Première séance du lundi 27 février 2023
- Présidence de Mme Naïma Moutchou
- 1. Réforme des retraites et pénibilité
- Mme Anne Lauseig, présidente du collectif national La Force invisible des aides à domicile
- M. André Bouchut, représentant de la Confédération paysanne
- Mme Catherine Delgoulet, professeure au Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire d’ergonomie
- Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES)
- Mme Catherine Delgoulet
- M. André Bouchut
- Mme Anne Lauseig
- M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)
- M. André Bouchut
- Mme Anne Lauseig
- Mme Catherine Delgoulet
- Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE)
- Mme Catherine Delgoulet
- Mme Anne Lauseig
- M. André Bouchut
- M. Roger Chudeau (RN)
- Mme Anne Lauseig
- Mme Marie-Charlotte Garin (Écolo-NUPES)
- Mme Anne Lauseig
- M. Frédéric Cabrolier (RN)
- M. André Bouchut
- Mme Catherine Delgoulet
- M. Gérard Leseul (SOC)
- Mme Anne Lauseig
- Mme Catherine Delgoulet
- Suspension et reprise de la séance
- M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion
- Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES)
- M. Olivier Dussopt, ministre
- M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)
- M. Olivier Dussopt, ministre
- M. Stéphane Lenormand (LIOT)
- M. Olivier Dussopt, ministre
- Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE)
- M. Olivier Dussopt, ministre
- M. Frédéric Cabrolier (RN)
- M. Olivier Dussopt, ministre
- M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES)
- M. Olivier Dussopt, ministre
- M. Stéphane Viry (LR)
- M. Olivier Dussopt, ministre
- M. Gérard Leseul (SOC)
- M. Olivier Dussopt, ministre
- M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES)
- M. Olivier Dussopt, ministre
- M. Francis Dubois (LR)
- M. Olivier Dussopt, ministre
- M. Sébastien Peytavie
- M. Olivier Dussopt, ministre
- Suspension et reprise de la séance
- 2. Retraites et protection sociale dans la fonction publique
- M. Didier Quercioli, secrétaire général de la Mutualité Fonction Publique
- Mme Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT chargée des questions de retraite
- M. Martial Crance, membre de la direction de l’UFFA-CFDT de la fonction publique
- M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)
- M. Didier Quercioli
- Mme Catherine Perret
- M. Martial Crance
- M. Stéphane Lenormand (LIOT)
- M. Didier Quercioli
- Mme Catherine Perret
- M. Martial Crance
- M. Frédéric Cabrolier (RN)
- M. Didier Quercioli
- M. Gérard Leseul (SOC)
- Mme Catherine Perret
- M. Martial Crance
- M. André Chassaigne (GDR-NUPES)
- M. Didier Quercioli
- Mme Catherine Perret
- M. Gabriel Amard (LFI-NUPES)
- M. Didier Quercioli
- M. Martial Crance
- Mme Catherine Perret
- Suspension et reprise de la séance
- M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques
- M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)
- M. Stanislas Guerini, ministre
- M. Stéphane Lenormand (LIOT)
- M. Stanislas Guerini, ministre
- M. Frédéric Cabrolier (RN)
- M. Stanislas Guerini, ministre
- M. Gabriel Amard (LFI-NUPES)
- M. Stanislas Guerini, ministre
- M. Francis Dubois (LR)
- M. Stanislas Guerini, ministre
- M. André Chassaigne (GDR-NUPES)
- M. Stanislas Guerini, ministre
- M. Gérard Leseul (SOC)
- M. Stanislas Guerini, ministre
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Naïma Moutchou
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
1. Réforme des retraites et pénibilité
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur la réforme des retraites et la pénibilité.
Ce débat a été demandé par le groupe Écologiste-NUPES. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées. La conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d’une durée d’une heure, puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d’une durée d’une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à Mme Anne Lauseig, aide-soignante, à M. André Bouchut, représentant de la Confédération paysanne, et à Mme Catherine Delgoulet, professeure au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), titulaire de la chaire d’ergonomie.
Je vais maintenant donner la parole à chacun de nos invités, pour une intervention d’environ cinq minutes.
La parole est à Mme Anne Lauseig, aide-soignante.
Mme Anne Lauseig, présidente du collectif national La Force invisible des aides à domicile
Je vous remercie pour votre invitation. Je suis un peu intimidée, car je n’ai pas l’habitude d’intervenir dans un lieu comme l’Assemblée nationale.
Présidente du collectif national La Force invisible des aides à domicile, je ne suis pas aide-soignante, comme vous l’avez dit, mais assistante de vie – on peut aussi dire auxiliaire de vie ou aide à domicile, car ce métier vital à la cohésion sociale a plusieurs appellations. Les professionnels de ce métier du « prendre soin », qui ne laisse pas de place à la robotique, sont à 95 % des femmes ; 40 % ont moins de 30 ans et 60 % plus de 50 ans.
Nous comptons 70 % de contrats de travail à temps partiel, subi ou choisi. Le taux de précarité – précarité de l’emploi, mais aussi précarité financière, alimentaire ou en matière de logement – est de 17,5 %, et le salaire moyen inférieur à 1 000 euros.
Le métier d’assistant de vie implique deux types de pénibilité : d’une part, la pénibilité physique, d’autre part, les risques psycho-sociaux (RPS).
Tout d’abord, nous sommes le secteur d’activité le plus exposé aux accidents du travail, devant le BTP (bâtiment et travaux publics).
Pas moins de 53 % des accidents sont dus à la manutention manuelle : en effet, notre métier implique de déplacer des êtres humains – pour les transférer du lit au fauteuil, par exemple, ou pour faire leur toilette –, mais également de porter des charges lourdes, car il faut parfois monter des courses au sixième étage sans ascenseur, ou encore lever un matelas ou déplacer les meubles pour faire le ménage. Or, lorsque nous devons lever une personne, par exemple, c’est à la force de nos bras, qu’elle pèse quarante ou quatre-vingts kilos. En effet, s’il existe du matériel adapté, il n’est bien souvent pas présent au domicile, où il n’est pas obligatoire : il est parfois refusé par la personne aidée ou sa famille, et, s’il est prévu, nous ne sommes pas toujours formés à son utilisation.
Parmi les accidents du travail, on compte également 35 % de chutes, soit lors des déplacements au domicile des personnes aidées – chutes de vélo ou de trottinette, par exemple –, soit en cas de chute des bénéficiaires des soins, car nous nous mettons alors en première ligne pour leur éviter autant de blessures que possible.
Par ailleurs, la charge mentale et émotionnelle est très importante. Nous allons de domicile en domicile et faisons face chaque fois à une pathologie différente. Or, certaines entraînent de l’agressivité, ou une détresse psychologique pouvant aller jusqu’à la souffrance psychique.
Parfois, nous accompagnons des personnes en fin de vie – un cas que j’ai moi-même connu. Lorsque l’on arrive, on ne sait pas que le bénéficiaire des soins est en fin de vie, et c’est une situation qui peut être d’autant plus violente émotionnellement que nous sommes aussi en première ligne face aux réactions de la famille. Après avoir accompagné la personne jusqu’à son dernier souffle, nous accompagnons parfois ensuite la famille elle-même dans les démarches administratives. Or, nous ne sommes pas formés à l’accompagnement de la fin de vie – les soins palliatifs –, qui doit être adapté pour convenir à la fois à la personne aidée et à l’aidant : dans ces derniers instants, l’aidant aussi a besoin d’être accompagné.
Pour conclure, les métiers du maintien à domicile sont centrés sur l’humain, et leur pénibilité est énorme : nous sommes les précaires d’aujourd’hui, mais aussi ceux de demain. À 50 ans, le corps d’une auxiliaire de vie est déjà fatigué : si l’âge légal de départ à la retraite est repoussé à 64 ans, il ne suivra pas.
Mme la présidente
La parole est à M. André Bouchut, représentant de la Confédération paysanne.
M. André Bouchut, représentant de la Confédération paysanne
Nombre de ses responsables nationaux étant déjà engagés par ailleurs dans le cadre du Salon international de l’agriculture qui a lieu en ce moment, je présenterai au nom de la Confédération paysanne les différents métiers de l’agriculture, qui impliquent différents types de pénibilité. En conclusion, je formulerai deux remarques en lien avec le thème du débat.
Ancien paysan dans les monts du Lyonnais, dans le département de la Loire, j’ai pu partir à la retraite à 60 ans, après quarante-trois années de travail. Fils d’éleveur, j’ai été producteur de champignons et de myrtilles, et secrétaire national de la Confédération paysanne. Je connais donc bien les différentes agricultures : certaines fermes sont toutes petites, d’autres très grandes ; certaines accueillent des animaux, ce qui induit des risques particuliers, et d’autres non. L’activité peut être robotisée, mécanisée ou manuelle, et se dérouler en extérieur ou en intérieur – porcherie, serre ou salle de production de champignons, par exemple.
Les différents métiers que peut exercer un agriculteur ont un point commun, le fait d’être multiples : en effet, si un agriculteur est avant tout un producteur, il doit aussi être comptable, et gestionnaire d’entreprise, voire de salariés, dans un contexte de présence accrue de l’informatique. La gestion des différentes facettes du métier est de plus en plus complexe, générant plusieurs types de pénibilité.
Le premier est d’ordre physique : il s’agit des troubles musculo-squelettiques (TMS).
Tout d’abord, la conduite d’engins provoque souvent d’importantes douleurs dans le dos, tout comme l’élevage industriel, qui peut, par exemple, impliquer de passer le nettoyeur à haute pression des journées entières dans une porcherie : comme vous pouvez l’imaginer, c’est assez pénible. Les bovins sont source de nombreux accidents ; les ovins doivent être attrapés, ce qui est redoutable pour le dos ; il en est de même du maraîchage, qui implique d’être constamment penché vers le sol. De plus, les gestes répétitifs induisent de nombreuses tendinites et des problèmes de canal carpien : en tant que producteur de champignons, j’ai connu plusieurs salariés ayant dû en être opérés. Enfin, les travaux forestiers sont sans doute les plus accidentogènes.
Une remarque particulière sur l’ergonomie du matériel qui, bien souvent, n’est pas adapté aux femmes : peut-être serait-il opportun de prévoir dans la loi une disposition imposant que les engins soient adaptés à tous. Sur ce sujet, il faut trouver des solutions.
Le second type de pénibilité regroupe les troubles psycho-sociaux (TPS), dus à de multiples facteurs.
Tout d’abord, on nous demande de produire toujours plus, ce qui implique d’investir, donc de s’endetter, toujours plus : aujourd’hui, le poids de la dette est très lourd pour les agriculteurs. Par ailleurs, les aléas climatiques sont de plus en plus fréquents, comme l’année écoulée l’a encore montré. Le manque d’eau génère aussi une énorme pression, y compris l’hiver : j’ai rencontré plusieurs producteurs de fruits très inquiets pour l’année à venir. L’incertitude concernant les revenus engendre également du stress : un tiers des paysans touchent un revenu inférieur à 300 ou 400 euros – si tant est que l’on puisse encore parler de revenu à ce niveau.
En outre, les paysans sont soumis à la pression sociétale en raison de leur utilisation des pesticides. Certains se demandent d’ailleurs s’ils peuvent les rendre malades et s’ils doivent continuer à les utiliser. Parfois, on nous demande de réaliser les traitements la nuit : est-ce acceptable pour le rythme de vie des agriculteurs, dont les journées de travail sont déjà très longues ?
La complexité administrative est également un facteur de pénibilité, en particulier en raison d’une dématérialisation croissante : 50 % des paysans ne s’en sortent plus, même des jeunes ayant un brevet de technicien supérieur (BTS) ou un diplôme d’ingénieur – j’en ai rencontré plusieurs en préparant mon intervention dans ce débat –, qui admettent ne plus s’en sortir et devoir batailler face à la dématérialisation et à la complexité administrative !
Par ailleurs, la difficulté grandissante à recruter des saisonniers pour les métiers qui le nécessitent se traduit par d’importants soucis de gestion.
Certains prônent la robotisation et l’automatisation : pourquoi pas, mais cela implique une surveillance continue – c’est le cas pour l’irrigation, pour citer un exemple que je connais bien – et ne diminue donc pas le stress des agriculteurs, encore aggravé par la peur de tomber malade.
Tous les facteurs que j’ai cités engendrent donc stress et fatigue, et peuvent mener à la dépression : le milieu agricole détient le triste record du nombre de suicides, preuve de l’extrême gravité de la situation.
Face à ces constats, que faire ?
Tout d’abord, il est indispensable de faciliter la reconnaissance des TMS et TPS comme maladies professionnelles. Aujourd’hui, la médecine du travail, assurée par la Mutualité sociale agricole (MSA), s’y refuse : obtenir cette reconnaissance relève donc d’un véritable parcours du combattant.
Ensuite, il serait très complexe d’appliquer le compte pénibilité aux agriculteurs, puisque les problèmes rencontrés par les céréaliers ne sont pas ceux d’un éleveur ou d’un maraîcher, par exemple. En revanche, un travail de fond pourrait être mené pour définir des critères de pénibilité en fonction de chaque Otex (orientation technico-économique des exploitations), c’est-à-dire par type de production, ce qui permettrait la validation de trimestres pour la retraite.
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Delgoulet, professeure au Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire d’ergonomie.
Mme Catherine Delgoulet, professeure au Conservatoire national des arts et métiers, titulaire de la chaire d’ergonomie
Merci de cette invitation : mon propos liminaire visera à brosser une vue d’ensemble de la pénibilité, dont ont déjà parlé les deux précédents intervenants, et à rappeler les questions soulevées par cette approche de la santé au travail, avant d’aborder en dernier lieu la notion de soutenabilité du travail, laquelle offre un point de vue intéressant sur les enjeux qui nous réunissent.
Tout d’abord, il ressort des travaux scientifiques que la pénibilité du travail présente au moins quatre facettes. La première est la pénibilité objectivable, dont la réforme des retraites de 2010 a conduit à formuler une définition toujours en vigueur : l’exposition du travailleur à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels découlant de contraintes physiques marquées, d’un environnement physique agressif, ou encore de rythmes de travail susceptibles de laisser sur la santé des traces durables, identifiables et irréversibles. Cette conception, énoncée au sein de l’article D. 4161-1 du code du travail, a donné lieu à une liste de dix facteurs de pénibilité, elle-même à l’origine du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P), puis réduite en 2017 aux six facteurs de l’actuel compte professionnel de prévention (C2P). La deuxième facette réside dans un ensemble de conditions de travail notoirement délétères, comme les contraintes psycho-sociales ou les contraintes organisationnelles liées à une pression temporelle, pour citer des exemples qui viennent d’être évoqués : elles constituent aujourd’hui, en France, une source importante de troubles infrapathologiques. Les troisième et quatrième facettes concernent les pénibilités vécues, résultant d’une fragilisation de la santé dont la probabilité augmente à mesure que le travailleur avance en âge, ou encore de conditions d’exercice et d’organisation conduisant certains à former le souhait de quitter leur travail – ce qui peut expliquer les difficultés de recrutement que connaissent certains secteurs.
Or, je le répète, seule la pénibilité objectivable est prise en compte par les dispositions réglementaires, ce qui suscite quatre remarques que j’évoquerai rapidement – nous pourrons y revenir si vous le souhaitez. Premièrement, les critères de pénibilité, dont les seuils sont fort élevés, ne concernent – heureusement d’ailleurs – qu’une population restreinte, très particulière, soumise à des sollicitations extrêmes pendant de longues durées ; selon les derniers chiffres de l’assurance maladie, un peu moins de 650 000 salariés se trouvaient dans ce cas en 2021, les trois quarts étant des hommes et 45 % employés dans le secteur de l’industrie manufacturière.
Deuxièmement, il est prévu, dans le cadre de la future réforme des retraites, d’abaisser les seuils d’exposition dont le dépassement permet de faire jouer ces critères et de supprimer la limitation du nombre de points cumulables au cours d’une carrière. Comme le signale fort justement ma collègue Annie Jolivet, économiste au centre d’études de l’emploi et du travail du Cnam, cette dernière mesure se révèle à double tranchant, car elle peut envoyer le message qu’une exposition prolongée ne serait pas grave, aussi longtemps qu’elle permet de gagner des points – alors que ceux-ci visent en réalité à compenser les conséquences sur la santé.
Troisièmement, le projet de réforme comprend également un renforcement du suivi médical portant sur un certain nombre de « risques ergonomiques ». Passons sur l’oxymore que constitue cette expression à mes yeux d’ergonome ; reste que l’instauration d’une nouvelle visite obligatoire de fin de carrière en vue de repérer les personnes âgées de 61 ans qui ne sont plus en mesure de continuer à travailler, et de leur permettre de prendre leur retraite à 62 ans, s’éloigne de la définition de la pénibilité, laquelle repose sur la notion de risques professionnels et non sur celle d’incapacité avérée. Quatrièmement, enfin, il est peu question du développement des compétences, alors que celui-ci joue un rôle essentiel lorsqu’il s’agit de sortir des conditions de travail délétères que j’ai évoquées. D’enquête en enquête, ce sont toujours les mêmes résultats : l’accès à la formation s’opère au détriment des plus âgés, mais aussi des ouvriers et des employés, c’est-à-dire des catégories socio-professionnelles les plus exposées aux facteurs de pénibilité, et qui se retrouvent coincées dans ces conditions difficiles. Pour finir,…
Mme la présidente
Il serait en effet grand temps de conclure, madame Delgoulet.
Mme Catherine Delgoulet
…plutôt que de considérer le travail comme inévitablement pénible et de déterminer les critères de cette pénibilité, pourquoi ne pas aborder la question sous l’angle de la soutenabilité, en faisant de celle-ci un principe fondateur du travail d’aujourd’hui et de demain ?
Mme la présidente
Merci, madame Delgoulet, ainsi qu’à Mme Lauseig et à M. Bouchut : il n’est jamais simple de condenser son propos en cinq minutes, mais peut-être les questions vous fourniront-elles l’occasion d’y revenir. J’invite tous ceux qui souhaitent intervenir à s’inscrire auprès de la direction de la séance ; chaque question sera immédiatement suivie de sa réponse, afin que le débat soit le plus fluide possible.
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES)
Merci infiniment aux trois intervenants pour nous avoir fait part de leurs expériences : lorsque nous échangeons au sujet de la pénibilité – ou des pénibilités –, nous manquons bien souvent de témoignages qui nous donnent à voir la réalité vécue, notamment la diversité des pratiques et des situations susceptibles d’être pénibles, ce qui les rend difficiles à évaluer, à comptabiliser. On ne peut tout objectiver : c’est là l’un des problèmes que pose le C2P, que le C3P posait déjà. Comment faire pour que toutes les pénibilités soient prises en compte ? C’est pourquoi, madame Delgoulet, je souhaiterais vous permettre de développer le sujet de la soutenabilité du travail. Comment faire en sorte d’envisager celui-ci de manière plus soutenable ? De quelle manière étoffer la prévention ? Cette question s’adresse également aux deux autres intervenants : dans vos métiers respectifs, que conviendrait-il de faire, en quelque sorte à la base, pour que la pénibilité soit évitée dans la mesure du possible ? Lorsqu’elle n’est pas évitable, comment obtenir que travailler moins longtemps devienne une sorte d’acquis commun ? Certains métiers, même valorisants, même extraordinairement importants pour le lien social, sont pénibles par définition, et si les exosquelettes et autres inventions formidables arrivent jamais dans toutes les entreprises françaises, ce sera bien après notre mort ! Nous aurions pu inviter, par exemple, des représentants des égoutiers : exercer ce métier durant toute sa vie active est impossible, on le paie de son corps. Peut-être un départ précoce à la retraite serait-il alors la meilleure solution.
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Delgoulet.
Mme Catherine Delgoulet
Vous voudrez bien m’excuser : quelqu’un me parlait au début de votre question, que je n’ai donc pas entendue dans son intégralité… Concernant la soutenabilité, j’ai évoqué le fait que les enjeux liés à la pénibilité sont actuellement abordés en considérant les situations extrêmes, certes importantes à prendre en compte, mais marginales ; cela laisse de côté un certain nombre de métiers – notamment tous ceux de la deuxième ligne, dont il a tant été question durant la pandémie – et de conditions d’emploi – comme le travail à temps partiel ou le travail précaire – où les seuils de pénibilité ne sont pas atteints. L’approche de la pénibilité repose également sur la substitution – par exemple, on remplace les plus âgés par les plus jeunes, au risque d’user prématurément ces derniers et d’entraîner leur exclusion du monde du travail – et la compensation – par l’accumulation de points, la capitalisation, au risque d’instrumentaliser la santé.
Enfin, on promeut la médicalisation, la prévention, la réparation, grâce à des dispositifs d’invalidité ou de retraite anticipée pour incapacité : j’ai ainsi mentionné la prochaine réforme. Or, au lieu de nous contenter d’améliorer de manière substantielle ces dispositifs visant à reconnaître la pénibilité, nous pourrions nous intéresser à la soutenabilité du travail, c’est-à-dire à l’élaboration de systèmes susceptibles de reproduire et développer toutes les ressources et les composantes qu’ils utilisent. Il ne s’agit donc plus seulement de substituer, compenser, réparer, mais de prendre soin, dans la durée, des choses et des personnes ; de concevoir des parcours, de se pencher sur la question de la transmission, d’organiser les successions.
Mme la présidente
La parole est à M. André Bouchut.
M. André Bouchut
Il conviendrait tout d’abord de mettre un terme à la fuite en avant, au « toujours plus » – de volumes, d’investissements – dont j’ai déjà parlé. Je vois là le député de ma circonscription, qui connaît fort bien l’élevage allaitant : il y a une quarantaine d’années, lorsque je suis entré dans la carrière, il fallait, pour en vivre, posséder quarante ou quarante-cinq vaches allaitantes, contre quatre-vingts ou quatre-vingt-dix aujourd’hui – autant de vêlages, donc de travail de nuit supplémentaire. On nous conseille d’acheter des machines plus imposantes, un ordinateur qui surveillera les vaches : cela ne diminuera pas la pression, les choses ne sont pas si simples !
Ensuite, il faudrait également que l’État cesse de se désengager pour financer autre chose. Là encore, je citerai un exemple : au lieu que chacun édite lui-même ses feuilles de paie, le passage à la déclaration sociale nominative (DSN) a entraîné l’intervention du comptable. Tout est dématérialisé ; demain, toutes les factures devront être établies par informatique. Or personne n’est compétent dans tous les domaines : au milieu de cette complexification générale, un paysan ne se retrouve pas forcément !
Enfin, nous sommes continuellement exposés à tous les vents du marché, de la concurrence internationale. On nous répond de nous débrouiller pour être aussi compétitifs que, par exemple, les Espagnols, dont le salaire minimum s’élève à la moitié du Smic ! La règle du jeu n’est la même dans aucun pays ; ne sachant pas comment faire face, les paysans arrêtent leur activité, que personne ne veut relancer. Mon fils a repris une ferme à fruits : il constate qu’il n’y a plus de jeunes qui souhaitent s’installer. La France ne produit plus que le tiers des fruits qu’elle consomme. Posons-nous donc des questions !
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Lauseig.
Mme Anne Lauseig
La pénibilité peut être réduite en recourant à la prévention : des formations adaptées aux pathologies, des sas de décompression – à l’hôpital, lorsque l’on est confronté à la fin de vie ou à l’agressivité d’un patient, une cellule d’aide psychologique est présente, mais nous, qui exerçons à domicile, ne bénéficions pas de telles ressources. Il faudrait en outre éviter que nos emplois du temps soient modifiés tous les matins ou alourdis en cours de journée.
Il faudrait également prendre en compte les compétences de chacun en évitant de nous confier le soin de personnes souffrant de pathologies avec lesquelles nous n’avons pas d’affinité professionnelle, si je puis dire. Personnellement, je préfère par exemple que l’on reconnaisse mes compétences dans le domaine du handicap mental, dans lequel je me sens à l’aise, plutôt que l’on me mette en difficulté en me confiant des patients atteints de la maladie de Charcot, que j’ai plus de mal à appréhender. Dans ce cas, je me sens moins professionnelle et mes gestes sont moins assurés, ce qui peut entraîner des comportements violents de la part de la personne aidée. Il importe donc de reconnaître les compétences des professionnels et de tenir compte de leur avis.
Il conviendrait par ailleurs d’accorder davantage d’autonomie aux professionnels dans la gestion de leurs emplois du temps et de respecter leur vie privée : nous ne devons pas être dévoués corps et âme à l’employeur. C’est d’autant plus important que notre profession est très féminisée, à hauteur de 95 %, et que la plupart d’entre nous sont en situation de famille monoparentale. Il est très difficile, dans ces conditions, de concilier sa vie professionnelle et sa vie personnelle, d’où le recours important au temps partiel choisi : nous ne pouvons pas faire autrement pour élever nos enfants. Cette situation contribue également à accroître la pénibilité, car elle nous conduit à nous sentir coupables tout en nous empêchant de progresser sur le plan professionnel. Cet aspect de la question devrait également être pris en compte.
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)
Je vous remercie, mesdames et monsieur, de vos interventions sur ce sujet extrêmement important à nos yeux. Je voudrais d’abord vous poser une question simple et directe concernant le recours au dispositif d’invalidité dans vos secteurs respectifs. Comment appréhendez-vous ce dispositif, son usage et ses conséquences, au vu des expériences que vous avez connues ou observées autour de vous ?
Ma deuxième question, plus vaste, concerne l’équilibre entre prévention, réparation et compensation. Il est évident que d’importants efforts doivent être réalisés pour traiter le mal à source et s’attaquer aux maladies que l’on peut éliminer ; la prévention en la matière est décisive. Je partage les propos tenus il y a quelques instants : au-delà de la nécessité de changer de système, il y a sans doute beaucoup de choses à faire évoluer dans le ou les systèmes existants. Il faut mieux respecter le travail, mettre fin à la course à la rentabilité et à la concurrence permanente de tous contre tous, et abandonner l’idée d’une intervention bénéfique du marché dans ce domaine. Il faut aussi, comme cela vient d’être dit, mieux respecter les différents métiers. Ne faut-il pas imaginer, dans certains endroits, de donner davantage de pouvoir aux travailleurs pour agir sur leurs gestes, sur leur travail et sur l’organisation de celui-ci ?
Je crois aussi que la compensation est nécessaire et qu’il faut se garder de ne parler que de prévention dans le but d’éviter ce sujet. Cela me conduit à ma question suivante : dans une perspective de compensation, comment croyez-vous que l’on puisse objectiver les situations, afin d’établir des droits collectifs ? Je crains en effet que, sans ces derniers, il n’y ait pas de droits individuels.
Mme la présidente
La parole est à M. André Bouchut.
M. André Bouchut
Aujourd’hui, dans le secteur agricole, la reconnaissance de l’invalidité est très compliquée ; c’est un véritable parcours du combattant. Les médecins généralistes acceptent très difficilement de s’engager dans ce type de démarche, tout comme les médecins de la MSA qui sont censés nous suivre. D’abord, il existe dans nos métiers une sorte d’omerta : il est difficile de reconnaître que l’on souffre d’une maladie, que l’on ne va pas bien, que l’on rencontre des difficultés ou que l’on a une charge de travail trop lourde. Lorsqu’un agriculteur, incité ou aidé par d’autres, accepte finalement d’entrer dans la démarche, il se heurte souvent à un certain manque d’intérêt de la part du médecin ou de l’assurance maladie. Il me semble que l’Assemblée nationale doit se saisir de cette question : comment faire pour que la médecine regarde les choses en face lorsqu’un paysan ou une paysanne déclare qu’il ou elle ne va pas bien ? N’étant pas député, je ne sais pas comment vous pouvez appréhender le sujet, mais il conviendrait que vous vous en saisissiez.
S’agissant de l’amélioration des gestes, il est vrai que nous courons sans cesse et ne prenons sans doute pas assez le temps de nous former. Sans doute faudrait-il s’interroger sur la façon de corréler les différentes aides de la politique agricole commune (PAC) à une obligation de formation, d’anticipation et d’amélioration des métiers. Nous sommes souvent dans la fuite en avant, reproduisant la façon de travailler de la génération précédente. Je n’ai pas de réponse totalement aboutie à ce sujet, mais sans doute y a-t-il là aussi un travail à réaliser.
S’agissant des droits collectifs, enfin, il convient d’aborder la question par type de métier, en se fondant sur les grandes catégories définies par les Otex. Sans doute faut-il réunir autour d’une table les représentants des métiers – l’élevage laitier, l’élevage bovin allaitant, le maraîchage par exemple –, dans la mesure où une part importante des risques et des maladies professionnels est liée au type de métier exercé. On pourrait imaginer, par exemple, qu’un agriculteur ayant été maraîcher pendant trente ans puisse bénéficier d’une retraite anticipée de six mois, un an, voire deux ans. C’est dans cette direction qu’il faut travailler car, en se basant sur des comptes pénibilité, on risque d’aboutir à des comptes d’apothicaire ingérables. Le secteur agricole est capable de travailler en ce sens, grâce aux Otex.
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Lauseig.
Mme Anne Lauseig
Je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce qu’a dit M. Bouchut. Le constat est identique dans le secteur de l’aide à domicile. L’amélioration des gestes professionnels devrait être obligatoire dans notre métier. En effet, on a vite fait de se blesser et de réaliser certains gestes en prenant de mauvaises habitudes, qu’il est ensuite difficile de perdre. Au-delà d’être obligatoires, les formations devraient être continues.
S’agissant des droits collectifs, il serait souhaitable que notre métier, couvert par plusieurs conventions collectives, soit rassemblé sous une convention unique reconnaissant la pénibilité dont souffrent toutes les auxiliaires de vie, quel que soit leur statut juridique.
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Delgoulet.
Mme Catherine Delgoulet
On constate dans de nombreux métiers, notamment pénibles, que la question des gestes professionnels est souvent déconsidérée : on estime qu’un savoir-faire, qu’il s’agisse de tenir une pelle ou de réaliser un soin, est un attribut personnel, une qualité individuelle. De ce fait, on ne forme pas – ou peu, ou mal. La question de la formation, ainsi que celle de la construction du geste professionnel et de son évolution au fur et à mesure que l’on progresse en âge et en expérience, me semblent fondamentales. Elles posent la question de la transmission et du temps dont on dispose pour l’assurer. Aujourd’hui, dans de nombreuses situations, ce temps n’existe pas ; celles et ceux qui acceptent d’endosser le statut de tuteur et d’accompagnant des novices, qu’ils soient jeunes ou plus âgés, le font en empiétant sur le temps de travail, au détriment d’autres tâches. Or ces temps sont précieux. Ils permettent de construire l’avenir des savoir-faire professionnels et d’aboutir au geste efficient : celui grâce auquel on peut atteindre les objectifs de performance, mais aussi préserver sa santé et la construire.
Mme la présidente
La parole est à Mme Astrid Panosyan-Bouvet.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE)
Merci, monsieur et mesdames, pour vos interventions. On a l’impression, en vous écoutant, que le concept de pénibilité a d’abord été pensé pour le monde industriel et qu’il appréhende très mal les nouveaux secteurs de l’économie liés aux services – je pense en particulier aux services à la personne et à votre témoignage, madame Lauseig. Il y a effectivement des pénibilités objectivables, mais aussi des pénibilités qui se révèlent au jour le jour, liées à l’expérience et au vécu, que vous avez très justement décrites. À côté de la soutenabilité évoquée par Mme Delgoulet, comment penser aujourd’hui un compte pénibilité qui prenne aussi en compte le monde des services dans lequel les salariés sont par ailleurs moins bien représentés, les secteurs étant plus morcelés ?
Le sujet des gestes professionnels est également essentiel. En discutant avec des responsables de ressources humaines dont l’entreprise exerce les mêmes activités en France et dans d’autres pays européens, on constate que, dans des métiers identiques, le taux d’accidents du travail est supérieur dans notre pays à ce qu’il est ailleurs. Cela témoigne sans doute d’une culture du geste professionnel, de la prévention et de la sécurité au travail moins développée en France.
J’en viens enfin au concept très intéressant de soutenabilité que vous avez évoqué, madame Delgoulet. Certains pays européens ont-ils avancé sur cette question, dans leur législation ou au travers de bonnes pratiques ? Existe-t-il des exemples de reconversions professionnelles à mettre en avant, permettant de penser l’évolution professionnelle à l’échelle de toute une vie ?
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Delgoulet.
Mme Catherine Delgoulet
Il est clair que les critères du C2P actuel correspondent plus particulièrement au monde industriel. Comment considérer et prendre en compte d’autres types de pénibilité ? Ce qui me semble important, comme le démontrent un certain nombre de travaux, c’est le dialogue social. Il faut donner la possibilité aux personnes qui travaillent et à leurs représentants de parler des facteurs de pénibilité et d’en rendre compte. Ils pourront ainsi construire ensemble des repères pour le secteur des services, qui permettront d’objectiver davantage la pénibilité qu’on ne le fait aujourd’hui. Le soutien à la démocratie sociale en entreprise me semble une voie intéressante pour définir des critères de pénibilité qui ne soient pas exclusivement physiques. Des éléments très intéressants ont déjà été évoqués au cours des deux témoignages que nous avons entendus. Ils méritent d’être travaillés, mais donnent déjà matière à réfléchir.
S’agissant, enfin, de la façon dont la soutenabilité est appréhendée dans d’autres pays européens, je sais – sans être une spécialiste de la question – que dès le milieu des années 1990, un groupe piloté par des collègues suédois a travaillé pendant une dizaine d’années à une approche disciplinaire du sujet, en se basant notamment sur des travaux sur le développement durable qui avaient été proposés aux Nations unies. Ce travail a conduit certains pays, notamment d’Europe du Nord, à donner la possibilité aux travailleurs de prendre des temps de respiration dans leur parcours professionnel. Cela me semble une façon de penser ces parcours autrement, sans être soumis à la pression évoquée précédemment.
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Lauseig.
Mme Anne Lauseig
Les aides à domicile n’ont pas de compte pénibilité, alors qu’elles rencontrent une pénibilité aussi bien physique qu’émotionnelle très importante. La création d’un compte pénibilité spécifique aux auxiliaires nécessiterait que les médecins, les organismes sociaux, les dirigeants de structures et les auxiliaires elles-mêmes se mettent autour d’une table.
Les auxiliaires de vie ne cochent pas les cases des facteurs de risques professionnels. Le port de charges lourdes n’est pas pris en compte, alors qu’un corps humain, qu’il pèse 40 ou 80 kg, est comme un poids mort. Elles sont concernées par le travail de nuit – car le maintien à domicile, c’est sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre –, mais celui-ci ne fait pas toujours l’objet d’une déclaration, c’est au bon vouloir de l’employeur.
Par ailleurs, l’aspect formation du compte pénibilité n’est pas très adapté, car toutes les auxiliaires ne bénéficient pas de la formation aux premiers secours et de la formation aux gestes et postures.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet
N’est-elle pas obligatoire ?
Mme Anne Lauseig
Elle l’est plus ou moins. Les employeurs doivent respecter le cahier des charges, mais ils ne sont pas tenus de former la personne à plusieurs reprises, alors que nous, nous réclamons que les auxiliaires suivent une formation tous les deux ans, pour qu’elles puissent réapprendre les gestes.
Nous demandons aussi que les auxiliaires puissent être vues régulièrement par les médecins du travail. Mais, comme pour les agriculteurs, nous nous heurtons à une médecine du travail qui ne reconnaît pas forcément les maladies professionnelles. Il faut rappeler, aussi, que certaines aides à domicile ont tendance à taire leur souffrance, de peur de perdre leur travail.
Mme la présidente
La parole est à M. André Bouchut.
M. André Bouchut
Alors que, dans nos métiers, on ne fait que subir, la question est toujours de savoir comment on anticipe. Sur les 9 milliards de la PAC, une somme énorme – ce qui ne veut pas dire que les revenus des agriculteurs soient élevés, loin de là – très peu d’argent va à l’anticipation, qu’il s’agisse des problèmes environnementaux causés par le réchauffement climatique ou des problèmes de santé. Il faudrait que les aides soient conditionnelles, selon que les agriculteurs font ou pas ce travail de prévention et de formation.
Mme la présidente
La parole est à M. Roger Chudeau.
M. Roger Chudeau (RN)
Votre témoignage, madame Lauseig, rejoint celui dont m’ont fait part quatre syndicalistes de l’ADMR – aide à domicile en milieu rural – du Loir-et-Cher. Vous êtes les oubliées du Ségur, comme le montrent la faiblesse de vos rémunérations et votre précarité statutaire, mais vous n’êtes pas oubliées par le projet de loi de réforme des retraites, qui prévoit de vous faire travailler jusqu’à 64 ans… J’ai acquis, lors de cet entretien avec vos collègues, la conviction que vous êtes, par le lien social et l’humanité que vous apportez à nos anciens et aux invalides, le visage de l’humanité et de la fraternité.
Ma question s’adresse plutôt au Gouvernement, mais il n’est pas représenté ici. Ne serait-il pas temps que le ministère de la santé organise une table ronde sur le statut des aides à domicile, pour les reconnaître à leur juste valeur ? Selon vous, quel est l’âge acceptable de départ à la retraite pour les auxiliaires ?
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Lauseig.
Mme Anne Lauseig
Nous ne dépendons pas du ministère de la santé, mais du ministère des solidarités. Nous sommes le « prendre soin » de la santé, nous faisons de la prévention quand nous alertons l’infirmier ou le médecin, quand nous promenons la dame pendant trente minutes, ce qui lui évitera une prise de médicament ou une visite chez le médecin.
C’est vrai, ces deux ministères devraient se réunir – avec le ministère du travail – pour parler de nos conditions de travail, de la pénibilité et du statut de notre métier.
Il est difficile de définir un âge de départ à la retraite. Pour moi, ce serait 60 ans – et encore, puisque dans nos métiers, à cet âge on est déjà fatigué. Ce que nous aimerions, c’est une retraite progressive, afin que nous puissions partir plus tôt sans être pénalisées au niveau de la pension.
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin.
Mme Marie-Charlotte Garin (Écolo-NUPES)
Merci à tous les trois pour vos interventions. Madame Lauseig, dans vos réponses, j’entends le besoin de formation, le besoin d’accompagnement, notamment psychologique. J’entends aussi la nécessité de créer un statut, de prendre en compte l’amplitude horaire, qui est une forme de pénibilité sur le temps long. J’entends aussi que la question de la revalorisation salariale est un angle mort pour les métiers du soin.
J’aimerais que vous détailliez les spécificités de la pénibilité, qu’elle soit physique ou psychologique, de votre métier. Quand on demande aux gens de travailler plus longtemps, il faut qu’on soit conscient de ce que cela implique pour le corps et l’esprit de ces travailleurs sous-estimés et sous-valorisés, et pourtant piliers de notre société.
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Lauseig.
Mme Anne Lauseig
La pénibilité physique s’exerce sur le dos, les épaules, les genoux et les chevilles. Si on exécute mal un transfert, si on bascule mal le corps de la personne, c’est l’épaule qui prend. Et il faut parfois beaucoup de temps pour récupérer. Ma blessure au dos, due à un accident du travail, a duré dix-huit mois.
La pénibilité psychologique découle des violences dont les auxiliaires de vie sont victimes. On peut se prendre des coups, finir à l’hôpital avec des doigts cassés. On peut subir des agressions physiques, ou sexuelles – peu en parlent. Il est difficile aussi de se trouver aux côtés d’une personne en fin de vie.
Tout cela peut arriver dans une même journée, puisqu’on voit sept personnes à la suite – quinze le week-end – de huit heures à vingt et une heures, l’amplitude horaire pouvant atteindre treize heures.
C’est durant le covid que nous avons rencontré les plus grandes difficultés. Pendant le confinement, on a supprimé les prises en charge à domicile – kinés, psychologues, orthophonistes – sans l’expliquer aux personnes, qui se sont retrouvées avec leur auxiliaire pour seul lien. Nous, nous sommes allées au front – sans masque, car nous n’étions pas prioritaires. En plus de notre propre angoisse, nous avons dû absorber toute l’anxiété de ceux dont nous prenions soin. Nous n’avions pas de sas de décompression ; quelques entreprises ont installé un numéro vert, mais c’est d’une présence que nous avions besoin.
Pour moi, le mois de mars a été très compliqué à vivre. Beaucoup de mes collègues, qui élèvent seules leurs enfants, ont dû s’arrêter. Du coup, j’ai travaillé sans relâche, sans un seul jour de repos. C’est la raison pour laquelle j’ai créé le collectif. Je suis devenue le réceptacle de toutes les angoisses – il fallait bien que les personnes les évacuent. Il était difficile de les entendre répétées, jour après jour, sans avoir personne à qui en parler.
Car nous sommes isolées, ce qui constitue une autre forme de pénibilité. Autrefois, on pouvait parler au responsable de secteur, aujourd’hui, c’est un logiciel qui nous envoie des SMS pour nous informer des modifications d’emploi du temps.
Nous souffrons aussi du stress lié au manque de temps. Le téléphone portable est devenu notre pointeuse. On n’a que trente minutes pour lever une dame, lui faire prendre son petit-déjeuner et préparer son déjeuner. Or, lorsqu’elle est à peine réveillée, qu’elle s’est levée du pied gauche, qu’elle est fatiguée et qu’elle a des problèmes de déglutition, on n’a pas terminé lorsque la sonnerie de fin se déclenche. Alors on pointe, mais comme on ne va pas l’abandonner en plein repas, on continue à la nourrir, avec le stress du tic-tac qui n’arrête pas… Il faut ensuite se dépêcher pour rejoindre le domicile d’après, en risquant un accident de voiture. Et ainsi de suite, toute la journée.
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Cabrolier.
M. Frédéric Cabrolier (RN)
Je suis heureux qu’on puisse parler de pénibilité, puisque nous n’avons pas pu examiner l’article 9 du projet de loi sur les retraites. Le C2P est un peu une usine à gaz : en effet, il s’agit d’un système de points et de seuils, mais plafonné. Le cumul des points permet, entre autres possibilités, de partir à la retraite avant 62 ans – 64 ans demain. Il existe une injustice, qui concerne tous les salariés – donc les auxiliaires de vie, qui sont souvent salariées, puisqu’elles travaillent dans le réseau de l’ADMR ou se font payer en chèques emploi service – : quand on part à la retraite à 62 ans, l’Agirc-Arrco applique un malus de 10 % sur la retraite complémentaire pendant trois ans.
En 2017, quatre facteurs de pénibilité ont été supprimés par le Gouvernement. Ne serait-il pas indispensable de réintégrer les trois facteurs dits ergonomiques ? Je pense en particulier au port de charges lourdes et aux postures pénibles, qui concernent vos métiers. Les risques ergonomiques, à l’origine des TMS, représentent 90 % des maladies professionnelles reconnues – c’est un fait que même l’étude d’impact du projet de loi de réforme des retraites prend en compte.
Par ailleurs, n’importerait-il pas de déplafonner le C2P ?
Des entretiens que j’ai eus avec des représentants de la MSA, il ressort qu’un problème se pose avec la médecine du travail. Le nombre de visites médicales se réduirait à deux : une première à 45 ans, une deuxième à 61 ans. Me confirmez-vous, monsieur Bouchut, qu’elles sont aussi espacées ?
Enfin, ne faudrait-il pas tenir compte des indemnités journalières pour maladie ou accident dans le calcul de la retraite des exploitants et des personnes exerçant des métiers de la santé ?
Mme la présidente
La parole est à M. André Bouchut.
M. André Bouchut
C’est simple, les exploitants, contrairement aux salariés agricoles, n’ont pas de compte pénibilité. C’est pour cela qu’il est important de travailler à des solutions nous permettant de partir plus tôt à la retraite. Avec quarante-trois annuités, j’ai pris ma retraite à 60 ans et c’était bien : même si, physiquement, j’aurais pu continuer, la pression était très lourde.
S’agissant des visites médicales, je peux vous dire que je n’ai eu qu’une vraie visite en trente et un ans de carrière. Avec ça, vous vous débrouillez comme vous pouvez ! Si, comme moi, vous avez la chance d’être dans une zone où il y a encore des médecins, vous allez voir votre généraliste, mais sinon, c’est très compliqué. Il faudrait rendre les visites obligatoires et anticiper. Le travail de fond sur ces questions-là n’a pas été fait. La réforme des retraites nous donne une occasion de les traiter enfin. Mettons-nous autour de la table.
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Delgoulet.
Mme Catherine Delgoulet
Les quatre facteurs de pénibilité supprimés en 2017 ont été clairement identifiés depuis de nombreuses années et ce n’est pas pour rien. Il ne faut pas les minimiser. Cela dit, leur réintégration ne suffira pas à régler le problème de la pénibilité au travail, tant s’en faut.
Quant au déplafonnement des points du C2P, je doute de son intérêt. Cela revient en effet à minorer la gravité de la durée d’exposition à la pénibilité. Le gain de points se ferait au détriment de la santé des personnes, ne l’oublions pas. Que le compte de prévention conduise le salarié à arbitrer entre son départ anticipé et sa santé me paraît discutable. Il vaudrait mieux travailler à une véritable prévention des risques professionnels.
Enfin, je m’étonne, je le répète, que l’on puisse parler de « risques ergonomiques ». Accoler ces deux termes témoigne d’une méconnaissance de l’ergonomie, dont l’ambition est d’améliorer les conditions de travail et de concevoir des postes adaptables à la diversité des populations.
Mme la présidente
La parole est à M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul (SOC)
Je vous remercie pour vos témoignages sur la pénibilité et pour vos appels à une nécessaire réintégration des facteurs de pénibilité supprimés, notamment dans le secteur du care et plus particulièrement pour les aides à domicile, dont les rémunérations sont beaucoup trop basses. Vous avez mille fois raison, madame Lauseig : avant de parler de retraite, il faut s’attaquer aux conditions de travail.
Vous avez insisté sur la mise en place d’une retraite progressive. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce que vous attendriez d’une réforme intelligente des retraites ?
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne Lauseig.
Mme Anne Lauseig
Si la médecine du travail dit qu’une auxiliaire de vie ne peut plus porter de charges, elle doit partir plus tôt même si elle n’a pas toutes ses annuités. Je ne suis pas spécialiste, mais il faudrait réfléchir au départ progressif quand il y a un avis médical.
Le maintien à domicile va au-delà de l’ADMR, monsieur Cabrolier, puisqu’il recouvre la fonction publique, les associations à but non lucratif, les entreprises privées et les particuliers employeurs. Le fait qu’il y ait plusieurs acteurs rend nécessaire une convention collective unique. Cela permettrait de réfléchir aux conditions de travail qui viennent avant la retraite.
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Delgoulet.
Mme Catherine Delgoulet
La retraite progressive renvoie à la nécessité d’anticiper, sur laquelle nous avons insisté. Anticiper revient à saisir l’articulation entre vie au travail et vie hors travail, vie professionnelle et retraite. Il s’agit d’ouvrir des voies pour des personnes dont les métiers sont difficiles à exercer jusqu’à l’âge de la retraite, actuel ou à venir.
Cela implique de se donner les moyens d’anticiper. Il existe peu d’outils généralisés pour cela. Une piste consiste à s’intéresser aux troubles infrapathologiques. Comme leur nom l’indique, ils désignent non pas des pathologies, mais un ensemble de difficultés, de douleurs et de signaux qui, même déjà installés, n’empêchent pas la personne de travailler. S’attacher à les repérer, c’est établir un lien avec l’évolution des conditions de travail et du contenu du travail lui-même. Il importerait de mettre en place des observatoires pour mieux anticiper les incidences de l’organisation du travail, de la pression temporelle, de l’intensification des tâches sur la santé des personnes. La prise en compte de ces troubles permettrait aussi de réfléchir à la retraite progressive pour ceux qui en souffrent.
Mme la présidente
Je remercie nos invités pour leur participation à nos travaux. Avant de passer à la seconde phase de notre débat, je vais suspendre brièvement la séance.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures quinze.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
La parole est à M. le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion
Nous nous retrouvons aujourd’hui pour débattre, à la demande du groupe Écologiste-NUPES, de la prise en compte de la pénibilité, qui constitue un volet central de la réforme des retraites en cours d’examen et, au-delà, des questions relatives au travail et à la qualité des emplois proposés. Les attentes exprimées par les différents partenaires sociaux en la matière sont nombreuses, mais les concertations menées dans le cadre de la préparation du projet de loi de réforme des retraites ont permis d’identifier plusieurs points d’équilibre et de convergence – même si cela ne signifie pas, tant s’en faut, qu’il y ait un accord sur la réforme ; bien au contraire.
Nous avons ainsi pu engager des discussions, de manière variable, avec les organisations patronales, d’une part, qui avaient des attentes particulières et les organisations syndicales, d’autre part, même si, pour le dire de manière très schématique voire simpliste, celles-ci étaient partagées entre celles qui, dès la création du C3P puis du C2P, avaient déclaré leur hostilité ou leur absence d’adhésion à cet outil et celles qui y croient davantage, si je puis dire, et considèrent qu’au-delà des désaccords exprimés sur les questions d’âge ou les modalités d’application, des convergences et des progrès sont possibles.
Il s’agit d’un volet central de la réforme, car la logique de travailler plus longtemps implique de travailler mieux et de prévenir davantage les problèmes de pénibilité et d’usure au travail, d’améliorer les conditions de travail, d’éviter l’enfermement dans des métiers difficiles et de faciliter l’accès aux formations et aux reconversions, qui sont autant de priorités à la fois de la réforme examinée et de l’ensemble de ma feuille de route.
Ce débat me permettra de préciser les dispositions que nous prévoyons dans le cadre du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) en matière de pénibilité, puisque nous n’avons pas pu examiner l’article y afférent dans l’hémicycle. C’est pourquoi je remercie le groupe Écologiste pour ce temps d’échange qui me donne l’occasion de le faire.
En matière de pénibilité et de prévention de l’usure professionnelle, notre premier objectif est de changer d’échelle. En effet, les précédentes réformes relatives aux retraites ou à la prise en compte de la pénibilité ont permis d’approcher le sujet, d’améliorer la situation, sans jamais totalement l’épuiser. La réforme de 2010 engagée par Éric Woerth a introduit dans le droit la notion de pénibilité sous l’angle de la réparation, c’est-à-dire d’un départ anticipé au titre de l’incapacité permanente – j’y reviendrai. Celle de Mme Touraine en 2014 a conçu le compte de pénibilité, un dispositif très ambitieux dans son principe – il s’agissait alors du C3P –, mais difficile à appliquer s’agissant des critères ergonomiques – j’y reviendrai également –, ce qui nous a conduits en 2017 à le remplacer par le C2P.
Nous souhaitons donc, avec le texte que je défends devant le Parlement depuis quelques semaines, apporter une réponse à la fois plus ambitieuse, plus complète et plus effective.
Une réponse plus ambitieuse, car la mise en œuvre de cette politique s’accompagne de la création d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, doté de 1 milliard d’euros sur les quatre prochaines années du quinquennat : par rapport aux moyens consacrés par la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP) à la prévention de la pénibilité, qui sont de l’ordre de 40 millions par an, le changement d’échelle se perçoit aisément, tout au moins d’un point de vue arithmétique. Nous souhaitons placer ce fonds auprès de la branche AT-MP – dans le cadre du dialogue social, puisque ce sont les partenaires sociaux qui gèrent principalement cette branche.
Une réponse plus complète également car, au-delà des six facteurs encore inscrits dans le C2P, nous souhaitons une approche nouvelle avec des solutions aussi concrètes que possible pour prévenir l’usure et la réparer si nécessaire pour les métiers les plus exposés au port de charges lourdes, aux postures pénibles et aux vibrations mécaniques – ce qui relève des trois critères dits ergonomiques –, qui génèrent l’écrasante majorité des troubles musculo-squelettiques.
Une réponse effective enfin, car l’un des plus grands écueils en matière de pénibilité est d’imaginer des dispositifs trop éloignés des réalités du quotidien dans l’entreprise. Notre objectif est donc de réfléchir à un dispositif qui soit le plus opérationnel possible et le plus concret en matière de résultats.
Permettez-moi d’ajouter encore quelques mots. Tout d’abord, nous entendons améliorer le C2P en levant les verrous qui existent actuellement et le rendent parfois plus difficile à utiliser que nous ne le souhaiterions. C’est pourquoi nous abaisserons plusieurs seuils qui permettent d’acquérir des droits, renforcerons l’acquisition de droits pour les salariés dits polyexposés et augmenterons la valeur des droits acquis par les salariés au titre du C2P. Ainsi, à titre d’illustration, nous abaisserons de 120 à 100 le nombre de nuits travaillées par an permettant d’obtenir des points ; nous supprimerons le plafond actuel de 100 points ; un point de C2P permettra de financer 500 euros de formation au lieu de 375 actuellement – traduisant l’augmentation de la valeur des points ; enfin, les trimestres d’anticipation de départ à la retraite seront désormais, si la réforme est adoptée, intégralement pris en compte dans le calcul de la pension des assurés.
Ensuite, autre nouveauté que je veux souligner pour les travailleurs disposant d’un C2P : la possibilité nouvelle d’utiliser les points ainsi accumulés dans le cadre d’un congé de reconversion, afin de mettre fin à l’enfermement dans des métiers difficiles. J’ai écouté une partie des propos des intervenants précédents, je pense notamment à Mme Delgoulet qui, en sa qualité d’ergonome auprès du Cnam, soulignait combien il est important d’éviter l’enfermement dans des métiers pénibles et de favoriser les reconversions vers de nouveaux parcours professionnels et l’orientation vers des métiers moins exposés à l’usure professionnelle. L’objectif est que les travailleurs qui auraient recours à cette nouvelle possibilité bénéficient d’un congé de reconversion professionnelle rémunéré à 100 % et, bien sûr, d’une formation totalement financée.
En ce qui concerne les critères ergonomiques, l’objectif est de faciliter la prévention et la réparation de l’exposition à la pénibilité. Nous proposons donc que la branche AT-MP, qui dispose de statistiques et d’outils d’analyse très nombreux – je pense notamment à la prévalence des maladies professionnelles, au taux d’accidentologie s’agissant des accidents du travail, mais aussi à l’enquête Sumer (surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels) sur les conditions de travail –, transmette aux branches professionnelles la liste des métiers qui sont, par principe et par hypothèse, selon ces éléments statistiques, les plus exposés au risque d’usure professionnelle et aux trois critères dits ergonomiques. Les branches seront ensuite tenues de négocier un accord de prévention, cofinancé par le fonds évoqué précédemment, et de l’appliquer afin de mettre l’accent sur la prévention de l’usure et d’éviter un maximum d’exposition.
Les salariés des métiers ainsi identifiés feront également l’objet d’un suivi médical spécifique, avec notamment une première visite médicale obligatoire à mi-carrière, une dernière obligatoire à 61 ans, afin d’avoir l’assurance que celles et ceux qui n’auraient malheureusement pas été suffisamment protégés par la prévention bénéficient d’un départ anticipé. Dans l’intervalle, chaque branche devra déterminer le rythme des visites et du suivi médical.
J’ai évoqué précédemment les départs en retraite pour incapacité permanente : nous maintenons cette possibilité de départ à taux plein deux ans avant l’âge légal et souhaitons en simplifier l’accès à la fois en assouplissant fortement les conditions pour les salariés ayant un taux d’incapacité compris entre 10 % et 20 % et en rendant automatique le droit à un départ anticipé pour ceux qui se sont vu reconnaître un taux d’incapacité supérieur à 20 %.
Dernière parenthèse, le départ anticipé sur avis médical amène de ma part deux observations : la première, c’est qu’il y a là un point de désaccord avec les partenaires sociaux, en particulier les organisations syndicales que j’ai désignées précédemment comme étant plutôt convaincues par l’utilité du C2P – ce qui n’est pas le cas de toutes –, qui auraient préféré que le départ anticipé soit automatique pour les travailleurs exerçant l’un des métiers identifiés par la branche AT-MP. Nous ne partageons pas ce point de vue, car nous considérons que le départ anticipé est une réparation lorsque l’usure n’a pas pu être prévenue, mais que l’avis médical individuel doit prévaloir : en effet, derrière un même code métier, la réalité des conditions d’exposition à l’usure professionnelle peut se révéler très différente.
Je prendrai deux exemples. En premier, celui des aides-soignantes qui exercent dans les Ehpad : ce métier est, par définition, pénible et tout le monde le reconnaîtra volontiers ; toutefois, l’exposition à la pénibilité n’est pas la même selon que l’établissement est équipé de rails, de lève-malades, d’assistance mécanique pour la manipulation des patients ou qu’au contraire l’intégralité des manipulations doit être réalisée par les personnels. Cela reste un métier pénible, mais les conditions d’exercice diffèrent. De la même manière, un menuisier peut travailler sur des chantiers à l’extérieur et être ainsi exposé à des températures très variables ou, à l’inverse, exercer dans un lieu clos, avec une température régulée et parfois des machines à commande numérique : tout en relevant d’un même code métier, le niveau d’exposition à la pénibilité sera très différent. C’est pourquoi nous privilégions le suivi médical individuel.
Enfin, la volonté de mieux prendre en compte la pénibilité dans le cadre de la réforme des retraites constitue un jalon, une étape supplémentaire qui intervient après les questions relatives à la santé au travail, notamment après l’accord interprofessionnel ayant donné lieu à l’adoption de la loi du 2 août 2021, qui a profondément revu les missions des services de santé au travail et concrétisé des avancées, telles que la visite de mi-carrière.
Elle est aussi une étape avant d’autres réflexions qui seront à mener sur la qualité de vie et les conditions de vie au travail. C’est là la deuxième observation que je voulais faire après celle concernant le suivi médical : en réalité, les départs anticipés au titre de la réparation – terme utilisé depuis la loi de 2010 – ne sont pas totalement satisfaisants. Il s’agit d’un droit que nous devons protéger et dont nous devons garantir et simplifier l’accès. Toutefois, de manière plus structurelle, nous partageons tous la volonté de mieux protéger les travailleurs de l’exposition à l’usure et à la pénibilité afin que chacun soit en mesure d’atteindre l’âge légal de départ à la retraite en bonne santé – quel que soit l’avis que l’on porte quant au niveau pertinent de cet âge légal – plutôt que de se satisfaire de départs anticipés avec une santé altérée. Prévenir l’exposition à l’usure professionnelle est le principal intérêt de notre politique en la matière.
Voilà ce que je voulais dire, madame la présidente, en ouverture de ce débat.
Mme la présidente
Je vous remercie. Nous en venons à la séquence de questions-réponses. Je rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.
Mme Sophie Taillé-Polian (Écolo-NUPES)
Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces éléments. Certes, nous n’avons pas formellement eu le temps de débattre de l’article 9 de la réforme, mais nous avons tout de même, au cours de ces dernières semaines, largement abordé les questions de pénibilité. Notre groupe a cependant souhaité approfondir le sujet en organisant le débat d’aujourd’hui ; il permettra de le faire, de façon certes limitée dans la mesure où il sera très court.
M. Frédéric Cabrolier
Oui, c’est sûr.
Mme Sophie Taillé-Polian
Vous avez déclaré que la politique menée est ambitieuse. Nous n’avons pas du tout la même vision des choses. À nos yeux, vos propositions ne sont que des mesures d’adaptation qui sont très faibles en comparaison de ce qui est demandé aux Français, c’est-à-dire travailler deux ans de plus.
Au cours des concertations, l’ensemble des organisations syndicales ont d’ailleurs estimé que la question de l’amélioration des conditions de travail et de la prévention au travail était un préalable à toute discussion relative aux retraites. Nous considérons que le départ anticipé doit permettre d’éviter que la santé des salariés ne s’altère, plutôt qu’il ne doit réparer une santé déjà altérée, qui empêchera de profiter pleinement de la retraite. Quelle politique mène le ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion pour développer la médecine du travail, lui redonner de l’allant et du dynamisme, et convaincre les étudiants d’embrasser cette voie, à l’heure où nous manquons tant de médecins du travail ? Qu’en est-il de l’indispensable politique de prévention primaire ? Quand sera enfin conduite une politique d’ampleur pour que la culture de la prévention se développe dans toutes les entreprises ? Peut-on encore parler de compte professionnel de prévention, quand le déplafonnement ne posera plus aucune limite à l’altération de la santé ? Où est votre politique visant à limiter et à prendre en considération la pénibilité pour les femmes, qui ne sont toujours pas placées au cœur du C2P ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre
Je ne m’attendais pas à ce que vous me félicitiez, madame la députée ; vos propos ne me surprennent donc pas, et je ne les partage pas. J’estime que l’ensemble des dispositions relatives à la pénibilité ne peuvent pas figurer dans le projet de loi que je défends. Pour autant, le texte comporte déjà des améliorations en la matière ; il constitue une étape, et devra être suivi par d’autres avancées votées dans le cadre d’une loi ordinaire.
Par ailleurs, la revalorisation et le regain d’attractivité de la médecine du travail ne passeront pas par des lois, mais par des plans sectoriels – nous devons y travailler avec M. le ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées. La désaffection que subissent les services de santé au travail n’est pas nouvelle et appelle des réponses à l’échelle de la filière. La loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail fournit des outils en ce sens, comme la possibilité de confier certains actes à des infirmiers en pratique avancée, sous l’autorité des médecins – le décret d’application afférent a été publié le 1er janvier 2023.
J’en viens à ce qui constitue probablement le cœur de notre désaccord : je considère qu’il n’y a rien de contradictoire à déplafonner le C2P et à mener une politique de prévention. Cette dernière est la clé absolue de la lutte contre la pénibilité : elle doit concentrer tous les efforts et l’essentiel de notre énergie. L’objectif est certes utopique, car nous visons le long terme et, en la matière, la perfection absolue n’existe pas : il s’agit d’éviter que les salariés soient exposés à la pénibilité et qu’ils doivent partir à la retraite de façon anticipée à titre de réparation. Nous devons renforcer la prévention, mais aussi faciliter les bifurcations et les réorientations. Déplafonner, c’est donner aux salariés qui sont exposés – ou qui l’ont été – la possibilité d’accumuler autant de points que leur situation le justifie, en leur permettant de les utiliser de façon plus diversifiée – par exemple, en recourant au départ anticipé ou au congé de reconversion.
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)
Avant d’aborder le sujet de la pénibilité, je tiens à réaffirmer la position du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES : votre projet de loi doit être retiré, vu l’opposition massive qu’il suscite et la régression sociale qu’il implique. Je vois d’ailleurs un aveu dans les mesures dites d’accompagnement que vous avez été contraint d’y introduire, mais qui ne constituent en rien une compensation – comment le pourraient-elles, quand il est demandé aux salariés de travailler deux ans de plus ?
Passons aux questions. N’est-il pas nécessaire de dresser un véritable bilan du C2P ? Dans un rapport publié fin 2022, la Cour des comptes juge que ce dispositif « est voué à n’exercer qu’un effet réduit, sans impact sur la prévention ». Nous en dressons également un diagnostic sévère. Vous continuez pourtant d’investir dans cet outil, alors que, de toute évidence, il ne répondra pas aux enjeux – sans compter que votre logique de médicalisation va à l’encontre de la logique de droits collectifs que nous défendons.
Par ailleurs, je crois savoir que des discussions sont en cours au sujet de l’invalidité – couperet dont nul ne saurait se satisfaire. Où en est ce chantier ?
Enfin, le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle heurte la philosophie même de la branche AT-MP, en lui assignant un objet qui n’est pas le sien : il interviendra là où la responsabilité des entreprises devrait être engagée. Je suis pour le moins étonné par ce nouveau fonds et par la philosophie qui le sous-tend.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre
Je ne reviendrai pas sur vos propos liminaires, qui rappellent notre désaccord concernant la réforme des retraites.
Vous citez le rapport de la Cour des comptes : il constitue l’une des raisons pour lesquelles nous apportons des modifications au C2P. Nous souhaitons que ce dispositif se déploie plus facilement et qu’il présente un intérêt accru. Les mesures que nous prévoyons y contribueront : citons le déplafonnement des points du C2P, l’accroissement des possibilités de formation auxquelles ces points donnent droit, ouvrant à des parcours plus marqués, la meilleure prise en compte de la polyexposition, ou encore l’abaissement des seuils, qui facilitera la mise en œuvre du dispositif – car il est évident que si les critères d’obtention des points sont trop restrictifs, les salariés ne verront pas d’intérêt à ouvrir un C2P. Le C2P offrira en outre de nouvelles possibilités de reconversion.
Vous avez évoqué une logique de médicalisation qui serait contraire à la logique des droits collectifs. Je crois aux droits collectifs pour ce qui concerne la prévention ; c’est pourquoi le sujet est renvoyé aux branches et au dialogue social. En revanche, je reste convaincu que la logique de réparation – notamment le départ anticipé – doit s’appuyer sur un suivi médical individuel, pour prendre en compte l’exposition effective à des facteurs de pénibilité et à des conditions de travail particulièrement pénibles.
Pour ce qui concerne l’invalidité, je ne dispose pas d’éléments suffisants pour vous répondre immédiatement ; je vous communiquerai ces informations ultérieurement.
Enfin, la branche AT-MP affiche un résultat excédentaire significatif, et le maintiendra ces prochaines années ; il représente un flux de 1 à 1,2 milliard d’euros par an pour la branche maladie. Nous estimons qu’après les retraitements relatifs aux sous-déclarations, ce flux atteindra 3,3 milliards en 2025 ; il est donc justifié qu’il finance des dépenses « actives ».
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Lenormand.
M. Stéphane Lenormand (LIOT)
Je vous remercie de participer à cet échange, monsieur le ministre, même si nous aurions aimé discuter plus longuement d’un sujet aussi important.
Sachant que le compte professionnel de prévention a perdu quatre critères de pénibilité au cours de sa mutation, j’aimerais recueillir votre avis sur certaines propositions soumises par le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, ainsi que par certains de nos collègues.
Seriez-vous favorable à la réintégration des trois critères ergonomiques dans le C2P, par le biais d’un mécanisme issu du dialogue social et fondé sur la cartographie des métiers ?
Que pensez-vous de l’idée de bonifier votre texte et de maintenir les possibilités de départ anticipé à 60 ans en application du C2P ? Nous parlons en effet de salariés qui seront cassés par la pénibilité des métiers qu’ils auront exercés.
Serait-il envisageable d’étendre le C2P aux agents contractuels de la fonction publique ? Cette population en est pour le moment exclue, puisque le dispositif est essentiellement destiné au secteur privé.
Enfin, êtes-vous favorable à ce que le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle soit élargi aux dix facteurs de risques professionnels, au-delà des trois critères ergonomiques ? Comment le montant important alloué au fonds d’investissement sera-t-il utilisé ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre
Nous sommes ouverts à ce que le dialogue social et les accords de prévention contribuent à définir les dépenses éligibles au fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle : il pourra s’agir de financer tant des équipements ergonomiques, visant à prévenir l’usure et la pénibilité, que des formations, des campagnes d’information collectives ou des parcours de reconversion. C’est à dessein que la liste des actions éligibles n’est pas définitivement arrêtée : dès lors que nous renvoyons la définition des accords de prévention au dialogue social de branche, nous ne pouvons pas fermer la liste des actions qui relèveront de ces accords et qui pourront être cofinancées par le fonds d’investissement.
Nous préférons concentrer le fonds sur les trois critères ergonomiques, car les six autres critères peuvent plus difficilement faire l’objet d’accords de prévention ou de financement d’actions au titre de ces derniers – je pense notamment aux contraintes d’organisation que constituent le travail de nuit et le travail en trois-huit.
La piste consistant à étendre le C2P aux agents contractuels de la fonction publique a fait l’objet de discussions, mais nous ne l’avons pas retenue à ce stade. Il nous paraît préférable de dédier des outils spécifiques à la fonction publique. La fonction publique d’État sera donc mobilisée, et nous mettrons en place les dispositifs nécessaires – notamment financiers – à cette fin. Le projet de loi prévoit ainsi la création d’un fonds de prévention de la pénibilité pour les métiers du soin de la fonction publique hospitalière (FPH) comme de la fonction publique territoriale (FPT), à hauteur de 100 millions d’euros par an. Enfin, une discussion a été ouverte – ou le sera bientôt – entre mes collègues en charge des collectivités et de la fonction publique d’une part, et les représentants d’associations d’élus locaux d’autre part : il est important de réfléchir à la façon dont nous pouvons progresser en matière de pénibilité, en respectant la libre administration des collectivités.
Pour ce qui est de la réintégration des trois critères ergonomiques, il nous paraît matériellement impossible d’effectuer un décompte individuel et quasi quotidien de l’exposition aux postures pénibles, aux charges lourdes et aux vibrations. Nous en avons fait le constat en 2017 lors du passage du C3P au C2P. Nous proposons plutôt de traiter ces trois critères par le biais des accords de prévention et du suivi médical renforcé.
Mme la présidente
La parole est à Mme Astrid Panosyan-Bouvet.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet (RE)
Dans le rapport qu’a évoqué M. Dharréville, la Cour des comptes regrette qu’en matière de pénibilité, le principe pollueur-payeur, qui avait été institué en 2014, ait été supprimé en 2017. Le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle, doté de 200 millions d’euros par an, reprend-il ce principe qui constitue un outil d’incitation puissant pour les entreprises ? L’économiste Philippe Askenazy a démontré que cette approche avait permis de réduire massivement les accidents du travail aux États-Unis dans les années 1990.
Je conçois par ailleurs qu’il soit difficile d’intégrer les trois critères ergonomiques dans le C2P, mais certaines professions sont présumées pénibles : par définition, un déménageur porte des charges lourdes, de même qu’un plombier canalisateur est soumis à des contraintes ergonomiques inhérentes à son activité quotidienne – la directrice générale de Veolia le reconnaît d’ailleurs. La liste des métiers présumés pénibles pourrait donc très bien comporter des professions soumises à de fortes contraintes ergonomiques.
Enfin, vos services ont-ils établi un croisement entre les salariés qui exercent des carrières présumées pénibles et ceux qui commencent à travailler avant 20 ans ? Dans quelle mesure les deux catégories se recoupent-elles ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre
Nous ne souhaitons pas réintégrer les cotisations pénibilité qui existaient avant 2017, car elles ont exercé un effet de bord sur le coût du travail. En revanche, le fait que le fonds d’investissement soit financé par la branche AT-MP renvoie aux modalités de financement de cette dernière, qui incluent le principe pollueur-payeur : les taux sont majorés selon l’accidentologie et la prévalence des maladies professionnelles. Nous retrouvons donc cet état d’esprit dans le financement général de la branche AT-MP, laquelle financera le fonds que nous proposons de créer.
Vous évoquiez également la comptabilisation des critères ergonomiques pour certaines professions connues pour leur pénibilité inhérente. Effectivement, les exemples que j’ai cités pour illustrer l’exposition variable aux facteurs de pénibilité étaient sans doute simplistes – les exemples le sont souvent. Les branches professionnelles pourront bien entendu distinguer certaines professions dont la pratique expose invariablement à des facteurs de pénibilité, afin d’en assouplir et d’en faciliter la prise en compte. Toutefois, je ne souhaite pas présumer du résultat des négociations de branche ; puisque nous faisons confiance aux branches pour conclure des accords de prévention et pour déterminer les solutions appropriées en matière de prévention et de réparation, il convient de leur laisser le temps de négocier.
Enfin, il n’existe aucune corrélation statistique entre les travailleurs bénéficiant d’un départ anticipé pour carrière longue et les travailleurs exposés à la pénibilité. Il ne s’agit pas des mêmes populations. En effet, une partie des carrières longues correspond à des métiers peu pénibles. D’autre part, de nombreuses personnes éligibles à un départ anticipé pour carrière longue, quand bien même elles auraient commencé leur carrière en exerçant un métier pénible, connaissent une évolution professionnelle qui les mène à occuper un poste non pénible. L’espérance de vie à la retraite nous en donne une vision certes froide et statistique, mais instructive : elle s’élève en moyenne à vingt-quatre ans toutes catégories confondues, mais à près de vingt-six ans pour les personnes bénéficiant du dispositif carrières longues, qui, étant parties à la retraite deux ans plus tôt, disposent donc de la même espérance de vie globale.
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Cabrolier.
M. Frédéric Cabrolier (RN)
Nous réitérons notre opposition à votre réforme des retraites, qui repoussera l’âge légal de départ de 62 ans à 64 ans. En revanche, l’article 9, relatif à la pénibilité, contient plusieurs mesures qui nous semblent aller dans le bon sens. Il laisse toutefois perdurer quelques injustices.
Vous mentionnez la création d’un congé de reconversion rémunéré à 100 %, qui s’accompagnerait de droits à la formation à hauteur de 500 euros. Lorsque nous avons visité ensemble l’entreprise de transports Coulom, à Albi, les seniors que nous avons rencontrés ont effectivement formulé cette demande ; je salue donc cette mesure.
Vous évoquez également la question de l’incapacité et, si j’ai bien compris, la possibilité d’un départ anticipé à 62 ans. Comme je le soulignais plus tôt, j’y vois une injustice, car les salariés dépendant du régime complémentaire Arrco subissent une décote de 10 % pendant trois ans pour tout départ avant 63 ans. Que répondez-vous à cela ?
Enfin j’ai cru comprendre – peut-être ai-je mal suivi – que le C2P permettrait l’octroi de droits supplémentaires liés au passage à temps partiel. Là encore, les salariés de l’entreprise Coulom ont demandé cette mesure. Pouvez-vous nous éclairer davantage à ce sujet ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre
Je répondrai par trois précisions. La première concerne le financement de la formation. La mesure que nous proposons consiste à faire évoluer la valeur du point de 375 euros à 500 euros. Les droits à la formation ne s’élèvent donc pas à 500 euros au total, mais à 500 euros par point consacré à financer des formations permettant un reclassement.
M. Frédéric Cabrolier
Ah, d’accord !
M. Olivier Dussopt, ministre
Le déplafonnement s’inscrit d’ailleurs dans la même logique, qui nous conduit à vouloir accompagner les congés de reconversion de manière plus globale.
La deuxième concerne le temps partiel. En utilisant 10 points de son C2P, il est actuellement possible de passer à temps partiel pour trois mois en restant payé à taux plein ; nous étendrons cette durée à quatre mois. Une personne souhaitant travailler à temps partiel pendant un an avant de partir à la retraite devra dépenser trente points, et non quarante comme c’est actuellement le cas. À défaut d’abaisser les seuils d’acquisition des points, cette mesure permet d’en valoriser l’utilisation.
La troisième concerne la décote dans le cadre des régimes complémentaires, notamment de l’Agirc-Arrco. Ce point ne relève pas de l’État, mais de l’accord national interprofessionnel (ANI) entre les partenaires sociaux. Au-delà de cet exemple, nous proposons de mettre en œuvre plusieurs dispositions relatives au régime général qui susciteront certainement – mais je ne veux pas présumer de l’échange entre les partenaires sociaux – des discussions quant à la gouvernance des régimes complémentaires. Par exemple, nous voulons rendre contributif le cumul emploi-retraite, ce qui le rendrait créateur de droits. Il reviendra aux partenaires sociaux, s’ils le souhaitent, de se saisir de cette question, afin que cette disposition ne soit pas réservée au régime général, mais soit également applicable aux régimes complémentaires.
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Saintoul.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES)
J’ai sous les yeux le tableau de sinistralité des accidents du travail en 2019, qui est sans équivoque : la fréquence des accidents graves et mortels augmente constamment avec l’âge. Le nombre d’accidents mortels par milliard d’heures rémunérées s’élève à 20,5 en moyenne, à 15 pour les 15-19 ans, à 7 pour les 20-29 ans – cette légère baisse par rapport à la tranche d’âge précédente souligne surtout la vulnérabilité particulière des apprentis –, à 8 pour les 30-39 ans, à 19,2 pour les 40-49 ans, à 39,3 pour les 50-59 ans – il dépasse donc la moyenne – et à 54,2 au-delà de 60 ans. Repousser l’âge du départ à la retraite revient donc indubitablement à accroître le risque de mourir au travail. Comment votre réforme répond-elle à ce problème ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre
De prime abord, les chiffres que vous citez semblent soutenir votre argumentation, mais ils cachent une réalité plus complexe. Vous avez bien fait de rappeler la date de 2019 : en effet, c’est l’année où une jurisprudence de la Cour de cassation a amené l’État à comptabiliser les malaises parmi les accidents du travail mortels survenus dans le lieu de travail. Cela explique d’ailleurs le pic d’accidents constaté en 2019 – il fut suivi en 2020 par une décrue liée à la pandémie, puis par le retour à un niveau moyen en 2021 et 2022. Le détail des chiffres révèle que la fréquence des accidents du travail diminue avec l’âge. En revanche, la fréquence des malaises au travail augmente avec l’âge, ce qui s’explique aussi par des raisons de santé. La lecture des données brutes ne suffit donc pas ; l’intégration des malaises dans les chiffres des accidents mortels demande une analyse plus poussée.
Lors de ma prise de fonction, j’ai demandé à être prévenu systématiquement de chaque accident mortel survenu au travail, à l’exception des accidents de trajet entre le domicile et le lieu de travail. Il est frappant de constater que les accidents du travail graves ou mortels présentent presque systématiquement deux caractéristiques. Premièrement, la victime a rejoint récemment l’entreprise ou le lieu de travail en question ; cela inclut donc les apprentis, mais également les nouveaux embauchés, quel que soit leur âge, les salariés intérimaires et les salariés détachés. Deuxièmement, la victime était isolée au moment de l’accident, ce qui est particulièrement fréquent dans le milieu agricole. C’est sur ces deux aspects que je souhaite travailler. Le projet de loi à venir que j’évoquais pourra contenir des mesures en la matière. Je rappelle également que l’axe transversal du quatrième plan national de santé au travail (PST) est consacré à la lutte contre les accidents du travail graves et mortels. J’ai mobilisé depuis décembre les services du ministère du travail pour lutter contre ces accidents ; en effet, outre les accidents mortels – et 650 accidents mortels par an, sans compter les accidents de trajet, c’est trop –, il survient 9 600 accidents par an qui mènent à une incapacité permanente partielle ou totale du salarié. Ce chiffre – 10 000 personnes marquées à vie chaque année par un accident du travail – est tout aussi inacceptable, et peut-être plus inquiétant encore, que les centaines de morts.
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Viry.
M. Stéphane Viry (LR)
Vous venez de répondre aux questions qui me taraudaient, relatives aux accidents du travail graves ou mortels et à votre plan pour les diminuer et offrir aux victimes une réparation intégrale.
Nous débattons du droit au départ anticipé à la retraite fondé sur la pénibilité du travail, et donc sur la capacité physique à travailler. Cette question est directement liée à celle du travail en général. Vous avez évoqué des divergences quant à l’exposition à la pénibilité et quant à la pénibilité en soi, définie légalement en 2010 selon plusieurs facteurs. Je sens néanmoins que la société évolue : plutôt que les conditions de travail, ne s’interroge-t-on pas désormais sur les conditions du travail lui-même ? En écoutant les témoins invités par nos collègues écologistes, on comprend bien qu’au-delà des questions techniques, le cœur du débat concerne notre rapport au travail. Est en question non seulement la santé au travail, mais aussi, plus largement, le lien de subordination entre le salarié et son employeur. La notion de soutenabilité au travail a été évoquée. Cette question est centrale : dès lors qu’on peine à admettre l’existence de difficultés liées à son travail, on cherche surtout à tenir le coup, à endurer l’effort. Force est de constater que votre projet de loi contient des mesures techniques destinées à combler des carences en matière de prévention et de prise en compte de l’usure professionnelle, mais ne crée pas de nouveau souffle, ne repense pas la définition légale de la pénibilité. Je le regrette. Je vous pose donc une question liée à celle de mon collègue : entendez-vous créer de nouveaux critères de pénibilité relatifs à la charge psychique et à la santé mentale ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre
Il est passionnant de débattre du travail en général, mais cela ne se traduit pas nécessairement par des dispositions législatives. Il s’agit d’une question plus large : quelle place donne-t-on au travail dans la société, dans une vie ? De telles discussions sont en cours dans le cadre des assises du travail. La difficulté consiste à passer du constat, de l’énoncé de principe, à sa traduction technique, nécessaire pour orienter l’évolution de la loi. Cette tâche reste à accomplir. J’ai bon espoir que les propositions issues des assises du travail trouveront leur place dans les débats que nous mènerons au printemps et à l’été, de sorte que les questions relatives à la qualité des conditions de vie au travail seront pleinement examinées. Il conviendra également d’aborder le thème de la démocratie au travail dans un nouveau contexte caractérisé par l’éclatement du lieu de travail – je pense au recours accru au télétravail ou à des tiers lieux –, qui invite à repenser le rapport aux instances de représentation du personnel.
En ce qui concerne les risques psycho-sociaux, je tiens d’abord à rappeler que la part des départs pour incapacité liée à la santé mentale augmente progressivement, et que la jurisprudence permet désormais de mieux prendre en compte ce facteur. La difficulté consiste à quantifier et à objectiver les risques psycho-sociaux. Faute de consensus méthodologique, nous ne sommes pas en mesure d’établir les grilles qui permettraient de considérer ces risques comme facteurs objectifs de pénibilité, mesurables et applicables de manière indifférenciée, donnant droit à un départ anticipé pour incapacité.
Cela m’amène à préciser mes propos relatifs aux départs pour incapacité, dont j’ai dit que nous les faciliterions. Nous souhaitons que les salariés dont le taux d’incapacité est supérieur à 20 % bénéficient d’un droit automatique au départ anticipé, considérant que l’attribution d’un tel taux vaut avis médical définitif. Pour les salariés dont le taux d’incapacité est compris entre 10 % et 20 %, nous simplifierons considérablement les processus administratifs et diminuerons le critère de durée d’exposition à une situation pénible, qui passera de sept à cinq ans.
Mme la présidente
La parole est à M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul (SOC)
En 2014 a été créé le C3P, le compte personnel de prévention de la pénibilité, un dispositif bien connu permettant aux salariés exposés à des conditions de travail difficiles de gagner des points servant à financer des formations, un passage à temps partiel sans baisse de salaire, ou encore un départ à la retraite anticipé. En 2017, la nouvelle majorité a remplacé le C3P par le compte professionnel de prévention, dit C2P. En plus de changer la dénomination du dispositif pour supprimer le mot « pénibilité », loin d’améliorer la prise en compte de la pénibilité, vous en avez supprimé plusieurs critères : risque chimique, vibrations mécaniques, posture pénible et port de charges lourdes.
Sous couvert de supprimer une usine à gaz, comme vous l’appeliez, vous avez créé une usine à mirages. Comme mes collègues l’ont rappelé, la Cour des comptes a conclu que le C2P n’exerce qu’un effet réduit sur la pénibilité, n’améliore pas la prévention, et ne se montre pas à la hauteur des objectifs qui lui sont assignés, dans un contexte où, par ailleurs, l’âge de départ à la retraite recule.
Les syndicats, vous le savez, sont unanimement opposés à cette réforme des retraites. Ils sont bien conscients que la pénibilité au travail est encore loin d’être reconnue et que les dispositifs existants ont été affaiblis par votre majorité depuis 2017.
À de très nombreuses reprises, vous avez répété, sûrement pour vous rassurer, que votre texte sur les retraites permettrait une amélioration de la prise en compte de la pénibilité. Cependant, il n’en est rien. Ainsi, dans votre PLFRSS, vous auriez pu au moins réintégrer des facteurs de risque supprimés en 2017. Au lieu de cela, vous avez relancé l’usine à mirage en évoquant les retraites à 1 200 euros pour tous. Nous nous opposons à cette réforme, pour préserver des années de vie en bonne santé pour tous les travailleurs, et en particulier pour ceux qui vivent la pénibilité au travail.
Alors que l’ensemble des syndicats s’oppose à cette réforme des retraites et demande la réintégration des critères de pénibilité, je vous poserai une double question, monsieur le ministre. Quand ouvrirez-vous le dialogue social sur les retraites et sur la pénibilité ? Quand réintroduirez-vous les critères que vous avez supprimés ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre
Monsieur Leseul, vous évoquez la réforme de 2014, celle qui a augmenté la durée de cotisation requise pour avoir accès à la retraite à taux plein. Il est toujours utile de rappeler qui a voté cette réforme et les conditions dans lesquelles elle a été instaurée.
Si c’était à refaire, nous prendrions les mêmes décisions qu’en 2017. Dans le cadre de cette réforme, les trois critères ergonomiques faisaient l’objet d’une quantification individuelle quasi quotidienne – c’était mission impossible, notamment pour les petites et moyennes entreprises. Avec la réforme actuelle, avec le PLFRSS que je présente devant vous, nous avons acté le fait qu’en matière de port de charges, d’exposition aux postures pénibles et aux vibrations, il n’était pas possible de procéder systématiquement à des mesures individuelles, d’où le recours à un dialogue social de branche et à des mesures collectives de prévention assorties d’un suivi individuel médical renforcé tel que je l’ai défini précédemment.
Ensuite, vous ne pouvez pas dire que ce texte ne permet pas d’améliorer la prise en considération de la pénibilité. En effet, élargir les possibilités d’obtention de points, augmenter la valeur des points, créer des utilisations nouvelles de droits et améliorer la prise en considération de l’exposition multiple contribue, que vous le vouliez ou non, à améliorer la C2P – et cette réforme est effectivement vue comme une amélioration.
Les trois critères ergonomiques qui avaient été exclus en 2017 font l’objet d’un nouveau traitement, qui repose sur des accords de prévention financés à hauteur de 1 milliard d’euros et sur un suivi médical donnant lieu à des départs anticipés, ce qui constitue également une amélioration. Vous pouvez juger que c’est insuffisant, mais vous ne pouvez pas prétendre que ce n’est rien.
Enfin, vous avez évoqué le critère de l’exposition au risque chimique. Nous considérons – ce parti pris peut être discuté – que cela ne relève pas de la pénibilité, mais de la sécurité. L’objectif est de faire respecter l’intégralité des normes et de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’exposition, ou du moins que celle-ci soit le plus réduite possible – là encore, il faut être réaliste et prendre en compte la réalité des conditions de travail. Nous voulons interdire l’exposition à des niveaux excédant les normes plafonds définies par la France et par l’Union européenne.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Claude Raux.
M. Jean-Claude Raux (Écolo-NUPES)
Dans une société que je n’appelle pas de mes vœux, on demanderait sans discernement ou presque à tout le monde de travailler deux ans de plus. Cela pose de nombreuses questions, notamment celle des portes de sortie. Si quelqu’un cesse de travailler pour incapacité permanente, ce sera déjà trop tard ; il s’agira d’un échec cuisant de la prévention.
On a évoqué le besoin de temps de respiration dans une carrière. Parfois, me semble-t-il, des temps de réorientation s’imposent également. En effet, la pénibilité n’est pas seulement éprouvée par le corps, même si c’est souvent lui qui donne le premier signal d’alerte.
Dans de nombreux métiers, les risques d’usure sont peut-être moins flagrants ; ils sont néanmoins bien réels. Vous avez donné des exemples concrets, monsieur le ministre. J’en donnerai à mon tour quelques-uns. Un professeur des écoles, une enseignante, s’ils sont au bout du rouleau, vous en conviendrez, ne sont plus utiles pour personne. Quelle porte de sortie ont-ils ? Une infirmière, une aide-soignante essorées par les restructurations, par les remplacements liés au manque de personnel, un maçon, un travailleur de la logistique, une auxiliaire de vie, une coiffeuse usés par l’exercice ou par les conditions d’exercice de leur métier, des travailleurs sociaux découragés par la dureté et l’ampleur de la tâche, ainsi que par le manque de moyens, quelle alternative ont-ils à ce qui se passe couramment, à savoir les arrêts maladie à répétition ou le chômage de longue durée ?
Monsieur le ministre, vous avez évoqué un congé de reconversion avec le maintien du salaire à 100 %. À qui s’adressera-t-il ? S’agira-t-il d’une liste restrictive ou plutôt ouverte ? Quand sera-t-il déclenché ? Combien de fois un travailleur pourra-t-il en bénéficier ? Enfin, faut-il en faire un outil central de la formation tout au long de la vie et repenser également le compte épargne temps (CET), qui est inopérant et fait l’objet de nombreuses dérives ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre
D’abord, nous souhaitons que l’utilisation du congé de reconversion soit de droit pour les salariés titulaires d’un C2P et qu’elle soit nourrie par des points de C2P. Dans ce cas-là, du fait du déplafonnement, il n’y a pas de limite ; il est simplement requis d’avoir suffisamment de points pour accéder à cet outil de reconversion avec financement de la formation et maintien de la rémunération. Bien évidemment, dans le cadre des discussions d’accord de prévention autour des critères ergonomiques, les branches pourront, si elles le souhaitent – cela relève du dialogue social –, inscrire ces congés de reconversion dans les utilisations et les débouchés possibles de ces accords. Je pense que ce peut être un outil central de reconversion pour des salariés exposés à des critères de pénibilité.
Cela ne règle pas la question des salariés qui ne sont pas exposés à des critères de pénibilité quantifiables tels qu’ils sont définis actuellement, mais qui, au cours de leur vie, peuvent avoir besoin – vous parliez de respiration – d’envisager une reconversion. Nous devons donc aussi améliorer les dispositifs de transition professionnelle « de droit commun », mais il s’agit d’un autre chantier que celui de la pénibilité : la formation tout au long de la vie.
Ensuite, parmi les exemples que vous avez mentionnés, vous avez évoqué des agents publics qui, à la fin de leur carrière, sont parfois fatigués – je parle de fatigue plutôt que d’usure, car le premier terme recouvre des situations très diverses – et plus en mesure d’exercer à une activité à temps plein, comme ils doivent le faire actuellement. C’est ce qui nous a amenés à prévoir l’ouverture à la fonction publique du dispositif de retraite progressive, deux ans avant l’âge d’ouverture des droits, tel qu’il existe dans le privé. Nous voulons l’assouplir dans le privé et le créer dans le public pour permettre de décélérer sans remettre en cause la capacité à acquérir des trimestres de cotisation.
Enfin, vous avez parlé du compte épargne temps. C’est là un très beau chantier qui doit faire l’objet d’une négociation professionnelle, car cela relève de l’article L. 1 du code du travail : il s’agit du compte épargne temps universel, de la capacité à établir un compte épargne temps pour chaque salarié, qui soit portable d’un employeur à l’autre, pour que l’utilisation des jours ainsi accumulés puisse être décidée par les salariés tout au long de la vie et pas uniquement pendant leur période de salariat ou d’engagement dans une entreprise.
Mme la présidente
La parole est à M. Francis Dubois.
M. Francis Dubois (LR)
Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur le statut des secrétaires de mairie dans les petites communes, notamment en milieu rural.
Maillon essentiel et incontournable de la vie communale, les secrétaires de mairie sont l’appui technique et juridique des maires et participent, comme vous le savez, à la mise en œuvre des politiques de l’équipe municipale. C’est un emploi qui nécessite des compétences multiples qui peuvent être d’ordre financier, ou relever de la gestion des services techniques, des ressources humaines, de l’urbanisme, de l’état civil, de l’organisation des élections et de l’accueil du public.
Le secrétaire de mairie doit ainsi faire preuve d’adaptabilité, de polyvalence et d’organisation. C’est d’autant plus vrai en milieu rural, comme en Corrèze, par exemple, où très souvent, plusieurs communes partagent un même secrétaire de mairie.
Cependant, malgré un profil très complet et un rôle décisif dans la bonne vie de la commune, la reconnaissance de cette fonction n’est pas en adéquation avec les dispositions statutaires actuelles. Les missions sont mal définies. Les agents qui partent sont systématiquement remplacés par des adjoints administratifs de catégorie C titulaires ou contractuels. Les secrétaires de mairie n’ont pas pu bénéficier du protocole sur les parcours professionnels, carrières et rémunérations, qui permet une refonte des grilles de salaires.
Devant la nécessité de mieux reconnaître ce métier dans un contexte de tension du recrutement et de vieillissement des agents, une récente proposition de loi transpartisane déposée par M. Pierre Morel-À-L’Huissier, à laquelle j’ai apporté ma signature, vise à revaloriser le métier des secrétaires de mairie.
Cette proposition de loi tend à faire évoluer l’appellation de cette profession pour la renommer « responsable de l’administration communale » et à créer un statut d’emploi comprenant deux grilles indiciaires. Pour pallier les difficultés de recrutement, elle tend à élargir la possibilité pour les communes de recruter des agents contractuels en relevant le plafond démographique en deçà duquel ce recrutement est ouvert de 1 000 à 2 000 habitants.
Elle vise également à créer, en lien avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), des formations spécifiques pour faciliter la prise de poste. Ces formations seraient en effet très utiles, en particulier pour les contractuels recrutés.
Je vous demande donc, monsieur le ministre, si, en écho à cette initiative parlementaire soutenue sur le terrain, votre ministère entend revoir les statuts de secrétaire de mairie des petites communes. Des décisions seront-elles prochainement prises en vue d’assurer une pleine reconnaissance à ce métier ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre
On s’éloigne un peu du champ de la pénibilité, monsieur Dubois. (Sourires.) Plus sérieusement, cette question du statut des agents communaux et des secrétaires de mairie relève très directement des compétences de Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques, et de celles de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales. J’aurais pu vous répondre il y a quatre ans, quand j’étais en charge de la fonction publique (Sourires), mais votre question est très largement extérieure à mon champ de compétences ministériel actuel.
Je ne connais pas le détail de la proposition transpartisane que vous avez évoquée. Il est impossible pour moi de me prononcer, même si, étant comme vous élu dans une circonscription située dans un département rural, qui compte quatre-vingt-douze communes, je connais les difficultés que rencontrent les maires pour recruter et les secrétaires de mairie pour assurer des tâches qui souvent sont multiformes, dans plusieurs lieux, parfois avec plusieurs temps partiels, dans de toutes petites communes. Les élus comptent beaucoup sur eux, ou plutôt sur elles, car c’est une profession très féminisée. Stanislas Guerini, qui vous rejoindra tout à l’heure, pourra peut-être vous répondre, mais je ne peux pas sortir de mon périmètre pour le faire.
Mme la présidente
La parole est à M. Sébastien Peytavie.
M. Sébastien Peytavie
Il est pénible d’entendre depuis trois semaines renvoyer les discussions à un futur projet de loi « travail » qui arrivera après le texte sur les retraites, car ce projet de loi contiendra de nombreux éléments qui auraient éclairé nos débats sur la manière d’envisager les départs anticipés ou non à la retraite.
Je regrette également que vous n’ayez pas été présent lorsque nous avons entendu les témoignages d’une aide à domicile et d’un paysan. J’ai cru comprendre que vous n’étiez pas loin et que vous aviez pu entendre ce qui a été dit, mais votre présence aurait été préférable. Ce qui m’a marqué dans leurs témoignages, c’est que tous les deux exercent leur métier en étant isolés. Ils répondent pourtant à une grande attente : nourrir les citoyens français ou accompagner des personnes fragiles, soit parce qu’elles sont âgées, soit parce qu’elles sont en situation de handicap.
Ils ont tous les deux relevé qu’il était très difficile pour la médecine du travail de reconnaître tous les soucis de santé qu’ils peuvent rencontrer. Étant élu dans une circonscription rurale, je ne peux qu’être frappé par le taux de suicide chez les paysans, qui est terrible. Quant aux aides à domicile, elles doivent faire face à des temps partiels subis et à des amplitudes horaires très importantes. Certains dispositifs, comme les lève-personnes, ne peuvent pas être utilisés à domicile.
Comment donc répondre aux difficultés soulevées par ces deux témoignages ?
Pour conclure,…
Mme la présidente
Oui, il est temps !
M. Sébastien Peytavie
…vous évoquez une visite médicale autour de 40 ans pour réfléchir à partir de là à une réorientation. C’est quand même dommage d’attendre que les corps soient abîmés pour leur trouver un autre usage.
Mme la présidente
Monsieur Peytavie, je vous réponds sur la forme, d’autant que d’autres collègues se sont posé la question. Ce n’est pas la pratique – cela ne l’a jamais été – que le ministre soit présent au moment de la table ronde. Ces débats sont construits en deux phases. Peut-être faut-il faire évoluer cette pratique, mais c’est là la tradition.
La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre
J’allais dire à M. Peytavie que, n’étant pas invité, je m’étais contenté de suivre ce premier temps du débat par écran interposé (Sourires), moi-même ou par l’intermédiaire de mon équipe. Je ne pense pas qu’il faille être frustré par la perspective de la loi « travail » à venir, car elle offrira la possibilité de débattre à nouveau de ces sujets et elle me permettra de vous retrouver les uns et les autres en commission et dans l’hémicycle.
Vous avez raison au sujet des aides à domicile. C’est un trait particulier de cette profession. Ce que j’évoquais au sujet de la différenciation de l’exposition à l’usure professionnelle pour les aides-soignants en Ehpad avec ou sans rail, de manière très schématique, ne vaut pas pour le domicile, ou très rarement, puisque le niveau d’équipement à domicile est évidemment moins important que dans les établissements d’hébergement. Nous devons donc mener un énorme travail avec les partenaires sociaux de ce secteur pour définir comment les conditions de travail des aides à domicile pourraient être améliorées. Je ne saurais pas vous exposer immédiatement comment le faire. Si quelqu’un avait une solution magique, efficace et très rapide, tout le monde serait très heureux de l’appliquer, mais en réalité c’est un énorme chantier.
Sur les questions relatives à l’agriculture – vous avez notamment évoqué l’isolement et les suicides –, M. Daniel Lenoir devrait bientôt rendre les conclusions de la mission qui lui a été confiée il y a un peu plus d’un an. Parmi les quelques préconisations d’ores et déjà émises, citons la désignation de ce que l’on pourrait appeler des sentinelles, afin de mieux prévenir le risque de suicide.
Les difficultés de la profession d’agriculteur, y compris en termes de risques psychosociaux et d’exposition à l’usure, me conduisent à vous rappeler une disposition du texte dont nous avons discuté il y a quelques jours, qui va permettre d’améliorer la situation de retraités actuels ou futurs de ce secteur – je parle des exploitants ou des indépendants.
Deux lois adoptées à l’initiative d’André Chassaigne prévoient une garantie de retraite minimum pour les exploitants agricoles ayant effectué une carrière complète. Ceux qui sont contraints par l’usure à prendre un départ anticipé pour incapacité sont privés du bénéfice de ce texte. Le PLFRSS pour 2023 contient une disposition selon laquelle sera réputée complète la carrière d’un exploitant agricole parti de manière anticipée pour incapacité.
Sans parler du flux de retraités à venir, quelque 45 000 retraités actuels pourraient bénéficier de cette requalification et d’une hausse de 80 à 85 euros de leur pension. Sachant que la loi dite Chassaigne 1 avait permis d’améliorer les retraites d’une centaine d’euros en moyenne, la correction apportée pour mieux prendre en compte ces situations serait du même ordre.
Mme la présidente
Le débat est clos.
Je vais suspendre nos travaux le temps d’accueillir les participants au débat suivant.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quinze, est reprise à dix-huit heures vingt.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
2. Retraites et protection sociale dans la fonction publique
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle le débat sur les retraites et la protection sociale dans la fonction publique, demandé par le groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES.
Comme le précédent, ce débat sera organisé en deux parties : une table ronde, en présence de personnalités invitées, d’une durée d’une heure ; une intervention liminaire du Gouvernement suivie d’une nouvelle séquence de questions-réponses, d’une heure également, la durée des questions et des réponses étant limitée à deux minutes sans droit de réplique.
Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à M. Didier Quercioli, secrétaire général de la Mutualité Fonction Publique (MFP), à Mme Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT en charge des retraites, et à M. Martial Crance, membre de la direction de l’Union des fédérations des fonctions publiques et assimilées-Confédération française démocratique du travail (UFFA-CFDT) de la fonction publique.
La parole est à M. Didier Quercioli, secrétaire général de la Mutualité Fonction Publique.
M. Didier Quercioli, secrétaire général de la Mutualité Fonction Publique
Les représentants de la MFP sont toujours ravis de pouvoir échanger avec les élus de la République. Je vais articuler mon propos autour de cinq points : une présentation très rapide de notre fédération ; quelques mots sur la dernière édition de l’Observatoire de la fragilité sociale dans la fonction publique, réalisée par Harris Interactive et publiée fin 2022 ; les craintes suscitées par la réforme de la protection sociale complémentaire des agents publics ; quelques mots de conclusion.
La MFP regroupe dix-huit mutuelles de la fonction publique, qui protègent 6,5 millions d’agents publics et leurs familles. Depuis plus de soixante-quinze ans, elle défend les intérêts des agents publics en matière de protection sociale et de droits sociaux, en ayant une approche solidaire et globale pour les actifs et les retraités. Elle est donc totalement légitime en tant qu’acteur dans ces domaines, mais aussi en tant qu’expert, puisqu’elle vient de publier la troisième édition de l’Observatoire des fragilités des agents publics.
De cette dernière édition, il faut retenir trois choses. Premièrement, 84 % des agents publics affichent une satisfaction élevée quant à leur activité professionnelle mais 40 % d’entre eux s’interrogent sur leur envie de rester dans le secteur public, au fil des années qui passent. Deuxièmement, 30 % des agents publics estiment que leur travail exerce une influence négative sur leur santé, et 52 % des agents considèrent que le travail aura un effet plus délétère sur leur santé à l’avenir. Troisièmement, on constate une forte augmentation des risques liés à la santé mentale, en particulier chez les agents de la fonction publique hospitalière, très exposés à la fatigue, au stress et à la pénibilité physique. Or la santé du service public va de pair avec celle de ses agents.
J’en viens maintenant à la réforme de la protection sociale complémentaire (PSC) des fonctionnaires, sur laquelle le Gouvernement a légiféré par ordonnance il y a deux ans. L’intention était louable et conforme à nos demandes : l’État employeur portait à 50 % sa participation à la protection sociale des agents publics, de manière symétrique à ce qui se passe dans le secteur privé depuis l’entrée en vigueur de l’accord national interprofessionnel (ANI) de 2016. Cependant, les textes réglementaires ne concrétisent pas l’ambition affichée. La réalité étant beaucoup plus complexe, on en vient à se demander si c’est une bonne réforme.
S’agissant de la prévoyance en matière d’incapacité, d’invalidité, de dépendance et de perte d’autonomie, il y a en réalité trois réformes correspondant aux spécificités de chaque fonction publique. Dans la fonction publique d’État, la réforme de la prévoyance est à l’arrêt. Dans la fonction publique territoriale, elle est encore inaboutie – la participation est possible mais de seulement de 20 %. Dans la fonction publique hospitalière, aucune discussion n’est engagée.
Prenons l’exemple du risque de dépendance. Si ce risque était exclu de la couverture collective, chaque agent serait libre de la souscrire à titre individuel. Ainsi, la cotisation correspondant à une rente actuelle de 500 euros par mois serait multipliée par neuf ou dix, passant de 20 euros à 180 ou 200 euros par mois. Quelque 3 millions de fonctionnaires, dont la cotisation actuelle s’élève à 20 euros, subiraient ainsi une régression de leur couverture.
S’agissant du volet de la santé, on peut s’étonner d’une absence de financement de la prévention, alors que les grandes orientations de santé publique font état du virage du préventif, tout comme de la diminution importante de l’accompagnement social.
L’inquiétude concerne également les conséquences sociales pour les mutuelles elles-mêmes. À titre d’exemple, en l’absence d’appels d’offres réussis, ce sont 10 000 salariés de la Mutuelle générale de l’éducation nationale (MGEN) qui pourraient perdre leur emploi.
Enfin, la réforme de la PSC aura une incidence majeure sur l’attractivité de la fonction publique, car elle est liée non seulement à la réforme des retraites, mais aussi au bien-être au travail. Elle doit donc être améliorée et gagner en ambition. La santé n’est pas un produit comme les autres : n’oublions pas que des agents publics en bonne santé sont la garantie d’un service public en bonne santé, au service du public.
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT, chargée des questions de retraite.
Mme Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT chargée des questions de retraite
Mon intervention portera principalement sur la question des retraites, même si, comme M. Quercioli vient de le souligner, la protection sociale est un tout. Nous pourrons ainsi revenir sur la protection sociale complémentaire, dont le volet santé a été récemment négocié et dont le volet prévoyance reste en cours de discussion. La CGT défend un projet de sécurité sociale intégrale, qui place cette dernière au centre de la prise en charge des risques, de la naissance jusqu’à la mort, et qui limite le périmètre d’activité des mutuelles à la prévention et à la santé publique. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans le cadre de nos échanges ultérieurs.
La réforme en cours présente divers enjeux pour la fonction publique. D’abord, bien que le Gouvernement affirme depuis plusieurs semaines mener une réforme paramétrique, nous estimons au contraire qu’il défend bien, à travers le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) dont vous avez débattu, une réforme systémique, puisque son texte vise à modifier complètement l’organisation des différents régimes de retraite existants, au cœur desquels se trouve celui de la fonction publique.
Certains régimes spéciaux sont déjà dans le collimateur du Gouvernement. Même si, pour l’heure, la survie du régime de la fonction publique ne semble pas complètement remise en cause, le texte transmis au Sénat comprend un article supplémentaire – l’article 1er bis – prévoyant la remise au Parlement d’un rapport sur les conditions de mise en œuvre d’un système universel de retraite. On perçoit ainsi clairement la volonté du Gouvernement de faire disparaître les régimes spécifiques. En cela, la réforme en cours d’examen est bien une réforme systémique, qui vise à faire basculer, à terme, les agents des trois versants de la fonction publique dans le régime général applicable aux salariés du privé.
Quelles raisons motivent ce choix ? Très peu d’arguments et d’éléments financiers sont avancés, car il n’y a, en réalité, aucune raison de faire disparaître le régime de retraite de la fonction publique, qui est particulièrement bien financé et bien géré, à tel point que son seul problème réside dans le manque de fonctionnaires. Vous devez le savoir, vous qui connaissez bien vos circonscriptions respectives : tout le monde cherche des soignants, des enseignants et, de manière générale, des fonctionnaires pour répondre aux besoins de la population. Il suffirait ainsi de recruter 300 000 agents de la fonction publique de l’État et 300 000 soignants dans la fonction publique hospitalière pour couvrir le déficit de 13 milliards d’euros brandi par le Gouvernement pour justifier cette réforme brutale. La question de l’emploi dans la fonction publique est donc majeure pour assurer l’équilibre financier du système et pour définir ce que nous voulons faire de nos retraites à l’avenir.
La réforme ne se justifie pas non plus par des considérations relatives à l’emploi. Le Gouvernement explique régulièrement que le fait de reporter à 64 ans l’âge de départ en retraite incitera les seniors à travailler plus longtemps. L’épine dans le pied du ministre Olivier Dussopt, c’est en effet que plus de 60 % des salariés ne sont plus en emploi lorsqu’ils atteignent l’âge légal de départ. Or ce problème ne se pose pas dans la fonction publique, où chacun reste en poste jusqu’à l’âge légal. La moyenne d’âge des fonctionnaires partant à la retraite s’établit d’ailleurs déjà à 64 ans. Pourquoi, alors, nous mobiliser dans la rue contre cette réforme, me demanderez-vous ? Parce que le fait que les fonctionnaires travaillent jusqu’à 64 ans est la conséquence des réformes régressives, qui, depuis 2003, ont conduit à reculer l’âge légal de départ, mais surtout à augmenter le nombre de trimestres nécessaires pour percevoir une retraite à taux plein.
Ainsi, la véritable motivation de cette réforme – qui touche tous ceux qui travaillent, mais plus particulièrement les fonctionnaires – n’est pas tant de reculer l’âge de départ que de faire baisser plus rapidement le niveau des pensions, que ce soient celles des fonctionnaires ou celles des salariés du secteur privé. Ce constat est parfaitement documenté : le double effet du recul de l’âge légal de départ et de l’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour percevoir une retraite à taux plein accentue l’accélération de la baisse des pensions et accroît donc les économies que le Gouvernement entend faire sur le dos des fonctionnaires.
Un deuxième élément doit retenir votre attention : il s’agit de la question, évoquée lors du débat précédent, des départs anticipés. S’agissant de la fonction publique, l’enjeu de la réforme en cours concerne l’existence, dans certains répertoires de métiers, de droits à départ anticipé, que le Gouvernement voudrait voir disparaître. Le ministre du travail a été très clair sur ce point : il veut remplacer les droits collectifs, liés au métier exercé, par des dispositifs individualisés. Tous les régimes spéciaux qu’il entend supprimer, comme celui de la fonction publique, sont porteurs de droits collectifs qui permettent aux corps de métiers concernés de bénéficier de conditions de départ spécifiques, du fait des missions de service public qu’ils exercent et des situations de travail pénibles – parfois très diverses – auxquelles ils sont exposés. J’insiste sur la notion de missions de service public : il n’est pas nécessaire de travailler jour et nuit pour être exposé à la pénibilité. Il suffit d’agir au service de l’intérêt général et d’être, par exemple, appelé à sortir pour dégager les routes et aider la population après une tempête. L’exercice de telles missions de service public, souvent très pénibles, justifie évidemment que les membres du corps de métier concerné puissent partir à la retraite de façon anticipée.
Mme la présidente
Merci de conclure, madame Perret, car votre temps de parole est largement dépassé.
Mme Catherine Perret
Autrement dit, les enjeux auxquels la fonction publique fait face restent à traiter. Alors que nous devrions nous inspirer de ce régime pour étendre certains droits – notamment en matière de pénibilité – à l’ensemble des salariés du privé, le Gouvernement prétend faire le contraire. Nous démontrerons donc, le 7 mars, notre volonté de faire échouer sa réforme des retraites.
Mme la présidente
La parole est à M. Martial Crance, membre de la direction de l’UFFA-CFDT de la fonction publique.
M. Martial Crance, membre de la direction de l’UFFA-CFDT de la fonction publique
Je représente la CFDT Fonctions publiques et les dix fédérations qui couvrent les 5,2 millions d’agents publics que compte la France. Il ne vous aura pas échappé que la CFDT est pleinement mobilisée sur le dossier des retraites et déterminée à rejeter le projet du Gouvernement, tel qu’il est présenté actuellement, tel qu’il a été discuté à l’Assemblée nationale et tel qu’il sera examiné au Sénat. La mesure phare de ce projet, à savoir le report à 64 ans de l’âge d’ouverture des droits, est celle à laquelle nous sommes le plus hostiles. La CFDT estime que cette réforme est parfaitement injuste et inéquitable, notamment vis-à-vis des femmes, des personnes ayant exercé une carrière longue, qui sont pénalisées, ou encore des salariés ayant eu un parcours haché. Au cours du débat précédent, qui portait sur la pénibilité, vous avez posé de nombreuses questions au ministre Olivier Dussopt, dont les réponses ne nous ont pas toutes convaincus.
Le mouvement de mobilisation contre la réforme est par ailleurs soutenu par l’opinion publique, puisque 60 % à 70 % de nos concitoyens n’approuvent pas cette réforme. Nous avons également la conviction qu’aucune urgence financière ne justifie de prendre ces mesures immédiatement et de façon si brutale, en accélérant notamment l’application de la réforme Touraine. Nous avons fait la démonstration de la dignité et de la bonne tenue des manifestations dans la rue. Nous ne comprenons pas que le Gouvernement n’entende pas ces mobilisations et qu’il fasse la sourde oreille, s’enfermant dans ce qu’on pourrait presque qualifier de déni de démocratie. Nous sommes véritablement inquiets de la manière dont ce face-à-face se poursuivra si le Gouvernement refuse de revoir sa position. En tous les cas, le 7 mars sera une journée de pleine mobilisation des citoyens dans la rue et montrera la détermination d’une grande majorité des Français à rejeter la réforme.
Je ne reprendrai pas les observations de ma camarade de la CGT à propos des fonctions publiques, notamment de l’emploi. La réforme a certes fait l’objet de quelques évolutions, mais celles-ci ne gomment pas l’impression générale laissée par le projet. Nous avons notamment insisté sur la pénibilité que peuvent subir l’ensemble des agents, en dehors des catégories actives : certains agents, ne faisant pas partie de ces catégories, ne bénéficieront d’aucune prise en considération de la pénibilité à laquelle ils sont pourtant exposés. La question des contractuels a également été évoquée. À la lumière de tous ces éléments, la réforme, en son état actuel, n’est nullement satisfaisante.
Pour ce qui est de la protection sociale complémentaire, je rappelle que la CFDT a considéré comme une avancée intéressante, voire historique, le fait que les employeurs publics contribuent au financement de la protection sociale complémentaire de leurs agents, comme le font les entreprises privées. Nous avons aussi fortement apprécié que cette évolution soit le résultat d’une négociation engagée pour faire appliquer l’ordonnance du 17 février 2021 dans les fonctions publiques et prévoyant la possibilité de conclure des accords majoritaires. Nous regrettons toutefois que les trois versants de la fonction publique n’avancent pas à la même vitesse et obéissent à des calendriers distincts : nous aurions souhaité que les négociations progressent rapidement et au même rythme pour tous les agents publics.
Il importerait également d’aboutir, en matière de prévoyance, à un accord de même nature que celui que nous avions conclu le 26 janvier 2022 pour la partie santé, au moins pour la fonction publique d’État. Comme l’a souligné M. Quercioli, les choses avancent trop lentement. Nous sommes assez inquiets quant au déroulement des discussions en cours : elles nous semblent figées, alors que les échéances approchent à grands pas, les nouveaux systèmes devant, dans certains cas, entrer en vigueur dès le 1er janvier 2024.
La prévoyance englobe trois composantes importantes : le capital décès, l’incapacité et l’invalidité. La prise en charge de l’invalidité, plus particulièrement, se traduit pour l’heure, dans la fonction publique, par la mise en retraite d’office de l’agent, qui se trouve ainsi privé de la possibilité d’acquérir des droits supplémentaires pour sa future retraite. Nous prônons une modification radicale de ce système. Cette question importante devra être traitée. On nous a expliqué qu’elle concernait la PSC plutôt que les retraites. Espérons donc que le ministre Stanislas Guerini s’en empare.
La CFDT est aussi très fortement attachée à la dimension statutaire de la prévoyance, c’est-à-dire aux garanties prévues dans le statut des agents publics et dans les lois qui le régissent. L’amélioration de ces conditions statutaires fait partie des avancées à obtenir, et la partie relative à la protection sociale complémentaire devra évidemment faire l’objet de discussions avec les opérateurs concernés.
Enfin, la question de la dépendance n’est pas incluse dans le champ de la négociation, alors qu’elle revêt à nos yeux une importance majeure, dans la mesure où ces problèmes se posent avec une acuité croissante, comme vous le constatez quotidiennement dans vos circonscriptions.
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Chaque question sera immédiatement suivie d’une réponse afin que le débat soit le plus fluide possible.
La parole est à M. Pierre Dharréville pour la première question, le groupe GDR-NUPES étant à l’initiative de ce débat.
M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)
Je remercie tout d’abord nos trois invités d’avoir accepté de participer à cet échange. Les premières questions que je souhaite poser portent sur la protection sociale complémentaire. Pourriez-vous nous indiquer quels sont, selon vous, les critères qu’il faut à tout prix faire figurer dans les appels d’offres, ceux qui vous semblent déterminants ? D’autre part, avec la réforme proposée, n’assiste-t-on pas à une évolution du rôle des mutuelles ?
Par ailleurs, selon nos informations, le ministère se ferait assister, pour les négociations, par un cabinet de conseil. Si tel est bien le cas, pouvez-vous nous dire ce que vous en savez ?
J’aimerais également que vous nous apportiez des précisions au sujet de la prévoyance et du financement de la prévention – qui font partie, je crois, des critères importants à vos yeux – ainsi que sur l’invalidité, une question abordée par Martial Crance, que nous avons évoquée lors de la table ronde précédente et qui mérite d’être posée de façon spécifique s’agissant de la fonction publique.
J’en viens aux retraites. Premièrement, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la prise en considération de la pénibilité dans la fonction publique – à la fois sur les évolutions qui ont déjà eu lieu, dans le bon ou dans le mauvais sens, et sur celles qui sont sans doute encore nécessaires aujourd’hui ?
Deuxièmement, quels sont les effets de la réforme de la fonction publique – qui vise à modifier la structure de l’emploi public – sur la construction du droit à la retraite et sur le système de retraite ? J’ai noté que la part du nombre de vacataires dans la fonction publique avait augmenté par rapport au nombre de titulaires.
Mme la présidente
La parole est à M. Didier Quercioli.
M. Didier Quercioli
S’agissant des critères qui nous semblent déterminants pour les appels d’offres en matière de protection sociale complémentaire, je rappelle que la valeur promue par les mutuelles historiques de la fonction publique, qui protègent les agents publics depuis quelque soixante-quinze ans, est la solidarité, aussi bien intergénérationnelle qu’entre actifs et retraités. L’idée est de faire contribuer chacun et chacune, au bénéfice de ceux qui sont dans le besoin.
Or la réforme de la protection sociale complémentaire, telle qu’elle se dessine, opérera de facto une segmentation entre les retraités et les actifs, ce qui réduira considérablement les périmètres. Si la question de la dépendance, que j’ai évoquée lors de mon intervention, ou celle de la prévention – entre autres – ne sont pas intégrées dans le champ de la protection sociale, c’est chaque individu qui devra payer s’il souhaite bénéficier d’une couverture. En outre, en l’absence de mutualisation, avec un périmètre beaucoup plus restreint, les coûts permettant de s’offrir une telle protection, à couverture égale, seront beaucoup plus élevés, ce qui aura forcément des conséquences.
Si la prévoyance n’est pas incluse dans l’appel d’offres et qu’on laisse donc à chacun le choix de souscrire, ou non, à un tel contrat, ce type d’assurance deviendra inaccessible pour nombre d’agents. Si je reprends l’exemple de la dépendance, nous assisterions, par rapport à la situation actuelle, à une régression des droits pour 3 millions de fonctionnaires.
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Perret, secrétaire confédérale de la CGT chargée des questions de retraite.
Mme Catherine Perret
La réforme de la protection sociale complémentaire a donné lieu à un accord unanime. Nous en sommes donc tous solidaires. Cependant, nous regrettons tous également que la négociation n’ait pu aboutir s’agissant de l’ouverture des droits aux retraités comme aux actifs.
Cette question est liée à celle de l’avenir du statut de la fonction publique, évoquée par M. le député, car un agent devient, à la fin de son activité, un pensionné – le mot « retraité » est presque impropre dans son cas –, ce qui signifie qu’il est toujours au service de l’intérêt général. Il était donc important pour nous de maintenir un lien entre les actifs et les pensionnés. Nous aurions aimé convaincre nos interlocuteurs car, au-delà de la question du risque financier – je partage l’inquiétude exprimée par M. Quercioli sur ce point –, ce lien permet de consolider le statut.
J’en arrive ainsi à votre question sur les retraites. Le niveau de contractualisation n’est pas encore assez élevé pour nous permettre de percevoir des effets majeurs sur les retraites – M. Quercioli pourrait répondre plus précisément sur ce point – mais on voit bien qu’en la matière l’évolution est comparable à celle des régimes spéciaux, lesquels sont en voie d’extinction. La loi de transformation de la fonction publique prévoit en effet une forte augmentation du recours à la contractualisation afin de ne plus recruter de fonctionnaires, au moins dans certains ministères. Cela entraîne un basculement de la fonction publique dans le régime général, ce qui a évidemment des conséquences très importantes, comme le manque d’emplois.
Mme la présidente
La parole est à M. Martial Crance.
M. Martial Crance
J’apporterai quelques éléments de réponse complémentaires. S’agissant des critères des appels d’offres, mon collègue a évoqué la solidarité intergénérationnelle mais je citerai également la solidarité familiale, c’est-à-dire les droits de la famille dans la prise en charge des ayants droit. Ce critère figure dans l’accord relatif à la protection sociale complémentaire – nous y tenions beaucoup. Nous sommes d’ailleurs également parvenus à y faire figurer la notion de solidarité indiciaire entre agents de la fonction publique, ceux dont l’indice est faible cotisant un peu moins que ceux dont l’indice est plus élevé.
S’agissant des cabinets de conseil, je précise que l’un d’entre eux a bien travaillé avec la DGAFP, la direction générale de l’administration et de la fonction publique, mais aussi avec les organisations syndicales. Cela a permis d’avoir un langage et un logiciel communs à propos de la protection sociale complémentaire, ce qui n’était pas forcément inutile au moment d’aborder les négociations avec les employeurs publics.
S’agissant de la prise en considération de la pénibilité dans la fonction publique, on constate malheureusement très peu d’évolution. La mise en place, évoquée tout à l’heure, d’une retraite progressive pour les agents publics, qui n’existait pas jusqu’à présent, peut être perçue comme intéressante pour les agents, car on sait que l’allongement de la durée de cotisation et le possible – même si on ne le souhaite pas ! – recul de l’âge légal de départ à la retraite créeraient des problèmes en fin de carrière. Ceux-ci existent d’ailleurs déjà dans de nombreuses professions – on a entendu tout à l’heure l’exemple d’une enseignante qui a du mal à tenir jusqu’à la fin de sa carrière.
Par ailleurs, si les durées requises pour les catégories actives n’ont pas été modifiées, il n’en reste pas moins que les personnes concernées auront besoin de deux ans supplémentaires avant l’ouverture de leurs droits.
Se pose également la question de la portabilité des droits mise en place à l’intérieur des catégories actives. Ainsi, un fonctionnaire qui a exercé pendant plusieurs années dans une catégorie active en tant que douanier ou policier et qui devient surveillant pénitentiaire conservera les droits acquis au titre de sa première activité, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. Je citerai encore la suppression de la clause d’achèvement de la carrière en catégorie active – il n’est donc plus nécessaire, pour bénéficier de la catégorie active, d’y finir sa carrière.
Certes, toutes ces mesures amélioreront un peu le sort des agents publics. Il n’empêche que la toile de fond ne change pas : deux ans supplémentaires pour tout le monde. C’est tout de même une décision incroyable car, jusqu’à présent, une personne qui occupait un emploi de catégorie active était autorisée à partir plus tôt parce qu’on considérait qu’elle était usée par son métier et qu’elle se retrouvait en difficulté. Or on estime aujourd’hui qu’elle peut malgré tout travailler deux ans de plus. On ne peut donc pas vraiment parler d’amélioration.
Enfin, s’agissant de la protection sociale, nous réclamons depuis toujours un couplage des couvertures santé et prévoyance. Il serait très intéressant d’obtenir une telle garantie.
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Lenormand.
M. Stéphane Lenormand (LIOT)
Je remercie à mon tour les trois intervenants. Je ne m’attarderai pas sur la réforme des retraites car je partage globalement vos inquiétudes concernant la fonction publique.
Sans vouloir faire de digression, j’aimerais connaître votre retour d’expérience – car votre point de vue est plus affûté que le mien en la matière. Je perçois un réel malaise dans les différentes fonctions publiques. Des problèmes se posent, une usure se fait sentir. Nombre d’agents semblent effondrés par la perspective de travailler deux ans supplémentaires. Au cours de mes différentes visites et de mes échanges, on m’a fait part du manque de mobilité entre les trois fonctions publiques que vous avez citées. Ce problème peut avoir un impact important du point de vue de la santé et du bien-être au travail mais aussi rendre la réforme encore plus effrayante.
Deuxièmement, j’aimerais savoir si l’âge de départ à 64 ans, évoqué par Mme Perret, correspond à une moyenne obtenue à partir des trois versants de la fonction publique ou à un seul d’entre eux.
Mme la présidente
La parole est à M. Didier Quercioli.
M. Didier Quercioli
Vous avez évoqué les problèmes d’usure et de manque de mobilité auxquels sont confrontés les agents au moment où on leur demande de travailler deux ans de plus. On sait, en effet, qu’une année de travail supplémentaire représente une hausse de dix points de la sinistralité – un chiffre énorme.
S’agissant de la réforme de la protection sociale complémentaire, je suis tout à fait d’accord avec M. Crance pour considérer qu’un couplage, plein et entier, des couvertures santé et prévoyance est indispensable pour garantir une mutualisation des risques et offrir une protection sociale complémentaire qui soit complète et de qualité.
Il s’agit d’ailleurs en réalité d’une triple réforme puisque des négociations interministérielles sont nécessaires pour adapter les mesures à chacun des trois versants de la fonction publique, lesquels présentent des spécificités. Cela pose donc le problème de la mobilité, laquelle représente un réel enjeu – y compris en raison de la question de la portabilité des droits évoquée par M. Crance – qu’il faut prendre en compte, ce qui ne facilite pas les choses.
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Perret.
Mme Catherine Perret
Je répondrai tout d’abord à la dernière question posée par M. le député. L’âge moyen de départ à la retraite n’est pas tout à fait le même dans les trois versants de la fonction publique. Il est de 63 ans et 8 mois pour celle de l’État, 63 ans et 5 mois pour la territoriale et 62 ans et 10 mois pour l’hospitalière. Une telle différence s’explique bien sûr par la composition des différentes fonctions publiques.
Nous en revenons donc à la question que vous avez posée à propos de l’usure et de la pénibilité, des agents qui ont de plus en plus de mal à aller au bout de leur carrière. Cela s’observe bien sûr nettement dans certains secteurs – je n’ai pas besoin de développer le problème de la fonction publique hospitalière, qui saute aux yeux tant on est à la recherche de soignants partout sur le territoire.
J’aimerais cependant donner quelques éléments d’information intéressants : l’âge moyen d’inaptitude est de 48 ans pour une aide-soignante et de 52 ans pour une infirmière, et ce quel que soit leur statut. Ce dernier point est important car, s’il faut permettre les départs anticipés et créer les conditions d’une mobilité vers des postes moins exposés, les chiffres que je viens de donner concernent aussi les aides-soignantes ou les infirmières du secteur privé, lesquelles ne bénéficient pas d’un dispositif leur permettant de partir plus tôt. C’est pourquoi, à la CGT, nous demandons de travailler à une harmonisation des droits et de l’accès à un départ anticipé pour certains métiers sans prendre en considération uniquement le statut.
Il existait cependant autrefois d’autres dispositifs, par exemple la cessation progressive d’activité (CPA) dans la fonction publique, que nous défendons et dont nous souhaitons le retour. Elle donnait d’excellents résultats. Elle permettait à un agent de partir trois ans avant l’âge légal, en laissant la possibilité de faire évoluer son temps de travail et son niveau de rémunération, pendant ces trois années, en fonction des intérêts du service et de ses intérêts en tant qu’individu. Cela fonctionnait très bien.
Ainsi, dans l’éducation nationale, on pouvait faire partir des gens dans de bonnes conditions, c’est-à-dire avant qu’ils soient usés. L’employeur public ne se comportait pas comme un employeur privé qui a tendance à se débarrasser du personnel considéré comme n’étant plus assez productif ou, en l’occurrence, inapte à l’exercice de missions de service public, les personnes concernées se retrouvant au chômage encore plus longtemps si on décale l’âge légal de l’accès au droit à la retraite à 64 ans.
Mme la présidente
La parole est à M. Martial Crance.
M. Martial Crance
Le malaise que vous évoquiez, monsieur le député, n’est pas neuf, il est même assez ancien et corrélé à plus de dix ans de gel de la valeur du point d’indice chez les agents publics. La période covid n’a rien arrangé, notamment chez les agents du secteur de la santé, qui ont été en première ligne. Certes, il y a eu le Ségur bien sûr, mais cela ne résout pas tout. Aujourd’hui, ils ont l’impression de manquer de reconnaissance.
Le rapport annuel de la fonction publique montre une baisse drastique du nombre d’inscrits aux concours de recrutement, ce qui reflète une perte d’attractivité des métiers exercés dans les fonctions publiques. C’est un signe tout de même incroyable auquel il faut vraiment prêter attention parce que, sinon, on va avoir des pans entiers de la fonction publique en crise de recrutement. C’est un vrai sujet.
C’est pourquoi une négociation va s’ouvrir avec le ministre de la fonction publique sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations. C’est le moment parce qu’il y a des besoins importants à satisfaire en termes non seulement de rémunération mais – vous en avez parlé, monsieur le député – de mobilité professionnelle. Celle-ci n’est pas suffisamment développée à l’intérieur de chaque fonction publique et moins encore entre elles, et on peut faire des progrès incroyables dans ce domaine aussi. Il s’agit vraiment de traiter de la question de l’attractivité de l’ensemble de la fonction publique, ce qui passe par la reconnaissance et la valorisation des agents dans leur métier. Sinon, on va appauvrir les recrutements et donc dégrader la qualité des services publics dans notre pays.
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Cabrolier.
M. Frédéric Cabrolier (RN)
En préambule, vous avez décrit l’inanité de cette réforme. C’est bien de parler de l’attractivité, mais j’ai noté que 40 % des agents s’interrogent sur leur avenir dans la fonction publique et que 30 % considèrent que leur métier a une influence négative sur leur santé.
S’agissant de la protection sociale, vous avez évoqué, monsieur Quercioli, l’accord national interprofessionnel sur la complémentaire santé et sur la prévoyance. Je rappelle qu’il s’applique obligatoirement dans le privé pour la complémentaire santé, mais qu’il est facultatif dans la fonction publique, y compris territoriale. Je connais des collectivités qui ont négocié des accords de complémentaire santé, celle-ci étant prise en charge à 50 % comme dans le privé, et d’autres qui ne l’ont pas fait. Dans les communes, j’ai remarqué que les garanties en matière de complémentaire santé sont bien inférieures à celles du privé. C’est tout de même un problème parce qu’avant même d’aborder la question de la retraite il faut rappeler qu’il est important de bien se soigner quand on est actif, cela fait partie du déroulement d’une carrière.
En termes de prévoyance, le constat est le même : contrairement au privé où elle est obligatoire et prise en charge à 50 %, elle n’est que facultative et bien inférieure dans les trois fonctions publiques à ce qu’on peut voir dans le privé. D’où ma première question : la principale priorité n’est-elle pas de placer la complémentaire santé et la prévoyance des fonctions publiques au niveau de ce qui se fait dans le privé, dans le cadre de l’ANI ?
S’agissant des retraites, vous avez déclaré que l’embauche de 300 000 agents dans la fonction publique hospitalière résoudrait à la fois les problématiques liées à la santé et celles liées aux retraites. Mais ne peut-on pas mettre le privé au niveau du public, sachant qu’il y a des avantages qui existent dans le public et qu’il faut conserver, comme la pension de réversion non plafonnée ou encore l’augmentation de 10 % de la pension de retraite à partir de trois enfants ?
Mme la présidente
La parole est à M. Didier Quercioli.
M. Didier Quercioli
Parmi les éléments que vous avez abordés, certains relèvent de ce que l’on appelle la labellisation, pour la fonction publique territoriale, ou le référencement, pour la fonction publique d’État. Le processus est en cours.
S’agissant de la fonction publique territoriale, les accords sont négociés – ou non, comme vous l’avez rappelé – collectivité par collectivité. Il peut donc y avoir de grandes différences selon les cas, tant entre les collectivités que par rapport au privé.
De même, dans la fonction publique d’État, le référencement se négocie ministère par ministère, après l’adoption de la protection sociale complémentaire issue de l’accord interministériel prévoyant un même panier de soins pour l’ensemble des agents de l’État. J’ai rappelé que ni la prévention ni l’accompagnement social – qui ne représente que 0,5 % des cotisations, là où l’on est plutôt aujourd’hui aux alentours de 2 % à 3 % – ne figurent dans ce socle commun.
Le volet santé a donc été négocié au niveau interministériel, et doit maintenant se négocier ministère par ministère. Le volet prévoyance, quant à lui, n’a fait l’objet d’aucune négociation, et c’est pourquoi M. Crance et moi appelons à un couplage santé et prévoyance pour l’ensemble des trois versants de la fonction publique, avec une adaptation aux spécificités de chacune d’elles.
Mme la présidente
La parole est à M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul (SOC)
Je remercie nos intervenants, dont je partage complètement les craintes sur l’attractivité de la fonction publique et la vive inquiétude sur le maintien de son dynamisme, au vu de la volonté gouvernementale de recourir de plus en plus aux contractuels.
Dans les années 1990, l’État proposait aux étudiants de s’engager dans l’éducation nationale au terme de leurs années d’études, en contrepartie d’une allocation. L’article 14 de la loi du 26 juillet 1991 renvoyait à un décret pour la prise en compte de cette allocation dans la constitution et la liquidation du droit à pension de retraite – sous réserve, bien sûr, de la titularisation dans un corps d’enseignement. Or ce décret n’a jamais été publié, et les personnels enseignants, anciens allocataires, en passe d’arriver à la retraite, s’inquiètent à juste titre à la fois de la non-prise en compte de leurs années d’allocataire et, bien sûr, de la réforme des retraites aujourd’hui proposée.
En tant que parlementaires, nous devons absolument restaurer la confiance en la loi et en la parole de l’État. Notre groupe va bien sûr interpeller la puissance publique sur cette question. Avez-vous connaissance d’autres difficultés sectorielles qui grignotent les droits à la retraite dans les autres fonctions publiques ou l’éducation nationale ?
Enfin, vous avez évoqué à raison la cessation progressive d’activité. Quelles mesures concrètes proposez-vous pour réinstaurer une cessation d’activité digne de ce nom dans les fonctions publiques ?
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Perret.
Mme Catherine Perret
Notre position sur la cessation progressive d’activité est très claire : il existait un système qui fonctionnait très bien ; nous demandons donc le rétablissement de ce système. Et comme nous sommes un peu gourmands, nous réclamons également que soit étudiée la possibilité de l’appliquer au-delà de la fonction publique. On sait bien en effet – le ministre du travail l’a lui-même reconnu devant vous, il y a quelques minutes – que le système de départ anticipé mis en place dans le privé ne fonctionne pas. Inspirons-nous donc de la CPA fonction publique ancienne manière, qui fonctionnait parfaitement et dont nous demandons donc le rétablissement.
S’agissant des allocataires, nous sommes évidemment favorables à ce que les députés rouvrent le dossier. Les dispositifs de prérecrutement nous intéressent en effet d’autant plus qu’ils pourraient constituer une réponse au problème de l’attractivité de la fonction publique et de la mixité sociale dans ses voies d’accès. Je rappelle qu’au départ, la fonction publique territoriale assumait le rôle d’ascenseur social, en permettant d’intégrer un maximum de citoyens et en leur donnant ainsi une perspective de carrière sur le long terme. Nous sommes donc très favorables au recours à des prérecrutements et à leur prise en compte complète dans le déroulement de carrière – ancienneté et rémunération –, comme dans le calcul des droits à la retraite. Je note au passage que la rupture entre l’évolution des revenus des actifs et des retraités est un moyen de rompre la progressivité des rémunérations tout au long des carrières alors que celle-ci est pourtant la marque de la fonction publique.
J’ai bien noté que votre assemblée a été très attentive aux cas des salariés ayant travaillé dans le cadre de contrats aidés, TUC – travaux d’utilité collective – et autres, qui échappaient complètement à la comptabilisation pour les droits à la retraite. Nous avons d’ailleurs été alertés par ces salariés, qui commencent à arriver massivement à la retraite, et nous sommes intervenus auprès de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la Cnav, celle-ci nous ayant répondu… que ce sera une monnaie d’échange au moment de la réforme des retraites – anecdote intéressante !
Tant mieux pour les quelque 350 000 salariés concernés, mais je rappelle que, parmi les nombreux emplois aidés intégrés par la suite dans la fonction publique, notamment dans la fonction publique territoriale, beaucoup n’ont pas donné lieu à cotisations et donc à validation pour les années de retraite – nous pourrons vous transmettre plus d’informations à ce sujet.
M. Gérard Leseul
Volontiers.
Mme la présidente
La parole est à M. Martial Crance.
M. Martial Crance
La retraite progressive dans la fonction publique existait en effet sous le nom de CPA. Cette cessation progressive d’activité a été supprimée pour diverses raisons. Elle va être rétablie, mais de manière quelque peu dégradée à travers le PLFRSS pour 2023, qui prévoit la mise en place de retraites progressives dans les fonctions publiques, deux ans avant l’âge légal d’ouverture des droits, mais pas du tout dans les mêmes conditions que la CPA. En outre, manquent encore des précisions sur l’éligibilité des agents. Le dispositif se rapprocherait en réalité de ce qui se fait dans le secteur privé, mais serait loin de ce qui existait précédemment.
S’agissant des recrutements, nous pensons à la CFDT qu’il faut diversifier les voies d’accès : il y a trois types de concours différents, mais il existe aussi d’autres formes d’accès à la fonction publique – l’apprentissage quand il y est pratiqué – et je pense que c’est en effet ainsi qu’on arrivera à rendre les métiers concernés à la fois plus accessibles et plus attractifs.
Il faut réfléchir à toutes ces questions dans la perspective d’un avenir proche puisque le temps de la négociation ou de la concertation avec le ministre sur les recrutements et sur les carrières va s’ouvrir cette année.
Mme la présidente
La parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne (GDR-NUPES)
Je voudrais revenir sur deux points. Le premier, c’est la prise en compte de l’invalidité : elle est renvoyée à la négociation sur la protection sociale complémentaire, qui devrait s’achever fin mars 2023. La mise à la retraite est aujourd’hui d’office pour les fonctionnaires concernés, ce qui, bien évidemment, peut pénaliser ces agents et leur famille, alors que, dans le privé, un trimestre d’invalidité donne droit à un trimestre cotisé. Des améliorations sont-elles envisagées à cet égard ?
Ma deuxième question porte sur les conséquences de l’appel aux mutuelles et aux organismes d’assurance privés, qui va notamment s’accentuer avec la suppression des régimes spéciaux. D’une part, il y a ceux qui ont été recrutés sous l’ancien statut ; d’autre part, il y a les nouveaux entrants qui, vraisemblablement, feront davantage appel aux mutuelles ou aux assurances privées. Il existe par conséquent un risque de marchandisation. Quels effets cela peut-il avoir sur les mutuelles de la fonction publique actuelles ? Quel est le risque de ne pas remporter les appels d’offres ? Et qui en profitera quand, dans une logique du moins-disant, on ira vers moins de solidarité ? Quel périmètre doit-on définir pour les appels d’offres afin d’accroître la protection ? Selon vous, quels seraient les niveaux de segmentation nécessaires pour assurer davantage de solidarité à la sortie ?
Mme la présidente
La parole est à M. Didier Quercioli.
M. Didier Quercioli
Le fait de ne pas remporter d’appels d’offres présente des risques réels. Je faisais tout à l’heure état d’une mutualisation la plus large possible au sein de l’une des mutuelles de la fonction publique ; j’évoquais les différentes solidarités : solidarité intergénérationnelle entre actifs et retraités, solidarité entre bien portants et malades, solidarité familiale. Une mutuelle qui, demain, ne remporterait pas un lot complet dans le cadre d’un d’appel d’offres se retrouverait uniquement avec des retraités. La mutualisation des risques serait telle que les cotisations risqueraient de s’envoler : on est bien loin d’une couverture globale complète sur toute la durée de la carrière, en tant qu’actif ou pensionné. L’écart serait donc extrêmement important.
J’ai bien compris le caractère itératif de la protection complémentaire : avec des périmètres d’actifs qui se renouvellent tous les six ans, une mutuelle pourrait voir son nombre d’adhérents brutalement divisé par deux. La MGEN, par exemple se retrouverait avec la moitié de ses adhérents – puisqu’il y a autant de retraités que d’actifs – et serait contrainte de conduire un plan social, puis de s’adapter au bout de six ans pour un nouvel appel d’offres. Les conséquences peuvent donc s’avérer dramatiques, tant pour les retraités cotisants que pour les mutuelles elles-mêmes et leur survie, avec un bilan social très dégradé pour les salariés.
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Perret.
Mme Catherine Perret
Nous avons à cœur de défendre la spécificité des agents de la fonction publique, mais nous pensons à tous les travailleurs et les travailleuses, et il nous apparaît nécessaire d’harmoniser un certain nombre de droits entre le secteur privé et le secteur public, notamment en matière d’invalidité. C’est aussi vrai pour les questions de reclassement, qui se posent en amont : pour éviter d’en arriver à l’invalidité, il faut permettre aux salariés du privé ou aux agents de la fonction publique d’évoluer dans leur métier, d’être reclassés, de sorte qu’ils ne soient pas mis à la porte de l’entreprise ou de la grande administration dans laquelle ils travaillent.
Force est de constater que ce travail n’est pas suffisamment effectué en amont. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons tous dit au ministre qu’il fallait commencer non pas par les retraites, mais bien par la question du travail : son évolution, son contenu et ce qu’il implique en termes de carrière, tant pour les salariés du privé que les agents de la fonction publique. Malheureusement, il ne nous a pas écoutés, si bien qu’aujourd’hui nous sommes dans une impasse.
Mme la présidente
La parole est à M. Gabriel Amard.
M. Gabriel Amard (LFI-NUPES)
Cela me révolte de voir que, en définitive, on soumet la protection sociale et les complémentaires à la culture du marché public ou de la concession. Pour terminer le massacre du mutualisme, il ne manquerait plus qu’une annexe oblige l’opérateur qui emporterait un marché à reprendre les salariés auxquels vous faisiez référence dans votre propos introductif. Cela démontre à quel point cette mise en concurrence est totalement antinomique avec l’histoire et la culture des mutuelles en France, fondées sur l’idée de solidarité. Pourriez-vous, en quelques instants, nous rappeler les revendications des organisations que vous représentez pour remplacer cette mise en concurrence que le rapport de force actuel nous fait subir ?
Mme la présidente
La parole est à M. Didier Quercioli.
M. Didier Quercioli
Je vous remercie pour vos remarques, monsieur le député. C’est quelque chose que nous avons essayé de faire peser, dans les échanges entre les organisations syndicales et les pouvoirs publics. Nous devrions au maximum prendre en compte les valeurs de solidarité et d’entraide, pour une protection la plus globale et large possible. Songez à tout ce que nous avons pu dire : aujourd’hui, nous sommes loin du compte et nous ne pouvons que le déplorer, même s’il est possible de se réjouir de la participation de l’État à la protection sociale complémentaire de ses agents.
Par ailleurs, nous nous inquiétons du risque de découplage entre la santé et la prévoyance et de la scission entre les actifs et les retraités en termes de traitement – je pense à l’engagement de l’agent en tant que fonctionnaire pendant la durée d’activité, celui-là même qui n’est pas pris en compte lorsqu’il devient pensionné. Voilà ce que nous avons voulu faire prévaloir.
Vos propos me touchent et sont très rassurants, monsieur le député, malheureusement, je ne sais de quelle manière ces éléments pourraient être pris en compte. Aussi, nous veillons aujourd’hui à ne pas voir détruire ce qui a été construit. Je faisais état dans mon propos liminaire de soixante-quinze ans de construction et de prise en compte des besoins spécifiques des agents ; le plus grand échec serait d’arriver à une régression de la protection sociale telle qu’elle existe aujourd’hui, tout en voulant bien faire au départ.
Mme la présidente
La parole est à M. Martial Crance.
M. Martial Crance
Cette question-là est essentielle, mais elle ne date pas d’aujourd’hui. Depuis l’abrogation de l’arrêté Chazel, en 2006, les référencements supposaient déjà de répondre à des impératifs imposés par la réglementation européenne sur la concurrence libre et non faussée, et certains acteurs ont pu entrer dans le jeu alors qu’ils ne s’y trouvaient pas auparavant. Nous sommes probablement face à une étape supplémentaire avec la possibilité pour des opérateurs, qui n’étaient pas historiquement ou traditionnellement présents, de s’implanter. C’est pourquoi nous avons essayé de border les négociations que nous avons menées sur la partie santé autour des valeurs et des grands principes qui fondent le mutualisme, notamment la solidarité. Par ailleurs, nous nous sommes efforcés d’obtenir dans l’accord qui a été signé par toutes les organisations syndicales le maximum de garanties, afin de se prémunir contre des comportements qui viendraient dévoyer l’esprit dans lequel le mutualisme s’est construit – reste que nous n’en sommes pas totalement à l’abri.
En ce qui concerne la prévoyance, nous sommes très loin de voir le dossier aboutir. L’invalidité dont parlait le député Chassaigne est un angle mort. Le Gouvernement ne veut pas en parler avec nous pour l’instant. Il estime que cela ne relève pas des retraites, mais de la protection sociale complémentaire. Pourtant, lorsqu’on évoque le sujet dans le cadre de la protection sociale complémentaire, le Gouvernement nous répond que les choses sont compliquées, qu’on ne va pas y arriver d’un seul coup, qu’il va falloir s’y pendre à plusieurs reprises… Bref, nous sommes assez inquiets.
Mme la présidente
La parole est à Mme Catherine Perret.
Mme Catherine Perret
J’ajouterai quelques mots, qui nous renvoient à la question des retraites. Une des leçons à tirer de ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, c’est qu’il fait la part belle aux assurances complémentaires privées, soit les principales fossoyeuses du mutualisme. J’appelle votre attention sur le danger auquel font aujourd’hui face les groupes de protection sociale spécifiques issus des branches – ils donnent des réponses aux salariés en tenant compte de leurs spécificités professionnelles –, qui sont particulièrement dans le collimateur. Les mutuelles et les groupes paritaires de protection sociale (GPS) sont extrêmement fragilisés en ce moment. Un certain nombre de risques se posent, notamment avec les transferts des cotisations à l’Urssaf, qui peuvent revenir dans le débat au Sénat et sont emblématiques des dangers auxquels sont exposés les GPS.
J’insiste enfin sur les risques qui pèsent sur l’action sociale, que les employeurs veulent voir disparaître de nos retraites complémentaires.
Mme la présidente
Madame, messieurs, je vous remercie de ces échanges et de votre participation à nos travaux.
Je vais suspendre la séance quelques instants, le temps d’accueillir M. le ministre, et nous pourrons procéder à la seconde partie du débat.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à dix-neuf heures trente.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
Nous en venons à la seconde partie du débat sur les retraites et la protection sociale dans la fonction publique. La parole est à M. le ministre de la transformation et de la fonction publiques.
M. Stanislas Guerini, ministre de la transformation et de la fonction publiques
Je remercie le groupe GDR-NUPES d’avoir rendu possible ce moment d’échange sur une thématique qui m’est chère en tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques. Je vous remercie notamment d’avoir lié la question des retraites et celle de la protection sociale des agents de la fonction publique. Lier ces deux sujets, c’est être dans l’esprit de la loi de 1946 relative au statut général des fonctionnaires. C’est précisément dans cet esprit que je m’inscris et que j’inscris l’action du Gouvernement.
Dans mon intervention liminaire, je reprendrai l’ordre que vous avez suggéré par l’intitulé de ce débat : mon point d’entrée portera sur les retraites ; j’élargirai ensuite mon propos à la question de la protection sociale complémentaire des agents de la fonction publique et, au-delà, à celles du parcours de carrière, de la rémunération et de l’attractivité de la fonction publique. Selon moi, les questions de retraite et de parcours professionnel au sein de la fonction publique sont intimement liées.
Pour cadrer le sujet des retraites, je commencerai par évoquer les trois principes qui ont guidé les mesures spécifiques à la fonction publique que le Gouvernement défend dans son projet de loi.
Le premier principe est l’évolution symétrique des paramètres pour les salariés du privé et pour les agents de la fonction publique. Les mesures d’effort sont demandées à tous les salariés du pays, qu’ils soient salariés du privé ou agents de la fonction publique. Ainsi, qu’ils relèvent d’une catégorie active ou sédentaire, les agents du public seront concernés au même titre que les salariés du privé à la fois par le décalage de l’âge d’ouverture des droits et par l’accélération de l’allongement de la durée de cotisation.
Au moment où nous abordons, dans le débat sur les retraites, les questions spécifiques à la fonction publique, il faut avoir en tête un deuxième élément : à la différence de ce qu’il avait prévu dans la réforme de 2019, le Gouvernement a fait le choix de ne pas proposer de convergence entre le système de retraite du privé et celui de la fonction publique. Autrement dit, il a fait le choix de conserver les caractéristiques fondamentales du système de retraite des agents de la fonction publique : le calcul de la pension restera fondé sur les six derniers mois, alors qu’il l’est sur les vingt-cinq meilleures années dans le privé ; l’assiette des cotisations demeurera constituée par la rémunération indiciaire, à l’exclusion de la part indemnitaire – c’est l’autre différence fondamentale avec le privé ; le principe des catégories dites actives sera maintenu. Dans les trois versants de la fonction publique, 700 000 agents relèvent de ces catégories, lesquelles autorisent la prise en compte la pénibilité dans la fonction publique.
Je me permets de préciser, comme je le fais systématiquement, que l’État consent chaque année un effort budgétaire important pour financer le système de retraite de la fonction publique. En 2022, 64,4 milliards d’euros ont ainsi été consacrés au versement des pensions relevant du périmètre de l’État. Cependant, j’entends parfois dans le débat un discours induit selon lequel l’État financerait de la sorte un système de privilégiés ; les agents de la fonction publique seraient en cela privilégiés par rapport aux salariés du privé. Je m’inscris en faux contre cette idée. Ce qu’il convient de comparer, c’est le taux de remplacement, autrement dit ce que l’on perçoit au moment de sa retraite par rapport à ce que l’on percevait pendant sa carrière professionnelle. Or le taux de remplacement est identique, à 0,6 % près, pour les salariés du privé et pour les agents de la fonction publique ; il tourne dans les deux cas autour de 74 %.
En réalité, l’effort budgétaire de l’État est bien davantage lié au fait que les déséquilibres démographiques sont très accentués dans la fonction publique d’État – rappelons que les déséquilibres démographiques justifient la réforme dans son ensemble. Au moment où nous nous parlons, on compte 0,86 fonctionnaire actif pour 1 fonctionnaire retraité. On voit bien quels enjeux de financement en découlent, d’où l’effort budgétaire consenti par l’État.
Troisième élément : la réforme présentée par le Gouvernement permettra un certain nombre de progrès ou d’avancées de nature à améliorer le système. Je voudrais en citer cinq qui me semblent importantes. Au préalable, je souligne que toutes les mesures spécifiques à la fonction publique concernent l’adaptation et l’aménagement des carrières ; selon moi, c’est là le cœur du débat que nous devrions avoir sur la question des retraites.
La première mesure est l’introduction, pour la fonction publique, d’un dispositif de retraite progressive. Il n’en existait plus depuis 2010, date de la suppression de la cessation progressive d’activité. Grâce à ce nouveau dispositif, l’agent pourra aménager son temps de travail à partir de 62 ans, soit deux ans avant l’âge d’ouverture des droits à la retraite : il pourra se mettre à temps partiel tout en préservant sa rémunération globale, puisqu’il touchera par anticipation une partie de sa pension de retraite. Cela offrira un outil tout à fait intéressant d’aménagement des carrières, qu’il conviendra de mettre en œuvre ; c’est là le véritable enjeu. Ce dispositif serait notamment tout à fait pertinent pour les professeurs de l’éducation nationale. Cela fait l’objet des discussions que je mène avec les organisations syndicales.
Je rappelle à ce sujet que, lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, plusieurs groupes parlementaires ont déposé un amendement qui permettrait aux professeurs du primaire de partir en retraite à la date de leur anniversaire. Je tiens à vous indiquer que le Gouvernement est favorable à cet amendement et souhaite le reprendre à l’occasion de la discussion au Sénat. Ce serait une mesure de justice pour les professeurs du primaire par rapport aux professeurs du secondaire.
La réforme des retraites permettra une deuxième amélioration : elle rendra totalement portables les droits associés aux catégories actives ou super-actives de la fonction publique, pour les 700 000 agents qui les composent. Dans le système en vigueur, un policier n’a aucun intérêt à devenir douanier, de même qu’un surveillant pénitentiaire n’a aucun intérêt à rejoindre la police, parce qu’il perd alors tout le bénéfice acquis des années de service antérieures. Le projet de loi prévoit désormais une portabilité complète des droits, tant des règles relatives à la durée de service que des différentes bonifications associées aux catégories actives. C’est une véritable avancée qui facilitera les mobilités de carrière. S’agissant des catégories actives, je précise que nous décalons de deux ans l’âge d’ouverture des droits – actuellement 52 ou 57 ans selon les cas – mais que nous laissons inchangée la durée de service donnant le droit de partir à la retraite – dix-sept ans ou vingt-sept ans selon les cas.
Troisième mesure spécifique : nous améliorons la situation des agents contractuels du public, en permettant, pour les agents titularisés, la prise en compte des années de service effectuées en tant que contractuel. Je pense notamment aux aides-soignants contractuels qui font le même travail que des agents titulaires de catégorie active, mais sans bénéficier du droit à un départ anticipé à la retraite associé à cette catégorie, ni du compte professionnel de prévention (C2P) qui existe dans le privé. Plus de 100 000 aides-soignants titulaires de la fonction publique ont exercé auparavant ce métier comme contractuels, parfois pendant cinq ou six ans. Désormais, ces cinq ou six années seront intégrées à leur durée de service, au lieu de compter pour rien. C’est une véritable mesure d’attractivité. Il y aura ainsi un bénéfice associé au fait d’être titularisé dans la fonction publique.
Quatrième mesure spécifique : nous entendons donner la possibilité aux agents publics qui le souhaitent et qui en font la demande à leur employeur – j’insiste sur ces précisions – de travailler au-delà de 67 ans, limite d’âge en vigueur. Nous gommons ainsi une différence entre le public et le privé : dans le privé, la limite d’âge est de 70 ans, soit trois ans après l’âge d’annulation de la décote ; dans le public, il n’existe que quelques rares dérogations permettant de travailler au-delà de 67 ans. Nous harmonisons les limites d’âge en alignant celle du public sur celle du privé.
La dernière mesure, avancée très importante selon moi, a trait à la prévention de l’usure et de la pénibilité. Cela fait partie de la révolution culturelle et managériale que nous devons introduire dans la fonction publique.
Il faut certes des dispositifs de réparation ; je viens de mentionner à cet égard les catégories actives : pour ceux qui exercent un métier pénible, l’âge d’ouverture des droits est anticipé par rapport à celui des catégories sédentaires. Mais il faut surtout investir pour développer les dispositifs de prévention de l’usure et de la pénibilité. C’est ce que nous faisons en créant un fonds de prévention de l’usure professionnelle dédié aux soignants qui travaillent dans les établissements hospitaliers et médico-sociaux, qu’ils relèvent de la fonction publique hospitalière ou de la fonction publique territoriale. Nous y consacrerons environ 100 millions d’euros chaque année, c’est-à-dire un demi-milliard d’euros sur le quinquennat. Cela permettra d’aménager les postes de travail, de rendre les métiers moins pénibles, le cas échéant de financer des formations permettant de changer de métier. Cet investissement est l’un des bénéfices que comporte la réforme des retraites présentée par le Gouvernement.
Je précise que nous menons en ce moment des discussions avec les employeurs territoriaux pour créer des instruments collectifs de prévention de l’usure et de la pénibilité dans la fonction publique territoriale, laquelle est moins couverte par le dispositif des catégories actives.
Ce que nous devons promouvoir, c’est notre capacité à investir dans l’aménagement des carrières. L’agent peut-il aménager son temps de travail ? C’est la retraite progressive. Est-il à même d’aménager son poste de travail ? C’est le fonds de prévention de l’usure professionnelle que nous créons. A-t-il la possibilité de changer de métier ? C’est la possibilité de financer une formation professionnelle en vue d’aménager une fin de carrière.
L’évocation de cette dernière mesure me permet de faire une transition avec la question de la protection sociale complémentaire. Nous avons obtenu des avancées en la matière au cours des dernières années, sachant qu’il existait des différences importantes entre les mécanismes applicables dans le privé et dans le public, tant sur le volet santé que sur le volet prévoyance.
Sur le volet santé, nous sommes parvenus au cours du précédent quinquennat à un accord unanime avec les syndicats de la fonction publique. C’est une avancée très positive pour les millions d’agents concernés. Cet accord est en cours de déclinaison dans les trois fonctions publiques – ministère par ministère dans la fonction publique d’État.
Sur le volet prévoyance, les discussions sont en cours. Il s’agit des dispositifs destinés à couvrir les risques les plus lourds tels que le décès, l’invalidité ou l’incapacité – autrement dit les arrêts maladie de longue durée. Ces questions ont fait l’objet d’un accord de méthode avec les organisations syndicales. J’ai fait part à celles-ci de mon souhait que les discussions aboutissent, dans le cadre du dialogue social que nous menons, au cours du premier semestre 2023. Le volet prévoyance est sans doute plus complexe que le volet santé, car nous avons des choix structurels à faire. En tout cas, il est tout aussi important.
Pour ne pas être trop long, je vous propose de revenir sur ces sujets techniques, parfois complexes, mais essentiels pour la protection des agents de la fonction publique, au cours de nos échanges, et je suis à votre entière disposition si vous souhaitez élargir la discussion aux aménagements de carrière car ces questions sont, en réalité, intimement liées. C’est le vrai débat derrière le débat sur les retraites : travailler un peu plus longtemps, avec la capacité d’aménager le parcours des agents de la fonction publique.
Mme la présidente
Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions et des réponses est de deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville (GDR-NUPES)
Il n’y a aucune générosité dans les mesures pour les retraites que vous venez d’évoquer. Il est évident qu’il faut améliorer les droits, mais la facture est insoutenable : deux ans de plus. C’est pour nous un point de blocage fondamental. De plus, parmi les éléments d’amélioration que vous avez cités, il y en a un qui serait plutôt un facteur de fragilisation du système, à savoir la suppression de la limite d’âge, suivant une logique parallèle à celle des coups qui ont été portés au système de retraite du secteur privé. Par ailleurs, vous avez évoqué un effort de la part de l’État, mais il ne s’agit pas d’un effort : c’est son rôle, en tant qu’employeur, d’assurer le droit à la retraite de celles et ceux qui ont travaillé pour lui en tant qu’agents de la fonction publique.
La question de la protection sociale complémentaire est au croisement d’enjeux importants : celui de la santé, celui de la prévention – tous deux étant liés à celui des retraites – et celui de l’invalidité, sur lequel les organisations syndicales nous ont expliqué que chacun se renvoyait la balle sans jamais réellement aborder le sujet avec elles. Que pouvez-vous nous dire là-dessus ? Vous avez annoncé que les conclusions devaient être rendues au premier semestre 2023. Quels sont vos objectifs ? Quelles sont vos craintes ? Quels sont, selon vous, les critères à retenir pour les appels d’offres ? Avez-vous eu recours à un cabinet de conseil, et pour quoi faire ? Ne craignez-vous pas un effet déstructurant, affaiblissant, de ces mesures pour la protection sociale des agents de la fonction publique ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Stanislas Guerini, ministre
Pour ne pas refaire les débats qui ont eu lieu dans l’hémicycle sur les raisons qui sous-tendent cette réforme et la préservation de notre système par répartition, je consacrerai moins de temps à notre différend fondamental sur le recul de l’âge de départ à la retraite, pour me concentrer davantage sur les questions spécifiques à la fonction publique.
Je récuse l’idée selon laquelle l’assouplissement de la limite d’âge conduirait à une fragilisation du système. Ce n’est pas vrai. La mesure répond aux attentes de certains agents, qui font la demande de travailler plus longtemps ; je ne prétends pas qu’ils le fassent par pur bonheur de servir la fonction publique, même si cela peut arriver, car cette demande est souvent formulée en raison d’un impératif financier. Avec l’évolution des familles, les services des ressources humaines font remonter des cas d’agents qui souhaiteraient travailler une ou deux années de plus pour continuer de percevoir leur rémunération car leurs enfants sont en fin d’études supérieures. Actuellement, l’employeur public est obligé de refuser ; il y a quelques dérogations, mais elles sont limitées. Je ne fais pas de cette mesure l’alpha et l’oméga de la réforme, mais je répète qu’il ne s’agit pas d’une fragilisation et que cette possibilité ne sera ouverte que sur demande des agents.
J’en viens à votre question sur l’invalidité et, plus largement, sur la protection sociale complémentaire.
Le dispositif de protection sociale complémentaire, dans son volet santé, représente une avancée considérable en matière de protection des agents de la fonction publique, lesquels en sont rendus, en l’état actuel du système, à souscrire des contrats de protection complémentaire auprès des mutuelles. Certains ministères ou collectivités offrent des complémentaires santé, mais d’autres agents ne sont pas du tout couverts. L’accord rendant obligatoire la prise en charge de 50 % des frais de santé par les employeurs des trois versants de la fonction publique est donc une avancée notable pour des millions d’agents de la fonction publique. Dès cette année, cela représente 15 euros par mois de prise en charge par l’employeur public d’État ; à partir de 2024, ce sera 30 euros par mois. J’ajoute que le panier de soins, qui est en cours de déclinaison interministérielle, a été bien négocié et qu’il représente un progrès par rapport aux paniers précédemment négociés, de moins bonne qualité. L’accord a été unanime avec les organisations syndicales.
Pour ce qui est du volet prévoyance, l’enjeu décisif est de savoir quelle part de la couverture relève de l’autoassurance, c’est-à-dire de la protection offerte par l’employeur public à travers le statut, et pour quelle part il est envisageable de s’appuyer sur des acteurs tiers, mutualistes ou assureurs, dans un dispositif complémentaire.
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Lenormand.
M. Stéphane Lenormand (LIOT)
Malgré votre prestation, monsieur le ministre, vous ne me ferez pas changer d’avis sur la réforme, même si je pense qu’il faut réformer le système des retraites. Je voudrais vous poser des questions plus pointues.
Premièrement, vous évoquez la retraite progressive dans la fonction publique : concerne-t-elle les trois versants de la fonction publique, à savoir la fonction publique d’État, la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale ?
Deuxièmement, j’aimerais évoquer les outre-mer, et plus précisément la position du Gouvernement sur les dispositifs de bonification pour le calcul des retraites en outre-mer : vont-ils passer à la trappe ou seront-ils maintenus ? Un autre sujet important pour les outre-mer est la réforme de l’ITR, l’indemnité temporaire de retraite, sur laquelle un rapport d’information a été rendu en 2021 par notre collègue Philippe Dunoyer. Des travaux sont en cours sous l’égide du ministère des outre-mer. C’est un vrai sujet en termes d’attractivité et de respect de la parole de l’État : je rappelle qu’en 2008, une réflexion devait être lancée pour proposer un système de substitution à l’ITR après la disparition de celle-ci ; cette promesse n’a pas été tenue, non plus que celle sur le processus dit « de compensation » pour l’économie circulaire des territoires. Il y a aussi une réflexion à mener sur les territoires non concernés par l’ITR car la cherté de la vie, plus importante dans les outre-mer, y pose la question de l’attractivité de la fonction publique. La position de mon groupe est qu’il faut que ce travail puisse être réalisé dans un temps assez court, qu’il serait bienvenu que l’État suspende la dégressivité du processus en cours durant ces travaux et que la réflexion devrait englober non seulement les fonctionnaires d’État, mais aussi les deux autres fonctions publiques.
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Stanislas Guerini, ministre
Je peux vous confirmer que la retraite progressive concernera bien les trois versants de la fonction publique. L’enjeu fondamental pour ce dispositif qui, contrairement à ce que je peux entendre parfois, est attractif – et même plus attractif que les politiques de cessation progressive d’activité – est que, si nous voulons en faire un réel instrument d’aménagement des carrières, il faut l’inscrire au cœur de la politique de ressources humaines de la fonction publique. C’est la raison pour laquelle j’ai réuni, il y a quelques jours, les secrétaires généraux et les directeurs des ressources humaines des différents ministères, ainsi que les employeurs territoriaux et les employeurs hospitaliers, pour faire de la retraite progressive un vrai outil d’aménagement des parcours professionnels ; qu’elle ne soit pas qu’un droit de papier, mais un droit réel. Il y a dans la fonction publique territoriale des enjeux de transmission importants – je pense aux secrétaires de mairie –, et l’on pourrait imaginer des aménagements de fin de carrière pour que les agents publics puissent, à temps partiel, former leur successeur. Cela fait partie des transformations et des réformes souhaitables.
Pour ce qui est des dispositifs ultramarins, nous ne remettons en cause aucune clause ni bonification particulière pour les agents publics ultramarins. Pour reprendre votre expression, aucun dispositif ne passe à la trappe. C’est extrêmement clair.
L’indemnité temporaire de retraite est un dispositif instauré en 2008, souvent discuté mais jamais remis en cause par aucun gouvernement. Il s’agit d’un mécanisme dérogatoire permettant à des agents publics de bénéficier d’une bonification de pension de retraite dans le cas où ils s’installeraient, au moment de leur retraite, dans un territoire ultramarin, qu’ils aient travaillé ou non en outre-mer.
Il est vrai que nous devons mener une réflexion sur les mécanismes compensatoires de cette ITR, progressivement mise en extinction. C’est l’engagement qui avait été pris par le Gouvernement. Nous avons réuni un premier comité de travail sous le quinquennat précédent. Conformément à nos engagements, nous l’avons réuni à nouveau il y a quelques jours, le 17 février, sous l’égide du ministère de l’intérieur et des outre-mer et du ministère de la transformation et de la fonction publiques, pour travailler avec les parlementaires sur des mécanismes compensatoires, afin de répondre à la cherté de la vie dans les territoires ultramarins. Nous avons pris, Jean-François Carenco et moi-même, deux engagements : d’une part, celui de qualifier la cherté de la vie et donc le financement complémentaire ou compensatoire à prévoir et, d’autre part, celui de faire aboutir à temps pour le projet de loi de finances pour 2024, c’est-à-dire d’ici l’automne, la réflexion sur des mécanismes comme la surcotisation facultative pour les agents publics, afin de tenir les engagements de l’État sur cette question-là.
Mme la présidente
Merci, monsieur le ministre. Je vous demanderai de vous en tenir à deux minutes pour les interventions suivantes afin de ne pas créer de précédent.
M. Gabriel Amard
C’est déjà fait ! (Sourires.)
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Cabrolier.
M. Frédéric Cabrolier (RN)
Si je voulais être désobligeant, je dirais que, pour maintenir votre totem de recul de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, on a l’impression que vous lâchez quand même beaucoup. On le voit pour la fonction publique : vous avez parlé de cinq améliorations, indiqué que la signature d’un accord sur la complémentaire santé dans la fonction publique d’État était en cours et mentionné l’objectif de prévoyance collective dans la fonction publique d’État.
L’objet de la réforme était de faire des économies sur la branche retraite. Chacun a compris que les retraités servaient de variable d’ajustement pour faire baisser le déficit public et le ramener, à l’horizon 2027, sous le critère européen des fameux 3 % du PIB. M. Moscovici nous en avait parlé et M. Pierre-Louis Bras nous l’a bien expliqué.
Les deux questions que je voudrais vous poser sont les suivantes. Premièrement, à combien chiffrez-vous les économies que vous envisagez de faire avec le recul de l’âge légal dans la fonction publique, donc avec l’accélération de la loi Touraine ? Deuxièmement, combien de fonctionnaires sont concernés dans la fonction publique d’État, dans la fonction publique territoriale et dans la fonction publique hospitalière ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Stanislas Guerini, ministre
Je prends votre première remarque comme un compliment, puisque vous notez que nous apportons bon nombre d’améliorations au système de retraite de la fonction publique. Il ne s’agit pas de compensations – et je ne les ai jamais présentées comme telles aux organisations syndicales – mais de réelles améliorations, toutes liées à l’aménagement des carrières et à la possibilité de réduire le temps de travail, de moduler les conditions d’exercice de sa fonction ou bien de changer de métier dans la fonction publique. Pour ma part, je présente de façon transparente les efforts demandés et les améliorations apportées au système par le projet de réforme des retraites que vous avez eu à examiner il y a quelques jours.
Quant aux économies attendues du report de l’âge légal de départ à la retraite dans la fonction publique, elles sont précisées dans l’étude d’impact de la réforme et représenteront 2,5 milliards d’euros sur les 17,5 ou 18 milliards d’économies prévues au total. Les dispositifs qui améliorent le système de retraite de la fonction publique – je pense notamment à l’instauration d’un mécanisme de retraite progressive, à l’amélioration de la portabilité des droits pour les catégories actives, aux mesures visant à améliorer les droits des contractuels titularisés, dont j’ai déjà parlé, et à l’instauration d’un fonds de prévention de l’usure professionnelle et de la pénibilité – ont un coût bien moins important, estimé à environ 330 millions d’euros. Tels sont les grands équilibres de la réforme des retraites dans le périmètre de la fonction publique.
Je le répète, cette réforme concernera les 5,7 millions d’agents de la fonction publique, qu’ils soient contractuels ou titulaires, c’est-à-dire fonctionnaires. Il y a aujourd’hui 20 % de contractuels pour 80 % de titulaires dans les trois fonctions publiques. Vous trouverez les chiffres sans difficulté : la fonction publique d’État emploie 2,5 millions d’agents, la fonction publique territoriale 1,9 million d’agents et la fonction publique hospitalière 1,2 million d’agents.
Je précise, pour finir, que les fonctionnaires cotisent à un système de retraite spécifique de la fonction publique et que les contractuels dépendent du régime général et cotisent à l’Ircantec, la retraite complémentaire publique. Les titulaires et les contractuels sont donc soumis à des systèmes différents, mais la réforme les concernera de manière symétrique. Voilà la réponse la plus complète que je pouvais vous faire, monsieur le député !
Mme la présidente
La parole est à M. Gabriel Amard, pour environ deux minutes. (Sourires.)
M. Gabriel Amard (LFI-NUPES)
Ne vous inquiétez pas, madame la présidente !
Au sujet du déséquilibre entre le nombre d’actifs et le nombre de retraités dans les fonctions publiques, je ne vous surprendrai pas en rappelant que les besoins d’effectifs sont grands dans nos services publics, qui servent l’intérêt général. Ainsi, dans la fonction publique territoriale, en raison des restrictions financières qui leur ont été imposées au cours des dernières années, les collectivités territoriales ne sont pas en mesure de remplacer leurs fonctionnaires partis à la retraite. Et je ne parle pas des besoins de l’éducation nationale et du manque criant d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH). De toute évidence, nos fonctions publiques mériteraient d’être renforcées en effectifs, ce qui conduirait à une augmentation du nombre de cotisants actifs.
Ma première question porte sur un sujet évoqué par les représentants des organisations syndicales dans la première partie de la table ronde : ils craignent que la mise en concurrence des complémentaires santé remette en cause le modèle construit par le mouvement mutualiste français pendant des décennies et que les mutuelles perdent ainsi tous leurs cotisants actifs. Monsieur le ministre, quelle réponse pouvez-vous apporter à leurs inquiétudes ? Certaines mutuelles vont souffrir fortement de l’ouverture à la concurrence, laquelle me paraît plus que contestable, car nous pourrions très bien nous soustraire aux obligations fixées par la Commission européenne.
J’en viens à ma seconde question. Le 27 janvier dernier, comme beaucoup d’autres, nous avons été stupéfaits d’apprendre la décision du Gouvernement de relever de 1 point le taux de cotisation des employeurs de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), la caisse de retraites des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Les collectivités locales subissent déjà la hausse de leurs dépenses de fonctionnement, en matière d’énergie notamment. Comment pourront-elles faire face à une telle situation ? Avez-vous prévu de leur verser une compensation financière ? Ou bien est-ce le retour, sans les nommer, des contrats de Cahors ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Stanislas Guerini, ministre
Je vais tenter d’apporter les réponses les plus concises possibles aux trois questions que vous avez soulevées. En ce qui concerne le besoin de nouveaux agents dans les trois fonctions publiques, je peux vous assurer, en tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques, que notre politique ne repose pas sur les suppressions de poste. Vous aurez d’ailleurs noté que les emplois de la fonction publique sont restés stables au cours du précédent quinquennat – ce n’était d’ailleurs pas prévu, puisque le programme d’Emmanuel Macron, pendant la campagne présidentielle de 2017, prévoyait 120 000 suppressions de postes. Les différentes crises que nous avons traversées, et notamment la crise sanitaire, nous ont amenés à revoir notre politique. En 2022, le Président de la République, de nouveau candidat, n’a pas proposé de suppressions de poste dans la fonction publique. Au contraire, le Gouvernement a même engagé des investissements importants dans les services publics, dans les secteurs de la justice, de l’école et de la santé, par exemple.
Sur la CNRACL, je serai très clair. Avec Dominique Faure, la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, et Gabriel Attal, le ministre délégué chargé des comptes publics, nous avons réuni les employeurs territoriaux à plusieurs reprises ces derniers jours et nous avons acté la compensation intégrale de la hausse des cotisations. Au cours des prochaines années, la CNRACL verra son déficit se creuser pour des raisons démographiques. Contrairement aux deux hausses de cotisations précédentes, décidées par d’autres majorités et non compensées, nous avons pris l’engagement d’une compensation intégrale, ce qui n’avait jamais été fait. Je pense pouvoir dire sans me tromper que nous avons instauré un dialogue de confiance avec les employeurs territoriaux. Le sous-entendu de votre question est donc sans aucun fondement.
Il me reste peu de temps pour aborder votre dernière question, pourtant capitale. Selon moi, l’enjeu de la prévoyance n’a rien à voir avec une prétendue mise en concurrence dictée par Bruxelles ou des raisons idéologiques. L’enjeu de la prévoyance, c’est l’amélioration de la couverture et de la protection des agents de la fonction publique. En tant que ministre de la transformation et de la fonction publiques, c’est cet objectif qui m’anime et qui me guide.
Aujourd’hui, les agents de la fonction publique recourent à des systèmes de protection très hétérogènes. Certaines mutuelles ont des liens historiques avec des ministères et des collectivités, mais, dans certains cas, les agents ne sont pas couverts du tout. Je pense à cette jeune femme qui apprend qu’elle a un cancer du sein ou à ce couple dont l’un des deux décède : ils découvrent que leur protection statutaire en matière de santé est mauvaise parce qu’ils n’ont pas de mutuelle complémentaire. Notre objectif doit être d’améliorer leur protection. Pour cela, devrons-nous choisir le tout-statutaire – c’est l’employeur public qui assume le risque et protège, au détriment des acteurs mutualistes et assurantiels – ou adopter une part d’assurantiel – en faisant appel à des spécialistes, les acteurs mutualistes et assurantiels – pour couvrir et prévenir le risque ? Telle est la question à laquelle il nous faut réfléchir. Mon seul objectif est d’améliorer la couverture prévoyance des agents de la fonction publique.
M. Gabriel Amard
Dommage qu’on s’arrête là !
Mme la présidente
Oui, c’est l’inconvénient de poser plusieurs questions dans une question ! (Sourires.) Mais, évidemment, c’est intéressant…
La parole est à M. Francis Dubois.
M. Francis Dubois (LR)
Ma question porte sur les carrières et sur le statut des secrétaires de mairie dans les petites communes, notamment en milieu rural. Maillon essentiel et incontournable de la vie communale, les secrétaires de mairie sont l’appui technique et juridique des maires et participent à la mise en œuvre des politiques de l’équipe municipale. Leur emploi nécessite des compétences multiples dans les domaines de la finance, de la gestion des services techniques, des ressources humaines, de l’urbanisme, de la préparation des conseils municipaux, de la gestion de l’état civil, de l’organisation des élections, de l’accueil du public, etc. Les secrétaires de mairie doivent faire preuve d’une grande adaptabilité, de polyvalence et d’organisation, en particulier en milieu rural. En Corrèze, très souvent, plusieurs communes se partagent une même secrétaire de mairie.
Malgré un profil très complet et un rôle décisif dans la bonne tenue de la vie de la commune, les dispositions statutaires actuelles ne sont pas en adéquation avec la reconnaissance que mériterait cette fonction : les missions sont mal définies ; les agents sur le point de partir sont systématiquement remplacés par des agents administratifs de catégorie C, titulaires ou contractuels ; enfin, le protocole relatif aux parcours professionnels, carrières et rémunérations et à l’avenir de la fonction publique (PPCR), qui prévoit la refonte des grilles de salaires, ne bénéficie pas aux secrétaires de mairie.
Parce qu’il est nécessaire de mieux connaître et de valoriser ce métier, dans un contexte de tension des effectifs et de vieillissement des agents, une proposition de loi transpartisane, dont je suis signataire, a récemment été initiée par notre collègue Pierre Morel-À-L’Huissier. Ce texte propose de faire évoluer l’appellation de la profession en « responsable de l’administration communale » et de créer un statut d’emploi comprenant deux grilles indiciaires. Pour pallier les difficultés de recrutement, il suggère d’élargir la possibilité, pour les communes, de recruter des agents contractuels en relevant le plafond démographique en-deçà duquel le recrutement est ouvert de 1 000 à 2 000 habitants. Il envisage aussi l’organisation, en lien avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), de formations spécifiques, dont une au titre de la prise de poste. Ces formations seraient très utiles, en particulier pour les contractuels recrutés.
Monsieur le ministre, en écho à cette initiative parlementaire soutenue sur le terrain, votre ministère entend-il prendre prochainement des décisions en vue d’assurer la pleine reconnaissance des secrétaires de mairie ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre.
M. Stanislas Guerini, ministre
Il n’est pas un jour où je ne parle pas des secrétaires de mairie ! Leur métier revêt une importance capitale, en particulier dans les communes rurales. Plus une commune est petite, plus la secrétaire de mairie joue un rôle décisif. J’ai coutume de dire qu’une secrétaire de mairie qui part à la retraite et qui n’est pas remplacée est comme une maison France Services qui ferme. Son expérience est telle que je ne crois pas exagérer, d’autant qu’une secrétaire de mairie travaille parfois pour plusieurs collectivités.
Je pense également, comme vous, qu’il faut revaloriser ce métier pour le rendre attractif, car les secrétaires de mairie qui partent à la retraite doivent être remplacées. Or, au cours des huit prochaines années, environ un tiers d’entre elles cesseront leur activité. Il s’agit en effet d’un enjeu majeur.
En revanche, il est inexact de dire que rien n’a été fait pour cette profession. Au cours du précédent quinquennat, un dispositif de nouvelle bonification indiciaire (NBI) lui a été appliqué – il a permis d’apporter 15 points de revalorisation indiciaire. Cette mesure n’était sans doute pas suffisante pour relever le défi de l’insuffisante attractivité du métier, mais je me devais de la rappeler.
Allons-nous agir ? Au fond, telle est votre question, et ma réponse est évidemment oui. Je défendrai, au cours de l’année 2023, une réforme sur l’accès, les parcours et la rémunération dans la fonction publique. Cette réforme, dont seront saisies les organisations syndicales, nous donnera l’occasion de démontrer notre capacité à relancer l’attractivité des métiers – celui de secrétaire de mairie sera, à ce titre, exemplaire – grâce à plusieurs leviers.
Le premier concerne les recrutements, notre objectif étant de favoriser l’accès aux métiers de la fonction publique en levant les contraintes – sur ce point, les pistes que vous évoquez sont intéressantes et nous en rediscuterons. Nous devons raisonner davantage à partir de la valorisation des acquis de l’expérience professionnelle et nous affranchir du formalisme de certains concours.
En ce qui concerne les parcours, je ne me résous pas aux carrières trop linéaires, et je veux donner davantage de marges de manœuvre aux employeurs pour leur permettre de faire progresser plus rapidement les secrétaires de mairie.
Enfin, dans le cadre de cette même réflexion sur les parcours, nous devons offrir la possibilité aux secrétaires de mairie d’évoluer, parfois même en changeant de métier. Une secrétaire de mairie pourrait ainsi envisager de devenir directrice générale des services (DGS) dans une collectivité de taille plus importante. Des possibilités de ce type doivent être développées et nous aurons, je l’espère, l’occasion d’en reparler cette année dans le cadre du chantier de la refonte des rémunérations et des carrières dans la fonction publique.
Mme la présidente