XVIe législature
Session ordinaire de 2022-2023

Première séance du lundi 03 avril 2023

Sommaire détaillé
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Première séance du lundi 03 avril 2023

Présidence de Mme Hélène Laporte
vice-présidente

Mme la présidente

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    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à seize heures.)

    1. Élection d’une députée

    Mme la présidente

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    La présidente de l’Assemblée nationale a reçu, aujourd’hui, du ministre de l’intérieur et des outre-mer une communication l’informant qu’hier, le dimanche 2 avril 2023, Mme Martine Froger a été élue députée de la première circonscription de l’Ariège.

    2. Lutte contre le terrorisme d’extrême droite

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle le débat sur la lutte contre le terrorisme d’extrême droite.
    Ce débat a été demandé par le groupe Écologiste-NUPES. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées. La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d’une durée d’une heure, puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d’une durée d’une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
    Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à M. Erwan Lecœur, sociologue, membre du laboratoire Pacte, à M. Patrick Baudouin, avocat et président de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et à M. Raphaël Arnault, porte-parole de la Jeune Garde. Je vais maintenant donner la parole à chacun de nos invités, pour une intervention d’environ cinq minutes.
    La parole est à M. Erwan Lecœur, sociologue, membre du laboratoire Pacte.

    M. Erwan Lecœur, sociologue, membre du laboratoire Pacte

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    Je vais tenter de dresser, en quelques minutes, un tableau général de ce que j’appelle les ultradroites ou l’extrême droite dangereuse, qui ne correspond pas à l’extrême droite politique. Depuis quelques années, les ultradroites connaissent un regain d’activité et un regain d’intérêt de la part des services de sécurité et de quelques chercheurs, dont je fais partie.
    Premièrement, je voudrais rappeler, de façon liminaire, que l’extrême droite représente un danger terroriste depuis la fin de la seconde guerre mondiale – même avant. Historiquement, l’ultradroite a une capacité à organiser des attentats ; on peut parler de terrorisme, puisque l’objectif était de terroriser une partie de la population. On se souvient des attentats terroristes perpétrés par le réseau Gladio en Italie, plus tard en France par l’OAS – Organisation armée secrète – et ces dernières années aux États-Unis, en Allemagne et un peu partout dans le monde. Depuis les années 1960, en France, le nombre de victimes est estimé à plus de cinquante. Pratiquement aucune autre force politique n’a connu ce même phénomène de terrorisme interne.
    L’ultradroite présente une spécificité : l’action violente fait partie de son mode de fonctionnement et s’appuie sur des groupes spécifiquement créés à cette fin. On peut penser aux skinheads dans les années 1960 en Angleterre, ainsi qu’aux hooligans qui, aujourd’hui encore, en France, en Europe et dans le monde, s’entraînent à l’action violente dans plusieurs villes. Il y a une renaissance, notamment sur internet, des entraînements aux combats de rue et à d’autres types de combats. Les jeux vidéo sont également de plus en plus utilisés par l’ultradroite pour recruter et former des jeunes, comme l’avait fait l’armée des États-Unis dans les années 1970 et 1980. Le militarisme ambiant, ainsi qu’une forme de survivalisme – une relative nouveauté –, alimentent ce phénomène.
    Deuxièmement, la galaxie de l’extrême droite est constituée de plusieurs entités : des ultras, des identitaires, des groupuscules et des mouvements. Pendant une période, le Front national de Jean-Marie Le Pen avait rassemblé cette galaxie – dont plusieurs groupuscules – et comptait environ une douzaine de tendances. Ce rassemblement avait pour conséquence que ces entités se tenaient à carreau. En 1999, une commission d’enquête parlementaire s’est penchée sur les agissements du service d’ordre du Front national, qui faisait la police en interne dans cette galaxie. Ce n’est plus le cas depuis la scission de 1999 et le départ, après l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti, d’identitaires et de catholiques traditionalistes, désormais plus autonomes et donc potentiellement plus dangereux.
    Plus récemment, le mouvement Reconquête a eu un effet médiatique non négligeable, étudié par les scientifiques. Le projet de M. Le Gallou, que nous qualifierons de mégrétiste, consiste à rassembler les droites et les droites radicales ; il vise à réunir les catholiques traditionalistes et les identitaires, qui s’étaient retrouvés au moment de La Manif pour tous en 2013 – M. Zemmour étant la façade médiatique d’un phénomène plus large existant dans les rues.
    Les groupes identitaires – Bloc identitaire et Génération identitaire notamment –, dont certains ont été dissous, les groupes historiques – Action française, Civitas et le parti nationaliste français et européen (PNFE), entre autres – et des groupuscules – le groupe union défense (GUD), les Zouaves Paris, Bastion social, etc. – sont présents dans plusieurs villes de France et incarnent une forme d’action. En 2013, La Manif pour tous a été le point de ralliement de plusieurs courants, qui pouvaient être considérés comme radicaux. Il convient donc d’opérer des distinctions entre des mouvements – tels que le Front national, le Rassemblement national et Reconquête –, des groupes identitaires, des groupes historiques et des groupuscules, dont certains connaissent une renaissance – sans jeu de mots.
    Bien entendu, il existe des groupes dangereux ; selon les estimations des services de sécurité, ils sont constitués d’environ 1 000 personnes potentiellement dangereuses et 2 000 personnes en soutien. De nombreuses cellules ont existé ; certaines existent encore, parfois réduites à un individu. Ainsi, la presse a fait état des projets de l’Organisation des armées sociales (OAS), de l’Action des forces opérationnelles, des Barjols, etc. La situation n’a cependant rien à voir avec celle de l’Allemagne, qui compte environ 13 000 personnes considérées comme dangereuses. En France, 9 000 personnes sont fichées S pour radicalisation en lien avec l’islam.
    Les liens internationaux entre ces entités ne sont pas négligeables et se sont développés depuis quelques années. Grâce notamment à l’intérêt suscité par ces entités sur internet, il existe désormais une internationale des nationalistes les plus actifs, les frontières étant aisément franchies. De nombreux groupes d’envergure internationale montrent un intérêt pour des groupuscules français ; on le voit très nettement dans le cadre de la recherche. Ainsi, l’alt-right trumpiste américaine a financé des groupuscules en Europe, notamment en France. Il existe aussi des liens avec des États à l’est de l’Europe : la Hongrie, mais également la Russie. Selon l’ONU, une internationale de l’autoritarisme, reliant plusieurs États, se dessine.

    Mme la présidente

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    Je vous remercie de conclure, monsieur Lecœur.

    M. Erwan Lecœur

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    Pour conclure, je rappellerai les principaux phénomènes à l’œuvre : l’accélérationnisme ; le choix de l’islam, en tant que vecteur d’un clash de civilisations, comme principal objectif ; la montée du complotisme et du confusionnisme sur internet. Je pourrais également citer le masculinisme ou la résurgence de l’agrarisme, qui est un ancien courant.
    Une nouvelle génération militante, voyant certains succès politiques et médiatiques, pense le pouvoir de plus en plus proche. Les chercheurs travaillant depuis longtemps dans ce domaine le constatent : elle estime pouvoir se permettre ce qu’elle ne se serait pas permis dix ou vingt ans plus tôt, pour préparer la victoire, en quelque sorte. De plus, le développement rapide de réseaux propagandistes, par le biais d’internet et des médias, a des effets non négligeables sur des actions isolées potentielles. Enfin, il existe bien une atmosphère, que certains voudraient présenter comme une guerre de civilisations et qui devient une guerre raciale contre le « grand remplacement ». Les ennemis, ainsi que leurs alliés – les femmes, les LGBT, etc. –, sont clairement identifiés. Nous sommes face à des gens qui considèrent qu’ils doivent préparer une forme de guerre civile ethnique ; l’accélérationnisme consiste alors à frapper les premiers, sans attendre la riposte.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Patrick Baudouin, avocat et président de la Ligue des droits de l’homme.

    M. Patrick Baudouin, avocat et président de la Ligue des droits de l’homme

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    À partir de l’expérience de la Ligue des droits de l’homme (LDH), nous formulons trois principales observations. Premièrement, un accroissement assez spectaculaire des actions des groupuscules d’extrême droite, qu’elles prennent la forme de tracts, de propos ou d’actes violents. Nous en avons relevé plusieurs, qui ont parfois donné lieu à des actions intentées par la LDH et à l’appui de procédures engagées par le ministère public : des saluts nazis dans des stades de football, à Reims et à Lorient ; des actes de violence et de provocation à la haine à Bordeaux, lors de la marche des fiertés ; à Bordeaux encore, dans le quartier Saint-Michel, un groupuscule d’extrême droite s’est attaqué à plusieurs personnes avec des cris de singe et des actes de violence,  ; de nombreux tracts, souvent en lien avec le mouvement Reconquête.
    Nous avons également observé, dans le même registre d’actes violents, des actions assez spectaculaires de groupuscules d’extrême droite visant les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada) et, plus largement, les centres d’hébergement d’étrangers, notamment à Corlay, à Bélâbre et à Saint-Brevin-les-Pins. Le maire de cette commune a résisté à ce mouvement visant à l’empêcher d’ouvrir un centre d’accueil ; son domicile a été incendié. À Lyon, une librairie a été attaquée avec menace d’utilisation d’armes. Ce type d’actions se développe de manière très inquiétante.
    Deuxièmement, l’augmentation de l’infiltration de mouvements complotistes et sectaires par des groupuscules d’extrême droite. Ce point nous préoccupe beaucoup, puisque la LDH travaille en lien étroit avec la Miviludes – mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Ce matin encore, nous avons reçu des alertes au sujet de ces infiltrations et des liens, de plus en plus étroits, entre ces groupuscules et des mouvements à caractère sectaire – en l’occurrence, les Brigandes. C’est pourquoi il est nécessaire d’agir en lien avec la Miviludes.
    Troisièmement – c’est peut-être le point le plus important –, ces dernières années, l’une des principales réactions face aux groupuscules d’extrême droite est leur dissolution administrative. Au cours des trois dernières années, on en dénombre plusieurs : Génération identitaire, dissoute en 2021 ; l’Alvarium, qui sévissait surtout dans la région d’Angers ; Bordeaux nationaliste et les Zouaves Paris – une sorte d’émanation, ou de résurrection, du GUD –, dissous cette année.
    Ces dissolutions administratives sont une riposte, mais on observe une recomposition de ces groupuscules. Il ne suffit donc pas de les dissoudre : ces mouvements se renouvellent sous une forme ou sous une autre. En définitive, la dissolution a des effets relatifs. C’est pourquoi nous proposons de ne pas agir seulement sur l’organisme mais sur ses membres, à titre individuel, en engageant leur responsabilité pénale. Si des agissements correspondant à des infractions pénales sont constatés, une action pénale individualisée serait préférable aux dissolutions dont l’effet est relatif.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Raphaël Arnault, porte-parole de la Jeune Garde.

    M. Raphaël Arnault, porte-parole de la Jeune Garde

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    Je vous remercie de m’avoir invité pour débattre de ce sujet ô combien sensible et important, compte tenu de la situation. Comme l’ont expliqué les intervenants précédents, on observe une augmentation des violences de l’extrême droite partout sur le territoire. À Lyon, depuis maintenant dix ans, on ne connaît que trop bien cette situation : si j’énumérais toutes les agressions et les attaques survenues durant cette période, nous serions là jusqu’à minuit. Hier soir encore, un compte Twitter a révélé de nombreuses activités sur des canaux Telegram : l’extrême droite préparait des attaques de mosquées et des tentatives d’assassinat d’élus de la République.
    Outre l’augmentation du nombre de violences de l’extrême droite, on observe aussi une augmentation de leur niveau. Des chiffres ont été rappelés au cours des dernières séances ; je ne vais pas y revenir. En 2021, Europol a signalé une explosion des actes terroristes de l’extrême droite ; 45 % des arrestations effectuées en Europe pour tentative ou projet d’attentat l’ont été sur le sol français, ce qui est inquiétant. On a observé que cette évolution était directement liée à la normalisation des discours de l’extrême droite sur de nombreux plateaux de télévision. Ces théories, comme celle du grand remplacement, ont poussé des terroristes à passer à l’action ; elles sont complotistes et profondément antisémites.
    Il est également inquiétant de constater, sur le terrain et, de manière générale, dans le champ politique et médiatique, une confusion totale sur la question du terrorisme, qui est faite à tous les niveaux – au point que le ministre de l’intérieur lui-même a parlé de « terrorisme intellectuel », qui est un concept d’extrême droite.
    Cette confusion est faite par paresse intellectuelle, par méconnaissance du sujet ou peut être révélatrice de mauvaises intentions, afin de semer le trouble et permettre à des groupuscules de continuer tranquillement à cultiver leur terreau et à mener des actions.
    Au-delà du mépris dont font preuve les personnes qui, animées de mauvaises intentions, évoquent la question du terrorisme – j’ai cité le « terrorisme intellectuel » –, cela nous empêche de lutter efficacement contre le terrorisme et d’endiguer le phénomène.
    On entend également beaucoup que le terrorisme de l’extrême droite nationaliste suprémaciste blanche serait moins dangereux – voire pas vraiment dangereux – parce qu’il existe un autre terrorisme, le terrorisme djihadiste. Nous considérons au contraire qu’il faut mener une lutte commune contre ces deux formes de terrorisme. Rappelons que ce qu’on appelle le terrorisme djihadiste est en réalité issu d’idéologies d’extrême droite, même si celle-ci se distingue de l’extrême droite occidentale classique – suprémaciste blanche, donc. Elle est une autre idéologie d’extrême droite, fondée sur les mêmes principes, prônant une société dans laquelle tous les droits humains seraient détruits, la construction d’un homme nouveau qui serait purifié et l’extinction des droits des femmes, des personnes LGBTI et de toutes les différences ethniques et religieuses, s’attaquant aux valeurs de la démocratie en menant des actions qui s’accompagnent d’une violence extrême et s’imposent par la force. Oui, ils sont prêts à tout, même à terroriser les populations civiles en les tuant. On peut le nommer terrorisme des extrêmes droites, et pas seulement de l’extrême droite.
    La Jeune Garde connaît mieux que quiconque la lutte contre le terrorisme, notamment celui des extrêmes droites. En effet, des personnes proches de nos mouvements antifascistes ont combattu au cœur de la Syrie contre Daech et d’autres groupes terroristes. Ils y ont vu les pires atrocités des dernières décennies, et les ont combattues. Ils ont contribué à évincer Daech sur le terrain et donc, en toute logique, à limiter aussi le nombre d’attentats qui auraient pu être commis sur le sol français.
    Nous ne souhaitons jamais voir ces monstres se développer à nouveau sur notre territoire, parce qu’on connaît mieux que personne les atrocités qu’ils sont capables de commettre, que ce soit au nom d’une religion, d’une race ou d’une nation. Il faut très rapidement instaurer des outils pour se protéger de toutes les violences commises par l’extrême droite, qui peuvent aller jusqu’à se traduire par des attentats terroristes. En effet, le débat ne porte pas seulement sur la question des violences en général, mais sur une violence bien particulière et très meurtrière qu’est le terrorisme. Par ailleurs, il faut arrêter de confondre les concepts et bien les nommer, afin de lutter efficacement contre le terrorisme ; on parle de personnes qui ont été tuées.

    Mme la présidente

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    Nous en venons aux questions. La parole est à M. Aurélien Taché pour la première question, le groupe Écologiste-NUPES étant à l’initiative de ce débat.

    M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES)

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    Selon la direction générale de la sécurité intérieure – DGSI –, que j’ai auditionnée la semaine dernière dans le cadre de l’examen de la proposition de loi pour dresser un état des lieux exhaustif de la menace terroriste d’extrême droite que j’ai présentée, le risque d’attentat lié à l’extrême droite radicale en France est de plus en plus élevé. Ce serait la menace la plus importante derrière le risque d’attentats liés au terrorisme djihadiste. On estime qu’environ 1 500 individus, qu’ils soient nationalistes, accélérationnistes – pour reprendre le mot utilisé par Erwan Lecœur – ou néonazis, sont considérés comme potentiellement violents.
    Selon les chiffres transmis par Europol, notre pays comptabilise la moitié des arrestations réalisées au sein de l’Union européenne en lien avec des affaires de terrorisme d’extrême droite. Enfin, depuis 2017, onze enquêtes ont été ouvertes pour présomption de projets d’attentats fomentés par cette mouvance.
    Dans ce contexte, la semaine dernière, j’ai présenté cette proposition de loi, visant à demander au Gouvernement de dresser un état des lieux exhaustif de cette menace, comme c’est le cas dans de nombreuses démocraties. Lui seul est en mesure de le faire, le Parlement ne disposant pas des mêmes moyens de renseignement. Malheureusement, la proposition de loi a été vidée de sa substance. Je suis donc heureux que nous débattions de cette question aujourd’hui et que le Gouvernement réponde après cette table ronde.
    J’ai trois questions à poser. Erwan Lecœur, vous avez dit qu’il y avait un regain de l’extrême droite violente en France. Eu égard à vos travaux, considérez-vous que certains discours, qui banalisent des idées d’extrême droite, peuvent ou non l’encourager ?
    Monsieur Baudouin, vous avez dit que la dissolution des groupuscules avait des effets relatifs. Vous avez préconisé d’engager la responsabilité pénale des individus. Avez-vous d’autres préconisations à faire ?
    Enfin, Raphaël Arnault, vous avez été dernièrement la cible d’un groupuscule d’extrême droite à Lyon. Des individus sont venus en bas de votre domicile scander des chants et proférer des menaces. Diriez-vous qu’il est difficile et risqué d’être un militant qui lutte contre les extrêmes droites violentes ? Craignez-vous pour votre intégrité physique ? L’État vous a-t-il proposé une protection policière ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Erwan Lecœur.

    M. Erwan Lecœur

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    Un mouvement d’ultradroite mène toujours des actions dans un contexte sociopolitique et économique donné – c’est ainsi qu’on analyse le phénomène sur le long terme. Aujourd’hui, c’est ce qu’on appelle les imaginaires – théorie sociopolitique que tout le monde connaît – qui, majoritairement, déterminent le contexte sociopolitique : dans quel imaginaire se développe telle ou telle action, comment sera reçu par la population tel ou tel autre type d’action, en fonction de quoi la population jugera la légitimité de telle ou telle action, notamment menée par un gouvernement ?
    Entre l’été 2021 et le mois de mars 2022, un chercheur de l’Institut national de l’audiovisuel – INA – et une chercheuse du Centre national de la recherche scientifique – CNRS – ont conduit une enquête grâce à laquelle on dispose de chiffres : que ce soit aux États-Unis, en France, en Belgique, en Italie, en Hongrie ou encore en Allemagne, l’imaginaire et l’ambiance sociale qui règnent, semblent avaliser et donner corps à des idées qui étaient hors de la fenêtre d’Overton – pour reprendre un terme que, désormais, tout le monde connaît. La fenêtre d’Overton recouvre ce qui peut être dit au sein d’une société ou dans un média. Depuis une dizaine d’années, cette fenêtre s’est déplacée, des termes créés par des groupuscules sont devenus normaux : l’expression « problème de l’immigration » apparue en 1983, ou le slogan de Civitas « la sécurité est la première des libertés » en 1986. Ce phénomène, vous le comprenez aisément, puisque vous faites tous ici de la politique.
    De manière nette, claire et précise, l’analyse lexicographique et lexicométrique, ainsi que les propos des militants que nous interrogeons régulièrement, révèlent que, depuis quelques années, quelque chose a bougé, donnant l’impression à certains, notamment à des loups solitaires, qu’ils sont financés ou poussés à agir. Il y a vingt ans, tel n’était pas le cas.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Patrick Baudouin.

    M. Patrick Baudouin

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    Le moyen principal de prévention est d’éliminer le terreau qui sert de base aux mouvements d’extrême droite. Le terreau, c’est l’insuffisance de prise en compte de la crise sociale, de la précarité, de la crise climatique, etc. Je ne peux pas répondre précisément à la question en si peu de temps.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Raphaël Arnault.

    M. Raphaël Arnault

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    La question des dissolutions a du sens. Nous avons notamment fait campagne pour la dissolution de Génération identitaire. Malheureusement, ces dissolutions ont des effets relatifs car à Lille ou à Lyon, ces groupuscules ont conservé leurs locaux, c’est-à-dire leur outil organisationnel, au sein desquels ils peuvent s’entraîner pour mener des ratonnades.
    S’agissant de mon cas personnel, il soulève la question politique beaucoup plus large relative aux menaces qui pèsent sur les personnes osant s’engager contre l’extrême droite. Mes agresseurs sont venus deux fois en deux semaines, afin de me tendre un guet-apens. La première fois, ils étaient une dizaine, ils sont arrivés avec trois véhicules – ils étaient donc parfaitement coordonnés –, et ont essayé, à plusieurs reprises, d’entrer dans mon immeuble. La seconde fois, il y a quelques jours, une quarantaine de personnes sont venues du vieux Lyon, à proximité de leurs locaux, jusque chez moi, scander des slogans, disant qu’elles allaient tout casser chez moi.
    Au moment où l’on mène cette lutte, on sait qu’on est en danger. C’est encore pire lorsque les personnes visées, notamment les élus de la République, ne sont pas préparées à toute cette violence. La question des dissolutions a donc du sens, alors qu’au mois de juin prochain, nous fêterons malheureusement le triste anniversaire des dix ans de la mort de Clément Méric.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.

    M. Jean-Philippe Tanguy (RN)

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    J’ai des questions à poser aux différents intervenants, bien que je ne comprenne pas comment leurs compétences justifient qu’ils aient été invités pour éclairer l’Assemblée nationale. S’agissant de la lutte contre le terrorisme, sans doute faudrait-il auditionner les services du ministère de l’intérieur et des outre-mer, nos services de renseignement, peut-être un procureur – en clair, les personnes qui sont effectivement chargées au quotidien de l’importante lutte pour éliminer toute forme de violence du débat politique.
    Je pose ma première question à M. Baudouin. Vous avez mentionné différentes formes de terrorisme et de risques de violence – vous avez raison. Néanmoins, vous avez ignoré les formes de violence qui touchent les mouvements républicains patriotes, comme le Rassemblement national ou Debout la France. Je suis un des seuls parlementaires à avoir été victime, il y a quelques années, d’une attaque au couteau commise, dans l’indifférence générale, par des personnes appartenant à un mouvement ou à un groupuscule d’extrême droite. Cette agression avait un caractère évidemment homophobe, mais aussi politique, eu égard à la ligne politique gaulliste modérée que défendait mon mouvement. Il n’y a eu aucune réaction de la part de l’État ni de l’habituel petit milieu donneur de leçons. Il n’y a tout simplement pas eu une seule réaction sur ce drame, à l’exception de la solidarité qu’ont exprimée d’autres mouvements et quelques journalistes. Pourquoi la LDH semble-t-elle ignorer ce genre d’attaques – à moins qu’elle ne les ignore pas ?
    Monsieur Arnault, comment osez-vous venir donner des leçons contre la violence dans cette institution alors que sur votre compte Twitter – je ne connais pas votre vie privée –, vous relayez régulièrement une forme de violence et de harcèlement contre des personnalités politiques que vous combattez et qui sont parfois même mes adversaires politiques ? La semaine dernière, vous avez publié une vidéo d’un de vos membres – ou de quelqu’un considéré comme tel –, qui a accueilli M. Zemmour à la Gare de Lyon. J’ai combattu M. Zemmour politiquement et je continuerai à le faire, mais il ne mérite pas d’être traité de « grosse merde ». Comment peut-on donner des leçons sur la violence lorsqu’on relaie de tels comportements ? Dans une autre publication, on voit une photo de M. Zemmour barrée en rouge, pouvant signifier sens interdit ou élimination.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Patrick Baudouin.

    M. Patrick Baudouin

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    Malheureusement, M. Zemmour fait partie des personnes qui contribuent à cette montée des violences de l’extrême droite.
    Pour répondre à votre question, nous ne faisons pas preuve de sélectivité, contrairement à ce que vous laissez entendre. Nous condamnons tous les actes de nature violente, terroristes ou pseudo-terroristes ou proches du terrorisme, peu importe que les auteurs appartiennent à l’extrême gauche ou à l’extrême droite. Je n’ai pas eu connaissance de votre agression, mais nous intervenons à chaque fois que nous sommes saisis ou avons connaissance d’actes à caractère raciste, antisémite ou commis contre des personnes LGBTI. Je souhaite tout de même souligner ce point.
    Il est vrai que nos dirigeants, dans leurs discours, vilipendent bien davantage les mouvements qualifiés, de manière condamnable, d’écoterroristes que ceux d’extrême droite. C’est pourquoi je suis ravi que l’on débatte de la condamnation ou, à tout le moins, de la lutte qu’il faut mener contre la violence terroriste de groupuscules d’extrême droite, qui est de plus en plus forte et dangereuse – vous l’avez dit tout à l’heure.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Raphaël Arnault.

    M. Raphaël Arnault

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    Je suis prêt à revenir à l’Assemblée nationale pour débattre de la question de la violence en général, notamment en politique, ou pour évoquer la Jeune Garde, puisque je vois que vous vous intéressez à notre organisation.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Pas trop, non…

    M. Raphaël Arnault

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    Mais j’ai été invité à parler du terrorisme. Il ne s’agit pas de n’importe quelle violence ; elle ne se limite pas à des insultes ou à des coups : elle fait des morts.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Il n’y a aucun lien ?

    M. Raphaël Arnault

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    À propos de terrorisme, on peut évoquer un certain parti, le Front national, dont un ex-membre, Claude Sinké, a commis un attentat contre une mosquée, à Bayonne.

    M. Emeric Salmon

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    Il n’y a eu qu’un mort dans cette affaire : Claude Sinké lui-même, qui est décédé en prison !

    M. Raphaël Arnault

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    Nous ne lâcherons jamais les personnes qui alimentent les théories racistes et cautionnent le terrorisme ou des idéologies qui poussent certains vers le terrorisme ; je pense notamment à Éric Zemmour – vous avez bien fait de le citer. Je l’ai rappelé, nous sommes allés jusqu’en Syrie pour combattre le terrorisme ; a fortiori, nous ne laisserons personne se livrer à des actes terroristes sur notre sol.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Carlos Martens Bilongo.

    M. Carlos Martens Bilongo (LFI-NUPES)

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    J’évoquerai, pour ma part, la théorie du grand remplacement. En 2019, l’attentat de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, revendiqué par Brenton Tarrant, qui visait deux mosquées et a fait cinquante et un morts et quarante-neuf blessés, a été inspiré par la théorie popularisée par Renaud Camus. On le sait puisque Tarrant y fait clairement référence dans le manifeste qu’il a mis en ligne.
    En décembre dernier, alors que j’intervenais à la faculté de Bordeaux, les participants à la réunion ont été attaqués par des jeunes appartenant à des groupuscules d’extrême droite dont l’inspiration était la même, comme en témoignaient les inscriptions figurant sur leurs affiches et les insultes qu’ils avaient inscrites devant la faculté.
    Cette théorie « infuse » dans le débat politique actuel : elle est reprise par Éric Zemmour, Alain Finkielkraut ou l’écrivain Michel Houellebecq qui, dans son roman Soumission, imagine la prise du pouvoir par les islamistes en France, roman dont il a dit qu’il lui avait été inspiré par ses conversations avec Renaud Camus.
    On observe une poussée de l’extrême droite, laquelle s’inscrit dans une logique qui alimente la crispation des Français et stigmatise les minorités. De fait, cette théorie est reprise par Marion Maréchal-Le Pen, Nicolas Bay, Stéphane Ravier, Julien Sanchez ou Nicolas Dupont-Aignan, qui évoque un « remplacement rampant ». Il arrive qu’à la suite de cela, on subisse un cyberharcèlement – c’est mon cas. Pourtant, les différents partis politiques ne condamnent pas toujours ces propos. On constate une espèce de laisser-faire.
    Ainsi, M. Darmanin dénonce l’« écoterrorisme », mais il ne condamne pas des actes revendiqués,…

    Mme la présidente

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    Veuillez poser votre question, mon cher collègue.

    M. Carlos Martens Bilongo

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    …on l’a vu, dans des boucles Telegram, et qui prolifèrent, notamment des attaques contre des élus de la République.
    Monsieur Baudouin, quel est le poids de la théorie du grand remplacement et quel danger représente-t-elle ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Patrick Baudouin.

    M. Patrick Baudouin

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    Cette question est des plus préoccupantes. On observe – et c’est un constat que chacun et chacune peut faire – l’existence de passerelles de plus en plus évidentes entre, d’une part, les forces politiques d’extrême droite et les tribunes médiatiques qui leur sont offertes et, d’autre part, une sorte d’association de militants d’ultradroite qui diffusent auprès du public des discours fondés sur le triptyque suivant : migrants, grand remplacement, fake news. On instille ainsi progressivement ces idées dans l’opinion publique.
    On ne peut pas ne pas citer, à ce propos, CNews. Ce que l’on y entend est tout de même assez hallucinant. J’évite d’ailleurs de regarder cette chaîne ;…

    M. Emeric Salmon

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    Et moi, je n’écoute pas France Inter…

    M. Patrick Baudouin

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    …je ne le fais qu’à titre informatif, pour voir jusqu’où peut aller la collusion entre les médias et les milieux d’extrême droite.
    Encore une fois, c’est une grande préoccupation pour nous. Rien n’est jamais totalement comparable, mais si l’on analyse ce qui s’est passé dans les années 1930, on s’aperçoit qu’il existe beaucoup de points communs avec ce qui se passe aujourd’hui. Or on sait jusqu’où c’est allé, dans ces années-là.
    Il faut donc vraiment changer de logiciel et dénoncer bien davantage ce qui se passe d’une manière subreptice sans faire l’objet de condamnations suffisantes de la part de nos dirigeants qui, au contraire, pour certains ou certaines d’entre eux – je ne mets pas tout le monde dans le même lot – reprennent cette thématique en usant de formules – comme M. Darmanin sait le faire – qui ne font hélas que corroborer cette tendance lourde qui mène au racisme, à l’antisémitisme et aux fractures de toutes sortes dans notre société.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Mickaël Bouloux.

    M. Mickaël Bouloux (SOC)

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    « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Cette phrase de Jacques Chirac signifie bien qu’il ne sert à rien de regarder ailleurs pour régler un problème qui se déroule sous nos yeux. Même s’il l’a prononcée en 2002, dans un autre contexte que celui qui nous occupe, cette phrase est d’autant plus pertinente dans le cadre de notre débat que Jacques Chirac a lui-même été visé par une attaque de l’extrême droite.
    Tous les terrorismes sont criminels et s’opposent à ce qui fait société, mais on sous-estime, semble-t-il, la portée et la dangerosité du terrorisme d’extrême droite. Le Gouvernement paraît ainsi préférer faire diversion sur le plan médiatique, en insistant sur d’autres menaces. Lorsque, comme Gérald Darmanin, on qualifie des militants écologistes d’« écoterroristes » ou lorsqu’on parle de « terrorisme intellectuel », on relativise le phénomène et, en refusant ainsi de voir où sont les dangers immédiats et prégnants, on ne se donne pas les moyens de lutter efficacement contre tous les terrorismes.
    Les chiffres d’Europol sont glaçants. Dans son rapport publié en août dernier, l’agence révèle en effet que 45 % des interpellations liées au terrorisme d’extrême droite réalisées en Europe l’ont été en France, contre 33 % il y a trois ans. La progression est donc forte.
    Monsieur Baudouin, monsieur Lecœur, comment expliquez-vous que la société et le Gouvernement ne semblent pas être conscients de la menace que fait peser le terrorisme d’extrême droite, menace qui est pourtant, objectivement, la plus importante ? Ce type de terrorisme se caractérise-t-il par une plus grande violence ? Comment le qualifieriez-vous ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Patrick Baudouin.

    M. Patrick Baudouin

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    Je ne suis pas certain que la faiblesse des réactions du pouvoir actuel s’explique par un défaut de conscience du risque considérable que représente le terrorisme d’extrême droite. Il en a, au contraire, je crois, pleinement conscience. Sa sous-estimation me paraît volontaire ; c’est un calcul, un choix politique. Du reste, M. Darmanin a eu l’occasion de dire, à plusieurs reprises, qu’il était conscient de ce risque et, peut-être, de commencer à prendre les mesures qui s’imposent.
    Mais je vais laisser s’exprimer M. Lecœur pour ne pas monopoliser la parole, compte tenu du temps très bref qui nous est imparti.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Erwan Lecœur.

    M. Erwan Lecœur

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    Premièrement, il se trouve que les services secrets français ont sous-estimé le risque dans les années 2000. À partir de la scission du Front national, nous, chercheurs, avons été régulièrement sollicités pour savoir ce qui se passait dans les groupes d’extrême droite. Cela signifie grosso modo qu’un certain nombre de moyens ont alors été réorientés vers d’autres formes de terrorisme, notamment le terrorisme djihadiste, dont il a été question. Peut-être a-t-on déshabillé Paul pour habiller Pierre.
    Dans les années 1970 et 1980, ces groupuscules étaient régulièrement infiltrés par des agents des services secrets ; cela n’était plus forcément le cas dans les années 2000 et 2010. Il y a donc eu un retard dans la prise de conscience du risque, notamment en raison du peu de moyens consacrés à ce phénomène.
    Deuxièmement, ce type de terrorisme est consubstantiel aux sociétés occidentales. Je rappelle en effet que la plupart des pays d’Europe se sont constitués, dans l’après-guerre, sur la base de réseaux d’extrême droite censés se réveiller en cas d’invasion soviétique. Je pense, par exemple, au réseau Gladio en Italie et à d’autres, en Belgique notamment : à l’étranger, où j’ai fait mes études, nous en parlions beaucoup plus qu’en France. La mentalité de la guerre froide est encore, dans une certaine mesure, présente, et elle n’est pas forcément vue par l’ensemble des dirigeants français comme un moment de l’histoire dont il faut sortir pour identifier les nouvelles menaces.
    Ces nouvelles menaces, c’est le problème des services de sécurité et des chercheurs. Je vous ferai remarquer qu’en France, quasiment aucun chercheur n’est payé pour travailler sur l’ultradroite. Il y a clairement un manque de moyens.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Hubert Julien-Laferrière.

    M. Hubert Julien-Laferrière (Écolo-NUPES)

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    Notre débat est important et légitime car il existe une spécificité française en matière de terrorisme d’extrême droite, comme en témoignent les chiffres d’Europol. On l’a dit, 45 % des interpellations pour des faits liés à ce terrorisme ont eu lieu en France.
    Je citerai, pour ma part, un exemple précis et récent. Une association a révélé l’existence d’un groupe néonazi, FR Deter, qui recrute sur les réseaux sociaux, regroupe des milliers de membres et appelle au meurtre, notamment d’élus de la République, et aux ratonnades. Or, on trouve parmi les membres de ce groupe des militaires et des policiers. Je souhaiterais donc savoir – mais M. Lecœur a répondu en partie à ma question – s’il existe des études scientifiques sérieuses sur l’infiltration de nos services de police et de nos armées par des groupes d’ultradroite.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Erwan Lecœur.

    M. Erwan Lecœur

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    Ma réponse sera brève. Je n’ai pas connaissance, en tant que chercheur, de telles études scientifiques. Comme je l’ai indiqué, depuis une vingtaine d’années, il n’y a plus de véritables groupes de recherche consacrés à cette mouvance. Par ailleurs, les services de sécurité intérieure, qui ont été remodelés dans les années 2000, ne travaillent pas spécifiquement sur cette question. Il n’est pas impossible qu’au sein des services de police, de gendarmerie ou de renseignement, une cellule y soit consacrée mais, si c’est le cas, elle est tellement secrète que, même moi, je ne la connais pas.
    Parmi la trentaine de chercheurs « fafologues », comme nous nous nommons avec une pointe d’humour – ce terme date des années 1960-1970 –, quelques-uns suivent ces groupes de très près mais, comme vous le savez, en tant que chercheurs, nous ne sommes pas censés révéler ce que nous apprenons dans le cadre de nos enquêtes, sauf si nous avons connaissance d’éléments dangereux pour la sécurité.
    Lorsque je conduis quatre-vingts entretiens avec des membres du Front national, je ne rends pas public ce que chacun d’eux m’a dit ; sinon, ils ne me feraient plus confiance. L’éthique de la recherche fait que ces questions-là ne sont pas forcément rendues publiques.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Je suis disponible pour un entretien !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Raphaël Arnault.

    M. Raphaël Arnault

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    En ce qui concerne les travaux scientifiques, il n’y a pas vraiment de réponse. Ce qui est certain, en revanche, c’est que de nombreux articles, notamment de Mediapart, ont révélé l’existence de véritables bandes néonazies et d’autres milices d’extrême droite au sein de la police et de l’armée.
    À Strasbourg – et en Allemagne –, des planques d’armes ont été découvertes chez des militants d’extrême droite, qui ont été arrêtés – ce qui explique sans doute le nombre important des arrestations liées au terrorisme d’extrême droite en France. La quantité d’armes qu’on y a trouvées est hallucinante : des kilos et des kilos de fusils à pompe, de grenades, d’armes de poing… Se pose tout de même la question de savoir comment ils sont parvenus à se procurer autant d’armes.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Emeric Salmon.

    M. Emeric Salmon (RN)

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    Monsieur Lecœur, vous avez défini, dans votre introduction, différents types d’organisations, que vous avez caractérisées comme d’extrême droite ou d’ultradroite ; vous avez également cité La Manif pour tous, qui, je crois, n’a commis aucun attentat en France au cours de ces dernières années.
    Cependant, vous n’avez pas défini ce qu’est un acte terroriste. Je vous propose donc un petit exercice : à partir d’une situation que j’ai vécue, vous me direz s’il s’agit ou non d’un acte terroriste, ce qui nous permettra de comprendre la teneur exacte de notre sujet. L’événement s’est déroulé le 26 février 2017. Responsable d’un groupe de militants, je me rendais en car au meeting d’une candidate à la présidentielle – vous aurez tous deviné qu’il s’agissait de Marine Le Pen. Après avoir quitté Rennes vers dix heures du matin, nos deux cars de militants ont été arrêtés, à une quinzaine de kilomètres de Nantes, sur la nationale à quatre voies, par un barrage filtrant. Au moment où nous sommes arrivés à la hauteur du barrage, celui-ci s’est bloqué et a été incendié, tandis que des individus se précipitaient sur les cars pour les couvrir de peinture, empêchant les voyageurs – des personnes âgées, des enfants, des familles – de voir ce qui se passait à l’extérieur. Il a fallu une bonne vingtaine de minutes avant que les gendarmes interviennent enfin pour délivrer ces gens terrorisés. Ma question est donc simple : s’agit-il, oui ou non, à vos yeux, d’un acte terroriste ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Erwan Lecœur.

    M. Erwan Lecœur

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    Vous avez une vie palpitante (Murmures sur les bancs du groupe RN), mais la réponse est non, bien évidemment. Il n’y a pas de terrorisme tant qu’il n’y a pas attentat à la vie d’autrui,…

    M. Emeric Salmon

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    Mais les occupants du car ignoraient ce qui pouvait leur arriver !

    M. Erwan Lecœur

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    …c’est une définition générique, qui ne m’appartient pas. Un attentat à la bombe visant à tuer des gens, un attentat avec arme à feu, comme celui perpétré par M. Le Priol dans les rues de Paris et qui a fait un mort, sont des attentats de type terroriste, parce qu’ils peuvent faire des victimes. Ce dont vous faites état, monsieur, et sachez que je trouve cela infiniment regrettable, relève d’une violence symbolique, sans aucun doute très éprouvante mais qui s’apparente à une attaque contre des biens plutôt que contre des personnes. Cela n’entre donc pas dans le champ de ce que nous pouvons qualifier d’attentat terroriste, loin de là.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Thomas Portes.

    M. Thomas Portes (LFI-NUPES)

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    Plus de 40 % des arrestations européennes en lien avec des projets terroristes d’extrême droite ont lieu en France, ce qui pose la question de la place centrale de notre pays dans la montée de la violence d’extrême droite.
    Je voudrais vous interroger plus particulièrement sur les liens entre les divers groupuscules européens, puisqu’on a vu récemment que des membres du GUD, des Zouaves Paris, de Lyon Populaire ainsi que des anciens militants de Génération identitaire et de l’Action française avaient participé à une manifestation organisée par le parti italien CasaPound. De même a-t-il été question d’organiser dans l’est de la France un concert rassemblant des groupes néonazis européens. Pensez-vous donc qu’il existe une structuration de ces groupuscules à l’échelle européenne, avec des objectifs terroristes pouvant déboucher sur des passages à l’acte, comme cet appel, dans les Hauts-de-France et à Lille, à s’en prendre à la rupture du jeûne pendant le ramadan ?
    Je ne sais donc si l’on peut parler d’une organisation à vocation terroriste au sujet de ces groupuscules d’extrême droite, mais le directeur général de la sécurité intérieure, que nous avons auditionné, parle, lui, d’une idéologie qui s’est internationalisée.
    Enfin, vous avez raison de rappeler qu’il y a quelques mois, dans notre pays, un ancien rugbyman argentin a été assassiné par un militant du GUD et qu’un ancien candidat départemental du Front national s’était attaqué à une mosquée. Cette violence contre les personnes émanant de l’ultradroite et de l’extrême droite participe-t-elle, selon vous, d’un mouvement général européen qui serait piloté depuis la France, où sont mis au jour la plupart des projets ? En d’autres termes, la France est-elle une plaque tournante du terrorisme d’extrême droite ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Erwan Lecœur.

    M. Erwan Lecœur

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    Ni moi ni mes collègues n’avons connaissance d’une organisation qui piloterait depuis la France une nébuleuse de type terroriste d’extrême droite ou d’ultradroite. Ce dont nous avons connaissance, en revanche, comme vous l’avez laissé entendre, c’est de l’organisation de rassemblements ponctuels regroupant des groupuscules se revendiquant d’idées très radicales et appelant à diverses formes de violence, de la violence symbolique – agression verbale, menaces, insultes – jusqu’à une réelle violence physique. On assiste ces derniers temps à un regain, à un renouveau de ces violences, notamment sur les réseaux sociaux, qu’il faut mentionner dans la mesure où ils peuvent inspirer des passages à l’acte, en particulier lorsqu’on a affaire à des loups solitaires – je pense à Breivik ou aux attentats de Christchurch, qui ont évidemment connu des répliques aux États-Unis car, chaque fois qu’un attentat a lieu quelque part, cela libère, en vertu de l’effet papillon dont on a parlé dans les années 1990, la possibilité d’un attentat à l’autre bout monde ; aux États-Unis plusieurs attentats se sont ainsi revendiqués de ceux de Christchurch ou de Breivik.
    Très concrètement, donc, s’il n’existe pas d’organisation spécifique en France, nous avons en revanche la preuve, étayée par les services du contre-espionnage, que certaines actions peuvent être pilotées depuis des pays étrangers, qu’il s’agisse de pays de l’Est, proches de la Russie, voire de la Russie elle-même, ou de l’alt-right américaine. Toute la question est de savoir quels sont les pays susceptibles de se montrer demain les plus accueillants vis-à-vis de ce type de manœuvres – on peut évidemment penser à l’Italie ou à d’autres pays européens.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Raphaël Arnault.

    M. Raphaël Arnault

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    Nous n’avons en effet pas connaissance d’un tel niveau d’organisation de ces groupuscules, bien qu’à Lyon nous connaissions le sujet mieux que personne, la ville étant, à l’échelle nationale, une véritable plaque tournante pour tout un ensemble de groupuscules, autour, notamment, de Génération identitaire et de son bar La Traboule – la maison mère, en quelque sorte, où se retrouvaient de nombreux Européens pour se former, échanger et mener des ratonnades. Nous y avons notamment vu des néonazis grecs de l’Aube dorée, entre bien d’autres exemples.
    Ce qui est certain, en revanche, c’est que les liens se renforcent entre ces différents groupuscules, animés par une même volonté de prendre le pouvoir, et qui sont prêts à tout pour ça, qu’il s’agisse de soutenir dans les urnes les candidats d’extrême droite à l’élection présidentielle ou de choisir l’action directe et les attentats terroristes.
    Si les loups solitaires sont difficilement dénombrables, il faut aussi parler de certains militants, qui occupent des postes importants au sein de ces groupuscules – je pense notamment à Logan Nisin, condamné récemment à une dizaine d’années de prison pour des projets terroristes, qui visaient, entre autres, Jean-Luc Mélenchon. Nous parlons ici d’un militant de l’Action française à Marseille, dont les tracts ont été distribués à l’entrée des meetings du Front national, puis du Rassemblement national. Au-delà, donc, des liens entre ces groupuscules, il faut surtout insister sur le fait qu’ils abritent des individus, dont certains, parmi les plus radicalisés, ont toutes les armes pour passer à l’action.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

    Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES)

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    Si on assiste à la montée en force de ces groupuscules, si on voit se développer sur les réseaux sociaux des boucles comme la boucle Telegram sur laquelle figure le fichier qu’on a évoqué, s’il y a dans notre pays plusieurs milliers de personnes susceptibles de s’entraîner mutuellement et de penser qu’une ratonnade peut être divertissante, n’est-ce pas dû au fait que les idées d’extrême droite fournissent un carburant idéologique à cette violence pouvant aller jusqu’à la violence terroriste ?
    Je rejoins ici la question de Carlos Bilongo sur la « théorie » – je mets ici de nombreux guillemets à ce terme – du grand remplacement. Ne pensez-vous pas qu’il y a là une forme d’appel au passage à l’acte, si l’on considère que le grand remplacement oblige à une réaction urgente, face à ce que l’on considère dans la sphère complotiste comme une entreprise délibérée, vouée à s’accomplir avant quelques années ?
    Si la diffusion de ce substrat théorique nourrit, comme je le pense, l’urgence et la motivation du passage à l’acte, ne serait-il pas temps que tous les partis qui se disent républicains condamnent fermement ces idées et cessent d’employer un certain nombre de termes ou de concepts qui leur sont liés ? Je pense évidemment à certains candidats à la dernière élection présidentielle mais aussi au dirigeant du Rassemblement national, Jordan Bardella, qui, lors de sa campagne, a fait un usage de ces concepts condamné par Louis Aliot. Ne pensez-vous pas qu’une clarification majeure s’impose pour tous les partis de l’arc républicain, ou qui prétendent en faire partie ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Erwan Lecœur.

    M. Erwan Lecœur

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    Les enquêtes du CNRS ou de l’INA que j’ai citées montrent clairement une surreprésentation et une surexposition dans les médias des idées d’extrême droite depuis quelques années,…

    M. Emeric Salmon

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    Pas sur France Inter, en tout cas !

    M. Erwan Lecœur

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    …c’est attesté par des chiffres. Cela va dans votre sens, madame la députée, et confirme qu’il existe un problème.
    Je veux ensuite insister sur le fait que c’est l’Islam qui semble être aujourd’hui le principal objet de tous les courroux de ces groupuscules européens, sous l’influence de l’Europe du nord et notamment de Pim Fortuyn. Cela leur permet de se coaliser, au-delà du politique, autour d’une problématique politico-religieuse, ressortissant à ce que la Nouvelle Droite avait appelé le méta-politique. Tous luttent ainsi pour défendre une vision religieuse du monde, au sens sociologique du terme, issu du verbe latin religare, relier. Ce sont des nouveaux croisés qui considèrent que tout est bon pour leur croisade contre les peuples des déserts.
    Ce que vous décrivez, c’est l’accélérationnisme : l’urgence dont ils parlent, c’est le fait que, puisqu’une guerre raciale est en cours, pour pouvoir la gagner, il faut la mener le plus tôt possible, avant d’être numériquement mis en minorité. Certains pensent ainsi que, s’ils ne réagissent pas dans les dix années qui viennent, c’est fini, c’est foutu. C’est parmi eux que l’on trouve les nouveaux convertis, les néoconvertis les plus durs, les plus déterminés et donc, potentiellement, les plus dangereux.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Patrick Baudouin.

    M. Patrick Baudouin

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    On aborde avec la théorie du grand remplacement et toute une série de formules extrêmement dangereuses – qu’on parle de migrants, de délinquants ou d’autres termes du même acabit – une question centrale. Aujourd’hui en effet, il ne s’agit plus de lutter contre l’extrême droite, ainsi qu’on l’entendait avant, au motif que l’extrême droite a toujours mené au pire, mais de combattre ses idées, qui ont été théorisées. C’est un vrai combat culturel qui doit être mené.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Sébastien Chenu.

    M. Sébastien Chenu (RN)

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    J’exprimerai d’abord, si vous le permettez, trois regrets : celui, en premier lieu, de voir que, parmi nos intervenants, la parité n’est pas respectée et qu’encore une fois l’homme de 50 ans – peut-être plus, peut-être moins – tient le haut du pavé ;…

    Mme Sophie Taillé-Polian

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    La parité n’est pas non plus respectée dans vos rangs !

    M. Sébastien Chenu

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    …le fait ensuite qu’aucun député de la majorité ne soit présent pour écouter nos débats ; enfin, que les trois intervenants appartiennent évidemment tous au camp du bien – qu’on ne nous a pas présenté – et qu’ils aient sans doute tous, à ce titre, des engagements mais également une forme de responsabilité dans la situation de notre pays.
    Nous nous penchons ici sur la version parfois folklorique parfois sérieuse, mais toujours condamnable, de la violence d’une certaine extrême droite, qui fait écho à la violence de l’extrême gauche, soutenue par un certain nombre de mouvements politiques – on l’a vu à Sainte-Soline ou lors d’attaques menées contre des meetings. Je dois déplorer la pauvreté de vos contributions et la faiblesse de vos démonstrations. On parle de « fafologues », avez-vous dit, monsieur Lecœur : cela suffit à démontrer le caractère hautement scientifique de vos travaux – je tiens d’ailleurs à signaler qu’aucun des députés du Rassemblement national n’a jamais été entendu par vos équipes, mais vous rencontrez certainement des intervenants plus intéressants.
    Votre description des faits n’est qu’une litanie d’un intérêt souvent relatif et qui, surtout, comporte des amalgames qui me semblent douteux.
    Voyez-vous, j’ai défilé pour le mariage gay et combattu La Manif pour tous, mais je ne dirais pas que ce mouvement a un lien avec la thématique qui nous occupe, à savoir le terrorisme d’extrême droite.
    Vous associez ce type de terrorisme à l’homophobie, mais le militant de la cause et de la défense des gays que je reste ne constate pas, à la lecture, chaque année, du rapport de SOS homophobie, que les homosexuels sont victimes de l’extrême droite. Il me semble qu’à la lumière de plusieurs éléments de ce rapport, on ne saurait même oser dire cela.
    Je rappelle également, au risque d’aller vite, que vous avez fait un parallèle entre le terrorisme et la chaîne CNews, ce qui m’apparaît à nouveau comme un amalgame très douteux. Nous voyons bien que ce débat n’est autre qu’une tribune pour certains.
    Pour conclure, j’aurai deux questions, la première pour M. Lecœur, la seconde pour M. Baudouin. Premièrement, préférez-vous la dissolution – comme nous l’avons demandé avec Marine Le Pen en décembre – des mouvements extrémistes, quelles que soient leurs origines, qui attentent à nos libertés, ou bien leur censure ? Deuxièmement, comment définissez-vous l’extrême droite ? Il serait en effet intéressant de vous entendre poser cette base théorique, car il s’agit au fond d’un serpent de mer : on tourne autour de cette notion, mais personne ne la définit jamais.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Erwan Lecœur.

    M. Erwan Lecœur

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    Je vous renvoie à tous les travaux de sciences politiques ayant permis de définir l’extrême droite. Je ne définirai pas cette notion en ces lieux :…

    M. Sébastien Chenu

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    C’est pourtant ici que ça se passe !

    M. Erwan Lecœur

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    …je n’en aurais évidemment pas le temps. Sachez simplement que cette notion est très ancienne. Si cela vous intéresse, il y a des podcasts absolument passionnants sur ce sujet, notamment de France Inter, qui a réalisé un superbe travail de rappel.

    M. Sébastien Chenu

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    Mais encore une fois, c’est ici que ça se passe !

    M. Erwan Lecœur

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    Pour aller vite, l’expression « extrême droite » vient de ceux qui, lors de la Révolution française, siégeaient à l’extrême droite de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, soit peu ou prou là où votre groupe se situe actuellement.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Vive la reine !

    M. Erwan Lecœur

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    Mais nous ne parlons pas ici de l’extrême droite, mais…

    M. Sébastien Chenu

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    Prenez-nous au sérieux, nous sommes parlementaires !

    Mme Andrée Taurinya

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    Laissez-le parler !

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Il est dit que nous sommes royalistes, que voulez-vous qu’on réponde ?

    M. Erwan Lecœur

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    Je n’ai pas de problème, ni quoi que ce soit à défendre, contrairement à certains. Et contrairement à vos allégations habituelles, mes positions ne sont que celles d’un chercheur, mais je comprends que cela soit potentiellement gênant.

    M. Sébastien Chenu

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    Vous n’êtes pas indépendant : c’est grave !

    M. Erwan Lecœur

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    Vous avez évoqué La Manif pour tous – cela fait d’ailleurs deux fois. Veuillez m’excuser, mais vous avez dû mal comprendre. J’ai simplement dit que La Manif pour tous avait été le premier moment, depuis des dizaines d’années, au cours duquel des groupes radicaux catholiques traditionalistes et des groupes identitaires, qui s’ignoraient depuis longtemps, se sont à nouveau parlé, dans les rues de Paris.

    M. Emeric Salmon

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    Quel est le rapport ?

    M. Erwan Lecœur

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    Voilà ce que j’ai dit, en ajoutant que cette rencontre avait auguré ce qu’Éric Zemmour a ensuite composé sur le plan politique. Je n’ai jamais dit que ces mouvements avaient été à l’origine d’attentats terroristes.
    Par ailleurs, oui, le Front national a réussi – c’est bien ce que les chercheurs observent – à attirer un électorat homosexuel, à la fois masculin et féminin, non négligeable. Cependant, je ne vois pas du tout le lien avec le sujet qui nous occupe. La question du terrorisme n’est pas liée à l’homosexualité et, je le répète, je ne vois pas pourquoi vous nous interrogez sur ce point.

    M. Sébastien Chenu

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    C’est vous qui avez parlé des violences contre les LGBT !

    M. Erwan Lecœur

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    Le terrorisme est lié à d’autres éléments et, depuis plus de cinquante ans, il existe bien un terrorisme issu d’une partie de l’extrême droite et de l’ultradroite dans notre pays, comme ailleurs. C’est le cas aux États-Unis, en Russie, où il y a même des pogroms, ou encore en Inde, où des mouvements fascistes se structurent.

    Mme la présidente

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    Merci, monsieur Lecœur.

    M. Erwan Lecœur

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    Nous constatons un terrorisme d’extrême droite en France et dans le monde, mais je ne crois pas que vos propos y aient fait référence.

    Mme la présidente

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    Souhaitiez-vous ajouter quelque chose, monsieur Baudouin ?

    M. Patrick Baudouin

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    Je souhaitais répondre sur l’opposition entre dissolution et censure. Je répète que nous ne sommes pas contre les dissolutions, mais que nous ne les trouvons pas suffisantes. Nous préférerions des dissolutions judiciaires plutôt qu’administratives.

    M. Sébastien Chenu

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    Bien sûr !

    M. Patrick Baudouin

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    Voilà ce sur quoi nous insistons beaucoup.
    J’ajoute que toute dissolution qui s’avérerait nécessaire, peu importe que le mouvement soit d’extrême gauche ou d’extrême droite, nous ne faisons pas la différence,…

    M. Sébastien Chenu

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    Comme la Jeune Garde ?

    M. Patrick Baudouin

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    …doit avoir lieu dans le respect de la légalité, celle-ci nous paraissant mieux assurée dans un cadre judiciaire.

    Mme la présidente

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    Merci, monsieur Baudouin.

    M. Patrick Baudouin

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    Même si tout système judiciaire a des imperfections, le juge judiciaire est en effet le garant des libertés.

    M. Sébastien Chenu

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    Tout à fait !

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Nadège Abomangoli.

    Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES)

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    Je vous remercie, messieurs, pour vos propos liminaires.
    Monsieur Lecœur, vous avez présenté le conspirationnisme comme le moteur de certains groupuscules d’extrême droite. On imagine en effet que la viralité de la circulation des informations sur les réseaux sociaux doit accélérer les choses. Que pouvez-vous nous dire sur la pénétration de ces groupuscules en France, ainsi que sur la manière dont ils s’organisent au niveau transnational ? Je pense plus particulièrement à la pénétration des réseaux QAnon, mouvance conspirationniste américaine d’extrême droite.
    Pour rappel, cette mouvance regroupe les personnes estimant qu’un conflit, qu’une guerre secrète oppose leur héros, Donald Trump, aux élites gouvernementales, aux milieux financiers et aux médias, avec à la clé des accusations de pédophilie ou de pratiques sataniques – ce qui nous fait évidemment penser aux ressorts millénaires de l’antisémitisme.
    Dans la mesure où ces réseaux ont largement contribué à l’envahissement du Capitole, véritable tentative de coup d’État qui a éberlué le monde entier, et que certains de leurs actes violents ont été déjoués aux États-Unis, il est légitime de penser qu’ils doivent être suivis de près, y compris en France, surtout compte tenu de la circulation virale des informations et des fausses informations sur les réseaux sociaux.
    Ces réseaux ont-ils de l’écho en France ? Si oui, comment sont-ils organisés ? Ont-ils des relais affichés ? Des liens se créent-ils à travers les frontières ? Enfin, avez-vous repéré des formes d’organisation en France et, le cas échéant, sont-elles suivies par les services de l’État ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Erwan Lecœur.

    M. Erwan Lecœur

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    J’essaierai de répondre point par point.
    Des réseaux ont bien été exportés des États-Unis : des conseillers de M. Donald Trump sont venus créer des fondations. En 2019, notamment, une fondation européenne visant à développer le nationalisme dans la plupart des pays européens a été créée, et a par exemple financé des études d’opinion et des études. Une personne ayant concouru à la création de cette fondation est d’ailleurs apparue dans des meetings de dirigeants nationalistes de l’époque, en Italie, en France, et dans d’autres pays.
    Les liens sont donc de plus en plus nombreux avec les réseaux QAnon et l’alt-right américaine, lesquels se développent grâce au financement de nombreux milliardaires – issus de certaines industries spécifiques. Il est donc possible de suivre les financements, l’établissement de liens sur internet et la création de groupes d’intérêt et de fondations, comme celle que je viens d’évoquer.
    Notons que d’autres mouvements viennent d’autres pays étrangers. Les fermes à trolls, qui pullulent en Russie mais aussi dans d’autres pays du monde, sont généralement très orientées. À cet égard, nous avons récemment assisté à une attaque très claire de la part des services secrets russes en Espagne, au travers de l’extrême droite de ce pays.
    Les groupes sont effectivement de moins en moins étanches et de plus en plus pilotés par les structures les plus puissantes telles que, je le répète, l’alt-right américaine, le pouvoir russe, ainsi que l’Inde qui, ne l’oublions pas, est devenu un pays nationaliste hindouiste très puissant, particulièrement sur internet – c’est une spécificité de ce pays.
    Par ailleurs, deuxième point principal, je rappelle que la théorie dont nous parlons, celle du grand remplacement, est originellement une théorie antisémite, et qu’elle a été remise au goût du jour, si je puis dire, après la seconde guerre mondiale. Elle existait donc avant. Or cette idée selon laquelle des hordes d’immigrés envahiraient la France, hordes contre lesquelles il faudrait si nécessaire se défendre les armes à la main – ce qui permet à certaines personnes de se prendre pour des résistants à une invasion – est nourrie par une dimension complotiste de plus en plus importante et très puissante sur internet.

    Mme la présidente

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    Merci, monsieur Lecœur.

    M. Erwan Lecœur

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    Cette dimension complotiste, véhiculée par des fake news, donne à voir un nouvel ordre mondial contre lequel il faudrait se battre. C’est là le mot de ralliement, le « nouvel ordre mondial », qui nous rappelle évidemment la création du Front national, à laquelle avait participé Ordre nouveau.

    Mme la présidente

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    La première partie du débat est close. Je remercie nos invités d’avoir participé à nos travaux.

    (La séance, suspendue quelques instants, est immédiatement reprise.)

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué chargé des outre-mer.

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer

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    Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, d’avoir convoqué ce débat sur les violences de l’extrême droite en France.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Non, sur le terrorisme !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    C’est vrai, une violence issue de l’extrême droite refait surface.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Terrorisme !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Cela n’est pas seulement vrai en France : c’est un phénomène mondial. Tout le monde a en tête les images de l’occupation des parlements américain et brésilien. Des romans d’anticipation imaginent d’ailleurs une prise de pouvoir de cette nature en France. Il nous faut donc lutter et répondre aux interrogations.
    Bien évidemment, je ne me prononcerai pas sur les péripéties relatives à la proposition de loi pour dresser un état des lieux exhaustif de la menace terroriste d’extrême droite : l’Assemblée nationale est libre et je réponds humblement aux convocations.
    Je répondrai à vos questions en donnant à la représentation nationale des éléments sur l’action de la République contre le terrorisme d’extrême droite – et le terrorisme tout court. J’ai été préfet pendant des décennies et je connais bien les risques auxquels répond notre stratégie de maintien de l’ordre. Aujourd’hui comme hier, il s’agit de combattre le terrorisme d’où qu’il vienne. Pour la République, la lutte contre le terrorisme, qu’il vienne de l’extrême gauche, de l’extrême droite, ou du djihad, est une même lutte contre la violence. Mais en l’espèce, nous abordons la question du terrorisme d’extrême droite.
    Voici quelques premiers éléments. Dans le monde, la recrudescence d’un terrorisme d’extrême droite a marqué l’année 2022 aux États-Unis, en Argentine, en Slovaquie, au Royaume-Uni, en Espagne, en Australie, ainsi qu’en France. Je rappelle à cet égard que, le 23 décembre, un homme qui avait déjà attaqué un camp de migrants avec un sabre a été à l’origine d’une fusillade de masse contre la communauté kurde pour des motifs racistes. La violence du terrorisme d’extrême droite est peut-être moins destructrice de biens que d’autres types de terrorisme, mais elle poursuit souvent un but meurtrier.
    Certains refusent de caractériser ces terroristes et préfèrent dire qu’il s’agit de fous, de dérangés psychiatriquement atteints. Ce n’est sans doute pas faux, mais il faut prendre au sérieux les mobiles qui ont poussé ces personnes à agir. Qu’il s’agisse de la théorie du grand remplacement, d’une conception ethnique de la nation, ou de la haine d’une partie de la population en raison de sa couleur de peau, de sa religion ou de ses origines, ces motifs relèvent bien d’une idéologie d’extrême droite – celles-là mêmes que nous espérions désormais impossibles. Ces idéologies ne sont pas mortes : elles sont même particulièrement vivantes sur notre territoire.
    Cinq ans après le meurtre antisémite de Mireille Knoll à Paris, l’antisémitisme demeure à un niveau préoccupant. En 2022, 436 actes antisémites ont été recensés, dont plus de la moitié contre des personnes. Et d’après le rapport d’Europol sur le terrorisme, en 2021, la France a totalisé 45 % des interpellations relatives au terrorisme d’extrême droite en Europe.
    Si le terrorisme djihadiste reste la principale menace, si le terrorisme d’extrême gauche existe aussi, il faut prendre conscience du danger que représentent ces guerriers autoproclamés de la race blanche. En France, sept personnes avaient été arrêtées en 2019 pour incitation à la haine raciale ou projet d’attentats ; deux ans plus tard, les forces de l’ordre en arrêtaient vingt-neuf grâce au travail du renseignement français mais aussi grâce à la coopération européenne sur ces sujets qui ne connaissent, malheureusement, pas de frontières.
    Le rapport d’Europol considère aussi que l’accélérationnisme, défini par un potentiel important d’incitation à la violence – c’est ce qui nous menace le plus – et promettant l’action dans le but de préparer et de précipiter la guerre civile raciale, constitue une des idéologies les plus en vue en 2021, y compris dans les jeux vidéo. C’est l’illustration de la banalisation d’idées extrêmes sur le terreau favorable du terrorisme.
    Je vais également répondre précisément aux questions qui nous ont été posées. Le ministère de l’intérieur a pris onze décrets de dissolution d’associations en conseil des ministres, tous validés par le Conseil d’État. Ils concernent notamment des groupes ou des groupuscules d’extrême droite comme Génération identitaire, l’Alvarium, Zouaves Paris et, très récemment, Bordeaux nationaliste.
    L’ultradroite est un concept qui englobe l’ensemble des structures situées en dehors du champ républicain et démocratique, et caractérisées par une idéologie communautariste radicale. Ces structures gravitent autour de trois grands courants : identitaire, royaliste, nationaliste. À cela s’ajoutent des individus et structures imprégnés de thèses néopatriotes, suprémacistes, accélérationnistes, complotistes ou survivalistes. Au-delà de la grande diversité de ces courants idéologiques, la mouvance se rejoint sur le choix de ses cibles, et le degré de priorité varie selon l’idéologie : l’immigration extra-européenne, la communauté juive, la franc-maçonnerie, les militants de gauche, la communauté LGBT. Bien entendu, la République ne considère pas ces idéologies comme des opinions, mais comme des abominations susceptibles de poursuites pénales. Pour être plus précis, la mouvance d’ultradroite se compose d’environ 3 000 militants dont plus de 1 300 sont inscrits au fichier S.
    On distingue deux types de risques : un projet d’action violente, fomenté par un groupe constitué, tel que la cellule Action des forces opérationnelles, qui voulait empoisonner de la nourriture halal en 2018 ; le basculement dans la violence d’un acteur isolé, radicalisé à partir d’une propagande violente consommée sur les réseaux sociaux, comme l’illustre le cas de ce militant d’ultradroite condamné à neuf ans de prison en janvier 2022 pour avoir voulu s’en prendre à la communauté juive en acquérant des armes. C’est ainsi que, depuis 2017, nous avons déjoué neuf attentats et que onze dossiers ont été judiciarisés pour terrorisme, conduisant à l’interpellation de soixante individus.
    En outre, deux sujets retiennent particulièrement l’attention du ministère de l’intérieur, compte tenu de leur potentiel d’élévation de la menace. Premièrement, la présence d’un nombre significatif d’individus connus pour leur proximité avec l’ultradroite parmi les professions sensibles. Les forces armées et de sécurité disposent en effet de compétences liées aux armements, recherchées par la mouvance qui s’efforce de recruter activement parmi ces métiers, ou de les intégrer. L’exercice de ces professions soulève des enjeux majeurs en matière d’éthique et de sécurité, notamment du fait de l’infiltration d’institutions sensibles entraînant des vulnérabilités susceptibles de mettre en péril des opérations, ou d’attenter directement à la sûreté de l’État.
    Deuxième sujet : les armes à feu, véritable obsession pour ces militants qui se préparent à la guerre civile et raciale, et indispensables à la panoplie du guerrier blanc. S’inspirant de la culture américaine, les militants s’attachent principalement à acquérir des armes de manière légale – permis de chasse, licences de tir sportif. Ainsi, en juillet 2022, on recensait près de 900 détenteurs d’armes à feu liés à la mouvance, dont près d’un tiers étaient fichés S. En outre, il convient de souligner l’intérêt de certains d’entre eux pour les armes artisanales et les explosifs.
    En complément de l’entrave judiciaire, nous disposons d’un arsenal de mesures de police administrative pour contenir la menace : visites domiciliaires, inscription au fichier S des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes. Le recensement des individus d’ultradroite détenteurs d’armes, afin de procéder à des dessaisissements fondés sur leur dangerosité, est une priorité des services de l’État.
    Mais pourquoi assiste-t-on à une telle montée en puissance de ce type de violence ? En France, le Centre d’analyse du terrorisme considère que ce regain s’explique à la fois par les nouveaux conflits extérieurs, par la montée en puissance de l’islamisme radical et par la persistance des violences envers les Juifs. Évidemment, la crise sanitaire a amplifié l’épidémie brune, notamment à cause des propos extrémistes de droite. Mais certains, reconnaissons-le, venaient aussi d’extrême gauche.
    Au reste, les complotistes viennent d’un peu partout, et ils en ont profité pour diffuser de nouveaux sujets de propagande – théories du complot sur l’origine de la pandémie, désinformation sur le déploiement de la vaccination, allégations de surveillance de masse par les autorités. L’environnement en ligne joue un rôle clé, facilitant la radicalisation et la diffusion de propagandes terroristes et fédérant des groupes conséquents très rapidement autour d’infâmes projets – à l’instar de l’invasion du Capitole.
    Pour combattre l’incitation à la haine des groupes d’extrême droite, le ministère de l’intérieur a renforcé sa présence en ligne grâce à des cyberpatrouilleurs et à l’action quotidienne de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), pour qui la lutte contre les contenus haineux a toujours constitué une priorité d’action.
    Dès 2010, le rapport sur la lutte contre le racisme sur internet, remis au Premier ministre par le Forum des droits sur l’internet, estimait que Pharos est le pivot du dispositif, aussi bien pour la collecte de l’information et le déclenchement de la réponse publique que pour la mesure du phénomène raciste sur internet.
    Depuis 2015, Pharos a mis en place une cellule spécialisée pour traiter les signalements et les procédures relatives aux contenus discriminatoires. Provocation à la haine, à la discrimination et à la violence, apologie de crimes de guerre ou apologie de crimes contre l’humanité, contestation de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité : en 2022, Pharos a traité plus de 15 000 signalements de contenus haineux. Après recoupements et une analyse juridique et opérationnelle, 2 387 contenus ont été transmis aux services de sécurité intérieure.
    Si les attentats mortels d’extrême droite sont en légère baisse en Europe, ce n’est pas le cas aux États-Unis, même si l’on dénombre presque le même nombre d’attaques depuis 1990 – 227 aux États-Unis et 224 en Europe occidentale. Le bilan en termes de morts est bien plus lourd aux États-Unis, en partie du fait d’un accès plus facile aux armes à feu. Mais nous comptons le plus grand nombre de complots fomentés non par des individus isolés mais à plusieurs – qui représentaient 60 % des projets déjoués en 2021. Un tel phénomène traduit des intentions sérieuses et son effet d’entraînement peut contribuer à durcir l’idéologie. C’est pour cela que la République prend au sérieux les dérives sectaires et inclut dans sa lutte contre le terrorisme la lutte contre le séparatisme islamiste, mais aussi contre les phénomènes d’extrême droite.
    Je l’ai déjà dit, la mouvance d’extrême droite est diverse. Nous surveillons des individus suivant une préparation à l’affrontement physique, par exemple contre les projets d’accueil de migrants ou les manifestants de gauche. Malgré les fermetures administratives, malgré l’action de l’État, malgré leur affaiblissement, de petits groupes se réunissent encore pour prôner la violence, sans compromis démocratique. Nos services de renseignement savent où, dans quel local, à quelle fréquence ; la République les surveille. Nous savons qu’ils entendent agresser des élus, des militants associatifs et des manifestants ; nous ne les laisserons pas faire. Nous essayons de les arrêter avant qu’ils agissent.
    Dans le pays des droits de l’homme, l’État, le ministère de l’intérieur et les préfectures sont particulièrement vigilants à ce que chacun puisse vivre librement, quelles que soient son origine, sa religion, ses opinions publiques. Nous sommes mobilisés. Tout ce qui menace la République et la vie des citoyens, tous les terrorismes, doivent être traités de la même manière ; c’est le cas.
    Pour conclure, en tant que ministre des outre-mer, vous me permettrez de citer un grand écrivain martiniquais, Patrick Chamoiseau : « La violence est un écosystème. Un équilibre à moitié clos, incertain, qui a besoin d’un oxygène particulier, et d’une spirale de conditions particulières. » Sans doute faut-il réfléchir davantage et comprendre pourquoi ce terrorisme se développe dans le monde. Il nous faut tous, intellectuels, sociologues, philosophes, parlementaires, associations, militants de tous les partis, essayer de répondre à cette question. Il nous faut donc travailler ensemble dans la sérénité, dans la complémentarité, dans la solidarité, comprendre, distinguer, reconnaître, frapper et, donc, surveiller, interpeller, dissoudre les organisations d’extrême droite qui prônent le terrorisme. Croyez-le – les réponses plus précises à vos questions le démontreront – c’est ce que l’État fait, sans faiblir.

    Mme la présidente

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    Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée de ces dernières, et des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
    La parole est à M. Aurélien Taché.

    M. Aurélien Taché (Écolo-NUPES)

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    Je tiens à souligner l’absence remarquée, et plus que regrettable, du ministre de l’intérieur et des outre-mer, M. Gérald Darmanin. Néanmoins, monsieur le ministre délégué, je vous remercie pour votre présence et vos réponses.
    « La menace d’ultradroite est aujourd’hui la principale menace à laquelle [les démocraties] sont confrontées. » Ces propos ne sont pas de moi, mais de Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure, dans un entretien paru dans Émile au mois de février. La menace est donc réelle dans notre pays, alors que sept des dix derniers attentats politiques déjoués ont été fomentés par l’extrême droite, et deux par la mouvance complotiste à laquelle vous avez aussi fait référence, monsieur le ministre délégué. Pourtant, la semaine dernière, la majorité, alliée à la droite et au Rassemblement national, a tout mis en œuvre pour dénaturer ma proposition de loi, qui plaidait pour la transmission d’un rapport dressant un véritable état des lieux de la menace terroriste d’extrême droite dans notre pays.
    C’est regrettable car le milieu universitaire ou la commission d’enquête de 2019 formulent tous la même conclusion : lorsqu’il s’agit de mesurer l’implantation géographique et l’activité des groupuscules d’extrême droite, le Parlement ne dispose que d’estimations et de projections, et non d’éléments objectivables, à la seule main du Gouvernement qui pilote les services de renseignement. C’est pourquoi, je le répète, je vous remercie pour votre présence.
    Mais je suis inquiet après les publications de la plateforme collaborative Tajmaât, révélant hier qu’une vingtaine de groupes néonazis infiltrés menacent des élus et planifient des ratonnades. Mes pensées vont à mes collègues, Sophie Taillé-Polian, Benjamin Lucas, Sandra Regol, Julien Bayou, qui figurent semble-t-il dans leurs fichiers. Je suis inquiet pour le maire de Saint-Brevin-les-Pins, menacé par l’extrême droite depuis des mois, et qui vient d’être victime d’un incendie volontaire. Je suis inquiet que des commandos baptisés Waffen Assas attaquent des étudiants.
    Dans une vie passée, monsieur le ministre délégué, nous avons œuvré ensemble pour les communes qui avaient des difficultés à accueillir des centres d’accueil pour réfugiés. La menace monte – vous avez cité plusieurs éléments probants. Pensez-vous qu’une stratégie complète, et ciblée sur le terrorisme d’extrême droite, serait utile pour aller plus loin et démanteler ces groupes ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Je n’ai pas tenu des propos en l’air, mais en concertation avec Gérald Darmanin. Je vous remercie de penser que la vie d’un ministre délégué vaut aussi la peine d’être vécue.
    Sur le fond, vous avez raison, la menace existe, je l’ai confirmé. Vous plaidez pour un rapport consolidé. Mais dans la lutte contre le terrorisme, le Gouvernement et les services doivent parfois ne rien dire. Nous rendons compte de notre action – vous avez les chiffres, mais je pourrai y revenir – concernant les interpellations ou les dissolutions. Mais nous devons également assurer le suivi des personnes et des structures incriminées. C’est le rôle de la plateforme Pharos, des cyberpatrouilleurs et des services de renseignement, par le biais des remontées d’informations, voire des dissolutions administratives.
    Cette stratégie est déployée sous la houlette de Nicolas Lerner, de la direction centrale de la sécurité publique et de son service central de renseignement territorial. Doit-elle être mise à nu ? Doit-on vous indiquer qui sont les 1 300 personnes suivies et dans quelles structures ils agissent ? Certainement pas. Vous avez auditionné Nicolas Lerner. Il faut créer ce lien de confiance avec les parlementaires, car leur droit d’interrogation est absolu, mais aussi respecter un certain silence quand il y a des résultats – et je crois que les résultats sont là.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.

    M. Jean-Philippe Tanguy (RN)

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    Je n’ai pas compris quels sont précisément les moyens de l’État pour mettre hors d’état de nuire toutes les formes de terrorisme d’extrême droite, et tous les mouvements qui légitiment la violence ou y font appel, ou diffusent des thèses qui peuvent y conduire.
    Vous avez évoqué beaucoup de concepts, mais dans la confusion. Quels sont les moyens concrets à la disposition de nos forces de l’ordre ou de nos services de renseignement pour éliminer ces menaces ? Vous vous autofélicitez, mais ces mouvements sont de plus en plus présents et, malheureusement, de plus en plus actifs pour commettre leurs méfaits. On ne peut donc pas parler de réussite, mais de faillite des services de l’État. La seule chose dont on peut se féliciter, c’est qu’ils sont ultraminoritaires. C’est d’ailleurs pourquoi on devrait pouvoir les suivre très facilement !
    Je n’explique pas non plus pourquoi le Gouvernement n’a pas répondu au courrier que j’ai adressé, avec la présidente Marine Le Pen, le 18 décembre 2022, pour demander la dissolution systématique de tous les groupes appelant à la violence, quelle que soit leur origine politique – d’extrême gauche, d’extrême droite ou liés au mouvement complotiste dans un délire « ni gauche ni droite ». Pourquoi la Première ministre ne répond-elle pas ?
    Pourquoi ne prononcez-vous pas des dissolutions à la mesure du nombre de groupes et de la menace qu’ils représentent ? Une fois encore, j’ai l’impression que vous cherchez à utiliser ces mouvements pour faire de la politique, au lieu de lutter vraiment contre eux.
    Enfin, je suis très inquiet de constater l’amalgame que vous faites avec le crime antisémite épouvantable dont a été victime Mireille Knoll et, d’une manière générale, avec tous les meurtres et les violences antisémites commis depuis l’après-guerre, notamment depuis l’attentat de la rue Copernic, qui étaient malheureusement d’essence islamiste. Je ne vois pas le rapport avec la tragédie de Mireille Knoll et de sa famille. Pire, cela m’inquiète : il y a visiblement dans votre esprit une confusion entre les moyens à mobiliser contre l’extrême droite et ceux à engager contre les violences antisémites, issues majoritairement de l’islamisme.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Je ne suis pas dans l’autosatisfaction, comme vous. J’essaie simplement de travailler. Comme tous les citoyens, je ne suis pas satisfait…

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Vous avez dit le contraire tout à l’heure !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Nous devons lutter contre tous les extrémismes, qu’ils soient d’ultragauche ou d’ultradroite, et contre la violence terroriste.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    C’est l’État qui lutte contre la violence !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Puis-je répondre ou non ?

    Mme la présidente

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    Monsieur Tanguy, laissez M. le ministre délégué répondre.

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Les moyens engagés reposent sur une connaissance fine de ces mouvements : ainsi, 1 300 personnes, inscrites au fichier S, sont suivies. Mais nous sommes en France et dans un État de droit, il n’est pas possible d’arrêter des gens au seul motif qu’ils existent ; il faut démontrer au préalable leur volonté d’action. Ils sont donc surveillés avec des moyens que je considère moi-même comme hors du commun : 1 300 personnes fichées S pour une idéologie, c’est quelque chose !
    Pour répondre à votre question, nous agissons et procédons à la dissolution de certains de ces mouvements : ce fut le cas de Génération identitaire en 2021, d’Alvarium en novembre 2021, des Zouaves Paris en janvier 2022 ou encore de Bordeaux nationaliste en février 2023. Nous poursuivrons en ce sens. Ces personnes continueront à être fichées et suivies, je le répète ; les associations constituées qui prônent ce type d’agissements n’ont pas leur place au sein de la République et elles seront dissoutes.
    Pour m’être entretenu avec M. Lerner et les responsables de la sécurité publique, je sais que nous ne manquons pas de moyens : la plateforme Pharos est un bon outil. Les personnes concernées sont surveillées, mais nous ne pouvons les arrêter tant que leur volonté d’agir n’a pas été démontrée. Ce n’est peut-être pas votre conception de la République, mais c’est la mienne.

    M. Jean-Philippe Tanguy

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    Vous n’avez pas répondu sur l’antisémitisme !

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Nathalie Oziol.

    Mme Nathalie Oziol (LFI-NUPES)

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    Jeudi 30 mars, un groupuscule d’extrême droite a fait irruption dans une réunion publique organisée par la NUPES, à Perpignan.
    Nous savons que Gérald Darmanin est capable de décider très rapidement la dissolution d’un mouvement : il n’a pas tardé, par exemple, à dissoudre le collectif Les Soulèvements de la Terre, à la suite des mobilisations organisées contre la mégabassine de Sainte-Soline. Pour en revenir au groupuscule que je viens d’évoquer, il s’agit d’individus non masqués et non cagoulés, qui revendiquent leur action et cherchent à intimider des militantes et des militants : l’une d’entre eux s’est fait arracher son téléphone. Qu’attendez-vous pour dissoudre ce type de mouvements ? D’autant qu’il s’agissait d’une réunion publique portant sur le projet de loi relatif à l’immigration, défendu par Gérald Darmanin : lorsque l’extrême droite s’empare de ce type de sujets, une réponse forte est nécessaire !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    J’ai eu connaissance de cet incident, même si je ne sais pas précisément qui étaient les personnes impliquées. Reste à savoir à quel groupuscule elles appartiennent. Toutefois, vous ne pouvez pas nous reprocher, le 3 avril, de ne pas avoir dissous une association qui aurait agi le 30 mars. Cela ne fonctionne pas ainsi ! Nous devons déterminer qui sont ces individus, rechercher s’ils sont fichés et, éventuellement, les poursuivre. Mais il serait prématuré de décider dès à présent que l’association doit être dissoute.

    Mme Nathalie Oziol

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    Il pourrait au moins y avoir une réaction !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Cependant, n’ayez crainte : je m’engage publiquement à vous apporter une réponse sur ce cas précis.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

    Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES)

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    Je vous remercie, monsieur le ministre délégué, de votre présence, même si nous regrettons vivement l’absence du ministre de l’intérieur, tout comme son manque de réaction, alors qu’il peut parfois faire preuve d’une certaine promptitude à venir en soutien à des élus, à des collaborateurs ou à des personnalités menacés.
    Comme mon collègue l’a évoqué, une liste, comportant les noms de certains députés et de leurs collaborateurs, vient d’être de nouveau publiée sur des comptes Telegram qui regroupent des milliers de membres : elle est censée servir de base à des actions à mener à l’encontre de personnalités actives dans le débat public. J’aimerais donc connaître votre réaction.
    Deuxièmement, il semblerait que ces groupes comprennent en leur sein des personnes qui émargent ou ont émargé dans des administrations de l’État, telles que la police et l’armée. L’Allemagne a connu, ces dernières années, de graves problèmes de ce type. Pouvez-vous dresser un état des lieux de la situation en France, en ce qui concerne les forces de l’ordre et l’armée ? Et pouvez-vous nous garantir qu’il n’y a aucun problème de ce genre dans notre pays – je serais très heureuse de vous l’entendre dire –, alors que ce fut le cas en Allemagne où des actions immédiates ont dû être prises, notamment la dissolution d’une organisation ? Comme vous le rappeliez fort justement, ces groupes terroristes – ou qui penchent vers le terrorisme d’extrême droite – existent non seulement en France mais également dans de nombreux autres pays.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Je crois avoir été honnête lorsque j’ai précisé que deux sujets retiennent particulièrement l’attention du ministère de l’intérieur : la présence d’un nombre significatif d’individus connus au titre de leur proximité avec l’ultradroite parmi les professions sensibles – le phénomène est clairement reconnu.

    Mme Sophie Taillé-Polian

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    Un petit mot à ce sujet aurait été bienvenu !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Je viens de le dire ! Les forces armées et de sécurité disposent en effet de compétences, liées aux armes notamment, recherchées par la mouvance d’extrême droite qui s’efforce soit de recruter activement parmi ces métiers, soit de les intégrer en son sein. L’exercice de ces professions soulève donc des enjeux majeurs. Cette situation est incompatible avec les valeurs de la République et suscite une crise de confiance naissante avec la population. Nous essayons d’agir contre ces individus qui cherchent à infiltrer des institutions sensibles, parce que cela pourrait entraîner des vulnérabilités susceptibles de mettre en péril les opérations à mener. Ils sont connus et suivis. Faut-il pour autant les arrêter dans l’instant ? Les lois de la République ne le permettent pas.
    J’en viens à la protection des parlementaires, sujet que je connais bien pour avoir moi-même fait l’objet d’une protection pendant de longues années. Les instructions ont été données par le ministre de l’intérieur et les services de police sont mobilisés. À en juger par ce que je constate en outre-mer, que je connais mieux, celles-ci sont bien prises en compte. Si vous connaissez des exemples de personnes qui auraient sollicité en leur nom une protection en raison d’actes précis de violence et qui n’auraient pas obtenu satisfaction, je vous répondrai personnellement. Mais nous ne pouvons pas, à partir de menaces en l’air – même si elles peuvent malheureusement se réaliser parfois – protéger des millions de gens.

    Mme Sophie Taillé-Polian

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    On peut au moins les soutenir !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Thomas Portes.

    M. Thomas Portes (LFI-NUPES)

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    Je regrette également que le ministre Gérald Darmanin, qui prend souvent des positions irresponsables sur ces sujets compte tenu du climat politique, ne soit malheureusement pas présent pour répondre à nos questions : c’est bien dommage.
    Vous dites surveiller celles et ceux qui menacent des élus et sont susceptibles de passer à l’acte, mettant en danger la République. Comme l’a rappelé mon collègue Aurélien Taché, sur les dix derniers attentats déjoués, sept étaient fomentés par des groupuscules d’extrême droite.
    Je voudrais revenir sur un sujet en particulier, celui des menaces proférées à l’encontre d’élus : le maire de Callac, par exemple, qui projetait d’ouvrir dans sa commune un centre de réfugiés, a dû abandonner son projet devant les menaces subies, la réponse de l’État n’étant pas à la hauteur – malgré mes nombreuses interpellations auprès des ministres Darmanin et Dupond-Moretti.
    Par ailleurs, cela a déjà été évoqué, Mediapart a révélé il y a quelques mois le cas de plusieurs militaires ayant posé avec des objets nazis et se revendiquant ouvertement de cette idéologie. Des sanctions ont-elles été prises à leur encontre ? Doit-on considérer comme suffisant le simple fait de stopper leur avancement ou de les suspendre durant quelques semaines, ou une prise en main très forte du Gouvernement est-elle envisagée ? En Allemagne, plusieurs articles ont fait état de policiers ou de militaires appartenant à des groupes néonazis qui se sont vus directement éjectés, alors qu’en France le ministère des armées refuse de répondre sur ces sujets. Par conséquent, pouvez-vous nous donner des précisions quant à la pénétration de telles idées parmi les forces de l’ordre ou l’armée ? S’il existe des cas avérés, des sanctions sont-elles réellement prévues ou préférez-vous en rester à une simple opération de communication ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    La politique, ce n’est pas de la communication.

    M. Thomas Portes

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    C’est pourtant ce que vous faites !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Lorsqu’on est au Gouvernement, on agit ! En ce qui concerne le centre d’accueil de réfugiés que vous avez évoqué, le maire a peut-être été menacé,…

    M. Thomas Portes

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    Il a été menacé !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    …mais c’est en général la population qui est hostile à ce type de projets.

    Mme Nathalie Oziol

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    Mais non !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    J’ai été préfet, j’ai ouvert de nombreux centres et cela s’est révélé être, à chaque fois, une guerre d’usure, ponctuée de manifestations et de bagarres.

    M. Thomas Portes

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    Vous ne pouvez pas dire cela !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Les procédures sont extrêmement longues avant d’aboutir. Pour avoir été longuement président de Coallia, je sais ce qu’implique l’installation d’un centre pour migrants. C’est très compliqué et, malheureusement, la mairie de Callac n’est pas un cas isolé face à ce type d’oppositions – qui constituent l’une des motivations principales d’ailleurs des groupes d’extrême droite. Je ne crois pas que ce soient les menaces qui aient fait reculer le maire, mais bien plutôt le fait que les procédures sont longues et difficiles.
    S’agissant des militaires, c’est la première fois qu’un ministre reconnaît devant cette assemblée l’existence d’un tel phénomène et sa prise en considération. Toutefois, la loi est respectée ; l’inspection de la police nationale est saisie. Est-ce un délit d’avoir une mentalité d’extrême droite et de tenir des propos propres à cette idéologie ? Non. Cela relève d’une sanction interne. Heureusement, il n’est pas possible en France de condamner des gens pour leurs propos ou leur apparition sur une photographie, même s’ils font partie de la police ou de l’armée. Cela ne fonctionne pas ainsi dans notre République. Ils peuvent être sanctionnés administrativement ou déplacés – c’est souvent le cas –, mais il n’est pas possible de déposer une plainte au pénal ou de les virer de leur métier parce qu’ils ont exprimé une opinion. Je ne pense pas que nos concitoyens aspirent à une société de ce type. Ce n’est en tout cas pas la position du Gouvernement.

    M. Thomas Portes

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    Appartenir à un groupe nazi, ce n’est pas une opinion !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Hubert Julien-Laferrière.

    M. Hubert Julien-Laferrière (Écolo-NUPES)

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    En effet, appartenir à un groupe nazi, ce n’est pas simplement exprimer une opinion. Dans le prolongement des propos de Sophie Taillé-Polian et de Thomas Portes, je souhaite poser au ministre délégué une question que j’ai déjà posée lors de la première phase de notre débat mais, en l’absence de recherche scientifique sur le sujet, je n’ai pas obtenu de réponse. Prenons l’exemple récent du groupe néonazi FR Deter, qui recrute sur internet et les réseaux sociaux – il totalise désormais des milliers de membres – et qui appelle aux meurtres d’élus : vous soutenez, monsieur le ministre délégué, que vous vous attaquez à ceux qui menacent les élus. Un soutien à ces élus dont le nom est inscrit sur des listes,…

    Mme Sophie Taillé-Polian

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    Pas qu’aux élus, d’ailleurs !

    M. Hubert Julien-Laferrière

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    …bien sûr, pas seulement aux élus, mais à tous ceux qui figurent sur ces listes, serait le bienvenu ! Vous reconnaissez que les services de l’armée sont infiltrés par des groupuscules d’ultradroite, menaçants et dangereux. Est-ce également le cas de la police ? Disposez-vous de chiffres ? Une politique interne est-elle prévue afin de lutter contre ce phénomène et de prévenir le risque ? Certes, comme vous l’avez rappelé, il est difficile de sanctionner une opinion ; toutefois, lorsqu’il s’agit de la promotion d’une idéologie néonazie, cela devient possible.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Les propos de ces militaires ou de ces policiers peuvent être sanctionnés s’ils sont publics, comme c’est le cas pour n’importe quel citoyen. Pour rappel, les paroles racistes, antisémites ou anti-immigrés peuvent tomber sous le coup de la loi. Je le répète, les cas que vous mentionnez sont tous pris en considération et suivis ; ils appellent éventuellement des sanctions disciplinaires.
    Si de nouveaux groupes nazis émergent, ils seront dissous, comme ils l’ont été jusqu’à présent. Je relayerai votre inquiétude en la matière. Pour en avoir longuement parlé avec le service central du renseignement territorial (SCRT) et la DGSI, je peux vous assurer que ces sujets sont suivis. Nous essayons d’entraver la menace et de l’anticiper. Ces groupes sont surveillés ; s’ils se manifestent et qu’ils tiennent des propos sanctionnés par la loi, ils seront pris.
    Je vous dois néanmoins une précision, M. Julien-Laferrière – cela fait trois en tout – et je m’engage à vous les apporter d’ici à une semaine. Toutefois, vous n’aurez ni les noms des personnes incriminées, ni les noms de ceux qui les écoutent.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Nadège Abomangoli.

    Mme Nadège Abomangoli (LFI-NUPES)

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    En octobre 2022, une quinzaine d’individus cagoulés se sont introduits dans le jardin de la mairie de Stains, en Seine-Saint-Denis, munis de mégaphones, de fumigènes et de pétards. Durant une quinzaine de minutes, ils ont menacé les agents municipaux en proférant des propos violents à caractère raciste, tels que « la France est à nous », « vous salissez la France », ou encore « vous n’êtes pas intégrés, à notre image ». Azzédine Taïbi, conseiller départemental et maire de Stains, a porté plainte. C’est l’Action française qui est derrière cette opération : cette association, qui ne se cache plus, est débordée par ses éléments les plus violents.
    Ces événements dramatiques sont la conséquence directe du climat menaçant qui pèse depuis plusieurs mois sur certaines municipalités, en particulier Stains. Il prend notamment la forme de harcèlement sur les réseaux sociaux : une plainte a ainsi été déposée pour plus de 1 000 tweets à caractère raciste. Le 20 mars, le maire de Stains a annoncé le dépôt de plusieurs plaintes, y compris de sa part, après la réception de menaces et d’injures racistes. Le harcèlement dont sont victimes Azzédine Taïbi et les élus de son conseil municipal n’est pas le fruit du hasard : si ce maire est visé, c’est pour son origine maghrébine, et parce qu’il est engagé dans l’antiracisme et en faveur des quartiers populaires.
    Ce que vit Azzédine Taïbi est le quotidien de plusieurs maires issus de l’immigration, particulièrement en Seine-Saint-Denis : ils craignent désormais pour leur vie ainsi que pour celles de leurs proches et de leurs élus. Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour les protéger, alors que le danger a pris une tournure plus franche ces derniers mois ? Quelles mesures comptez-vous prendre à l’égard de l’Action française ? Cette association a certes pignon sur rue, mais elle est manifestement débordée par des éléments violents, qui font craindre un passage à l’acte.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre délégué.

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Les menaces et les actions violentes de l’extrême droite : c’est pour elles que nous sommes là.

    Mme Marine Hamelet

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    Non, nous sommes là pour parler de terrorisme, ce n’est pas la même chose !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Il y en a trop, partout, à tel point que cela dégoûte. Toutefois, vous ne pouvez pas me demander comment nous avons réagi à chaque fois qu’il s’en produit. La plateforme Pharos a pour mission de suivre ces sujets, d’écouter et d’observer – et parfois, nous sommes sur la ligne de crête.
    Quant au soutien aux maires d’origines diverses – je préfère cette expression, moi qui suis daltonien et qui suis chargé des outre-mer –,…

    Mme Nadège Abomangoli

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    Ce n’est pas la solution, être daltonien !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    …il est total de la part du Gouvernement. Les maires concernés doivent porter plainte, afin que la justice s’en saisisse. Je note votre remarque concernant l’Action française, organisation bien connue. Nous n’avons jamais autant dissous d’organisations terroristes d’extrême droite ; nous n’avons jamais autant écouté les gens sur ces sujets ; nous n’avons jamais autant suivi des militaires et des policiers pour des propos de cette nature. Ce qui est en cause, c’est la montée de la violence dans notre société – l’extrême droite n’en a malheureusement pas le privilège.

    Mme Marine Hamelet

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    Merci de le dire !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    Partout montent les communautarismes et les individualismes.

    Mme Andrée Taurinya

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    Nous parlons ici de terrorisme !

    M. Jean-François Carenco, ministre délégué

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    L’individualisme et le communautarisme grandissants agissent par le terrorisme. Que cherchent les auteurs de ces actes ? Ce sont tout simplement des communautaristes : ils n’aiment ni les Noirs, ni les immigrés, ni les élus. Voilà leur pensée ! Il faut les surveiller de très près. C’est certainement ce qui est fait, mais je ne peux pas vous en donner le détail à chaque fois qu’un élu est menacé. Sachez que je compatis plus que vous ne le croyez, car je sais ce que c’est que d’être menacé.

    Mme la présidente

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    Le débat est clos.

    Suspension et reprise de la séance

    Mme la présidente

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures.)

    Mme la présidente

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    La séance est reprise.

    3. L’école inclusive, une réalité ?

    Mme la présidente

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    L’ordre du jour appelle le débat sur le thème « L’école inclusive, une réalité ? », demandé par le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES. À la requête de ce dernier, le débat se tient salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées.
    La conférence des présidents a décidé de l’organiser en deux parties : nous commencerons par une table ronde d’une heure en présence des personnalités invitées, puis, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, nous procéderons à une séquence de questions-réponses, également durant une heure. La durée des questions comme des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
    Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à Mme Aurélia Sarrasin, secrétaire nationale du Snes-FSU, à Mme Mireille Battut, membre du collectif Parents du 94, et à M. Éric Delemar, Défenseur des enfants, adjoint au Défenseur des droits chargé de la défense et de la promotion des droits de l’enfant. Nous écouterons chacun d’entre eux pendant cinq minutes environ.
    La parole est à Mme Aurélia Sarrasin, secrétaire nationale du Snes-FSU.

    Mme Aurélia Sarrasin, secrétaire nationale du Snes-FSU

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    Avant toute chose, je vous remercie de nous avoir invités à nous exprimer à ce sujet, si important pour nous. Rendre les élèves autonomes, c’est l’objectif en vue duquel s’engagent au quotidien les personnels d’éducation, d’enseignement et de santé, au premier rang desquels les accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). Or, pour relever le défi de l’inclusion, il faut assurer à ces élèves un environnement stable, serein, adapté à leurs besoins spécifiques, qui leur permette d’évoluer et d’accéder à l’autonomie : il faut du temps, des infrastructures et un accompagnement humain de qualité. L’engagement sans faille des AESH, en dépit des conditions difficiles et de l’isolement dans lesquelles ils exercent, ne suffit pas à pallier les méfaits de la gestion comptable de la prise en charge du handicap au sein de l’éducation nationale.
    Concernant ces personnels, leurs droits, leurs conditions de travail, ce que nous constatons sur le terrain est alarmant et a des conséquences catastrophiques en matière d’inclusion des élèves, ou plutôt de leur non-inclusion, voire de leur exclusion, puisqu’ils sont parfois privés de leur droit fondamental à l’éducation : n’oubliez pas, en écoutant la suite de mon propos, que ce sont ces élèves qui constituent notre priorité. Les chiffres l’emportent sur les êtres humains et sur les conditions dans lesquelles on prétend inclure les élèves handicapés : chaque AESH accompagne jusqu’à onze élèves, âgés de 3 à 20 ans et présentant des besoins extrêmement divers. Par ailleurs, 80 % des AESH ont obtenu au moins le baccalauréat, 92 % sont des femmes, 98 % travaillent à temps partiel : ce dernier paramètre, qui ne peut s’expliquer que par une politique de recrutement délibérée, est source de stress pour les élèves comme pour les personnels. Selon le ministère de l’éducation nationale, le salaire d’un AESH s’élève en moyenne à 897 euros par mois, ce qui, ajouté aux facteurs que je viens de citer, entraîne un défaut d’attractivité du métier et un turnover particulièrement important – démissions, difficultés de tous ordres.
    Si un AESH exerce normalement 24 heures par semaine, volume nécessité par l’accompagnement d’un enfant à l’école maternelle ou élémentaire, ce temps de travail peut tomber à 15 heures, 12 heures, voire moins : nous recevons régulièrement des appels de collègues dont la situation est dramatique, car elles n’ont d’autre choix que d’accepter des affectations de 9 heures hebdomadaires, dans des zones très étendues, avec des prises en charge très compliquées et une formation indigente. Simultanément, de nombreux élèves notifiés ne se voient pas attribuer d’AESH, ou ne bénéficient pas du nombre d’heures d’accompagnement auquel ils ont droit : leurs parents ne sont même pas toujours informés de ces situations. Pour le Snes-FSU, il y a là une aberration : d’un côté la souffrance des enfants non pourvus, de l’autre celle de personnels à qui l’on refuse un travail à temps plein !
    Les AESH sont les premiers témoins du non-respect du droit des élèves, de cette souffrance que l’institution leur inflige. Ils voient les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) les mettre en concurrence entre eux : lorsque l’on accompagne deux élèves, comment se trouver en même temps avec l’un en cours d’anglais et avec l’autre en cours d’espagnol ? Des choix aussi difficiles sont souvent laissés à la seule appréciation de l’AESH, lequel, je le répète, est très isolé dans l’exercice de ses fonctions. Tout cela ne vise qu’à faciliter la gestion de la pénurie d’AESH par les Pial, qui se bornent à une logique comptable et, au mépris des besoins, font du saupoudrage afin d’accroître sur le papier le nombre d’élèves accompagnés – parfois, dans les faits, une ou deux heures par semaine, alors que l’équipe pédagogique constate qu’il en faudrait beaucoup plus. Peut-être reviendrai-je plus tard sur ces situations difficiles : toujours est-il que, pour le Snes-FSU, il conviendrait d’assurer aux élèves comme aux AESH un cadre stable, sécurisé, favorable à l’acquisition de l’autonomie et à un accompagnement respectueux des besoins de chacun.
    La reconnaissance de la profession d’AESH, de sa pénibilité et des qualités requises passe nécessairement par la création d’un corps de catégorie B, ayant un employeur unique, et une revalorisation salariale substantielle.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Mireille Battut, membre du collectif Parents du 94.

    Mme Mireille Battut, membre du collectif Parents du 94

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    Créé en vue de défendre le droit à l’instruction de tous les enfants du Val-de-Marne, le collectif Parents du 94 est lui-même constitué de collectifs de membres de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) ou de parents indépendants, entre autres le collectif de familles d’enfants et d’adolescents handicapés que je préside. Ensemble, nous effaçons la frontière qui sépare habituellement la défense de ces derniers de celle des autres élèves. Souhaitant une école qui ne laisse pas de côté les enfants fragilisés, que leurs difficultés soient scolaires, sociales, économiques ou liées à un handicap, nous collaborons avec le collectif Une école inclusive pour tous – reçu mercredi dernier à l’Assemblée nationale – et nous partageons avec celui-ci l’espoir de faire de l’école inclusive la grande cause nationale de l’année 2024.
    Un enfant handicapé peut se trouver dans trois cas de figure : être accueilli à l’école, au sein d’une classe ordinaire ou d’une unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis), le plus souvent à temps partiel et dans des conditions très dégradées, faute d’accompagnement adapté ; être orienté vers le secteur médico-social, où les places manquent, d’où de longues listes d’attente ; à défaut, rester à la maison, déscolarisé, désocialisé, avec le drame humain et financier que cette situation représente pour les familles, en particulier pour les mères. Je vous propose donc, en vue d’une école inclusive, de suivre trois boussoles.
    La première consisterait à ce que l’école ne laisse personne en dehors de l’instruction. Selon la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), notre département compte 13 704 enfants et adolescents porteurs d’un handicap : 56 % sont scolarisés, 12 % pris en charge au sein d’un établissement sanitaire ou médico-social, 32 % – presque un tiers – ne sont accueillis nulle part. En l’état actuel des choses, en cas de notification d’orientation en institut médico-éducatif (IME) ou en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique (Itep), une fois sur deux vous ne trouvez aucune place – sauf si vous partez en Belgique. Ce ne sont pas là des faits marginaux, mais des réalités vécues massivement ! Nous ne sommes pas des faits divers. Les MDPH le savent bien, qui, dans le cadre du dispositif Une réponse accompagnée pour tous, et pour se conformer à l’impératif « zéro sans solution » énoncé par le rapport Piveteau, ont été forcées de créer des commissions de priorisation afin qu’un éducateur vienne assister durant une heure les enfants laissés chez eux. Pendant ce temps, les agences régionales de santé (ARS) ont inventé de convertir en offre de séjour « de répit » les places pérennes en IME, dont le manque atteignait déjà des proportions dramatiques !
    La deuxième boussole tendrait à ce que l’école donne accès à une instruction effective. Au sein des établissements scolaires comme des IME, le temps partiel est imposé d’emblée. L’académie compte ainsi qu’il faut 2 500 AESH pour 8 000 élèves, soit un AESH pour trois élèves, soit par élève, en moyenne, un tiers du temps de l’AESH : huit heures de cours, qui deviennent six heures lorsque seulement 1 895 AESH se présentent. Enfer des Pial, mutualisation à outrance, enseignant coordinateur d’Ulis ou d’UEMA – unités d’enseignement en maternelle – manquant ou muté, enfant exclu de la cantine, du domaine périscolaire, lorsque plusieurs administrations se renvoient la balle : tout cela débouche sur des maltraitances ou un retour à la maison, ce qui est insupportable, non seulement pour ces élèves et leur famille, mais aussi pour les AESH et les enseignants.
    Chez ces derniers, le manque de moyens consacrés à l’inclusion scolaire est du reste l’une des principales causes de mal-être, d’épuisement professionnel ou de démission : encadrer une classe de trente enfants dont un ou deux requerraient un accompagnement individuel est tout bonnement impossible ! Sous l’impulsion de notre collectif, Mme Taillé-Polian, notre députée, organise à l’Assemblée, le 12 avril, une projection du documentaire de Julie Chauvin L’École est finie, au cours duquel le sujet de l’inclusion sera bien sûr abordé : j’espère que vous y serez.
    Par ailleurs, les services d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), les centres médico-psychologiques (CMP) ou médico-psycho-pédagogiques (CMPP) croulent sous les demandes, alors même que les listes d’attente sont arbitrairement closes lorsqu’elles atteignent le double de la file active. Le paradoxe est là : la mise en place de plateformes de dépistage précoce du handicap ou d’unités maternelles pour déboucher sur des listes d’attente !
    La troisième et dernière boussole serait celle d’une école accessible, c’est-à-dire qui sache se remettre en question afin d’ouvrir l’accès au savoir et à l’envie d’apprendre. Dans ses conclusions, remises en avril dernier, la mission de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR), chargée de préparer l’acte II de l’école inclusive, admet la nécessité de « retrouver un équilibre entre compensation et accessibilité ». Or l’éducation nationale prétend définir seule la nature de l’accompagnement pour garantir l’égal accès, alors que l’accessibilité ne garantit pas l’égal accès et ne s’obtient pas uniquement par un accompagnement ! Il s’agit pour elle de se remettre en question pour adapter l’accès à chacun et composer avec les écarts au lieu de vouloir la norme pour tous. L’accessibilité de l’école dépendra de la formation des enseignants et des accompagnants, de la réduction draconienne du nombre d’élèves par classe, de l’ouverture à la singularité de l’enfant – ce qui nécessitera une véritable transformation et un continuum avec le domaine médico-social –, enfin d’une remise à plat des rôles et responsabilités des diverses administrations concernées à chacun de leurs niveaux.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Éric Delemar, Défenseur des enfants, adjoint au Défenseur des droits chargé de la défense et de la promotion des droits de l’enfant.

    M. Éric Delemar, Défenseur des enfants, adjoint au Défenseur des droits chargé de la défense et de la promotion des droits de l’enfant

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    Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie à mon tour de votre invitation, tant la scolarisation de tous les enfants constitue un enjeu majeur de société et un sujet de préoccupation que je sais que nous partageons. Comme vous le savez, le Défenseur des droits, autorité administrative indépendante à valeur constitutionnelle, veille au respect de nos droits et libertés par les institutions. Depuis trois ans que j’occupe auprès de Claire Hédon le poste de Défenseur des enfants, 30 % des 10 000 saisines relevant de mes compétences ont concerné des atteintes au droit constitutionnel à l’éducation, et la grande majorité de celles-ci avaient trait aux difficultés suscitées par le virage inclusif. Force est de constater que l’inclusion se traduit parfois par l’exclusion.
    Mmes Sarrasin et Battut ont très justement fait écho à la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances et à celle du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance : je rappellerai pour ma part que nous fêterons en 2024 les cent ans de la Déclaration de Genève sur les droits de l’enfant, texte fondateur qui inspira la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide) de 1989. L’article 23 commence comme suit : « Les États parties reconnaissent que les enfants mentalement ou physiquement handicapés doivent mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité. »
    S’agissant d’atteintes au droit à l’éducation des enfants handicapés, les saisines que nous recevons ont des motifs variés : des MDPH dont les décisions ne sont pas appliquées faute de moyens, d’autres qui s’adaptent à la pénurie en décidant d’un temps de scolarité ou de modalités d’accompagnement insuffisants qui, d’emblée, ne correspondent ni aux besoins ni à la sécurité de l’enfant ; des ruptures de parcours non seulement entre maternelle et primaire, primaire et secondaire, mais aussi entre le temps scolaire et le temps périscolaire – notamment celui de la cantine –, qui en est pourtant le corollaire obligé ; des AESH manquants, non associés aux équipes de coordination, ou affectés en vertu d’une logique purement gestionnaire. Les conséquences sur les enfants sont multiples : nous ne savons même pas combien ne sont pas scolarisés. Pour eux, pour leur famille, qui se retrouvent sans solution, les termes de Pial, de GOS – groupe opérationnel de synthèse –, de PAG – plan d’accompagnement global –, d’Emas – équipe mobile d’appui médico-social à la scolarisation –, de PPS – projet personnalisé de scolarisation – ou de PPA – projet personnalisé d’accompagnement –, sonnent creux.
    Scolarité à temps partiel, absence de réponse à leurs besoins, défaut d’accompagnement individualisé par méconnaissance ou défaut d’identification de leurs besoins : ces manques suscitent chez ces enfants une forte insécurité et une grande souffrance, dont les adultes interprètent les manifestations comme autant d’agressions à leur encontre. Si, ces dernières années, le nombre d’enfants handicapés scolarisés n’a fait que croître – ils sont désormais 430 000 –, les conditions de cette scolarisation révèlent que l’école inclusive leur demeure souvent inaccessible et que la société ne leur accorde toujours pas le statut d’élève, en dépit des 4 000 AESH – ce qui porte leurs effectifs à 130 000 – et des 300 Ulis supplémentaires.
    Ainsi, bien que de nouveaux recrutements d’AESH aient lieu chaque année, les difficultés perdurent. Il existe aujourd’hui, dans la façon dont l’école est pensée, de nombreux freins à l’inclusion scolaire – j’y reviendrai. La question doit donc être appréhendée de manière plus large et interroger le mode d’inclusion.
    Je conclurai en rappelant trois grands principes. D’abord, la construction d’un environnement inclusif constitue le préalable à la scolarité de tous les enfants, dont ceux en situation de handicap : c’est à l’école de s’adapter et non l’inverse. Deuxième principe : il faut garantir le droit à l’éducation sur la base de l’égalité des chances et de la non-discrimination. Enfin, l’accompagnement humain doit être repensé au service de l’enfant : l’inclusion ne doit pas être appréhendée uniquement sous l’angle de l’accompagnement humain mais, lorsqu’il est nécessaire, cet accompagnement doit être adapté aux besoins de l’enfant.
    De 2020 à 2022, le nombre de saisines du Défenseur des droits est passé de 100 000 à 126 000 par an, soit une augmentation de 26 000 en deux ans. Nous pourrions penser que cette augmentation est due au fait que le Défenseur des droits est davantage connu depuis l’arrivée de Claire Hédon, mais ce sont clairement les difficultés de nos concitoyens dans leurs relations avec les services publics qui en sont à l’origine.

    Mme la présidente

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    Nous en arrivons aux questions. Chaque question sera immédiatement suivie de sa réponse, afin que le débat soit le plus fluide possible. Je vous rappelle que les questions comme les réponses ne peuvent excéder deux minutes. Je vous remercie par avance, chers collègues, de préciser l’intervenant auquel votre question s’adresse.
    La parole est à M. Pierre Dharréville.

    M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)

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    Vos interventions, mesdames, monsieur, montrent combien la situation est alarmante – ce mot a été employé par l’une d’entre vous. La situation des enfants en situation de handicap est un problème majeur, qui pose la question des moyens que la société déploie pour les accompagner. Il y a quelque temps, le groupe GDR-NUPES a déposé une proposition de loi visant à la création d’un statut des accompagnants et accompagnantes d’élèves en situation de handicap. Elle a pour but d’offrir un nouveau statut d’agent de la fonction publique à temps complet à ces personnels exerçant un vrai métier, qui n’est pas suffisamment reconnu. J’aimerais avoir votre sentiment à cet égard, sachant que, dans le rapport de la Défenseure des droits sur le sujet, la question de la formation paraît centrale. Quels sont, madame Battut, les besoins que vous avez pu identifier en la matière, en tant que représentante des parents ?
    Ma deuxième question concerne les souffrances qui peuvent découler, pour les personnels enseignants, de l’inadaptation de l’école aux élèves en situation de handicap. Dans quelle mesure le manque d’AESH, notamment, influe-t-il sur la façon d’enseigner ? N’observe-t-on pas une dégradation des conditions d’exercice pour les équipes pédagogiques ? Enfin, le rapport précité faisait le constat en 2022 d’une école encore inadaptée entraînant des déscolarisations massives, ainsi que d’un décalage entre l’augmentation des moyens humains et financiers – quoiqu’insuffisants – et le nombre grandissant d’enfants dont les besoins sont très mal couverts. Ce constat rejoint celui que nous pouvons faire à l’échelle de nos territoires. Comment la situation a-t-elle évolué, selon vous, depuis la publication de ce rapport ?

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Mireille Battut.

    Mme Mireille Battut

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    Vous m’avez interrogée sur les besoins en formation et sur la façon dont nous, parents, percevons nos relations avec les AESH. En réalité, les parents sont censés avoir de relations non pas avec les AESH, mais avec les enseignants. On peut certes le comprendre, mais ce cloisonnement n’en est pas moins regrettable. Nous aurions intérêt à trouver des modalités pour nous parler davantage. Les parents ont des choses à dire sur ce qui peut aider leurs enfants, et les observations des AESH peuvent également être utiles. Dans l’Ulis de Cachan, j’ai pu constater qu’en l’absence de coordinateur, ce sont les deux AESH qui ont tenu la classe à bout de bras. Leurs profils montrent d’ailleurs qu’ils sont là non pas par hasard mais par vocation. Il faut évidemment mettre en place des cursus de formation, mais prévoir aussi des possibilités d’évolution. L’un des accompagnants d’élèves en situation de handicap à titre collectif (AESH-co) vient de partir car on ne lui a laissé le choix qu’entre un renouvellement de son contrat pour trois ans et un départ en cours d’année. Lui qui voulait rester jusqu’à la fin de l’année pour devenir ensuite enseignant, avancer dans son parcours professionnel, en a été découragé ! Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question mais je pense qu’il faut décloisonner !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Éric Delemar.

    M. Éric Delemar

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    On fait reposer quasi exclusivement le virage inclusif sur des AESH qui, elles-mêmes, ne se sentent pas incluses au sein de l’éducation nationale. C’est un point fondamental. Par ailleurs, je ne prétends pas qu’elles ont tort de le faire mais, à l’heure actuelle, toutes les institutions se désinstitutionnalisent – sauf, par définition, l’école – en se demandant qui paye plutôt que de s’interroger sur la façon de répondre aux besoins. Une AESH est employée par l’éducation nationale pendant la matinée mais, sur le temps du midi, la responsabilité des enfants revient à la mairie ou au département. Cela conduit malheureusement certaines mères – notamment celles dont les enfants sont en classe Ulis, car elles n’ont pas le choix de l’école – à déjeuner dans leur voiture parce qu’elles habitent à 50 kilomètres de l’établissement.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Béatrice Descamps.

    Mme Béatrice Descamps (LIOT)

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    Je vous remercie, mesdames, monsieur, d’être présents pour évoquer un sujet ô combien important. Cet échange avec vous est un temps privilégié pour nous, parlementaires. Je me permettrai d’évoquer deux situations concrètes constatées dans ma circonscription. La première concerne un jeune enfant de 3 ans qui bénéficie d’une notification pour un accueil en institut d’éducation motrice (IEM) mais n’y a pas obtenu de place. Il n’en n’aura pas non plus la rentrée prochaine et peut-être pas non plus à la suivante. Les médecins spécialistes qui le suivent disent qu’il pourrait être scolarisé en école maternelle s’il bénéficiait d’un accompagnement par un AESH. L’équipe pédagogique de l’école de secteur, qui connaît la famille et l’enfant, est prête à l’accueillir. Mais il a apparemment été répondu à la famille que, parce qu’il bénéficie de la notification pour un accueil en IEM, cet enfant ne pourra pas bénéficier d’un AESH. Cet exemple n’est malheureusement pas unique. J’ai rencontré tout à l’heure un jeune élève scolarisé en deuxième année de cours moyen qui visitait l’Assemblée avec sa classe. Lui bénéficie d’une notification pour une place en institut médico-professionnel (IMPro) mais, faute de place l’année prochaine, il fera sa rentrée en sixième dans un collège ordinaire. Ces situations me choquent terriblement, car on prive ces enfants d’un milieu dans lequel ils pourraient avancer et s’épanouir. J’aimerais vraiment avoir votre avis au sujet de ces situations.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Aurélia Sarrasin.

    Mme Aurélia Sarrasin

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    En tant qu’enseignants, nous sommes malheureusement souvent confrontés à ce type de situations. Il arrive ainsi que l’accompagnement très spécifique dont nous savons qu’un enfant a besoin nous soit refusé. Normalement, lorsqu’un enfant porteur d’un handicap reçoit une notification, c’est à l’équipe pédagogique qu’il revient de décider, avec l’AESH et l’équipe pluriprofessionnelle, du type d’accompagnement dont il a besoin. Or souvent, nous ne sommes même pas informés du fait que l’élève a reçu une notification ni de son besoin spécifique ! Alors, que l’on nous demande notre avis, vous n’y pensez pas !
    Les situations que vous évoquez révèlent l’angle mort de notre activité d’enseignants : nous ne pouvons pas inclure dans nos classes les enfants comme celui que vous avez évoqué, alors que ce serait tout à fait possible et envisageable avec l’accompagnement nécessaire. Cela nous désole car notre rôle, en tant qu’enseignants, est bien d’accueillir l’ensemble des enfants qui se présentent, en fonction bien entendu de leurs capacités et de leurs besoins, et de garantir leur droit à l’éducation.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Mireille Battut.

    Mme Mireille Battut

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    Désormais, certaines MDPH délivrent des doubles notifications pour tenter de contourner le problème que vous évoquez – ce que l’éducation nationale n’apprécie guère, d’ailleurs. Le manque dramatique de places dans le médico-social confine à un néant terrifiant ! Nous pensons quant à nous qu’il faut repenser tout le système en plaçant l’enfant au centre. La loi de 2005 dispose que l’établissement de référence de l’enfant est le plus proche de son domicile. Pourquoi ne pas organiser tous les moyens autour ? Pourquoi ne pas avoir une Ulis par établissement ? Les besoins sont là ! Une telle organisation supprimerait les besoins en transport, ainsi que les problèmes de cantine et de temps périscolaire. Simplifions le problème ! Mettons l’enfant au centre, dans le lieu où il est censé être, et le médico-social autour. Et faisons en sorte que cette solution soit flexible et que des allers-retours soient possibles.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Éric Delemar.

    M. Éric Delemar

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    Non seulement on fait porter le virage inclusif sur les AESH, qui doivent compenser les manques, mais – second malentendu – on leur demande en sus de faire le travail de diplômés de niveau bac + 3 ou bac + 4 – éducateurs techniques spécialisés, orthopsychologues ou psychomotriciens. La vraie question est celle de l’école que nous voulons pour demain. Il faut aller beaucoup plus loin dans le déploiement des unités d’enseignement externalisées (UEE) et des unités d’enseignement en élémentaire autisme (UEEA).
    Je voudrais illustrer mon propos d’un exemple. Il n’est pas rare qu’un président de département fasse sortir un collège de terre. Ces établissements sont toujours très beaux lors de leur inauguration : ce sont des bâtiments à énergie positive avec des salles informatiques dernier cri. Mais qui pense, lors de leur construction, à interroger le directeur de l’IME ou de l’Itep situés à cinq ou dix kilomètres, afin de penser le mobilier au-delà des normes PMR – personnes à mobilité réduite ? Il faut décloisonner et acculturer ! Ne faire porter l’inclusion que sur l’école ou les établissements médico-sociaux est une aberration. C’est toute la société qui est concernée, et donc la politique dans son ensemble.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

    Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES)

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    Je remercie le groupe GDR-NUPES d’avoir organisé cette table ronde, et remercie aussi les intervenants. Il est vrai que ce sujet nous préoccupe tous et toutes dans nos circonscriptions. Aucun territoire n’est exempt de ces difficultés qui sont majeures non seulement pour les enfants, évidemment, mais aussi pour leurs parents, leur famille et pour toute la communauté éducative – cela a été dit. J’ai trois questions. D’abord, madame Sarrasin, quel bilan tirez-vous de la mise en œuvre des Pial ? Nous avons l’impression quant à nous que ces pôles, qui étaient censés améliorer les conditions de travail des AESH, les ont en fait détériorées et ont poussé certains à la démission. À force de déshabiller les uns pour habiller les autres, on finit tous en haillons !
    Madame Battut, vous avez évoqué la Belgique. Quel pourrait être selon vous le modèle à suivre ? En France, on s’intéresse au sort des AESH ; on veut pour elles un statut, un salaire décent et des formations. Oui, bien sûr, trois fois oui ! Mais au-delà, quel serait le modèle intelligent et intéressant qui permettrait aux enfants en situation de handicap de s’épanouir pleinement et à tous les autres enfants de profiter de leur présence et de leur vision différente des choses ?
    Enfin, monsieur Delemar, il y a effectivement la question de l’accès au simple droit d’être accueilli dans une école inclusive, mais n’y a-t-il pas aussi une question d’accès à l’instruction ? J’ai eu l’occasion de discuter avec des parents qui s’inquiétaient de l’absence d’objectif pédagogique dans l’IME accueillant leur enfant : ils se demandaient quand il apprendrait à compter, par exemple. Nous devons avoir une exigence adaptée aux capacités des enfants : il ne s’agit pas seulement de leur donner accès à un endroit où ils soient avec les autres : ils doivent aussi pouvoir en bénéficier pleinement car tous les enfants doivent avoir accès au droit à l’instruction.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Aurélia Sarrasin.

    Mme Aurélia Sarrasin

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    C’est simple : le bilan des Pial est catastrophique, puisqu’il s’apparente à de la gestion comptable. Avec une AESH pour onze enfants, le temps alloué à chaque enfant n’est que de deux heures et, puisqu’elle travaille 24 heures – on ne veut pas qu’elle en fasse 35 –, elle passe finalement entre une et deux heures avec trois, quatre ou cinq enfants présentant des troubles très différents, dans des conditions de travail impensables.
    M. Pierre Dharréville a évoqué dans sa question les conditions dramatiques de travail des personnels. Les AESH se retrouvent isolées et démunies face à la souffrance d’un enfant. Elles souhaitent pouvoir l’accompagner mais ne disposent pas des ressources nécessaires. Elles voient bien qu’elles sont complètement délaissées et qu’elles ne peuvent donc pas mener à bien la mission pour laquelle elles se sont engagées.
    Les enseignants, qui se retrouvent dans une salle avec trente enfants aux profils très différents, n’ont matériellement pas le temps de s’en occuper pour remédier à leurs difficultés comme ils le voudraient. J’enseigne dans le second degré et j’ai 120 élèves, que je vois deux ou trois heures par semaine. Je ne peux donc pas avoir une connaissance suffisamment fine de leurs problèmes pour pouvoir y remédier rapidement. L’enfant subit ainsi une violence sans précédent et les autres élèves constatent que leur camarade n’est pas inclus dans des conditions satisfaisantes.
    Une des solutions consisterait à abandonner la logique de la gestion comptable du Pial pour mettre l’enfant au centre. Une autre serait de penser le métier d’AESH comme un véritable métier exercé à temps plein par des fonctionnaires d’État de catégorie B qualifiés, formés et rémunérés. Cette solution ne serait pas parfaite, mais elle permettrait, pour commencer, d’assurer la stabilité des équipes.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Éric Delemar.

    M. Éric Delemar

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    Madame la députée, je suis d’accord avec vous sur le droit à l’instruction, qui est un droit constitutionnel. Il existe de fortes disparités entre les familles, dont certaines ont les moyens de rémunérer un professionnel à domicile. Je me suis rendu en Belgique il y a quelques mois avec mes homologues belge et luxembourgeois. Deux jours après mon arrivée, on m’a communiqué le chiffre de 1 500 enfants français en situation de handicap scolarisés dans un établissement belge. Ils le sont pour deux raisons principales : manque de place et mauvaise adaptation des dispositifs d’accompagnement en France.
    Dans ce dernier cas, je pense notamment au manque de transversalité entre les dispositifs de protection de l’enfance et ceux d’accompagnement du handicap. Nous sommes également saisis de cas concernant les IME qui éprouvent de réelles difficultés à disposer d’enseignants spécialisés et formés. J’ajoute que l’école est organisée en fonction des tranches d’âge. Ainsi, il serait souhaitable qu’un enfant prématuré scolarisé à partir de 3 ans puisse passer par des cycles d’adaptation sans avoir à redoubler, mais les dispositifs le permettant – par exemple des classes à deux niveaux d’âge – n’existent pas. Pour les élèves en situation de handicap, il faudrait également pouvoir aménager leur scolarité, afin qu’ils échappent à la pression de la performance scolaire – que l’on voit par exemple à l’œuvre avec Parcoursup – et recruter des instituteurs spécialisés.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Mireille Battut.

    Mme Mireille Battut

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    Mon fils de 15 ans, pour lequel nous n’avons pas trouvé de place dans mon département, est scolarisé en Belgique, depuis un mois. En Wallonie, les écoles spécialisées ne sont pas gérées par l’IME : elles le sont par la Fédération Wallonie-Bruxelles. En France, ce n’est pas l’éducation nationale. J’insiste sur cette différence, car elle est très importante. Par ailleurs, dans ces écoles, l’instruction, par construction, est à temps plein, sauf si l’enfant n’y arrive pas, auquel cas des possibilités de faire autre chose, comme des ateliers, lui sont ouvertes.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Nathalie Bassire.

    Mme Nathalie Bassire (LIOT)

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    Je remercie les intervenants pour leurs explications ainsi que pour leur engagement auprès des enfants et de leurs parents qui, bien souvent, se retrouvent seuls et perdus. Ils ont besoin d’une dynamique de soutien. Je remercie également le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES pour ce débat.
    Vous semblez regretter que l’AESH n’ait pas de lien direct avec les parents. Pensez-vous que nous devrions proposer une autre solution ? L’enseignant a parfois moins de liens avec l’enfant que la personne qui doit s’en occuper et qui connaît à ce titre ses attentes et ses besoins.
    Certains enfants présentant un trouble du comportement sont parfois, en raison du manque de place ou d’accompagnement, orientés vers un hôpital de jour. Des initiatives privées regroupant des professionnels du champ médico-social, dont des éducateurs spécialisés libéraux intervenant dans les écoles et à domicile, vous semblent-elles de nature à pouvoir pallier ces manques ?

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Mireille Battut.

    Mme Mireille Battut

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    Il faut remettre le mode de fonctionnement à plat. Solliciter les parents à chaque fois qu’il y a un problème à l’école pour leur demander de venir chercher leur enfant est la pire des façons de communiquer. Il est préférable de réfléchir à une communication permettant de faire des points réguliers et, de ce point de vue, l’absence de relation entre l’AESH et les parents est regrettable. Le rôle de l’AESH a été construit de telle manière qu’il est aujourd’hui comme une béquille. Il s’agit de compensation et non d’accessibilité, laquelle ne saurait être réduite à une simple présence pour répéter. Il nous faut repenser comment l’enfant est accompagné par des éducateurs et des accompagnants en continu, sans séparer les moments à la cantine ou dans la cour de récréation.
    En ce qui concerne les professionnels libéraux, hélas, nous devons y avoir recours en raison des insuffisances du public. Ainsi, à côté de chez moi, à Gentilly, La Maison gentilléenne a été créée, avec l’aide de la mairie, pour accueillir les enfants déscolarisés qui n’ont rien à faire de toute la journée. Des professionnels libéraux y travaillent et nous essayons de financer les coûts de leurs services par les tickets de compensation de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH). Nous préférerions que l’école publique et le secteur médico-social collaborent pour construire de vraies plateformes pour nos enfants et que, par exemple, il existe davantage de places dans les Sessad.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Aurélia Sarrasin.

    Mme Aurélia Sarrasin

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    Si l’on replace l’enfant au centre du projet, il est nécessaire de prévoir que l’ensemble des acteurs puissent communiquer, sans doute pas tous les jours pour faire un bilan, mais à des moments clés, une ou deux fois par an, avec l’enseignant référent. Une telle communication, qui permettrait de mieux prendre en considération les besoins de l’élève, me paraît être la base.
    Concernant votre question sur le privé et les éducateurs libéraux, il faut se demander si la société est prête à faire les efforts nécessaires pour accueillir l’ensemble des élèves et leur garantir le droit à l’éducation. Si la réponse est positive, alors les AESH doivent être reconnus et formés par l’éducation nationale. Dans le cas contraire, les élèves se trouvent mis en concurrence, certaines familles pouvant payer un AESH ou un éducateur privé, hors de tout contrôle et de vérification de leur formation, quand d’autres, les laissés pour compte, verront leur enfant mis sur liste d’attente. Ce projet d’inégalité d’accès à l’inclusion n’est pas celui que l’école doit soutenir.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Francesca Pasquini.

    Mme Francesca Pasquini (Écolo-NUPES)

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    Pour avoir quitté l’éducation nationale en juin dernier, je connais bien la situation qui nous est décrite aujourd’hui. Elle nous est d’ailleurs souvent rappelée, à juste titre, lors de nos permanences en circonscription. Face à des parents et des élèves en situation de handicap également en souffrance, à des enseignants désemparés et aux camarades assistant à ces moments de souffrance, le Gouvernement ne mène aucune action concrète. Le collectif Une école inclusive pour tous nous l’a encore rappelé jeudi dernier. Une des mères présentes nous a d’ailleurs suppliés, les larmes aux yeux, de leur venir en aide et nous n’avons de cesse de relayer leurs demandes et de dénoncer ces drames.
    Ma question est la suivante : avez-vous recensé le nombre de recours administratifs pour non-respect du droit à l’éducation ? L’éducation nationale suggère souvent aux parents de recourir au tribunal administratif pour que leur enfant accède à ses droits. Qu’en pensez-vous ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Éric Delemar.

    M. Éric Delemar

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    Nous ne disposons pas de ces chiffres. On pourrait penser que les décisions condamnant l’État feraient jurisprudence et l’inciterait ainsi à agir, mais les délais et l’état de tristesse, de colère et de découragement des familles sont tels que ce n’est pas le cas. Certains parents qui ont effectué des démarches ayant abouti à une solution pour leur enfant ont même vu la cour évaluer ces démarches négativement plutôt que de garantir le droit à scolarisation par l’État.
    La saisine du tribunal est certes un droit fondamental, et nous devons nous féliciter qu’elle existe, mais elle est, comme le recours à des professionnels libéraux, un choix par défaut qui ne créera pas de places supplémentaires. Il faut déployer les professionnels du secteur médico-social à l’école, car ce sont eux, plutôt que les professionnels libéraux intervenant au cas par cas, qui sont à même de créer une culture de la transversalité. Ils pourront aider et soutenir leurs collègues enseignants quand ceux-ci en auront besoin.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Mireille Battut.

    Mme Mireille Battut

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    En général, le recours est indemnitaire. Il ne nous donne donc pas satisfaction puisque ce que nous voulons, c’est que nos enfants soient scolarisés. Par ailleurs, les rares condamnations de l’État ne lui coûtent rien quand on compare leur montant au coût de la scolarisation de ces enfants. Ces recours indemnitaires sont donc une impasse. L’État devrait être condamné à exécuter son obligation de scolarisation.

    Mme la présidente

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    Nous en avons terminé avec les questions. Je remercie nos invités pour leur participation. Avant de passer à la seconde phase de notre débat, je vais suspendre brièvement la séance.

    Suspension et reprise de la séance

    Mme la présidente

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    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinquante-cinq.)

    Mme la présidente

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    La séance est reprise.
    La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.

    M. Pap Ndiaye, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse

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    Je tiens en premier lieu à remercier le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES pour l’organisation de ce débat, dont le sujet concerne le quotidien et l’avenir de centaines de milliers d’élèves, de familles et de professionnels de l’éducation nationale et du secteur médico-social. L’intitulé que vous avez choisi m’incite d’emblée à répondre clairement : oui, l’école inclusive est une réalité.
    En effet, le système scolaire accueille plus de 430 000 élèves en situation de handicap. La croissance annuelle de ce nombre dépasse 6 % et elle est désormais plus forte dans le second degré que dans le premier degré, ce qui dénote la progression des élèves en question, preuve qu’ils tirent profit de leur scolarisation. L’école inclusive constitue également une réalité pour les équipes pédagogiques, puisque quasiment tous les enseignants ont accueilli un jour dans leur classe un enfant en situation de handicap – ils y sont d’ailleurs préparés lors de leur formation initiale. Elle constitue enfin une réalité du point de vue des ressources engagées par l’État, puisque mon ministère a dédié à l’école inclusive près de 3,9 milliards d’euros en crédits de paiement dans le cadre du budget pour 2023, soit 1,7 milliard de plus qu’en 2017, ce qui représente une augmentation supérieure à 80 %.
    L’accueil des élèves en situation de handicap repose sur une aide humaine ayant également connu une croissance considérable, puisque le nombre d’accompagnants d’élèves en situation de handicap a augmenté de 50 % depuis 2017 et s’élève aujourd’hui à plus de 130 000. Il y a désormais un AESH pour huit enseignants, de sorte qu’il s’agit désormais du deuxième métier le plus représenté au sein de l’éducation nationale.
    Nous avons également multiplié les dispositifs d’inclusion. Ainsi, les classes Ulis sont au nombre de 10 300 et seront présentes dans chaque collège d’ici à la fin du quinquennat. De plus, nous avons collaboré avec Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées, au développement de dispositifs permettant l’inclusion d’élèves qui souffrent d’un handicap nécessitant un accompagnement médico-social soutenu. Je pense par exemple aux unités d’enseignement externalisées destinées aux enfants atteints de troubles autistiques ou encore aux enfants polyhandicapés.
    Toutes ces mesures constituent une transformation profonde de l’école et un progrès majeur pour des centaines de milliers d’enfants et pour leurs familles. Il s’agit d’un grand pas vers la construction d’une société pleinement inclusive. Ignorer cette réalité reviendrait à se montrer aveugle à l’engagement des équipes sur le terrain et des différents responsables politiques qui œuvrent depuis longtemps à la construire.
    Le système est-il pour autant parfaitement abouti ? Tenons-nous pleinement notre promesse d’égalité ? De toute évidence, ce n’est pas encore le cas. Notre système d’école inclusive connaît des limites qu’il importe d’identifier et de dépasser. Sans évoquer d’emblée chacune des nombreuses difficultés auxquelles il fait face, car je sais que vous aurez l’occasion de m’interroger à ce sujet – je serai alors heureux de vous répondre –, je tiens à mentionner deux d’entre elles, qui me semblent particulièrement structurantes.
    La première limite de l’école inclusive sous sa forme actuelle réside dans le choix collectif de privilégier la compensation par rapport à l’accessibilité. En d’autres termes, ce choix s’est traduit par le caractère quasi unique, voire presque automatique, de la réponse à apporter aux élèves en situation de handicap, à savoir l’aide humaine dans la classe, le recours aux AESH. Je crois pourtant qu’il ne s’agit pas toujours de la meilleure solution pour faire progresser les élèves, améliorer leur autonomie et garantir leur accès au savoir ; d’ailleurs, nous ne pourrons pas accroître sans fin le nombre d’AESH en réponse aux notifications des MDPH.
    Cette réponse systématique, qui est insatisfaisante sur le fond, pose également des difficultés concrètes de recrutement et de valorisation du métier d’AESH, ô combien essentiel. Si nous avons pris des mesures pour améliorer la situation des AESH, nous devons trouver les moyens de proposer un temps complet à ceux qui le souhaitent. Cette approche unique pose enfin des problèmes dans certaines classes où l’enseignant est entouré de plusieurs AESH. L’aide humaine est indispensable pour assister certains élèves et pour accompagner l’augmentation de leur nombre dans le second degré, cela est incontestable ; néanmoins, il convient de mobiliser également d’autres solutions.
    La seconde difficulté réside dans la capacité de l’école, en l’état, à accueillir davantage d’enfants souffrant d’un handicap nécessitant des soins plus poussés, des ressources éducatives plus étendues et des approches pédagogiques plus différenciées. Malgré l’appui du secteur médico-social, qui leur apporte des soins et un accompagnement éducatif, force est de reconnaître que de nombreux enseignants se sentent en difficulté lorsqu’il s’agit d’accueillir et de faire progresser ces élèves. Il importe de trouver des réponses à ces alertes et à ces préoccupations légitimes, qui témoignent de l’engagement des équipes éducatives. Si nous ne résolvons pas ces problèmes, ils mettront en péril l’évolution de l’inclusion scolaire.
    Dès lors, il nous faut faire advenir ce que nous appelons l’acte II de l’école inclusive, qui permettra d’approfondir le mouvement engagé en la matière et de mieux répondre aux enjeux d’inclusion. Il convient d’apporter une réponse plus adéquate aux attentes des familles et des professionnels, en prenant toujours pour boussole l’intérêt des élèves. Ce travail s’inscrit dans une réflexion plus générale, pilotée par Geneviève Darrieussecq, qui aboutira à la Conférence nationale du handicap (CNH) prévue pour la fin du mois d’avril.
    Sans préjuger de ses conclusions, je voudrais vous exposer sur quoi elle se fonde : d’abord sur la mobilisation des acteurs de l’école inclusive. Nous avons notamment instauré un groupe de travail composé de parlementaires, que je remercie au passage, d’associations, de représentants des parents d’élèves, de représentants des collectivités territoriales, de membres du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), de directeurs de MDPH, des administrations de l’État concernées et d’inspecteurs de l’éducation nationale. Ce groupe a émis une douzaine de propositions, comme la constitution d’équipes ressources dans chaque école ou chaque établissement, ou la conception d’écoles et d’établissements qui incluent des équipes médico-sociales dans leurs murs ou à proximité.
    En parallèle, nous discutons avec les organisations qui, elles aussi, nous font part de leurs constats et de leurs propositions. Nous expertisons ces propositions qui alimenteront les mesures que nous prendrons.
    En outre, cette réflexion s’appuie sur quelques principes et orientations qui convergent avec les analyses du groupe de travail que je viens d’évoquer. Il faut d’abord réaffirmer que tous les enfants, quels qu’ils soient, ont un droit et une obligation d’instruction. Il est de notre devoir d’assurer l’effectivité de ce droit. Pour cela, l’école devra être la clef d’entrée de l’accueil et de l’accompagnement des familles et des élèves pour assurer leur bonne scolarisation. C’est dans cet esprit, par exemple, que j’ai décidé qu’à partir de la rentrée 2023, tous les enfants, y compris ceux qui sont dans des établissements médico-sociaux, se verront attribuer un identifiant national élève qui les rattachera à l’éducation nationale et à une école.
    Ensuite, l’école inclusive doit mobiliser de manière permanente l’ensemble des moyens d’accessibilité et de compensation, pour devenir à terme accessible par défaut. Le point de départ est donc bien l’adaptation pédagogique et l’accessibilité de l’école. L’accompagnement humain interviendra toujours mais il doit retrouver sa juste place.
    Enfin, pour atteindre ces objectifs et pour que les familles puissent mieux s’orienter et être accompagnées, l’échelon territorial de proximité doit être renforcé. L’établissement scolaire doit devenir progressivement le lieu où tous les acteurs de la communauté éducative, les élèves comme les enseignants, disposent du soutien nécessaire. Tout cela suppose, comme le suggère le groupe de travail, de renforcer la présence du secteur médico-social dans les écoles et les établissements, de faire des efforts importants de formation et de partage de cultures professionnelles et de réaffirmer la responsabilité de l’éducation nationale dans la détermination des solutions qui conviennent à chaque élève.
    Je voudrais insister sur deux points. Premièrement, ma conviction est qu’aller vers une école plus inclusive est une obligation politique qui repose sur notre pacte social républicain. C’est une obligation juridique, étant donné les engagements internationaux de la France, et c’est surtout une obligation à l’égard des élèves concernés et de leurs familles.
    Deuxièmement, cet approfondissement de l’inclusion à l’école pour les élèves en situation de handicap bénéficiera à tous les élèves, en réalité, à commencer par ceux qui, sans qu’ils soient reconnus en situation de handicap, ont des besoins d’apprentissage particuliers pour telle ou telle raison. Cette évolution est parfaitement cohérente avec les autres objectifs que je défends, notamment la réussite des élèves et l’amélioration de la mixité sociale et scolaire.
    J’ai commencé mon intervention en soulignant l’intérêt de ce débat. Nos échanges et les points de vue que vous exprimerez, auxquels je prêterai la plus grande attention, permettront, j’en suis certain, de nourrir et d’enrichir les mesures concrètes que nous prendrons sur ce sujet.

    Mme la présidente

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    Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique. J’insiste sur ce point car il y a beaucoup de questions.
    La parole est à Mme Soumya Bourouaha.

    Mme Soumya Bourouaha (GDR-NUPES)

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    Je tiens à remercier les trois intervenants qui ont accepté de participer à ce débat – je n’ai pas eu l’occasion de le faire précédemment. Cet échange nous a rappelé combien l’école inclusive reste à construire et à quel point les souffrances sont grandes pour les enfants en situation de handicap, leurs parents, les accompagnants et les enseignants.
    L’une des priorités pour remédier à la situation actuelle est de créer un véritable statut des AESH et des perspectives réelles d’évolution de carrière. Trop d’enfants sont déscolarisés car nous manquons de professionnels pour les accompagner. Et pour cause, les conditions d’exercice sont bien trop précaires pour être attractives : trois années en CDD avant un éventuel contrat en CDI, un renouvellement limité à six ans, un salaire inférieur au seuil de pauvreté du fait des temps partiels souvent imposés. Il faut mettre fin à cette maltraitance des AESH.
    La création d’un corps de fonctionnaires accompagné d’un renforcement des formations et un traitement pour un service à temps complet sont parmi les priorités. Nous considérons que ces mesures représentent non pas un coût mais un bénéfice incontestable pour l’ensemble de notre société.
    Monsieur le ministre, je souhaite également vous interroger sur le rôle de l’école dans la sensibilisation au handicap. Comme vous le savez, le handicap est la première cause de discrimination en France. En 2019, une enquête réalisée par l’association Les Papillons conclut que 35 % des élèves en situation de handicap ont subi des faits de harcèlement scolaire contre 14 % pour les enfants valides. Nous pensons que l’école doit être le premier lieu de sensibilisation au handicap mais ces données démontrent que les actions menées sont insuffisantes.
    Comment répondre aux revendications des accompagnants, des parents et des enseignants en instaurant un vrai statut des AESH ? Quelles initiatives comptez-vous instaurer pour lutter contre le harcèlement scolaire qui touche particulièrement les enfants handicapés ? Comment renforcer la sensibilisation au handicap dans les écoles ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Votre question comprend deux volets. Au sujet des AESH, je remarque d’abord les avancées récentes. Il est désormais possible de signer un contrat en CDI au bout de trois ans, comme vous l’avez rappelé – c’était d’ailleurs une initiative parlementaire. En outre, la rémunération augmentera de 10 % à compter du 1er septembre 2023. Les primes d’éducation prioritaire sont acquises à partir du 1er janvier 2023 – il y a un petit retard de versement, mais je suis cette affaire de près. Enfin, la question du temps complet se pose en effet, car beaucoup d’AESH ne sont pas employés 35 heures mais 24 heures par semaine.
    J’ai envoyé une circulaire le 4 janvier 2023 pour ouvrir la possibilité aux AESH de cumuler leur temps de travail scolaire et leur temps de travail périscolaire, les deux salaires étant versés sur la même fiche de paie, ce qui répond à une demande parfaitement légitime de leur part. Nous avons instauré un système de rétropaiement des collectivités au ministère de l’éducation nationale, puisque la décision du Conseil d’État du 20 novembre 2020 nous oblige à faire une distinction claire entre le temps scolaire et le temps périscolaire.
    Quant à la création d’un corps, nous n’y sommes pas favorables pour des raisons pratiques qui sont liées au fait qu’un concours annuel nous empêcherait de répondre aux demandes d’AESH qui s’étalent tout au long de l’année en fonction des notifications des MDPH. Des questions se posent également pour les AESH issus de pays hors de l’Union européenne ou qui n’ont pas le baccalauréat. Je suis favorable à une CDIsation solide, avec des progressions de carrière et des rémunérations correctes.
    Madame la présidente, puisque je ne dispose que de deux minutes, je m’arrête là, et je reviendrai sur la question du harcèlement ultérieurement.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Nathalie Bassire.

    Mme Nathalie Bassire (LIOT)

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    De nombreux témoignages sur les réseaux et sur le terrain nous renseignent sur l’état de l’école inclusive en France. À l’instant, nous avons entendu la secrétaire générale du Snes-FSU, un membre du collectif Parents du 94, elle-même mère d’un enfant en situation de handicap, et le Défenseur des enfants.
    Combien de parents dénoncent le manque cruel d’AESH ou le fait que les heures de prise en charge de leur enfant soient revues à la baisse malgré des préconisations de la MDPH ? Combien sont-ils à se sentir seuls face à des institutions qui sont bien trop souvent muettes ? Par manque d’AESH, par manque de places dans des instituts médico-sociaux, par manque de formation des enseignants, certains de nos enfants sont déscolarisés ou placés en hôpital de jour pour un accompagnement par défaut. Le dispositif Pial a été instauré en 2017. Pouvons-nous évaluer son efficacité ? Pourrait-on envisager le rattachement des AESH du Pial à la direction de l’établissement dont ils dépendent, pour optimiser leurs interventions ?
    Le droit à la scolarisation de tout enfant en situation de handicap, ce droit à l’école réaffirmé par la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées du 11 février 2005 qui reconnaît la responsabilité de l’éducation nationale, mérite la plus grande attention de l’État.
    Pour soutenir la scolarisation de tous les enfants qui attendent d’intégrer une autre structure, peut-on imaginer un soutien de l’État à des initiatives privées qui regroupent des professionnels du champ médico-social, dont des éducateurs spécialisés libéraux qui interviennent déjà directement dans les écoles ou à domicile ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Nous sommes parfaitement conscients des difficultés pour recruter et pour répondre aux notifications des MDPH. J’ai noté précédemment les efforts que nous avons consentis : nous créerons à la rentrée prochaine 4 000 postes d’AESH supplémentaires après en avoir créé 4 000 à la rentrée 2022, mais nous devons faire face à des notifications que nous recevons très régulièrement, tout au long de l’année – dans certains départements davantage que dans d’autres.
    Cette situation nous pousse à penser l’acte II de l’école inclusive. Nous constatons en effet que nous ne pouvons pas répondre aux besoins de nos élèves seulement par des créations sans fin – si je puis dire – d’AESH, alors même que nous n’arrivons pas à rattraper – si je puis m’exprimer ainsi – le nombre de notifications et donc à fournir une réponse structurelle aux besoins déterminés d’un point de vue médical par les MDPH.
    Nous avons mené une discussion étroite avec les MDPH pour établir la réponse pédagogique que doit apporter l’école, par différence avec l’évaluation médicale qu’établit la MDPH. Nous tenons en effet à l’évaluation pédagogique des besoins des enfants.
    Le Pial est en effet une création récente. Nous constatons des irrégularités et des variations importantes dans la situation des Pial et le plan que nous proposerons pour cet acte II de l’école inclusive vise aussi à s’appuyer sur des Pial renouvelés pour garantir une meilleure efficacité dans la gestion des AESH et de leur carrière professionnelle.
    Je répondrai, si vous me le permettez, à votre dernière question ultérieurement, si l’occasion m’en est offerte.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Marine Hamelet.

    Mme Marine Hamelet (RN)

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    Monsieur le ministre, je souhaiterais appeler votre attention sur le cas des enfants et des adolescents à très haut potentiel intellectuel (THPI), que l’on appelle familièrement des surdoués, et que la psychologue clinicienne Jeanne Siaud-Facchin a récemment appelé les « zèbres » dans L’Enfant surdoué. Ces « zèbres » représentent environ 2 % de la population, soit un peu plus de 250 000 enfants scolarisés en France. Parmi eux, 45 % connaissent le redoublement scolaire et 20 % n’atteignent pas le bac. Schématiquement, ce sont des enfants avec un quotient intellectuel supérieur à 130.
    Outre une puissance intellectuelle élevée, ces enfants développent une forme particulière d’intelligence et une manière de raisonner différente. Sur le plan affectif, ils développent très souvent une hypersensibilité qui peut conduire à une vulnérabilité émotionnelle et psychologique, qui se traduit malheureusement dans certains cas par une mise à l’écart et une mise à distance par rapport au groupe. Désormais, les enseignants identifient assez rapidement la nécessité d’un dépistage. Une fois le diagnostic posé, on attend beaucoup de ces enfants surdoués. On pense que leur haut potentiel va en faire naturellement des élèves brillants dans l’environnement scolaire.
    Malheureusement, faute d’un nombre suffisant d’unités d’enseignement adaptées, la réalité est différente. Si l’article L. 321-4 du code de l’éducation dispose bien que « des aménagements appropriés sont prévus au profit des élèves à haut potentiel ou manifestant des aptitudes particulières afin de leur permettre de développer pleinement leurs potentialités […] », cette intention ne se traduit pas toujours concrètement. Nous devons donc aller plus loin et développer des écoles dites intégratives, qui regroupent les enfants surdoués au sein d’une même classe, parmi d’autres enfants, et qui ont un véritable projet pédagogique courant de la maternelle à la terminale.
    En France, les écoles publiques adaptées aux élèves à haut potentiel sont rarissimes : c’est le cas, depuis la dernière rentrée scolaire, du lycée public Émile-Dubois, dans le 14e arrondissement de Paris, qui dispose d’une « classe passerelle » en seconde, afin de permettre aux élèves HPI d’aborder plus sereinement le lycée. Mais la majorité des structures d’enseignement adaptées ne sont pas gratuites et y inscrire leurs enfants représente une charge pour les familles. Monsieur le ministre, envisagez-vous, à long terme, de développer davantage d’écoles adaptées, en particulier des écoles dites intégratives, qui présentent les meilleurs résultats en matière d’inclusion pour les enfants HPI ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    La question des enfants à haut potentiel intellectuel a émergé de manière relativement récente dans le paysage scolaire. À ce stade, je ne peux donc vous apporter qu’une réponse prudente. Il existe effectivement des unités d’enseignement adaptées aux enfants HPI qui proposent des aménagements appropriés. Vous les estimez trop peu nombreuses, mais nous devons avant tout évaluer la situation, car la qualification HPI et l’évaluation permettant de la reconnaître font aujourd’hui l’objet de débats.
    Néanmoins, je suis très réservé s’agissant du développement d’établissements qui leur seraient exclusivement destinés :…

    Mme Marine Hamelet

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    Ce n’est pas ce que j’ai dit.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    …comme je l’ai déjà indiqué, nous devons garantir le principe d’une école accueillant tous les enfants, quitte à prévoir des enseignements adaptés au sein d’établissements ordinaires. Avant de développer davantage d’unités d’enseignement adaptées – c’est effectivement ce vers quoi nous devons tendre, et c’est d’ailleurs prévu –, nous devons évaluer la situation et réfléchir sur le sujet, car pour l’instant, à l’image du nombre d’unités, notre compréhension globale du phénomène est encore peu développée.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Rodrigo Arenas.

    M. Rodrigo Arenas (LFI-NUPES)

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    Les remontées du terrain font état d’une multiplication des procédures d’exclusion des enfants présentant des troubles du comportement par les conseils de discipline. Alors qu’ils sont censés suivre une scolarité dite normale, on les sort petit à petit du système scolaire en raison de comportements non adaptés, notamment par le biais des conseils de discipline.
    Pourtant, ces enfants devraient être entourés, protégés par les consignes des personnels soignants qui ne sont pas appliquées dans les établissements scolaires faute de moyens. Alors, presque inévitablement, ces enfants que l’institution place dans des situations anxiogènes n’ont d’autre issue que de manifester de la violence à l’encontre des personnels enseignants ou de leurs camarades de classe : l’école les maltraite, interrompt leur parcours scolaire et, finalement, ce sont les parents – le plus souvent, les mères – qui sont contraints de cesser leur carrière pour prendre soin d’eux.
    Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour remédier à cette défaillance de l’éducation nationale qui, de fait, déscolarise des enfants ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Je ne dispose pas de données particulières faisant état d’une éventuelle croissance du nombre d’exclusions d’élèves prononcées par des conseils de discipline, que ce soit en collège ou en lycée : je vais me renseigner.

    M. Rodrigo Arenas

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    Je vous transmettrai mes données.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Vous faites allusion à une catégorie d’élèves, ceux que l’on qualifie souvent de poly-exclus car ils ont été exclus de plusieurs établissements. Leur parcours scolaire est très complexe, et sa complétion parfois compromise. La réponse à apporter à ces cas est évidemment complexe, et nous avons d’ores et déjà créé des classes relais dans plusieurs établissements. Je répète que je n’ai pas eu connaissance d’une croissance du nombre d’exclusions de ce type d’élèves prononcées par des conseils de discipline : si vous avez des données, n’hésitez pas à me les transmettre, je les regarderai de près.

    M. Rodrigo Arenas

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    Bien sûr !

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Une chose est claire : quel que soit le comportement des élèves – y compris de ceux présentant des troubles du comportement manifestes –, nous ne devons jamais faillir à notre mission : scolariser tous les élèves, quels que soient leur statut juridique ou les difficultés qu’ils peuvent rencontrer, même si les conditions d’accueil que nous pouvons proposer sont parfois compliquées.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Maxime Minot.

    M. Maxime Minot (LR)

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    Je suis ravi, monsieur le ministre, d’apprendre que vous êtes favorable à la transformation en CDI des contrats des AESH. Je voudrais néanmoins revenir sur leurs conditions d’emploi. Le contrat des AESH prévoit généralement 24 heures de travail par semaine, puisqu’il s’agit de la durée du temps scolaire : cela représente donc seulement 60 % d’un temps plein. Or, au regard de tout le temps de travail que leur mission leur impose en dehors des heures de classe, leur emploi devrait être assimilé à un temps plein, et donc rémunéré comme tel.
    Par ailleurs, nous devons mieux former les AESH, notamment en renforçant la formation continue et en prévoyant des formations en dehors des heures consacrées à l’accompagnement des enfants. Proposer des formations communes aux AESH et à d’autres intervenants entourant l’enfant souffrant de handicap permettrait de renforcer la cohésion entre les différents intervenants, de décloisonner les métiers et d’encourager l’interaction et l’échange. C’est en valorisant le quotidien des AESH, collectivement et en responsabilité, que l’inclusion des enfants souffrant d’un handicap deviendra une normalité, même si c’est un terme que je répugne à utiliser. Ensemble, nous devons soutenir un véritable projet de réhabilitation et de reconnaissance des AESH. Quelle est votre position au sujet de la reconnaissance et de l’attractivité de ce métier ?

    M. Rodrigo Arenas

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    Excellent !

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Comme je l’ai déjà indiqué, nous devons en effet tendre vers des contrats de 35 heures, et nous formulerons des propositions en ce sens dans le cadre de la Conférence nationale du handicap. Je vous rappelle que l’intégration des heures effectuées en périscolaire au contrat de travail de l’éducation nationale a d’ores et déjà état facilité, et que les AESH sont actuellement rémunérés sur quarante et une semaines, et non uniquement les trente-six semaines de temps scolaire, ce qui permet de reconnaître environ trois heures de travail supplémentaires hebdomadaires en plus des vingt-quatre heures d’accompagnement des élèves.
    Par ailleurs, je suis d’accord avec vous : il faut mieux former les AESH. En théorie, les AESH suivent 60 heures de formation, qui sont dispensées au fil de l’eau, notamment au cours du premier trimestre suivant la prise de fonction – il ne s’agit pas d’une formation préalable. Mais elles sont inégalement suivies, et nous devons absolument améliorer cette formation : nous y réfléchissons.
    Un contrat de travail de 35 heures, une meilleure formation, une meilleure rémunération : autant d’avancées nécessaires pour reconnaître davantage l’important métier d’AESH. Dans le cadre de la Conférence nationale du handicap, nous proposerons de confier davantage de missions aux Pial, qui n’assurent pour l’instant que des fonctions strictement administratives. Je serai heureux de parler avec vous de ce sujet à la suite de la Conférence et de vous informer de ses conclusions.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Fatiha Keloua Hachi.

    Mme Fatiha Keloua Hachi (SOC)

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    La semaine dernière, j’ai reçu, avec d’autres députés, le collectif Une école inclusive pour tous, né dans ma circonscription et composé de parents d’élèves en situation de handicap. Ces derniers nous ont remis un cahier de doléances et leur constat était sans appel : selon eux, le manque criant d’AESH est le nœud du problème de l’inclusion dans l’école publique.
    Dans votre propos liminaire, monsieur le ministre, vous avez suggéré que l’aide humaine n’est pas la seule bonne réponse aux problèmes d’inclusion : nous pensons, bien au contraire, que l’aide humaine est la première des réponses, le maillon indispensable et essentiel de la chaîne de tous les acteurs de l’école inclusive – nous sommes bien d’accord sur ce dernier point. Or les AESH n’apparaîtront pas comme par miracle ! Aujourd’hui, ce n’est pas un métier attractif, et pour cause : mi-temps forcé, rémunération d’à peine 800 euros par mois, contrats précaires, au moins au cours des trois premières années : qui, ici, voudrait travailler dans de telles conditions ? Et, de fait, les candidats ne se bousculent pas.
    Ma question est donc simple : quand allez-vous prendre la mesure du problème et améliorer les conditions de travail des AESH ? Signature d’un CDI à temps plein dès l’embauche, augmentation salariale significative, passage à temps complet – une durée qu’elles effectuent déjà, comme M. Minot l’a rappelé, puisqu’au-delà des 26 heures de leur contrat, elles participent à toutes les réunions de l’équipe éducative, dont elles font partie :…

    M. Maxime Minot

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    C’est exactement ça !

    Mme Marine Hamelet

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    Tout à fait !

    Mme Fatiha Keloua Hachi

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    …elles devraient donc être payées comme pour un temps plein, sans pour cela avoir besoin d’y ajouter les heures effectuées en périscolaire –,…

    M. Rodrigo Arenas

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    Exactement !

    M. Maxime Minot

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    C’était le sens de mon intervention.

    Mme Fatiha Keloua Hachi

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    … formation de niveau bac, du type bac pro petite enfance : autant de pistes d’amélioration des conditions d’emploi des AESH. En outre, avec seulement 130 000 AESH pour 430 000 élèves en situation de handicap, garantir aux AESH d’effectuer tout leur service au sein d’un seul établissement n’est pas possible, et votre proposition de créer 4 000 nouveaux postes d’AESH par an est absolument insuffisante. Monsieur le ministre, que pensez-vous de ces propositions ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    J’ai déjà insisté sur la progression spectaculaire du nombre d’AESH ces dernières années : cette hausse indéniable en fait le deuxième métier de l’éducation nationale. Comme je l’ai indiqué, le contrat de 24 heures des AESH ne leur garantit pas une rémunération suffisante : il faut donc, je l’ai dit, tendre vers des contrats de 35 heures. À cet égard, nous formulerons des propositions dans le cadre de la Conférence nationale du handicap, car inclure le temps périscolaire dans le contrat n’est pas la seule solution.
    Néanmoins, sur le fond, l’accroissement du nombre d’AESH n’est pas la seule réponse que l’on peut – et doit – apporter aux besoins de l’école inclusive. Il existe toute une gamme de réponses aux besoins particuliers, qui ne nécessitent pas tous forcément la présence d’une AESH : l’éventail des réponses pédagogiques est large. Aujourd’hui, ce sont les MDPH qui notifient à l’école l’affectation d’une AESH, qu’elle soit individuelle ou mutualisée, mais nous souhaitons maîtriser davantage ce sujet afin d’apporter une réponse pédagogique adaptée.
    N’oublions pas que, lorsque c’est possible, la finalité de l’accompagnement par une AESH est l’autonomie : il faut penser à la sortie du dispositif, imaginer que les élèves puissent ne plus avoir besoin d’une AESH. Plutôt que de nous en tenir à une réponse quantitative, d’une certaine manière, accréditant la thèse qu’un accroissement illimité du nombre d’AESH satisferait les besoins de l’école inclusive, nous devons réfléchir en termes de parcours et mettre à plat un système qui, reconnaissons-le, est embolisé : c’est l’acte II de l’école inclusive.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

    Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES)

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    Monsieur le ministre, vous évoquiez à l’instant même l’objet de ma question. Si l’on ne peut en rester à un point de vue quantitatif, d’après un recensement effectué par le collectif Parents du 94, un tiers des enfants porteurs de handicap ne sont accueillis dans aucune structure dans le Val-de-Marne ! S’il ne s’agit pas de prévoir un ou une AESH pour chaque enfant ayant des besoins particuliers, il faut incontestablement augmenter le nombre de personnels, pour répondre au déni actuel des droits des enfants et des familles concernés.
    Or nous ne pouvons que constater que le déploiement des Pial dans les territoires, bien loin d’améliorer la situation, l’a détériorée, en détériorant les conditions de travail, en morcelant les prises en charge et en favorisant le temps partiel qui, finalement, est subi non seulement par les AESH, mais également par les enfants. Si un tel accompagnement à trou correspond à la notification et aux besoins de certains enfants, ce n’est pas le cas pour de nombreux autres, pour lesquels il s’explique par un défaut de moyens. Pourtant, comme vous le rappeliez, le droit à l’instruction est un droit fondamental des enfants.
    Le droit à l’instruction implique également que les enseignants soient formés – c’est l’objet de ma deuxième question. Combien d’UEMA et d’Ulis ne sont pas pourvues d’un nombre suffisant d’enseignants ? Dans combien d’IME les services d’enseignants ne correspondent-ils pas aux enfants accueillis ? Le droit à l’instruction doit valoir non seulement dans les écoles, mais également dans les établissements médico-sociaux. La question est donc celle du nombre d’AESH, mais aussi celle du nombre d’enseignants et d’enseignantes formés pour permettre aux enfants concernés d’accéder au savoir et aux connaissances.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    La situation actuelle n’est pas du tout celle d’un « déni des droits », pour reprendre votre expression. Au contraire, notre réponse consiste, entre autres, à augmenter le nombre de personnels, en créant 4 000 postes d’AESH par an ; c’est un effort significatif. Le budget de l’éducation nationale consacré à l’école inclusive a crû de façon très importante ces dernières années et je m’en réjouis, bien entendu. J’indique toutefois qu’une réponse consistant à simplement augmenter le nombre de personnels n’est pas la bonne pour l’école inclusive. Notre pays compte plus de 130 000 AESH pour 430 000 élèves à besoins particuliers ; parmi ceux-ci, beaucoup n’ont pas besoin de l’accompagnement d’une AESH, qu’il soit individuel ou mutualisé.
    Oui, nous continuerons à créer des postes d’AESH – 4 000 à la rentrée prochaine, je le répète. Nous les payons mieux ; nous nous assurons qu’ils bénéficient des primes de l’éducation prioritaire et d’un CDI après trois ans d’exercice – je ne suis pas défavorable d’ailleurs à ce qu’ils bénéficient d’un tel contrat plus précocement ; je suis même ouvert sur ce point. Je suis bien conscient qu’il faut faire progresser les conditions de travail des AESH et que le bilan des Pial est contrasté – nous formulerons donc des propositions sur ce point dans le cadre de la Conférence nationale du handicap.
    Quant à votre propos sur la formation des enseignants, je suis d’accord avec vous. Il faut les former. Nous le faisons, puisque, dans le cadre de la formation initiale, 25 heures sont consacrées à l’accueil des enfants en situation de handicap. Nous fournissons en outre un important effort de formation continue pour permettre notamment aux enseignants d’enseigner dans les Ulis – les établissements de notre pays comptent actuellement 10 300 de ces unités, que nous créons régulièrement.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Hubert Wulfranc.

    M. Hubert Wulfranc (GDR-NUPES)

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    En écoutant vos propos, l’idée m’est venue de vous interroger sous un angle un peu particulier de la socialisation et de l’instruction – les deux sont bien sûr concomitantes – de ces élèves : celui de la pratique des sports et des arts. Nous ne devons pas nous limiter à une démarche étroite pour ces matières, dont chacun reconnaîtra qu’elles jouent un rôle majeur, chez les élèves, pour l’ouverture à soi et au monde. Or, dans vos propos sur l’acte II dans ce domaine, je ne vous ai pas entendu faire référence à ce point décisif pour la scolarisation de ces enfants.
    À court terme, prévoyez-vous de mobiliser, à cette fin, des ressources humaines, de mettre à disposition et de qualifier du personnel et d’adapter les lieux d’enseignement ? Votre ministère travaille-t-il sur ce point ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Votre question est d’autant plus opportune que nous lançons aujourd’hui la semaine olympique et paralympique. Cette septième édition prend un relief particulier, parce que nous sommes à moins de 500 jours du début des Jeux olympiques et qu’elle a pour thème l’école inclusive.
    Ce matin, lors de l’inauguration de la semaine, la ministre des sports et des Jeux olympiques et paralympiques, la ministre déléguée chargée des personnes handicapées et moi-même avons mis l’accent sur les pratiques de handisport dans les écoles et établissements scolaires. Les sports conçus pour les élèves atteints de cécité ou de surdité, pour ne prendre que ces deux exemples, se sont développés très largement dans les écoles, car ils sont d’un grand intérêt pédagogique, y compris pour les élèves qui n’ont pas de handicap particulier. Nous y avons insisté et continuerons de le faire dans les mois à venir, en particulier pour l’année 2023-2024. Les professeurs d’éducation physique et sportive sont également de mieux en mieux sensibilisés au handisport au cours de leur formation initiale, dans le cadre des masters de sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) : ce développement est remarquable.
    Quant au rôle des pratiques artistiques pour les élèves visés, j’avoue que je n’avais pas envisagé la question. Elle mérite qu’on s’y arrête. L’éducation artistique et culturelle peut en effet comprendre un volet inclusif, important pour les élèves qui souffrent de troubles de comportement, par exemple, car elle les aide dans leur relation aux autres et les inclut dans la communauté éducative en général. Je me pencherai sur ce point.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Béatrice Descamps.

    Mme Béatrice Descamps (LIOT)

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    Si l’accueil des élèves handicapés a évolué depuis 2005, comme vous, monsieur le ministre, nous connaissons bien ses limites et les difficultés rencontrées par les élèves, leurs parents, les enseignants et les AESH. La transformation de l’école que vous avez évoquée doit se poursuivre.
    Certaines situations doivent être évitées – je reprendrai rapidement les deux exemples que je citais tout à l’heure et que m’ont rapportés les parents concernés dernièrement. Un petit garçon de 3 ans, alors qu’il a reçu une notification pour être accueilli en IEM, ne pourra pas l’être. Les médecins qui le suivent considèrent qu’il peut intégrer une école ordinaire, s’il est accompagné par une AESH ; une école se propose de l’accueillir à ces conditions. Or, puisqu’il ne pourra pas bénéficier d’une AESH, il ne pourra pas entrer à l’école.
    Autre exemple, quasiment identique : faute de place disponible en institut médico-professionnel, un élève va entrer en sixième ordinaire ; il ne pourra pas non plus être accompagné par une AESH. Ces élèves se trouvent ainsi dans une situation très particulière, compliquée. Il importe de placer les élèves au centre des réflexions, pour leur apporter la meilleure réponse possible.
    Pour les exemples que je viens de citer, les MDPH peuvent apporter, selon les départements, des réponses différentes. Certaines envisagent des doubles notifications ; d’autres non. Le fait que l’éducation inclusive soit partagée entre l’éducation nationale et les MDPH, voire les agences régionales de santé, crée des situations qui ne sont pas faciles. J’en viens à ma question : ne faudrait-il pas une véritable réforme institutionnelle pour accueillir au mieux les enfants handicapés ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Les deux exemples que vous donnez sont révélateurs. Je souligne que la décision de ne pas notifier un accompagnement par une AESH est toujours prise par une MDPH.

    Mme Béatrice Descamps

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    Je n’ai pas dit le contraire !

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Contrairement à ce que vous laissiez entendre, l’éducation nationale ne peut attribuer d’AESH à un enfant qui n’aurait pas fait l’objet d’une notification en ce sens de la MDPH. Vous soulignez également que les réponses diffèrent selon les MDPH. C’est vrai, selon les départements, leur politique de notification varie, parfois en lien avec le contexte social local. Par ailleurs, il arrive que, faute de place dans les IME, des enfants soient transférés dans des écoles ordinaires – en classe Ulis, notamment – et embolisent ainsi le système, comme je l’indiquais.
    Le groupe de travail auquel plusieurs de vos collègues ont participé propose que l’école intègre davantage d’enfants, y compris ceux dont les besoins sont les plus importants, et qui auraient jadis été accueillis en IME, à la condition qu’elle soit dotée des ressources appropriées – ce qui va bien au-delà de l’accompagnement par un ou une AESH et implique que des soins puissent être prodigués au sein des établissements scolaires et que des salles de répit soient aménagées pour les élèves en situation d’autisme, par exemple. Cela pose des questions importantes, y compris pour le bâti scolaire, sur lesquelles nous devons discuter avec les collectivités.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Servane Hugues.

    Mme Servane Hugues (RE)

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    Depuis trois ans, notre majorité travaille à inclure les enfants en situation de handicap au sein de l’école ordinaire. Durant vos différentes interventions, vous avez mis en avant les progrès majeurs fournis concernant les AESH : toutefois leurs contrats restent précaires, notamment parce qu’ils sont le plus souvent à temps partiel. En outre, le manque de reconnaissance dont souffre ce métier le rend peu attractif et explique la pénurie de ces professionnels. Dans quelques semaines aura lieu la Conférence nationale du handicap, dont l’un des axes de travail portera sur l’acte II de l’école inclusive, avec pour objectif de permettre aux AESH de travailler 35 heures par semaine et de leur confier des missions complémentaires. Nous ne pouvons que féliciter le Gouvernement pour ces progrès annoncés.
    Néanmoins, l’école ordinaire n’est pas adaptée à tous les élèves qui vivent avec un handicap. Ces derniers sont 430 000 en milieu ordinaire, mais il ne faut pas oublier que 67 000 enfants en situation de handicap, soit plus de 13 %, sont scolarisés en établissement hospitalier ou médico-social. Quel regard portez-vous, monsieur le ministre, sur ces enfants qui jamais n’accéderont à l’école ordinaire, à cause de leurs fragilités, mais qui possèdent une soif d’apprendre démesurée, parfois même lorsqu’ils sont privés de communication verbale ? Quels moyens allez-vous mobiliser pour améliorer l’accès à l’éducation de tous les enfants, notamment de ceux qui souffrent d’une lourde dépendance ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    En effet, les AESH ont des CDD, qui peuvent devenir des CDI au bout de trois ans. Toutefois, en dépit des efforts déjà consentis, il nous reste incontestablement du travail à accomplir en matière de carrière, de rémunération et de temps de travail. J’y suis très attaché.
    Vous avez évoqué les enfants placés en IME, qui sont au nombre de 70 000 environ – nos chiffres concordent. Tous les enfants doivent d’abord emprunter la voie de l’école, quitte à proposer à certains moments des soins et des interventions médico-éducatives adaptés à ceux dont les handicaps sont les plus lourds. Notre principe fondamental doit être que l’école s’occupe de tous les enfants. Néanmoins, elle peut le faire à certains moments, avec des modalités particulières, en fonction de leurs besoins.
    Dans mon propos initial, j’ai annoncé que, lors de la prochaine rentrée, nous attribuerons à tous les enfants, y compris ceux qui se trouvent actuellement en IME, un identifiant national élève. Les associations en ont exprimé la demande. C’est une manière de reconnaître qu’ils sont dans l’éducation nationale, et non en dehors d’elle. Il s’agit d’un premier pas. La Conférence nationale du handicap nous offrira l’occasion d’apporter des précisions.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.

    M. Jean-Hugues Ratenon (LFI-NUPES)

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    Les conférences, les tables rondes, les déclarations du Président de la République et du Gouvernement ne masqueront pas, malheureusement, les dures réalités que connaissent les personnes en situation de handicap et leur famille. Des milliers d’enfants se heurtent à la rigidité des règlements, au défaut de formation du personnel éducatif et au manque d’accompagnants dans l’éducation nationale. Ils s’en trouvent obligés d’abandonner leurs études : c’est un arrache-cœur pour eux comme pour leurs proches, monsieur le ministre. Faute de décisions idoines et d’une vraie politique dans ce domaine, des milliers d’enfants sont privés d’école. L’État ne prend pas toujours en considération le taux d’invalidité notifié par la MDPH pour mettre en place l’accompagnement.
    Les AESH poussent des cris de détresse, parfois de colère. Ils sont dans une grande précarité : très peu de moyens ont été déployés. Vous allez sûrement répéter vos précédentes réponses, mais quels plans de formation ont été élaborés à leur intention ? Ce sont des accompagnants, et non des surveillants !
    En 2019, la commission d’enquête sur l’inclusion des élèves handicapés dans l’école et l’université de la République a émis des recommandations. Que sont devenues les préconisations relatives à l’augmentation du nombre d’enseignants référents, à la hausse des moyens dévolus à la médecine scolaire et universitaire, à la réactivation des Rased – réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté – et au réajustement des budgets alloués aux universités, pour tenir compte de l’augmentation du nombre de jeunes étudiants en situation de handicap ? Disposons-nous de statistiques sur le nombre d’élèves en situation de handicap qui n’ont pas de solution d’accompagnement ?
    Monsieur le ministre, je conclus en soulignant que la situation des enfants porteurs de handicap qui vivent en outre-mer est pire encore.

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Le pays – au-delà même de l’État – a consenti un effort considérable en faveur de l’école inclusive, pour les élèves en situation de handicap : le budget concerné a crû de 6 à 7 % par an, pour atteindre 3,9 milliards d’euros. On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’une préoccupation secondaire ou que l’école inclusive occupe dans l’éducation nationale une situation marginale. Nous y consacrons des moyens croissant. Certes, des difficultés subsistent, mais j’insiste sur la progression. La démarche générale tend à inclure tous les élèves dans l’école ordinaire, avec les nuances et les adaptations que j’ai évoquées.
    Je vous rejoins pour affirmer qu’il nous reste incontestablement une marge de progression dans le domaine de la formation, pour les enseignants comme pour les AESH. Nous avons besoin d’enseignants référents : le groupe de travail a également avancé sur ce point ces dernières semaines. Il faut améliorer – peut-être humaniser, en tout cas renforcer et faciliter – les liens entre les familles, les Pial et les écoles. Nous ferons des propositions en ce sens.
    Nous ne nions pas les difficultés, monsieur le député, notamment en outre-mer. Toutefois, j’insiste sur les efforts considérables qui ont été consentis. Malgré les difficultés que nous connaissons, l’histoire reconnaîtra cette étape, dans laquelle nous sommes encore engagés, comme une des grandes évolutions de l’école : celle-ci inclut désormais des enfants jusque-là délaissés, marginalisés ou maintenus à la lisière de l’école républicaine.

    Mme la présidente

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    La parole est à Mme Francesca Pasquini.

    Mme Francesca Pasquini (Écolo-NUPES)

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    Que pensez-vous, monsieur le ministre, du fait d’en arriver à devoir déposer un recours auprès du tribunal administratif pour qu’un enfant en situation de handicap accède à l’école ? C’est souvent la réponse que l’éducation nationale apporte à leur famille. Pouvez-vous nous préciser combien de recours ont ainsi été déposés pour non-respect du droit à l’éducation ?
    Je discute souvent avec des familles d’élèves en situation de handicap. Comme elles, j’ai du mal à voir vers quel modèle nous nous dirigeons – pour autant que nous nous dirigions quelque part, sinon droit dans le mur. Que pensez-vous du modèle italien en particulier ?

    Mme la présidente

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    La parole est à M. le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Je ne connais pas le nombre de recours. Je peux interroger mes services, qui vous répondront par écrit, si vous le souhaitez. (Mme Francesca Pasquini acquiesce.) Là encore, je ne peux que répéter que nous éprouvons en effet des difficultés à répondre aux notifications des MDPH, que nous recevons au fil de l’eau toute l’année – nous en recevons littéralement chaque jour. Je ne formule pas là une critique des MDPH : j’énonce un fait. Or nous devons y répondre, souvent dans l’urgence, avec les difficultés que j’ai déjà soulignées, relatives au recrutement des AESH ou au nombre de postes d’AESH. D’une certaine manière, nous n’en avons jamais assez. Je le reconnais. Toutefois, j’insiste sur le fait que l’AESH ne peut pas constituer la seule réponse pédagogique. D’une certaine façon, un droit à l’AESH s’est instauré, au détriment d’autres réponses et d’une sortie de l’AESH, telle que je l’évoquais précédemment, c’est-à-dire d’un processus d’autonomisation des élèves, pour ceux qui sont en mesure d’y parvenir.
    S’agissant du modèle italien, il nous intéresse en effet beaucoup. Il va d’ailleurs à l’inverse de ce que votre première question laissait entendre : en Italie, l’école inclusive repose non pas sur un grand nombre d’AESH, mais sur une formation remarquable des enseignants et sur une prise en charge des élèves à besoins particuliers par l’ensemble de la communauté éducative. L’Italie a donc répondu à la question d’une façon différente, qui mérite toute notre attention, en particulier concernant la formation et les réponses pédagogiques qui ne supposent pas un accroissement mécanique du nombre d’AESH.

    Mme la présidente

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    Merci, monsieur le ministre.

    M. Pap Ndiaye, ministre

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    Merci madame la présidente. Merci, mesdames et messieurs les députés.

    Mme la présidente

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    Le débat est clos.

    4. Ordre du jour de la prochaine séance

    Mme la présidente

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    Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
    Débat sur le thème : « Pour une politique ambitieuse du grand âge ».
    La séance est levée.

    (La séance est levée à vingt heures.)

    Le directeur des comptes rendus
    Serge Ezdra