XVIe législature
Session ordinaire de 2023-2024

Deuxième séance du mercredi 17 janvier 2024

Sommaire détaillé
partager
Deuxième séance du mercredi 17 janvier 2024

Présidence de M. Sébastien Chenu
vice-président

M. le président

  • partager

    La séance est ouverte.

    (La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

    1. Le sans-abrisme, réceptacle des échecs des politiques publiques ?

    M. le président

  • partager

    L’ordre du jour appelle le débat sur le thème suivant : le sans-abrisme est-il le réceptacle des échecs des politiques publiques ? Ce débat, inscrit à l’ordre du jour à l’initiative du groupe Écolo-NUPES, se tient en salle Lamartine, afin qu’une personnalité extérieure, que je vous présenterai dans un instant, puisse être entendue. La conférence des présidents a décidé d’organiser la séance en deux parties d’une heure chacune. Dans un premier temps, nous entendrons la personnalité invitée, que vous pourrez ensuite interroger. Dans un second temps, nous entendrons l’intervention liminaire de M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, avant de procéder à une nouvelle séquence de questions et réponses. La durée des questions comme des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
    Enfin, je vous présente à tous mes vœux de belle et heureuse année. Prenez soin de vous et continuons à faire vivre ensemble notre belle démocratie.
    Nous accueillons maintenant M. Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, à qui je vais donner la parole pour cinq minutes – même si, comme nous ne sommes pas nombreux ce soir, je vous laisserai peut-être davantage de temps, monsieur le directeur, afin que vous puissiez vous exprimer autant que vous le souhaitez. Soyez le bienvenu.

    M. Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre

  • partager

    En guise d’introduction à ce débat autour du sans-abrisme, je vous présenterai quelques chiffres et analyses, dont nous pourrons ensuite débattre et que je développerai si cela est nécessaire. Nous sommes dans une situation humainement dramatique, qui doit nous alerter. Même si on peut avoir l’impression que c’était déjà le cas il y a soixante-dix ans, lors de l’appel de l’Abbé Pierre, elle s’est aggravée ces dernières années, particulièrement au cours des derniers mois. Alors que nous avions réussi à réduire assez considérablement le nombre de personnes sans domicile, vivant à la rue ou en hébergement, l’émergence de nouveaux pauvres à partir des années 1990 et 2000 a fait ressurgir cette réalité et l’a fortement accentuée.
    La Fondation Abbé Pierre estime à 330 000 le nombre de personnes sans domicile, c’est-à-dire, selon la définition de l’Insee, de personnes qui sont à la rue ou hébergées par l’État ; il y a un peu plus de dix ans, ils n’étaient que 143 000, selon la dernière enquête de l’Insee, qui date de 2012. Le fait même de ne pas disposer de données plus récentes illustre le manque d’intérêt et de considération pour ce sujet, d’autant plus que la prochaine enquête n’est prévue qu’en 2025. Le nombre de personnes sans domicile a donc doublé par rapport à 2012, et triplé par rapport à 2001 : la situation est grave.
    Même s’il est difficile de dénombrer les personnes qui sont sans-abri, c’est-à-dire qui ont passé la nuit précédente à la rue ou dans un lieu qui n’est pas prévu pour l’habitation, on en comptabilisait 12 000 en 2012 d’après l’enquête de l’Insee, qui date donc un peu. Estimé à 27 000 en 2017 lors du recensement, ce chiffre était finalement évalué à 40 000 en 2019 par la Cour des comptes. Ce flou, qui résulte pour partie d’un manque d’intérêt pour le sujet, est également structurel : il est difficile de dénombrer précisément le nombre de personnes sans abri car leur situation peut évoluer, elles peuvent elles-mêmes, afin de se protéger, dissimuler leur état et, surtout, la frontière entre sans-abri, sans domicile et mal logé est ténue. Les Européens qui habitent dans des bidonvilles, par exemple, car on a choisi de ne compter que les Européens, ce qui peut nous laisser dubitatifs, sont dans une zone grise : doivent-ils être comptabilisés comme des sans-abri ? D’après la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (Dihal), on en comptait 12 000 dans l’Hexagone mais ce chiffre est sans doute beaucoup plus élevé en outre-mer, en particulier en Guyane et à Mayotte. Les 100 000 personnes qui, d’après l’Insee, vivent dans des habitations de fortune, sont elles aussi dans un entre-deux. Si les catégories ne sont donc pas imperméables, on constate néanmoins une aggravation générale de la situation.
    À défaut de dénombrer correctement les personnes à la rue, un outil permet de mesurer l’évolution de la situation : le nombre de demandes au 115 non pourvues. En octobre, faute de places, jusqu’à 8 000 personnes sont restées sans solution chaque soir après leur appel au 115, dont près de 3 000 mineurs – un chiffre qui a fait beaucoup parler. Ces personnes ont dû dormir dans une voiture, sous un porche d’immeuble, sous une tente ou sur le canapé d’un tiers. Ce sont des situations très précaires, proches du sans-abrisme. Comme chaque hiver, ce chiffre a diminué suite à l’ouverture de places d’hébergement dans des gymnases et grâce au traditionnel regain de solidarité familiale ou amicale à mesure que les températures baissent.
    Cette méthode a néanmoins ses limites : le nombre de sans-abri est évidemment sous-estimé, puisqu’on ne prend en compte, parmi les personnes qui composent le 115, que celles dont l’appel est traité par un opérateur. Or beaucoup se découragent – notamment parmi les publics les moins vulnérables, comme les hommes adultes, célibataires, isolés – et n’appellent plus le 115. À quoi bon passer deux ou trois heures au téléphone pour se voir systématiquement opposer un refus ? Les sans-abri sont donc beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense.
    Malgré des évolutions, cet outil de gestion de la demande par les services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO) – qui n’est donc pas, je le répète, un outil de dénombrement – a permis d’observer que la demande d’hébergement d’urgence avait été, en 2023, 30 à 40 % supérieure à l’année précédente. Plusieurs causes expliquent cette aggravation. Elles ont trait au débat politique qui a nourri l’actualité ces derniers jours.
    Il y aura toujours des querelles autour des chiffres, mais posons les données du problème.
    D’un côté, le Gouvernement, qui a reconnu le caractère préoccupant de la situation, estime, à juste titre d’ailleurs, avoir fait un effort inédit, puisqu’on compte actuellement 203 000 places d’hébergement généraliste, soit le double d’il y a dix ans, même si les chiffres avancés par le Président de la République et le ministre n’étaient pas exacts. Cet effort est un bon signe, puisqu’il signifie qu’on ne laisse pas la situation s’aggraver sans réagir, mais également un mauvais signe, car si l’on est contraint d’ouvrir de nouvelles places en hébergement d’urgence, c’est bien parce que la politique d’accès au logement a été défaillante. D’ailleurs, si les personnes accueillies en hébergement d’urgence sont considérées comme sans domicile, c’est bien parce qu’être hébergé à l’hôtel ou en centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) n’est pas une situation enviable : on n’est pas chez soi et la dépendance à la machine étatique, associative, administrative est source de précarisation. Le Gouvernement a donc raison de considérer qu’il a fait des efforts.
    De leur côté, les associations et les oppositions estiment – à juste titre également– que les efforts ont été insuffisants, puisque la situation s’aggrave. Mais la réalité est plus complexe. En 2017, le Gouvernement a lancé un dispositif très intéressant et réclamé de longue date par le monde associatif et les experts français et étrangers sur le sans-abrisme : le plan quinquennal pour le logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme. Prolongé durant le deuxième quinquennat par le plan « logement d’abord » 2, il repose sur l’idée qu’il est préférable de passer le plus directement et rapidement possible de la rue à un logement, sans transiter par les différentes formes d’hébergement provisoire. Cette initiative a porté ses fruits : depuis 2017, environ 550 000 personnes sont sorties de la rue et vivent dans des logements plus pérennes. Sans ce plan, la situation aurait été plus critique encore.
    Pourtant, malgré l’augmentation du nombre d’hébergements et l’amélioration de l’accès au logement, le nombre de personnes sans domicile augmente. En effet, les  services de l’État en conviennent, depuis 2017, un flux contrebalance le flux positif : celui des personnes qui perdent leur logement ou qui arrivent en France et ne peuvent s’y loger. Ce flux est supérieur à celui des personnes qui sortent de la rue puisque, en dépit d’un taux d’accès au logement en hausse, on compte davantage de personne à la rue ou accueillies dans un hébergement d’urgence.
    Cette situation s’explique, en grande partie, par les flux migratoires. On peut débattre des chiffres mais, sans représenter une submersion, les arrivées sur le territoire ont indéniablement augmenté depuis 2015, en particulier celle de demandeurs d’asile, dont les deux tiers se retrouvent dans une situation administrative très précaire après avoir été déboutés. Qu’ils finissent, des années plus tard, par être expulsés ou par être régularisés, ils pèsent nécessairement sur le système : face à la difficulté de trouver un travail et à l’impossibilité d’obtenir un logement ou de percevoir les prestations sociales, ces personnes sont tout particulièrement en difficulté.
    Ce n’est évidemment pas une fatalité. On pourrait mieux accueillir ces personnes en accordant davantage l’asile et en délivrant plus rapidement et facilement des titres de séjour, ce qui leur permettrait de trouver un travail et un logement. C’est d’ailleurs tout l’esprit du plan « logement d’abord », dont l’objectif est de permettre aux personnes de n’être pas dépendantes d’un hôtel, d’un hébergement d’urgence ou de la solidarité familiale et amicale. Ce verrou, point faible du plan « logement d’abord », n’est ni financier, ni technique, mais purement idéologique. Régulariser davantage n’est pas très compliqué. Ce serait la solution la plus facile et la plus rapide pour sortir ces personnes de la rue ou des hébergements d’urgence et, par la même occasion, libérer des places pour accueillir d’autres populations qui seraient davantage dans le besoin.
    Autre flux négatif : les expulsions locatives. Avec 17 500 expulsions, l’année 2022 – la dernière pour laquelle nous disposons de données – a battu un record. À l’exception de la période de covid-19, durant laquelle les expulsions ont été moins nombreuses, chaque année bat le record de l’année précédente. Il est paradoxal d’accueillir dans des hébergements d’urgence des personnes qui accumulent les impayés de loyers alors que le plan « logement d’abord » vise à faciliter l’accès au logement. Deux forces contraires s’affrontent au sein même de l’État : la Dihal essaie de prévenir les expulsions des locataires et l’évacuation des bidonvilles alors que le ministère de l’intérieur, dans une logique plus répressive, tente de les accélérer. Je caricature le tableau mais je ne suis pas loin de la réalité.

    M. le président

  • partager

    Monsieur le directeur, vous disposiez de cinq minutes ; à titre exceptionnel, j’ai doublé ce temps mais il faudrait désormais conclure afin que nous puissions passer aux questions des députés.

    M. Manuel Domergue

  • partager

    Pour dépasser les limites du plan « logement d’abord », il faudrait tout d’abord attribuer davantage de logements sociaux aux personnes qui sont sans domicile. Seuls 6 % des HLM reviennent à une personne sans domicile. Le taux a augmenté mais il reste insuffisant. Il conviendrait également de régulariser davantage, d’augmenter les minima sociaux et de construire plus de logements, en particulier du logement social et très social. Le plan « logement d’abord » est indissociable d’une politique de logement car les personnes sans domicile sont avant tout des personnes privées d’un logement.

    M. le président

  • partager

    Nous en venons maintenant aux questions. Afin de permettre un débat fluide, il sera répondu immédiatement à chaque question. Les orateurs qui souhaitent poser une question et ne se seraient pas encore manifestés peuvent continuer à s’inscrire.
    La parole est à Mme Eva Sas.

    Mme Eva Sas (Écolo-NUPES)

  • partager

    Je veux souligner l’importance de ce débat sur le thème des sans-abri, à l’heure où déjà quatre personnes sont mortes dans la rue depuis le début du mois de janvier et où les associations nous alertent sur la dégradation très nette de la situation et leur incapacité à faire face aux besoins, notamment du fait de l’inflation. Le Gouvernement se défend en affirmant qu’il a doublé le nombre de places d’hébergement d’urgence et qu’il a débloqué 120 millions d’euros dans le cadre du plan Grand froid mais les moyens demeurent très insuffisants.
    Vous avez évoqué le plan « logement d’abord » : 500 millions d’euros sur cinq ans, est-ce suffisant pour faire face aux besoins ? Par ailleurs, la situation risque de s’aggraver suite aux mesures prises dans le cadre de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, notamment le retrait des prestations sociales aux étrangers qui ne travaillent pas. Enfin, la gestion au thermomètre continue et rien n’est fait pour résorber les causes du sans-abrisme, alors qu’on les connaît.
    Le sans-abrisme, c’est le résultat de l’absence de suivi des jeunes confiés à la protection de l’enfance, qui deviennent majeurs et se retrouvent livrés à eux-mêmes à 18 ans. C’est aussi celui de la prise en charge très lacunaire des problèmes psychiatriques. C’est encore celui des carences de la politique du logement, qui ne permet pas de stabiliser les familles dans des logements abordables et qui engorge l’hébergement d’urgence, mais aussi de la carence dans l’accueil des migrants. J’ai compris à vous entendre, monsieur le directeur, que leur régularisation les stabiliserait dans notre pays en leur permettant de se loger par eux-mêmes, si les conditions étaient réunies.
    Pour beaucoup de nos concitoyens, et peut-être pour le Gouvernement lui-même, le sans-abrisme, on n’y peut rien. Je ne partage pas cet avis. L’abbé Pierre disait d’ailleurs que la misère n’est pas une fatalité. Ma question est donc la suivante : pouvez-vous démontrer à la représentation nationale qu’en menant une politique volontariste en matière de logement, mais aussi de protection de l’enfance, de prise en charge psychiatrique et d’accueil des migrants, on peut lutter efficacement contre le sans-abrisme et atteindre l’objectif de ce « zéro personne à la rue » auquel nous aspirons tous ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Manuel Domergue.

    M. Manuel Domergue

  • partager

    Le plan « logement d’abord » 2 n’est pas suffisamment financé. Il est d’ailleurs difficile d’en connaître l’enveloppe financière car le Gouvernement a regroupé beaucoup de choses dans son périmètre. Ce plan est davantage une philosophie d’action qu’un plan proprement dit. Le développement de l’intermédiation locative, les pensions de famille, l’attribution des HLM, ainsi que l’octroi de prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) pour la construction de logements très sociaux ont été les principaux leviers actionnés depuis 2017. Toutes ces actions coûtent chaque année plusieurs centaines de millions d’euros. L’attribution supplémentaire, chaque année, de 44 millions d’euros jusqu’en 2027 peut donc apparaître relativement très faible.
    D’ailleurs, les crédits de toutes les actions que je viens d’évoquer stagnent dans le budget 2024 – je passe sur l’absence de programmation pluriannuelle, d’autant plus regrettable que nous aurions besoin de visibilité. Pourtant, le plan est censé créer de nouvelles places d’hébergement et prendre en compte l’inflation qui pèse fortement sur les structures du logement accompagné, sans parler de la revalorisation des salaires des travailleurs sociaux, prévue dans le Ségur. C’est pourquoi le compte n’y est pas. Il sera difficile de faire mieux avec des moyens insuffisants.
    Quant aux PLAI, le compte y est encore moins ! Le président Macron avait promis en 2017 de construire 40 000 logements locatifs très sociaux chaque année. Depuis, le chiffre, qui oscille entre 28 000 et 33 000, stagne et la situation ne devrait pas s’améliorer du fait de la politique de rigueur budgétaire qui pèse fortement sur le logement social – on parle là, non pas de millions mais de milliards puisque 1,3 milliard est ponctionné chaque année sur les bailleurs sociaux du fait du dispositif de la réduction du loyer de solidarité (RLS) ou de la hausse de la TVA sur la production de logements hors PLAI, qui est passée de 5,5 à 10 %.
    Depuis deux ans, les bailleurs sociaux sont en outre confrontés à la hausse des taux d’intérêt du livret A alors qu’ils empruntent à taux variable et doivent donc payer 160 milliards d’euros de dette, non plus à 1 % d’intérêt, mais à 3 ou 4 %. Nous nous trouvons au pied d’une falaise budgétaire très abrupte et les quelques dispositifs expérimentaux et quantitativement limités des plans « logement d’abord » 1 et 2 ne sont pas à la hauteur des enjeux financiers.

    M. le président

  • partager

    La parole est à Mme Soumya Bourouaha.

    Mme Soumya Bourouaha (GDR-NUPES)

  • partager

    Je vous remercie pour votre intervention sur ce sujet ô combien important. Alors que le plan Grand froid a été déclenché en Île-de-France la semaine dernière, je me suis rendue dans un gymnase de ma circonscription à La Courneuve pour rencontrer ces hommes et ces femmes qui dorment dans la rue. J’ai également salué les services municipaux qui ont permis cet accueil, ainsi que les bénévoles dont l’engagement est sans faille.
    Le manque de places d’hébergement d’urgence est particulièrement critique en Seine-Saint-Denis. La situation est telle qu’il n’est plus rare que des femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher ne trouvent pas de place. À Saint-Denis, la maternité Angélique du Coudray de l’hôpital Delafontaine accueille des dizaines de patientes qui n’ont nulle part où dormir. Depuis juillet 2023, le centre hospitalier réserve une vingtaine de lits à ces patientes particulièrement vulnérables qui ont besoin d’une prise en charge spécifique et d’un lieu d’accueil où se sentir protégées avec leur nouveau-né. Par exemple, l’une d’elles a passé quatre-vingt-quinze jours à l’hôpital Delafontaine avant qu’une solution d’hébergement ne lui soit proposée – et encore, dans un gymnase.
    Il n’est pas normal que les services de l’hôpital aient à se substituer aux missions de l’hébergement d’urgence. Il est terrible que dans notre pays, des femmes soient contraintes de vivre leur grossesse dans la rue quand on sait les violences qu’elles y subissent. Cette situation est incompréhensible eu égard au nombre de logements vacants. C’est pourquoi je pense qu’il serait pertinent – comme le demande Ian Brossat à Paris – d’autoriser les communes, sous certaines conditions, à réquisitionner ces logements plutôt que d’accepter de telles situations. Qu’en pensez-vous ? Avez-vous des chiffres ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Manuel Domergue.

    M. Manuel Domergue

  • partager

    La situation des femmes enceintes ou avec des nouveau-nés nous inquiète depuis des années, notamment en Seine-Saint-Denis où se situe l’hôpital Delafontaine. Des places dédiées à ces personnes ont été ouvertes, mais en nombre très insuffisant. Je ne dispose pas de chiffres à l’échelle nationale quant au nombre de femmes qui se retrouvent dans ce cas, car le suivi en est difficile.
    Comme chaque année, le plan Grand froid a été déclenché, ce qui est heureux, mais il est regrettable que nous en soyons encore à dépendre d’une politique du thermomètre malgré toutes les promesses d’en sortir. Tant mieux si l’on peut ouvrir en catastrophe des gymnases et d’autres locaux mais il est désespérant d’attendre que les températures descendent sous zéro ! On parle beaucoup des personnes qui meurent de froid dans la rue car c’est extrêmement choquant. Cependant, le collectif Les morts de la rue l’a rappelé, environ 700 personnes meurent chaque année de la rue, et en toute saison. Le froid ajoute une difficulté supplémentaire, il n’est pas le facteur le plus grave.
    Il est choquant de dénombrer 3 millions de logements vacants, sans parler d’autres locaux vacants, alors que le manque de logements est criant. À la Fondation Abbé Pierre, nous sommes favorables aux réquisitions qui peuvent constituer des solutions rapides. Cependant, il ne faut pas en faire l’alpha et l’oméga d’une politique du logement et de résorption du sans-abrisme, car la réquisition des logements est juridiquement complexe et suppose leur identification. Il faut financer, le cas échéant, des remises en état et se préparer à faire face à des contentieux. Enfin, ces solutions ne sont que provisoires : les réquisitions sont temporaires, ce ne sont pas des expropriations.
    Même entre 2012 et 2014, où la volonté de procéder à des réquisitions était bien réelle, il a été très difficile d’en obtenir. En menant une politique au long cours, qui nous permettrait en particulier de mieux identifier les locaux, nous aurions peut-être davantage de chance de réussir, mais cette mesure resterait, quoi qu’il en soit, l’ultime recours. Avant de se résoudre à déclencher cette sorte d’arme atomique contre les propriétaires qui se refuseraient à mettre à disposition leur logement ou à le vendre, il faut augmenter la taxe sur les logements vacants, faciliter la mise à disposition aux associations de logements en intermédiation locative et renforcer la communication pour convaincre les propriétaires. Ce n’est qu’au cas où ceux-ci s’obstineraient dans leur refus que nous pourrions réquisitionner leur logement. N’oublions pas non plus les immeubles entiers de bureaux vides, plus faciles à repérer et à mobiliser.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. David Taupiac.

    M. David Taupiac (LIOT)

  • partager

    Je remercie à mon tour M. Domergue pour sa présentation d’une situation plus que dégradée. Nous avions déjà eu l’occasion d’échanger lors de la réunion du groupe d’études Pauvreté, précarité, non-recours aux droits et sans-abri, en particulier autour des difficultés du 115. Nous voyons combien la résolution du problème est multidimensionnelle. Nous sommes confrontés à une crise du logement désormais structurelle, d’une ampleur et d’une durée inédites, qu’il sera probablement difficile de résorber avant longtemps, faute d’avoir engagé une politique de construction de logements sociaux et très sociaux à la hauteur des besoins.
    Nous sommes pourtant nombreux, ici, à nous souvenir des paroles du Président de la République en 2017 au sujet du sans-abrisme. S’il rappelait lui-même, au cours de la conférence de presse qu’il a donnée hier soir, l’importance des symboles, que dire de l’absence d’un ministère à part entière consacré au logement au sein du nouveau Gouvernement ? Sans vous obliger à dévoiler le prochain rapport de la Fondation, qui est toujours très attendu, vous le savez, je vous poserai deux questions.
    Lors de l’adoption de la loi Kasbarian du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, vous avez craint que les contentieux qui en découleraient engorgent les tribunaux, déjà surchargés, et que des milliers de familles supplémentaires soient expulsées en raison de la perte d’un emploi, d’une maladie, d’une séparation ou d’un dysfonctionnement de l’administration. Malgré le caractère encore récent de la loi, avez-vous déjà pu en mesurer les conséquences ?
    Si la loi « immigration » est validée par le Conseil constitutionnel, la restriction des droits aux aides sociales – aides au logement et allocations familiales – des travailleurs étrangers en situation régulière risque d’aggraver leur pauvreté. Les difficultés qu’ils rencontrent pour accéder au logement ont-elles été évaluées ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Manuel Domergue.

    M. Manuel Domergue

  • partager

    Il est trop tôt pour mesurer les effets de la loi Kasbarian, adoptée en juillet dernier, en particulier pour ce qui concerne les expulsions locatives, pour lesquelles les procédures sont assez longues. En revanche, on peut évaluer les effets d’une disposition de ce texte qui étend le champ d’application des expulsions de squatteurs sans décision du juge. Cette procédure administrative expéditive était jusqu’alors réservée, en application de l’article 38 de la loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, dite loi Dalo, à des expulsions de squatteurs de domicile : quand vous trouvez un squatteur chez vous en rentrant de week-end, il est normal de ne pas passer devant le juge. Or cette procédure est étendue au squat de bâtiments vacants, voire à des expulsions de locataires détenteurs ou non d’un bail. Les préfectures ont désormais tendance à expulser sans procès des personnes qui ne sont pas des squatteurs mais des locataires jouissant d’accords tacites ou informels avec le propriétaire. Toutes les précautions qui avaient été introduites dans le droit pour protéger les occupants, quel que soit leur statut, par une procédure et par l’intervention du juge, sont remises en question. Les préfectures ne sont pas toujours armées pour éviter les abus qui peuvent survenir lorsqu’on se passe du juge, et les propriétaires sont parfois habiles pour déguiser des locataires en squatteurs.
    J’ai dit que nous avions connu un record d’expulsions locatives en 2022. Jusqu’à présent, l’action de l’État consistait à prévenir les expulsions autant que possible. En effet, sur 150 000 jugements d’expulsions pour impayés, seules 17 500 expulsions ont été exécutées. Bien sûr, entre-temps, des personnes ont pu partir d’elles-mêmes mais surtout, des problèmes ont pu se résoudre parce que les créanciers ont accepté de laisser le temps au locataire de régler ses dettes ou que des solutions transitoires ont été trouvées. En revanche, accélérer la procédure ou se méfier du juge et lui supprimer la possibilité d’accorder des délais supplémentaires pour rembourser le bailleur ne peut aboutir qu’à augmenter le nombre d’expulsions locatives. Or nous ne savons pas héberger et encore moins reloger les personnes expulsées. Si 8 000 personnes n’ont pas reçu de réponse en appelant le 115 aujourd’hui, elles risquent d’être bien plus nombreuses encore demain, du fait de l’inflation qui aggrave le risque d’expulsion pour impayés.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Lionel Causse.

    M. Lionel Causse (RE)

  • partager

    Je vous remercie pour votre intervention, la justesse de vos propos et surtout la précision des éléments que vous nous apportez. Permettez-moi également de remercier le groupe Écologiste-NUPES qui nous donne l’occasion d’aborder ce sujet, dans la continuité du débat transpartisan que nous avons eu fin 2023 à travers la tribune « Plus aucun enfant à la rue » et des combats que nous avons menés, dans le cadre du projet de loi de finances notamment, afin que l’hiver 2023-2024 se déroule le mieux possible.
    En fin d’année, nous n’avions pas obtenu beaucoup de retours positifs. Toutefois, depuis dix jours, à la surprise de tous, le Gouvernement a fait quelques annonces non négligeables puisqu’il s’agit de débloquer 120 millions d’euros, de créer 10 000 places supplémentaires d’hébergement et de prévoir des embauches afin d’appliquer les mesures d’accompagnement. Cela correspond à peu près à ce que nous avions demandé.
    Quelles nouvelles dispositions conviendrait-il de prévoir dans l’urgence sachant, je le répète, que 10 000 places supplémentaires devraient être créées et que des personnels devraient être embauchés pour accompagner les bénéficiaires ?
    Ensuite, à moyen et long terme, dans le cadre du plan « logement d’abord » 2, de quelles mesures les parlementaires pourraient-ils débattre pour mieux accompagner ceux qui œuvrent, jour et nuit, pour soutenir les personnes en difficulté qui vivent dans la rue ? Faudrait-il prévoir un débat annuel ou bien une loi de programmation qui permettrait de compléter le plan « logement d’abord » 2, en engageant le Gouvernement et les acteurs ? Quelles actions pourrions-nous promouvoir en tant que députés ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Manuel Domergue.

    M. Manuel Domergue

  • partager

    L’objectif du plan « logement d’abord », s’il était à la hauteur de ses ambitions, serait, in fine, de réduire le nombre de places d’hébergement. Cependant, force est de constater que nous n’y sommes pas. Même avec la meilleure volonté du monde, je pense que dans les mois et les années à venir, il n’atteindra pas ses objectifs. Il faut donc se résoudre à augmenter à la fois le budget du plan « logement d’abord » et du logement en général, ainsi que celui de l’hébergement. Pourquoi ? Parce que, sinon, des personnes dorment dans la rue.
    Ensuite, du point de vue juridique, l’État est obligé d’héberger toute personne sans abri en situation de détresse qui appelle le 115. Logiquement, nous ne devrions même pas avoir un débat budgétaire sur ce sujet. L’État devrait débloquer les moyens suffisants pour ouvrir le nombre de places d’hébergement nécessaires afin que, chaque soir, personne – ou presque personne – ne se voie opposer un refus par le 115. Évidemment, ce n’est pas le cas.
    Par ailleurs, heureusement que les 120 millions d’euros que vous avez évoqués sont arrivés ! En définitive, il n’était pas si surprenant que le Gouvernement finisse par céder ; nous savons bien que les gouvernements successifs, malgré une fermeté affichée, ont tous dû lâcher quelque chose face à la pression populaire, médiatique et politique qui s’exerce – heureusement qu’elle existe ! – lorsqu’arrivent le froid et les premiers morts. Ils ne peuvent pas rester les bras ballants et se contenter de dire : « On a fait ce qu’on a pu ».
    Le ministre du logement a expliqué que ce montant de 120 millions d’euros représentait l’équivalent de 10 000 places, tout en précisant que cela ne signifiait pas que 10 000 places seraient créées. Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous ne le savons pas. Il n’y a plus de ministre du logement : le cabinet ne répond pas, pas plus qu’il ne répond à la presse ni aux parlementaires. Ce que nous avons cru comprendre, c’est qu’il y aurait bien des places supplémentaires. C’est heureux, parce que cela signifie que l’espèce de tabou consistant à dire que le Gouvernement n’irait pas au-delà de l’ouverture de 203 000 places d’hébergement, comme l’a martelé Mme Borne, puis tout le monde après elle – alors que Patrice Vergriete lui-même, à son arrivée au ministère du logement, considérait qu’il fallait davantage de places d’hébergement, avant d’être recadré et de déclarer que nous n’irions pas au-delà de ce chiffre. Pourquoi 203 000 et non pas 204 000 ?  Cette forme de tabou, disais-je, est tombée. Le Gouvernement a compris qu’il fallait faire davantage. Combien de places supplémentaires, toutefois ? Nous ne le savons pas.
    Certes, la somme de 120 millions d’euros est intéressante et permettrait de faire davantage. Le problème, c’est qu’en loi de finances pour 2024, il manque 200 millions dans les crédits du programme 177, Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables, ne serait-ce que pour égaler ce qui a été dépensé en 2023, donc pour financer au cours de l’année 2024 les 203 000 places d’hébergement généraliste actuellement ouvertes. Il manque 200 millions, j’insiste ! Comme chaque année, le budget du programme 177 est insincère et, à la fin de l’année, il faut trouver quelques millions supplémentaires. Sauf qu’entre-temps, cette situation génère une politique de stop and go : lorsqu’on s’aperçoit qu’on a trop dépensé, on demande aux associations, durant l’été, de réduire la voilure pour entrer dans le budget. Par conséquent, ces 120 millions serviront-ils à faire des choses supplémentaires ou simplement à boucler le budget, en fonction de l’objectif actuel ? C’est encore trop flou et ce n’est pas satisfaisant.
    D’ailleurs, il n’est pas normal que des amendements parlementaires aient été présentés, votés et retoqués et que, deux semaines après, les mêmes montants soient octroyés par le ministre. C’est signe, me semble-t-il, d’un problème démocratique.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. William Martinet.

    M. William Martinet (LFI-NUPES)

  • partager

    Nous pourrions discuter longtemps des carences des politiques de prévention des expulsions. Je souhaiterais, pour ma part, aborder le sujet des politiques qui sont à l’origine des expulsions et du sans-abrisme. Je comptais poser la question des conséquences de la loi Kasbarian Bergé, mais notre collègue David Taupiac vient de le faire et vous y avez répondu très précisément.
    Je vous interrogerai donc au sujet de la loi dite immigration, à propos de laquelle le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé, mais dont plusieurs articles remettent en cause l’accès aux prestations sociales, notamment aux aides personnelles au logement (APL) et aux allocations familiales. Dans quelle mesure cette loi risque-t-elle de précariser encore davantage les gens, d’augmenter le nombre d’expulsions et d’aggraver le sans-abrisme ?
    D’autre part, cette loi remet en cause l’inconditionnalité de l’accueil en hébergement – en tout cas, c’est ainsi que nous avons compris l’un de ses articles qui dispose que les personnes faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) ne pourraient pas durablement être maintenues dans l’hébergement d’urgence. Quelles pourraient en être les conséquences ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Manuel Domergue.

    M. Manuel Domergue

  • partager

    C’est précisément en raison du vote de la loi « immigration » que je suis seul ce soir face à vous : la rencontre a été boycottée par les autres associations – j’avoue que nous y avons réfléchi aussi – tellement cette loi transgresse des tabous politiques et franchit des lignes rouges que nous pensions partagées.
    Sur le principe, remettre en cause l’hébergement inconditionnel ou instaurer une forme de préférence nationale pour les prestations sociales sont des dispositions très choquantes – qui ont d’ailleurs largement choqué. C’est pourquoi nous manifesterons dimanche, aux côtés de nombreuses personnalités et d’organisations. Cela étant dit, qu’est-ce que la loi changera précisément ? Nous ne savons pas ce que le Conseil constitutionnel décidera.
    En ce qui concerne l’hébergement inconditionnel, c’est le grand flou : le Président de la République a déclaré vouloir le conserver et Patrice Vergriete a annoncé qu’il restait au Gouvernement – s’il est reconduit – parce qu’il avait obtenu la garantie qu’il n’y aurait pas de remise en cause du caractère inconditionnel de l’hébergement. Or la loi qui a été adoptée prévoit un accueil inconditionnel, « sauf ». Il ne l’est donc plus. La question, c’est de savoir sauf quoi ou sauf qui ? Ce n’est pas clair. Ce serait : « sauf les personnes faisant l’objet d’une OQTF le temps de leur éloignement ». Qu’est-ce que cela signifie ? Personne ne le sait vraiment, cette disposition ayant été rédigée rapidement, sans étude d’impact.
    Comment faut-il interpréter la mention « le temps de leur éloignement » ? Nous pourrions la prendre au pied de la lettre : avant d’être éloigné, vous avez le droit à un hébergement ; après avoir été éloigné, vous n’y avez plus droit. Toutefois, si vous êtes éloigné, vous n’êtes plus en France ! Il est alors logique que vous n’ayez pas droit à l’hébergement. Je pense que l’intention du législateur – qui a travaillé dans la nuit, donc on ne sait pas très bien ce qu’il en était – était de s’inspirer de la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle vous n’avez pas le droit de réclamer un hébergement à l’État si vous faites l’objet d’une OQTF et que l’on vous a simplement laissé le temps d’organiser votre départ – c’est-à-dire un mois. On pourrait donc penser que telle est l’intention du législateur : vous avez droit à l’hébergement d’urgence pendant un mois, le temps de faire vos bagages et de vous organiser. Ensuite, vous êtes censé quitter le territoire et vous n’avez plus le droit à l’hébergement. C’était, je pense, l’idée sous-tendue derrière l’amendement qui a introduit cette disposition. Ensuite, quelles seront les conséquences de la loi, telle qu’elle est rédigée ? Ce n’est pas clair.
    J’ajoute que cette disposition est très inquiétante, car elle ouvre la porte à des contrôles d’identité, puisque l’accueil en hébergement serait conditionné à la régularité du séjour. Surtout, si les personnes craignent d’être expulsées en fonction de leur titre de séjour, elles auront évidemment très peur d’aller en hébergement – cela se comprend.
    Je ne développerai pas la question des prestations sociales. Toutefois, cela signifie que certaines personnes ne percevront plus ni allocations familiales ni APL, ce qui peut représenter une perte de 700, 800, voire 900 euros par mois. Il leur était déjà difficile de payer un loyer, même un loyer HLM, cela leur deviendra impossible. Des centaines de milliers de personnes sont concernées. Où iront-elles ? En hébergement d’urgence ? Peut-être, mais il n’y a plus de places. En logement privé ? Sans doute pas. Nous lançons donc une alerte rouge sur ce point, si le Conseil constitutionnel le valide.

    M. le président

  • partager

    La parole est à Mme Béatrice Roullaud.

    Mme Béatrice Roullaud (RN)

  • partager

    Je vous remercie, monsieur le directeur, de votre présence. Je ne partage pas tous vos points de vue mais je suis émue, comme vous, par les personnes qui se retrouvent dans la rue. Lorsque j’étais jeune, il n’y en avait pratiquement pas alors que, désormais, on en trouve à tous les coins de rue. J’avais alerté le maire de la commune où j’ai été élue sur la mort d’une personne à l’hôpital. Une société dans laquelle des gens meurent de froid dans la rue est une société en faillite.
    Vous avez dit que le droit au logement opposable est un droit inconditionnel : ce n’est pas tout à fait exact car, si j’en crois ce que je lis sur internet, ce droit est réservé aux personnes résidant en France ou disposant d’un titre de séjour régulier – vous me corrigerez si je me trompe. Selon moi, c’est l’État qui a introduit ce droit et il lui incombe d’en assumer les effets ; ce ne sont pas les propriétaires qui doivent en faire les frais – j’assume ce point de vue. En effet, certains propriétaires se trouvent parfois dans une situation à peine plus confortable que les personnes qui ont besoin d’un logement.
    Pensez-vous qu’un assouplissement du droit relatif aux baux d’habitation pourrait élargir le parc immobilier locatif ? De nombreuses personnes ne veulent pas louer leur logement parce qu’elles savent qu’en cas de difficultés de paiement, ce sera la croix et la bannière pour récupérer leur bien, dont elles ont besoin pour rembourser le crédit qu’elles ont contracté auprès de leur banque.
    Autre question : parfois, certains squatters – je sais que vous ne les appelez pas ainsi, mais lorsqu’ils n’ont pas de titres, je les appelle pour ma part des squatters – abîment le logement et vous ne pouvez plus vendre votre patrimoine, sauf à vil prix. Ne pensez-vous pas qu’un assouplissement des baux d’habitation serait une solution pour élargir le parc ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Manuel Domergue.

    M. Manuel Domergue

  • partager

    Nous avons parlé jusqu’à présent d’accueil inconditionnel en hébergement d’urgence. Or vous faites référence au droit au logement opposable : il s’agit d’une procédure très différente, même si elle est importante. En effet, le droit au logement opposable n’est pas ouvert aux personnes en situation irrégulière puisqu’il faut avoir droit au logement social. La loi est très claire sur ce point.
    J’en viens à votre question concernant l’assouplissement des baux d’habitation. Il existe effectivement des droits pour les locataires, qui sont autant de devoirs pour les propriétaires. Inversement, les locataires ont des devoirs et les propriétaires ont des droits. Jusqu’à présent, la plupart des observateurs considéraient que les relations étaient assez équilibrées. La loi de 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs avait pacifié ce débat classique : faut-il libéraliser, assouplir ou non ? L’équilibre était donc bien respecté.
    Vous dites qu’en cas d’impayé ou de dégradation commise par le locataire, le bailleur est lésé – cet argument est souvent mis en avant. C’est vrai, il existe des cas, même s’ils sont minoritaires, où des bailleurs sont mis en difficulté parce qu’ils ont perdu six mois ou un an de loyer et qu’il faut engager des travaux de remise en état. Face à ce constat, la solution est-elle de réduire les droits des locataires et de remplacer le bail de trois ans par un bail de trois mois ou d’un an ? Ou, au premier impayé, le locataire doit-il être mis dehors, selon la logique de la loi Kasbarian-Bergé, que nous ne partageons pas ?
    Nous estimons qu’il faut sortir par le haut de cette opposition entre le locataire et le bailleur, grâce à un tiers de confiance. C’est le rôle, par exemple, des assureurs privés. Un bailleur peut contracter une assurance, cela sert à ça : vous avez une activité économique et il arrive qu’on ne vous paie pas. Vous pouvez souscrire une assurance. Cela coûte évidemment un peu d’argent mais cela permet de limiter les risques. Le problème des assurances privées est qu’elles imposent des conditions restrictives, interdisant par exemple de louer à des personnes précaires. Ce n’est donc pas non plus la meilleure solution.
    La meilleure solution serait de recourir à un dispositif qui existe désormais, financé par Action logement, la garantie Visale – on l’appelait auparavant, dans une version plus ambitieuse qui n’a jamais été appliquée, la garantie universelle des loyers. C’est d’abord un tiers de confiance, public ou parapublic, qui intervient dans la relation entre le locataire et le bailleur. En cas de dégradation ou d’impayé, il indemnise le bailleur pour, ensuite, se retourner vers le locataire – puisque le locataire a l’obligation de payer son loyer. Cette solution, rassurante pour les bailleurs, permettrait de sortir de la situation par le haut et arrangerait tout le monde, sans dégrader les droits des locataires. Rappelons la différence entre l’hébergement et le logement : dans un logement, vous êtes chez vous pour un temps appelé à durer. Si vous vous comportez bien et que vous ne le dégradez pas, que vous ne causez pas de nuisances de voisinage et que vous payez votre loyer, vous y êtes pour longtemps, sauf accident. Il ne faut pas revenir sur ce principe, car c’est ce qui fait toute la stabilité du logement et qui permet aux personnes de vivre correctement et normalement.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Arthur Delaporte.

    M. Arthur Delaporte (SOC)

  • partager

    Je vous remercie également d’avoir répondu présent ce soir, même si je peux comprendre la décision des associations qui ont fait le choix de boycotter cette rencontre, non pas en signe de défiance vis-à-vis du Parlement en tant qu’institution, mais vis-à-vis de celles et ceux qui ont voté une loi indigne, dont vous avez à l’instant évoqué les ravages potentiels, comme vous avez souligné également les effets néfastes d’une autre loi votée il y a quelques mois par notre Parlement à l’initiative de la majorité parlementaire.
    Vos propos mettent en évidence les imprécisions du Gouvernement, que nous aurons l’occasion de questionner tout à l’heure, mais je vous interrogerai sur un autre sujet.
    Les structures qui gèrent l’hébergement d’urgence ou accompagnent les personnes sont nombreuses à regretter que le rôle dévolu aux SIAO dans le plan « logement d’abord » les prive de leur capacité à agir. Elles se plaignent d’avoir, d’une certaine manière, perdu la main sur l’orientation des personnes concernées et de ne plus pouvoir gérer aussi efficacement les files d’attente.
    Par ailleurs, les SIAO sont critiqués. Je sais que leurs agents font du mieux qu’ils peuvent pour accomplir la tâche qui leur incombe et surmonter la pression à laquelle ils sont soumis alors même qu’ils sont en sous-effectif. C’est très compliqué pour eux et il serait temps de poser la question de la revalorisation de ces métiers car, lorsque l’on finance une place d’hébergement, ce n’est pas simplement un lit que l’on propose mais tout un dispositif d’accompagnement. Ce sont des métiers essentiels, mais c’est sur eux qu’on essaiera de réaliser des économies ! Qu’en pensez-vous ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Manuel Domergue.

    M. Manuel Domergue

  • partager

    Vous me posez une question difficile. Les SIAO ont été créés en 2007 afin de centraliser à l’échelle départementale la rencontre entre l’offre et la demande – je schématise. Des associations qui œuvrent dans le secteur de l’hébergement ont été dépossédées de toute marge de manœuvre. Certaines ont eu du mal à l’accepter, en particulier celles qui s’occupent des femmes victimes de violences. Issues du milieu assez militant des années 1970, elles disposaient d’un savoir-faire et elles géraient leurs files d’attente dans cet écosystème militant. Le SIAO les a contraintes à rompre avec leurs habitudes, ce qui a eu les effets délétères que vous avez décrits. Cela étant, en raison du nombre toujours plus important de personnes dans la rue, il aurait été difficile de laisser perdurer un système dans lequel chaque structure gère son public. On ne peut plus se permettre de laisser une place vacante en attendant le candidat qui remplirait les critères de l’orientation. Le SIAO permet de fluidifier le fonctionnement d’un secteur soumis à une tension extrême. Plutôt que de remettre en cause son rôle centralisateur, il faudrait donner plus de latitude aux structures d’hébergement qui veulent mener leur propre projet associatif.
    Par ailleurs, il a été annoncé la création de 500 postes dans les SIAO. C’est une mesure que nous attendions tout particulièrement dans ce secteur en tension. Elle permettra de créer des liens entre les institutions et le monde de l’hébergement et du logement, ce qui facilitera l’accompagnement de ceux qui sortent de prison, de maternité ou du cadre de l’Aide sociale à l’enfance. Le travail des personnels, soumis à une forte demande, en sera facilité.
    En ce qui concerne la revalorisation des salaires, les écoutants du 115 ont demandé à être inclus dans le Ségur de la santé. Leur demande a été ignorée pendant longtemps, ce qui est inquiétant. Leurs conditions de travail sont difficiles, de par la nature de leur profession car ils sont confrontés à des situations douloureuses, mais aussi de par le sentiment d’avoir perdu le sens de leur métier, à force de répondre inlassablement, chaque jour, aux centaines de personnes qui les sollicitent, qu’ils ne peuvent rien pour eux car ils n’ont plus de place à leur proposer. C’est très frustrant. Revaloriser ces métiers, ce serait faire en sorte que ceux qui les exercent aient les moyens de répondre aux besoins de ceux qui font appel à eux.

    M. le président

  • partager

    La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin.

    Mme Marie-Charlotte Garin (Écolo-NUPES)

  • partager

    Je vous remercie pour la clarté de votre exposé qui met en évidence les limites du plan « logement d’abord ». Nous partageons, bien évidemment, la philosophie du logement d’abord, qui a fait ses preuves dans d’autres pays, mais cela ne suffit pas. Le Gouvernement se targue d’avoir accordé au secteur des moyens inédits. Pourtant, lors de l’examen du dernier projet de loi de finances, nous avons été plusieurs à devoir nous battre pour éviter la fermeture de 14 000 places d’hébergement d’urgence. La situation n’est donc pas si idyllique que l’on voudrait nous le faire croire.
    Le Gouvernement a adopté une position idéologique très rude en refusant d’ouvrir de nouvelles places. Nous nous félicitons qu’il l’ait quelque peu infléchie.
    Concernant l’annonce des 120 millions d’euros, s’agit-il d’un coup de com’ du dernier ministre du logement avant son départ ? Nous aurions tendance à le croire puisque le logement n’a toujours pas de ministre et que la répartition de cet argent n’a pas été précisée.
    Enfin, beaucoup de clichés circulent sur les personnes sans abri et sans domicile. Pourtant, nombre d’entre elles sont des personnes comme vous et moi. Beaucoup travaillent et il n’est pas rare que leur entourage ignore leur précarité. Le nombre de personnes dans cette situation a-t-il augmenté ? Le cas échéant, comment l’expliquez-vous ? Comment est-il possible que, dans un pays comme le nôtre, des gens puissent se retrouver à la rue alors qu’ils travaillent ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Manuel Domergue.

    M. Manuel Domergue

  • partager

    S’agissant de ces moyens que l’on dit inédits, tout dépend de la perspective que l’on adopte. Bien évidemment, les quelques dizaines de millions d’euros supplémentaires chaque année pour le plan « logement d’abord » sont utiles. L’annonce de 120 millions d’euros en plus pour le logement est une bonne nouvelle. Je reconnais également que le nombre de places en hébergement d’urgence a augmenté, notamment durant la crise sanitaire, puisque 40 000 places ont été créées. Des moyens ont bel et bien été débloqués. Mais si on analyse la politique du logement dans son ensemble, c’est la dégringolade ! Et je ne vous parle pas de millions mais de milliards !
    En 2010, les collectivités territoriales, l’État et Action logement consacraient 2,2 % du PIB à la politique du logement. Cette part a chuté à 1,5 % du PIB. C’est vertigineux. Le secteur du logement a perdu 15 milliards d’euros d’argent public ! Bien sûr, on peut toujours essayer de réparer les dégâts en votant des dispositifs, en menant des expérimentations, mais cela ne suffira jamais à compenser la perte d’autant d’argent public pour le logement.
    C’est un débat politique de fond : a-t-on besoin d’une intervention publique plus forte pour le logement ? Dans l’esprit d’Emmanuel Macron, les besoins ne sont pas si importants – c’est aussi l’opinion de tout un pan de l’État. Ils s’appuient sur les projections démographiques et le nombre de logements vacants pour affirmer que le besoin de nouveaux logements, en particulier de logements sociaux, n’est pas si criant. Lors du lancement du volet logement du Conseil national de la refondation, animé par Nexity et la Fondation Abbé Pierre, tous les acteurs du logement, jusqu’à ceux qui en étaient le plus éloignés, avaient donné l’alerte.
    Le Président de la République s’est contenté de répondre, dans la presse, que le problème du logement en France tenait au manque de logements intermédiaires. Ce diagnostic était complètement à côté de la plaque ! Et donc, le Gouvernement a consenti quelques efforts pour construire du logement intermédiaire, c’est-à-dire du logement un peu en dessous du prix du marché, mais pour des cadres ou des classes moyennes supérieures. Il y a un vrai problème d’orientation financière et de priorité sociale pour le logement social et pour les personnes qui en ont le plus besoin.
    Vous l’avez souligné, les personnes qui attendent un logement sont parfois caricaturées. La tendance est de nier l’existence d’un problème de logement. On dira, pour les personnes en situation irrégulière, qu’elles n’ont pas de papier – ce qu’a fait le Président de la République hier. Pour les autres, qu’il leur manque la capacité à habiter, qu’elles ne sont pas prêtes au logement. La philosophie du logement d’abord est censée contredire ces clichés : toute personne peut habiter un logement. Il n’est pas possible de prédire si le relogement va échouer ou non. Si c’est bien fait, avec des loyers abordables et de l’accompagnement, cela fonctionne dans la grande majorité des cas. C’est d’autant plus intéressant que l’on constate rapidement que des milliers de personnes hébergées sont prêtes à occuper un logement, y compris à en payer le loyer. Simplement, il manque de logements très sociaux. Nous devons sortir des clichés et construire des logements.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Charles Fournier.

    M. Charles Fournier (Écolo-NUPES)

  • partager

    La tempête Ciaran a déclenché dans mon département le besoin de mettre à l’abri les personnes sans domicile. Pourtant, l’alerte orange n’ayant pas été déclenchée, l’État ne s’est pas considéré responsable. La ville a donc pris le relais. Mener des politiques en fonction de la température pose problème et je voudrais savoir ce que vous pensez de ce plan Grand froid.
    Par ailleurs, comment sont répartis les rôles et les responsabilités, entre l’État et les collectivités locales, pour ce qui concerne la gestion de l’hébergement d’urgence ? Pour avoir accueilli des personnes dans ma permanence que j’avais transformée en centre d’hébergement d’urgence, j’ai pu mesurer à quel point il était difficile de savoir à qui s’adresser pour assurer un accompagnement social, selon que la personne concernée attendait ou non un enfant, ou était elle-même un enfant, de 2 ans ou bien de 3. Bref, c’est à n’y rien comprendre.
    Enfin, 30 % des personnes qui ont eu recours à un hébergement d’urgence ou à des repas gratuits sortent de l’Aide sociale à l’enfance. Quelles réponses pourrait-on leur apporter ? Celles qui ont été trouvées ne sont pas satisfaisantes.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Manuel Domergue.

    M. Manuel Domergue

  • partager

    Par définition, le plan Grand froid est déclenché pour gérer des situations d’urgence, lorsque les températures deviennent trop basses. Ce n’est donc pas le bon mode d’action. C’est très cher et ce n’est pas rationnel d’ouvrir des places seulement quand il fait froid. Même si on comprend la logique du dispositif, il n’est pas efficace et il génère de la frustration. Heureusement, les collectivités et les parlementaires prennent parfois le relais.
    Ce que vous pointez de la répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l’État est assez classique. Faire de l’âge des enfants un critère de répartition n’est pas rationnel et il est normal que les acteurs finissent par se renvoyer les dossiers. Des gens passent donc au travers des mailles du filet. Il serait préférable d’identifier un seul responsable.
    Les plans « logement d’abord » 1 et 2 ont eu l’intérêt, quand ils ont été appliqués localement, de faire travailler ensemble les collectivités territoriales, responsables du logement, et l’État, responsable de l’hébergement, et de favoriser le passage de l’un à l’autre. Il me semble donc possible de nous inspirer de ces collaborations étroites pour bâtir des dispositifs solides et clairs et éviter ainsi que les acteurs ne se renvoient la balle.
    La surreprésentation du public sortant de l’Aide sociale à l’enfance parmi les personnes sans domicile est un scandale absolu. Des engagements ont été pris : ne pas les héberger dans les hôtels et systématiser les contrats jeune majeur. Dans les faits, ces engagements ne sont pas toujours tenus.
    Enfin, je suis très choqué que cinq ou six départements aient annoncé qu’ils ne prendraient plus en charge les mineurs non accompagnés – les mineurs isolés étrangers. Aucune réaction de l’État pour leur rappeler la loi ! D’une certaine manière, ces départements se permettent de faire jouer la préférence nationale, au détriment d’enfants ! Je ne parle pas de jeunes majeurs mais de mineurs ! À force de vouloir expulser les uns et enlever des droits aux autres, on finira par altérer les droits de tout le monde ! Si on conditionne les APL à la nationalité, à la durée du séjour, à la régularité du séjour, au travail, on finira par ne plus verser les APL qu’aux Français qui travaillent. Cette tendance très délétère, qui consiste à chercher des boucs émissaires au lieu de régler les problèmes, va se retourner contre tout le monde. Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec le vote de la loi « immigration ».

    M. le président

  • partager

    Monsieur le directeur, nous avons terminé les échanges avec les députés. Je vous laisse la parole pour quelques propos conclusifs.

    M. Manuel Domergue

  • partager

    Je terminerai en évoquant des pratiques qui peuvent sembler anecdotiques, mais qui regroupent de nombreux éléments que nous avons abordés. Après les violences urbaines, des familles dont un membre avait été impliqué dans les émeutes ont été expulsées. Cette politique est menée à Nice depuis de nombreuses années. Dans le Val d’Oise, le préfet a communiqué avec des cartons sur le trottoir en disant : « Voici les droits et les devoirs ».
    Dire que ceux qui ont commis des actes de délinquance condamnables, pour lesquels ils sont souvent déjà lourdement condamnés, n’ont pas droit au logement social, cela recueille peut-être l’assentiment d’une partie de la population et de l’opinion, mais il s’agit pour moi d’une pente très glissante, celle du logement au mérite. Si l’on commence à prendre en compte le fait qu’une personne a un casier judiciaire, travaille ou pas, a refusé ou non un emploi, pour maintenir son droit à un logement ou lui en attribuer un, il n’y a plus de droit au logement. C’est extrêmement inquiétant. Désigner des boucs émissaires, distinguer les bons et les mauvais mal-logés, les bons et les mauvais pauvres, ça n’est pas nouveau, ça ne date pas d’aujourd’hui, mais cela n’a jamais produit quoi que ce soit de positif.
    J’espère que nous résisterons à ce populisme dans le logement, à cette pente glissante qu’empruntent malheureusement certains préfets, non parce qu’ils seraient guidés par une lubie personnelle mais parce qu’ils sont encouragés à le faire par une circulaire du ministère de l’intérieur. Il s’agit bel et bien d’un choix politique qui est, je le répète, extrêmement inquiétant.

    M. le président

  • partager

    Monsieur le directeur, je vous remercie pour votre participation à nos travaux. Avant de passer à la seconde partie de notre débat, je vais suspendre la séance.

    Suspension et reprise de la séance

    M. le président

  • partager

    La séance est suspendue.

    (La séance, suspendue à vingt-deux heures trente, est reprise à vingt-deux heures trente-cinq.)

    M. le président

  • partager

    La séance est reprise.
    La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

    M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires

  • partager

    Avant de commencer mon intervention, je veux dire mon émotion alors que plusieurs personnes sont décédées ces derniers jours du fait de la vague de froid – bilan qui vient de s’alourdir avec un nouveau mort à Marseille ce soir. Ces drames humains nous obligent à encore plus de réactivité et encore plus de vigilance. Au-delà des chiffres, ils nous rappellent la réalité et nous incitent à faire plus d’efforts pour éviter ces situations et mettre à l’abri ceux qui veulent l’être. Ils nous invitent à réfléchir à la façon dont nous pouvons resserrer les mailles du filet de la solidarité.
    Le sans-abrisme constitue l’une des formes les plus extrêmes de la grande exclusion en France, comme partout en Europe. Face à des situations dramatiques qui diffèrent chacune l’une de l’autre, l’État est garant de la solidarité nationale. Même si rien n’est jamais parfait, nous prenons nos responsabilités et nous nous mobilisons pleinement pour assurer une réponse à deux étages : une réponse à l’urgence sociale et une action structurelle de plus long terme pour favoriser l’accès au logement, car personne ne considère que l’hébergement d’urgence constitue la meilleure solution.
    Permettez-moi, à titre introductif, de rappeler trois éléments concernant l’action générale des pouvoirs publics en matière de lutte contre le sans-abrisme.
    Premièrement, la France consacre des moyens d’ampleur à la lutte contre le sans-abrisme avec un budget de 3 milliards d’euros par an. Jamais la mobilisation publique en faveur des personnes sans domicile n’a été aussi importante qu’aujourd’hui, preuve du caractère particulièrement volontariste de la politique que nous menons par comparaison avec certains pays voisins.
    Deuxièmement, depuis 2021, l’État a repris en main le pilotage de cette politique publique afin de renforcer et fluidifier notre capacité d’action. Désormais, une administration centrale, la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement, se consacre entièrement aux personnes sans domicile. Son périmètre d’action couvre tous les champs contribuant à la lutte contre le sans-abrisme qui vont de l’intervention auprès des personnes à la rue jusqu’au développement d’une offre de logements accessibles, en passant par l’hébergement, le logement accompagné, la prévention des ruptures, en particulier celle des expulsions.
    Troisièmement, nous ne rappellerons jamais assez à quel point la coordination avec les associations, les services déconcentrés et les collectivités est essentielle. Je le disais il y a quelques instants, la lutte contre le sans-abrisme nécessite la mobilisation de tous. C’est pour cela que l’État s’appuie sur un vaste réseau de services déconcentrés, d’associations, de collectivités territoriales et, plus globalement, sur l’ensemble des acteurs impliqués dans les politiques de lutte contre la précarité et en faveur de l’inclusion sociale.
    J’insiste tout particulièrement sur la responsabilité des départements, véritables courroies de transmission des politiques publiques en matière de protection des populations les plus vulnérables. Il nous serait impossible sans leur concours et leur mobilisation active au quotidien de déployer les moyens actuellement mis en œuvre, quel que soit le montant des budgets engagés.
    J’en viens à l’action que le Gouvernement mène pour répondre à l’urgence humaine et sociale qui concerne des femmes, des hommes et des enfants. Cette action repose sur deux piliers : assumer la montée en puissance de la politique d’hébergement d’urgence et de mise à l’abri immédiate des personnes vulnérables, d’une part ; accélérer les efforts de l’État en matière d’accès à un logement pérenne des personnes sans domicile, d’autre part.
    Concernant d’abord la politique d’hébergement d’urgence, le Gouvernement, en 2023, finance 203 000 places, un nombre qui a plus que doublé en dix ans. Le maintien du parc d’hébergement à un niveau historique garantit davantage de sécurité pour la prise en charge des personnes. Pour aller plus loin, le 8 janvier dernier, le Gouvernement, par la voix de Patrice Vergriete, alors ministre délégué chargé du logement, a annoncé une enveloppe de 120 millions d’euros permettant d’ouvrir 10 000 places d’accueil supplémentaires pour les publics les plus vulnérables. Cette politique d’hébergement d’urgence est une politique de gestion de crise, une politique de l’instant, j’en ai parfaitement conscience, mais il s’agit du dernier filet de sécurité mobilisable pour absorber la croissance des publics précarisés, notamment ceux qui ne sont pas éligibles à des formes de logement plus durables.
    C’est pour cela que notre politique en matière de sans-abrisme a deux jambes : nous répondons aux situations d’urgence mais, comme une telle politique ne serait pas viable si elle était considérée isolément, nous accélérons les efforts de l’État en matière d’accès des personnes sans domicile au logement dans la durée. Dans le projet de loi de finances pour 2024, les crédits ouverts pour le programme 177 s’élèvent à 2,9 milliards d’euros de crédits de paiement, soit une hausse de 75 millions d’euros par rapport à l’année précédente.
    Au titre de cette politique, le Gouvernement avance avec deux grands objectifs : stimuler la production de logement social, notamment par son financement, et poursuivre les efforts que nous avons commencé à fournir en 2017 avec le plan « logement d’abord ».
    Concernant le financement de la production de logement social en 2024, nous avons d’abord mis sur pied un fonds de rénovation de 400 millions d’euros destiné à offrir ou à remettre sur le marché des logements de qualité aux locataires, à améliorer le confort thermique et à contribuer à baisser les charges. Nous avons ensuite dégagé 8 milliards d’euros de prêts bonifiés, qui équivalent à un montant de 650 millions d’euros de subventions. Cela constitue une ressource supplémentaire pour les bailleurs sociaux, après le plafonnement à 3 % du taux d’intérêt du livret A, dont les variations à la hausse pèsent, nous le savons, sur leur financement.
    Nous avons enfin créé un dispositif fiscal de « seconde vie » pour les logements nécessitant les rénovations les plus lourdes en partant du principe que les avantages dont ils peuvent bénéficier doivent être comparables à ceux attribués pour les logements neufs, tout cela bien sûr en vue d’encourager la transition écologique.
    Toujours dans le cadre de notre action destinée à stimuler la production de logement social nous avons cherché à renforcer les innovations sociales et financières, dans le contexte économique que vous connaissez. Je pense, par exemple, aux sociétés de copromotion qui permettent aux bailleurs sociaux de récupérer une partie des bénéfices de la promotion privée.
    Par ailleurs, nous voulons appliquer plus fermement la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU. En 2023, les décisions prises à la suite des constats de carence témoignent de la volonté de l’État de ne pas fermer les yeux devant la volonté de certaines collectivités de se dérober à la solidarité nationale en ne se conformant pas à l’objectif d’un taux de 25 % de logements sociaux.
    Enfin, nous continuons à viser un calibrage ambitieux en matière de production de logements sociaux. Nous en attendons un peu moins de 100 000 en 2024 auxquels viennent s’ajouter une vingtaine de milliers au titre de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU).
    J’en viens à la politique menée dans le cadre du plan quinquennal « logement d’abord ». Je veux insister sur l’efficacité démontrée du premier plan. Cinq ans après son lancement, 550 000 personnes sans domicile ont été relogées, dans un contexte pourtant particulièrement tendu. Parmi elles, 60 % ont accédé au logement social, et 40 % ont été logées dans un logement adapté par l’intermédiaire d’une pension de famille ou dans le parc privé à vocation sociale. Ces efforts engagés depuis 2017 ont permis à des personnes ayant connu un long parcours de rue de bénéficier d’un logement individuel, sans limite de temps. C’est la raison pour laquelle nous avons déployé un deuxième plan « logement d’abord » pour une période couvrant les années 2023 à 2027.
    Nos ambitions en ce début d’année consistent, d’une part, à produire et mobiliser des solutions de logement adaptées et abordables pour les ménages en grande précarité et, d’autre part, à investir plus fortement sur le volet préventif.
    C’est ainsi que nous travaillons à la croissance du parc privé à vocation sociale. Pour cela, nous avons fixé des objectifs territorialisés pour créer 30 000 nouvelles places d’intermédiation locative dans le parc privé. Nous accélérons également l’ouverture de nouvelles places de pensions de famille avec des objectifs eux aussi territorialisés visant 10 000 nouvelles places.
    Pour ce qui est du volet préventif, nous allons monter en puissance en matière de politique de prévention des expulsions locatives. Nous comptons également développer des solutions en faveur de l’accès au logement des jeunes en situation de vulnérabilité.
    Ce panorama de l’action engagée par l’État en matière de lutte contre le sans-abrisme illustre l’action forte et déterminée qu’il mène, une action qui se dote de moyens à la hauteur de la gravité de la situation.
    Je souhaiterais conclure en vous indiquant qu’en ce moment même, mon ministère planche sur plusieurs dossiers afin de compléter les politiques publiques que je vous ai présentées. Nous lancerons très prochainement une mission centrée sur la situation des enfants à la rue. Nous préparons également une nouvelle instruction à destination des préfets pour améliorer la fluidité du dispositif hébergement. Enfin, nous travaillons sur une réforme plus structurelle de l’hébergement qui passe par la définition d’une feuille de route concertée avec toutes les parties prenantes.

    M. le président

  • partager

    Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes et qu’il n’y a pas de droit de réplique.
    La parole est à Mme Eva Sas.

    Mme Eva Sas (Écolo-NUPES)

  • partager

    Merci, monsieur le ministre, pour votre intervention. Je vous le dis clairement, nous ne comprenons pas qu’il n’y ait pas en face de nous un ministre du logement, alors que notre pays est en pleine vague de froid et que quatre personnes sont décédées depuis le début du mois de janvier. Le souci du Gouvernement a l’air d’être la maîtrise du temps de la communication ; le nôtre, c’est la nécessité de venir en aide, dès à présent, à des hommes et des femmes qui sont dans une situation désespérée.
    Pour préparer ce débat, nous vous avons fait parvenir une lettre dans laquelle nous posions des questions appelant des réponses précises. À ce stade, vous n’y avez pas répondu. Je vais donc vous les rappeler.
    D’abord, il y a l’urgence. Le plan Grand froid a été déclenché, mais les moyens sont notoirement insuffisants, notamment en Île-de-France, où le nombre de places reste limité à 274, alors qu’il y a, rien qu’à Paris, plus de 3 000 sans-abri. Quelles seront les mesures prises, dès ce soir peut-être, pour mettre à l’abri les personnes qui en ont besoin ?
    Ensuite, nous vous interrogions sur les causes plus structurelles de la situation, en particulier sur la politique du logement. Nous assistons à une chute de la création de logements sociaux : en 2023, 95 000 nouveaux logements sociaux ont été livrés, alors qu’il en faudrait 198 000 pour résorber le mal-logement. Quant au plan « logement d’abord » il n’est doté que de 44 millions d’euros par an. D’après le Gouvernement, 2 milliards d’euros ont été économisés avec la fin du dispositif Pinel et le recentrage du prêt à taux zéro (PTZ). Pourquoi ne pas réallouer ces sommes à la politique du logement social, notamment au plan « logement d’abord » ?
    Enfin, nous évoquions trois causes structurelles du sans-abrisme. Premièrement, il y a la question des jeunes confiés à la protection de l’enfance qui deviennent majeurs : un quart des personnes sans domicile fixe nées en France sont d’anciens enfants de l’ASE. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait généraliser les contrats jeune majeur ? Deuxièmement, nous attendons des réponses en ce qui concerne la prise en charge de la santé mentale, sachant que les neuf dixièmes des personnes vivant dans la rue souffrent de troubles psychiatriques ou psychologiques. Troisièmement, l’accueil des migrants est d’ores et déjà insuffisant. Or les mesures prises dans le cadre de la loi « immigration » risquent d’aggraver le problème, puisque l’on refusera les prestations sociales aux migrants qui ne travaillent pas.
    Nous souhaiterions obtenir des réponses précises sur tous ces points, déjà évoqués dans la lettre que nous vous avons adressée la semaine dernière.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Dans le temps qui m’est imparti, madame Sas, je ne répondrai pas à toutes ces questions, non pas par manque de respect, mais parce qu’il convient d’être le plus complet possible.
    Commençons par la forme. Je ne m’élève pas au-dessus de ma condition : il ne m’appartient pas de nommer un ministre délégué chargé du logement. Ma présence ici ce soir, du fait de la tutelle que j’exerce sur ce domaine, est la meilleure preuve que la responsabilité en la matière est effectivement assumée.
    Vous évoquez une multitude de sujets. Il existe une forme de consensus sur le fait qu’il y aurait environ 330 000 sans-domicile fixe dans notre pays. Toutefois, le sans-abrisme ne concerne pas ces 330 000 personnes. Les dispositifs de soutien relèvent de deux grandes catégories : l’hébergement d’urgence, qui correspond aux 203 000 places que j’ai évoquées précédemment, et le dispositif national d’accueil (DNA), qui en compte 114 000. On peut déduire de ces chiffres que le nombre de sans-abri est de l’ordre d’une dizaine de milliers de personnes.
    Il existe ensuite de nombreuses zones grises. Le fait de vivre dans un bidonville ou dans un autre type d’habitat précaire n’est pas une forme de sans-abrisme, même si de telles conditions de logement ne conviennent évidemment pas. En tout cas, la volonté de l’État est d’apporter, là aussi, des réponses durables.
    La création de 10 000 places supplémentaires ciblées sur les familles, les femmes et les enfants vise précisément à résorber le reliquat que j’ai mentionné. Nous y allouons une somme de 120 millions d’euros, qui correspond à peu près à la moyenne des moyens supplémentaires réclamés par les amendements déposés par certains groupes politiques au Sénat ou à l’Assemblée.

    Mme Eva Sas

  • partager

    Alors pourquoi ne les avez-vous pas acceptés ?

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Au Sénat, Ian Brossat avait demandé 85 millions d’euros. À l’Assemblée, c’est une somme de 160 millions qui avait été sollicitée. Le Gouvernement vient de débloquer 120 millions. Cela montre bien que nous apportons une réponse à la hauteur.

    M. le président

  • partager

    La parole est à Mme Elsa Faucillon.

    Mme Elsa Faucillon (GDR-NUPES)

  • partager

    La loi « immigration » tend à restreindre les conditions d’accès à l’hébergement d’urgence : aux termes de son article 67, un étranger en situation irrégulière faisant l’objet d’une OQTF ne peut bénéficier de l’hébergement d’urgence « que dans l’attente de son éloignement ». Cette mesure a été votée au mépris des principes constitutionnels de fraternité, d’égalité et de dignité de la personne humaine. Elle constitue une forme abjecte de tri des personnes hébergées. Nous espérons bien évidemment que le Conseil constitutionnel va la censurer. Si tel n’était pas le cas, elle pousserait, je crois, de nombreux acteurs de la solidarité à la désobéissance. Au-delà de cet article, d’autres dispositions sont susceptibles de créer une trappe à pauvreté. Le risque est donc grand de créer de nouveaux sans-abri. Avez-vous anticipé les conséquences de ce texte ?
    Dans mon département, les Hauts-de-Seine, nous avons été confrontés il y a quelques années à la sortie d’un nombre important de personnes de l’hébergement d’urgence, en particulier dans les hôtels, du fait de l’application de critères de vulnérabilité. Il y a en la matière un manque de transparence : il semble que ces critères ont été modifiés depuis 2018 et qu’ils varient d’un département à l’autre ; il est difficile de savoir à quel moment leur application est déclenchée. En tant que parlementaires et élus de la République, nous avons besoin de connaître la liste des critères de vulnérabilité, ainsi que la manière dont ils sont fixés et appliqués. Que pouvez-vous nous en dire ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Je ne vais évidemment pas préjuger de la décision du Conseil constitutionnel. Vous considérez que des dispositions de la loi devraient être censurées, et vous êtes évidemment libres de vos propos. Nous le saurons dans quelques jours, puisque le 25 janvier approche.
    Je souhaite revenir sur certaines imprécisions. Le traitement différencié des personnes en fonction de leur nationalité ou du caractère régulier de leur séjour n’est pas une nouveauté législative introduite par ce texte. Le gouvernement Rocard avait soumis le bénéfice du revenu minimum d’insertion (RMI) à une condition de résidence régulière de trois ans sur le territoire national. Il appartient au Conseil constitutionnel d’apprécier si, s’agissant de ce type de prestations, une condition de résidence régulière de cinq ans est proportionnée ou non.
    D’autre part, il n’y a pas de remise en cause de l’hébergement d’urgence : le code de l’action sociale et des familles continue de prévoir un accueil sans condition. Le texte issu de la commission mixte paritaire n’a pas modifié le code sur ce point ; il a simplement précisé que l’étranger faisant l’objet d’une OQTF serait hébergé « dans l’attente de son éloignement ».

    M. Charles Fournier

  • partager

    Sans obligation de résultat !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Telle est la réalité juridique. Vous la contestez, mais cela revient à considérer qu’une OQTF est en soi une atteinte à l’inconditionnalité de l’accueil. Je ne peux évidemment pas vous suivre à ce sujet, car cela voudrait dire que la représentation nationale n’a plus aucun choix lorsqu’elle se prononce sur les règles migratoires. Dès lors que les étrangers déboutés de leur demande doivent quitter le pays, contester le principe selon lequel l’hébergement d’urgence prendra fin à un moment donné ne me semble pas relever d’une appréciation juridique pertinente. Quelque 60 % des personnes accueillies dans le parc d’hébergement d’urgence sont des étrangers qui ne sont ni régularisés ni expulsés.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. David Taupiac.

    M. David Taupiac (LIOT)

  • partager

    L’augmentation de la précarité résulte manifestement d’une insuffisance de moyens et de coordination des politiques publiques de lutte contre la pauvreté, de protection de l’enfance, de logement, de santé et d’accompagnement social. Surtout, les impacts contre-productifs de réformes comme celle de l’assurance chômage, et l’absence de revalorisation de certains minima sociaux face à la crise inflationniste fragilisent le maintien des personnes dans leur logement.
    Quelle sera votre feuille de route en matière de renforcement de l’accès au logement ? Comptez-vous enfin mettre un terme à la gestion au thermomètre, puisque l’on sait que la rue tue parfois davantage l’été que l’hiver ? Entendez-vous demander une application plus stricte, y compris pour les ménages prioritaires Dalo, de l’instruction du 3 avril 2023 enjoignant aux préfets de reloger ou d’héberger les locataires avant leur expulsion ? Produirez-vous davantage de logements sociaux, sachant que 2,4 millions de personnes attendent d’en bénéficier ? Prévoyez-vous de revaloriser les APL ?
    Si l’actualité hivernale met en lumière les difficultés majeures rencontrées dans les zones denses et urbaines, les territoires ruraux ne sont pas épargnés. Dans mon département, le Gers, 80 % des personnes accueillies dans les structures d’hébergement d’urgence souffrent de graves problèmes d’addiction et relèvent d’un accompagnement psychique. Or celui-ci est défaillant ; nous manquons terriblement d’appartements de coordination thérapeutique et de familles d’accueil thérapeutique. Quelles mesures sont envisagées pour remédier aux insuffisances en matière d’accès aux soins psychiques et pour répondre aux besoins grandissants d’accompagnement social et éducatif ? (Mme Eva Sas applaudit.)

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Vous avez pris l’exemple du Gers. En la matière, les disparités territoriales sont extrêmes. Dans certains endroits, les difficultés sont aggravées par la baisse drastique, plus forte que la moyenne nationale, des mises en chantier et des signatures de permis de construire qui rendent ces opérations possibles. Les réalités sont très diverses : certains territoires gagnent de la population, ce qui accroît les tensions, tandis que d’autres en perdent de manière régulière. Parfois, les maires sont sensibles à la pression de collectifs citoyens qui refusent de nouvelles constructions. Ailleurs, le nombre de logements vacants augmente. Malheureusement, pour régler les problèmes, il ne suffit pas de constater que, dans un endroit donné, une offre de logements existe et que, dans un autre, des personnes sont en attente de logement.
    Vous avez évoqué une partie des accompagnements sociaux nécessaires, notamment les aides psychiques. Les dispositifs sociaux proposés par les centres communaux d’action sociale (CCAS) sont aussi susceptibles d’influencer de manière substantielle le niveau de vie des personnes en grande précarité, ce qui peut conduire ces dernières à préférer tel territoire plutôt que tel autre parce qu’elles pourront y être mieux accompagnées par des mesures sociales qui ne relèvent pas des prestations nationales. Cela appelle donc une coordination très étroite, à tous les niveaux, avec les collectivités locales.
    Mme Sas a évoqué à juste titre la question très sensible des jeunes majeurs et de la proportion des enfants sortis de l’ASE parmi les sans-abri. S’agissant des contrats jeune majeur, la politique varie très sensiblement en fonction des territoires.

    M. Dominique Potier

  • partager

    C’est vrai !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    J’ai eu l’honneur de présider pendant dix ans un département qui a systématisé ces contrats. J’ai pu constater que des départements voisins, où la majorité était parfois d’une autre couleur politique, choisissaient des dispositifs très différents. Cela créait des phénomènes de flux : ces départements étaient heureux d’orienter les intéressées vers un autre département, se défaussant ainsi d’une partie de leurs responsabilités. Au-delà du débat au niveau national, il existe toute une strate de dispositifs locaux avec laquelle il faut composer.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Lionel Causse.

    M. Lionel Causse (RE)

  • partager

    À l’automne dernier, lors de l’examen du projet de loi de finances, l’Assemblée nationale avait adopté des amendements prévoyant la création de 10 000 places d’hébergement d’urgence supplémentaires. Il y a dix jours, le Gouvernement a annoncé qu’il consacrerait 120 millions d’euros à l’ouverture de 10 000 places de cette nature. Nous nous en réjouissons tous ; c’était ce que nous attendions. Vous avez de nouveau évoqué cette somme hier matin lors des vœux d’Action logement. Je pense que nous pouvons vous en remercier.
    Néanmoins, je souhaiterais obtenir davantage de précisions : quand ces moyens seront-ils déployés ? Faudra-t-il passer par un projet de loi de finances rectificative ? Quel budget sera octroyé à l’accompagnement des personnes qui ont besoin d’accéder au logement et, à cette fin, d’entrer dans un parcours résidentiel ?
    Par ailleurs, je tiens à vous alerter sur un phénomène qui progresse de façon inquiétante, voire alarmante, dans de nombreux départements, dont le mien. Chaque semaine, je suis interpellé par des chefs d’entreprise dont les employés ne parviennent pas à obtenir un renouvellement de titre de séjour dans les délais. Ils sont donc obligés de les licencier. Résultat : ces personnes sont plongées dans la précarité, sans emploi, sans salaire et donc sans logement. Il est urgent que les préfectures cessent de placer cette population dans des situations plus difficiles que celles qu’elle connaît déjà.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    J’entends vos propos, monsieur le député. Il ne vous a pas échappé que ce sujet ne relève pas vraiment directement de mon domaine de responsabilité ; cela étant, je suis preneur d’un témoignage plus précis qui me permettrait de me tourner vers Beauvau.

    M. Arthur Delaporte

  • partager

    J’en ai des dizaines !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    J’ai plusieurs éléments de réponse à vous apporter. Tout d’abord, l’année dernière, à la même époque, le budget consacré à l’hébergement d’urgence était de 2,83 milliards d’euros. Il a été porté à 2,9 milliards au 1er janvier, avec 75 millions d’euros de crédits supplémentaires permettant la création de 500 places de travailleurs sociaux et d’accompagnateurs de terrain. Nous savons que l’enjeu n’est pas seulement de créer des places, mais aussi d’aller vers, c’est-à-dire de convaincre ces gens, à l’occasion des maraudes, de rejoindre les dispositifs d’hébergement. Ce n’est pas devant les députés qui, à cette heure, ont décidé de consacrer du temps à ce débat que j’expliquerai la pluralité des formes que peut revêtir le sans-abrisme.
    Deuxièmement, les 120 millions d’euros supplémentaires seront évidemment inscrits dans un projet de loi de finances rectificative. Toutefois, en indiquant dès maintenant que le budget dépassera les 3 milliards d’euros, nous savons par avance que nous pourrons disposer de crédits au-delà de ceux votés dans le projet de loi de finances initiale.
    Certaines villes ont interpellé le Gouvernement en annonçant qu’elles étaient prêtes à faire davantage si des partenariats se nouaient. Ces 120 millions d’euros, il va maintenant falloir les territorialiser. Ils permettront de financer, dans les territoires qui le souhaiteront et dans d’autres territoires que nous solliciterons pour une répartition géographique optimale, la création de places d’hébergement d’urgence sous diverses formes, l’accès au logement dans les cas qui le nécessitent ou encore des dispositifs d’intermédiation locative, dont nous savons l’efficacité. Tout cela se fera en ciblant spécifiquement les familles et les enfants, puisqu’il ressort de nos discussions avec les associations qu’il y a là des poches de pauvreté et de sans-abrisme particulièrement difficiles à résorber. Cela nécessite le concours des collectivités de proximité, avec des travailleurs sociaux qui sont capables d’assurer ce travail, et des lieux physiques pour les mises à l’abri.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Lionel Tivoli.

    M. Lionel Tivoli (RN)

  • partager

    Ce débat sur le sans-abrisme trouve une résonance particulière alors que la France est exposée à une crise du logement inédite dans son histoire. En dix ans, le nombre de sans-domicile fixe a plus que doublé alors qu’Emmanuel Macron s’était engagé en 2017 à ce que plus aucun Français ne dorme dans la rue.
    Derrière cette déclaration démagogique professée en pleine campagne électorale, le Rassemblement national tient à pointer la responsabilité des gouvernements qui se sont succédé au cours de la décennie Hollande-Macron, gouvernements auxquels ont participé toutes les autres formations politiques représentées ici.
    Rappelons que les écologistes, qui sont à l’origine de ce débat, ont été aux responsabilités. Les passages de Cécile Duflot puis d’Emmanuelle Cosse au ministère du logement ont amorcé un virage idéologique de la politique du logement, lequel s’est traduit par le renforcement de normes énergétiques absurdes, une complexification administrative, des rabots sévères dans les dispositifs d’investissement destinés à soutenir la production de logements neufs ou encore un renforcement de la fiscalité immobilière qui décourage la mise en location de logements. Amplifiée par Emmanuel Macron, qui témoigne d’une absence totale de vision en la matière, cette politique d’hostilité à l’égard des bailleurs et des petits propriétaires a pour conséquence un retrait massif de logements du marché locatif.
    La France compte plus de 3 millions de logements vacants, soit dix fois la capacité de loger le nombre de sans-abri estimé. Les Français, fragilisés par l’inflation, font face à des difficultés croissantes pour se loger, et le Gouvernement se trouve incapable de réagir. La situation des jeunes est la plus dramatique : on sait qu’à Lyon, 80 % des places de camping sont occupées par des étudiants en plein hiver. Les Français qui travaillent n’arrivent plus à se loger. La pénurie de logements dans les métropoles est aggravée par l’absorption d’un flux migratoire de 500 000 nouveaux arrivants par an qu’il faut absorber, de clandestins ou de mineurs non accompagnés qui encombrent les structures d’accueil d’urgence.
    Nous souhaitons limiter l’immigration et repenser la politique du logement, grande sacrifiée de la décennie Hollande-Macron, par un choc de l’offre, en encourageant la location de logements vacants et en relançant la construction de logements neufs aujourd’hui à l’arrêt. Un dispositif de garantie des locataires qui peinent à accéder à la location doit être élaboré afin de préserver l’égalité d’accès au logement, qui demeure un droit universel. Monsieur le ministre, quand prendrez-vous enfin des mesures structurelles et pérennes ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Monsieur Tivoli, je ne sais pas si c’est vous qui avez choisi cette place à l’extérieur du cercle de ceux avec qui le débat s’organise, mais j’ai bien l’impression que vous souhaitez faire un pas de côté, tant par vos propos, qui me sidèrent compte tenu du chiffre que vous indiquez, que par une facilité de parole qui tranche nettement avec la réalité de ce qui se vit sur le terrain.
    Si tout était aussi simple, comment se fait-il que des pays dans lesquels le gouvernement compte des membres de partis nationalistes ou d’extrême droite, qui partagent vos vues sur la pression migratoire, ne réussissent pas mieux à endiguer les difficultés liées au logement que ceux où la gauche, y compris radicale, est aux responsabilités ? La situation est évidemment plus complexe que vous le prétendez.
    En outre, 500 000 arrivées irrégulières sur le territoire pour seulement 300 000 personnes sans domicile fixe à l’arrivée, ce serait la preuve d’un dynamisme qui nous permettrait d’absorber chaque année l’équivalent de plus de 500 000 arrivées dans le parc de logements. Je me permets de vous dire que ces chiffres ne correspondent pas à la réalité.
    Vous mélangez beaucoup de choses. Tout d’abord, les difficultés dans la construction neuve peuvent difficilement être imputées à la seule responsabilité gouvernementale quand, partout en Europe, quelle que soit la couleur politique des gouvernements, la hausse des taux d’intérêt et l’augmentation du coût des matériaux liée à l’inflation, qui est la conséquence de la guerre en Ukraine, provoquent une baisse du pouvoir d’achat immobilier.
    Ensuite, le parallèle entre des logements vacants qui, pour beaucoup d’entre eux, se situent dans une diagonale du vide en déprise démographique, et les secteurs en tension dans lesquels se concentrent des populations précarisées n’est pas pertinent, à moins de mener une politique extraordinairement dirigiste et autoritaire par laquelle le Gouvernement déciderait de l’endroit où chacun doit habiter ; c’est peut-être votre souhait, voire votre rêve, mais cela ne fonctionne pas. La réalité, c’est que nous parlons de femmes et d’hommes qui ont la liberté de choisir où ils veulent habiter. Nous ne pouvons pas nous contenter de faire des basses mathématiques sur le sujet. Le débat mérite mieux, par respect pour tous ceux qui sont, au quotidien, les visages de cette solidarité.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Sylvain Carrière.

    M. Sylvain Carrière (LFI-NUPES)

  • partager

    « La première bataille, c’est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d’ici la fin de l’année, avoir des femmes et des hommes dans les rues. C’est une question de dignité et d’humanité. » Ces mots ne sont pas les miens, ce sont ceux d’Emmanuel Macron. Ils pourraient être porteurs d’espoir s’ils n’avaient pas été prononcés il y a sept ans. Aujourd’hui, la France compte 330 000 personnes sans domicile fixe, dont 3 000 enfants, un nombre qui a doublé en dix ans. À cela s’ajoutent les 4 millions de personnes mal logées. L’explosion des demandes d’hébergement d’urgence en est la résultante.
    Les associations sont débordées. Le 115 est au bord de l’implosion. Des infirmiers, des médecins qui se sont engagés par conviction et qui ont juré, en prêtant le serment d’Hippocrate, de donner leurs « soins à l’indigent et à quiconque […] les demandera » sont obligés de faillir. Le 2 janvier dernier, 5 300 personnes à la rue ont appelé le 115, dont 1 600 enfants, dans l’espoir d’un toit pour la nuit, afin de se protéger des températures négatives. Ils ont été refoulés et ils continueront à l’être à cause de vous, vous qui avez songé à supprimer 14 000 places d’hébergement d’urgence dans le dernier projet de loi de finances, vous qui refusez 60 000 places d’hébergement d’urgence, vous qui refusez de donner à l’hôpital les moyens de soigner les gens, vous qui permettez la spéculation immobilière. Comme toujours avec vous, c’est beaucoup de communication pour très peu d’actions. Quelque 330 000 personnes à la rue, 10 millions de pauvres : voilà le bilan de la politique que vous menez depuis sept ans.
    Monsieur le ministre, vous l’avez dit, il y a urgence. Qu’attendez-vous pour nommer enfin un ministre du logement ? Quels moyens comptez-vous débloquer pour faire face à la situation ? Il est vital d’agir.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    C’est avec beaucoup d’humilité que je vous entends me dire que nous faisons de la communication sans agir, tant La France insoumise nous est supérieure en ce domaine.

    M. Arthur Delaporte

  • partager

    Ils ne sont pas au Gouvernement !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Vous avez rappelé les déclarations du Président de la République. Personne ne peut, de bonne foi – c’est peut-être cette condition qui vous dépasse –, remettre en cause le volontarisme de l’action entreprise depuis 2017. Cela a été dit par les autres orateurs : avant Emmanuel Macron, il y a eu d’autres majorités, d’autres couleurs politiques,…

    Mme Marie-Charlotte Garin

  • partager

    C’est bien de citer le RN !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    …dont aucune n’a fait autant pour lutter contre le sans-abrisme, qu’il s’agisse des moyens budgétaires ou du nombre de places. Là encore, la critique, l’anathème, les excès, la démagogie prennent le dessus. Avec vous, ce serait tellement simple ! Je le répète : Podemos, votre parti frère en Espagne, n’a pas réussi à résoudre ces difficultés, pas plus que ceux qui ont été au pouvoir en Grèce ou dans d’autres pays. Celles-ci sont exactement corrélées à la situation de pays ayant une politique d’accueil qui enregistrent des flux entrants au moment d’une crise de la construction car la stabilité des moyens ne permet pas de faire face à l’augmentation des arrivées. Toutefois, en France, nous ne menons pas un politique de stabilité des moyens puisque nous venons d’annoncer 120 millions d’euros supplémentaires. De plus, le covid a marqué la fin de la gestion au thermomètre : les places ne sont désormais plus proposées pour une période donnée, mais pour toute l’année.
    Personne ne peut remettre en question le volontarisme qui est depuis le début la marque de fabrique du Président de la République et que mettent en évidence les 203 000 places d’hébergement d’urgence, les décisions prises sur le sujet et les moyens humains qui y sont consacrés. Est-ce suffisant ? Non. Suis-je venu devant vous ce soir pour un exercice d’autosatisfaction ? Non.

    Mme Eva Sas

  • partager

    Un peu, quand même…

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Je suis venu, avec humilité, vous expliquer que nous sommes en train de continuer le combat et que nous allons renforcer les dispositifs. Néanmoins, penser que l’État seul, que le Gouvernement seul pourra régler les problèmes, c’est une forme d’escroquerie intellectuelle.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Arthur Delaporte.

    M. Arthur Delaporte (SOC)

  • partager

    Monsieur le ministre, nous n’avons décidément pas la même vision du monde. La différence, c’est que vous êtes aux responsabilités.
    Vous êtes dans le gouvernement qui a ponctionné plus de 11 milliards d’euros sur la politique du logement avec les 5 euros de baisse des APL, avec l’absence de revalorisation des allocations et avec tout ce que vous avez pris aux bailleurs sociaux. Je suis désolé, mais c’est la réalité du chiffrage : je peux vous transmettre les éléments en question.
    Vous êtes aussi dans le gouvernement qui a fait entrer en vigueur la loi Kasbarian-Bergé, dont nous avons parlé tout à l’heure. Il aurait été souhaitable que vous entendiez le représentant de la Fondation Abbé Pierre, qui porte un regard extrêmement critique sur l’application de ce texte, lequel ne pourra que conduire davantage de personnes à la rue. Il y a évidemment la loi « immigration ». Il y a aussi les consignes passées après les émeutes, lesquelles ont conduit certains préfets à se gargariser d’avoir remis à la rue des familles avec enfants. C’est cela, votre politique, et je suis assez surpris de vous entendre parler comme vous le faites.
    Permettez-moi, dans la minute qui me reste, de vous faire une remarque sur l’inconditionnalité théorique de l’accueil, qui n’est pas assurée dans certains endroits et varie selon les départements. Je prendrai l’exemple des femmes victimes de violences : dans certains départements, elles ont le droit à un hébergement, mais pas forcément leur enfant, ce qui fait que des femmes qui voudraient quitter le domicile conjugal avec leur enfant ne le font pas. Dans d’autres départements, les femmes victimes de violences ne sont pas considérées comme prioritaires, ou bien elles ne trouvent pas d’hébergement d’urgence. J’aimerais vous entendre sur cette situation hautement problématique qui nous est remontée par des acteurs de terrain.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    N’ayant pas été convié à la première partie du débat, j’estime qu’on peut difficilement me reprocher de ne pas y être venu. Ensuite, monsieur Delaporte, l’aplomb avec lequel vous dites les choses tend à laisser croire que le Parti socialiste n’a jamais été aux responsabilités dans ce pays.

    M. Arthur Delaporte

  • partager

    Nous avons eu une politique du logement !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Je suis d’autant plus surpris de vous entendre parler ainsi qu’il faut beaucoup de mauvaise foi pour considérer que les problèmes de sans-abrisme ont commencé au milieu de l’année 2017.

    M. Arthur Delaporte

  • partager

    Je n’ai jamais dit cela !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Enfin, j’ai toujours considéré que, quand on interrompt celui à qui on a pourtant demandé de répondre, c’est sans doute qu’on est gêné de la manière dont on a posé sa question, et la façon dont vous continuez de le faire me laisse penser que c’est bien le cas. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NUPES, SOC, Écolo-NUPES et GDR-NUPES.)

    Mme Marie-Charlotte Garin

  • partager

    Que de mépris pour les parlementaires !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Je viens participer à un débat pour répondre de la manière la plus claire qui soit aux questions que vous me posez.

    Mme Elsa Faucillon

  • partager

    Vous ne répondez pas aux questions depuis tout à l’heure !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Au lieu de le faire dans le respect, vous avez décidé d’une autre approche. La manière dont vous posez les questions vous appartient, mais ne vous plaignez pas ensuite que je prenne un minimum de liberté dans la façon de vous répondre.
    Vous dressez le procès de lois qui ont été votées par un Parlement où des expressions populaires se sont exprimées, sans 49.3, avec des majorités qui représentent la majorité des Français. Si vous ne vouliez pas que ce type de souveraineté populaire s’applique, peut-être aurait-il fallu vous y prendre autrement. Dans le même temps, vous mettez sur le même plan des choses qui n’ont rien à voir.
    La façon dont certains squats perduraient dans notre pays pouvait-elle remettre en cause la volonté de certains propriétaires de mettre des biens en location ? Ne risquait-on pas de voir un déséquilibre profitant au squatteur, aggraver les problèmes d’offre locative ? Je pense très sincèrement que c’est le cas, et je ne crois donc absolument pas que la loi Kasbarian-Bergé aggrave la difficulté. Je pense au contraire qu’elle conforte la possibilité, pour les propriétaires, de se dire que mettre des biens sur le marché locatif, c’est aussi une façon de contribuer à résoudre la crise du logement.

    M. le président

  • partager

    La parole est à Mme la présidente Cyrielle Chatelain.

    Mme Cyrielle Chatelain (Écolo-NUPES)

  • partager

    Je voudrais d’abord revenir sur le passage de Cécile Duflot au ministère du logement, puisqu’il a été évoqué. Pour ma part, j’en suis très fière et si nous avions pu appliquer l’ensemble de la politique en question, l’introduction de l’encadrement des loyers aurait limité la spéculation sur les logements et réduit l’augmentation des loyers, notamment pour les petites surfaces – cela aurait été un grand soulagement pour nombre d’étudiants. La garantie universelle des loyer aurait également été instaurée, sachant qu’elle permet, en période d’inflation, de protéger les locataires tout en sécurisant les propriétaires.
    Je voudrais ensuite vous poser trois questions assez précises, monsieur le ministre. J’ai conscience que vous n’êtes pas ministre du logement, mais puisque nous n’en avons pas à l’heure actuelle, c’est à vous que revient la responsabilité de me répondre – avec précision, s’il vous plaît, et sans attaques politiciennes.
    La première est la même que celles posées par mes collègues Elsa Faucillon et Arthur Delaporte à propos des critères de vulnérabilité. On a l’impression que s’agissant notamment des femmes enceintes ou des enfants de moins de 3 ans, ces critères ne sont pas appliqués dans tous les départements de la même manière. Par exemple, le fait qu’un enfant appartienne ou non à une fratrie a des conséquences très concrètes sur la vie des personnes concernées. Pouvez-vous préciser quels sont ces critères de vulnérabilité et nous dire s’ils s’appliquent de manière identique sur tout le territoire ?
    En deuxième lieu, il est vrai que le Conseil constitutionnel n’a pas rendu sa décision à ce sujet mais il n’empêche que vous devez être en mesure de nous livrer votre lecture de l’article 19 ter A de la loi « immigration », concernant l’hébergement d’urgence. Cet article, devenu l’article 67 du texte adopté définitivement, spécifie qu’une personne ayant fait l’objet d’une OQTF ne peut être hébergée au sein des dispositifs d’hébergement d’urgence que dans l’attente de son éloignement. Pouvez-vous préciser ce que signifie une telle rédaction ? Y a-t-il un délai maximal au-delà duquel les personnes concernées seront expulsées ? Au sein des hébergements d’urgence, les associations devront-elles procéder à des contrôles d’identité lorsqu’il fera moins 5 degrés dehors ? J’aimerais vraiment savoir comment va être appliqué cet article, s’il n’est pas censuré.
    Enfin, je reviens à mon tour sur la loi Kasbarian-Bergé car elle fragilise ceux qui sont locataires en vertu d’un accord tacite. Malgré son entrée en vigueur, veillerez-vous à ce que les locataires soient protégés ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Je ne suis pas venu pour polémiquer : je réponds simplement en m’adaptant à la tonalité utilisée par chaque orateur pour me poser sa question. Vous m’avez posé trois questions précises et je vais vous répondre de manière précise, en ayant un peu plus de temps que tout à l’heure pour le faire.
    Concernant l’inconditionnalité de l’accueil, d’abord, je m’excuse auprès d’Elsa Faucillon, mais la longueur de ma réponse, tout à l’heure, ne m’avait pas permis d’arriver jusque-là. Il n’existe pas, en la matière, d’harmonisation nationale. Elles peuvent toutefois exister à l’échelle territoriale, comme en Île-de-France où l’harmonisation est complète ; ailleurs, ce sont les travailleurs sociaux qui apprécient la manière dont cette inconditionnalité doit s’appliquer. Faut-il aller plus loin ? C’est pour nous un sujet de réflexion.
    Vous m’interrogez ensuite sur la loi « immigration » et sur la manière dont elle définit l’accueil jusqu’à la mise en œuvre de l’OQTF. En réalité, le texte correspond très exactement au droit applicable aujourd’hui. En hébergement d’urgence, la personne concernée est en attente de la mise en œuvre de son OQTF, et celle-ci n’est pas encore appliquée. Du strict point de vue juridique, la formulation retenue ne modifie pas la pratique applicable. Par définition, quand vous êtes sous la menace d’une obligation de quitter le territoire français, cela marquera la fin du placement en hébergement d’urgence. C’est la façon dont les OQTF seront mises en œuvre qui modifiera la pratique en matière d’hébergement d’urgence, et non la rédaction que vous évoquez.

    Mme Cyrielle Chatelain

  • partager

    Ce n’est pas très clair !

    Mme Elsa Faucillon

  • partager

    On ne comprend rien !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Enfin, votre dernière question a trait à la protection des locataires dans le cadre de la loi Kasbarian-Bergé,…

    Mme Cyrielle Chatelain

  • partager

    Tout à fait !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    …tout particulièrement en ce qui concerne les contrats tacites. Pour être honnête, nous avons peu de recul sur les effets de cette loi – et nous n’en avons aucun sur ceux de la loi « immigration » –, puisqu’elle a été votée il y a seulement quelques mois. Nous n’avons pas connaissance de difficultés tenant au non-respect d’accords tacites ; en revanche, les dispositions de la loi, telles que le Parlement les a votées, ont bien fait l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel et n’ont pas été remises en cause par celui-ci, puisqu’il a considéré que l’équilibre préexistant entre les droits du propriétaire et ceux du locataire était respecté.

    M. le président

  • partager

    La parole est à Mme Martine Etienne.

    Mme Martine Etienne (LFI-NUPES)

  • partager

    Je voudrais revenir rapidement sur notre mobilisation d’hier, au métro Solférino, aux côtés des militants de l’association Droit au logement (DAL). Plusieurs députés ont participé à une « nuit de la colère » pour soutenir les sans-abri et les mal-logés, et pour demander la réquisition des logements vacants.
    En effet, en cette période de grand froid, face à la détresse de familles entières et d’enfants à la rue, face à la saturation des centres d’hébergement et aux expulsions d’étudiants de leurs logements Crous – centre régional des ?uvres universitaires et scolaires –, le Président a choisi de ne pas nommer de ministre du logement – enfin, pour l’instant. Merci, monsieur Béchu, d’être ici, mais nous aurions préféré parler à un ministre de plein exercice.
    Le Gouvernement propose des miettes et gouverne au gré de coups de communication sans jamais réellement agir ni se mobiliser pour le droit au logement. Quant à nous, sachez-le, nous continuerons à nous battre aux côtés des associations.
    Je voulais aussi profiter de ce débat pour évoquer un autre sujet, qui concerne le droit à l’occupation de l’espace public. Les préfets de police multiplient les arrêtés visant à empêcher les sans-abri de s’installer – sans jamais, bien évidemment, le présenter ainsi – ou à empêcher les associations d’organiser des distributions alimentaires. De tels arrêtés sont presque toujours censurés par le Conseil d’État, parce qu’ils sont disproportionnés, mais, ils entravent le travail des associations, contredisant le principe de fraternité pourtant reconnu comme un principe à valeur constitutionnelle par la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018.
    Certaines communes multiplient également les dispositifs anti-SDF, pour empêcher les sans-abri de se reposer, de s’asseoir ou de s’allonger, contrevenant – encore ! – au principe de la dignité humaine, pourtant composante de l’ordre public depuis 1995.
    Monsieur le ministre, ce dont il est question ici, c’est tout simplement du respect des droits et principes fondamentaux que sont le logement, la dignité humaine et la fraternité. Quand allez-vous enfin les respecter et les faire respecter ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Je veux d’abord vous dire que j’ai le plus grand respect pour les associations et les militants. Je n’ai pas été médiatisé – je ne me suis pas fait accompagner par des équipes de médias – quand j’ai participé à des maraudes, mais j’en ai effectué beaucoup dans ma vie, quand j’étais maire ou président de département, et aussi depuis que je suis ministre parce que c’est selon moi un moyen de soutenir les travailleurs sociaux. Dans ce domaine, il peut arriver que le bien se fasse sans bruit.
    Vous évoquez des situations très disparates. Il arrive en effet que des mobiliers urbains soient conçus pour qu’il ne soit même pas possible de s’y reposer ou de s’y allonger dans la journée. Mais à côté de cela, il y a des collectivités dont on tait le nom et qui ouvrent des accueils de jour alors qu’elles n’y sont pas obligées, qui donnent accès à des douches, qui favorisent l’accès à des soins dentaires ou qui prennent en charge des dispositifs complémentaires sans y être tenues !

    Mme Martine Etienne

  • partager

    Ce devrait être le cas partout !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Cela s’observe partout sur le territoire, dans des collectivités de tailles variables.
    Pour ce qui est des dispositifs que vous évoquez, on se heurte, au moins pour le moment, à la liberté locale s’agissant de leur mise en œuvre, même si – vous l’avez dit – un contrôle systématique du juge permet de vérifier qu’ils ne portent pas atteinte à ce principe de fraternité qui ne doit pas être seulement une inscription sur le fronton de nos mairies. Une part relève de la loi, certes, mais une autre relève de décisions et d’engagements pris en particulier au niveau des collectivités territoriales ! En effet, nous sommes dans une république décentralisée où les pouvoirs sont partagés, ainsi que les compétences de proximité. Ce que vous appelez de vos vœux passe d’abord par le respect de la loi SRU, ce qui signifie qu’il faut veiller à construire suffisamment de logements sociaux mais aussi de logements intermédiaires tels que les PLAI. Cela nécessite aussi de se préoccuper concrètement des niveaux de loyer existant sur tel ou tel territoire.
    Pour rendre possible l’intégration dont vous parlez, il existe un continuum de solidarités qui va au-delà de nos querelles de chiffres et qui s’inscrit, c’est vrai, dans un devoir d’humanité. Cependant, regarder les choses en face, c’est mesurer qu’il ne s’agit ni seulement d’une question d’argent ni seulement d’une question de gouvernement. C’est bien cette chaîne de femmes, d’hommes, d’associations, de collectivités territoriales et de moyens budgétaires et humains qui permet de faire face à la situation. Il faut aussi affronter la réalité : cela suppose que les arrivées sur notre territoire se fassent à un rythme permettant d’accueillir et d’intégrer les personnes en question.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. Dominique Potier.

    M. Dominique Potier (SOC)

  • partager

    Je voudrais d’abord remercier le groupe Écologiste d’avoir été à l’initiative de ce débat de très grande qualité qui nous réunit ce soir.
    Monsieur le ministre, je vous recommande de visionner le reportage diffusé dimanche soir, sur France 5, dans l’émission « En société » – peut-être avez-vous pu le voir en direct. On y suit Véronique Boulinguez, une sage-femme à la retraite qui parcourt Paris à la rencontre des femmes enceintes et des bébés vivant dans la rue, pour les prendre en charge et leur dispenser des soins de périnatalité. Ce reportage est bouleversant d’humanité : par son engagement et par son courage, cette figure de Marianne peut tous nous rassembler et nous oblige.
    Cela me fait dire que je suis heureux de vivre dans un pays où les mamans qui attendent un bébé et les enfants qui naissent n’ont pas à se poser la question du droit du sol ; j’espère que cela durera et que ce droit restera inconditionnel dans notre pays.
    J’ai trois questions à vous poser. D’abord, le directeur de la Fondation Abbé Pierre nous a rappelé que le sujet en amont de tous les autres était bien celui du budget du logement, car il provoque des effets en cascade sur les plus fragiles, notamment s’agissant du sans-abrisme. Je n’ai pas bien retenu les dates et je ne veux pas m’abaisser à des accusations politiciennes en pointant telle ou telle période, mais il a indiqué que la part du PIB consacrée au logement serait passée de 2 % à 1,5 % et que, dans ces conditions, il est impossible de résoudre les problèmes liés à l’hébergement d’urgence. Qu’avez-vous à nous dire sur ce sujet ?
    Ensuite, je voudrais évoquer la limite d’âge de 3 ans. Dans votre département, vous avez expérimenté un report au-delà de 18 ans afin que les jeunes majeurs exclus du bénéfice de l’ASE ne tombent pas dans la misère. À 3 ans, le changement n’est-il pas un peu brutal pour les enfants qui sont hébergés de manière prioritaire jusqu’à cet âge ? Ne serait-il pas possible d’introduire une transition ou un délai, par humanité ou simplement par réalisme, dans le souci de faire société ?
    Enfin, j’ai assisté cette semaine aux débats de la commission des affaires économiques sur la question des habitats collectifs dégradés, et j’ai découvert ce chemin de crête qui existe entre le respect de la propriété, qui est un droit sacré de notre Constitution, et l’accès à un logement digne pour tous, qui est tout aussi sacré. Les réquisitions et la capacité à y procéder ont fait l’objet de discussions très vives et il me semble que, pour faire face au sans-abrisme, le curseur doit être revu en la matière, afin d’affronter les situations d’urgence. J’aimerais que vous ne vous contentiez pas de m’opposer le risque que de telles mesures feraient peser sur les logeurs et sur l’accès à la propriété.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Je ne m’en contenterai pas, monsieur le député. Vous examinerez à partir de lundi prochain en séance publique un texte sur les copropriétés dégradées,…

    M. Dominique Potier

  • partager

    Un texte très intéressant ! C’est du beau travail !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    …et j’aurai l’honneur d’être à nouveau votre interlocuteur à ce sujet, dans l’hémicycle.
    On rencontre parfois des difficultés, notamment dans le cas de propriétaires impécunieux, pour que soient entrepris les travaux nécessaires à l’amélioration de la qualité des logements ainsi qu’à la rénovation énergétique, condition de la transition écologique. Un des freins à cette rénovation et à la résorption d’une partie des passoires thermiques dans de grandes copropriétés, ce sont les règles qui régissent la prise de décision, car l’exigence d’unanimité peut conduire à bloquer toute initiative alors que certains aimeraient, de bonne foi, améliorer la qualité de leur logement pour faire baisser les charges énergétiques des locataires.
    Certaines précarités ne sont pas seulement liées à l’absence de toit mais sont dues au niveau atteint par les charges. On ne va pas lancer ce débat ce soir, mais si je suis attaché au calendrier d’élimination des passoires, c’est aussi, indépendamment des difficultés que peuvent éprouver certains propriétaires pour mener à bien de tels travaux, parce que je voudrais que l’on n’oublie pas les locataires pour lesquels deux classes d’écart en matière de DPE – diagnostic de performance énergétique – correspondent à un doublement des charges.
    S’agissant des dépenses, je ne pense pas que l’approche en points de PIB soit la meilleure. Elle a une valeur, certes, mais qui pense que la suppression du dispositif Pinel a aggravé la situation en matière de logement à tel ou tel endroit ? Quand un dispositif fiscal – et j’assume mes propos – peut conduire à ce que Saint-Gilles-Croix-de-Vie soit mieux coté, pour l’achat potentiel d’un bien qui sera loué pour servir ensuite de résidence secondaire, qu’une ville étudiante en tension mais ne bénéficiant pas du même zonage, l’efficacité sociale de la dépense fiscale peut être à tout le moins questionnée. Ce n’est donc pas qu’une question d’effort : il faut aussi considérer l’offre et ceux vers qui elle est dirigée.
    Des réflexions sont en cours autour du statut du bailleur privé et des dispositifs permettant de redonner du pouvoir d’achat immobilier, dans un contexte où celui-ci est en berne. Je pense au prêt in fine ou au crédit hypothécaire, qui existent dans d’autres pays ; certains dispositifs permettent de ne pas acheter d’emblée la totalité d’un bien dont une partie fait l’objet d’une garantie. Cela permet de soulager les familles, en particulier celles issues des classes moyennes, qui ont de plus en plus de mal à accéder au logement. C’est une des façons de résoudre ce problème.
    De la même manière, derrière les sigles ou les logos, il y a des réalités : j’ai parlé de HLM ou de logements sociaux mais construire un PLAI, ce n’est pas du tout la même chose que de construire un logement financé par un Plus – prêt locatif à usage social ! Il est possible de satisfaire à ses obligations en menant à bien un projet dont l’ambition sociale est moindre.

    M. le président

  • partager

    La parole est à Mme Marie-Charlotte Garin.

    Mme Marie-Charlotte Garin (Écolo-NUPES)

  • partager

    Monsieur le ministre, vous avez rappelé la volonté politique de votre gouvernement ; je vous rappellerai, à mon tour, que nous avons dû nous battre, l’année dernière, pour éviter la suppression de 14 000 places d’hébergement d’urgence. Pour refaire le film des derniers mois, j’ajoute qu’au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2024 et à la demande des associations et des travailleurs sociaux, nous vous avions proposé, de manière transpartisane, en associant également des députés issus de vos rangs, de créer 10 000 places d’hébergement d’urgence – en acceptant, dans un amendement de repli, de réduire ce chiffre à 6 000 places, s’il le fallait, pour mettre au moins à l’abri les familles et les enfants.
    Nous avons ensuite écrit à la Première ministre pour lui demander de conserver ces amendements, qui ont été adoptés au Sénat – vous connaissez le film – dans la version finale du texte. Ils n’ont pas été retenus. Nous avons lancé des pétitions, nous nous sommes engagés localement auprès des collectifs qui mettent les enfants à l’abri dans les écoles, mon collègue Charles Fournier a ouvert sa permanence à Tours pour accueillir des familles et des enfants ; nous n’avons pas obtenu de réponse.
    Nous sommes donc très fortement mobilisés, et ce depuis des semaines, monsieur le ministre. Les associations continuent d’expliquer que la gestion au thermomètre n’est pas la bonne. Tout récemment, vous avez enfin quitté votre posture de refus de création de nouvelles places d’hébergement d’urgence en annonçant le déblocage de 120 millions d’euros. On peut se réjouir de cette évolution, même s’il s’agit là d’une annonce en demi-teinte, même si nous attendons toujours d’avoir de la visibilité sur ces places nouvellement créées et d’en connaître la ventilation, et même si nous n’avons toujours pas de ministre du logement, ce qui ne donne pas le sentiment que votre gouvernement fait de cette question une priorité.
    Ce constat, d’ailleurs, nous inquiète, car, comme vous l’avez souligné, des personnes sont mortes de froid dans nos rues depuis le début de l’année. Très sincèrement, en tant que jeune parlementaire, je ne comprends pas l’absurdité de notre système et de notre manière de conduire des politiques publiques. Je ne comprends pas que nous en soyons arrivés là et que vous, avec toutes les cartes en main – jusqu’aux dispositions législatives qui vous étaient proposées –, n’ayez pas été capables d’anticiper et de créer ces places d’hébergement à temps.
    Je vous le demande très sincèrement : reconnaissez-vous la responsabilité de votre gouvernement dans la mort des personnes qui dorment dehors et qui en sont mortes, faute de places d’hébergement d’urgence ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Il est parfois facile d’énoncer les choses et autrement plus difficile de les mettre en œuvre. Encore une fois, le fait d’adopter ou de retenir un amendement, ou de décider de l’adoption d’un budget, ne résout pas du jour au lendemain les difficultés rencontrées sur le terrain.
    J’ai dit – avec précaution, me semble-t-il – que la répartition des responsabilités dans la difficulté à venir à bout de la situation des personnes sans domicile fixe ou du phénomène de sans-abrisme ne relève pas uniquement d’une question de budget, mais aussi d’une question de mise à disposition effective des lieux d’abri. Or il arrive que des collectivités – quelle que soit d’ailleurs leur couleur politique – soient prêtes à signer des pétitions, mais se montrent moins allantes ou pratiquent des politiques allant à l’encontre de ce qu’elles professent lorsqu’il s’agit de mettre effectivement des logements à disposition et de dégager des lieux.

    M. Charles Fournier

  • partager

    Ce ne sont pas elles qui peuvent réquisitionner, c’est le préfet !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    Comment se fait-il qu’on ait parfois plus de difficulté à trouver des logements dans des villes qui perdent des habitants que dans des villes qui en gagnent ? Il existe, sur le terrain, des disparités territoriales liées au fait que l’État n’a pas la maîtrise de l’urbanisme et de la construction, mais agit à travers des dispositifs de soutien.
    Vous insistez sur vos combats politiques. Ils sont la raison pour laquelle vous vous êtes engagée et pour laquelle vous avez été élue, que ce soit en vue de déposer des amendements ou pour obtenir des votes qui vous conviennent.

    Mme Marie-Charlotte Garin

  • partager

    Pour servir l’intérêt général, surtout !

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    D’autres combats ont été menés, par des tenants d’autres lignes politiques. Au bout du compte, les 10 000 places que vous avez appelées de vos vœux, au lieu d’avoir été annoncées et créées au 31 décembre, l’ont été le 8 janvier. Des débats, des luttes d’influence, des combats se sont poursuivis pour faire en sorte que ces créations de place, dont la nécessité était pointée par beaucoup – pas seulement dans l’hémicycle –, deviennent une réalité. Nous sommes en train de le faire. Au lieu de procéder de manière verticale, en prétendant décider nous-mêmes des endroits où ces places seront ouvertes, nous tendons la main aux collectivités, en les invitant à proposer rapidement les dispositifs de partenariat qui permettront d’assurer ces intermédiations locatives, ces accès aux logements et ces hébergements d’urgence, et en faisant en sorte que la localisation des places ainsi créées soit adaptée aux réalités territoriales, qui ne sont pas les mêmes partout.

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. William Martinet.

    M. William Martinet (LFI-NUPES)

  • partager

    Je vais tenter de profiter de ce moment d’échange pour vous poser des questions précises, auxquelles j’espère obtenir des réponses qui le seront tout autant.
    La première concerne le déblocage de 120 millions d’euros pour créer, entre autres, des places d’hébergement d’urgence : cette annonce signifie-t-elle que le verrou qui limitait jusqu’à présent à 203 000 le nombre de places disponibles, et sur lequel la précédente Première ministre, Élisabeth Borne, s’était arc-boutée, a sauté ? Pouvez-vous nous confirmer que le déblocage de moyens supplémentaires permettra de dépasser le plafond de 203 000 places d’hébergement d’urgence en France ?
    Deuxième question, toujours en lien avec le déblocage de nouveaux moyens : vous venez de faire une description très intéressante de la situation, évoquant des collectivités qui disposeraient de bâtiments susceptibles d’être utilisés pour créer des centres d’hébergement mais qui, pour certaines, refuseraient de mettre ces lieux à disposition. Comptez-vous utiliser le pouvoir que vous confère la loi pour réquisitionner ces bâtiments et, avec l’argent que vous avez déjà mobilisé, produire de nouveaux centres d’hébergement pour mettre des gens à l’abri ?
    Ma troisième question, très précise, concerne l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence. Si je comprends bien votre propos, l’article 19 ter A du texte issu de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à immigration ne changera rien, dans les faits, à la situation des personnes mises à l’abri après avoir composé le 115 : quelle que soit leur situation administrative, même si elles font l’objet d’une OQTF, elles pourront, si elles ont en besoin et sont en situation de détresse, être mises à l’abri. Cela signifierait qu’aucune consigne ne sera passée, nulle part dans le pays, pour dire aux SIAO que les personnes qui les sollicitent alors qu’elles sont en situation irrégulière ou font l’objet d’une OQTF ne doivent pas être mises à l’abri : ces situations ne se présenteront pas. Pouvez-vous me confirmer que tels sont bien votre lecture et l’engagement que vous prenez ?

    M. le président

  • partager

    La parole est à M. le ministre.

    M. Christophe Béchu, ministre

  • partager

    La réponse à votre première question est clairement « oui » : la décision prise par Élisabeth Borne – car c’est à elle que je veux rendre hommage, la mesure annoncée par Patrice Vergriete étant bien une des dernières décisions du gouvernement Borne – consiste bien à aller au-delà des 203 000 places d’hébergement existantes, puisque les 120 millions d’euros débloqués permettront de créer des places supplémentaires.
    S’agissant de l’inconditionnalité de l’hébergement d’urgence, l’article 19 ter A peut être sujet à interprétation, mais, quand je le lis et que je le compare avec la pratique déjà en vigueur, je constate que les événements susceptibles de mettre un terme à l’hébergement d’urgence sont soit l’accès à un logement – selon la logique du plan « logement d’abord » –, soit la mise en œuvre effective d’une expulsion liée à une OQTF. Que change l’article 19 ter A ? À mon sens, rien : il prévoit l’inconditionnalité de l’hébergement jusqu’à la mise en œuvre de l’OQTF. L’article est rédigé ainsi. Ma réponse, là aussi, va donc dans le sens que vous venez de décrire.
    Vous avez enfin demandé pourquoi nous n’avions pas recours aux réquisitions. Notre choix est double : il consiste, d’une part, à mobiliser une capacité exceptionnelle d’accueil, de l’ordre de 4 000 places à l’heure où nous parlons – une fois prises en compte les places supplémentaires ouvertes à la suite de décisions prises par les préfets en accord avec les élus locaux, qui ne sont pas incluses dans les chiffres du dispositif national d’accueil et de l’hébergement d’urgence que nous avons évoqués ce soir –, et, d’autre part, à investir de manière durable dans une offre d’accès au logement en considérant que l’hébergement d’urgence n’est pas une fin en soi, mais un sas dans lequel on doit rester le moins longtemps possible, d’où la priorité que nous donnons à la démarche « logement d’abord ».

    M. le président

  • partager

    Monsieur le ministre, chers collègues, je vous remercie. Le débat est clos.

    2. Ordre du jour de la prochaine séance

    M. le président

  • partager

    Prochaine séance, demain, à neuf heures :
    Discussion de la proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement instituée par la loi no 2021-1031 du 4 août 2021 ;
    Discussion de la proposition de loi visant à la généralisation du contrat à durée indéterminée à des fins d’employabilité ;
    Discussion de la proposition de résolution appelant à accentuer les efforts pour favoriser l’accès de tous au logement, en application de l’article 34-1 de la Constitution ;
    Discussion de la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille.
    La séance est levée.

    (La séance est levée à vingt-trois heures quarante.)

    Le directeur des comptes rendus
    Serge Ezdra