- Texte visé : Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, modifié par le Sénat, n° 2141
- Stade de lecture : Nouvelle lecture
- Examiné par : Assemblée nationale (séance publique)
Après l’alinéa 9, insérer l’alinéa suivant :
« En 2026, les établissements privés de santé autorisés en psychiatrie participent aux urgences psychiatriques. »
Cet amendement du groupe de travail transpartisan sur la santé mentale vise à prévoir la participation des établissements privés aux urgences psychiatriques.
Cet amendement est issu de la proposition de loi dudit groupe de travail transpartisan disponible sur ce lien : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/mesures_urgence_sante_mentale_17e
Il part d’un constat aussi simple qu’alarmant : l’état de santé mentale de la population française connaît une grave détérioration.
En effet, selon les dernières données de Santé publique France de novembre 2023 :
– 7 Français sur 10 déclarent des problèmes de sommeil au cours des 8 derniers jours ;
– Plus de 2 Français sur 10 présentent un état anxieux ;
– 1 Français sur 10 a eu des pensées suicidaires au cours de l’année.
Ces indicateurs sont en nette dégradation, que la comparaison soit réalisée avant, pendant, après l’épidémie de covid-19.
Cette dégradation de l’état de santé mentale est particulièrement forte chez les populations les plus jeunes.
Alors qu’il y a 10 ans, être jeune était un facteur de protection de la dépression, c’est devenu depuis un facteur de risque ; la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du Ministère de la Santé (DREES) parle de « phénomène épidémiologique rare ». En effet, les chiffres interpellent : en 2017, les épisodes dépressifs concernaient 11,7 % des adultes âgés de 18 à 24 ans. 4 ans plus tard, cette proportion a quasi-doublé (20,8 %).
Les indicateurs sont encore plus préoccupants s’agissant des jeunes qui n’ont pas atteint la majorité :
– 13 % des jeunes âgés de 6 à 11 ans présentent un « trouble probable de santé mentale » ;
– 21 % des collégiens et 27 % des lycéens déclarent ressentir un sentiment de solitude ;
– 24 % des lycéens déclarent des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois, et 13 % ont déjà fait une tentative de suicide au cours de leur vie.
Parmi les jeunes, la dégradation de l’état de santé mentale des jeunes filles est particulièrement alarmante : la proportion de jeunes filles âgées de 10 à 19 ans hospitalisées suite à une tentative de suicide a doublé entre 2012 et 2020 puis a de nouveau doublé entre 2020 et 2022.
En parallèle, la dégradation de l’état de santé mentale de la population française touche également le monde du travail.
Ainsi, fin 2023, près d’1 salarié sur 2 serait touché par la détresse psychologique, dont presque 1 sur 5 de manière très élevée. Ce sont ainsi « sept employés sur dix qui associent leurs troubles psychiques au travail, à leur direction générale ou à une charge de travail intenable ». L’épuisement professionnel (burn-out) serait plus particulièrement en train de devenir une véritable épidémie : en France, 2 400 000 personnes seraient ainsi en risque de burn-out sévère. Le harcèlement est également une cause majeure de dégradation de l’état de santé mentale des travailleurs, et en particulier des travailleuses : 1 femme sur 2 a subi du harcèlement sexuel au travail.
Plus largement, les troubles de santé mentale touchent toute la population, et ce tout au long de la vie :
– Entre une personne sur cinq et une personne sur trois est concernée par un trouble psychique au cours de sa vie en France ;
– Plus de 2 millions de Françaises et Français sont pris en charge par les services psychiatriques par an ;
– Les troubles liés à la santé mentale représentent la première source d’arrêt de travail prolongé et 1 motif sur 4 d’invalidité en France.
Face à cette dégradation de l’état de santé mentale, nous ne sommes pas égaux : les personnes se situant dans les premiers déciles de revenus ont entre 1,5 et 3 fois plus de risque de souffrir de dépression, d’anxiété ou de problèmes de santé mentale que les personnes les plus riches.
Cette dégradation de l’état de santé mentale se traduit par un recours accru aux soins, notamment ceux psychiatriques. Comme l’ont constaté nos collègues Mmes Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau, en seulement 4 ans, le nombre de passages aux urgences pour motif psychiatriques a augmenté de plus de 20 %.
La conséquence de cette demande accrue sans offre suffisante est le rallongement des délais nécessaires à l’obtention d’un rendez-vous. Pour une première consultation en Centre médico-psychologique (CMP), ce délai varie entre 2 et 4 mois pour l’adulte, et entre 8 mois et 1 an pour l’infanto-juvénile ; ce qui est excessivement long.
*
Ces chiffres alarmants ne sont que le symptôme de la crise plus profonde que connaît notre système de santé mentale.
Cette crise s’explique par une pénurie de personnels alimentée par le manque de reconnaissance et de valorisation des métiers de la santé mentale, une inégale répartition de ces professionnels sur le territoire, un mode historique de financement de la psychiatrie qui a conduit à un sous-financement chronique, etc.
Cette crise a les impacts sanitaires et sociaux décrits supra.
Moins connus sont ses impacts économiques, qui sont pourtant très élevés : le coût total pour la société des troubles liés à la santé mentale était estimé pour l’année 2018 à 163 milliards d’euros, soit environ 5 % de la richesse produite par an en France.
*
Derrière les chiffres alarmants cités et cette crise profonde, il y a des personnes qui souffrent, pour qui il est urgent d’agir.
Les acteurs de notre système de santé mentale ont lancé diverses initiatives pour répondre à ces besoins de la population.
Tel est le cas de la feuille de route « Santé mentale et psychiatrie » présentée en juin 2018, qui, depuis le Ségur de la Santé de juillet 2020 et les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie de septembre 2021 comportent 50 actions. Ces dernières portent sur des sujets aussi divers que la prévention et le repérage de la souffrance psychique, la coordination des parcours de soins, ou encore l’amélioration de la prise en charge des personnes en situation de handicap psychique. Leur mise en œuvre est suivie par le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie (DMSMP), le professeur Frank Bellivier.
Tel est le cas également du dispositif « VigilanS » qui se propose de maintenir le contact avec l’auteur d’une tentative de suicide ou encore du numéro national de prévention du suicide « 3114 » lancé en octobre 2021, de la feuille de route spécifique à destination de la santé mentale des personnes placées sous main de justice (PPSMJ) ou du dispositif « Mon soutien psy » créé par la loi en 2022, réformé en juin 2024, qui prévoit le remboursement d’un nombre limité de séances (jusqu’à 12) chez le psychologue.
*
Toutefois, face à la gravité de la crise, nous estimons qu’une nouvelle étape est nécessaire.
C’est la raison pour laquelle les députées et députés signataires de la proposition de loi mentionné supra ont créé à l’automne 2024 un groupe de travail transpartisan rassemblant des députées et députés issus de plusieurs groupes politiques.
Nous avons en effet la conviction que, sur ce sujet essentiel pour le quotidien des Françaises et Français, il nous faut dépasser les clivages partisans et nous réunir sur l’essentiel : protéger la santé des Françaises et Français.
Depuis l’automne 2024, dans différents espaces de travail, nous avons ainsi auditionné de nombreux acteurs et débattu de priorités à traiter.
Cette proposition de loi est le fruit de ce travail.
Nous avons conscience qu’elle est une première étape, qui nécessitera un texte plus ambitieux.
*
Dans le cadre du PLFSS pour 2026, les députées et députés membres du groupe de travail transpartisan portent ensemble leurs propositions.
Cet amendement propose ainsi de prévoir la participation des établissements privés aux urgences psychiatriques.
L’objectif de cette mesure est de “désengorger” les établissements publics et d’augmenter l’offre de prise en charge.
Il pourra prendre deux formes : soit l’organisation d’un accueil d’urgence, soit la participation aux listes de garde des services d’urgence du territoire.
Il est proposé que les Agences Régionales de santé, en lien avec les acteurs locaux, pilotent la mise en œuvre de cet article.
Tel est l'objet du présent amendement.
Naturellement, cet amendement ne remet pas en cause l’organisation de la psychiatrie en secteur.