, vous auriez dû vous saisir de l’une ou l’autre de ces propositions. Malheureusement, vous n’en ferez rien. Certains des amendements présentés et refusés en commission n’ont d’ailleurs pas pu être déposés à nouveau en séance.
La justice fiscale réclamée à cor et à cri par le pays, je l’ai dit, ce n’est pas plus ou moins d’impôt : c’est un impôt mieux réparti, servant à financer des œuvres utiles à la collectivité et assurant la dignité et les droits sociaux de chacun. À l’inverse de ce que vous faites, il s’agit de graver dans le budget cette revendication de bon sens des gilets jaunes : que les gros paient gros et les petits, petit.
Mais ce mouvement, qui agrège et agite toutes les classes, ne se nourrit pas seulement de l’indignation fiscale. Il traduit aussi le sentiment d’impuissance dans lequel les citoyens se trouvent confinés, un sentiment que l’on peut parfois ressentir au sein de cet hémicycle. La revendication d’un référendum d’initiative citoyenne est le symptôme le plus manifeste d’une démocratie représentative ne représentant plus grand monde, sinon quelques fortunés. Dans l’histoire de France, rappelez-vous, mes chers collègues, l’exaspération fiscale a souvent été le point de départ de grandes conquêtes démocratiques. (M. Fabien Roussel applaudit.) La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne. La période que nous traversons est historique. Nous pouvons être fiers de notre pays, fiers qu’il reprenne de la sorte goût à la politique et à la chose publique. Nos débats dans cet hémicycle, surtout sur les sujets financiers, prennent bien souvent une tournure technique, technicienne – les nouveaux venus dans cette assemblée, dont je fais partie, l’auront très rapidement constaté.
Mais derrière ces atours techniques, complexes et a priori neutres, ce sont des choix politiques qu’on trouve !
Nous pouvons nous réjouir de voir notre pays reprendre en main la chose fiscale : quel modèle fiscal voulons-nous ? Comment financer l’action publique ? Comment garantir le bon fonctionnement des services publics sur tout le territoire ? Et, surtout, comment remettre la justice au cœur de notre système fiscal ?
Nous assistons bel et bien au retour fracassant du peuple dans nos débats budgétaires. Cela est salutaire, mes chers collègues. Les questions posées par le mouvement des gilets jaunes portent, au fond, sur les fondamentaux de toute société démocratique. L’impôt nous permet de nous organiser en tant que communauté de destin. Si la question de l’impôt et du consentement à l’acquitter est de nouveau posée dans notre pays, c’est bien que nos concitoyens ont atteint un point de non-retour, exprimant un sentiment d’injustice inégalé.
L’injustice, des inégalités qui s’accentuent encore, le sentiment d’un deux poids deux mesures et celui d’un État qui prend à ceux qui ont peu pour donner à ceux qui ont tout, voilà ce qui ressort des paroles prononcées sur les ronds-points et dans les cortèges des manifestants, et voilà ce qui explique le large soutien de la population à ce mouvement inédit. Pourtant, certains, ici, jusqu’au plus haut sommet de l’État, tentent de surfer sur la vague d’un prétendu ras-le-bol fiscal, matraquant l’opinion publique de leurs sempiternelles ficelles néolibérales, vieilles comme le vieux monde, et instrumentalisant le mouvement social afin de saper toujours davantage le rôle de la puissance publique.
Les formules chocs, on les connaît : la France est le pays champion du monde de la dépense publique ; la France est le pays champion d’Europe des prélèvements obligatoires ; la France est le pays qui frise les 100 % de dette publique, lesquels menacent l’avenir des générations futures.
Notre pays, mes chers collègues, a fait le choix d’un modèle social protecteur, accordant un soutien à celles et ceux qui rencontrent des difficultés, subissent des accidents de la vie ou quittent le monde du travail. Pour ma part, à aucun moment je n’ai entendu, ces derniers jours, des voix appelant au détricotage de ce modèle, bien au contraire. Nos concitoyens sont conscients que le modèle alternatif, celui du tout privé, du chacun pour soi, celui de la charité, celui des fonds de pension, celui des assureurs privés, leur coûtera. Ou il sera plus cher, ou il offrira moins de garanties, ou les deux à la fois !
Le cri de la colère que nous entendons, c’est celui de l’égalité, de l’égalité fiscale et de l’égalité territoriale. La hausse de la fiscalité sur les carburants a été la goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà très largement rempli. Il est difficile, pour nos concitoyens, de comprendre et d’accepter d’être prélevés à la pompe quand, dans le même temps, ils constatent, ils déplorent devrais-je dire, des inégalités qui flambent et des services publics locaux toujours plus rabougris. La fracture territoriale est malheureusement une réalité. L’Allier, mon département, comme de nombreux territoires en dehors des métropoles, en est aussi une victime !
Que l’on en soit ici tous conscients : à chaque fermeture de trésorerie, à chaque ligne de train supprimée, à chaque maternité fermée, à chaque bureau de poste qui disparaît, à chaque école amputée d’une classe, à chaque entreprise délocalisée, c’est le sentiment d’abandon qui prospère. Et quand on s’en prend autoritairement à celles et ceux qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser leur véhicule pour leur vie quotidienne, pour aller au travail, pour s’occuper de leurs enfants et, tout simplement, pour vivre, on met le doigt dans un dangereux engrenage qui nous mène là où nous sommes actuellement.
Le niveau des dépenses contraintes, dépenses incompressibles, dépenses obligatoires, a flambé en l’espace de quelques décennies. Elles représentaient 12 % du revenu disponible dans les années 1950 ; elles s’élèvent désormais à près de 30 %. Bien entendu, moins on est riche, plus le fardeau de ces dépenses de logement, d’électricité, de gaz, d’assurance ou d’essence, est lourd à porter. Ajouter une fiscalité punitive à ce panorama témoignait d’un manque de discernement évident et d’une déconnexion certaine des réalités quotidiennes vécues par nos concitoyens. Il aura fallu une mobilisation historique pour que l’exécutif et sa majorité daignent commencer à s’intéresser au sujet.
Toutefois, les questions de fond posées par cette mobilisation ne sont pas réglées par cette seule annulation des hausses de taxes des carburants. Mettre la poussière sous le tapis ou faire comme si rien ne s’était passé serait irresponsable. S’il y a bien un indicateur que nous devons avoir en tête au moment d’aborder la nouvelle lecture de ce projet de loi de finances pour 2019, c’est le suivant : en dix ans, au nom de la crise financière, au nom de la sacro-sainte compétitivité de l’économie française et au nom de l’Europe, l’accumulation des réformes fiscales s’est traduite par un transfert massif du poids de l’impôt sur les entreprises vers les ménages.
En clair, entre 2008 et aujourd’hui, les entreprises contribuent moins au financement de l’action publique : ce sont les ménages qui ont réglé la note. Nous n’avons eu de cesse de dénoncer cette dérive injuste, au plan social, et inefficace, au plan économique, compte tenu de la situation de l’emploi dans notre pays et de celle du pouvoir d’achat. Les chiffres publiés par la revue Alternatives économiques sont stupéfiants. Entre 2008 et 2017, en volume, les impôts des entreprises ont augmenté de 6,4 %, soit bien moins que le PIB. Pour les ménages, ce volume a progressé de 22 %, c’est-à-dire trois fois plus.
Or vous nous proposez d’aller encore plus vite et plus fort, avec la baisse de l’impôt sur les sociétés, le doublement du CICE en 2019, pour 40 milliards d’euros, et les baisses et autres suppressions de cotisations sociales patronales. Il n’est donc pas étonnant que le pacte social se fissure, se déchire même, surtout que, s’agissant des ménages, vos mesures ont plutôt, et c’est un euphémisme, tendance à bénéficier au petit nombre, aux privilégiés, aux fameux « premiers de cordée ».
Acculé, le dos au mur, le Président de la République a multiplié les mesures en trompe-l’œil dans son allocution de lundi dernier. Hausse du SMIC ? Non, revalorisation de la prime d’activité, car cette mesure ne doit pas coûter à l’entreprise : telle est votre condition sine qua non ! Et tant pis si l’on fait payer la mesure par les contribuables, tant pis si celle-ci vous oblige à construire une véritable usine à gaz.
La désocialisation et la défiscalisation des heures supplémentaires constituent, pour leur part, des resucées éculées en matière budgétaire et fiscale. On attendait plus innovant de la part du nouveau monde ! Pour les retraités, enfin, le correctif proposé était nécessaire. Attention, toutefois : dans cette affaire, deux fois un ne font pas deux. La prise en compte du revenu fiscal de référence pour le calcul du taux de CSG engendrera de nombreuses déceptions pour des couples de retraités percevant moins de 2000 euros de pension par mois.
Vient désormais le temps du financement de ces mesures : 10 milliards d’euros sont à trouver, 10 milliards qui manquent, en l’état, au budget qui nous est soumis aujourd’hui. Le principe de sincérité budgétaire attendra. Effectivement ! Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour financer ces mesures ? Il est l’heure de dévoiler vos cartes, sans quoi le débat qui nous réunit aujourd’hui n’aura aucun sens. Il est l’heure, également, d’écouter enfin les propositions que nous vous faisons et qui, si j’ai bien compris, ne pourront pas même être discutées ici : c’est une véritable forme de censure.
Rétablissez l’ISF : ce seront 3 milliards de trouvés et un signe fort adressé à celles et ceux qui réclament plus de justice fiscale ! Supprimez la flat tax sur les dividendes : 2 milliards en plus ! La moitié du chemin serait alors faite, monsieur le ministre. Revoyez la progressivité de l’impôt sur le revenu, ce qui impliquerait, il est vrai, de faire preuve de courage politique, en touchant au grisbi, afin de ne pas financer vos mesures par l’endettement.
Compte tenu de l’état du pays et de ses besoins, ne pas toucher aux 40 milliards du CICE est une pure folie. Vous avez mis des digues autour de ce « pognon de dingue » : 40 milliards, c’est l’équivalent du budget de la défense ou des intérêts de la dette ! Revenez sur ce cumul et soutenez l’amendement que nous vous proposons. Vous passeriez plus sereinement les fêtes de fin d’année. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC.) La parole est à M. Charles de Courson. Pour le groupe Libertés et territoires, qu’est-ce qu’un bon budget ? C’est très simple. C’est un budget qui répond à quatre critères : il doit respecter nos engagements européens, favoriser la transition énergétique, être économiquement efficace et socialement juste.
Premier critère : ce projet de budget respecte-t-il nos engagements européens ? Ceux-ci nous demandent un effort de réduction de nos déficits publics structurels de 0,5 point par an, c’est-à-dire, sur les deux années 2018 et 2019, les deux seules dont vous soyez totalement responsable, monsieur le ministre, de 1 point, qu’il serait éventuellement possible de ramener, après dérogation, à 0,7 point.
Où en sommes-nous ? Il est seulement de 0,1 point en 2018 et, avant les nouvelles mesures, vous envisagiez 0,2 pour 2019. Pour les deux années, nous atteignions donc, avant les mesures nouvelles, 0,3 point, alors qu’il fallait réaliser, au minimum, 0,7 point, et même mieux, 1 point. Quant à l’endettement public, il continue d’augmenter en pourcentage du PIB, moins rapidement, certes. Vous serez, je pense, le ministre sous lequel la dette atteindra les 100 % du PIB.
Si nous tenons compte des mesures nouvelles, où en sera le taux du déficit public ? Vous nous assurez qu’il atteindra 3,2 % : des 10 milliards, qui représentent à peu près 0,5 point, vous déduisez en effet 3,5 milliards à 4 milliards de recettes nouvelles. 4 milliards ! Le Premier ministre, dans Les Échos , a évoqué une fourchette comprise entre 3,5 et 4 milliards. Ils proviennent, pour 2,5 milliards, d’une augmentation de recettes, issue notamment de l’impôt sur les sociétés, des taxes GAFA – dont on attend le contenu avec impatience – et d’une révision de la niche Copé, pour 200 millions d’euros. En revanche, du 1 à 1,5 milliard d’économies, on ignore tout : nous sommes donc impatients sur ce point car vous n’en avez rien dit dans votre intervention, monsieur le ministre.
Tout cela se solderait par un déficit de 3,2 %. Vous avez toutefois oublié que la situation économique, tant en France qu’à l’étranger, se dégrade, non seulement de manière ponctuelle – de l’ordre de 0,1 point selon vos estimations – à la fin de l’année 2018, mais également pour 2019. La Banque de France elle-même estime que la croissance atteindra 1,5 point à la fin de l’année 2018 et qu’il en sera de même l’année prochaine – certains prévoient même 1,3 –, alors que vous aviez prévu deux fois 1,7. Si vous ajoutez l’impact sur nos recettes d’une moindre croissance, le déficit atteindra 3,4 points avec, non plus une réduction, mais une augmentation du déficit structurel.
Deuxième critère : ce budget est-il économiquement efficace ? Il serait, paraît-il, favorable aux entreprises puisqu’il se traduirait par 18,8 milliards supplémentaires en leur faveur. C’est tout à fait inexact, car vous intégrez, pour atteindre cette somme, les 20 milliards du basculement du CICE en exonérations de charge, opération qui n’aura aucune incidence sur le résultat des entreprises puisque la baisse des charges a déjà été comptabilisée dans leurs comptes de 2018. En 2019, il s’agira donc, pour elles, d’une simple opération de trésorerie, et l’on dit d’ailleurs que vous envisageriez d’en revoir le montant à la baisse : on évoque entre 2 et 3 milliards, mais vous n’en avez rien dit dans votre propos liminaire.
Sur les 4 milliards d’économies, 2,5 milliards proviennent déjà, je l’ai dit, d’impôts supplémentaires sur les entreprises, somme qu’il faut donc ajouter à celle qui résulte de la différence entre 18,8 milliards et 20 milliards, soit 1,2 milliard. De plus, à en croire l’interview du Premier ministre dans Les Échos , de 1 à 1,5 milliard d’euros d’économies pourraient être réalisées via la fiscalité qui pèse sur les entreprises, si bien que l’on se dirige, en 2019, vers une aggravation de leurs charges fiscales et sociales et vers une réduction des aides dont elles bénéficient.
Troisième critère : la transition énergétique. Avec le mouvement des gilets jaunes, nos concitoyens ont clairement exprimé un ras-le-bol fiscal, d’autant que la hausse massive, initialement prévue, de la fiscalité énergétique frappait davantage les familles modestes, chez lesquelles la part des dépenses énergétiques est beaucoup plus importante que chez les familles les plus aisées. Une transition écologique, pesant proportionnellement davantage sur le pouvoir d’achat des familles modestes, fait courir le risque d’un rejet populaire. C’est ce qui s’est passé avec les gilets jaunes.
Face à la mobilisation des gilets jaunes, vous avez reculé et annoncé la suppression de la hausse des taxes sur les carburants, pour un coût de 3,9 milliards d’euros en 2019. Je constate que cette suppression est valable pour les trois années à venir car, en commission des finances, votre majorité a accepté le maintien de dispositions votées par le Sénat. J’espère que vous resterez sur cette position, monsieur le ministre, puisque les Français le demandent. En commission des finances, certains membres de la majorité ont rappelé que ce qu’une loi de finances faisait, une autre loi de finances pouvait le défaire. Nous attendons donc vos éclaircissements sur ce sujet.
Troisième critère : la justice sociale. Vous présentiez ce projet de loi de finances comme celui de l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages. Vous avez donc annoncé la défiscalisation des heures supplémentaires, ainsi que leur « désocialisation » – j’ai horreur de ce terme, qui revêt pour moi un tout autre sens. Vous revenez ainsi à ce qui avait été fait du temps du président Sarkozy, ce qui est d’ailleurs assez savoureux. Monsieur le ministre, vous connaissez très bien l’Ancien Testament, ainsi que cette célèbre phrase : « Brûle ce que tu as adoré. » Vous faites l’inverse : vous adorez ce que vous avez brûlé. C’est tout à fait original, mais à tout pêcheur miséricorde ! (Sourires.)
J’en viens à l’annulation de la hausse de 1,7 point de CSG en 2019 pour quelque 3 millions de retraités. Je veux ouvrir les yeux de certains collègues en posant une question : cette mesure est-elle juste ? Nullement, car elle va accroître le pouvoir d’achat de 3 millions de retraités qui ne sont pas les plus pauvres ! Les plus pauvres bénéficient du minimum vieillesse, allocation qui sera d’ailleurs revalorisée de 4,2 %. Mais les personnes qui ne la perçoivent pas tout en n’étant pas assez riches pour bénéficier de l’annulation de la hausse de 1,7 point de CSG verront uniquement leur pension revalorisée de 0,3 % ! Revalorisation désindexée de l’inflation ! Autrement dit, elles perdront 1,2, 1,3 ou 1,4 % de pouvoir d’achat. Eh oui ! Paradoxalement, votre mesure concerne 3 millions de personnes qui constituent, au fond, les classes moyennes. Le tiers supérieur des retraités continue de perdre du pouvoir d’achat, de même que les plus modestes, à l’exception des bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, qui ne représentent pas 10 % des 13,5 millions de retraités. Cela nous paraît absolument injuste.
Comme nous sommes des gens positifs, nous avons proposé au Président de la République quatre mesures. Deux d’entre elles ont été retenues – pour l’une, sous la pression populaire. Vous vous souvenez que j’avais proposé ici même d’annuler toute hausse de la fiscalité énergétique. C’est fait : dont acte. J’avais également proposé d’exonérer d’impôt sur le revenu les heures supplémentaires. Vous l’avez accepté, en ajoutant une petite condition qui est le plafond de 5 000 euros – c’est tout à fait juste, car cela empêche les salariés aux revenus très supérieurs, comme les golden boys, de se faire attribuer des dizaines de milliers d’euros de primes exceptionnelles. Sur ces deux points, nous sommes d’accord. Il reste nos deux autres propositions.
Nous appelons de nos vœux une revalorisation des petites retraites, afin de maintenir le pouvoir d’achat des personnes dont les revenus mensuels se situent entre le minimum vieillesse, lequel sera donc revalorisé de 4,2 %, et 1 000 ou 1 100 euros. Votre annulation de la hausse de 1,7 point de CSG n’est donc pas la réponse adaptée. Elle ne sera d’ailleurs effective qu’au mois de juillet : les retraités qui en bénéficieront ne se verront pas rembourser les sommes prélevées entre janvier et juin. Rendez-vous compte de l’effet psychologique d’une telle mesure ! C’est le bazar ! Il en est de même pour les salaires modestes – j’y viens, puisque je vais évoquer la fameuse affaire des 100 euros. Monsieur le ministre, il va y avoir beaucoup de déception dans ce pays. Tout le monde avait compris que ces 100 euros bénéficieraient à tous ceux qui gagnent le SMIC – en tout cas, c’est ce qu’ont retenu ceux qui ne connaissent pas trop les arcanes de l’État. Ils sont bien naïfs ! Ils n’ont pas compris ! La revalorisation automatique du SMIC – de 1,5 %, d’après les dernières informations – représente 17 ou 18 euros. Cela ne fait donc plus que 80 euros ! Cette revalorisation automatique doit être déduite des 100 euros : il reste donc 82 euros. Or le Gouvernement entend passer par une hausse de la prime d’activité, qui est accordée en fonction des revenus du foyer et non du seul salaire : seuls 55 % de ceux qui gagnent le SMIC ou un peu plus vont donc en bénéficier.
Le vôtre s’obstine à appliquer le principe d’une politique fiscale allégée pour les plus riches, les entreprises du CAC 40 et leurs actionnaires, qui n’auront même pas à assumer la fameuse hausse de 100 euros annoncée. Il prive donc l’État de recettes importantes et, par conséquent, de services publics de qualité.
L’aumône de 100 euros accordée aux citoyens, par une augmentation déjà prévue de la prime d’activité et par la défiscalisation des heures supplémentaires, ne fera qu’empirer le mal, sans parler du non-respect de la règle des 3 %, si chère au Gouvernement. Nous ne savons pas comment vous parviendrez à résoudre cette équation.
On pourrait pourtant emprunter un autre chemin, qui permettrait de satisfaire cette double exigence citoyenne, tout en équilibrant le budget de la nation. Conjuguer une fiscalité plus juste et davantage de recettes est en effet possible.
Pour cela, il faut d’abord taxer le capital et la finance. Rétablir l’ISF et les droits de succession, supprimer la flat tax et taxer davantage les transactions financières, cela rapporterait 14,5 milliards. Avec ces recettes nouvelles, on pourrait financer une hausse du RSA – le revenu de solidarité active – et du minimum vieillesse à hauteur de plus de 1 000 euros, et rétablir le pouvoir d’achat des fonctionnaires en rattrapant le gel du point d’indice.
Outre la fiscalité sur le capital, la justice fiscale impose de rendre l’impôt sur le revenu plus progressif, en instaurant un barème de quatorze tranches, ce qui amènerait dans les caisses de l’État 10 milliards supplémentaires, avec lesquels on pourrait rénover nos universités, construire 15 000 logements étudiants et 200 000 logements publics, dès 2019.
Alors que les gilets jaunes protestent contre la vie chère, il est temps de taxer davantage les produits de luxe. Cela rapporterait 5 milliards, de quoi ouvrir 10 000 places en maisons de retraite ou 70 000 places en crèches, par exemple.
Enfin, on invoque un légitime souci écologique. Pourquoi ne pas abroger la niche fiscale sur le kérosène, ce qui permettrait de récupérer 3,5 milliards ?
Nous vous avons ainsi présenté un ensemble de mesures qui permettraient de récupérer 52 milliards.
Monsieur le ministre, à l’occasion de l’examen en nouvelle lecture du projet de budget 2019, vous auriez dû vous saisir de l’une ou l’autre de ces propositions. Malheureusement, vous n’en ferez rien. Certains des amendements présentés et refusés en commission n’ont d’ailleurs pas pu être déposés à nouveau en séance.
La justice fiscale réclamée à cor et à cri par le pays, je l’ai dit, ce n’est pas plus ou moins d’impôt : c’est un impôt mieux réparti, servant à financer des œuvres utiles à la collectivité et assurant la dignité et les droits sociaux de chacun. À l’inverse de ce que vous faites, il s’agit de graver dans le budget cette revendication de bon sens des gilets jaunes : que les gros paient gros et les petits, petit.
Mais ce mouvement, qui agrège et agite toutes les classes, ne se nourrit pas seulement de l’indignation fiscale. Il traduit aussi le sentiment d’impuissance dans lequel les citoyens se trouvent confinés, un sentiment que l’on peut parfois ressentir au sein de cet hémicycle. La revendication d’un référendum d’initiative citoyenne est le symptôme le plus manifeste d’une démocratie représentative ne représentant plus grand monde, sinon quelques fortunés. Dans l’histoire de France, rappelez-vous, mes chers collègues, l’exaspération fiscale a souvent été le point de départ de grandes conquêtes démocratiques. (M. Fabien Roussel applaudit.) La parole est à M. Jean-Paul Dufrègne. La période que nous traversons est historique. Nous pouvons être fiers de notre pays, fiers qu’il reprenne de la sorte goût à la politique et à la chose publique. Nos débats dans cet hémicycle, surtout sur les sujets financiers, prennent bien souvent une tournure technique, technicienne – les nouveaux venus dans cette assemblée, dont je fais partie, l’auront très rapidement constaté.
Mais derrière ces atours techniques, complexes et a priori neutres, ce sont des choix politiques qu’on trouve !
Nous pouvons nous réjouir de voir notre pays reprendre en main la chose fiscale : quel modèle fiscal voulons-nous ? Comment financer l’action publique ? Comment garantir le bon fonctionnement des services publics sur tout le territoire ? Et, surtout, comment remettre la justice au cœur de notre système fiscal ?
Nous assistons bel et bien au retour fracassant du peuple dans nos débats budgétaires. Cela est salutaire, mes chers collègues. Les questions posées par le mouvement des gilets jaunes portent, au fond, sur les fondamentaux de toute société démocratique. L’impôt nous permet de nous organiser en tant que communauté de destin. Si la question de l’impôt et du consentement à l’acquitter est de nouveau posée dans notre pays, c’est bien que nos concitoyens ont atteint un point de non-retour, exprimant un sentiment d’injustice inégalé.
L’injustice, des inégalités qui s’accentuent encore, le sentiment d’un deux poids deux mesures et celui d’un État qui prend à ceux qui ont peu pour donner à ceux qui ont tout, voilà ce qui ressort des paroles prononcées sur les ronds-points et dans les cortèges des manifestants, et voilà ce qui explique le large soutien de la population à ce mouvement inédit. Pourtant, certains, ici, jusqu’au plus haut sommet de l’État, tentent de surfer sur la vague d’un prétendu ras-le-bol fiscal, matraquant l’opinion publique de leurs sempiternelles ficelles néolibérales, vieilles comme le vieux monde, et instrumentalisant le mouvement social afin de saper toujours davantage le rôle de la puissance publique.
Les formules chocs, on les connaît : la France est le pays champion du monde de la dépense publique ; la France est le pays champion d’Europe des prélèvements obligatoires ; la France est le pays qui frise les 100 % de dette publique, lesquels menacent l’avenir des générations futures.
Notre pays, mes chers collègues, a fait le choix d’un modèle social protecteur, accordant un soutien à celles et ceux qui rencontrent des difficultés, subissent des accidents de la vie ou quittent le monde du travail. Pour ma part, à aucun moment je n’ai entendu, ces derniers jours, des voix appelant au détricotage de ce modèle, bien au contraire. Nos concitoyens sont conscients que le modèle alternatif, celui du tout privé, du chacun pour soi, celui de la charité, celui des fonds de pension, celui des assureurs privés, leur coûtera. Ou il sera plus cher, ou il offrira moins de garanties, ou les deux à la fois !
Le cri de la colère que nous entendons, c’est celui de l’égalité, de l’égalité fiscale et de l’égalité territoriale. La hausse de la fiscalité sur les carburants a été la goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà très largement rempli. Il est difficile, pour nos concitoyens, de comprendre et d’accepter d’être prélevés à la pompe quand, dans le même temps, ils constatent, ils déplorent devrais-je dire, des inégalités qui flambent et des services publics locaux toujours plus rabougris. La fracture territoriale est malheureusement une réalité. L’Allier, mon département, comme de nombreux territoires en dehors des métropoles, en est aussi une victime !
Que l’on en soit ici tous conscients : à chaque fermeture de trésorerie, à chaque ligne de train supprimée, à chaque maternité fermée, à chaque bureau de poste qui disparaît, à chaque école amputée d’une classe, à chaque entreprise délocalisée, c’est le sentiment d’abandon qui prospère. Et quand on s’en prend autoritairement à celles et ceux qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser leur véhicule pour leur vie quotidienne, pour aller au travail, pour s’occuper de leurs enfants et, tout simplement, pour vivre, on met le doigt dans un dangereux engrenage qui nous mène là où nous sommes actuellement.
Le niveau des dépenses contraintes, dépenses incompressibles, dépenses obligatoires, a flambé en l’espace de quelques décennies. Elles représentaient 12 % du revenu disponible dans les années 1950 ; elles s’élèvent désormais à près de 30 %. Bien entendu, moins on est riche, plus le fardeau de ces dépenses de logement, d’électricité, de gaz, d’assurance ou d’essence, est lourd à porter. Ajouter une fiscalité punitive à ce panorama témoignait d’un manque de discernement évident et d’une déconnexion certaine des réalités quotidiennes vécues par nos concitoyens. Il aura fallu une mobilisation historique pour que l’exécutif et sa majorité daignent commencer à s’intéresser au sujet.
Toutefois, les questions de fond posées par cette mobilisation ne sont pas réglées par cette seule annulation des hausses de taxes des carburants. Mettre la poussière sous le tapis ou faire comme si rien ne s’était passé serait irresponsable. S’il y a bien un indicateur que nous devons avoir en tête au moment d’aborder la nouvelle lecture de ce projet de loi de finances pour 2019, c’est le suivant : en dix ans, au nom de la crise financière, au nom de la sacro-sainte compétitivité de l’économie française et au nom de l’Europe, l’accumulation des réformes fiscales s’est traduite par un transfert massif du poids de l’impôt sur les entreprises vers les ménages.
En clair, entre 2008 et aujourd’hui, les entreprises contribuent moins au financement de l’action publique : ce sont les ménages qui ont réglé la note. Nous n’avons eu de cesse de dénoncer cette dérive injuste, au plan social, et inefficace, au plan économique, compte tenu de la situation de l’emploi dans notre pays et de celle du pouvoir d’achat. Les chiffres publiés par la revue Alternatives économiques sont stupéfiants. Entre 2008 et 2017, en volume, les impôts des entreprises ont augmenté de 6,4 %, soit bien moins que le PIB. Pour les ménages, ce volume a progressé de 22 %, c’est-à-dire trois fois plus.
Or vous nous proposez d’aller encore plus vite et plus fort, avec la baisse de l’impôt sur les sociétés, le doublement du CICE en 2019, pour 40 milliards d’euros, et les baisses et autres suppressions de cotisations sociales patronales. Il n’est donc pas étonnant que le pacte social se fissure, se déchire même, surtout que, s’agissant des ménages, vos mesures ont plutôt, et c’est un euphémisme, tendance à bénéficier au petit nombre, aux privilégiés, aux fameux « premiers de cordée ».
Acculé, le dos au mur, le Président de la République a multiplié les mesures en trompe-l’œil dans son allocution de lundi dernier. Hausse du SMIC ? Non, revalorisation de la prime d’activité, car cette mesure ne doit pas coûter à l’entreprise : telle est votre condition sine qua non ! Et tant pis si l’on fait payer la mesure par les contribuables, tant pis si celle-ci vous oblige à construire une véritable usine à gaz.
La désocialisation et la défiscalisation des heures supplémentaires constituent, pour leur part, des resucées éculées en matière budgétaire et fiscale. On attendait plus innovant de la part du nouveau monde ! Pour les retraités, enfin, le correctif proposé était nécessaire. Attention, toutefois : dans cette affaire, deux fois un ne font pas deux. La prise en compte du revenu fiscal de référence pour le calcul du taux de CSG engendrera de nombreuses déceptions pour des couples de retraités percevant moins de 2000 euros de pension par mois.
Vient désormais le temps du financement de ces mesures : 10 milliards d’euros sont à trouver, 10 milliards qui manquent, en l’état, au budget qui nous est soumis aujourd’hui. Le principe de sincérité budgétaire attendra. Effectivement ! Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour financer ces mesures ? Il est l’heure de dévoiler vos cartes, sans quoi le débat qui nous réunit aujourd’hui n’aura aucun sens. Il est l’heure, également, d’écouter enfin les propositions que nous vous faisons et qui, si j’ai bien compris, ne pourront pas même être discutées ici : c’est une véritable forme de censure.
Rétablissez l’ISF : ce seront 3 milliards de trouvés et un signe fort adressé à celles et ceux qui réclament plus de justice fiscale ! Supprimez la flat tax sur les dividendes : 2 milliards en plus ! La moitié du chemin serait alors faite, monsieur le ministre. Revoyez la progressivité de l’impôt sur le revenu, ce qui impliquerait, il est vrai, de faire preuve de courage politique, en touchant au grisbi, afin de ne pas financer vos mesures par l’endettement.
Compte tenu de l’état du pays et de ses besoins, ne pas toucher aux 40 milliards du CICE est une pure folie. Vous avez mis des digues autour de ce « pognon de dingue » : 40 milliards, c’est l’équivalent du budget de la défense ou des intérêts de la dette ! Revenez sur ce cumul et soutenez l’amendement que nous vous proposons. Vous passeriez plus sereinement les fêtes de fin d’année. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC.) La parole est à M. Charles de Courson. Pour le groupe Libertés et territoires, qu’est-ce qu’un bon budget ? C’est très simple. C’est un budget qui répond à quatre critères : il doit respecter nos engagements européens, favoriser la transition énergétique, être économiquement efficace et socialement juste.
Premier critère : ce projet de budget respecte-t-il nos engagements européens ? Ceux-ci nous demandent un effort de réduction de nos déficits publics structurels de 0,5 point par an, c’est-à-dire, sur les deux années 2018 et 2019, les deux seules dont vous soyez totalement responsable, monsieur le ministre, de 1 point, qu’il serait éventuellement possible de ramener, après dérogation, à 0,7 point.
Où en sommes-nous ? Il est seulement de 0,1 point en 2018 et, avant les nouvelles mesures, vous envisagiez 0,2 pour 2019. Pour les deux années, nous atteignions donc, avant les mesures nouvelles, 0,3 point, alors qu’il fallait réaliser, au minimum, 0,7 point, et même mieux, 1 point. Quant à l’endettement public, il continue d’augmenter en pourcentage du PIB, moins rapidement, certes. Vous serez, je pense, le ministre sous lequel la dette atteindra les 100 % du PIB.
Si nous tenons compte des mesures nouvelles, où en sera le taux du déficit public ? Vous nous assurez qu’il atteindra 3,2 % : des 10 milliards, qui représentent à peu près 0,5 point, vous déduisez en effet 3,5 milliards à 4 milliards de recettes nouvelles. 4 milliards ! Le Premier ministre, dans Les Échos , a évoqué une fourchette comprise entre 3,5 et 4 milliards. Ils proviennent, pour 2,5 milliards, d’une augmentation de recettes, issue notamment de l’impôt sur les sociétés, des taxes GAFA – dont on attend le contenu avec impatience – et d’une révision de la niche Copé, pour 200 millions d’euros. En revanche, du 1 à 1,5 milliard d’économies, on ignore tout : nous sommes donc impatients sur ce point car vous n’en avez rien dit dans votre intervention, monsieur le ministre.
Tout cela se solderait par un déficit de 3,2 %. Vous avez toutefois oublié que la situation économique, tant en France qu’à l’étranger, se dégrade, non seulement de manière ponctuelle – de l’ordre de 0,1 point selon vos estimations – à la fin de l’année 2018, mais également pour 2019. La Banque de France elle-même estime que la croissance atteindra 1,5 point à la fin de l’année 2018 et qu’il en sera de même l’année prochaine – certains prévoient même 1,3 –, alors que vous aviez prévu deux fois 1,7. Si vous ajoutez l’impact sur nos recettes d’une moindre croissance, le déficit atteindra 3,4 points avec, non plus une réduction, mais une augmentation du déficit structurel.
Deuxième critère : ce budget est-il économiquement efficace ? Il serait, paraît-il, favorable aux entreprises puisqu’il se traduirait par 18,8 milliards supplémentaires en leur faveur. C’est tout à fait inexact, car vous intégrez, pour atteindre cette somme, les 20 milliards du basculement du CICE en exonérations de charge, opération qui n’aura aucune incidence sur le résultat des entreprises puisque la baisse des charges a déjà été comptabilisée dans leurs comptes de 2018. En 2019, il s’agira donc, pour elles, d’une simple opération de trésorerie, et l’on dit d’ailleurs que vous envisageriez d’en revoir le montant à la baisse : on évoque entre 2 et 3 milliards, mais vous n’en avez rien dit dans votre propos liminaire.
Sur les 4 milliards d’économies, 2,5 milliards proviennent déjà, je l’ai dit, d’impôts supplémentaires sur les entreprises, somme qu’il faut donc ajouter à celle qui résulte de la différence entre 18,8 milliards et 20 milliards, soit 1,2 milliard. De plus, à en croire l’interview du Premier ministre dans Les Échos , de 1 à 1,5 milliard d’euros d’économies pourraient être réalisées via la fiscalité qui pèse sur les entreprises, si bien que l’on se dirige, en 2019, vers une aggravation de leurs charges fiscales et sociales et vers une réduction des aides dont elles bénéficient.
Troisième critère : la transition énergétique. Avec le mouvement des gilets jaunes, nos concitoyens ont clairement exprimé un ras-le-bol fiscal, d’autant que la hausse massive, initialement prévue, de la fiscalité énergétique frappait davantage les familles modestes, chez lesquelles la part des dépenses énergétiques est beaucoup plus importante que chez les familles les plus aisées. Une transition écologique, pesant proportionnellement davantage sur le pouvoir d’achat des familles modestes, fait courir le risque d’un rejet populaire. C’est ce qui s’est passé avec les gilets jaunes.
Face à la mobilisation des gilets jaunes, vous avez reculé et annoncé la suppression de la hausse des taxes sur les carburants, pour un coût de 3,9 milliards d’euros en 2019. Je constate que cette suppression est valable pour les trois années à venir car, en commission des finances, votre majorité a accepté le maintien de dispositions votées par le Sénat. J’espère que vous resterez sur cette position, monsieur le ministre, puisque les Français le demandent. En commission des finances, certains membres de la majorité ont rappelé que ce qu’une loi de finances faisait, une autre loi de finances pouvait le défaire. Nous attendons donc vos éclaircissements sur ce sujet.
Troisième critère : la justice sociale. Vous présentiez ce projet de loi de finances comme celui de l’augmentation du pouvoir d’achat des ménages. Vous avez donc annoncé la défiscalisation des heures supplémentaires, ainsi que leur « désocialisation » – j’ai horreur de ce terme, qui revêt pour moi un tout autre sens. Vous revenez ainsi à ce qui avait été fait du temps du président Sarkozy, ce qui est d’ailleurs assez savoureux. Monsieur le ministre, vous connaissez très bien l’Ancien Testament, ainsi que cette célèbre phrase : « Brûle ce que tu as adoré. » Vous faites l’inverse : vous adorez ce que vous avez brûlé. C’est tout à fait original, mais à tout pêcheur miséricorde ! (Sourires.)
J’en viens à l’annulation de la hausse de 1,7 point de CSG en 2019 pour quelque 3 millions de retraités. Je veux ouvrir les yeux de certains collègues en posant une question : cette mesure est-elle juste ? Nullement, car elle va accroître le pouvoir d’achat de 3 millions de retraités qui ne sont pas les plus pauvres ! Les plus pauvres bénéficient du minimum vieillesse, allocation qui sera d’ailleurs revalorisée de 4,2 %. Mais les personnes qui ne la perçoivent pas tout en n’étant pas assez riches pour bénéficier de l’annulation de la hausse de 1,7 point de CSG verront uniquement leur pension revalorisée de 0,3 % ! Revalorisation désindexée de l’inflation ! Autrement dit, elles perdront 1,2, 1,3 ou 1,4 % de pouvoir d’achat. Eh oui ! Paradoxalement, votre mesure concerne 3 millions de personnes qui constituent, au fond, les classes moyennes. Le tiers supérieur des retraités continue de perdre du pouvoir d’achat, de même que les plus modestes, à l’exception des bénéficiaires de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, qui ne représentent pas 10 % des 13,5 millions de retraités. Cela nous paraît absolument injuste.
Comme nous sommes des gens positifs, nous avons proposé au Président de la République quatre mesures. Deux d’entre elles ont été retenues – pour l’une, sous la pression populaire. Vous vous souvenez que j’avais proposé ici même d’annuler toute hausse de la fiscalité énergétique. C’est fait : dont acte. J’avais également proposé d’exonérer d’impôt sur le revenu les heures supplémentaires. Vous l’avez accepté, en ajoutant une petite condition qui est le plafond de 5 000 euros – c’est tout à fait juste, car cela empêche les salariés aux revenus très supérieurs, comme les golden boys, de se faire attribuer des dizaines de milliers d’euros de primes exceptionnelles. Sur ces deux points, nous sommes d’accord. Il reste nos deux autres propositions.
Nous appelons de nos vœux une revalorisation des petites retraites, afin de maintenir le pouvoir d’achat des personnes dont les revenus mensuels se situent entre le minimum vieillesse, lequel sera donc revalorisé de 4,2 %, et 1 000 ou 1 100 euros. Votre annulation de la hausse de 1,7 point de CSG n’est donc pas la réponse adaptée. Elle ne sera d’ailleurs effective qu’au mois de juillet : les retraités qui en bénéficieront ne se verront pas rembourser les sommes prélevées entre janvier et juin. Rendez-vous compte de l’effet psychologique d’une telle mesure ! C’est le bazar ! Il en est de même pour les salaires modestes – j’y viens, puisque je vais évoquer la fameuse affaire des 100 euros. Monsieur le ministre, il va y avoir beaucoup de déception dans ce pays. Tout le monde avait compris que ces 100 euros bénéficieraient à tous ceux qui gagnent le SMIC – en tout cas, c’est ce qu’ont retenu ceux qui ne connaissent pas trop les arcanes de l’État. Ils sont bien naïfs ! Ils n’ont pas compris ! La revalorisation automatique du SMIC – de 1,5 %, d’après les dernières informations – représente 17 ou 18 euros. Cela ne fait donc plus que 80 euros ! Cette revalorisation automatique doit être déduite des 100 euros : il reste donc 82 euros. Or le Gouvernement entend passer par une hausse de la prime d’activité, qui est accordée en fonction des revenus du foyer et non du seul salaire : seuls 55 % de ceux qui gagnent le SMIC ou un peu plus vont donc en bénéficier.