Fabrication de la liasse

Amendement n°II-866

Déposé le jeudi 31 octobre 2024
En traitement
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Photo de monsieur le député Hendrik Davi
Photo de monsieur le député Emmanuel Duplessy
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Photo de monsieur le député Boris Tavernier
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Photo de madame la députée Dominique Voynet

Sous réserve de son traitement par les services de l'Assemblée nationale et de sa recevabilité

Modifier ainsi les autorisations d'engagement et les crédits de paiement :

(en euros)
Programmes+-
Infrastructures et services de transports040 000 000
Affaires maritimes, pêche et aquaculture00
Paysages, eau et biodiversité00
Expertise, information géographique et météorologie00
Prévention des risques00
Énergie, climat et après-mines00
Service public de l'énergie00
Conduite et pilotage des politiques de l'écologie, du développement et de la mobilité durables00
Fonds d'accélération de la transition écologique dans les territoires00
Sûreté nucléaire et radioprotection00
Fonds pour la création d'une Autorité de Sécurité Industrielle(ligne nouvelle)40 000 0000
TOTAUX40 000 00040 000 000
SOLDE0
Exposé sommaire

L'objet de cet amendement est de financer la création d'une autorité de sécurité industrielle, chargée de protéger nos concitoyens des risques industriels.

 

« Fin 2018, 18 000 communes exposées aux risques technologiques sont recensées en France […]

Entre 1992 et 2017, près de 40 000 accidents technologiques sont survenus en France dans les installations industrielles, les élevages, lors de transport de matières dangereuses, sur des canalisations de gaz ou de matières dangereuses, sur des digues et barrages hydrauliques, dans les mines, dans les carrières et lors de l’utilisation du gaz ou d’appareils sous pression. Ces accidents technologiques peuvent conduire à des dommages nombreux et de niveaux de gravité multiples : conséquences humaines (décès ou blessés) dans 18 % des cas, économiques (69 %), sociales (29 %), environnementales (34 %). Entre 1992 et 2017, 16 % des accidents technologiques ont donné lieu à une pollution des eaux de surface ou des eaux souterraines, 9 % à une pollution atmosphérique, 5 % à une contamination des sols et 4 % ont porté atteinte à la faune ou à la flore sauvage ([1]) ».

En dépit du processus de désindustrialisation qui a marqué le pays depuis la deuxième moitié du XXe siècle, ces éléments rappellent le caractère systématique des risques de pollutions industrielles. Ils concernent 18 000 communes : une sur deux. Cela représente 40 000 accidents : plus de 4 par jour, depuis 25 ans.

L’omniprésence géographique de ce risque va de pair avec un cycle lancinant de grandes catastrophes industrielles sur notre territoire. Dès les commencements de l’ère industrielle, en 1794, l’explosion de la poudrerie de Grenelle a provoqué plus d’un millier de victimes parmi les ouvriers et les riverains, et causé des dégâts considérables. Plus récemment, l’accident de l’usine AZF et il y a quelques années celui de Lubrizol ont durablement marqué la mémoire de l’ensemble de nos concitoyen.nes. Le nombre d’accidents, et leur fréquence, parfois leur ampleur invitent nécessairement à s’organiser pour garantir la sécurité des installations industrielles, et ce, afin de prévenir les pollutions affectant la santé des populations humaines, l’environnement, et les biens des personnes.

Or de nombreuses forces politiques se montrent favorables à une réindustrialisation de notre pays. La logique est parfois économique (attirer en France un certain volume d’activité et de richesses), parfois sociale (garantir des emplois locaux pour toutes et tous), parfois écologique (produire localement, et surveiller les méthodes de production pour s’assurer de leur caractère relativement peu néfaste pour l’environnement). Ainsi :

– pendant la campagne présidentielle de 2022, les écologistes proposaient notamment que « L’État [prenne] en main la planification de filières industrielles indispensables à la transition
énergétique, […] notamment pour […] favoriser l’indépendance stratégique vis‑à‑vis des pays exportateurs de technologies et aligner la stratégie industrielle nationale avec les objectifs climatiques et sociaux ; relocaliser l’emploi sur le territoire national sur toute la chaîne de valeur ; relocaliser et contrôler les impacts environnementaux et les émissions de gaz à effet de serre des filières industrielles à l’intérieur du territoire national, pour limiter les émissions délocalisées à l’étranger ([2]) ».

– La NUPES proposait de « Créer une Agence pour la relocalisation dépendant du Conseil à la planification écologique, chargée de recenser les secteurs industriels indispensables sur le plan social et environnemental, et d’établir un plan de relocalisation adapté à chaque filière ou production stratégique identifiée ».

– Si l’approche est très différente dans ses modalités d’application, cette priorité est aussi affichée par le gouvernement, qui par le biais de son ministre de l’économie, des finances, de la souveraineté industrielle et numérique, a défendu un texte en ce sens en juillet 2023 en première lecture, à l’Assemblée nationale.

En tout état de cause, dans l’hypothèse où des politiques de réindustrialisation viendraient effectivement à être mises en œuvre, il apparaît nécessaire de les mener de concert avec d’autres, garantissant un haut niveau de protection des populations, de l’environnement, et des biens contre les risques de pollutions générées par ces installations industrielles. Une réindustrialisation sans garantie pourrait conduire à un renforcement des catastrophes industrielles, ainsi qu’à des pollutions diffuses : un contre‑sens pour tous les tenants d’une industrialisation « verte », écologique, à taille humaine.

À cet égard, le droit de l’environnement apparaît déjà assez largement développé. Malheureusement, il reste encore largement sous‑appliqué.

Pour pallier ce défaut, il est d’abord primordial de renforcer les moyens des administrations en charge de la prévention, du contrôle et des sanctions des pollutions industrielles, en particulier le corps des inspecteurs des installations classées. De nombreux postes devraient être créés ; des amendements ont déjà été portés en ce sens ([3]). Dans cette logique, une indexation sur l’inflation du montant des travaux des plans de prévention des risques technologiques, proposition législative n° 990 du député communiste M. Pierre Dharéville, mériterait d’être étudiée.

En complément, un second levier peut être mobilisé : tracer la voie d’une plus grande indépendance des administrations en charge de ces questions. L’indépendance en la matière se définit comme la situation d’un organe public auquel son statut assure la possibilité de prendre des décisions en toute liberté, et à l’abri de toute instruction et pression. Cette indépendance est une condition de possibilité de l’impartialité nécessaire pour la gestion amont ou aval de ces pollutions. Cette impartialité manque dans le domaine de l’environnement, où les gouvernants sont toujours tentés de faire primer les intérêts présents sur les intérêts des générations futures, ou les intérêts économiques sur les intérêts écologiques : après tout, ni les non‑humains, ni les générations futures ne votent.

Cette faille institutionnelle a des conséquences très concrètes, par exemple, en termes de sanction administrative. Pour l’heure, c’est le préfet qui supervise cette sanction, conduite par des services déconcentrés. Or le préfet est à la fois chargé de la protection des biens et des personnes, notamment contre les pollutions, et du développement économique local. Ce faisant, pris entre deux injonctions qui peuvent être contradictoires, il se montre généralement très conciliant avec les industriels, à l’origine de diverses pollutions. En 2019, sur l’ensemble des dossiers examinés, les préfets ont signé 3 053 arrêtés de mise en demeure mais ont pris seulement 605 sanctions administratives. De fait, il arrive que des mises en demeure soient reconduites régulièrement sans jamais aboutir à une sanction, alors même que des industriels ne respectent pas, des années durant, le droit en vigueur ([4]).

Ce processus a été largement décrit depuis des années par des sociologues comme MM. Pierre Lascoumes et Jean‑Pierre Le Bourhis, expliquant que « les inspecteurs des installations classées doivent agir sur le préfet afin qu’il prenne des décisions de mise en demeure formelle puis de sanction. Ils y échouent cependant malgré plusieurs renouvellements de leur hiérarchie. Ces échecs répétés sont la conséquence des importants contre‑feux dressés par l’industriel, qui sort systématiquement gagnant des confrontations ([5]) ». Il a depuis été corroboré par des juristes ([6]) et des associations ([7]), et mis en évidence par plusieurs travaux institutionnels ([8]).

Pourtant, les données à notre disposition montrent qu’une autre gouvernance permet une meilleure application du droit, et en l’occurrence, une meilleure application de la sanction environnementale. L’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, Autorité administrative indépendante (AAI) montre de réelles réussites à cet égard : les réponses administratives sont, en proportion, 7 fois plus nombreuses pour les nuisances aéroportuaires que pour la police de l’eau. Sur 599 dossiers examinés par le collège en 2021, 410 ont engendré des sanctions : près des deux tiers. Il s’agit donc moins de confier des décisions politiques au main d’experts que de garantir que les experts ne seront pas entravés dans l’application des normes choisies par les gouvernants eux‑mêmes.

Au‑delà de cette meilleure application du droit, l’indépendance d’une institution est à même de renforcer la confiance des citoyens envers leurs institutions et les sites industriels. Ceux‑ci seront moins amenés à douter des informations qui leur sont fournies, de l’impartialité des décisions qui concernent leurs territoires et ses acteurs. En cela, l’indépendance de l’autorité de contrôle et de sanction constitue une condition de possibilité de la réussite de toute réindustrialisation ; sans elle, les processus seront ralentis par une défiance alimentant de nombreux contentieux.

Enfin, la création d’une autorité administrative indépendante comblerait la mauvaise coordination entre l’action publique conduite par les parquets et les services administratifs. Comme l’explique France nature environnement, « Le bon fonctionnement des mécanismes de contrôle et de sanctions administratives est un préalable important de nombreuses incriminations pénales en matière d’environnement, qui sont très largement des incriminations non autonomes, en ce que leurs éléments constitutifs sont souvent liés au respect de procédure administratives voire à l’action de l’administration ». Dès lors, l’autorité judiciaire se trouve entravée dans l’exercice de son action, tant que l’indépendance de l’autorité administrative ne sera pas actée.

Ces arguments sont particulièrement valables s’agissant des industries classées, puisque l’Autorité de sécurité nucléaire (ASN), chargée d’un type d’installation en particulier – les installations nucléaires de base (INB) –fonctionne sur ce modèle d’une part, et n’est pas contestée quant à son fonctionnement d’autre part, ni par la société civile, ni par les différents mouvements politiques.

Pour s’en convaincre, il convient de citer la ministre de l’écologie et du développement durable, Mme Nelly Olin, défendant la création de l’ASN en 2006, devant l’Assemblée nationale :

« Le deuxième objectif est de créer une haute autorité de sécurité nucléaire, chargée de contrôler la sûreté nucléaire et la radioprotection, et de participer à l’information du public dans ces domaines […] l’acceptation des activités nucléaires par le public repose notamment sur la confiance qu’il accorde au dispositif mis en place pour le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.

Actuellement, les services chargés de ce contrôle sont intégralement placés sous l’autorité du Gouvernement, ce qui suscite des interrogations chez certains de nos concitoyens. […]

Le Gouvernement a considéré qu’il fallait apporter une réponse sans ambiguïté à ces interrogations. C’est pourquoi il a inséré dans le projet de loi un nouveau titre qui donne le statut d’autorité administrative indépendante à la structure chargée, au sein de l’État, du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Il a également veillé à conserver les pouvoirs nécessaires à l’exercice de ses missions essentielles.

J’indique d’emblée que le Gouvernement n’a pas de doute sur la conformité du dispositif avec la Constitution. En effet, le Conseil d’État a été consulté, comme il se doit, sur la lettre rectificative et n’a pas soulevé d’objection. »

Ces arguments, opérants pour les INB, sont parfaitement transposables aux autres installations industrielles, qui présentent également des risques, en particulier les installations classées. Pour se convaincre de la légitimité de ce modèle institutionnel, les vives inquiétudes suscitées sur tous les bancs du Parlement par le projet de fusion entre l’ASN et l’IRSN au début de l’année 2023 ont montré que l’ensemble des représentants de la nation étaient attachés à l’indépendance de ces institutions, et les considéraient opérantes en tant que telles.

C’est la raison pour laquelle il est proposé de créer une Autorité administrative indépendante, appelée l’Autorité de sécurité industrielle (ASI).

Créer une autorité administrative indépendante en matière environnementale et renforcer l’indépendance en matière de sécurité des installations classées sont des idées défendues par plusieurs forces politiques, depuis des années :

– À la suite de l’incendie de l’usine Lubrizol en 2019, une commission d’enquête a été ouverte à l’Assemblée nationale pour faire la lumière sur les tenants et aboutissants de l’accident. Parmi les recommandations, on peut trouver celle de « Créer, un Bureau d’Enquête Accident « Risques industriels » (BEA‑R.I.) notamment chargé de conduire une enquête administrative indépendante après chaque accident majeur et selon des procédures d’analyse inspirées des BEA existant dans les transports. » Cette idée, portée par M. Christophe Bouillon, député socialiste, a été suivie par une proposition de loi (n° 3377) pour l’inscrire dans le droit, à l’initiative de M. Damien Adam, député La République en Marche.

– À la suite d’une recommandation de la Convention citoyenne pour le climat, il avait été proposé de créer une Autorité administrative indépendante en charge de la bonne application du droit de l’environnement et de l’évaluation environnementale des politiques publiques. Cette préconisation a été suivie par Mme Cécile Muschotti, députée La République en Marche, dans un rapport dédié en 2021, puis par le député socialiste M. Gérard Leseul à l’occasion de la niche du groupe socialiste en 2023 dans une proposition de loi constitutionnelle visant à créer un Défenseur de l’environnement (n° 608).

– Elle fait consensus au sein des forces de gauche, qui défendent dans le programme commun de la NUPES l’importance de « Gérer les risques industriels avec la création d’une autorité de sécurité indépendante des risques industriels ».

– Ces propositions ont pris corps dans des amendements au projet de loi Industrie Verte : des écologistes par la voix de Lisa Belluco ([9]) ; et de la France Insoumise par celle de Matthias Tavel ([10]).

- Une proposition de loi du groupe Socialistes et apparentés visant à renforcer le contrôle et la sécurité des sites industriels vient d’être déposée : « pour une meilleure maîtrise du risque et une totale transparence à l’égard de la population ».

- La proposition de loi n°1826 de Lisa Belluco propose la création, sur le modèle de l'ASN, d'une autorité de sécurité industrielle.

 

Au‑delà de ces propositions politiques, plusieurs rapports institutionnels concluent également sur l’opportunité de créer une Autorité administrative indépendante sur les questions environnementales, pour les raisons énoncées :

– Le rapport présidé par M. François Molins préconise ainsi « la création d’une autorité administrative indépendante, dont les missions seraient inspirées de l’agence française anti‑corruption (« AFA »), pour assurer notamment le suivi des sanctions de mise en conformité de la convention judiciaire d’intérêt public. En outre, cette autorité pourrait produire des normes non contraignantes, à savoir des lignes directrices pour renforcer la prévention en amont et créer des critères unifiés de mise en conformité ».

– Le rapport sur la justice et l’environnement allait plus loin encore en 2019, en proposant de « créer une autorité indépendante garante de la défense des biens communs dans l’intérêt des générations futures, pouvant agir sur saisine citoyenne, et disposant d’un pouvoir d’avis, de recommandation et d’injonction, y compris en urgence et chargée de garantir la qualité, la transparence et l’impartialité de l’expertise environnementale ainsi que l’information délivrée au citoyen ».

 

L'objet de cet amendement est de financer la création d'une telle autorité de sécurité industrielle. Pour ce faire, l'amendement se calque sur la proposition similaire en Commission du Développement Durable de Gérard Leseul, lequel, afin d’assurer la recevabilité de son amendement :

- ponctionne 40 millions d'euros en AE et CP sur l’action 41« ferroviaire » du programme 203 « Infrastructures et services de transports » ;

- abonde du même montant le nouveau programme « Fonds pour la création d’une autorité de sécurité industrielle ».

Le but de notre groupe n’est pas de diminuer le soutien de l’État en faveur du ferroviaire mais les règles de recevabilité budgétaire obligent à ce gage. En conséquence, nous demandons au Gouvernement de lever le gage.