XVIe législature
Congrès 2024

Séance du lundi 04 mars 2024

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Séance du lundi 04 mars 2024

Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet

Mme la présidente

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à quinze heures quarante.)

    1. Réunion du Parlement en Congrès

    Mme la présidente

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    Le Parlement est réuni en Congrès, conformément au décret du Président de la République publié au Journal officiel du 1er mars 2024. Le règlement adopté par le Congrès du 20 décembre 1963, modifié les 28 juin 1999 et 22 juin 2009, est applicable à la présente réunion.

    2. Projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse.
    Les délégations de vote pour le scrutin cesseront d’être enregistrées dans dix minutes. Le scrutin aura lieu dans les salles voisines de l’hémicycle.
    Monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les membres du Gouvernement, mesdames et messieurs les membres du Congrès, pour la première fois de notre histoire, le Congrès du Parlement est présidé par une femme. (Applaudissements nourris sur de très nombreux bancs. – Quelques parlementaires se lèvent.) En remontant avec la solennité qui s’attache à ces lieux la galerie des Bustes – des bustes d’hommes exclusivement –, avant d’ouvrir cette séance, j’ai pensé à Simone Veil qui, le 26 novembre 1974, dans l’hémicycle du Palais-Bourbon, s’excusait de partager sa conviction de femmes devant une assemblée presque exclusivement composée d’hommes.
    À son époque, en effet, on ne comptait que treize femmes parmi les députés, sept parmi les sénateurs. En contemplant aujourd’hui le Parlement réuni en Congrès, je constate avec vous que la place des femmes a changé, parce que la France a changé, même s’il reste beaucoup à faire pour atteindre la parité vraie.
    Oui, les temps ont changé ; l’égalité a progressé, la parole s’est libérée. Oui, hommes et femmes ici réunis, élus de la nation, ensemble, nous nous apprêtons à faire franchir à notre pays un nouveau pas sur le chemin des droits des femmes.
    Vous comprendrez que je sois fière de présider le Congrès du Parlement au château de Versailles, à cet instant précis où la liberté défendue par Simone Veil va être gravée dans le marbre de notre Constitution. Je suis fière de rendre hommage à toutes celles qui ont écrit, qui ont agi et à celles qui se battent encore au quotidien, près d’ici ou loin de nous, pour que nous escaladions, mètre par mètre, la paroi escarpée menant à l’égalité entre les femmes et les hommes.
    Car c’est bien une paroi qu’il nous faut gravir, paroi dont l’ascension reste longue, laborieuse et trop encore incertaine. Nous savons toutes et tous qu’il suffit d’un instant pour chuter, pour que tout ce que l’on croyait acquis ne le soit plus.
    Nous avons progressé, mais il reste tant à faire sur le terrain de l’égalité, et les violences faites aux femmes sont encore, hélas, une tragédie du quotidien. Cette nouvelle avancée, il suffisait d’écouter les femmes dans toute leur diversité, quelle que soit leur condition sociale, pour se convaincre de la nécessité de s’y atteler.
    Il suffisait de regarder le monde pour se convaincre de l’opportunité de s’y atteler. Les droits des femmes ne sont-ils pas les premiers à être menacés lorsque le populisme ou l’autoritarisme s’empare du pouvoir ou que les partisans de l’obscurantisme prétendent nous imposer un ordre moral toujours rétrograde ?
    Alors que le monde est secoué par tant de crises, notre pays s’attache à renforcer la garantie des droits. La France serait-elle à contre-courant ? Non ! Elle est à l’avant-garde ; elle est à sa place. C’est sa mission et elle est attendue. Aux femmes de France, nous disons que nous ne reculerons jamais ; aux femmes du monde, nous disons que nous les soutiendrons et que nous avancerons toujours à vos côtés.
    Je suis fière, et nous serons fiers demain, de ce Congrès qui permet de proclamer que la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse fait désormais partie de notre loi fondamentale. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)
    Nous sommes dans notre rôle. Le Parlement a montré une fois de plus que, lorsqu’il en a la volonté, il sait transcender les clivages politiques, pour emprunter le chemin du progrès. Retenons cette leçon ; appuyons-nous sur la vitalité de la démocratie parlementaire. Le constituant vient consacrer son œuvre, il le fait avec gravité, conformément à la seule procédure qui permet de réviser la Constitution – celle prévue en son article 89.
    L’heure est venue de nous prononcer en exerçant notre pouvoir constituant, pour nous, pour la nation, pour toutes les femmes et pour toutes nos filles, en France et dans le monde. (De très nombreux parlementaires, ainsi que les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent longuement.)
    La parole est à M. le Premier ministre.

    M. Gabriel Attal, Premier ministre

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    « L’acte de procréation est l’acte de liberté par excellence. La liberté entre toutes les libertés, la plus fondamentale, la plus intime de nos libertés. » Nous sommes en 1972, dans un prétoire de Bobigny, quand Gisèle Halimi prononce ces mots. Sur le banc des accusés, la mère d’une jeune fille de 16 ans, dont le crime est d’avoir aidé sa fille à avorter après un viol.
    Gisèle Halimi se tient face à une justice rendue par des hommes et à une loi écrite par des hommes ; elle défend la liberté de chaque femme. Nous sommes en 1972 : elle se sent encore bien seule dans ce prétoire lorsqu’elle plaide pour la liberté et pour le droit.
    Nous sommes aujourd’hui le 4 mars 2024, et Gisèle Halimi n’est plus seule. Un an après l’engagement pris par le Président de la République, le Parlement – et, avec lui, la nation – s’est rangé à ses côtés et s’apprête, je l’espère, à inscrire dans la Constitution la liberté de chaque femme à recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).
    Nous sommes en 2024, Gisèle Halimi n’est plus. Mais je salue sa famille présente dans cette salle du Congrès en ce jour historique.
    Mesdames et messieurs les parlementaires, nous étions en 1972, nous sommes en 2024 : qu’il est long le chemin de la liberté ! Alors que nous vous proposons de faire un pas de plus, c’est avec la plus grande humilité que je m’adresse à vous.
    Mesdames, et je dis bien mesdames, l’homme que je suis ne peut imaginer vraiment la détresse qu’ont pu connaître ces femmes, privées de la liberté de disposer de leur corps des décennies durant. L’homme que je suis ne peut imaginer vraiment la souffrance physique d’alors, quand l’avortement était synonyme de clandestinité honteuse, de douleurs innommables et de risques fatals. L’homme que je suis ne peut imaginer vraiment la souffrance morale, causée par une société pesante, qui préférait taire et condamner.
    Mais le frère, le fils, l’ami et le Premier ministre que je suis retiendra toute sa vie la fierté d’avoir été présent à cette tribune en ce jour où, je l’espère, sera consacré le combat de femmes et d’hommes de tous bords et de toutes sensibilités confondus. Ils font honneur à la nation des droits qu’est la France en ayant rendu possible cet instant, ce jour où nous pouvons ensemble, unis et pleins d’émotion, modifier notre loi fondamentale pour enfin y inscrire la liberté des femmes.
    Nous avons une dette morale envers toutes ces femmes qui ont souffert dans leur chair comme dans leur esprit, parfois jusqu’à y perdre la vie. Ces femmes mortes pour avoir voulu être libres nous hantent, tout comme les aiguilles des faiseuses d’anges et les échappées clandestines pour avorter à l’étranger, la peur au ventre. Nous sommes hantés par la souffrance et la mémoire de tant et tant de femmes qui, des décennies durant, ont souffert de ne pouvoir être libres, allant parfois jusqu’à payer de leur vie l’injustice que le législateur, exclusivement masculin, voulait continuer de faire peser sur elles.
    Aujourd’hui, nous pouvons changer le cours de l’histoire. Il est de notre devoir que les consciences qui s’éveillent à présent, et celles qui écloront demain, ne soient plus hantées par ces souvenirs macabres, mais plutôt habitées par la fierté que nous leur aurons léguée, celle d’appartenir à un peuple éminemment libre, conscient que le progrès est un but, que les droits sont son moyen, et que le corps des femmes n’est rien d’autre que l’empire de leur liberté et de leur libre arbitre, et non l’outil d’un projet qui ne serait pas le leur.
    C’est en pensant à ces siècles de souffrances et d’injustices que je prends la parole devant vous aujourd’hui, après des mois d’un travail parlementaire transpartisan qui a commencé bien avant ma nomination, et presque un an, jour pour jour, après l’engagement historique du Président de la République d’inscrire la liberté des femmes à disposer de leur corps dans notre Constitution.
    Ce vote est d’abord l’aboutissement d’un long combat, qui débuta avec la lutte pour le droit de vote et pour la citoyenneté. Entamée pendant la Révolution et incarnée par Olympe de Gouges, cette lutte a continué à être menée par tant de femmes que le silence étouffait, comme Louise Weiss, qui en réinventa les principes et pensa la femme nouvelle, ou Cécile Brunschvicg, militante infatigable du droit de vote et première femme à entrer au gouvernement, avec Irène Joliot-Curie et Suzanne Lacore, en 1936, à la faveur du Front populaire.
    Ce combat ne toucha au but qu’à la Libération. Pendant près d’un siècle, Marianne était une femme mais elle n’avait pas le droit de voter. Il fallut attendre 1944, il y a quatre-vingts ans, pour que l’injustice soit réparée, et pour qu’enfin, au lendemain de la seconde guerre mondiale, les femmes soient vraiment citoyennes, qu’elles aient le droit d’être élues et de voter.
    Ce pas de géant, nous le devons à l’alliance des gaullistes, des communistes, des chrétiens-démocrates et des socialistes, rassemblés autour de l’égalité. Cela montre que les plus grands progrès sont le fruit de l’unité – une démonstration que nous pouvons à nouveau faire aujourd’hui.
    Toutefois, contrairement aux espoirs des réactionnaires, le combat était loin d’être terminé : les femmes avaient obtenu le droit de vote, mais toujours pas la liberté de disposer de leur corps. Il a alors fallu de la conviction, des combats et du temps, trop de temps.
    Les Trente Glorieuses sont des années d’accélération pendant lesquelles la France se reconstruit, se renouvelle et se modernise, oscillant entre insouciance et abondance. Pourtant, les droits des femmes n’avancent que lentement. Le corps des femmes reste un tabou. La loi scélérate de 1920, qui fait de l’avortement un crime passible de la cour d’assises, plane au-dessus de leur tête.
    Cependant des voix se lèvent, de plus en plus nombreuses. Nous sommes en 1967 quand la loi Neuwirth légalise la pilule contraceptive. Le mouvement s’accélère ; on ne peut plus l’arrêter. En 1971, 343 femmes brisent le tabou et le silence. Célèbres ou anonymes, toutes ont en commun une histoire, celle de l’avortement.
    Nous sommes en 1972. Les procès de Bobigny divisent l’opinion. Gisèle Halimi défend les accusés mais elle prend la parole pour toutes les femmes : avocate des prévenues, procureure contre un système qui prétend décider à la place des femmes. Le scandale est immense, à la hauteur de la chape de plomb qui pèse toujours sur leur corps. Rien, plus rien ne peut arrêter la marche du progrès.
    Nous sommes le 26 novembre 1974 – il y a cinquante ans : à la suite de l’engagement de Valéry Giscard d’Estaing, Simone Veil monte à la tribune de l’Assemblée nationale. Souvenons-nous des mots qui résonnent alors, de ces insultes qui fusent dans l’hémicycle à son endroit : « barbarie », « nazisme », « génocide », « four crématoire », et tant d’autres. Malgré ces injures et les menaces, Simone Veil ne cède pas ; elle ne plie pas.
    Aujourd’hui, le présent doit répondre à l’histoire. Cinquante ans plus tard, sous le regard de sa famille, que vos applaudissements en l’honneur de son combat et de sa cause tonnent plus fort encore que ces insultes et rendent définitivement justice à Simone Veil ! (De très nombreux parlementaires, ainsi que les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent longuement. – Mme la présidente applaudit également.)
    Si, peu après sa mort, des affiches et des portraits où était écrit « Merci Simone ! » ont fleuri dans la rue, ce n’était pas un hasard. Le legs de Simone Veil est universel, son courage un modèle qui nous inspire encore collectivement.
    En ouvrant enfin la voie, la loi Veil marque un tournant, mais il restait encore bien des batailles à remporter. Nous sommes en 1982 quand Yvette Roudy instaure le remboursement de l’interruption volontaire de grossesse par la sécurité sociale. C’est la fin des inégalités sociales face à la liberté du corps. Toutes les femmes peuvent être protégées.
    Nous sommes en 2001 quand, grâce à Martine Aubry, il devient possible de recourir à l’interruption volontaire de grossesse jusqu’à la douzième semaine.
    Nous sommes en 2013 quand Marisol Touraine améliore l’accès à l’IVG sur tout le territoire et permet son remboursement total.
    Nous sommes en 2014 quand Najat Vallaud-Belkacem abolit la notion de détresse, requise jusque-là pour recourir à l’IVG.
    Nous sommes en 2016 quand Laurence Rossignol étend le délit d’entrave à l’IVG aux sites internet militants qui diffusent de fausses informations sur l’avortement.
    Nous sommes en 2022 quand, avec le soutien du Président de la République et du Gouvernement, et grâce au travail de parlementaires de divers bords politiques, le délai pour recourir à l’IVG est allongé et certaines des entraves qui existaient encore sont enfin levées.
    Nous sommes en 2024. Grâce aux médecins, aux associations féministes, au Planning familial, aux éveilleurs de conscience, aux élus – notamment aux parlementaires –, aux héritières et héritiers de ces combats passés mais jamais achevés, la marche du progrès a fait son office.
    Je veux rendre hommage à toutes les associations qui ont œuvré et œuvrent encore pour les droits des femmes, en premier lieu pour leur droit à disposer de leur corps. Elles sont les héritières de la Voix des femmes, de Choisir la cause des femmes, et, bien sûr, du MLF – Mouvement de libération des femmes. (De très nombreux parlementaires, ainsi que les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent en se tournant vers les tribunes du public.)
    Elles mènent un combat juste, et font rayonner chaque jour notre devise républicaine. Grâce à elles, les mentalités ont changé : les Françaises et les Français soutiennent sans équivoque la liberté des femmes à disposer de leur corps.
    Le combat des femmes a ses héroïnes, mais il a aussi ses alliés. Au Manifeste des 343 ont répondu, quelques mois plus tard, 331 médecins, des hommes pour la plupart, qui revendiquaient avoir pratiqué l’IVG et en demandaient la légalisation. La lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes ne doit jamais devenir la guerre des sexes. C’est un combat pour toute notre société, un combat universel, pour l’unité républicaine, que nous mènerons et gagnerons ensemble, femmes et hommes, hommes et femmes, côte à côte et rassemblés.
    Je le dis depuis la tribune de ce Congrès, le premier de notre histoire présidé par une femme, chère Yaël Braun-Pivet, et qui rassemble plus de femmes que jamais auparavant. Je le dis aussi en tant que chef d’un gouvernement paritaire et déterminé à agir pour la cause de l’égalité.
    Sous l’autorité du Président de la République, qui a décidé de s’engager sur cette voie, nous œuvrons pour faire rimer égalité avec réalité. Cette révision s’inscrit dans la lignée de sept années d’action continue et résolue pour les droits des femmes. Le Président de la République a mené ce combat dès 2017, alors que ce n’était pas encore une évidence dans le débat politique. Il l’a décliné dans tous les champs de la vie de la cité – politique, économique, social et sociétal. Il n’a rien cédé, et en a fait par deux fois la grande cause de ses quinquennats, parce que le féminisme est un universalisme.
    Depuis sept ans, aidés par beaucoup d’entre vous, nous avons avancé sur ce chemin pour offrir des droits nouveaux, notamment aux mères seules – je pense au versement automatique des pensions alimentaires.
    Nous avons avancé pour la santé des femmes : certains tabous ont été brisés, comme l’endométriose ou l’infertilité.
    Nous avons avancé pour l’égalité au travail, celle des carrières professionnelles et des salaires, alors qu’à fonction égale, une femme ne gagne encore que les trois quarts de ce que gagne un homme. Nous continuerons donc à agir pour responsabiliser les entreprises, et pour que les femmes puissent obtenir les mêmes responsabilités que les hommes. Nous créerons bientôt le congé de naissance.
    Nous agissons contre toutes les formes de violence, et pour la libération de la parole, en renforçant notre droit, en formant les forces de l’ordre et en protégeant davantage les victimes.
    Nous sommes loin d’être au bout du chemin mais, pas à pas, l’égalité se rapproche. Ce Congrès est une étape fondamentale que nous pouvons franchir ; une étape qui restera dans l’histoire ; une étape qui doit tout aux précédentes. En garantissant la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse dans notre Constitution, nous offrons une deuxième victoire à Simone Veil et à toutes celles qui ont ouvert la voie. Nous adressons surtout un message à toutes les femmes : votre corps vous appartient et personne n’a le droit d’en disposer à votre place.
    Le progrès est collectif, car lorsqu’elle se met au service du progrès, rien ne peut vaincre l’unité. Le texte que nous examinons aujourd’hui en est la preuve. C’est bien du Parlement qu’est venue l’initiative du changement, promue par des députés et des sénateurs de la majorité comme des oppositions. Et puis il y eut, voilà un an, l’engagement du Président de la République de rendre ce changement possible. Le travail a été long et minutieux ; il a fait l’objet de débats importants, à l’Assemblée nationale comme au Sénat.
    Je salue ma prédécesseure, Élisabeth Borne, pour son engagement. Je salue l’action déterminante menée par les membres de mon Gouvernement : le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, infatigable artisan du compromis qui, guidé par la force de ses valeurs, n’a compté ni son temps ni ses heures pour convaincre, débattre, répondre et apaiser ; mais aussi Aurore Bergé – je sais quel aboutissement représente pour elle la réunion de ce Congrès. Je remercie tous les parlementaires, de la majorité comme des oppositions, qui ont participé à ce travail. Il est des moments, dans la vie d’un pays, où l’union, le collectif et l’intérêt général doivent s’extraire des querelles quotidiennes.
    Je voudrais que nous songions un instant au moment que nous vivons. Combien de Congrès du Parlement firent naître une telle unité ? Combien de Congrès du Parlement suscitèrent une telle émotion ? Combien de Congrès du Parlement permirent l’inscription d’un droit essentiel pour les femmes ? Combien de Congrès du Parlement furent le théâtre, non de joutes politiques politiciennes, mais d’unité, de gratitude et de l’écriture d’un destin commun ?
    Alors oui, réformer la Constitution est une décision qui ne se prend pas à la légère. La dernière réunion du Congrès visant à réviser la Constitution s’est tenue il y a seize ans. Il faut toujours avoir la main qui tremble dès lors que nous touchons à notre norme suprême. Nos libertés fondamentales sont inscrites dans notre Constitution et par votre vote, vous déciderez d’adopter une disposition qui consacrera comme inaliénable et fondamentale la liberté des femmes à disposer de leur corps. C’est le sens même du texte que nous vous proposons d’adopter. C’est le sens même de l’alinéa que nous vous proposons d’ajouter à l’article 34 de notre Constitution : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »
    Les débats parlementaires ont suscité des discussions et soulevé plusieurs interrogations, auxquelles je veux à nouveau répondre. Beaucoup semblent dire que l’IVG ne serait pas menacée, comme si, au fond, le sens de l’histoire était inévitable ; comme si le politique n’avait plus son mot à dire ; comme si ce qui était acquis l’était pour toujours. Je le réfute, clairement et formellement. Ce faisant, j’ose le dire : oui, la liberté d’avorter reste en danger, consubstantiellement menacée. Tout dans notre histoire le prouve : nos libertés sont par essence menacées, fragiles et à la merci de ceux qui en décident. Et lorsqu’on veut s’en prendre aux libertés d’un peuple, c’est toujours par celles des femmes qu’on commence. Simone de Beauvoir, encore une fois, avait raison.
    En une génération, en une année, en une semaine, on peut passer du tout au rien. De l’évidence à la lutte : parlez-en aux Américaines, qui doivent se battre pour le droit à l’IVG ; de l’insouciance à l’angoisse : parlez-en aux Hongroises et aux Polonaises – Européennes – pour lesquelles l’interruption volontaire de grossesse n’est plus une liberté consacrée ; de la liberté à l’oppression : en une génération, on a vu les Iraniennes passer du port de la jupe à celui du voile obligatoire, on a vu les Afghanes passer de la liberté d’aller à l’école à l’interdiction de s’instruire, on a vu tant et tant de femmes libres se faire tuer – oui, tuer ! – parce qu’elles refusaient de se soumettre. N’oublions jamais. (Applaudissements sur de nombreux bancs, ainsi que sur les bancs du Gouvernement.) Depuis ces pays, les femmes nous adressent un message : ne jamais s’endormir, ne jamais baisser la garde, ne jamais subir.
    Gouverner, c’est faire obstacle au tragique de l’histoire ; c’est se dresser face au malheur du temps présent, mais aussi faire obstacle de toutes nos forces au tragique du temps à venir. La politique, c’est faire obstacle à la folie des hommes, à ceux dont on dit que jamais ils ne gouverneront et que jamais ils n’oseront s’en prendre aux femmes, à nos mères, à nos filles, à nos sœurs, mais qui, par le jeu de l’histoire, pourraient se retrouver à s’exprimer depuis cette tribune sans que personne n’ait jamais cru cela possible.
    Alors oui, ce texte est un rempart aux faiseurs de malheurs ; à ceux pour qui tout était mieux avant ; à ceux qui oublient de dire que, dans cet avant, la femme n’était pas libre ; à ceux qui sont nostalgiques d’un temps où la femme ne pouvait pas travailler ni ouvrir un compte en banque sans l’autorisation d’un homme, d’un temps où elle ne pouvait pas dépenser son argent comme elle l’entendait. D’un temps, enfin, où les femmes ne pouvaient pas avorter.
    Inscrire ce droit dans notre Constitution, c’est fermer la porte au tragique du passé et à son long cortège de souffrances et de douleurs ; c’est empêcher davantage les réactionnaires de s’en prendre aux femmes. Mais légiférer, c’est aussi préparer l’avenir, cet avenir que nous abordons souvent comme une marche en avant, en étant pétris de certitudes, celle notamment qui voudrait que le progrès soit un aller sans retour et que jamais nous ne répéterons les erreurs du passé.
    Mais n’oublions pas que le train de l’oppression peut repasser. En ce jour, agissons pour que cela n’advienne jamais. Ce jour constitue un pas dans la longue marche du progrès que nous avons entamée, que la France a entamée dès 1789, lorsqu’elle cria à l’Europe et au monde : « Nous naissons libres et égaux en droit ! »
    Aujourd’hui, la France est pionnière. Aujourd’hui, vous direz au monde que, oui, la France est fidèle à son héritage, à son identité de nation à nulle autre pareille : pays phare de l’humanité, patrie des droits de l’homme et aussi – et surtout – des droits de la femme. Aujourd’hui, à travers votre vote, c’est la nation tout entière qui prend en main son destin et qui ose être le premier peuple au monde à graver dans son texte suprême la liberté des femmes à recourir à l’interruption volontaire de grossesse.
    Par ce geste, ce ne sont pas seulement les femmes que vous honorez, c’est la France. Cette France de 2024, plus ouverte qu’elle ne le pense ; cette France de 2024 qui ose ce qu’aucun peuple au monde n’a encore envisagé ; cette France de 2024 qui sait se réunir, se mobiliser et se lever pour ce qui est à la fois un droit, une liberté et un honneur ; cette France de 2024 qui change sa Constitution et scellera ainsi la consécration d’une liberté fondamentale ; cette France de 2024 qui peut dire avec fierté au monde entier : « Oui, en ce jour, la liberté est française ! »
    Bien sûr, il reste beaucoup à accomplir mais, si vous le décidez, notre loi fondamentale sera modifiée pour la première fois depuis seize ans. Le Président de la République présidera alors une cérémonie de scellement de la loi constitutionnelle, pour y rappeler les racines de cet engagement ainsi consacré. Si vous le décidez, sera apposé sur le livre de notre Constitution un nouveau sceau, fait de larmes et de sang : les larmes ayant coulé sur les joues des femmes qui ont souffert pour exercer ce droit ou souffert de n’avoir pu y accéder ; le sang de ce long cortège de femmes qui ont payé de leurs souffrances physiques, parfois de leur vie, le fait que vous puissiez aujourd’hui voter pour la liberté des femmes.
    Voilà soixante ans, la jeune Annie Ernaux connaissait son « événement ». Combien de générations en ont connu, des « événements » ? L’Événement, c’était un matin froid, un regard goguenard, une réprimande paternaliste, la douleur d’une aiguille, l’argent collecté par tous les moyens, les séquelles, la honte, la clandestinité.
    Un nouvel événement se déroule aujourd’hui : celui qui doit clore une fois pour toutes le monde d’hier. Notre génération, une génération de femmes, de filles, de mères, aura dans son calendrier intime et politique, dans le décompte de ses années, une date marquée à jamais, qui ne sera pas leur événement de douleur, mais un événement de fierté. Cet événement, c’est ce vote du Congrès, aujourd’hui, et, je l’espère, le sceau du 8 mars 2024. « L’ère d’un monde fini commence », concluait Gisèle Halimi au procès de Bobigny. Je dis à toutes les femmes, au sein de nos frontières et au-delà, qu’aujourd’hui l’ère d’un monde d’espoir commence. (De très nombreux parlementaires, ainsi que les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent longuement.)

    Explications de vote

    Mme la présidente

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    Je vais maintenant donner la parole aux orateurs inscrits pour des explications de vote, au nom des groupes de chacune des assemblées. Chaque orateur dispose de cinq minutes.
    Pour le groupe Renaissance de l’Assemblée nationale, la parole est à M. le président Sylvain Maillard.

    M. Sylvain Maillard

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    Près d’un demi-siècle après l’adoption de la loi Veil, nous sommes réunis en Congrès afin de consacrer une nouvelle avancée pour les droits des femmes dans notre pays. Au travers de la constitutionnalisation de la liberté garantie de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, c’est le principe même du droit des femmes à disposer de leur corps que nous sanctuarisons dans la loi fondamentale.
    À la solennité de l’histoire qui nous saisit en ces lieux s’ajoute la mémoire, qui nous oblige, de celles et ceux qui se sont tant battus pour que ce jour arrive. Ce sont leurs pas que nous suivons aujourd’hui, et je suis fier de présider un groupe dont les députés sont si fortement engagés pour cette cause, aux côtés du Président de la République et du Gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    C’est l’honneur de nos assemblées d’avoir impulsé cette révision constitutionnelle au moyen de plusieurs propositions de loi, à l’instar de celle d’Aurore Bergé, mais aussi grâce au travail des commissions des lois et des délégations aux droits des femmes. S’ils variaient dans leurs termes, tous nos textes tendaient vers un même idéal : sanctuariser la possibilité pour chaque femme de choisir. Car cette liberté, si chère à tous les Français, ne faisait pourtant l’objet d’aucune protection supralégislative. Or comment accepter qu’un droit aussi fondamental que celui des citoyennes à disposer de leur corps puisse être l’otage des conjonctures du monde ? Parce que nous considérons cette liberté comme fondamentale et intangible, notre devoir est de lui conférer une valeur constitutionnelle.
    Notre Constitution n’est pas seulement la base de notre ordre juridique, elle est le fondement de notre république et le reflet de nos valeurs. La liberté de recourir à l’avortement y a donc toute sa place, et le terme de garantie assure qu’elle ne pourra être remise en cause ni en fait ni en droit, ni aujourd’hui ni demain, par quiconque, jamais.
    Bien sûr, ce vote historique ne marque pas la fin de la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes, mais il symbolise ce que le constituant peut accomplir de plus noble lorsque prévaut l’esprit de consensus. Ce combat pour le droit à l’avortement a été et demeure celui des femmes : celles qui ont souffert dans leur chair et dans leur âme de se voir refuser cette liberté, tout autant que celles qui se sont battues pour l’obtenir. Mais cette victoire, aujourd’hui, est celle de toutes les citoyennes et de tous les citoyens.
    Au travers de cette réforme constitutionnelle, la France prouve une nouvelle fois sa vocation universelle, en devenant le premier pays à garantir le recours à l’avortement dans sa loi fondamentale. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    Par ce vote, nous adressons un message d’espérance aux femmes du monde entier, qui voient leurs droits bafoués ou reniés, pas uniquement dans des régimes autocratiques, mais aussi à nos frontières. Cette consécration est donc celle de la liberté de choisir son destin, liberté qui s’exprime en autant de cris d’espérance sur tous les continents, de Washington à Buenos Aires, de Santiago à Moscou : « Your body, your choice ! Aborto legal ! Tvoi tela, tvoi dela ! » Ces paroles, les députés du groupe Renaissance les auront à l’esprit et dans le cœur, en votant ce jour, pour dire à la France et aux Françaises : « Votre corps, votre choix ! » (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

    Mme la présidente

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    Pour le groupe Les Républicains du Sénat, la parole est à M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois.

    M. François-Noël Buffet

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    Nous voici réunis en Congrès à l’approche des 50 ans de la loi Veil, pour nous prononcer sur le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Ce vote sera le troisième qu’aura exprimé le Sénat sur la constitutionnalisation de l’IVG depuis octobre 2022. La Chambre haute s’est en effet donné le temps de cheminer sur cette question, à partir des différentes propositions rédactionnelles qui lui ont été soumises et dont elle a écarté les plus inabouties. Mercredi dernier, le Sénat a adopté, par 267 voix pour et 50 voix contre, le projet de loi constitutionnelle présenté par le Gouvernement comme « un juste équilibre entre la position du Sénat et de l’Assemblée nationale ».
    Il est vrai que ce texte reprend des points importants de celui que le Sénat avait adopté le 1er février 2023, après qu’il avait été amendé. En particulier, il place l’inscription de ce droit à l’article 34 de la Constitution – article qui détermine les compétences du législateur, en l’occurrence celle de fixer les conditions, et donc les limites, du recours à l’IVG – et retient le terme « liberté », préférable à nos yeux à celui de « droit », qui pourrait ouvrir la voie à un droit opposable.
    Cependant, ce texte innove en proposant d’inscrire dans la Constitution la notion de liberté garantie, sur laquelle nous sommes nombreux à avoir exprimé des doutes, le qualificatif « garantie » semblant placer la liberté de recourir à l’IVG au-dessus des autres libertés et droits constitutionnels. Le garde des sceaux, se fondant pour l’essentiel sur l’avis rendu par le Conseil d’État sur ce texte, nous a assuré que tel n’était pas le cas : le projet de loi constitutionnelle vise la protection de la loi Veil et non son extension. Le terme « garantie » n’est là que pour guider le législateur dans sa mission mais ne crée en aucune manière de droit opposable.
    Le but du texte est bien de placer la liberté de recourir à une IVG au même niveau que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, principe à valeur constitutionnelle, et que la liberté de conscience, principe fondamental reconnu par les lois de la République.
    La majorité des membres du groupe Les Républicains du Sénat a voté ce texte conforme. La majorité l’a voté, car il ne change rien à l’équilibre fondamental de la loi Veil, lequel repose, d’une part, sur la liberté de la femme, qui prévaut pendant les premières semaines de la grossesse, et, d’autre part, sur la protection de l’enfant à naître, qui prévaut, sauf en cas d’avortement thérapeutique, pendant le reste de la grossesse. Enfin, la majorité l’a voté parce que cette consécration ne modifie pas la manière de concilier les droits et libertés constitutionnels. C’est bien d’ailleurs cette interprétation qui devra guider le juge, lorsqu’il aura à connaître de contentieux relatifs à l’accès à l’IVG.
    Pour conclure, je dirai que nous sommes convaincus que, si des problèmes demeurent, ils ne sont pas, à cet instant – et j’y insiste –, d’ordre juridique : ils sont avant tout d’ordre matériel. Le groupe Les Républicains s’inquiète depuis longtemps des difficultés d’accès à l’interruption volontaire de grossesse, et la constitutionnalisation ne changera malheureusement rien aux difficultés rencontrées aujourd’hui par de nombreuses femmes. Sur ce point, je souhaite citer notre collègue la sénatrice Marie Mercier qui, dans le cadre de nos débats, a évoqué un « nouveau départ » pour faciliter l’accès à cette liberté et le suivi des femmes. La constitutionnalisation marquera seulement – mais c’est déjà un pas important – un attachement renforcé à une liberté des femmes affirmée voici déjà presque cinquante ans, mais elle ne doit en aucun cas conduire à imposer une rupture de l’équilibre fragile qui a permis à la société française la pleine acceptation de cette liberté.
    Je voudrais, en cet instant, remercier les rapporteurs du Sénat et en particulier Mme Agnès Canayer, qui, pour la commission des lois, a mené l’ensemble de nos débats. (Applaudissements sur plusieurs bancs).
    Notre groupe votera majoritairement pour la constitutionnalisation ; certains de ses membres s’abstiendront et d’autres voteront contre. (Mêmes mouvements.)

    Mme la présidente

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    Pour le groupe Rassemblement national de l’Assemblée nationale, la parole est à Mme la vice-présidente Hélène Laporte.

    Mme Hélène Laporte

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    Étonnante solennité que celle de cette journée du 4 mars 2024, où, dans une France par ailleurs en proie à des tensions d’une ampleur inouïe, les deux assemblées de la République se réunissent en Congrès afin de voter, quarante-neuf ans après la dépénalisation de l’avortement, l’inscription de ce droit dans notre Constitution.
    Présentée et adoptée pour offrir aux femmes un cadre légal sûr et mettre fin à l’horreur de l’avortement clandestin, la loi Veil, pour révolutionnaire qu’elle fût, était marquée par ce dont son auteure avait une vive conscience : elle ne régissait pas un acte médical comme un autre. Ainsi prévoyait-elle, dans son article 1er – aujourd’hui codifié –, que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. » La loi de 1975 s’est voulue et demeure un texte d’équilibre et de responsabilité.
    Si, dans les décennies qui suivirent, le cadre légal institué par la loi Veil fut réformé à de nombreuses reprises, ce fut toujours dans le sens d’un assouplissement des conditions d’accès à l’IVG : par l’extension du délai de dix à douze semaines en 2001, puis à quatorze semaines en 2022 ; par la suppression de la condition de détresse en 2014 et par celle du délai de réflexion en 2016. Paradoxalement, c’est l’idée inverse qui s’est installée, selon laquelle le droit à l’IVG était en danger et qu’il était urgent de le constitutionnaliser pour le protéger d’une future majorité qui chercherait à le supprimer. Or aucune formation politique actuelle n’annonce un tel projet. (Mme Delphine Batho s’exclame. – Murmures sur plusieurs bancs.)
    C’est dans ce contexte qu’à partir de l’été 2022 les dépôts de propositions de lois constitutionnelles se sont succédé et qu’une première navette parlementaire a permis d’aboutir à un texte repris, à quelques mots près, dans le projet gouvernemental soumis à notre vote aujourd’hui. À travers ce texte, le Gouvernement a heureusement fait le choix de la prudence. L’inscription du droit à l’IVG à l’article 34 de la Constitution confirme la pleine autorité du législateur pour fixer les conditions de son exercice et empêche l’adoption d’une loi qui l’interdirait totalement ou priverait sa légalité de toute effectivité. Ainsi, la lettre constitutionnelle laisse au législateur le soin de trancher la question, si lourde de conséquences, du délai. De plus, la notion de liberté garantie, à distinguer de celle de droit opposable, n’est pas de nature à remettre en question l’objection de conscience des praticiens (Mme Anne-Laure Blin s’exclame) – nécessaire corollaire de la singularité de cet acte médical, constamment reconnu par la loi depuis 1975, mais dont nous regrettons qu’elle ne soit pas mentionnée dans le projet de loi, qui y aurait gagné en clarté.
    Ainsi, si l’opportunité de cette réforme parlementaire mérite d’être questionnée, le travail parlementaire a, de toute évidence, abouti à un texte qui laisse peu de place à la créativité interprétative du Conseil constitutionnel. Aussi, si les députés du Rassemblement national voteront chacun selon leurs légitimes convictions, nombre d’entre eux approuveront ce texte, rappelant clairement à qui, de bonne foi, craindrait le contraire qu’il ne serait pas envisageable de revenir sur cette liberté. (Applaudissements sur quelques bancs.)
    Gardons-nous néanmoins de tout triomphalisme déplacé au sujet de ce vote que certains voudraient historique. En consacrant en grande cérémonie un droit que personne ne menaçait, la majorité s’achète à peu de frais une image d’Épinal pour sa postérité, alors qu’elle était peu gênée, il y a encore deux ans, d’élire à la tête du Parlement européen une femme au positionnement résolument anti-IVG. De son côté, la NUPES s’offre celle d’un grand soir institutionnel, même si son féminisme flamboyant se change subitement en mutisme dès qu’il est question des menaces réelles qui pèsent sur les droits des femmes, à commencer par l’islamisme. (Applaudissements sur quelques bancs. – Plusieurs parlementaires huent l’oratrice.)

    Mme Véronique Riotton

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    C’est n’importe quoi !

    Mme Hélène Laporte

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    En réalité, au lendemain de ce Congrès, rien n’aura changé pour les femmes, et les chiffres de l’avortement continueront de refléter tous les progrès sociaux que vous n’avez pas su réaliser. En 2022, le nombre d’IVG réalisées a connu un record, dont nul ici ne saurait se satisfaire. Je voudrais ici rappeler les mots de Simone Veil,… (Protestations sur plusieurs bancs.)

    Mme Sarah Legrain

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    Mais laissez Simone Veil tranquille !

    Mme Hélène Laporte

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    …dont personne n’a le monopole de la mémoire. Simone Veil, donc, disait : « Personne n’a jamais contesté que l’avortement soit un échec, quand il n’est pas un drame. »
    Parmi ces actes plus nombreux que jamais et qu’aucune norme ne rendra jamais anodins, combien auraient pu être évités par une meilleure instruction sur la fécondité et la contraception…

    Mme Ségolène Amiot

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    Vous votez contre les budgets dédiés !

    Mme Hélène Laporte

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    … et un meilleur accompagnement économique, qui permettrait à toutes celles qui le veulent de mener leur grossesse à terme et d’élever leur enfant dans des conditions dignes ?

    Mme Clémentine Autain

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    Quel opportunisme !

    Mme Hélène Laporte

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    Toutes les statistiques le démontrent : la fréquence des avortements est étroitement corrélée à la précarité.
    Aussi, mes chers collègues, que chacun soit lucide sur ce fait : tant que nous échouerons à relever cet immense défi, la liberté que nous consacrons aujourd’hui ne sera jamais qu’une demi-liberté. (Applaudissements sur quelques bancs.)

    Mme la présidente

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    Pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat, la parole est à Mme Laurence Rossignol.

    Mme Laurence Rossignol

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    Quelle victoire ! Quel bonheur ! Quelle fierté ! (Applaudissements sur plusieurs bancs.) N’ayons pas peur des mots, c’est bien une victoire dans le long combat que mènent les femmes pour leur liberté et contre l’obscurantisme. En France, les activistes anti-IVG n’ont jamais renoncé depuis 1975. Ils n’ont jamais cessé leur guérilla, mais aujourd’hui, nous leur disons : « C’est fini, arrêtez de vous agiter ! Les Français ont choisi, nous continuerons. » (« Bravo ! » et applaudissements sur plusieurs bancs.)
    Notre vote va également réparer des pages noires de l’histoire. Nous allons réhabiliter toutes les femmes poursuivies, condamnées et même guillotinées pour avoir réalisé ou subi des avortements. Aux 343 du Manifeste, à Gisèle Halimi, à Simone Veil, à Yvette Roudy, je veux dire : « Mesdames, nous avons mis nos pas dans les vôtres et, comme vous, nous avons réussi. » (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
    Quelle fierté, ces dizaines de messages reçus, la semaine dernière, du Brésil, des États-Unis, de France, de Hongrie ! « Bravo et merci », nous disaient-elles toutes. Quel bonheur d’avoir construit ensemble ce vote, avec des députées et des sénatrices de tous les groupes. Enfin… presque tous les groupes : des communistes, des écologistes, des centristes, des Insoumises, des députées du groupe Renaissance et des sénatrices du groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen, des parlementaires du groupe Les Républicains et des socialistes. Nous avons fait comme nos prédécesseures qui voulaient instituer la parité : une alliance transpartisane de femmes déterminées, libres et courageuses. (Mêmes mouvements.)
    Cette sécurisation de l’IVG dans la Constitution, nous la devons d’abord à la société civile, citoyenne et militante. Nous la devons aux Françaises et aux Français qui, sondage après sondage, ont toujours dit clairement qu’ils voulaient de cette réforme. Nous la devons aux féministes, ces dizaines de milliers de femmes, connues ou anonymes, qui ont maintenu sur le Parlement et l’exécutif une pression constante jusqu’à ce que le Président de la République prenne leur relais. (Applaudissements sur quelques bancs.)
    Qu’allons-nous faire maintenant ? Les féministes vont-elles enfin partir en vacances ? (Sourires.) Ne rêvez pas, nous allons continuer ! Nous allons continuer, d’abord pour toutes ces femmes – des centaines de millions dans le monde – qui n’ont pas notre chance et n’ont pas accès à l’avortement. (Mme Raquel Garrido applaudit.)
    Nous continuerons pour celles qui résistent à Trump, à Bolsonaro, à Orbán, à Milei, à Poutine, à Giorgia Meloni. (De très nombreux parlementaires et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent. – Mme la présidente applaudit également.) Sans oublier bien sûr celles qui résistent aux mollahs et aux dictateurs théocratiques. (Mêmes mouvements.)
    Le droit de disposer de son corps, de choisir et non de subir la maternité est la condition de l’émancipation des femmes. Mais ce n’est pas un aboutissement. Tant que des viols et des féminicides seront commis et que les inégalités salariales perdureront, nous continuerons. Tant que le sexisme d’atmosphère durera, nous continuerons.
    Enfin, avec notre vote, nous ferons du bien au pays et à nos concitoyens. Ils seront fiers, fiers d’eux et, je l’espère, de nous. (Mme Dominique Vérien sourit.) Aujourd’hui, la France retrouve le fil de son histoire, l’histoire du pays des droits humains qui donne du courage partout, à toutes celles et ceux qui luttent.
    La France qui est présente au Congrès aujourd’hui, c’est la France qui rayonne, ce n’est pas celle qui s’enferme et se recroqueville. Notre vote est un formidable antidote au déclinisme. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Il ravive les couleurs de notre devise, Liberté, Égalité, Fraternité ; vous m’autoriserez à y ajouter le mot sororité. (Mêmes mouvements.) Vous l’avez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat votera la constitutionnalisation de l’IVG. Vive le féminisme, vive la République et vive la France ! (De très nombreux parlementaires ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent.)

    Mme la présidente

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    Bravo !
    La parole est à Mme la présidente Mathilde Panot, pour le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale de l’Assemblée nationale.

    Mme Mathilde Panot

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    Aujourd’hui, la France se tient face au monde. Aujourd’hui, en entrant dans l’histoire des nations pionnières des droits des femmes, la France s’honore. En 1893, la Nouvelle-Zélande devenait le premier pays au monde à reconnaître le droit de vote des femmes. En 1906, c’est en Finlande que, pour la première fois, les femmes obtenaient le droit d’être élues au Parlement.
    Ce 4 mars 2024, la France renoue avec sa vocation de phare des droits humains, car il y a un peu plus de deux siècles, sa révolution inspirait le monde. Aujourd’hui, c’est la France qui, pour la première fois, consacrera le droit à l’avortement dans la Constitution. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    Aujourd’hui, notre vote est une promesse faite à l’avenir, une protection que nous devons à la moitié de l’humanité, pour laquelle la nuit n’a que trop duré. C’est avec émotion et fierté que je me tiens devant vous, alors que j’ai eu l’honneur d’être à l’initiative du premier texte voté par l’Assemblée visant à constitutionnaliser l’IVG – combat que mène La France insoumise depuis 2011. (Plusieurs parlementaires se lèvent et applaudissent.)

    M. Sébastien Delogu

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    Bravo !

    Mme Mathilde Panot

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    Je salue Mélanie Vogel qui a ouvert la voie au Sénat et toutes les parlementaires engagées dans ce combat. Ce moment historique a été arraché par une victoire parlementaire, mais ce sont surtout des décennies de combats de militantes, de collectifs et d’associations, comme le Planning familial, que nous inscrivons aujourd’hui dans notre norme suprême. (Plusieurs parlementaires se lèvent et applaudissent en se tournant vers les tribunes du public.)
    Cette victoire, nous la voulons comme un hommage à celles qui ont tracé le chemin : de Madeleine Pelletier, infatigable militante pour les droits absolus des femmes à disposer de leur corps dès 1911, morte dans un asile où elle avait été internée d’office pour avoir aidé une jeune femme violée à avorter, à Gisèle Halimi, Simone de Beauvoir, Simone Veil, aux militantes du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception – MLAC – et de Choisir la cause des femmes, ou encore aux 343 qui demandaient, il y a cinquante ans, le libre accès à l’avortement, à une contraception gratuite et à l’éducation sexuelle. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    Cette victoire, nous l’arrachons en mémoire de celles dont on a retenu le nom, mais aussi de toutes les anonymes qui sont restées dans l’oubli. Nous l’arrachons avec et pour celles qui continuent à se battre aujourd’hui et savent comme ce droit est fragile.
    Cette victoire, nous la voulons fondatrice, annonciatrice d’une série de victoires futures, ici et ailleurs. Alors que nous votons ce texte, les Polonaises ont, la semaine dernière, regagné le droit à la contraception d’urgence. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    Notre vote aujourd’hui a le sens d’une reconnaissance, celle du droit à l’avortement comme droit fondamental humain. Car pèse toujours sur les droits des femmes la menace d’une régression. Car le droit à l’avortement figure toujours en premier sur la liste des conquêtes à abattre pour l’extrême droite. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Comme en Argentine, où le nouveau président Javier Milei a déjà annoncé avoir pour priorité d’abroger le droit à l’avortement. Comme en Pologne, où six femmes sont mortes depuis la quasi-interdiction de l’avortement. Comme aux États-Unis où, depuis le mois de juin 2022, 65 000 femmes n’ont eu d’autres choix que de poursuivre une grossesse issue d’un viol. En France, en 2024, les mouvements anti-choix s’organisent toujours contre le droit à l’avortement. Ils attaquent régulièrement les plannings familiaux, ils désinforment, quand ils ne siègent pas en tant que députés à l’extrême droite, comparant l’avortement à des meurtres de masse ou à des génocides.
    N’en déplaise aux réactionnaires, notre corps n’a pas de mission qui lui préexiste. Le sens d’une vie est toujours celui que l’on décide d’écrire. L’histoire du féminisme est celle de l’émancipation d’une destinée unique. L’histoire du féminisme est l’histoire de ce devenir indéterminé où chacune se fait sujet de sa propre existence. À cet égard, le droit à l’avortement est au carrefour de l’intime et du politique, la condition fondamentale dont dépendent toutes les libertés, la condition de notre égalité réelle, à construire, avec les hommes.
    Nous continuerons de nous battre pour abroger la double clause de conscience et pour que les sages-femmes puissent réellement pratiquer des IVG instrumentales. Peut-être avons-nous gagné ce combat aujourd’hui. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Nous continuerons de nous battre pour que l’accès à l’avortement soit effectif alors qu’une femme sur quatre doit changer de département pour pouvoir mettre fin à une grossesse non désirée. Nous continuerons de nous battre pour inscrire le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. (Mêmes mouvements.)
    Mais aujourd’hui, nous célébrons une victoire historique. Notre vote est une promesse faite à l’avenir : plus jamais nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants n’auront à revivre les supplices infligés à leurs aînées. Notre vote est également une promesse pour toutes les femmes qui luttent partout dans le monde pour le droit à disposer de leur corps, en Argentine, aux États-Unis, en Andorre, en Italie, en Hongrie, en Pologne. Comme en écho, ce vote aujourd’hui leur dit : votre lutte est la nôtre, cette victoire est la vôtre.
    Louise Michel disait : « J’ignore où se livrera le combat entre le vieux monde et le nouveau, mais peu importe : j’y serai. » (Applaudissements sur plusieurs bancs.) À notre manière, nous y sommes. Aujourd’hui, la France fait son entrée dans le siècle des droits des femmes. Dès aujourd’hui, que toute femme choisisse elle-même sa destinée. (Plusieurs parlementaires se lèvent et applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Dominique Vérien, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, au nom du groupe de l’Union Centriste du Sénat.

    Mme Dominique Vérien

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    Le 3 novembre 1793, Olympe de Gouges était guillotinée place de la Concorde. Elle avait rédigé la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne dans laquelle est écrit : « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune […]. » Aujourd’hui, nous y sommes. La peine de mort est abolie, les femmes sont à la tribune, une femme préside le Congrès – je vous salue, madame la présidente –, et, ensemble, nous allons écrire l’histoire, en inscrivant le droit à l’avortement dans notre Constitution.
    Ici réunis, nous sommes les héritiers d’Olympe de Gouges, mais aussi de Simone Veil, de Gisèle Halimi, de Lucien Neuwirth, et de toutes celles et ceux qui ont compris que l’universalité se conjugue au masculin comme au féminin. Mesurons le chemin parcouru par notre société. Il y a cinquante ans, l’avortement était un crime pour la loi et une honte pour l’opinion. Aujourd’hui, les Français y sont farouchement attachés.
    Ce chemin, parcouru par des mouvements féministes et humanistes qui se sont succédé, c’est le nôtre aujourd’hui, parlementaires de tous bords. Rendons hommage en particulier aux deux rapporteurs, Guillaume Gouffier Valente, rapporteur de l’Assemblée nationale, et Agnès Canayer, rapporteure du Sénat, artisans de cette réussite. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    Nous le savons, certains d’entre vous ne sont pas favorables à cette constitutionnalisation, estimant que ce droit n’est pas actuellement menacé. Actuellement ! Toutefois, je vous remercie d’avoir contribué à ouvrir le débat et à faire de ce moment un grand temps démocratique, un moment dont notre parlement sort grandi, un moment dont notre nation sort renforcée et, je le crois, plus unie.
    Remercions aussi ceux qui ont su écouter, que ce soit leurs collègues parlementaires, ou, chez eux, leur mère, leur fille, leur femme, leur sœur, leur compagne. Remercions également tous ceux qui, en fin de compte, ont su nous faire confiance et mettre de côté leurs réserves et leurs doutes pour voter à nos côtés. C’est sans doute aussi cela, le courage : surpasser des clivages politiques pour être attentifs aux demandes d’un peuple et être au rendez-vous de son histoire.
    Mais c’est parce que ce droit a dû être conquis avant d’être acquis, parce que nous nous remémorons les souffrances de nos mères et de nos grands-mères, parce que nous saluons leurs luttes mais refusons de devoir les mener de nouveau, que nous nous sommes engagées pour le protéger. Au-delà du long combat mené par des associations, des militantes, des hommes et femmes de nos deux assemblées, ce qui nous rassemble, c’est une certaine idée, selon laquelle la patrie des droits de l’homme, celle qui a tant brillé par ses positions courageuses et novatrices, est aussi celle du droit des femmes.
    Alors oui, cette constitutionnalisation pourrait ne jamais être qu’un symbole, mais quel symbole ! Et comme j’aimerais donner raison à ceux qui le pensent. Comme j’aimerais me tromper. Comme j’aimerais que jamais cette révision constitutionnelle ne soit utile ou que, par sa seule existence, elle dissuade demain toute menace contre l’avortement. Alors, pour le symbole ou pour la protéger, offrons à cette liberté ce que notre république a de plus fort : notre Constitution. Écrivons dans notre Constitution que jamais la liberté des femmes à disposer de leur corps ne doit subir d’entrave.
    Nous allons écrire l’histoire et, lorsque nous nous séparerons et que la vie politique reprendra ses droits, je souhaite que cette journée ne soit pas une fin, mais une promesse, celle que nous faisons aux femmes de ce pays qui auront un jour à recourir à l’IVG : nous saurons vous accompagner, avec dignité.
    La promesse de nous montrer collectivement à la hauteur des aspirations profondes d’égalité et de liberté des Françaises. Faisons de la France un modèle car si voter ce texte est un aboutissement pour nous, pour les femmes du monde entier, c’est un espoir. Beaucoup reste à faire. C’est demain que tout commence. (Applaudissements sur de nombreux bancs, ainsi que sur les bancs du Gouvernement.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le président Olivier Marleix, pour le groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale.

    M. Olivier Marleix

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    En votant ce texte, les députés Les Républicains s’inscriront dans la filiation historique de la droite en faveur de la liberté des femmes. Rappelons-le, c’est le général de Gaulle qui accorda le droit de vote aux femmes en 1944. C’est la droite qui, avec Lucien Neuwirth, légalisa la contraception. C’est le président Giscard d’Estaing…

    M. Erwan Balanant

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    Giscard, et le centre aussi !

    M. Olivier Marleix

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    …qui eut le courage de soutenir la légalisation de l’IVG, Simone Veil bénéficiant aussi de l’engagement sans faille du Premier ministre Jacques Chirac.
    L’IVG était-il aujourd’hui à ce point en danger qu’il faille l’inscrire dans la Constitution ? Nous pouvions en débattre. Depuis cinquante ans, aucun parlementaire n’a jamais pris la moindre initiative visant à restreindre l’accès à l’IVG. Quelles que soient ses convictions, aucun parlementaire n’aurait le projet fou de renvoyer l’IVG à sa clandestinité tragique d’avant 1975 qui coûta la vie à tant de femmes – j’en suis absolument convaincu.
    Sans parler des États-Unis, autour de nous, au sein de l’Union européenne, en Pologne et en Hongrie, le droit à l’avortement est restreint. Ces menaces ne peuvent pas nous laisser indifférents. Bien que ce risque soit lointain, nous acceptons de le regarder en face. C’est la raison pour laquelle la grande majorité des députés Les Républicains voteront pour cette modification de la Constitution. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    Il est toutefois un autre risque, plus tangible, celui de défaire le si sage équilibre voulu par Simone Veil, en faisant désormais de l’IVG un droit absolu qui écraserait toutes les limites, toutes les mesures d’équilibre prévues par la loi de 1975. Ce risque existe. Pour certains, il s’agit d’un projet politique : permettre l’IVG sans condition de délai, soit jusqu’au neuvième mois. (Exclamations sur quelques bancs.)

    Mme Élisa Martin

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    Allez, allez, circulez !

    M. Olivier Marleix

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    Ainsi l’Assemblée nationale a-t-elle été capable, en juillet 2020 – je voudrais le rappeler – de voter un amendement au projet de loi relatif à la bioéthique permettant de procéder à une interruption de grossesse jusqu’au neuvième mois en cas de « détresse psychosociale » de la mère. (Mêmes mouvements.)
    Ce n’est pas une chimère ; c’est le vote de l’actuelle majorité.
    En inscrivant la « liberté garantie » de recourir à l’IVG dans le texte, le Gouvernement a fait le choix d’une rédaction quelque peu ambiguë, laquelle a fait planer des incertitudes qui furent au cœur de nos débats. Cette « liberté garantie » – qui n’est rien d’autre qu’un droit, comme l’a rappelé le garde des sceaux – ne viendra-t-elle pas rompre l’équilibre et la tempérance recherchés par Simone Veil ?
    L’équilibre de la loi Veil repose sur la conciliation, essentielle, entre la liberté de la femme dans les premières semaines de sa grossesse et la protection, par la suite, de l’enfant à naître. À l’article 1er, Simone Veil avait en effet pris soin de préciser : « La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi. » Que va devenir ce principe qui ne sera pas inscrit dans le texte constitutionnel ?
    Concrètement, l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution n’ouvre-t-elle pas une brèche susceptible d’être exploitée par ceux qui considèrent la limite de quatorze semaines comme une entrave insupportable à un droit fondamental ?
    Nous avons parfaitement entendu les assurances répétées du garde des sceaux. Il s’est d’ailleurs beaucoup plaint, durant les débats, de devoir autant rabâcher. Selon lui, le principe du « respect de tout être humain dès le commencement de la vie » s’intègre déjà au principe de « sauvegarde de la dignité humaine » – auquel le Conseil constitutionnel a donné une valeur constitutionnelle.
    Au terme de nos débats, et grâce aux répétitions du garde des sceaux, l’intention du constituant est donc claire et manifeste : demain comme hier, le législateur continuera de concilier un droit et un principe qui ont tous deux une même valeur constitutionnelle, même si l’un est écrit et pas l’autre.
    Nous prenons acte, également, des garanties concernant le maintien de la clause de conscience des soignants.
    Le choix d’une rédaction moins ambiguë, comme celle proposée par notre collègue Philippe Bas au Sénat, aurait peut-être permis une adoption encore plus consensuelle et plus large. Quoi qu’il en soit, nous devons ce vote à la liberté des femmes. (Applaudissements sur quelques bancs.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le président François Patriat, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants du Sénat.

    M. François Patriat

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    Les moments d’unité en politique sont rares – ce moment, d’une haute importance, le rappelle. C’est donc avec fierté et beaucoup d’émotion que nous voterons nous aussi le texte qui inscrit le droit à l’IVG dans la Constitution.
    Les droits des femmes ne sont définitivement acquis nulle part. La liberté et l’égalité des femmes ne sont pas des droits acquis, mais des combats qu’il faut mener sans cesse. Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, nous aurons l’occasion de rappeler combien ce combat quotidien et universel mérite d’être poursuivi.
    La liberté de recourir à l’IVG est souvent prise pour cible. L’actualité internationale nous rappelle la fragilité inouïe de cette liberté fondamentale, alors même que le « contrôle de la procréation entre les mains des femmes elles-mêmes est, comme l’écrivait Françoise Héritier, la première marche vers l’égalité ».
    Je salue les nombreux propos de haute tenue que j’ai entendus. Je les ai applaudis. Même si cela donne lieu à quelques répétitions, je souhaite, à mon tour, insister sur plusieurs points.
    Le combat pour l’égalité des femmes n’avance pas. Il recule même, face aux vents déchaînés des fondamentalistes religieux et des populistes.
    L’ombre de la régression s’est étendue jusqu’aux États-Unis, avec la décision de la Cour suprême, en 2022, qui a plongé l’opinion mondiale dans l’obscurantisme. Depuis l’annulation de l’arrêt qui protégeait l’IVG au niveau fédéral, douze États américains ne l’autorisent plus du tout et cinq autres en restreignent l’usage. La contagion se propage : partout, les opposants à l’avortement se réveillent, encouragés par le contexte américain et l’inquiétante progression des extrêmes droites conservatrices.
    Cette décision a entraîné une réaction en chaîne : la porte de la régression s’est également ouverte en Europe – cela a été dit. Les menaces sur la liberté des femmes s’amplifient, surtout dans les pays de l’Est, particulièrement en Pologne. Le pays, qui avait interdit l’avortement en 1993 – sauf exceptions –, l’a encore restreint en 2020 – même s’il a un peu fait machine arrière depuis.
    En Hongrie, le gouvernement de Viktor Orbán mène une politique nataliste sans fard et la Constitution a été modifiée en 2011 pour y inclure la « protection de la vie du fœtus ». Dans la foulée, vingt-huit hôpitaux ont déclaré ne plus vouloir effectuer d’IVG.
    En Slovaquie, pas moins de onze propositions de loi visant à limiter l’accès à l’avortement ont été déposées depuis 2018.
    Un schéma similaire a été observé en Lituanie, où des offensives ont rythmé la vie du Parlement de 2005 à 2018. Un projet de loi proposait même d’aligner la législation sur celle de la Pologne.
    À ces reculs s’ajoutent les résistances dans les pays où les droits des femmes semblent les mieux reconnus.
    À défaut de pouvoir interdire l’avortement, des pays organisent son impossibilité : faute de médecins acceptant de le pratiquer, de prise en charge des patientes ou de places en raison de la réduction du nombre de centres d’IVG.
    Dans d’autres pays encore, bien que la loi dise oui, le médecin dit non. En Croatie, 60 % des médecins ont recours à la clause de conscience. Dans certaines régions d’Italie, le taux peut atteindre 70 %. La situation est particulièrement dramatique à Naples, où seul un quart des établissements médicaux pratiquent l’IVG. L’accès est également difficile en Bavière, avec moins d’une dizaine de cabinets, en 2021.
    Même les pays qui se croient à l’abri font l’objet d’offensives. Les courants anti-choix ne renoncent jamais et font preuve de beaucoup d’imagination pour limiter l’IVG. L’extrême droite européenne est à la manœuvre et la bataille fait rage. N’ayons pas la naïveté de croire que ce vent mauvais s’arrêtera de souffler à nos frontières.

    M. Pierre Cazeneuve

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    C’est vrai !

    M. François Patriat

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    Ce serait une faute morale et politique ; une faute vis-à-vis des Françaises et des Français qui soutiennent l’inscription de l’IVG dans la Constitution dans leur très grande majorité.
    Je tiens à saluer le combat magnifique et sincère – vous êtes nombreux à l’avoir rappelé –, le combat courageux et sans faille des associations féministes et de tant de femmes, célèbres et anonymes, qui se sont battues pour faire respecter la liberté pour les femmes de choisir leur vie.
    Leur combat est plus que jamais d’actualité : la chaîne de désinformation CNews a même osé affirmer que l’avortement était la première cause de mortalité dans le monde !

    Mme Élodie Jacquier-Laforge

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    C’est une honte !

    M. François Patriat

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    Les opposants à l’avortement n’ont jamais désarmé depuis un demi-siècle. Fondamentalement, c’est la liberté et l’égalité des femmes qu’ils refusent, au nom d’un modèle social rétrograde. (Applaudissements sur quelques bancs.)
    Il revient à la France, qui reste aux yeux du monde le symbole de la liberté et de l’égalité, de réaffirmer solennellement ces principes et de garantir, dans le texte sacré de la Constitution, cette liberté fondamentale pour la femme de choisir sa maternité.
    Oui, il faut protéger les femmes françaises des déséquilibres politiques car partout où les extrêmes avancent, les droits régressent !
    Par notre vote, mes chers collègues, la France deviendra le premier pays au monde à rendre irréversible la liberté des femmes à recourir à l’IVG et à garantir la marche vers l’égalité. C’est un signal universel !
    Pays des Lumières, la France peut s’honorer d’être aujourd’hui « le phare qui éclaire les voies de l’avenir » et d’incarner un immense espoir, celui de toutes les femmes d’Europe et du monde. Que cette avancée réponde à l’invitation de Simone Veil que vous avez tous, mes chers collègues, citée : ne soyons pas « de ceux et de celles qui redoutent l’avenir ». (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Geneviève Darrieussecq, pour le groupe Démocrate (MODEM et indépendants) de l’Assemblée nationale.

    Mme Geneviève Darrieussecq

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    C’est avec une vive émotion que je m’exprime au nom de mon groupe devant le Congrès réuni aujourd’hui pour écrire une nouvelle page des droits des femmes.
    Le discours de Simone Veil, prononcé le 26 novembre 1974 à la tribune de l’Assemblée nationale, résonne encore dans ma tête. Je n’avais que 18 ans mais il faisait déjà écho à de nombreux drames, proches ou lointains. Quelle force, quelle abnégation, quel courage !
    Ce discours puissant, suivi d’âpres débats, conclus par des votes favorables à l’Assemblée nationale puis au Sénat, s’est diffusé dans tout le pays, jusqu’au plus profond de nos campagnes, sans l’aide d’aucun réseau social ni d’aucune chaîne d’information en continu, tant l’enjeu était immense.
    Quelle victoire pour toutes les femmes qui ont porté haut le combat de l’autorisation de l’IVG en France, après celui de la légalisation de la contraception. (Applaudissements sur quelques bancs.) Je pense notamment à Gisèle Halimi et à toutes les signataires du Manifeste des 343 en 1971, mais aussi à toutes ces femmes anonymes vivant partout en France, dans nos villes et nos campagnes, qui ne pouvaient s’exprimer qu’en comité restreint et qui subissaient en silence. Ce sont nos mères, nos tantes, nos grands-mères ! Ce sont elles que j’ai d’abord connues, et à elles que je pense aujourd’hui. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    Les mots de Simone Veil sonnent encore : « […] aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. » Recourir à l’avortement, aujourd’hui encore, est un choix intime et toujours très douloureux. Cependant, et c’est heureux, le 17 janvier 1975, le législateur a mis un terme à un nombre incalculable de drames et de souffrances. Les femmes ont enfin acquis la liberté de choisir, sans risquer le tribunal, sans risquer l’opprobre, sans risquer la mort.
    Nous avons cru alors que ce combat était gagné en Occident, que ce droit à la dignité des femmes était conquis définitivement, et que les progrès sociétaux continueraient inéluctablement.
    Pouvait-on imaginer, en ce début de XXIe siècle, que de nombreuses démocraties menaceraient cette liberté ? La Pologne et la Hongrie n’ont pas hésité. Pouvait-on imaginer que les États-Unis révoqueraient le droit fédéral à l’avortement ? Au moins quatorze États n’ont pas hésité. Ce recul des droits des femmes, ces mouvements de défiance, sont inquiétants et inacceptables ! La dignité des femmes n’est pas négociable. C’est un combat qu’il nous faut mener quotidiennement et sans relâche.
    Inscrire la « liberté garantie pour toute femme de recourir à l’avortement » dans notre Constitution n’est ni inutile ni superflu. C’est une volonté forte et exigeante, pour le présent et pour le futur. C’est protéger ce droit et affirmer notre indéfectible attachement aux droits des femmes et des hommes.
    En 1974, Valéry Giscard d’Estaing s’est engagé à légaliser l’interruption volontaire de grossesse. Il a confié à Simone Veil, sa ministre de la santé, sous l’égide de Jacques Chirac, son Premier ministre, le soin d’écrire et de défendre cette loi devant le Parlement. Ils sont entrés dans l’histoire de l’évolution des droits des femmes.
    Cinquante ans plus tard, nous sommes réunis en Congrès, répondant à l’engagement pris le 8 mars 2023 par le Président de la République. Je veux remercier celles et ceux qui ont soutenu ce combat législatif depuis 2017, en étendant le délit d’entrave à l’IVG, puis en proposant cette loi constitutionnelle : ces parlementaires, femmes et hommes de tous bords politiques, ont œuvré, avec le garde des sceaux, pour parvenir à un vote large dans les deux assemblées. Permettez-moi d’avoir une attention particulière pour Erwan Balanant, qui,…

    Mme Élodie Jacquier-Laforge

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    Très bien, bravo !

    Mme Geneviève Darrieussecq

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    …au nom de notre groupe, a travaillé avec acharnement pour que ce projet de loi aboutisse. (Applaudissements sur quelques bancs.)
    Nous devons être au rendez-vous de l’histoire de notre pays et, par ce vote, en écrire collectivement une nouvelle page, pour toutes les femmes de France, et ainsi faire de la France une pionnière, la première à graver ce droit fondamental dans le marbre de la Constitution – un message fort pour toutes les femmes du monde. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le président Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires du Sénat.

    M. Claude Malhuret

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    Je ne vais pas vous parler de droit constitutionnel. Si vous me le permettez, je voudrais vous raconter une histoire, une histoire que je n’ai jamais racontée.
    J’avais 25 ans, j’étais coopérant, médecin-chef d’un petit hôpital dans un coin perdu d’un pays du Sud. Hôpital est un bien grand mot, car les maigres équipements dont il disposait lui auraient à peine permis d’être qualifié, chez nous, de dispensaire ; quant à médecin-chef, c’était un titre bien ronflant puisque j’étais, en fait, le seul médecin dans cette circonscription de 50 000 âmes, avec une équipe d’infirmiers formidables, habitués à travailler seuls pendant le semestre ou l’année qui séparait habituellement le départ d’un coopérant français de l’arrivée de son successeur.
    Un jour, après avoir entendu du remue-ménage dans le couloir, j’ai vu surgir dans mon bureau une jeune femme, âgée de 17, 18 ans peut-être, dont je me rappellerai toujours le visage. Les joues rondes d’une adolescente, toutes rouges et inondées de larmes. Essoufflée, elle affichait une expression mêlée de terreur et d’incompréhension dans le regard. Les cheveux décoiffés, les vêtements de travers, comme si elle venait de se débattre, les bras maintenus par deux gendarmes qui l’encadraient et la poussaient dans la pièce sans ménagement.
    Le matin même, un voisin, intrigué par le manège de chiens errants qui s’acharnaient à gratter la terre près de sa maison, s’était approché et avait découvert le cadavre d’un nouveau-né, à peine enfoui dans le sol. L’enquête n’avait pas été bien difficile, et l’on me demandait désormais d’examiner la suspecte pour savoir si elle venait, ou non, d’accoucher. J’étais pétrifié. Il s’agissait d’un infanticide, bien sûr, et la loi me commandait de m’exécuter.
    Mais je savais aussi parfaitement pourquoi cette jeune femme était là, dans un pays, comme tant d’autres, où être fille-mère – comme l’on disait à l’époque – signifiait le bannissement social et le déshonneur pour la famille ; un pays dans lequel l’avortement était interdit et sévèrement puni. D’ailleurs, comment cette quasi-enfant aurait-elle pu se confier à quiconque pour trouver une faiseuse d’ange ? J’imaginais sa vie au cours des derniers mois, engrossée par un séducteur de barrière, peut-être, comme souvent, par un parent, découvrant d’abord effrayée son retard de règles, puis voyant son ventre s’arrondir et masquant sa grossesse avec de plus en plus de mal, accouchant seule en se cachant, enterrant maladroitement l’enfant sur place, folle de douleur et de culpabilité, puis rentrant chez elle et lavant ses vêtements dans la terreur d’être découverte. Et puis les chiens, le voisin découvrant le cadavre, les gendarmes et, désormais, le médecin, moi.
    Je suis resté longtemps assis, le visage caché dans les mains, cherchant désespérément comment éviter l’inévitable. Seules la jeune femme et l’infirmière étaient restées près de moi, parlant ensemble dans leur langue, que je ne comprenais pas.
    Au bout d’un moment, sollicité par les gendarmes qui s’impatientaient, l’infirmier-major est entré dans la pièce, suivi par l’un d’eux. Surpris par la scène et pressé par le brigadier et n’ayant manifestement pas la même vision du monde que moi ni les mêmes scrupules, avant même que j’aie pu faire un geste, il s’est approché de la jeune femme, a abaissé son soutien-gorge et pressé son mamelon, duquel a giclé le lait qui confirmait le diagnostic et les soupçons. Je revois encore cette adolescente, redoublant de pleurs, ressortir accablée entre ses deux gardes. Je repense souvent à elle et à ses yeux d’animal traqué, moi me demandant cependant combien d’années de prison pour infanticide et, surtout, combien d’années de culpabilité, peut-être toute une vie, pour avoir tué son enfant.
    Des histoires comme celle-là, je pourrais vous en raconter d’autres, si nous en avions le temps. Des avortements clandestins qui se terminent mal, des condamnations, des stérilités définitives.
    Chez nous, aujourd’hui, ces histoires n’existent plus, depuis l’adoption de la loi Veil, et les interventions de ceux qui m’ont précédé ont porté notamment sur le fait de savoir si la liberté de l’IVG risque un jour d’être remise en question. J’ai voulu, pour ma part, aborder un autre versant de ce débat et rappeler que 40 % au moins des femmes dans le monde vivent dans des pays où les drames tels que celui que je viens de retracer continuent de se produire, parce que rien n’a changé.
    En étant le premier pays au monde à garantir cette liberté dans notre Constitution, nous susciterons, là où nous sommes encore sinon un exemple du moins une référence, des débats, des prises de position, des avancées, j’espère, qui rapprocheront le jour où, comme ici, les femmes seront libérées de la peur, de la culpabilité et de l’impuissance à maîtriser leur destin.
    Au moment de voter, mercredi dernier, au Sénat, j’ai revu, une fois de plus, le visage de cette jeune femme, dont la vie et celle de son bébé ont été anéanties. Et je le reverrai tout à l’heure, lorsque j’irai voter à nouveau, en espérant que mon vote soit utile non seulement aux millions de femmes que la loi protège en France, mais aussi aux millions de celles dans le monde qu’aucune loi ne protège.
    Comme moi, les sénateurs du groupe Les indépendants – République et Territoires se prononceront en leur âme et conscience. Très majoritairement, ils voteront en faveur de ce texte. (De très nombreux parlementaires ainsi que les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent vivement.)

    Mme la présidente

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    Pour le groupe Socialistes et apparentés de l’Assemblée nationale, la parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.

    Mme Marie-Noëlle Battistel

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    Je ressens avec une plénitude jamais connue à ce jour un parfait accord entre ma fonction de législateur et ma condition de femme. « Il [nous] appartient aujourd’hui de dire que l’ère d’un monde fini commence. » Ces mots de Gisèle Halimi résonnent puissamment à cette tribune cet après-midi et je les fais miens. Ils résonnent d’autant plus fort pour moi qui ai l’honneur de représenter la quatrième circonscription de l’Isère, comme elle fit en son temps, et dont les combats se sont inspirés des siens. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    C’est donc avec une immense émotion, avec honneur et fierté que je porte la voix des députés socialistes devant le Parlement réuni en Congrès, en ce jour historique du 4 mars 2024. Un jour historique en ce qu’il est une victoire pour les femmes ; une victoire pour leurs droits, si souvent discutés, ballottés et mis à mal, dépendants des changements politiques, jamais à l’abri de reculer.
    C’est la victoire de Simone de Beauvoir, qui nous appelait à la vigilance, notre vie durant. C’est également celle de Simone Veil, qui a ouvert la voie, de Gisèle Halimi, des 343 du Manifeste et de tant d’autres. C’est la victoire des féministes, des associations et des professionnels, qui agissent au quotidien, loin des dorures de nos tribunes, pour que les lois et les grands principes soient des réalités concrètes qui protègent et libèrent les femmes dans la revendication et l’exercice de leur droit à disposer librement de leur corps. C’est notre victoire à toutes, face à ceux qui doutent encore que l’avortement mérite d’être défendu.
    En effet, comment fermer les yeux sur la décision des sept États américains qui, depuis l’arrêt de la Cour suprême, ont interdit de pratiquer une IVG, même en cas de viol ou d’inceste ? Comment ne pas faire le parallèle quand certains de nos voisins européens, à l’instar de la Pologne, de la Hongrie ou encore du Portugal, en conditionnent et en réduisent l’accès ? Comment ne pas s’inquiéter que, dans notre pays, les entraves à l’IVG prennent des formes de plus en plus pernicieuses de la part des mouvements anti-choix, jusque dans certains médias ? Qui peut alors, dans cette époque de doutes et d’instabilité, préjuger de ce qu’il pourrait advenir demain en France ?
    Ainsi, dans ce contexte global de remise en question du droit à l’avortement, ce jour du 4 mars 2024 est historique aussi pour la France. Notre pays sera le premier au monde à inscrire le droit à l’avortement dans sa Constitution. (Applaudissements sur quelques bancs.) En érigeant le droit à l’IVG parmi les droits humains fondamentaux, parmi les valeurs intangibles et tout ce qui fait la force d’une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, la France perpétue l’inspiration qu’a été son histoire constitutionnelle pour de nombreux pays. Fidèle à son image humaniste, notre nation s’érige en vigie des droits des femmes et montre le chemin.
    Toutefois, si ce jour est historique, la constitutionnalisation n’est pas une panthéonisation ! Il ne s’agit pas de saluer un droit acquis et solide, ni de graver sur le fronton de notre temple républicain « Aux grandes femmes, la patrie reconnaissante ». La constitutionnalisation, telle que nous la réclamons, nous socialistes, implique une réelle protection. Il ne s’agit pas uniquement d’inscrire ce droit dans notre loi fondamentale, mais bien de nous donner les moyens de le rendre effectif. Il serait bien malvenu de tous se réunir aujourd’hui pour consacrer un droit, sans pour autant en garantir l’applicabilité. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    C’est pourquoi ce vote nous engage. Il nous engage, dans le cadre des prochaines lois de financement de la sécurité sociale, à donner davantage de moyens à l’hôpital public, à la médecine de ville, à lutter contre les déserts médicaux (Applaudissements sur plusieurs bancs), à renforcer le soutien public aux associations, au Planning familial, à la santé scolaire (Les applaudissements se poursuivent), pour accompagner toutes celles qui en ont besoin.
    En ce sens, nous aurions préféré voter aujourd’hui un texte plus ambitieux, incluant la contraception. Toutefois, nous savons que les victoires féministes ont toujours été le fruit de compromis, dès lors que l’on peut obtenir l’essentiel. En 1974, l’opposition de gauche avait choisi la conviction, plutôt que la posture, pour faire adopter la loi Veil. Cinquante ans plus tard, nous continuons donc à suivre cette ligne constructive, afin de faire primer l’intérêt des femmes.
    Je veux saluer ici la responsabilité de la quasi-totalité des forces politiques, qui montre que notre pays peut se rassembler dans le sens de l’histoire. Parce qu’aujourd’hui nous votons pour des milliers de femmes, pour leurs droits, leur liberté, leur corps et leur vie ; parce que, par ce vote, nous contribuerons à fonder une communauté politique de citoyennes et de citoyens égaux ; parce que, là où le droit est bien souvent en retard sur la société, il s’agit, dès aujourd’hui, de se prémunir ; parce qu’il est de la responsabilité de la France, pays des droits humains, d’envoyer un signal fort qui transcende ses frontières, les députés socialistes sont fiers de voter aujourd’hui pour graver l’inscription de l’IVG dans la norme suprême de la République. (Applaudissements sur de nombreux bancs. – Quelques parlementaires se lèvent et applaudissent.)

    Mme la présidente

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    Pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky du Sénat, la parole est à Mme la présidente Cécile Cukierman.

    Mme Cécile Cukierman

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    La République s’incarne à travers ce texte, et nous ne pouvons que le saluer. Notre devise Liberté, Égalité, Fraternité se fond dans cette constitutionnalisation de l’IVG.
    La liberté, d’abord, puisque ce projet de loi constitutionnelle permet à toutes les femmes de notre pays de disposer de leur corps librement. Nous sommes libres de choisir, ou non, d’avoir un enfant et libres de choisir d’avorter gratuitement.
    L’égalité, ensuite, puisque la constitutionnalisation de l’IVG permettra de gommer la domination masculine sur les femmes. C’est bien le travail du constituant d’œuvrer pour que ce principe d’égalité soit concret et protecteur.
    La fraternité, enfin, puisque c’est l’unité qui anime ce texte, en réunissant le peuple français et l’humanité autour des valeurs de la République. La fraternité également, parce qu’il met un terme à la stigmatisation des femmes qui ont recours à un avortement.
    Nous en sommes profondément convaincus. Le caractère solennel de ce moment m’incite à remercier toutes les femmes qui ont su lutter pour ce droit, au fil des siècles, et se défaire d’une société aliénante. Il est vrai que, dans leur marche vers la liberté, les femmes ont toujours mené la lutte contre des forces réactionnaires et qu’elles continuent de le faire, en France comme à l’étranger. Elles n’ont pas acquis leurs droits grâce à la générosité du pouvoir. Ils sont le résultat de leur lutte. À quelques jours de la Journée internationale des droits des femmes, je veux rappeler qu’il y en a encore tant d’autres à conquérir, en France et dans le monde, notamment dans les domaines social et économique.
    Notre groupe, ceux de notre sensibilité politique ont toujours su se ranger du côté de ces femmes : en 1967, lors du vote de la loi Neuwirth – député ligérien –, qui autorisait la contraception en France ; en 1974, pour voter la loi Veil ;et, plus récemment, en 2017, grâce à ma collègue Laurence Cohen, dont je salue la présence dans les tribunes (Applaudissements sur plusieurs bancs), qui avait déposé une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution.
    Cette ambition est aujourd’hui une réalité. Il s’agit non seulement d’un moment important pour toutes les femmes de France, mais aussi d’un appel à tous les pays du monde à inscrire ce droit dans leur Constitution. S’il s’agit d’un combat fortement mené par les femmes, c’est surtout une avancée pour l’humanité tout entière. C’est bien le combat d’une société dans son ensemble, qui fait sien ce principe fondamental. Oui, les femmes ont le droit de disposer de leur corps, le droit de donner la vie et d’éduquer des enfants désirés et aimés. Toutefois, la maternité ne peut être imposée. Pour être réussie, elle doit être choisie, partagée et non subie.
    Si nous saluons aujourd’hui cette progression, demain, soyez en certains, mes chers collègues, nous continuerons de lutter pour l’application concrète de cette liberté.
    Il faut donner les moyens, en métropole comme dans les territoires ultramarins, en ville comme dans les territoires ruraux, d’asseoir le droit concret à l’avortement. Le manque de moyens alloués à l’hôpital public, les nombreuses fermetures de centres IVG – près de 150 en quinze ans –, les difficultés à trouver des professionnels de santé disponibles et les déserts médicaux, partout sur notre territoire, placent de nombreuses femmes, aujourd’hui, en France, dans l’incapacité pratique d’exercer ce droit. (Applaudissements sur quelques bancs.)
    Malheureusement, les disparités territoriales ne sont que le reflet des politiques de santé publique dramatiques menées depuis plusieurs décennies. La solennité du vote d’aujourd’hui ne peut effacer les responsabilités politiques quant au recul de l’accès au droit à l’avortement dans notre pays. Il nous faudra donc continuer à lutter pour que toutes les femmes, de tous les niveaux sociaux et de tous les territoires, aient effectivement accès à ce droit.
    Pour l’heure, nous saluons solennellement l’inscription dans la Constitution de cette liberté individuelle. Ce faisant, nous nous inscrivons dans l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. La République peut être fière et nous pouvons, représentants du peuple français et de ses territoires, être fiers de notre république. Pour réaffirmer que le droit à disposer de son corps est fondamental, le groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste – Kanaky du Sénat votera pour ce projet de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

    Mme la présidente

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    Pour le groupe Horizon et apparentés de l’Assemblée nationale, la parole est à Mme Anne-Cécile Violland.

    Mme Anne-Cécile Violland

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    Quelle émotion, et quel honneur, de porter la parole de mon groupe en cette journée.

    Mme Véronique Riotton

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    La classe ! (Mme Véronique Riotton photographie l’oratrice à l’aide de son téléphone.)

    Mme Anne-Cécile Violland

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    Je remercie particulièrement le président de mon groupe et mes collègues pour leur confiance.
    Voter ce projet de loi constitutionnelle aujourd’hui, dans la salle du Congrès, c’est envoyer un message historique aux femmes françaises, mais aussi aux femmes du monde entier : votre liberté de choisir fait partie intégrante des valeurs fondamentales de notre pays ; votre corps n’est pas un territoire à réguler mais un espace de libre arbitre et d’autodétermination. Je crois que nous pouvons être fiers d’envoyer ce message.
    Nous pouvons être fiers, parce qu’une fois de plus, la France montre l’exemple. Consacrer cette liberté au sommet de la hiérarchie des normes fait de notre pays le premier, le premier d’Europe, le premier dans le monde, à protéger, au sein de sa Constitution, la santé physique et psychique des femmes contre les risques que présente un avortement dans la clandestinité.
    Nous pouvons être fiers, parce que cette constitutionnalisation, contrairement à ce qui a pu être dit, n’est pas qu’un symbole ; elle est nécessaire et indispensable. La liberté de recourir à l’IVG ne fait l’objet d’aucune consécration dans nos textes fondateurs, nationaux ou européens. Si, d’aventure, elle était un jour menacée, il serait trop tard pour la protéger. Le Conseil d’État a été limpide sur ce point : « Le caractère réversible et limité de la protection conférée par la loi ordinaire justifie, pour le Gouvernement, que soit garantie par la Constitution la liberté de la femme de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. »
    Soyons très clairs : tant mieux si cette liberté n’est jamais remise en cause ! Mais imaginez un peu, si d’aventure nous nous retrouvions dans une situation comparable à celle des États-Unis : assumeriez-vous de dire à vos filles, à vos sœurs ou à vos femmes que vous n’avez pas soutenu ce projet de loi constitutionnelle simplement parce que vous pensiez que cela ne pouvait pas arriver chez nous, alors même que certains de nos voisins européens remettent en cause cette liberté ?
    Gouverner exige une prévoyance éclairée. Anticiper les risques, c’est bâtir un rempart avant l’assaut. Ne pas attendre la catastrophe pour se prémunir, et éviter d’en subir les conséquences néfastes, voilà la sagesse de l’assurance.
    Nous pouvons être fiers, parce que la rédaction qui nous est soumise est le fruit d’un consensus transpartisan, d’un dialogue entre les deux chambres, respectueux du travail de chacune et de chacun. De chacune et de chacun, parce qu’il s’agit bien d’une histoire commune, qui nous concerne, les hommes comme les femmes. Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, de vous être saisi de ce sujet avec tant de sincérité et d’engagement.
    Plus encore, cette rédaction me semble répondre, point par point, aux interrogations de chacun. D’abord et avant tout, elle protège la liberté des femmes. Une fois cette dernière inscrite dans la Constitution, le législateur ne pourra plus interdire le recours à l’IVG, ni en restreindre les conditions d’exercice de façon telle qu’il priverait cette liberté de toute portée.
    Ensuite, elle ne consacre pas une garantie inconditionnelle de pouvoir recourir à l’IVG. Comme toute liberté ou tout droit fondamentaux, la liberté de recourir à l’IVG doit être conciliée avec d’autres droits fondamentaux consacrés par nos normes suprêmes. À ceux qui s’inquiètent de créer un possible déséquilibre entre deux principes à valeur constitutionnelle que sont la liberté de la femme et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation, je réponds que ce n’est nullement l’intention de ce projet de loi. Cette rédaction ne remet pas davantage en cause la liberté constitutionnelle de conscience qui sous-tend la liberté des médecins et des sages-femmes de ne pas pratiquer une interruption volontaire de grossesse.
    Enfin, cette rédaction affirme qu’il revient aux représentants du peuple de déterminer les conditions dans lesquelles cette liberté est exercée. Ainsi, la liberté de recourir à l’IVG sera protégée de façon pérenne, tout en demeurant encadrée par un processus démocratique.
    Dans un contexte mondial où les attaques se multiplient contre l’accès à l’avortement, je crois profondément que ce projet de loi constitutionnelle doit être voté avec conviction, détermination et fierté, parce qu’il consacre la liberté de la femme, la protection de ses choix et le rôle du peuple dans la fixation du cadre dans lequel cette liberté s’exerce. Évidemment, le groupe Horizons et apparentés votera en faveur de ce projet de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Mélanie Vogel, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires du Sénat.

    Mme Mélanie Vogel

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    Toutes les victoires féministes sont des combats qui semblaient perdus d’avance, menés par des femmes qui ont moins regardé comment elles pouvaient perdre que comment elles pouvaient gagner. (Applaudissements sur quelques bancs.) Il y a un an et demi, quand j’ai proposé à mes collègues du Sénat de voter une proposition de loi transpartisane visant à introduire le droit à l’IVG dans la Constitution, beaucoup m’ont dit : « Oui, mais tu sais, n’est-ce pas, que c’est impossible ? Jamais, jamais le Sénat ne votera pour introduire le droit à l’IVG dans la Constitution. » La semaine dernière encore, beaucoup pensaient que ce Congrès était inaccessible, que le conservatisme serait plus fort.
    Pourtant, nous sommes là. C’est une magnifique leçon que nous nous donnons à nous-mêmes – nous, les féministes : nous sommes si fortes et si on ne lâche rien, à la fin, on gagne. (Applaudissements sur plusieurs bancs. – Mme Aurore Bergé, ministre déléguée, applaudit aussi.)
    Du 17 janvier 1975, l’histoire a retenu Simone Veil. Je voudrais ici formuler le vœu que, du 4 mars 2024, l’histoire ne retienne aucun nom. La démonstration que nous avons faite, avec Mathilde Panot, avec Aurore Bergé, avec Laurence Rossignol, avec Dominique Vérien, avec Laurence Cohen, avec Elsa Schalck, avec ces femmes qui ont choisi dans ce combat, comme en 1975, l’intérêt général par dessus toute autre considération, c’est que la victoire ne pouvait être que sorore et collective. (Mêmes mouvements.)
    Cette victoire revient à toutes celles et ceux qui se sont mobilisés, célèbres, connus ou anonymes ; celle des militantes et des associations féministes, qui n’ont jamais rien lâché, qui nous ont fait confiance et qui ont mobilisé sans répit. Merci, et bravo ! (Applaudissements sur quelques bancs.)
    Cette victoire est celle de toutes les personnes qui ont relayé nos appels, interpelé leurs élus, marché, écrit, pris la parole ; celle des femmes, des filles, des petites-filles et des nièces de sénateurs qui ont convaincu, avec leurs mots, leur mari, leur père, leur grand-père, leur oncle. (Mêmes mouvements.) Chacune, chacun de vous qui, à votre niveau, avez agi, soyez fiers de ce que nous avons fait ensemble !
    Le 4 mars 2024 sera désormais gravé dans la grande histoire des droits humains et des droits des femmes comme un tournant historique. Alors que, pendant des siècles, le simple exercice par les femmes de leur droit, inhérent à la condition humaine, de choisir leur vie leur a fait risquer la mort ; alors que, pendant des siècles, l’avortement a été honteux, caché, secret, tu, alors qu’il était un mot que l’on chuchotait la peur au ventre, il s’inscrit aujourd’hui, noir sur blanc, au plus haut où nous pouvions l’inscrire, dans la Constitution.
    Par cet acte, d’une portée juridique et politique sans précédent, la République française reconnaît, solennellement, que le droit à l’avortement n’est plus une option, mais une condition de notre démocratie ; qu’il n’est de société pleinement démocratique, libre et égalitaire, qui ne s’interdise d’interdire aux femmes de maîtriser leurs destins ; qu’il n’est de société pleinement démocratique, libre et égalitaire, sans la garantie du droit des femmes à disposer de leur corps ; que la République française, désormais, ne sera plus jamais la République sans le droit à l’avortement. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    C’est un message pour toutes les Françaises et les Français, qui tiennent tant à ce droit, et qui réclamaient, massivement, son introduction dans la Constitution ; un message pour toutes celles qui ont connu le temps où le prix du choix pouvait être l’exclusion, la prison, ou la mort, qui ont connu l’humiliation de la clandestinité, la douleur des curetages sans anesthésie, les cintres et les aiguilles ; un message à celles qui ont pleuré, de joie, de soulagement, le 17 janvier 1975. Jamais vos filles, vos petites-filles, vos nièces ne connaîtront cela. Nous sommes à jamais libres. Vous avez définitivement gagné ! (Applaudissements sur quelques bancs.)
    C’est aussi un message à tous les anti-choix et à tous les anti-droits. Vous n’avez cessé, depuis 1975, de rêver d’un jour où vous pourriez nous reprendre ce droit. Entendez, depuis le Parlement, la République entière vous dire – et vous dire sans trembler : cet horizon a disparu ; vous avez définitivement perdu. Plus jamais, nous ne reviendrons sur le droit à l’IVG ! (Applaudissements sur quelques bancs. – Mme  Aurore Bergé, ministre déléguée, applaudit également.)
    C’est également un message adressé au monde entier : aux Américaines, aux Argentines, aux Hongroises, aux Polonaises, aux Allemandes, aux Iraniennes, aux Marocaines, à toutes celles qui, dans le monde, vivent toujours – ou de nouveau – le martyre des cintres, la douleur des tricoteuses, l’angoisse de la clandestinité, la peur de la prison et le risque de la mort ; à toutes celles qui craignent de les revivre ; à toutes celles qui se battent pour acquérir, conserver ou élargir leurs droits, nous sommes, inconditionnellement, avec vous. Le recul des droits sexuels et reproductifs dans le monde n’est pas une fatalité. Vous pouvez gagner. Nous pouvons gagner. Car ensemble, unies et solidaires, notre pouvoir est sans limite. Nous pouvons renvoyer le patriarcat, l’obscurantisme religieux, la domination masculine dans le cimetière des idées réactionnaires. Nous sommes si fortes. Si le pire n’est jamais certain, le meilleur, lui, est toujours possible. (Applaudissements sur quelques bancs.) Ce combat, qui semble perdu d’avance, c’est notre victoire de demain. (Applaudissements sur de nombreux bancs. – M. le Premier ministre applaudit également. – Plusieurs parlementaires se lèvent pour applaudir, ainsi que Mme Aurore Bergé, ministre déléguée.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la présidente Cyrielle Chatelain, pour le groupe Écologiste-NUPES de l’Assemblée nationale.

    Mme Cyrielle Chatelain

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    Longue est notre mémoire ! La mémoire des aiguilles dans le vagin, des utérus transpercés, des cintres enfoncés, des injections de javel, des sondes qui restent dans le corps pendant un, deux, trois jours, des curetages à vif, des hémorragies, des septicémies. La mémoire des femmes traînées devant les tribunaux : les sans-argent, les sans-relations, les plus vulnérables. La mémoire de la colère, celle du Torchon brûle, de la gerbe pour la femme du soldat inconnu, du Manifeste des 343, de la plaidoirie de Gisèle Halimi et du discours de Simone Veil.
    Aujourd’hui, nous nous tenons sur l’épaule des géantes. (Applaudissements sur quelques bancs.) Nous faisons partie d’une chaîne invisible : les femmes qui avortent ; les faiseuses d’anges ; les porteuses de secrets millénaires ; les femmes épuisées par des grossesses non désirées ; les femmes qui, par leur parole ou leur silence, ont transmis à leurs filles la certitude que jamais elles ne céderaient ni ne se soumettraient à la loi des hommes ; les femmes qui ont posé les mots ; les femmes qui ont raconté ; les femmes qui n’ont pas pu ou voulu le dire car elles ont gardé leur avortement comme un secret, comme une honte, parce que cela ne se faisait pas, ne se disait pas ; les femmes qui en sont mortes ; les femmes qui ont donné des adresses, et les femmes qui ont organisé les voyages en car pour l’étranger.
    Car longue est notre lutte ! Nous nous sommes reconnues, nous nous sommes découvertes des milliers, des millions, et nous partageons un même combat. Ce combat se transmet de mère en fille, d’amie à confidente, d’inconnue à inconnue. Une force s’est transformée en mouvement : la Maternité heureuse, le Mouvement français pour le planning familial, le Mouvement de libération des femmes, le Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception.
    Des mouvements se sont transformés en raz-de-marée, en déferlante contre un dogme selon lequel le corps des femmes ne leur appartenait pas à elles, mais à leurs pères, à leurs maris ou à la nation. Ce dogme a longtemps été asséné par la loi, par la religion, et il est encore tenace. C’est celui des corps féminins qui ne devraient connaître ni jouissance, ni liberté, mais qui devraient être tout entiers dédiés à un devoir matrimonial, à un devoir national : celui de l’enfantement. Entraver ce devoir était un crime.
    Depuis 1975, l’avortement est enfin légal en France, mais il n’existait pas, jusqu’au vote qui nous réunit aujourd’hui, de protection de la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse par le juge constitutionnel. Ce que la loi a pu faire, la loi pouvait le défaire.
    En 1972, lorsque s’ouvre le procès de Bobigny, la Ve République est déjà en vigueur et la Constitution est la même qu’aujourd’hui. Pourtant, les femmes qui avortent et toutes celles et tous ceux qui leur viennent en aide sont traités comme des criminels.
    Oui, nous parlementaires ici réunis, reconnaissons l’interruption volontaire de grossesse comme une liberté fondamentale de même importance que l’ensemble des droits et libertés garantis par notre Constitution. Nous réaffirmons le rôle du Parlement pour établir les conditions d’exercice de l’IVG et les garantir. Car pour qu’une liberté s’exerce, son exercice doit être concrètement possible. Or il reste trop difficile. Les temps d’attente sont trop longs, les praticiens sont trop peu nombreux et l’éducation à la vie affective et sexuelle est encore balbutiante.
    Oui, le travail parlementaire va continuer, et le combat féministe n’est pas terminé. Mais aujourd’hui, savourons ! Savourons cette loi qui marque un nouveau jalon dans l’histoire de France et une nouvelle conquête dans la lutte des femmes – conquête pour laquelle je tiens à remercier les militantes féministes (Applaudissements sur plusieurs bancs. – Mme Aurore Bergé, ministre déléguée, applaudit également) qui ont marché, fait signer des pétitions, tenu des stands dans toute la France pour dire : nous devons intégrer l’IVG dans la Constitution. Je leur dis à mon tour : cette constitutionnalisation de l’IVG, c’est votre victoire ! (Applaudissements prolongés sur quelques bancs.)
    Je tiens aussi à saluer le travail essentiel de quatre parlementaires : Mélanie Vogel, sénatrice écologiste, Mathilde Panot, députée et présidente du groupe La France insoumise-NUPES, Laurence Rossignol, sénatrice socialiste, et Aurore Bergé, ancienne députée et présidente du groupe Renaissance. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Ensemble, elles nous ont conduits à ce vote, pari qui pouvait sembler fou à qui ne connaît pas la puissance d’une idée dont le temps est venu. (Mêmes mouvements.)
    Enfin, à mes filles, à toutes les femmes de France, à toutes celles qui, un jour, se poseront la question – est-ce que je peux le garder, est-ce que je veux le garder ? –, nous, parlementaires, nous vous le garantissons : nul ne peut vous contraindre, nul ne peut vous forcer, nul ne peut vous intimider, nul ne peut vous obliger. Vous êtes les maîtresses de votre destin ! Notre corps, nos choix ! (Applaudissements prolongés sur de nombreux bancs. – Quelques parlementaires se lèvent pour applaudir. – M. le Premier ministre et Mme Aurore Bergé, ministre déléguée, applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme la présidente Maryse Carrère, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen du Sénat.

    Mme Maryse Carrère

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    Il aura fallu trois textes avant que soit enfin soumise au Congrès la possibilité d’inscrire dans la Constitution la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Je salue la détermination de tous nos collègues qui ont soutenu ce combat, en particulier, s’agissant des membres du Sénat, Mélanie Vogel, Laurence Rossignol, Laurence Cohen, Dominique Vérien et bien d’autres, ainsi que toutes les personnalités venues prêter renfort à ce projet par leurs prises de position publiques. Je remercie également M. le garde des sceaux d’avoir concrétisé ces espoirs.
    Je salue aussi la bienveillance, qui mérite d’être soulignée, de la commission des lois du Sénat, car la majorité de ses membres ont su mettre de côté leurs quelques réserves pour rechercher le compromis, dans l’intérêt d’une liberté si chère aux femmes. Plus largement, mercredi dernier, le Sénat a été au rendez-vous du pacte républicain, dont les valeurs fondatrices nous invitent autant que nécessaire à ériger des digues autour des droits fondamentaux. Rappelons qu’au cours de l’examen de la loi Veil, la Chambre haute avait défendu plusieurs mesures progressistes, dont le remboursement de l’IVG. J’ajouterai que les sénateurs avaient très largement adopté le texte, dont Jean Mézard avait été le rapporteur.
    Aujourd’hui, pourquoi prendre tant de précautions ? Bientôt cinquantenaire, la loi de 1975, eu égard à sa longévité, ne démontre-t-elle pas sa résistance ? La réponse se trouve dans les propos de Simone de Beauvoir que vous avez évoqués, monsieur le Premier ministre : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. »
    Entre régimes autoritaires et progression des populismes dans les démocraties – même les plus grandes –, d’un bout à l’autre de la planète, nous observons un recul des libertés. Bien souvent, les femmes en sont les premières victimes, et les plus modestes d’entre elles avant les autres. C’est le cas outre-Atlantique depuis que la Cour suprême américaine a révoqué, en 2022, la protection du droit à l’avortement au niveau fédéral. C’est le cas dans plusieurs pays de l’Union européenne, où les conditions de l’accès à l’IVG ont été durcies.
    En France, qui peut prétendre que le mouvement pro-vie ne trouverait pas une audience si, demain, le contexte politique venait à changer radicalement, et ce d’autant plus si certains médias venaient à soutenir ce mouvement, comme nous avons pu le déplorer récemment lors de la diffusion par une chaîne privée d’une infographie nauséabonde ? Était-ce une simple négligence ou une véritable complaisance ? (Applaudissements sur quelques bancs.) Nous avons bien entendu les excuses qui ont été formulées mais, quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas naïfs et devons opposer la vigilance à tout cela.
    Ainsi, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen approuve à l’unanimité l’inscription de l’IVG dans la Constitution.
    Cependant, malgré cette nécessité évidente, certains mettent en doute la solidité d’une constitutionnalisation qui ne serait qu’illusoire et symbolique, dans la mesure où elle ne résoudrait pas les problèmes d’accès à l’IVG. C’est au législateur et au pouvoir réglementaire qu’il revient de créer les conditions de l’accès à tous les droits inscrits dans la Constitution. Il va de soi que mon groupe sera attentif aux conditions matérielles de l’accès à l’IVG dans tous les territoires, ainsi qu’à l’effectivité des politiques de prévention.
    Cela étant dit, notre Constitution doit afficher des principes, des valeurs et des objectifs. Elle indique la finalité de notre droit : celle à laquelle il ne saurait déroger. De toute évidence, la garantie donnée à la liberté des femmes d’interrompre leur grossesse trouvera sa place dans un tel corpus, en particulier à l’article 34.
    Chacun a ses convictions religieuses ou idéologiques, mais celles-ci ne sauraient se retrancher derrière le droit, faute d’être clairement assumées. Pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, je le répète, il n’y a aucun doute. Nous souhaitons écarter le risque de voir l’IVG aux prises avec un conservatisme conquérant ou des fanatismes religieux. Au nom de la laïcité, notre République doit mettre à l’abri ses droits sociaux du mieux qu’elle le peut.
    Enfin, il est de coutume de dire que la défense de l’IVG est un combat de femmes pour les femmes. À l’évidence, c’est le cas, mais le dramatique chemin qui mène à l’IVG a nécessairement commencé à deux. Dans certains cas, c’est également la liberté des hommes qui est engagée.
    C’est pourquoi, mes chers collègues, nous avons l’immense responsabilité collective de sanctuariser le recours à l’IVG. Nous le devons à toutes celles et à tous ceux qui se sont battus pour sa dépénalisation il y a cinquante ans. Nous le devons à Simone Veil, à Gisèle Halimi, aux 343, aux militantes et aux militants de l’ombre, ainsi qu’à tous les médecins qui, non sans risque, ont prêté leur conscience au service de la liberté des femmes. Nous le devons bien sûr aux prochaines générations. Enfin, nous le devons à tous les progressistes du monde qui regardent la France humaniste ouvrir la voie. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES de l’Assemblée nationale.

    Mme Elsa Faucillon

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    C’est avec une grande émotion et un grand bonheur que j’interviens au nom du groupe Gauche démocrate et républicaine pour ce vote si important pour notre pays et si décisif pour la vie des femmes. Ce matin, l’une des signataires du Manifeste des 343 s’adressait ainsi aux jeunes femmes : « Vous avez dépassé nos rêves. On n’a jamais imaginé que le droit à l’IVG pourrait être inscrit dans la Constitution. » Madame, à notre tour de vous dire merci, ainsi qu’à toutes celles qui nous ont menés sur ce chemin – ce très long chemin –, car, sans vos luttes, rien de tout cela n’aurait été possible. Je remercie également les femmes, les nièces, les filles ou les petites-filles de parlementaires, qui ont contribué au vote décisif du Sénat.
    En ce jour, les députés de mon groupe et moi-même adressons toute notre solidarité, notre soutien, ainsi que notre force aux femmes qui défendent ce droit à travers le monde et qui subissent en retour harcèlement, stigmatisation, violences physiques et procès. Les régressions comme les conquêtes ont une résonance mondiale. Force à vous, mesdames ! (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    Nous pensons aussi à ces femmes obligées d’écouter le cœur du fœtus parce qu’une loi les y oblige, à celles qui consacrent toutes leurs économies à un déplacement dans un autre pays pour pouvoir avorter, aux 47 000 qui, chaque année, meurent dans le monde d’un avortement clandestin. Chers collègues, les femmes qui veulent avorter avortent ; c’est le cas depuis la nuit des temps. Lorsqu’elles ne disposent pas de ce droit, elles trouvent tous les moyens possibles pour mettre fin à leur grossesse, quitte à mettre leur vie en péril.
    Pour nous, cette constitutionnalisation est loin de n’être qu’un symbole. Nous savons que même dans les grandes démocraties, le retour en arrière est possible. Nous savons aussi que lorsque l’extrême droite arrive au pouvoir, elle s’en prend d’abord aux droits des femmes, en particulier à leurs droits reproductifs. (Applaudissements sur plusieurs bancs. – Mme Aurore Bergé, ministre déléguée, applaudit également.)
    À ceux qui nous ont expliqué que ce droit n’était pas en danger, je réponds qu’il suffit de regarder la vigueur et l’indignité avec lesquelles les anti-choix et les gardiens du patriarcat ont redoublé d’efforts pour que ce vote du Congrès n’advienne pas. À ceux qui nous ont adressé des fœtus en plastique, des fascicules faisant parler des embryons, qui ont comparé l’avortement à un meurtre, sachez que vous avez décuplé la force des féministes ; sachez que vous avez perdu. (Applaudissements sur plusieurs bancs. – Mme Aurore Bergé, ministre déléguée, et Mme Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement, applaudissent également.)
    Pour nos mères, nos filles et nos sœurs d’ici et d’ailleurs, nous affirmons, ici et maintenant, que le droit à disposer de son corps est un droit fondamental et qu’il est essentiel à la liberté individuelle. Il constitue donc une condition indispensable à l’existence de toutes les autres libertés. Liberté, égalité, sororité !
    Notre vote représente aussi pour nous une manière de se prémunir contre les politiques natalistes qui font du ventre des femmes une variable d’ajustement démographique, au mépris des droits fondamentaux. (Applaudissements sur quelques bancs.)
    Vous le savez, les premières propositions de loi relatives à la constitutionnalisation du recours à l’IVG, issues de la gauche, mais pas uniquement, n’étaient pas formulées comme celle que nous nous apprêtons à voter, et ce pour différentes raisons. D’abord, des conditions à l’exercice de ce droit peuvent être ajoutées, et malheureusement pour le pire. Ensuite, le projet de loi constitutionnelle n’inclut pas le droit à la contraception, qui est pourtant la cible privilégiée des attaques de ceux voulant remettre en cause le droit à l’IVG.
    Ces compromis, nous les avons faits pour aboutir ; nous les assumons et nous en sommes fiers en approchant de l’issue du parcours de ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs.) Mais sachez que nous ne lâchons jamais parce que nos corps nous appartiennent, ainsi que nos choix.
    Ce vote nous oblige. De fait, les restrictions de personnels dans les hôpitaux publics et les suppressions de centres d’orthogénie constituent des freins réels pour celles qui souhaitent avorter. (Applaudissements sur quelques bancs.) Cent trente centres IVG ont fermé au cours des quinze dernières années ! Les personnes en situation de pauvreté, de migration et d’exclusion ainsi que les personnes mineures en sont les premières victimes. Lors du procès de Bobigny, Gisèle Halimi nous avertissait : « C’est toujours la même classe, celle des femmes pauvres, vulnérables économiquement et socialement, cette classe des sans-argent et des sans-relations qui est frappée. »
    Ce vote nous engage, vous engage, mesdames, messieurs les ministres, à garantir également le droit de recourir à l’IVG en allouant des moyens à ce secteur. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    Enfin, ce vote contribuera, je l’espère, à lever le tabou que demeure l’avortement et permettra ainsi à celles pour qui avorter n’est pas un drame de ne pas culpabiliser et à celles pour qui la décision ou le chemin sont plus difficiles de trouver les appuis nécessaires.
    Parce que, nous ne le savons que trop, ce vote historique entraînera, dès demain, son lot de contre-offensives réactionnaires, soyons nombreuses à participer, le 8 mars, à la grève féministe, pour de nouvelles conquêtes féministes, pour l’égalité salariale, pour que nos luttes se transforment en victoires ! (De nombreux parlementaires, ainsi que les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le président Bertrand Pancher, pour le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires de l’Assemblée nationale.

    M. Bertrand Pancher

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    La lutte pour les droits des femmes et pour l’égalité entre les hommes et les femmes est un long chemin. Il y a eu tant de reculs, en Hongrie, en Pologne, aux États-Unis, en Argentine, sans parler de la situation dramatique des femmes en Afghanistan ou du mouvement de révolte en Iran, « Femme, vie, liberté », réprimé dans le sang ! Je veux exprimer à cette tribune, au nom de mes collègues du groupe LIOT, une pensée toute particulière pour les femmes qui souffrent du simple fait qu’elles sont des femmes ou luttent pour leurs droits. (Applaudissements sur quelques bancs.)
    En France, cette lutte permet, aujourd’hui même, de conquérir deux avancées. Premièrement, le Congrès est présidé, pour la première fois, par une femme.
    Deuxièmement, la liberté garantie de recourir à l’IVG est inscrite dans notre Constitution. Là encore, je pense à toutes les femmes qui, par le passé, ont été condamnées pour avoir eu recours à l’avortement et qui ont eu à subir clandestinité, opprobre, déshonneur.
    C’est pour mettre fin à cette situation que Simone Veil mena, il y a cinquante ans, un combat pour légaliser l’accès à l’IVG. Nous avons tous en mémoire la violence des débats, les attaques dont elle fut la cible ; elle les affronta avec un courage et une détermination sans faille. Il nous faut nous réjouir que les débats, aujourd’hui comme lors de l’examen du texte à l’Assemblée et au Sénat, aient été dignes et se soient tenus dans une atmosphère globalement apaisée.
    Au bout du compte, nous avons à nous prononcer sur un texte de compromis qui consacre la liberté garantie aux femmes de recourir à l’IVG, de choisir et de disposer de leur corps. Les membres de mon groupe se prononceront, comme toujours, à la lumière de ce que leur dicte leur conscience, mais très, très majoritairement en faveur de ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs.) J’entends les arguments de ceux pour qui cette réforme est superflue. J’entends également les réserves exprimées notamment par celles et ceux de nos concitoyens qui estiment qu’il y a tant d’autres priorités : la crise agricole, la vie chère, la guerre en Ukraine, l’état catastrophique de nos services publics…
    Il est vrai qu’aujourd’hui, personne ne remet ce droit en cause, mais qu’en sera-t-il demain ? Nous avons tous en tête cette citation de Simone de Beauvoir : « Il suffira d’une crise politique, économique et religieuse pour que le droit des femmes soit remis en question. » Nous allons graver cette liberté dans la norme suprême ; nous lui donnons ainsi plus de force. Ce vote s’inscrit dans le prolongement du combat universaliste et humaniste de la France.
    Mais une telle consécration constitutionnelle ne marque pas pour autant la fin des combats pour les femmes. Je pense au combat pour l’égalité – tant il reste à faire pour l’égalité professionnelle et économique, trop souvent mise à mal par le plafond de verre des salaires –, à la lutte contre les violences faites aux femmes, à la prévention des féminicides ou à la santé des femmes. Bien que l’égalité entre les femmes et les hommes ait été déclarée grande cause du quinquennat en 2017 et en 2022, les progrès restent trop lents.
    Ce vote ne marque pas non plus la fin du combat pour le droit effectif à l’IVG. Dans notre pays, trop souvent, les femmes se heurtent à des obstacles : difficultés d’accès à l’information ou à des praticiens, délais d’intervention trop longs… Comme dans de nombreux domaines, les fractures sociales, pour elles, se cumulent aux fractures territoriales. Il est, en conséquence, tout aussi important de proclamer une liberté que de garantir les conditions de son exercice ! Renforçons donc les moyens alloués à nos politiques de santé publique, à la prévention, à l’éducation sexuelle, à la contraception chez les jeunes, comme c’est le cas dans d’autres pays – je pense notamment aux Pays-Bas, exemplaires à cet égard.
    Puisque nous sommes réunis à Versailles, je ne peux m’empêcher de penser au rôle des femmes dans la Révolution, notamment lors des marches des 5 et 6 octobre 1789, où elles étaient majoritaires. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
    Et puisque nous nous apprêtons à réviser notre Constitution, comment ne pas exiger des réformes institutionnelles d’ampleur pour résoudre la grave crise démocratique que nous traversons et éviter que les extrémistes n’arrivent au pouvoir et ne remettent tout en cause ? (Applaudissements sur quelques bancs.)
    La France est le seul pays où tout se décide au niveau central. Comment voulez-vous que cela marche ? Notre pays se meurt sous le joug d’une gouvernance verticale jupitérienne (Exclamations sur quelques bancs)

    Mme Véronique Riotton

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    Ce n’est pas possible !

    M. Bertrand Pancher

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    …et d’une suradministration étouffante.
    C’est le seul pays qui ne donne jamais la parole au peuple ! L’adaptation législative et réglementaire des normes ne relevant pas du domaine régalien aux territoires qui le réclament doit être consacrée, tout comme la généralisation des référendums et le renforcement du rôle du Parlement.

    Mme Véronique Riotton

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    C’est indigne !

    M. Bertrand Pancher

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    C’est le seul pays où l’on ne fait pas confiance aux corps intermédiaires, aux partenaires sociaux, pour gérer la protection sociale : retraites complémentaires, Agirc-Arrco, assurance chômage.
    Oui, nous saluons l’inscription de l’IVG dans notre Constitution. (« Ah, tout de même ! » sur quelques bancs.)

    Mme Élodie Jacquier-Laforge

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    C’est le sujet du jour !

    M. Bertrand Pancher

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    Nous nous en réjouissons. Mais il y a encore, chers collègues, tant et tant de chemin à faire. (Applaudissements sur quelques bancs.)

    Mme la présidente

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    Nous avons terminé les explications de vote.

    Vote par scrutin public

    Mme la présidente

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    Je vais maintenant mettre aux voix le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse.
    Je vous indique que le scrutin sera ouvert pendant quarante-cinq minutes et aura lieu dans les huit bureaux de vote installés dans les salles situées à proximité de l’hémicycle.
    Le scrutin est ouvert.
    La séance sera reprise pour la proclamation des résultats après la clôture du scrutin, qui interviendra à dix-huit heures trente-cinq.

    Suspension et reprise de la séance

    Mme la présidente

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)

    Mme la présidente

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    La séance est reprise.
    Voici le résultat du scrutin sur le projet de loi constitutionnelle :
            Nombre de votants : 902
            Nombre de suffrages exprimés : 852
            Majorité requise pour l’adoption du projet de loi constitutionnelle, soit les trois cinquièmes des suffrages exprimés : 512
                    Pour l’adoption : 780
                    Contre : 72
    (Mme la présidente, la plupart des parlementaires et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent pendant plusieurs minutes, puis en rythme.)
    Je vous remercie. Merci pour elles !
    Le Congrès a adopté le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse, approuvé à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
    Le texte sera transmis à M. le Président de la République.
    La séance est levée.

    (La séance est levée à dix-huit heures cinquante.)

    Le directeur des comptes rendus de l’Assemblée nationale
    Serge Ezdra