- Texte visé : Projet de loi de finances pour 2023, n° 273
- Stade de lecture : 1ère lecture (1ère assemblée saisie)
- Examiné par :
Après le 2 de l’article 238 bis du code général des impôts, est inséré un 2 bis ainsi rédigé :
«2 bis. – L’attribution d’une réduction d’impôt aux entreprises effectuant des versements sous forme de dons en nature de denrées alimentaires au profit d’organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté est conditionnée au respect des critères suivants :
« a) Les denrées redistribuées doivent être conformes aux principes de l’analyse des risques et de la maîtrise des points critiques énoncés dans le règlement (CE) n° 852/2004 ;
« b) La traçabilité des denrées doit être assurée pour les rendre identifiables ;
« c) Les produits ne doivent être ni détériorés, ni abîmés. L’emballage doit être intact et doit inclure un dispositif d’étiquetage complet, renseignant notamment la date limite de consommation du produit.
« Pour rendre compte du respect des critères susmentionnés et ouvrir droit à la réduction d’impôt, les organismes qui bénéficient des versements complètent et signent l’attestation de don dans un délai défini par arrêté du ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. »
Le gaspillage alimentaire, tel que défini par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire du 10 février 2020, concerne “toute nourriture destinée à la consommation humaine qui, à un endroit de la chaîne alimentaire, est perdue, jetée, dégradée”. En France, chaque année, 10 millions de tonnes de nourriture sont gaspillées, soit 150 kg par personne par an. Le coût économique du gaspillage alimentaire est estimé à 16 milliards d’euros. D’après un rapport de l’ADEME, la distribution dans son ensemble produit 14 % des pertes alimentaires : cela revient à 1,4 million de tonnes de produits jetés chaque année, soit 2.8 milliards de repas de 500g qui n’ont pas été consommés. Le gaspillage de denrées alimentaires induit le prélèvement inutile de ressources naturelles, une consommation d’eau qui aurait pu être réduite et des émissions de gaz à effet de serre qui auraient pu être évitées. D’après l’étude de l’ADEME, les émissions de CO2 générées par le gaspillage alimentaire correspondent à 3 % de l’ensemble des émissions nationales en France.
Adoptée en 2016, la loi n° 2016-138, dite loi Garot, interdit la destruction des produits alimentaires invendus encore consommables et oblige les grandes et moyennes surfaces (GMS) de plus de 400m² à signer un partenariat conventionné avec une association d’aide alimentaire habilitée pour le don des invendus alimentaires. L’article 238 bis du Code général des impôts prévoit, à l’alinéa 24, « une réduction d'impôt au taux de 60% de leur montant les versements effectués par les entreprises au profit d'organismes sans but lucratif qui procèdent à la fourniture gratuite de repas à des personnes en difficulté ».
Les décrets du 28 décembre 2016 et du 20 octobre 2020 précisent les conditions dans lesquelles les dons doivent être réalisés. Le décret du 20 octobre 2020 oblige en effet à un plan de gestion et demande que les produits donnés soient correctement étiquetés et, sauf exceptions, avec un délai avant la DLC de 48 heures minimum. L’objet de l’amendement est d’aller plus loin et de conditionner l‘obtention du crédit d’impôt au respect de critères sanitaires, car dans la pratique les plans de gestion ne s’avèrent souvent insuffisants et inégalement respectés Par ailleurs, le BOFIP du 8 juin 2022 se limite à indiquer que les reçus fiscaux doivent mentionner la nature et les quantités des denrées données et leur valorisation telle qu’elle a été déterminée par l’entreprise, mais reste silencieux sur la qualité des dons et leur traçabilité.
Pourtant, d’après le rapport « Aide alimentaire : un dispositif vital, un financement menacé », publié par le Sénat en 2018, des associations se plaignent d’une diminution de la qualité des dons, se traduisant par une absence de tri des denrées de la part de la grande distribution, par la fourniture de denrées à J-1 de leur date limite de consommation ou déjà impropres à la consommation. Les associations doivent alors effectuer elles-mêmes le tri des produits et sont contraintes de payer, à la place des opérateurs de la GMS, pour la collecte des déchets. L’aide alimentaire n’a pas vocation à entériner une hiérarchie entre les individus : les personnes qui y ont 3 recours ne sont pas supposées récupérer les denrées jugées impropres à la consommation en GMS. Si le gaspillage alimentaire doit être drastiquement réduit, cela ne peut se faire au détriment d’une catégorie de la population.
Le cadre législatif actuel est visiblement insuffisant, en pratique, pour assurer la qualité des dons opérés par les grandes surfaces aux associations d’aide aux personnes en situation de précarité. D’après le constat formulé par des associations engagées dans la lutte contre le gaspillage alimentaire, les denrées invendues en grande surface souffrent souvent d’un niveau de qualité dégradé, empêchant leur redistribution à un public vulnérable.
Conditionner les crédits d’impôts à certains critères permettrait d’améliorer la qualité des denrées fournies aux publics les plus précaires, tout en engageant un changement dans les mentalités. Il est pertinent d’agir sur le levier des déductions fiscales pour inciter les opérateurs de la grande surface à améliorer leurs dons et les encourager à aller dans le sens de la solidarité.