Fabrication de la liasse
Retiré
(mercredi 23 octobre 2024)
Photo de monsieur le député Philippe Brun

I. – Après le premier alinéa du 1 de l’article 150‑0 D du code général des impôts, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :

« En cas de transmission à titre gratuit de valeurs mobilières, titres ou droits sociaux, la plus-value latente est constatée à la date de la transmission. Dans ce cas, sous réserve d’acceptation des actifs par l’héritier ou le donataire, la plus-value est calculée et déclarée, et l’imposition à titre gratuit est due à la date de la transmission.

« Le donateur ou l’héritier peut toutefois opter pour le sursis de l’imposition de cette plus-value jusqu’à la revente desdits actifs. Dans ce cas, la plus-value est calculée et déclarée au moment de la cession à titre onéreux par le donataire ou l’héritier, et le prix d’acquisition des valeurs, titres ou droits à retenir est le prix ou la valeur d’acquisition par le premier donateur, ou si elle est inférieure, la valeur retenue pour la détermination des droits de mutation au moment de la première donation ou du premier don manuel. Son imposition est alors due à la cession à titre onéreux par le donataire ou l’héritier.

« En cas de sursis, le montant versé au titre de l’imposition de la plus-value est calculé de telle sorte que le montant total dû au titre des droits de mutation à titre gratuit et de l’imposition de la plus-value latente sur la part de la plus-value entre la date d’achat du titre et la date de transmission à titre gratuit ne soit pas supérieur au total de l’imposition qui aurait été payé en appliquant à l’assiette des droits de mutation à titre gratuit dus au moment de la transmission un abattement équivalent au prélèvement forfaitaire unique sur la plus-value latente alors constatée. »

« Le montant versé au titre de l’imposition de la plus-value réalisée entre la date transmission à titre gratuit et la revente par le donataire ou héritier n’est pas concerné par le plafonnement mentionné au précédent alinéa. »

II. – Les dispositions du I sont applicables aux donations et successions intervenant à compter du 1er janvier 2025.

Exposé sommaire

Cet amendement vise à instaurer un mécanisme de sursis d'imposition pour les plus-values latentes lors des transmissions à titre gratuit, permettant ainsi de remédier aux inefficiences actuelles tout en respectant les principes posés par le Conseil constitutionnel. Il s’agit d’un amendement de repli par rapport aux amendements prévoyant un report d’imposition ou un report ou sursis d’imposition, à la main de l’héritier ou du donataire, plus sûrs sur le plan constitutionnel.

 

Comme le relève le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur la progressivité de l’imposition des revenus des personnes physiques paru ce 14 octobre 2024[1], seuls les foyers fiscaux à hauts revenus sont en mesure de conserver d’importantes plus-values latentes à des fins d’optimisation fiscale, tandis que les ménages moins aisés doivent souvent liquider leur épargne pour financer leurs dépenses courantes, ce qui entraîne la taxation de ces revenus. Cette situation crée aussi une asymétrie fiscale entre les bénéfices distribués et non distribués, sans justification économique claire. Une estimation menée sur les transmissions des ménages américains avec les patrimoines les plus élevés montre que la part des plus-values latentes atteindrait en moyenne jusqu’à 44% du patrimoine transmis[2].

 

Par ailleurs, cette exonération constitue une perte importante pour les finances publiques. Bien qu’aucune évaluation n’ait été réalisée en France, des études menées aux États-Unis — où seule la transmission après décès efface les plus-values — estiment le coût de cette mesure à 39 milliards de dollars pour 2019. En extrapolant ces données, Hannezo (2022) a évalué une perte d’environ 2 milliards d’euros pour la France.

 

Enfin, en dissuadant la réalisation de plus-values de leur vivant, la « purge » des plus-values latentes incite à la rétention d’actifs, ce qui va à l’encontre d’une allocation optimale du capital. Pour remédier à ces inefficiences, l’article 19 de la 3ème loi de finances rectificative pour 2012 prévoyait une exception à la purge en cas de donation de valeurs mobilières suivie d’une revente dans les 18 mois, imposant la plus-value lors de cette revente. Cependant, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition sur la base de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, arguant que cette imposition supplémentaire reposait sur les donataires pour des gains réalisés par les donateurs, ce qui ne constituait pas juridiquement un enrichissement propre au donataire.

 

Une approche valide du point de vue constitutionnel consisterait à assimiler, du point de vue fiscal, cession à titre gratuit et cession à titre onéreux. En d’autres termes, la cession à titre gratuit (donation ou succession) serait considérée comme un fait générateur d’impôt, ouvrant la possibilité d’une taxation de la plus-value ainsi constatée. Pour une donation, la plus-value serait directement taxable entre les mains du donateur, ou entre les mains du donataire. Dans ce cas, la taxation serait alors assortie d’une option de sursis d’imposition, à la main du donataire, et non d’un report afin d’éviter qu’il soit imposé si la valeur de son action au moment de la revente par le donataire ou l’héritier est inférieure à la valeur au moment de la cession ou donation. Par extension, la transmission suite à un décès se traduirait, sous réserve d’acceptation des actifs par l’héritier, par un transfert automatique de la charge fiscale, assortie d’un sursis d’imposition jusqu’à la cession desdits actifs.

 

Ce mécanisme de sursis ne constitue en aucun cas une « double peine » pour le donataire, mais permettrait de rétablir l’égalité de traitement entre les foyers fiscaux présentant des niveaux de revenus élevés, qui ont la capacité de conserver d’importantes plus-values latentes dans l’optique de les céder à des fins d’optimisation, et les foyers fiscaux moins aisés, qui ont besoin de liquider régulièrement leur épargne sous forme de revenu imposable afin de financer les dépenses de leur vie quotidienne. Le troisième alinéa de l’amendement permet de prévenir tout risque d’imposition plus élevée en cas de sursis d’imposition par rapport à ce qui aurait été payé en cas de revente avant la donation. Le cas type calculé par le Conseil des prélèvements obligatoires et présenté ci-dessous illustre bien l’inégalité à laquelle cet amendement permet de remédier :

 

Exemple du mécanisme de « purge » des plus-values latentes

 

Un contribuable A achète des actions pour un montant de 1,5 M€ et les cède en donation ou bien à son décès à son enfant B. Lors de la transmission, la valeur de marché du bien est de 2 M€, soit une plus-value latente de 500 000 €.

 

L’enfant héritier B paiera des DMTG sur la valeur à date des titres, c’est à dire 2 M€ (soit 617 394 €[3]) et aura donc bénéficié d’une succession de 1 382 606 € nets de DMTG (dans le cas d’une succession). Si le donataire revend l’actif au prix de marché immédiatement après la transmission, il ne paiera pas d’impôt sur la plus-value.

 

Cette situation est plus avantageuse que celle dans laquelle le contribuable A vend son actif et transmet le produit de la vente à son décès à son héritier B : A serait alors imposé au PFU sur la plus-value effectuée depuis l’acquisition du bien (150 000 € pour une plus-value de 500 000 € imposée au PFU), et son héritier B paierait des DMTG sur 1,85 M€ transmis (soit 552 678 €), il recevrait donc 1 297 322 € nets de DMTG.

 

La « purge » des plus-values latentes permet donc au bénéficiaire d’économiser 85 284 € dans le cas étudié. Cette économie s’accroît avec la valeur de la plus-value « purgée » (ainsi, si la plus-value latente avait été de 1 M€, le bénéficiaire aurait fait une économie de 175 284 €).



[1] Conseil des prélèvements obligatoires, La progressivité de l’imposition des revenus des personnes physiques, octobre 2024. [En ligne : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-10/20241014-Note-Conforter-egalite-des-citoyens-devant-imposition-des-revenus-rapport-particulier2.pdf]

[2] U.S. Department of Treasury, Office of Tax Analysis, « Tax expenditure for exclusion of capital gains at death », 2014, p. 10.

[3] Cas d’une succession en ligne directe, après abattement de 100 000 euros. Montant obtenu à l’aide du Simulateur de calcul des droits de succession (Simulateur) | service-public.fr