Troisième séance du vendredi 23 novembre 2018
- Présidence de M. Hugues Renson
- 1. Programmation 2018-2022 et réforme de la justice
- Discussion des articles (suite)
- Discussion des articles (suite)
- Article 36
- Après l’article 36
- Amendement no 1274
- Article 37 A
- Article 37
- Rappel au règlement
- Article 37 (suite)
- Rappels au règlement
- Suspension et reprise de la séance
- Article 37 (suite)
- Amendements nos 1286 et 1283, 1285
- Rappels au règlement
- Article 37 (suite)
- Amendements nos 1282, 638, 1180, 1181 et 1530
- Rappel au règlement
- Article 37 (suite)
- Amendement no 558
- Rappels au règlement
- Suspension et reprise de la séance
- Article 38
- Après l’article 38
- Amendement no 532
- Avant l’article 39
- Amendement no 234
- Article 39
- Rappel au règlement
- Article 39 (suite)
- Suspension et reprise de la séance
- Article 40
- Après l’article 40
- Amendement no 239
- Article 41
- Après l’article 41
- Amendement no 241
- Article 42
- Après l’article 42
- Amendements nos 1587, 958, 956 et 1586
- M. le président
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Hugues Renson
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1. Programmation 2018-2022 et réforme de la justice
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (nos 1349, 1396).
Discussion des articles (suite)
M. le président
Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles du projet de loi, s’arrêtant à l’article 36.
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour un rappel au règlement.
M. Philippe Gosselin
Monsieur le président, soyez le bienvenu pour cette troisième séance de la journée !
M. le président
Merci pour cet accueil chaleureux !
M. Philippe Gosselin
Il nous reste 650 amendements à examiner sur le texte du projet de loi ordinaire plus une trentaine sur celui de la loi organique. Je souhaite donc savoir comment s’organiseront nos débats de ce soir.
Il n’y a pas de difficulté majeure à ce que nous siégions assez tard mais, compte tenu de l’importance de certaines questions, notamment de celles dont font l’objet les articles 53 et suivants, qui tendent à fusionner les tribunaux d’instance de grande instance, et dont certains peuvent éventuellement être considérés comme une réforme à venir de la carte judiciaire, je souhaiterais savoir comment nous nous organiserons, sachant par ailleurs qu’à partir de quatre heures du matin, le périmètre de l’Assemblée sera fermé, que certains métros seront bloqués demain matin et qu’il ne sera sans doute pas si facile de circuler.
Je viens donc aux nouvelles, après avoir posé cette question avant la levée de la séance de cet après-midi, et je vous remercie des informations que vous pourrez nous communiquer.
M. le président
Monsieur Gosselin, j’ai pris bonne note de votre rappel au règlement. Je vous propose que nous avancions assez rapidement dans la discussion.
Il ne m’a évidemment pas échappé que l’examen de 650 amendements allait nous prendre du temps. Pour répondre à votre question, nous allons nous organiser en respectant le règlement, auquel vous vous référez, lequel prévoit de ne donner la parole qu’à deux orateurs par amendement.
Nous ferons éventuellement un point, en fonction du rythme d’avancement de nos travaux, pour examiner la suite de l’organisation des débats. Sachez que le président Ferrand suit tout cela attentivement mais qu’il n’est pas question d’ouvrir des séances ce week-end.
Discussion des articles (suite)
M. le président
Nous reprenons l’examen des articles.
Article 36
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 230, tendant à supprimer l’article 36.
M. Ugo Bernalicis
Avec cet amendement de suppression, nous souhaitons tirer les conclusions du rapport de la commission sur l’affaire d’Outreau de 2006 et prévenir le risque que cet article ne restreigne la durée et le caractère contradictoire de l’instruction, ainsi que son bon contrôle par la chambre de l’instruction, et qu’il ne promeuve le mécanisme problématique de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Cette logique, voulue par le Gouvernement, est en effet contraire aux conclusions du rapport de la commission Outreau, qui voulait éviter au maximum que le juge d’instruction soit isolé dans l’instruction et promouvoir le contradictoire et le contrôle de la chambre de l’instruction. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article 36.
M. le président
La parole est à M. Didier Paris, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement.
M. Didier Paris, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Défavorable.
M. le président
La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du Gouvernement.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice
Défavorable.
(L’amendement no 230 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de trois amendements, nos 1393, 473 et 460, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Pierre Dharréville, pour soutenir l’amendement no 1393.
M. Pierre Dharréville
L’article 36 réécrit l’article 175 du CPP, le code de procédure pénale. Le I de ce nouvel article prévoit que le juge d’instruction avise de sa volonté de mettre un terme à l’information judiciaire les avocats des parties, et non les parties elles-mêmes, à moins qu’elles ne soient pas représentées. Le II précise que la copie des réquisitions du procureur est adressée aux avocats des parties, ou aux parties elles-mêmes lorsqu’elles ne sont pas représentées par un avocat. Le III dispose que, dans un délai de quinze jours à compter de l’envoi par le juge d’instruction de cet avis aux avocats des parties, celles-ci peuvent lui faire connaître leur intention de lui adresser des observations écrites, de formuler des demandes ou de présenter des requêtes. Cette mesure oblige en réalité la partie intéressée à saisir le juge d’instruction par lettre recommandée avec accusé de réception pour lui demander que soit respecté le principe du contradictoire à la fin de l’information.
Cet amendement tend à inverser la logique du dispositif du nouvel article 175 du code de procédure pénale, afin que la possibilité d’exercer les droits de la défense ne soit pas considérée comme optionnelle. Il vise, d’une part, à allonger le délai octroyé aux parties pour exercer leurs droits, le portant de quinze jours à un mois, et, d’autre part, à poser une présomption d’exercice de leurs droits par les parties, en indiquant que celles-ci ont un mois pour notifier qu’elles renoncent à exercer les droits visés aux IV et VI du nouvel article 175.
M. le président
La parole est à M. Joaquim Pueyo, pour soutenir l’amendement no 473.
M. Joaquim Pueyo
J’emploierai pratiquement les mêmes arguments. La nouvelle rédaction modifiée par le Sénat prévoit en effet que, dans un délai de quinze jours à compter de l’envoi de l’avis – et non de sa réception, il importe de le préciser –, les parties peuvent faire connaître au juge d’instruction leur intention de lui adresser des observations écrites, comme c’est actuellement l’usage, ou de formuler des demandes ou de présenter des requêtes. La commission a maintenu l’allongement du délai de dix à quinze jours. Toutefois, on respecterait mieux le débat contradictoire en le portant à vingt jours. Tel est le sens de cet amendement.
M. le président
La parole est à M. Joaquim Pueyo, pour soutenir l’amendement no 460.
M. Joaquim Pueyo
Il est défendu.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
M. Didier Paris, rapporteur
Dix, quinze ou vingt jours ? Le projet de loi prévoyait initialement de ramener le délai à dix jours, le Sénat l’a porté à quinze jours et la commission des lois a fait droit à cette proposition, avec l’accord du Gouvernement. Cette solution nous paraît satisfaisante et, nous le verrons tout à l’heure en examinant certains amendements déposés par le groupe MODEM, nous avons prévu un système dans lequel le droit de questionnement des parties sera ouvert après les auditions, tout au long de l’information. Le dispositif retenu nous semble tout à fait satisfaisant. L’avis est défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Il est également défavorable. Le projet vise simplement à ce que le mécanisme du règlement contradictoire ne soit mis en œuvre que dans les procédures pour lesquelles les parties elles-mêmes considèrent qu’il présente un intérêt. Nous avons donc estimé qu’appliquer systématiquement le mécanisme du contradictoire, comme le propose l’amendement no 1393, revenait à maintenir le droit existant. Quant aux délais, M. le rapporteur en a précisé l’enjeu.
M. le président
La parole est à M. Antoine Savignat.
M. Antoine Savignat
Toujours dans un esprit critique à l’égard de ce texte de loi – après tout, nous sommes dans l’opposition –, j’observe que, lorsqu’il s’agit d’informer la victime, on prolonge le délai et que, lorsqu’il s’agit de droits de la défense, on le raccourcit. Est-ce là l’esprit de la justice que nous voulons ?
(Les amendements nos 1393, 473 et 460, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l’amendement no 1259 rectifié.
M. Erwan Balanant
Disons qu’il est défendu !
(L’amendement no 1259
M. le président
La parole est à Mme Naïma Moutchou, pour soutenir l’amendement no 1157.
Mme Naïma Moutchou
Défendu.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Paris, rapporteur
Je souhaiterais, si Mme Moutchou l’accepte, que cet amendement soit retiré à ce stade, pour pouvoir faire l’objet d’une réflexion complémentaire.
Mme Naïma Moutchou
Je le retire.
(L’amendement no 1157 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Didier Paris, pour soutenir l’amendement no 1480.
M. Didier Paris, rapporteur
Il s’agit d’un amendement de précision.
(L’amendement no 1480, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Naïma Moutchou, pour soutenir l’amendement no 1159.
Mme Naïma Moutchou
Il est défendu.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Paris, rapporteur
Je demande également le retrait de cet amendement.
Mme Naïma Moutchou
Je le retire.
(L’amendement no 1159 est retiré.)
(L’article 36, amendé, est adopté.)
Après l’article 36
M. le président
La parole est à Mme Marine Le Pen, pour soutenir l’amendement no 1274, portant article additionnel après l’article 36.
Mme Marine Le Pen
Depuis le début de cette discussion, nous cherchons des moyens de rendre la justice plus rapide et plus efficace. C’est encore une proposition allant en ce sens que nous défendons avec cet amendement, puisqu’il tend à supprimer la possibilité de faire appel de l’ordonnance de mise en accusation.
Cet appel se justifiait auparavant car les décisions de la cour d’assises n’étaient pas susceptibles d’appel. Il existe désormais deux niveaux de juridiction, dont on ne connaît du reste pas encore l’appellation, car on ne sait pas encore si cette modification sera votée – nous suggérions, pour notre part, « tribunal d’assises », mais ce n’est pas le choix qui a été retenu. Quoi qu’il en soit, dès lors qu’il existe deux niveaux de juridiction, il n’y a pas de raison de ne pas appliquer les mêmes règles qu’en matière correctionnelle, où l’appel de l’ordonnance de renvoi n’existe pas.
L’expérience démontre que c’est au niveau de cet appel de l’ordonnance de mise en accusation que l’on perd un temps considérable, qui explique les longues années s’écoulant avant de parvenir à une décision aux assises. Aux assises plus encore peut-être qu’au correctionnel, les victimes doivent avoir le droit de voir le jugement, qu’il s’agisse d’une condamnation ou d’un acquittement. C’est la raison pour laquelle nous proposons d’acter cette identité entre le correctionnel et les assises, par conséquent la suppression de la possibilité de faire appel de l’ordonnance de mise en accusation.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Paris, rapporteur
Je comprends l’idée qui motive l’amendement de notre collègue, mais la suppression de cette capacité d’appel ne supprimerait pas le contentieux lui-même, lequel se trouverait alors reporté devant la juridiction de jugement, ce qui n’est sans doute pas la bonne solution en termes d’organisation de la justice. L’avis est défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Même avis.
(L’amendement no 1274 n’est pas adopté.)
Article 37 A
(L’article 37 A est adopté.)
Article 37
M. le président
La parole est à M. Éric Poulliat, inscrit sur l’article 37.
M. Éric Poulliat
La mission d’information relative à l’application d’une procédure d’amende forfaitaire au délit d’usage illicite de stupéfiants a remis son rapport en janvier 2018, préconisant notamment en l’espèce une amende forfaitaire délictuelle. On peut se féliciter de la traduction législative de cette préconisation ainsi que de l’élargissement du champ de la forfaitisation à d’autres délits. Je tenais à souligner la pertinence de cet article et le total soutien de notre groupe. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour un rappel au règlement.
M. Ugo Bernalicis
Il se trouve que j’avais déposé un amendement sur l’article 37 qui a été déclaré irrecevable alors qu’il avait été débattu en commission des lois. Il prévoyait de reprendre la proposition de loi déposée par le groupe Écologiste sous la précédente législature visant à une légalisation encadrée de stupéfiants, de la production jusqu’à la vente, par l’État. Je me trouve donc démuni dans la discussion sur cet article, ne sachant d’ailleurs pas exactement pourquoi mon amendement a été jugé ainsi – j’aimerais bien avoir des informations à ce propos, en espérant que ce n’est pas dû à un usage abusif de stupéfiants. (Sourires.)
J’avertis la représentation nationale : à terme, on ne pourra pas faire l’économie d’un débat sur la question du cannabis puisque plus de 52 % des Français l’ont déjà testé au moins une fois dans leur vie et que nous sommes le principal pays consommateur en Europe. Je rappelle que le Canada a déjà franchi le pas, ainsi évidemment que plusieurs pays européens, soit vers la dépénalisation, soit vers la légalisation. Que ce soit pour des raisons financières, de santé publique ou d’ordre public, il faudra à mon avis s’y mettre aussi.
M. le président
Je constate, monsieur Bernalicis, que vous avez profité d’un rappel au règlement pour défendre un amendement déclaré irrecevable par les services de l’Assemblée nationale… (Sourires.)
Article 37 (suite)
M. le président
La parole est à M. Pierre Dharréville, pour soutenir l’amendement no 1352, tendant à supprimer l’article 37.
M. Pierre Dharréville
L’article 37 du projet de loi vise à étendre le champ d’application de l’amende forfaitaire à de nouveaux délits : l’usage illicite de stupéfiants, la vente et l’offre d’alcool à un mineur, le transport routier en violation des règles relatives au chronotachygraphe et la vente à la sauvette.
Rappelons que la procédure de l’amende forfaitaire a été introduite très récemment en matière délictuelle, dans une loi de 2016, pour les délits de conduite sans permis et de conduite sans assurance. Cette procédure n’était toujours pas entrée en vigueur au 3 octobre 2018, principalement en raison de certains obstacles techniques, notamment informatiques. Aucune évaluation du dispositif n’a donc pu être réalisée à ce jour. Aussi paraît-il pour le moins prématuré d’en étendre le champ.
Selon le Gouvernement, l’application de la procédure à ces nouveaux délits allégerait l’activité des juridictions tout en permettant une réponse plus systématique et plus dissuasive. Or aucune étude ne vient l’attester.
En outre, cette procédure n’est qu’une faculté et ne vise pas à se substituer aux poursuites devant le tribunal correctionnel. Dans quels cas les poursuites seront-elles engagées et selon quels critères ?
La problématique des effets inégalitaires d’une telle mesure n’est pas évoquée alors même que le ciblage des jeunes hommes de milieux populaires est une réalité. Dans un avis rendu en novembre 2016, la Commission nationale consultative des droits de l’homme souligne en effet que les contrôles policiers ciblent plus fréquemment les jeunes hommes issus des minorités visibles et s’exercent particulièrement à l’encontre des personnes en situation de grande précarité. L’effet de sélection sociale dans la réponse pénale apportée aux infractions à la législation sur les stupéfiants ne peut donc être ignoré.
Enfin, l’amende forfaitaire, qui se limite à la perception automatisée d’un tarif, est dénuée de toute dimension sanitaire et donc de tout effet sur la réalité des consommations et leurs conséquences dommageables. Plusieurs associations considèrent que cet article marquerait un net recul quant à la santé, aux politiques de réduction des risques et aux droits des usagers de drogues, qui demeurent les oubliés des politiques publiques qui les concernent.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Paris, rapporteur
La commission des lois ne partage pas votre avis, cher collègue, vous le savez bien. L’amende forfaitaire délictuelle est certes une création récente, mais qui correspond parfaitement à une forme de modernité de la réponse pénale car elle permet au procureur de la République de disposer d’une palette extrêmement large en la matière : outre l’amende forfaitaire, celle-ci comprend différents types de réponse dont l’alternative aux poursuites, les poursuites contraventionnelles et le classement sans suite. Il n’y a pas de raison de priver les parquets de cette possibilité de réponse adaptée aux circonstances. L’amende forfaitaire est plutôt prévue pour les délits de voie publique qui ne causent pas de victimes en dehors de la société ou de l’auteur lui-même, dans le cas de la consommation de produits stupéfiants. Vouloir supprimer cette possibilité de répondre au seul motif qu’elle est récente serait vraiment injurier l’avenir. C’est pourquoi la commission a rendu un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Même avis, évidemment.
Je rappelle que cet article résulte d’un travail important qui a été mené par M. Poulliat et un de ses collègues. Nous avons également examiné les études comparatives effectuées à l’étranger ainsi qu’en France, qui montrent l’intérêt d’une telle procédure. Elle marche bien pour d’autres types de contravention. Nous avons souhaité maintenir une amende délictuelle, qui pourra être forfaitisée, considérant que le caractère délictuel permettra d’utiliser cette procédure pour éventuellement prononcer en parallèle des gardes à vue afin de remonter des filières.
Contrairement à ce qu’a dit M. Dharréville, cela n’interdit en aucune manière une réponse de nature sanitaire. Tout dépendra des politiques pénales mises en place. Il est très important de faire bien comprendre que l’amende forfaitaire n’entraînera pas de rupture dans la réponse sanitaire.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Il convient tout de même de revenir aux fondamentaux. Du point de vue du parquet ou de la police, c’est peut-être une avancée, mais qu’en est-il du point de vue de la société ? La question se pose parce que la consommation de stupéfiants, notamment de cannabis, est un phénomène de société. Pensez-vous sincèrement que vous allez faire reculer la consommation de stupéfiants dans le pays avec cette amende forfaitaire ? Non, je ne le crois pas ! Vous ne faites qu’accélérer la procédure afin de libérer un peu de temps pour les policiers, les gendarmes et les magistrats – et juste un peu puisque vous voulez tout de même continuer à pénaliser et donc à permettre des poursuites judiciaires, ce qui rend votre argumentaire quelque peu contradictoire. Je pense que, du point de vue des trafiquants, la dépénalisation du cannabis n’est pas souhaitable parce que c’est la source de leur trafic.
M. Éric Poulliat
Si, ils y sont favorables !
M. Ugo Bernalicis
Si vous voulez lutter contre le trafic et les trafiquants, légalisez. On pourra alors concentrer l’activité policière sur les vrais trafiquants. Cela a été fait dans un tas de pays. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LaREM.)
De plus, les rentrées fiscales provenant de la légalisation permettront de financer une prise en charge sanitaire efficace. Cela vaut même pour la dépénalisation des drogues dures, l’expérience du Portugal est extrêmement intéressante :…
M. Jean-Michel Fauvergue
Elles ne sont pas légalisées au Portugal !
M. Éric Poulliat
Le trafic y prospère !
M. Ugo Bernalicis
…ce pays comptait 100 000 héroïnomanes ; en dépénalisant l’usage des stupéfiants, y compris de l’héroïne et en menant une politique sanitaire ambitieuse, ils en sont arrivés à seulement 10 000 consommateurs. Voilà un exemple de politique progressiste, pour la santé publique et l’ordre public comme du point de vue financier.
M. Jean-Michel Fauvergue
Mais non !
M. le président
La parole est à M. David Habib.
M. David Habib
Cet amendement de notre collègue Jumel nous met mal à l’aise, madame la ministre, parce qu’il soulève une question délicate : personne n’a la certitude de détenir la vérité en la matière. À la question de M. Bernalicis – va-t-on faire reculer la consommation de stupéfiants dans le pays avec cette amende forfaitaire ? –, on est tous tenté de répondre non, bien sûr : ce n’est pas une disposition de ce type qui améliorera l’état sanitaire des intéressés, notamment celui des plus jeunes.
Et je voudrais vous interroger, madame la ministre, sur le caractère socialement inégalitaire du dispositif envisagé, en espérant que vous me répondrez. Chacun sait que la capacité à payer une amende n’est pas la même selon les quartiers, les origines sociales et la situation professionnelle de celles et ceux qui seront soumis demain à cette nouvelle amende forfaitaire.
M. Jean-Michel Fauvergue
C’est pareil pour les contraventions au code de la route !
M. David Habib
Le problème est donc non seulement sanitaire mais aussi social. Voilà pourquoi je suis pris d’un doute. Ayant été maire pendant dix-neuf ans, j’ai été confronté de nombreuses fois à des situations d’usage de stupéfiants auxquelles personne ne trouvait de réponse. Je vous interroge là-dessus, madame la ministre, en reconnaissant sincèrement que les doutes que je m’accorde, je vous les concède aussi bien volontiers.
(L’amendement no 1352 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Éric Poulliat, pour soutenir l’amendement no 1090.
M. Éric Poulliat
Il vise à étendre le champ de l’amende forfaitaire délictuelle, qui traduit législativement le travail mené par les députés, aux débits de boissons ouverts à l’occasion de foires, de ventes ou de fêtes publiques autorisées par l’autorité municipale. Comme il s’agit d’événements plutôt exceptionnels, le délit se traduit très rarement par des poursuites. L’amende forfaitaire répondrait au problème de manière rapide, quasi instantanée. C’est bien le but de cette amende que d’apporter une réponse non seulement immédiate mais aussi, pour répondre à M. Dharréville, égalitaire, quel que soit le territoire.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Paris, rapporteur
Évidemment très favorable.
(L’amendement no 1090, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. le président
La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l’amendement no 1263.
M. Erwan Balanant
Il vise à supprimer la possibilité de recourir à l’amende forfaitaire délictuelle lorsque l’infraction est commise en situation de récidive légale, sans quoi le juge ne pourrait plus condamner la personne à une peine complémentaire, par exemple à un stage de sensibilisation.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Paris, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Il est également défavorable car il faut tout de même un minimum de souplesse dans la mise en œuvre du dispositif.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Cet amendement prouve bien, en creux, que l’amende ne s’accompagnera pas d’une réponse sanitaire. Sinon, il faudrait faire passer l’individu devant le magistrat, qui le considérera plus globalement que ne le fait le policier ou le gendarme, ou bien alors légaliser, avec des prises en charge différentes. Chacun voit bien qu’y compris en cas de récidive, ce dispositif sera une machine à distribuer des amendes pour faire rentrer de l’argent sans régler le problème.
(L’amendement no 1263 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 830 et 1033.
La parole est à Mme Emmanuelle Ménard, pour soutenir l’amendement no 830.
Mme Emmanuelle Ménard
Il est proposé de supprimer les alinéas 4 et 5 car, s’ils étaient adoptés en l’état, la simple amende prévue n’aurait aucun caractère dissuasif. Or la consommation de substances ou de plantes classées comme stupéfiants a de réelles conséquences sur la santé publique.
M. le président
La parole est à Mme Marine Le Pen, pour soutenir l’amendement no 1033.
Mme Marine Le Pen
Mêmes causes, mêmes effets, monsieur Bernalicis. Vous devriez vous rendre compte qu’en réalité, ce texte vise à autoriser la consommation de stupéfiants. En effet, une amende d’un montant deux fois supérieur seulement à celui qu’acquittent les jeunes quand ils ont oublié de composter leur ticket dans le RER ou un train de banlieue, cela revient dans les faits à la légalisation, avec toutes les conséquences qui s’ensuivent, déjà constatées dans d’autres pays.
Contrairement à ce que vous prétendez, d’ailleurs, cela a été une véritable catastrophe, au point qu’un certain nombre de pays sont revenus sur la légalisation quand ils se sont rendu compte qu’elle n’avait pas éteint le trafic.
M. Ugo Bernalicis
Ah oui ? Lesquels ?
Mme Marine Le Pen
Bien sûr que non ! En réalité, elle l’a déplacé et a aggravé et les conditions sanitaires, notamment de la jeunesse, ainsi, évidemment, que la criminalité.
Encore une fois, instaurer une amende aussi faible revient en réalité à autoriser la consommation, soit parce que l’on ne parviendra jamais à venir en chercher le recouvrement de l’amende, soit parce que les gens auront les moyens de la payer.
Je n’aime pas l’hypocrisie. Vous pourriez donc me dire que vous allez légaliser, auquel cas nous pouvons en parler et être en désaccord, mais l’hypocrisie consistant en réalité à légaliser la consommation au travers d’une amende aussi faible me paraît malhonnête.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?
M. Didier Paris, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Également défavorable.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Le point sur lequel Mme Le Pen peut éventuellement avoir raison, c’est la disproportion des amendes infligées en cas de fraude dans les transports en commun. Nous sommes d’accord : c’est du grand n’importe quoi.
Quant à dire que 150 euros, pour une amende – c’est ce qui vient d’être voté –, ça représente un montant ridicule, j’ai l’impression d’entendre Gérald Darmanin nous expliquant qu’un repas au restaurant coûte 200 euros sans le vin ! (Protestations sur les bancs du groupe LaREM.)
M. Jean-Michel Fauvergue
Arrêtez !
M. Erwan Balanant
Ce n’est pas ce qu’il a dit !
Mme Marine Le Pen
Il est normal qu’une amende coûte de l’argent !
M. Ugo Bernalicis
Certes, mais peu importe : une telle amende ne revient pas à légaliser ni à autoriser la consommation.
Mme Marine Le Pen
Si !
M. Ugo Bernalicis
C’est faux !
Quant aux pays qui seraient revenus sur la légalisation, donnez-moi des exemples ! Ce que je vois, c’est qu’aux Pays-Bas, le fait de n’avoir légalisé que la vente a posé problème, car les trafiquants se sont reportés sur la production. Tout le monde avait des œillères, là-bas : on y a autorisé la vente mais sans savoir d’où venait le produit. Ah non, on ne savait pas ! Alors que font-ils maintenant ? Ils travaillent à une loi encadrant la production, voilà la réalité. Du reste, là-bas, il y a beaucoup moins de fumeurs en proportion de la population, y compris chez les jeunes, et beaucoup moins de délinquance qu’en France. Ils ferment même des prisons parce qu’elles se vident !
Mme Marine Le Pen
Vous racontez n’importe quoi !
M. Ugo Bernalicis
Écoutez madame Le Pen ; cela ne vous ferait pas de mal.
M. le président
La parole est à M. Éric Poulliat.
M. Éric Poulliat
L’écoute de mes deux prédécesseurs prouve que nous avons une position équilibrée puisque nous avons prévu à la fois que le montant de l’amende puisse être recouvré – afin, notamment, de pouvoir mener des campagnes de prévention – et un cadre délictuel permettant en particulier de continuer à maintenir un parcours sanitaire.
(Les amendements identiques nos 830 et 1033 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de cinq amendements, nos 601, 504, 474, 1046 et 1092, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 1046 et 1092 sont identiques.
Sur l’amendement no 474, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Marine Le Pen, pour soutenir l’amendement no 601.
Mme Marine Le Pen
Il est défendu.
M. le président
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour soutenir l’amendement no 504.
M. Jean-Louis Masson
L’article 37 applique au délit d’usage illicite de stupéfiants le mécanisme de l’amende forfaitaire. En commission des lois, le montant de celle-ci a été réduit par rapport à la rédaction initiale : il a été fixé à 200 euros, avec un montant minoré de 150 euros et un montant majoré de 400 euros. Afin de renforcer le caractère tout à fait dissuasif de cette disposition, le présent amendement tend à fixer le montant de l’amende à 400 euros, avec un montant minoré de 350 euros et un montant majoré de 800 euros.
M. le président
La parole est à M. Joaquim Pueyo, pour soutenir l’amendement no 474.
M. Joaquim Pueyo
Je ne vais pas revenir sur le débat.
Nous proposons, nous, au contraire, de diminuer le montant de l’amende forfaitaire, car on sait en effet que dans le système actuel, le taux de recouvrement des amendes prononcées par la justice dépasse à peine 40 %. Par conséquent, cet amendement propose la mise en place d’une amende forfaitaire d’un montant de 135 euros, de 90 euros en cas de minoration et de 375 euros en cas de majoration.
S’agissant du sujet qui nous préoccupe, madame la ministre, nos collègues ont peut-être raison de dire qu’il faudra bien un jour débattre de ce sujet, compte tenu du nombre de consommateurs et des conséquences des trafics dans les quartiers, où l’économie souterraine a un impact considérable. Il me semble qu’on ne peut pas faire l’économie d’un tel débat, même si, pour ma part, je pense que la création d’une contravention pour les usagers – avec, bien sûr, des limites – va plutôt dans le bon sens, justement parce que cela va peut-être, plus tard, déboucher sur un débat. D’autres pays l’ont fait avant nous. Il serait bon qu’un travail de fond soit mené afin de parvenir à des conclusions en s’inspirant non de ce qu’ils ont fait, mais des conséquences sur la consommation après une dépénalisation ou une légalisation.
Il s’agit évidemment d’un sujet de santé publique important. Ayant été également maire d’une commune, j’ai vu les dégâts dans les quartiers. J’ai également dirigé de gros établissements pénitentiaires comme ceux de Fleury-Mérogis ou de Fresnes.
M. Philippe Gosselin
Vous êtes bien placé pour parler du sujet, en effet.
M. Joaquim Pueyo
J’y ai également vu les dégâts causés par les trafics de stupéfiants, que nous avions beaucoup de difficultés à stopper. Le sujet me paraît donc important.
M. Philippe Gosselin
Et vous le connaissez bien.
M. le président
Je vous remercie, cher collègue.
M. Joaquim Pueyo
Il faut que ce débat soit apaisé : il ne s’agit pas d’être pour ou contre ni d’en débattre à l’occasion du présent projet de loi, mais de pouvoir en discuter en profondeur à l’avenir.
M. David Habib
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Stéphane Mazars, pour soutenir l’amendement no 1046.
M. Stéphane Mazars
Il est défendu.
M. le président
La parole est à M. Éric Poulliat, pour soutenir l’amendement no 1092.
M. Éric Poulliat
Je serais tenté de dire qu’il s’agit d’un amendement de correction, puisque l’amendement visant à réduire le montant de l’amende a été adopté en commission. Je suis convaincu qu’un amendement le fixant à 135 euros reviendrait à contraventionnaliser les délits en question, ce qui ne correspond pas à l’esprit du projet de loi, puisque nous conservons le caractère délictuel de l’amende forfaitaire. Un montant de 400 euros est en outre bien trop élevé, car il aurait pour conséquence de ne pas pouvoir recouvrer les amendes ; cela reviendrait au statu quo et à une dépénalisation de fait, ce que nous voulons absolument éviter. L’idée de cet amendement est simplement de porter le montant de l’amende majorée à 450 euros, afin de le placer à bonne distance des autres montants.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur cette série d’amendements en discussion commune ?
M. Didier Paris, rapporteur
La commission a rendu un avis défavorable sur les amendements nos 601, 504 et 474, et favorable sur les amendements identiques nos 1046 et 1092.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Même avis : favorable à un montant de contravention soutenable.
M. le président
La parole est à M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin
Mon point de vue est sans doute un peu différent maintenant que le Gouvernement a donné un avis favorable sur les deux derniers amendements. Je crois qu’il faut effectivement aller dans ce sens : l’amende doit être suffisamment dissuasive, avec un delta significatif. Dont acte, si la ministre est favorable à ces amendements.
(Les amendements nos 601 et 504, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 474.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 35
Nombre de suffrages exprimés 32
Majorité absolue 17
Pour l’adoption 9
Contre 23
(L’amendement no 474 n’est pas adopté.)
(Les amendements identiques nos 1046 et 1092 sont adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de cinq amendements, nos 41, 475, 1291, 1368, et 1137, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 41, 475, 1291 et 1368 sont identiques.
Sur ces derniers, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Patrice Anato, pour soutenir l’amendement no 41.
M. Patrice Anato
Cette disposition maintient dans le code de procédure pénale la possibilité de responsabiliser et de sensibiliser les consommateurs de produits stupéfiants aux risques sanitaires et sociaux, en leur proposant une réponse éducative en lieu et place du paiement d’une amende minorée.
La seule création de l’amende forfaitaire aboutit à un véritable permis de consommer, sans amener à une réflexion d’ordre sanitaire, alors que le stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants permet d’engager une réflexion sur les dangers de la consommation et crée des passerelles avec la démarche de soins.
M. le président
La parole est à M. Joaquim Pueyo, pour soutenir l’amendement no 475.
M. Joaquim Pueyo
Je reprends les arguments de notre collègue. Il s’agit de responsabiliser et de sensibiliser les consommateurs de produits stupéfiants aux risques sanitaires et sociaux en proposant une réponse éducative en lieu et place du paiement d’une amende, si le contrevenant est d’accord et volontaire, bien sûr.
En effet, la seule création de l’amende forfaitaire n’amène aucunement à une réflexion d’ordre sanitaire. En outre, si certains pourront payer plusieurs amendes de suite sans que cela ne leur pose de problème, d’autres auront des difficultés à en payer une seule.
J’estime que nous avons intérêt à saisir l’occasion de proposer des stages ou une prise en charge éducative, voire sanitaire, à ceux qui le souhaitent, car cela permettrait de responsabiliser les consommateurs. Il s’agit d’un amendement d’appel identique à celui que vient de défendre notre collègue.
M. le président
La parole est à Mme Cécile Rilhac, pour soutenir l’amendement no 1291.
Mme Cécile Rilhac
Je ne le défendrai pas, puisque mes deux collègues viennent de le faire, et très bien. Je dresserai simplement un parallèle visant à expliquer cette démarche de sensibilisation et de prévention.
Elle est similaire à celle qui existe actuellement en matière de sécurité routière : lorsqu’on perd des points sur son permis de conduire, on a la possibilité, pour en regagner, de suivre un stage visant à prévenir, à éduquer et à éviter la récidive. Dans le domaine de la prévention sanitaire, il me paraît pertinent, intéressant, quand on s’adresse à des consommateurs de stupéfiants, de pouvoir également leur proposer des avis de nature médicale afin de les sensibiliser et de leur expliquer pourquoi il faut arrêter de consommer de tels produits.
Une telle démarche me paraît plus éducative et plus préventive. Voilà pourquoi j’ai également déposé cet amendement.
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 1368.
Mme Elsa Faucillon
Nous proposons également, en lieu et place du paiement de l’amende, que puisse être effectué un stage de sensibilisation. Il s’agit vraiment de l’un des fondements de notre opposition à l’amende forfaitaire pour les délits de ce type, car elle passe à côté de ce problème de santé publique. Or on sait qu’à long terme, selon l’âge, celui de la première consommation, la quantité et la fréquence de sa consommation, le cannabis peut avoir de nombreux effets négatifs, notamment, chez certains jeunes, des psychoses qui sont considérablement aggravées par l’interaction entre les caractéristiques de leur consommation et leurs prédispositions génétiques. Il nous apparaît donc fondamental d’orienter nos propositions vers une politique publique efficace et préventive.
M. le président
La parole est à Mme Émilie Guerel, pour soutenir l’amendement no 1137.
Mme Émilie Guerel
Il est défendu.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur cette série d’amendements ?
M. Didier Paris, rapporteur
Ils poursuivent les mêmes objectifs : proposer un stage de sensibilisation avant le règlement de l’amende forfaitaire ou concomitamment. En clair, cela correspond déjà à l’état du droit. Nous renvoyons le procureur de la République à ses responsabilités : il peut en effet choisir entre une alternative aux poursuites ou l’amende forfaitaire. Si je comprends parfaitement les objectifs poursuivis par tous ces amendements, ils sont donc déjà, me semble-t-il, pleinement satisfaits. Dans ces conditions, la commission y est défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Je voudrais juste rappeler ici que la procédure de l’amende forfaitaire est une procédure parmi d’autres. Comment cela fonctionnera-t-il ? Le ministre de la justice donnera une instruction de politique pénale à ses procureurs, qui vont la décliner localement. Dans cette instruction, il sera évidemment possible de recommander de privilégier les stages de sensibilisation ou d’autres types de réponse.
Il ne faut donc pas voir cette même amende comme quelque chose d’exclusif, mais comme une réponse extrêmement importante et intéressante, mais une réponse parmi d’autres.
Je voudrais également apporter une précision, qui ne nie absolument pas l’intérêt de tels stages de sensibilisation pour la santé publique : je vous rappelle qu’ils sont aux frais du condamné. Ainsi, entre l’amende forfaitaire et le stage aux frais du condamné, il n’y a donc pas de grande différence sur le plan financier.
Mais, une fois encore, j’insiste sur la palette des réponses possibles.
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde
Nous sommes ici au cœur d’une grande hypocrisie française. Deux choix sont possibles, en vérité.
Le premier consiste à interdire le produit stupéfiant concerné, auquel cas il faut opter pour la répression, au nom d’une vision prétendument fondée sur la santé publique : puisque ce produit est nocif, puisqu’il peut détruire la vie de qui le consomme – nul ne le contestera ici –, il faut l’interdire et protéger les Français contre eux-mêmes. Lorsqu’on compare le résultat de cette politique à celle qui est menée dans d’autres pays, on constate que la France compte beaucoup plus de consommateurs. L’argument de la santé publique est donc une hypocrisie.
Le second choix consiste à donner la priorité à la sécurité publique. Bien que les chiffres varient, on estime que la délinquance ordinaire, celle qui touche le plus nos concitoyens, tient, pour 60 %, à la nécessité de se trouver de l’argent pour se fournir en produits stupéfiants.
Il me semble que les amendements en discussion ne tranchent pas. En fait, chacun veut se donner bonne conscience avec l’interdiction. En clamant que c’est mal, on croit empêcher la consommation, mais, concrètement, on voit que ça ne l’empêche pas ; au contraire, on ne cesse de nourrir les trafics, un peu comme à l’époque d’Al Capone et d’Eliot Ness, si je puis me permettre. Parce qu’on interdit un produit facile à trafiquer, on enrichit les trafiquants et l’on plonge les personnes victimes d’addiction dans l’isolement.
M. le président
Merci, monsieur Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde
Telle est la contradiction dans laquelle nous sommes. L’entre-deux proposé à travers ces amendements – et c’est un centriste qui vous le dit –, n’est pas pertinent. Le débat, madame la ministre, doit donc avoir lieu un jour. On choisit soit la santé publique, soit la sécurité publique ; mais la vérité, c’est que lorsqu’on choisit la première, on finit par assurer la seconde. (M. Ugo Bernalicis applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Joaquim Pueyo.
M. Joaquim Pueyo
Je ne reviendrai pas sur la prohibition, ayant déjà souligné la nécessité d’un débat à ce sujet. D’autres grandes démocraties ont d’ailleurs choisi une voie différente ; nous ne serions donc pas la première à le faire.
Pour en revenir à l’amendement, madame la ministre, vous avez parlé de stages payants, mais, vous le savez mieux que quiconque, des associations, dans nombre de départements, prennent déjà en charge les toxicomanes. On peut donc imaginer des stages gratuits pour ceux qui acceptent d’être pris en charge, selon des modalités qu’il faudrait préciser.
Le procureur, avez-vous dit, peut éventuellement donner des directives. J’entends bien, mais il serait quand même préférable d’inscrire dans la loi la mesure ici proposée.
M. le président
La parole est à M. Éric Poulliat.
M. Éric Poulliat
Le procureur, dans le cadre de la composition pénale, peut en effet imposer, comme alternative aux poursuites, un stage de sensibilisation. Reste que ce stage, Mme la garde des sceaux l’a rappelé, est à la charge de l’intéressé. De surcroît, même si je n’ai pas les chiffres sous les yeux, nous avons eu, dans le cadre de la mission d’information sur l’amende forfaitaire, des retours dubitatifs, pour ne pas dire négatifs, quant à l’impact de ces stages sur la consommation des contrevenants. On peut toujours envoyer les gens en stage mais, si celui-ci ne sert à rien, le bénéfice, à tout le moins, sera faible.
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 41, 475, 1291 et 1368.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 36
Nombre de suffrages exprimés 32
Majorité absolue 17
Pour l’adoption 6
Contre 26
(Les amendements identiques nos 41, 475, 1291 et 1368 ne sont pas adoptés.)
(L’amendement no 1137 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour soutenir l’amendement no 338.
M. Jean-Louis Masson
Défendu.
(L’amendement no 338, repoussé par la commission, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Erwan Balanant, pour soutenir l’amendement no 1264.
M. Erwan Balanant
Il s’agit de revenir sur l’amende forfaitaire pouvant sanctionner les infractions au chronotachygraphe, qui me semble constituer une erreur. La sécurité routière est un sujet important. Or nous craignons que le conducteur de poids lourd ne soit amené à violer la loi sous la pression de son entreprise, qui prendrait en charge le paiement de l’amende, laquelle, dès lors, n’aurait plus aucun effet dissuasif. Cette disposition pose donc à mes yeux un vrai problème.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Paris, rapporteur
Nous avons longuement évoqué cette question en commission. Elle a émis un avis défavorable, que je confirme.
(L’amendement no 1264, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Élise Fajgeles, pour soutenir l’amendement no 1430.
Mme Élise Fajgeles
Il concerne la vente à la sauvette de cigarettes de contrebande à l’unité, phénomène que l’on peut observer à Paris, dans ma circonscription, autour des stations de métro La Chapelle et Barbès-Rochechouart, mais aussi à Marseille, ce qui a conduit ma collègue Alexandra Louis à cosigner l’amendement.
Cette situation d’insécurité quotidienne pose un problème d’ordre public, mais aussi de santé publique. Les policiers font bien leur travail et saisissent régulièrement de la marchandise, mais nous avons affaire à de véritables réseaux, face auxquels les forces de l’ordre, sur le terrain, manquent de moyens vraiment efficaces.
La commission des lois, s’appuyant sur un travail de Stéphane Mazars que je salue, a adopté un amendement tendant à la création d’une amende forfaitaire pour verbaliser les ventes à la sauvette. Je me félicite de cette première mesure mais, face aux réseaux, face à des vendeurs souvent insolvables, il importe de responsabiliser ceux qui achètent des cigarettes de contrebande à l’unité en dehors des bureaux de tabac, donc fraudent, alimentent les réseaux et contribuent à l’insécurité du quotidien en toute connaissance de cause. En outre, le problème de santé publique est ici patent.
En commission, j’ai déposé un amendement tendant à créer un délit d’achat de tabac en dehors des lieux de monopole et à sanctionner ce délit par une amende forfaitaire. Vous m’aviez répondu, madame la ministre, que l’incrimination délictuelle semblait disproportionnée en l’espèce. Sensible à votre argument, je vous propose ce soir la création d’une contravention sanctionnée par une amende de deuxième classe.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Paris, rapporteur
Comme vous l’avez rappelé, madame Fajgeles, nous avons très largement débattu de cette question en commission, à travers un amendement relatif à la vente de cigarettes à la sauvette. Le problème, vous l’avez dit vous-même, est plus délicat pour l’achat, même si nous ne saurions le nier, notamment à Paris et dans les grandes villes.
La contravention que vous proposez me paraît tout à fait adaptée, à ceci près qu’elle tombe sous le coup de l’article 37 de la Constitution puisqu’elle ne relève pas du domaine législatif. Mais peut-être Mme la ministre pourra-t-elle apporter une réponse dans un autre cadre.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Nous avons en effet abordé cette question en commission. Je vous remercie, madame Fajgeles, d’avoir revu votre amendement. Toutefois, comme vient de le dire M. le rapporteur, la contravention n’est pas du domaine législatif ; elle relève du réglementaire. Par conséquent, je ne puis que vous demander de retirer votre amendement, étant entendu que je m’engage, en contrepartie, à créer, par voie réglementaire, une contravention spécifique pour les acheteurs de tabac à la sauvette.
M. le président
La parole est à Mme Élise Fajgeles.
Mme Élise Fajgeles
Je vous remercie, madame la ministre, de l’attention que vous portez à ce problème réel, et retire mon amendement.
(L’amendement no 1430 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour soutenir l’amendement no 505.
M. Jean-Louis Masson
Nous partageons totalement le constat de notre collègue Fajgeles sur le développement des ventes à la sauvette et sur l’impact qu’elles peuvent avoir en matière de santé publique. C’est pourquoi nous nous intéressons, nous, aux vendeurs, qui en tirent des bénéfices conséquents. Nous proposons donc de porter le montant de l’amende forfaitaire à 500 euros, ce qui la rendrait plus dissuasive.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Paris, rapporteur
La proposition de M. Mazars nous paraissant adaptée, nous nous y tenons. L’avis est défavorable.
(L’amendement no 505, repoussé par le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Didier Paris, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 1483.
M. Didier Paris, rapporteur
Amendement de cohérence.
(L’amendement no 1483, accepté par le Gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour soutenir l’amendement no 740.
M. Jean-Louis Masson
Afin que les usagers sanctionnés par l’amende forfaitaire relative à l’usage illicite de stupéfiants puissent mieux connaître l’accompagnement sanitaire auquel ils ont droit, il est nécessaire de faire figurer, sur l’avis de cette amende envoyée au domicile de l’usager, des informations relatives aux structures sanitaires.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Paris, rapporteur
La loi, qui fixe les grands principes de la procédure pénale, ne descend pas à ce niveau de détails, lesquels relèvent du domaine réglementaire. L’avis est défavorable pour cette seule raison.
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin
Je fais partie de ceux qui sont vigilants quant à la répartition entre la législation, qui nous incombe, et le règlement. En l’occurrence, je ne suis pas totalement convaincu par les objections que je viens d’entendre, d’autant que l’amendement me paraît tenir un juste équilibre entre la répression, la sanction, et la prévention. Je me permets donc de l’appuyer et d’inviter notre assemblée à l’adopter largement. Nous devons garder à l’esprit cette nécessité, non seulement de la sanction, mais aussi de la prévention.
(L’amendement no 740 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Émilie Guerel, pour soutenir l’amendement no 1141.
Mme Émilie Guerel
Défendu.
(L’amendement no 1141, repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 1031 et 1134.
La parole est à M. Christophe Blanchet, pour soutenir l’amendement no 1031.
M. Christophe Blanchet
Il s’agit d’un amendement de groupe. De nombreux habitants d’immeubles dont le hall est squatté pour différentes raisons vivent un enfer au quotidien. Cela crée de multiples nuisances. Ils sont régulièrement filtrés, à l’entrée, pour des raisons que je ne détaillerai pas.
Certes, depuis 1995, de nombreux dispositifs ont été adoptés, mais le problème est qu’ils requièrent de déposer plainte. Comment imaginer que l’un de ces habitants puisse le faire, sachant que les auteurs de ces faits, au demeurant présumés innocents, stationnent devant sa porte ? Il faut donc donner aux forces de l’ordre les moyens d’assurer la tranquillité de ces habitants.
À cette fin, l’idée de l’amendement est de permettre la notification de l’infraction par les forces de l’ordre sur la base du simple constat d’occupation des lieux. L’amende forfaitaire sanctionnant cette infraction se monterait à 200 euros. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. Philippe Gosselin
Excellent !
M. le président
La parole est à M. Éric Poulliat, pour soutenir l’amendement no 1134.
M. Éric Poulliat
L’occupation illicite de hall d’immeuble avait été l’un des délits identifiés par la mission d’information sur l’amende forfaitaire. C’est ce qui m’a conduit à déposer cet amendement. Surtout, il m’est apparu nécessaire de rendre le montant de l’amende cohérent avec celui de celle applicable pour les produits stupéfiants.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?
M. Didier Paris, rapporteur
Il s’agit d’infractions que l’on pourrait croire de faible intensité, mais dont les effets sont délétères dans la situation que nous connaissons en matière d’habitat, en particulier dans les grandes villes et les périphéries. La commission, par ma voix, apporte donc tout son soutien à ces amendements. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM et sur les bancs du groupe LR.)
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Je vais être moins applaudie, mais j’assume ! J’aurai peut-être quand même de tout petits applaudissements… (Rires.)
M. Philippe Gosselin
Nous y sommes prêts, encore un petit effort ! (Mêmes mouvements.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Je veux redire ici la détermination du Gouvernement à lutter contre des phénomènes qui, nous le savons parfaitement, nuisent à la qualité de vie de nos concitoyens. Cependant, la forfaitisation du délit ne nous apparaît pas en l’espèce comme la solution la plus appropriée. En effet, la procédure de forfaitisation n’est adaptée qu’à des infractions formelles dont la constatation relève de l’évidence. C’est la raison pour laquelle nous ne l’envisageons que pour des infractions relativement aisées à caractériser, comme le délit d’usage de stupéfiants lorsque la personne est en train de consommer de la drogue.
Or, pour caractériser le délit sanctionné par le code de la construction et de l’habitation et correspondant au fait d’occuper en réunion les parties collectives des immeubles en empêchant délibérément l’accès ou la libre circulation des personnes ou le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté, il ne suffit pas de constater la présence de plusieurs personnes dans le hall d’un immeuble : il faut encore établir l’empêchement délibéré d’accéder aux lieux, d’y circuler librement ou de faire fonctionner les dispositifs de sécurité. (Protestations sur les bancs du groupe LR.)
M. Philippe Gosselin
C’est le travail des policiers !
M. Jean-Christophe Lagarde
Ça fait quinze ans qu’on en parle !
Mme Frédérique Meunier
C’est évident !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Ce n’est peut-être pas si évident : je ne sais pas si ça l’est dans tous les cas.
M. Philippe Gosselin
Ça empoisonne la vie dans les immeubles !
M. Jean-Christophe Lagarde
Et il n’y a jamais aucune poursuite !
M. le président
Monsieur Lagarde, s’il vous plaît ! Vous pourrez vous exprimer dans un instant.
M. Jean-Christophe Lagarde
Pardonnez-moi, madame la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Je vous expose la manière dont je vois les choses ; je respecte pleinement le fait que vous ne les voyiez pas de la même façon, mais je tenais à le faire.
Il nous semble donc que l’on s’expose ici au risque d’oppositions systématiques du fait de la difficulté à prouver les éléments constitutifs de l’infraction.
Cela dit, j’ai parfaitement conscience de la légitimité de cette préoccupation et je ne sous-estime pas l’intérêt de la proposition qui nous est faite. Je signale simplement le risque d’une difficulté juridique. C’est la raison pour laquelle j’émets un avis de sagesse.
M. Gilles Lurton
C’est déjà pas mal !
M. le président
La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde
Je réitère, cette fois-ci publiquement, mes excuses : c’est la passion qui parlait. Mais les auteurs des amendements et Mme la garde des sceaux elle-même viennent de me rajeunir, et je tiens à les en remercier : en 2003, dans cet hémicycle, nous avions le même débat alors que Nicolas Sarkozy était ministre de l’intérieur.
M. Philippe Gosselin
Nous confirmons !
M. Jean-Christophe Lagarde
Il avait inventé le délit d’entrave. Or celui-ci ne fonctionne pas : il n’y a aucune poursuite, car il n’est pas possible de caractériser le délit, faute de preuves. Tous les jours, dans quantité d’immeubles en France, des dizaines de milliers de Français doivent supporter que le hall soit occupé pour du trafic, de la distraction, de la consommation – peu importe : ils sont chez eux, ils ont du mal à rentrer chez eux, ils sont intimidés quand ils rentrent et perturbés quand ils sont à la maison, parce qu’il y a des gens qui mettent le bordel en bas ! (Approbation sur les bancs du groupe LR.)
M. Gilles Le Gendre
Oh !
M. Philippe Gosselin
Ça empoisonne la vie des gens !
M. Jean-Christophe Lagarde
Je me suis heurté à cet obstacle dix fois : dans les parties privatives d’un lieu commun, on considère, me disait-on, que l’on ne parvient pas à caractériser le délit – on m’expliquait à l’époque que c’était dans la Constitution : tu parles ! Je vous sais d’ailleurs gré de ne pas avoir utilisé cet argument, madame la garde des sceaux. La vérité, c’est que ce qui a été inscrit dans la loi en 2003 n’est pas caractérisé, car non caractérisable, et n’est donc pas poursuivable !
Si vous voulez rendre leur tranquillité aux personnes concernées, permettez au moins que les délinquants soient verbalisés. Savez-vous ce qui se passe depuis la loi Sarkozy de 2003 ? À l’époque, je l’avais défendue et votée ; je me suis trompé, je l’admets. Les policiers doivent embarquer les intéressés, voire provoquer un incident, pour pouvoir libérer le hall de l’immeuble, sinon les occupants reviennent au bout de cinq minutes ! La voilà, la réalité vécue par les Français !
Je vous remercie de votre avis de sagesse, madame la garde des sceaux, et je demande à tous mes collègues, qu’ils fassent partie de l’opposition ou de la majorité, de nous permettre de résoudre ce problème.
Cela suppose une seconde condition : pouvoir recouvrer l’amende. Pour cela, il faut que les débiteurs n’aient pas organisé leur insolvabilité. Tel est le sens d’amendements que je défendrai ultérieurement.
Mais faisons déjà un premier pas. Je saluerai la majorité bien bas si elle se montre capable de concrétiser ce qui a été refusé sous Sarkozy et sous Hollande : elle aura permis une avancée qui concerne vraiment la vie quotidienne des Français !
M. le président
La parole est à Mme Marine Le Pen.
Mme Marine Le Pen
Manifestement, certains blocages dérangent plus le ministre de l’intérieur que d’autres… Les blocages dont nous parlons, qui sont quotidiens, semblent ne pas gêner qui que ce soit alors qu’ils dérangent des centaines de milliers de personnes qu’ils font vivre dans la terreur.
Il existe ce que l’on pourrait appeler la justice au balcon : « ah, il faudrait faire ceci, cela », etc. Je rejoins M. Lagarde : nous devrions nous intéresser au pourcentage d’amendes qui sont véritablement recouvrées. Combien y a-t-il d’amendes, dans les quartiers difficiles, dont le non-paiement suscite la venue d’un huissier ? Si les amendes ne sont pas payées, cela ne sert strictement à rien de voter des textes, ni de demander aux policiers d’aller mettre des amendes, au péril de leur intégrité physique puisqu’ils sont alors confrontés à des violences. Allons au bout de la logique qui est ici à l’œuvre, cessons de reculer et faisons vraiment procéder au recouvrement des amendes.
Je parle de contraventions ou de délits simples tels que ceux dont il est question ici, mais aussi de tous les autres. La Commission d’indemnisation des victimes d’infractions, c’est l’argent du contribuable ! Elle paie pour les victimes, et c’est tant mieux, mais on n’a pas l’impression qu’elle ait ensuite la volonté, le temps ou tout simplement la possibilité d’aller recouvrer les sommes versées aux victimes et qui devraient être payées par les délinquants et par les criminels.
M. le président
Je rappelle la règle que j’ai annoncée au début de la séance et qui limite à deux le nombre de prises de parole par amendement – conformément à notre règlement, lequel n’accorde pas non plus de droit de réplique aux auteurs de l’amendement. Nous avons dit deux : ce sera deux pour toute la soirée. (Exclamations sur divers bancs.)
(Les amendements identiques nos 1031 et 1134 sont adoptés.)
Rappels au règlement
M. le président
La parole est à M. Philippe Gosselin, pour un rappel au règlement.
M. Philippe Gosselin
Je veux bien que l’on aille vite, mais un sujet essentiel vient d’être soulevé, à propos duquel on aurait pu envisager qu’une petite réponse soit apportée aux avis de la commission et du Gouvernement et aux échanges qui se sont ensuivis. Le débat n’était pas tout à fait clos. Monsieur le président, vouloir passer au vote, c’est très bien ; vouloir faire du chiffre avec les amendements, c’est parfait ; mais nos débats ont aussi besoin d’un peu de sérénité. S’agissant d’un sujet qui empoisonne autant la vie de nos concitoyens – le blocage des cages d’escalier est un véritable problème –, nous aurions pu nous donner quelques instants de plus pour entendre une ou deux interventions au lieu d’en venir à pareilles extrémités. Je tiens à dénoncer cette façon de faire. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. le président
Il est pris bonne note de votre rappel au règlement, monsieur le député. Je ferai ce à quoi je me suis engagé : appliquer notre règlement (Protestations sur les bancs du groupe LR et sur quelques bancs du groupe LaREM) pour permettre une discussion fluide et complète.
La parole est à M. Antoine Savignat, pour un rappel au règlement.
M. Antoine Savignat
Je suis de plus en plus agacé. Vous me direz que ce n’est pas grave et que tout le monde se fiche de mes états d’âme. Mais nous avions débuté la discussion du projet de loi en bonne intelligence : chacun pouvait prendre la parole quand il le souhaitait, ce qui semblait légitime – après tout, il s’agit de la justice de demain dans ce texte voulu par Mme la garde des sceaux. La parole a été accordée avec une grande libéralité ; il faut le reconnaître, et en rendre hommage à tous ceux qui ont présidé la séance depuis lundi. Et voilà que, d’un seul coup, nous n’aurions plus le droit de prendre la parole sous prétexte qu’il est tard et qu’il faut finir l’examen du texte ?
M. Philippe Gosselin
Oui, c’est cela qui vous motive, non de l’intérêt de la loi !
M. Antoine Savignat
Les amendements ont été préparés par des députés de différents bords ; ils ont été travaillés ; ils sont le fruit de consultations, de concertations. Nous ne pouvons pas faire cette insulte aux Français ! Nous sommes l’Assemblée nationale ; nous sommes en train de faire la loi ; cette loi est le fruit du travail de tous. Par respect pour tous les Français, nous ne pouvons pas, d’un seul coup, décider d’appliquer strictement le règlement (M. Philippe Gosselin applaudit), à moins que vous ne vouliez laisser penser que c’est là votre vision de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Marine Le Pen applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. David Habib, pour un rappel au règlement.
M. David Habib
Cet après-midi, nous avons passé au moins deux heures sur un amendement d’habilitation à réviser l’ordonnance de 1945. Ce n’est pas nous qui avons pris cette initiative, ce n’est pas nous qui avons prolongé les débats : c’est le Gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LR. – Mme Marine Le Pen applaudit également.)
Que les choses soient claires : nous nous sommes engagés hier auprès de Mme la ministre et du président de séance à tout faire pour que les débats se déroulent convenablement, sereinement,...
M. Philippe Gosselin
Nous aussi !
M. David Habib
...et nous nous y sommes tenus – même moi, alors que je trouvais cet engagement quelque peu excessif. (Sourires.)
Monsieur le président, nous souhaitons simplement que vous n’utilisiez pas le règlement pour brider notre parole sur des sujets essentiels – je ne parle pas de celui qui vient d’être évoqué.
Par ailleurs, on voit bien que votre souci est de faire voter ce week-end diverses dispositions ayant trait à l’organisation territoriale du service public de la justice : eh bien – disons les choses comme elles sont –, nous n’y arriverons pas ! Mieux vaut laisser nos débats se poursuivre sereinement, sans quoi nous allons multiplier les rappels au règlement et les demandes de suspension de séance.
Mme Marine Le Pen
Voilà !
M. Philippe Gosselin
Exactement ! On sait faire !
M. David Habib
Cela vous rappellera peut-être certain débat que nous avons entamé cet été et qui pourrait reprendre en janvier…
Monsieur le président, au nom de notre besoin de sérénité, nous vous demandons de faire une application intelligente du règlement, dont nous avons tous connaissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Louis Masson, pour un rappel au règlement, après quoi je suspendrai la séance pour quelques minutes.
M. Jean-Louis Masson
Monsieur le président, je ne suis vraiment pas d’accord avec votre conception du fonctionnement de nos débats. Nous avons débattu très sereinement la nuit dernière, ce matin et cet après-midi. Il n’y a aucune raison que nous ne puissions pas continuer ainsi. Je demande une suspension de séance.
M. le président
Vous en avez tout à fait le droit. J’avais d’ailleurs déjà annoncé une suspension.
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinquante-cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
Article 37 (suite)
M. le président
La parole est à Mme Typhanie Degois, pour soutenir l’amendement no 1286.
Mme Typhanie Degois
Le code rural et de la pêche maritime prévoit plusieurs infractions sanctionnant les mauvais traitements envers les animaux. Or très peu de condamnations sont prononcées sur le fondement des articles dudit code : on en dénombre 486 en 2015 et 461 en 2016. La raison ? Il s’agit d’infractions dites mineures et donc souvent classées sans suite alors que l’infraction est bien caractérisée. Nous laissons ainsi persister des situations d’illégalité dans lesquelles les forces de l’ordre, comme les associations, se retrouvent dépourvues de moyens d’action et nous laissons s’installer un sentiment d’impunité auprès de nos concitoyens.
Parce que chaque infraction mérite une sanction, nous vous proposons d’étendre la procédure de l’amende forfaitaire à ces contraventions afin de permettre l’instauration d’une procédure efficace et simplifiée. L’amende forfaitaire, comme plusieurs d’entre nous ont déjà eu l’occasion de le rappeler, est un outil de répression pénale efficace permettant de sanctionner le justiciable dès la constatation de l’infraction. Appliquer l’amende forfaitaire à l’article L. 214-3 du code rural et de la pêche maritime resterait facultatif et, en cas de contestation, un juge serait toujours appelé pour trancher l’affaire. Nous n’enlèverions aucun droit aux associations de se porter partie civile car, sur ces infractions, elles n’ont aujourd’hui pas ce droit. Or les infractions dont il est ici question sont des faits facilement caractérisables : la jurisprudence nous donne une abondance de cas.
J’appelle votre attention sur le fait que le présent amendement apporte une solution concrète, soutenue par une dizaine d’associations et par plus de 81 000 personnes qui ont signé une pétition. Les associations et les forces de l’ordre sont confrontées à un vrai problème au quotidien et comme tout problème, celui-ci mérite des solutions simples et efficaces qui ne doivent pas être reportées à plus tard.
N’oublions pas que les dispositions que nous votons influencent directement la vie de nos concitoyens.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Paris, rapporteur
Je remercie notre collègue Typhanie Degois qui pointe du doigt une vraie difficulté, celle de la cause animale, en particulier celle de la maltraitance animale – problème endémique et qui tend malheureusement à se développer. Il n’y a donc aucun doute sur le fait que l’objectif poursuivi par les cosignataires de l’amendement est louable – et du reste nous le partageons. Seulement, nous sommes ici, avec l’article 37 du texte, dans le cadre de l’amende forfaitaire délictuelle puisque le Parlement, en vertu des articles 34 et 37 de la Constitution, ne peut intervenir qu’en matière délictuelle. Or les sanctions que vous évoquez sont de nature contraventionnelles.
Aussi la réponse que je suis amené à vous faire en tant que rapporteur est-elle celle-ci : certes la difficulté existe, certes les associations s’en préoccupent et font un remarquable travail au quotidien, mais nous ne sommes pas en mesure de la résoudre dans cette enceinte. Éventuellement, la ministre de la justice, si elle le veut bien, peut s’en charger…
Mme Marine Le Pen
Par voie d’ordonnances ?
M. Didier Paris, rapporteur
…puisque ce que vous proposez relève du domaine réglementaire ; et, dans ces conditions, je lui cède volontiers la parole, après avoir malheureusement, si je puis dire, émis un avis défavorable.
M. Erwan Balanant
La patate est chaude…
M. le président
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux
Madame la députée, je vous remercie de mettre ce sujet en avant, mais M. le rapporteur a clairement indiqué pourquoi il n’était juridiquement pas possible de l’aborder dans la loi selon les modalités que vous proposez. En effet, le dispositif de votre amendement est de nature contraventionnelle alors que la loi ne peut fixer une contravention. Cela étant, je veux bien m’engager à ouvrir une réflexion sur le sujet, et à voir comment elle pourrait nous amener à appliquer aux contraventions que vous souhaitez la procédure de l’amende forfaitaire. Mon avis est donc défavorable, avec l’engagement de conduire une réflexion.
M. le président
La parole est à M. Gilles Lurton.
M. Gilles Lurton
L’amendement aborde un sujet important, et nous aurions pu y être favorables sans le problème juridique que vous avez soulevé. Trop souvent les associations se trouvent dans l’impossibilité d’intervenir, et les forces de police n’ont pas toujours les moyens de le faire. La maltraitance animale, en particulier celle qui se produit au domicile des particuliers, est malheureusement de plus en plus fréquente. Madame la ministre, je vous remercie d’avancer sur ce dossier.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Je partage l’avis de mes collègues. La souffrance que les humains peuvent infliger aux animaux en dit long sur la société dans laquelle nous vivons, et sur celle dans laquelle nous voulons vivre. Nous nous grandirons collectivement en faisant reculer la maltraitance animale.
La ministre est prête à avancer sur le sujet : c’est très bien ! Ce serait encore mieux de pouvoir faire bouger les choses par la loi – certains aspects de ce sujet relèvent certainement du domaine législatif, même si ce n’était pas le cas de l’amendement en débat. Il est d’ailleurs possible qu’une application un peu trop stricte de l’article 45 de la Constitution ait fait disparaître des amendements sur le sujet – certains des miens sur délinquance financière ont subi le même sort.
M. le président
Madame Degois, souhaitez-vous retirer votre amendement ?
Mme Typhanie Degois
Non, monsieur le président, je ne retire pas celui-là, mais je retirerai les deux amendements suivants, nos 1283 et 1285.
Madame la garde des sceaux, j’appelle votre attention sur le fait qu’aujourd’hui le code rural et de la pêche maritime est totalement hétérogène puisqu’il comporte déjà des infractions soumises aux amendes forfaitaires, et d’autres qui ne le sont pas. Actuellement, même les forces de l’ordre ne peuvent pas appliquer la loi. Mon amendement vise à permettre aux associations de faire leur travail.
J’ai bien pris note de votre volonté que nous avancions ensemble. Cet été, dans l’hémicycle, vous aviez passé outre au caractère contraventionnel des textes relatifs aux violences sexistes ; vous pourriez faire de même aujourd’hui. Si vous ne le souhaitez pas, nous devons avancer ensemble avec les associations et tous les collègues des différents groupes mobilisés sur ce sujet extrêmement important. Pour les associations, et au nom de cette cause, je ne retirerai pas l’amendement.
(L’amendement no 1286 est adopté.)
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM, et sur les bancs des groupes LR et FI.)
M. le président
Madame Degois, vous venez de retirer vos amendements nos 1283 et 1285.
(Les amendements nos 1283 et 1285 sont retirés.)
Rappels au règlement
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour un rappel au règlement.
M. Ugo Bernalicis
Je préconise que Mme la ministre dépose un amendement afin que le Gouvernement, selon la pratique actuellement en vogue, soit autorisé à légiférer par ordonnances sur la question que nous venons d’aborder. Ce n’est qu’un petit conseil amical. (Sourires.)
M. le président