Première séance du mercredi 19 février 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Modification de l’ordre du jour
- 2. Questions au gouvernement
- 3. Motion de censure
- Mme Ayda Hadizadeh
- M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
- Mme Virginie Duby-Muller (DR)
- Mme Marie Pochon (EcoS)
- M. Marc Fesneau (Dem)
- M. Sylvain Berrios (HOR)
- Mme Constance de Pélichy (LIOT)
- Mme Soumya Bourouaha (GDR)
- M. Maxime Michelet (UDR)
- Présidence de Mme Clémence Guetté
- M. Kévin Pfeffer (RN)
- M. Stéphane Vojetta (EPR)
- M. Bastien Lachaud (LFI-NFP)
- M. Philippe Bonnecarrère (NI)
- Suspension et reprise de la séance
- 4. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures.)
1. Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente
J’ai reçu du ministre chargé des relations avec le Parlement une lettre m’informant que la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture est inscrite à l’ordre du jour aujourd’hui à vingt et une heures trente.
2. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Microcrèches
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Mazaury.
M. Laurent Mazaury
Madame la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, j’ai été alerté dans ma circonscription par de nombreux acteurs de microcrèches à propos d’un décret en cours d’élaboration qui pourrait être préjudiciable à ces structures, mais également à tous les parents qui y ont recours. En réponse à une question au gouvernement à ce sujet, vous avez affirmé que ce décret ne concernerait que les recrutements opérés à partir du 1er janvier 2026, alors que dans votre courrier du 6 février, il était question du 1er septembre, afin de laisser aux structures le temps de s’organiser.
Ce secteur fait déjà face à une pénurie sévère de personnels ; l’urgence est donc d’en former davantage. Les inquiétudes portent par ailleurs sur la reconnaissance de l’expérience des professionnels déjà en fonction, notamment les titulaires d’un CAP petite enfance, ainsi que sur les temps de direction, dont l’augmentation ne serait pas supportable sur le plan économique et serait donc préjudiciable aux enfants.
Votre projet poursuit à n’en point douter un objectif noble et indiscutable : il est impératif que la qualité de l’encadrement des enfants soit au rendez-vous : il y va de leur bien-être, de leur avenir et, par conséquent, du nôtre. Rappelons toutefois que la majeure partie des crèches privées sont de petites structures, qui doivent garantir la qualité de vie et l’épanouissement des enfants. Nos offres municipales ne sauraient se passer de leur présence au service de nos concitoyens.
Enfin, le défaut de concertation a été décrié par les acteurs des microcrèches que j’ai rencontrés. Le manque évident de communication entre toutes les parties est particulièrement regrettable ; vous-même affirmiez dans votre courrier du 6 février que le Parlement devait disposer d’une vision claire de ce que prévoient ou ne prévoient pas les projets de décrets.
Ma question est donc la suivante : quelles sont les actions prévues pour former urgemment des professionnels afin de faire face à la pénurie actuelle, mais également pour qu’ils répondent aux nouvelles règles qui pourraient s’appliquer dès le 1er janvier ou le 1er septembre ? Par ailleurs, comment revaloriser l’expérience des professionnels qui encadrent déjà nos enfants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT. – Mmes Valérie Rossi et Marina Ferrari applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles
Je vous remercie de revenir sur ce sujet très important. Nous n’avons rien de plus précieux à confier que nos enfants ; l’ensemble de la représentation nationale ne peut que s’accorder sur ce point. Lorsque j’ai été interrogée précédemment dans le cadre des questions au gouvernement, j’ai répondu qu’un décret était en cours de rédaction. Ce décret qui va incessamment revenir du Conseil d’État, fixe pour les microcrèches des normes d’encadrement semblables à celles qui s’appliquent aux petites crèches. En effet, les enjeux sont les mêmes : encadrer la capacité d’accueil des structures et le nombre de professionnels qui accompagnent les enfants.
Évidemment, le gouvernement ne s’est pas levé un beau matin en se disant qu’il allait prendre un décret sur les microcrèches. Ce dernier a pour origine un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2023 ainsi qu’un rapport de l’Igas et de l’Inspection générale des finances de 2024 – je passe sur plusieurs ouvrages, notamment Les Ogres, relatifs à la situation dans les microcrèches.
M. Sylvain Maillard
Elle a raison !
Mme Catherine Vautrin, ministre
On ne peut pas d’un côté demander des rapports et constater des dysfonctionnements, et de l’autre ne pas apporter de réponses adaptées. J’ai rencontré il y a deux semaines les équipes du comité de filière petite enfance et sa présidente Élisabeth Laithier. J’ai réaffirmé la position du gouvernement, en présence de tous ses membres, y compris la représentante des microcrèches : nous souhaitons renforcer l’encadrement des enfants et la formation des personnels.
J’insiste sur ce dernier point : chaque structure peut proposer à ses salariés de préparer une validation des acquis de l’expérience ou de suivre une formation, par exemple accompagner les titulaires d’un CAP dans leur progression de carrière. C’est une responsabilité sociétale que chacun aura à cœur d’exercer. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – Mme Sophie Mette applaudit également.)
Place de l’Europe dans les négociations sur l’Ukraine
Mme la présidente
La parole est à Mme Béatrice Piron.
Mme Béatrice Piron
« L’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises. » Ces mots de Jean Monnet résonnent avec une intensité particulière. Lundi prochain, cela fera trois ans que l’Ukraine lutte avec une détermination inébranlable pour sa liberté et son intégrité territoriale. Face à l’agression russe, l’Europe s’est mobilisée, mais aujourd’hui, alors que des pourparlers ont lieu entre les États-Unis et la Russie, une question fondamentale se pose : où est-elle ?
Nous ne pouvons être de simples spectateurs. Notre souveraineté, notre sécurité et notre avenir sont directement en jeu. La paix ne peut être négociée sans les Européens, car c’est notre stabilité et nos valeurs qui sont remises en cause. La France a une responsabilité historique : nous devons exiger que l’Europe ait un siège à la table des négociations. Nous devons affirmer haut et fort que la paix ne se construira pas sur un compromis dicté par d’autres, mais sur des garanties de sécurité durable, protégeant l’intégrité de l’Ukraine et de ses frontières.
Enfin, l’Europe doit aller plus loin. Nous avons besoin d’une autonomie stratégique forte, ce qui passe par une défense européenne crédible. C’est une question de réalisme, de responsabilité, et surtout de souveraineté.
Par conséquent, quelles démarches concrètes la France entreprend-elle afin d’assurer une pleine participation de l’Union européenne aux pourparlers de paix ? Et quelle initiative comptez-vous promouvoir auprès de nos partenaires pour que l’Europe se dote des moyens de garantir la sécurité de l’Ukraine sur le long terme ?
L’histoire jugera ceux qui auront choisi de peser et de faire preuve de fermeté, et ceux qui auront regardé. Soyons du bon côté de l’histoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Je vous remercie d’avoir cité Jean Monnet. L’Europe traverse un moment charnière de son histoire. M. le premier ministre l’a rappelé hier : elle fait face à une menace existentielle. La Russie d’aujourd’hui n’est pas celle qu’a connue le président Chirac ou même le président Hollande ni celle d’il y a cinq ou dix ans. Elle consacre 10 % de sa richesse nationale et 40 % de son budget à son industrie de défense. Elle produit autant d’équipements militaires que toute l’Europe réunie.
Trois ans après le début de sa guerre d’agression, la Russie continue de pilonner l’Ukraine parce qu’il y a onze ans, le peuple ukrainien a voulu suivre son aspiration européenne et qu’elle a décidé de l’en empêcher. Si nous nous mobilisons depuis trois ans aux côtés des Ukrainiennes et des Ukrainiens, c’est aussi parce que la Russie agresse la France ainsi que plusieurs de ses alliés européens.
Elle l’a fait en Roumanie en perturbant les élections présidentielles, ce qui a conduit à leur annulation ; en Pologne, en instrumentalisant les migrations pour perturber la vie politique nationale ; en mer Baltique, en sectionnant ou en faisant sectionner des câbles sous-marins (« Non ! » sur quelques bancs du groupe RN) ; en France, en menant des attaques cyber et informationnelles – nous avons tous entendu parlé des étoiles de David, des mains rouges, des cercueils, et cetera, et cetera.
C’est pourquoi, dans ce moment, nous avons besoin que l’Europe se réveille et se tienne aux côtés des Ukrainiennes et des Ukrainiens pour obtenir une paix durable, et non un simple cessez-le-feu que la Russie violerait comme elle l’a fait ces dernières années. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs des groupes Dem et SOC. – M. Damien Girard applaudit aussi.)
Airbags Takata
Mme la présidente
La parole est à Mme Karine Lebon.
Mme Karine Lebon
Comment ce qui est censé vous protéger peut-il en réalité vous tuer ? Les victimes du scandale industriel des airbags Takata et leurs familles attendent la réponse à cette question. Des vies brisées, des visages déchiquetés : telle est la réalité des conséquences de l’explosion de ces airbags meurtriers. Depuis dix ans, les constructeurs savaient mais rien n’a été fait. La frilosité de l’État face à l’urgence de prendre des mesures fortes n’a fait que contribuer à l’inaction des industriels automobiles.
Il aura fallu attendre qu’il y ait au moins dix-sept morts, dont seize dans les outre-mer, pour que des injonctions soient prises. Il aura fallu attendre la mise en lumière médiatique de l’inaction des autorités pour que des listes de véhicules soient enfin réclamées aux constructeurs. Le dispositif de stop drive qui a pris de l’ampleur ces derniers jours est une première étape. Mais aucune interdiction de circuler ne pourra être effective tant que l’État ne contraindra pas les constructeurs à prendre intégralement en charge les substitutions temporaires de véhicules et les modes de déplacement alternatifs.
À La Réunion, 10 % du parc automobile roulant est concerné par la campagne de rappel, soit près de 35 000 véhicules. L’absence de stock allonge le délai d’attente à quatre mois – quatre longs mois durant lesquels les Réunionnais n’auront d’autre choix que de se mettre en danger pour continuer de se déplacer. La stratégie de responsabilisation individuelle a ses limites.
Vous l’avez vous-même dit, monsieur le ministre chargé des transports : « Plus jamais ça ». Les paroles meurent, seuls les actes demeurent. Nous allons donc vous aider. La campagne de rappel a connu des dysfonctionnements qu’il est de notre devoir de soulever. Ce sera l’objet de la commission d’enquête parlementaire que nous souhaitons créer ; j’invite mes collègues à nous rejoindre dans cette démarche. Nous devons collectivement tout mettre en œuvre pour qu’un tel scandale industriel ne se reproduise pas.
Au nom des victimes et de tous les automobilistes en danger de mort, quelles injonctions supplémentaires et quelles sanctions prendrez-vous à l’égard des industriels ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé des transports.
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports
Face à cette question importante pour nos concitoyens, plus particulièrement pour nos compatriotes des territoires ultramarins, je suis particulièrement mobilisé pour agir. J’ai d’ailleurs évoqué ce sujet lors de ma participation à la quatrième conférence internationale sur la sécurité routière hier au Maroc – c’est un sujet mondial.
S’agissant des actions menées, la première urgence était d’alerter sur la situation, ce que j’ai fait dès ma prise de fonctions. Un plan de communication a été lancé début janvier pour sensibiliser les populations. J’ai par ailleurs fortement pressé les constructeurs d’agir. Ils ont mené plusieurs actions. Tous les territoires ultramarins sont désormais très engagés. Les importateurs ont lancé des campagnes de stop drive. Nous devons maintenant voir ce que nous pouvons faire de plus. J’ai reçu à cet effet les avocats et les familles de victimes.
Je compte également vous recevoir très prochainement avec vos collègues ultramarins, pour agir ensemble en fonction des spécificités propres à chaque territoire et prendre des mesures supplémentaires afin d’améliorer les dispositifs déjà déployés.
S’agissant spécifiquement des sanctions de l’État auprès des constructeurs, rien n’est exclu : une telle procédure a d’ores et déjà été lancée envers l’un d’eux, qui a d’ailleurs rapidement réagi pour trouver une solution, et nous sommes prêts à approfondir ce sujet avec vous. En complément, nous nous efforçons d’améliorer le cadre réglementaire et législatif. À ce titre, j’ai lancé une mission d’inspection visant à trouver des leviers pour renforcer le pouvoir de l’État à l’égard des constructeurs. Il faut faire en sorte qu’une telle situation ne puisse plus jamais se reproduire : les airbags sont faits pour sauver, pas pour tuer.
Rôle de la France dans le soutien à l’Ukraine
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Trébuchet.
M. Vincent Trébuchet
« Guerre en Ukraine : l’Union européenne se met en ordre de bataille pour résister à Donald Trump et son accord de paix. » Voilà le titre orwellien de Libération au sujet du sommet organisé lundi à Paris par Emmanuel Macron, un sommet de façade, venu consacrer la division et l’impuissance de l’Europe.
Prenons un instant la mesure de la situation : hier, sur le sol saoudien, s’est décidé, sans les Européens, l’avenir de la plus grande guerre du continent depuis 1945. La France du général de Gaulle était à Yalta, l’Europe d’Emmanuel Macron n’est pas à la table des négociations, elle est au menu ! Avec Emmanuel Macron, la France ne s’est pas seulement effacée, elle s’est effondrée diplomatiquement.
Le groupe UDR réaffirme son soutien à l’Ukraine à la suite de l’agression inacceptable de la Russie. Il appelle à une résolution politique du conflit qui protège durablement le peuple ukrainien. Les Français sont solidaires mais ils ont trois inquiétudes majeures quant à l’action que vous menez.
Alors que, selon un sondage de l’institut Elabe, 83 % des Français sont opposés à l’envoi de troupes en Ukraine, comment pouvez-vous leur garantir que votre stratégie d’escalade ne conduira pas à cette issue dramatique ? Alors que va s’ouvrir le Salon de l’agriculture, comment expliquez-vous à nos agriculteurs votre projet de résolution visant à accélérer l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, qui capterait toutes les aides de la politique agricole commune ? Alors que nos finances sont exsangues, comment justifiez-vous de continuer à envoyer des milliards sans aucune garantie de la bonne utilisation de cet argent et sans en faire un levier stratégique pour financer notre industrie ?
Monsieur le ministre des affaires étrangères, les Français ont droit à des réponses : ils veulent connaître votre plan pour les associer à vos décisions et pour faire de notre soutien à l’Ukraine un investissement stratégique au service de nos intérêts communs. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR et sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Jean-Paul Lecoq
Et au service de la paix, non ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
Rien qui concerne l’avenir de l’Ukraine et de l’Europe ne s’est décidé hier à Riyad, pour une bonne raison : seuls les Ukrainiens peuvent décider d’arrêter le combat. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.) Croyez-vous vraiment et sincèrement qu’après trois ans durant lesquels ils ont tout donné pour défendre l’intégrité de leur territoire, ils déposeraient les armes parce qu’une discussion a eu lieu en Arabie Saoudite ? Évidemment non ! (Mêmes mouvements.)
Vous affirmez soutenir le peuple ukrainien et je vous remercie de le faire…
M. Pieyre-Alexandre Anglade
C’est un mensonge, ils soutiennent la Russie !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
…mais c’est un soutien du bout des lèvres. Or si nous voulons une paix durable, si nous refusons un cessez-le-feu fragile, une pause transitoire qui permette à la Russie de se réarmer pour reprendre les hostilités quelques semaines ou quelques mois plus tard – comme elle l’a déjà fait dans le passé –, alors il nous faudra lui opposer de la résistance et de la force.
M. Julien Odoul
Face à l’Algérie aussi !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Je veux vous rassurer : personne n’a parlé, ni en France ni nulle part ailleurs dans le monde, d’envoyer aujourd’hui des troupes en Ukraine. (« Si ! » sur quelques bancs des groupes RN et UDR.) Lorsque le premier ministre britannique évoque l’envoi de troupes, il ne l’envisage que lorsque la paix aura été trouvée, de manière à la garantir et à la consolider. Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie ; c’est la Russie qui agresse l’Ukraine depuis trois ans et qui nous agresse. Pour que cela cesse, il faut faire preuve de force et non pas de faiblesse. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem. – Mme Fanny Dombre Coste applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Vincent Trébuchet.
M. Vincent Trébuchet
Nos agriculteurs n’ont pas obtenu de réponse de votre part. J’espère que vous les leur donnerez dans trois jours au Salon de l’agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR et sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Atos
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.
M. Jean-Philippe Tanguy
Avec l’accord total – hélas ! – des pouvoirs publics, une entreprise essentielle à notre souveraineté nationale est encore en train d’être démantelée et pillée au profit d’intérêts étrangers. Je veux parler bien sûr d’Atos. Surendettée, elle a été placée en octobre dernier, après le passage catastrophique du liquidateur en chef Thierry Breton, en procédure de sauvegarde – terme bien mal choisi, car il a été acté le transfert de 2 milliards d’euros d’actifs d’Atos dans une holding néerlandaise, détenue par des fonds vautours majoritairement étrangers, en particulier, comme par hasard, anglo-saxons. Leur intention est claire : vendre à la découpe, une nouvelle fois, un fleuron stratégique.
Depuis des mois, vous baladez la représentation nationale !
M. Olivier Marleix
Allez dire ça à Richard Ferrand, bravo pour votre abstention !
M. Jean-Philippe Tanguy
Les macronistes nous avaient promis que les bonnes fées du capitalisme français protégeraient Atos. En fait, vous avez lâché les rapaces ! Un temps évoquée par Bercy, la reprise par l’État des activités critiques d’Atos n’a jamais été étudiée. Si elle avait lieu aujourd’hui, elle ne ferait d’ailleurs qu’enrichir, sur le dos des Français, ces fonds rapaces qui détiennent désormais l’entreprise.
L’abandon est total. Le ministère des armées a préféré passer commande d’un supercalculateur à des Américains, plutôt qu’honorer un contrat français qui aurait aidé Atos. Les offres de reprise françaises, elles aussi, ont été rejetées dans un silence dédaigneux. Tout rappelle l’affaire Alstom, y compris le pillage effectué par l’oligarchie française. (Mme Christine Arrighi s’exclame.) En effet, nous avons appris, lors de la dernière assemblée générale d’Atos, que 800 millions d’euros ont été soutirés par les cabinets de conseil, les banques d’affaires et autres parasites parisiens depuis 2022.
M. Hervé de Lépinau
Quelle honte !
M. Jean-Philippe Tanguy
Monsieur le premier ministre, quand allez-vous reprendre en main personnellement ce dossier ? Voulez-vous sauver Atos, voulez-vous enfin sauver ne serait-ce qu’un seul fleuron industriel français ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Stéphane Peu
Et Richard Ferrand, c’est un fleuron industriel ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Julien Odoul
Et de l’absence de réponse !
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie
Nous avons déjà eu l’occasion de répondre à la représentation nationale à propos de la situation d’Atos et de la question plus générale de notre souveraineté industrielle.
M. Hervé de Lépinau
Non, vous ne répondez pas, c’est faux !
M. Marc Ferracci, ministre
S’agissant d’Atos, la reprise par l’État d’un certain nombre d’actifs stratégiques est en cours de discussion – je pense en particulier, vous l’avez évoqué, aux actifs que constituent les supercalculateurs. Dans le portefeuille d’activités d’Atos, toutes ne revêtent pas un caractère stratégique : il convient donc d’identifier ce qui relève véritablement de notre souveraineté industrielle. Vous évoquez l’hypothèse d’une vente à la découpe de l’entreprise par les actionnaires néerlandais qui participent à la reprise d’Atos.
M. Hervé de Lépinau
Pas seulement néerlandais !
M. Marc Ferracci, ministre
Le gouvernement a anticipé les risques d’une telle vente d’actifs qui menacerait notre souveraineté. Ainsi, une action de préférence a été introduite : elle permet à l’État d’avoir un droit de regard sur la vente des actifs stratégiques que les repreneurs pourraient envisager. Nous sommes et demeurerons sensibles et attachés à la préservation de nos intérêts stratégiques. Notre souveraineté industrielle ne se négocie pas, ne se brade pas et ne se vend certainement pas à la découpe. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. Jean Terlier
Très bien !
M. Hervé de Lépinau
Et les solutions de reprise françaises ? Vous avez noyé le poisson pour la dixième fois, c’est un scandale !
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy.
M. Jean-Philippe Tanguy
La souveraineté française ne s’exerce pas aux Pays-Bas. Croire que vous avez une solution nationale quand vous avez foutu (Exclamations sur quelques bancs des groupes EPR et Dem) 2 milliards d’euros d’actifs dans un paradis fiscal en marge de l’Union européenne, c’est se moquer de la représentation nationale et surtout des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Salon de l’agriculture
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M. Jean-René Cazeneuve
Le Salon de l’agriculture s’ouvre dans quelques jours. C’est un moment privilégié pour mettre en lumière le travail de nos agriculteurs. Je voudrais, au nom des députés Ensemble pour la République, saluer leur engagement et leur passion exceptionnels (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem) pour assurer la souveraineté alimentaire de notre pays, améliorer les pratiques agroenvironnementales et rendre nos campagnes plus belles.
Ces derniers mois, le monde agricole a exprimé avec force ses inquiétudes et ses attentes. Elles n’ont jamais été aussi justifiées, compte tenu des conséquences du dérèglement climatique, des aléas des prix du marché et de l’agribashing caricatural de certains. Je salue les réponses apportées par les gouvernements successifs depuis un an. Gabriel Attal, alors premier ministre, avait pris des engagements clairs face aux agriculteurs mobilisés. Aujourd’hui, ils sont tenus et vous les avez renforcés.
La loi de finances et la loi d’orientation agricole consacrent des avancées majeures concrètes qui répondent aux préoccupations de nos agriculteurs et redonnent confiance en la parole publique, s’agissant notamment du gazole non routier, de la transmission des exploitations, de la reconnaissance de l’agriculture comme intérêt général majeur pour notre pays, de la fiscalité sur les terres agricoles et de la protection des agriculteurs contre les recours abusifs.
Nos agriculteurs et viticulteurs peuvent être extrêmement fiers de la qualité de leur production. Le foie gras, par exemple, n’est non seulement pas interdit à l’Assemblée nationale, vitrine de nos terroirs comme le prétendent certains, mais il est une pépite de notre patrimoine gastronomique français. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.) Permettez-moi d’avoir une pensée amicale pour tous les producteurs gersois.
Mme Marie-Charlotte Garin
Oh là là !
M. Jean-René Cazeneuve
Madame la ministre de l’agriculture, comment le gouvernement entend-il poursuivre et renforcer son soutien à nos filières agricoles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
Et du foie gras, oui ! (Sourires.) Vous avez eu raison de saluer l’engagement des agriculteurs. Ils le méritent particulièrement à la veille du Salon international de l’agriculture. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.) Il n’est jamais inutile de rappeler le rôle essentiel qui est le leur, celui de nous nourrir, au prix d’un travail d’une terrible exigence que méconnaissent trop de gens, y compris quelquefois dans cette enceinte.
Le Salon est leur moment, il est aussi le nôtre, il est celui de tous les Français. Il se tient après une année 2024 qui a été terriblement éprouvante – nous l’avons souvent souligné. Tous les engagements que j’ai pris auprès d’eux et que mon prédécesseur Marc Fesneau avait pris avant moi sous l’autorité de Gabriel Attal (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem. – M. Thomas Cazenave applaudit également), ont été scrupuleusement honorés, qu’il s’agisse des allégements de charges sociales et fiscales, de l’indemnisation des pertes animales, du soutien à la trésorerie ou encore de la simplification que j’ai encouragée dès mon arrivée.
Vous évoquez aussi la loi d’orientation agricole. J’espère que nous serons tous au rendez-vous de la responsabilité pour l’adopter parce qu’elle contient beaucoup de dispositions très attendues par les agriculteurs. (Mme Dominique Voynet s’exclame.) Le Salon doit être l’occasion de marquer une étape d’avenir : réhabiliter l’acte de production, rappeler l’importance de la souveraineté alimentaire que nous devons reconquérir, continuer de simplifier la vie des paysans,…
Mme Danielle Brulebois
Très bien !
Mme Annie Genevard, ministre
…former de nouvelles générations – telles sont les lignes principales, exposées trop rapidement, que je veux développer au lendemain de ce salon. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-René Cazeneuve.
M. Jean-René Cazeneuve
Vous êtes attendue sur le stand Excellence Gers. Vous y serez bien reçue ! (Sourires. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
Nous y sommes tous attendus !
Crise du logement
Mme la présidente
La parole est à Mme Anaïs Belouassa-Cherifi.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Un collectif de quarante associations assigne l’État en justice pour « carence fautive » en matière de mal-logement : un énième recours face à votre inaction. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.) Alors qu’en 2017, le président de la République déclarait que « plus aucune personne ne dormira à la rue avant la fin de l’année », huit ans plus tard, la situation est dramatique. Pas moins de 350 000 personnes sont sans domicile, soit une hausse de 6 % en un an. Chaque nuit, 2 043 enfants dorment à la rue, faute de place au 115. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Marie Mesmeur
La honte !
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
À Lyon, où je suis élue, deux nourrissons âgés de cinq et onze jours ont été remis à la rue. Le constat est catastrophique. Vous avez oublié vos obligations, les faisant reposer sur les collectivités territoriales et les associations dont vous réduisez le budget et à qui vous imposez de hiérarchiser les vulnérabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS. – Mme Soumya Bourouaha applaudit également.) Énième désengagement de l’État !
Vous ne respectez pas la loi en matière de droit au logement. Alors que tous les acteurs associatifs s’accordent à dire qu’il faut construire des logements sociaux, encadrer les loyers et ouvrir des places d’hébergement d’urgence, vous ne faites rien. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Madame la ministre chargée du logement, derrière ces chiffres, ce sont des vies d’enfants, de femmes et d’hommes, brisées par l’expérience traumatisante de la rue. (Mêmes mouvements.) Le droit au logement est une question de dignité humaine. Loin des faux-semblants, elle devrait être votre priorité politique. Quels moyens allez-vous enfin déployer pour garantir le droit au logement ? Je vous le rappelle : un toit, c’est un droit ! (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent pour applaudir, de même que Mmes Marie-Charlotte Garin et Sandrine Runel. – Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre chargée du logement.
Mme Valérie Létard, ministre chargée du logement
Je vous remercie pour votre question, même si je contredirai certains de vos propos (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP) – pas en ce qui concerne les chiffres, qui sont indéniables. (Mêmes mouvements.) Je vous prie de me laisser m’exprimer.
Une chose est certaine : il est inacceptable qu’une personne soit à la rue. Les associations sont dans leur rôle, et il est légitime qu’elles se manifestent. (Mêmes mouvements.) Laissez-moi répondre !
Quant au gouvernement, son rôle est de pousser le plus loin possible son action pour être au rendez-vous de la lutte contre le sans-abrisme car nous partageons cette préoccupation.
Vous le savez, les crédits de l’hébergement d’urgence n’ont pas baissé dans le cadre du projet de loi de finances pour 2025 : les 203 000 places existantes ont été maintenues. En outre, 30 millions d’euros de crédits supplémentaires ont été votés en commission mixte paritaire avec l’accord de la ministre chargée des comptes publics, dont 20 millions dédiés aux femmes à la rue et aux enfants. Nous poursuivons donc cet effort ; il reste certes insuffisant, mais, dans un contexte où tous les crédits baissent, nous avons augmenté ceux qui vont au logement et à l’hébergement d’urgence ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem. – Mme Stéphanie Rist applaudit également. – Vives exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Comment aller plus loin ? Il faut créer des logements sociaux.
Mme Mathilde Panot
Cela fait sept ans que vous êtes au pouvoir !
Mme Valérie Létard, ministre
Dans le cadre de l’Anru 2 et d’une convention signée avec l’Union sociale pour l’habitat, 100 000 nouveaux agréments seront délivrés, 120 000 logements sociaux rénovés et 16 000 logements neufs créés. Un plan de lutte contre le sans-abrisme sera également mené (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP), en collaboration avec le ministère du travail et de la santé, pour aller plus loin, agir sur le parcours de ces personnes et trouver des solutions leur permettant de sortir de l’hébergement d’urgence.
Mme Mathilde Panot
Vous êtes irresponsables !
Mme Valérie Létard, ministre
Sachez que nous nous saisirons de tous les leviers : l’accession sociale à la propriété, la création de logements sociaux neufs et la création de nouvelles places d’hébergement d’urgence pour les femmes à la rue. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Anaïs Belouassa-Cherifi.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Votre réponse est aussi insatisfaisante que votre silence face à mes courriers à ce sujet. J’espère que vous dormez bien la nuit, car ces enfants, eux, ne dorment pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Sandrine Runel applaudit également. – Protestations sur plusieurs bancs des groupes DR et HOR.)
Mme Marie Mesmeur
Bravo !
Politique industrielle
Mme la présidente
La parole est à M. Gérard Leseul.
M. Gérard Leseul
Monsieur le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, vous avez récemment salué au Havre le dynamisme d’une entreprise germano-espagnole qui s’agrandit et qui va produire des pales pour l’éolien offshore. Dont acte, mais cela reflète-t-il réellement votre action en faveur de l’industrie nationale et des territoires ?
Dans ma circonscription, l’entreprise ExxonMobil a décidé la fermeture de sa branche chimie, entraînant la suppression de plus de 600 postes directs. Votre prédécesseur avait accepté d’organiser des rencontres régulières pour identifier les solutions qui pouvaient être proposées aux salariés et aux sous-traitants, pour accompagner la mutation économique du territoire et pour soutenir les collectivités locales, dont les ressources fiscales sont menacées. Je vous ai sollicité le 27 septembre pour reprendre ce travail de dialogue et de concertation avec les élus, mais je n’ai reçu aucune réponse de votre part.
M. Boris Vallaud
Incroyable !
M. Gérard Leseul
L’entreprise Legrand, implantée en Seine-Maritime, a annoncé une rationalisation inquiétante de son implantation industrielle. Là encore, je vous ai alerté par courrier le 2 décembre. Pas de réponse.
M. Boris Vallaud
Incroyable !
M. Gérard Leseul
Le projet de réindustrialisation du site emblématique de la papeterie Chapelle-Darblay, accompagné activement par la métropole de Rouen, attend désespérément depuis de nombreux mois un geste de l’État et une garantie de BPIFrance. Ma collègue Herouin-Léautey et moi-même avons écrit, le 18 décembre, une lettre au premier ministre, qui vous l’a transmise. Elle est restée, elle aussi, sans réponse.
M. Boris Vallaud
Ce n’est pas possible ! Quel mépris !
M. Gérard Leseul
Nous connaissons les outils pour nous aider à préserver et à développer notre souveraineté industrielle : recherche et développement, taxe carbone aux frontières, organisation des filières jusqu’au recyclage, normes sociales et environnementales pour les importations, subventions ciblées, gouvernance ouverte aux représentants des salariés, conditionnalité sociale et environnementale des aides... Certes, vous n’êtes pas chargé de La Poste, mais vous êtes chargé de toutes les industries, de toutes les énergies renouvelables et de leur implantation dans tous les territoires. Quid de la filière photovoltaïque ? Comment aiderez-vous concrètement les entreprises et les collectivités locales ? Quelles conditions sociales et environnementales comptez-vous attacher aux aides à l’industrie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie
Les services de mon ministère et mon cabinet sont à l’écoute de la représentation nationale et nous répondons à toutes les demandes. (Exclamations sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. Boris Vallaud
Manifestement non !
Mme Fatiha Keloua Hachi
Ou bien six mois après !
M. Marc Ferracci, ministre
Nous mobilisons pleinement nos moyens pour vous répondre. Je serai heureux de discuter avec vous des dossiers que vous avez évoqués. Par exemple, s’agissant de Chapelle-Darblay, nous travaillons avec toutes les parties prenantes pour trouver une solution industrielle, comme nous le faisons pour l’ensemble des dossiers. Je trouve donc que votre interpellation ne reflète pas la réalité.
Vous m’avez interrogé quant aux moyens engagés, notamment quant à la conditionnalité des aides. Eh bien, elle existe déjà. Lorsqu’une entreprise bénéficie du crédit d’impôt recherche, d’une aide à l’embauche d’un apprenti ou encore d’une aide à l’investissement, elle est tenue d’apporter certaines contreparties : l’activité de recherche, l’embauche ou l’investissement doivent être réels.
Mme Danielle Brulebois
Exactement !
M. Marc Ferracci, ministre
Sans ces contreparties, les aides ne sont pas versées ou sont reprises. C’est une réalité de notre droit : lorsque les aides sont contractualisées, elles font l’objet d’une conditionnalité et requièrent une contrepartie. Nous pourrions certes aller plus loin ; je suis le premier à dire que nous devrions mieux évaluer l’efficacité économique des aides versées aux entreprises. Les salariés devraient également être mieux informés de l’utilisation que leur entreprise fait des aides. Ma collègue Astrid Panosyan-Bouvet et moi-même y travaillons, car les salariés de certaines entreprises nous font fréquemment part de critiques à ce sujet. Nous pouvons progresser en la matière, et je m’y emploie, en lien avec la ministre chargée du travail. (M. Jean Terlier applaudit.)
Projet de loi d’orientation agricole
Mme la présidente
La parole est à M. Eric Liégeon.
M. Eric Liégeon
L’année 2024 a été particulièrement éprouvante pour l’agriculture française qui a souffert d’épisodes climatiques violents et d’épizooties ravageuses, auxquels se sont ajoutés des actes répétés d’incivilité ou de stigmatisation des activités agricoles, sapant le moral des paysans et portant atteinte à leur dignité. Par ailleurs, les manifestations de masse qui ont secoué le monde agricole ont exprimé le légitime désarroi paysan face aux accords de libre-échange, à la surtransposition normative interdisant l’usage de certains produits pourtant toujours autorisés en Europe et à l’insuffisance des revenus perçus par ceux qui produisent, nous nourrissent et façonnent nos paysages.
Madame la ministre de l’agriculture, dès votre arrivée au gouvernement, vous avez pris à bras-le-corps ces problèmes. Vous avez compris l’urgence de la situation et avez pris les mesures nécessaires pour nos agriculteurs. Le projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole, qui devrait être définitivement validé ce soir et dans la construction duquel les députés du groupe de la Droite républicaine se sont particulièrement investis, apporte des réponses claires au monde paysan. Par exemple, il élèvera l’agriculture au rang d’intérêt général majeur dans l’objectif de reconquérir notre souveraineté alimentaire, et permettra de projeter l’évolution prochaine de l’agriculture en facilitant le renouvellement des générations.
Alors que s’ouvre ce week-end le Salon de l’agriculture, pouvez-vous rappeler à la représentation nationale en quoi ces mesures seront protectrices et garantes d’un avenir solide pour l’agriculture française ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Damien Girard
Mais quelle surprise !
Mme Dominique Voynet
Elle découvre la question !
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
Vous avez raison de rappeler que rien n’a été épargné aux paysans en 2024. Ma feuille de route a pour double horizon de répondre aux urgences et de penser l’avenir, car nous croyons profondément que l’agriculture a un bel avenir en France.
Vous aurez à vous prononcer ce soir sur le projet de loi d’orientation agricole. Il est crucial de l’adopter, car il est très attendu. La commission mixte paritaire d’hier soir a été conclusive et je m’en réjouis ; il reviendra aux députés d’adopter le texte qui en résulte.
Ce projet de loi permet de se projeter dans le temps long. Tout d’abord, il donne à l’agriculture son juste rang, celui d’intérêt général majeur de la nation. Il vise également à collaborer avec les filières agricoles pour assurer la souveraineté alimentaire. En conséquence, j’instaurerai une conférence de la souveraineté alimentaire…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Et un numéro vert !
Mme Annie Genevard, ministre
…qui permettra aux filières de déterminer elles-mêmes les conditions de cette souveraineté.
Par ailleurs, le texte contient des mesures très importantes en matière d’enseignement agricole. Dans moins de dix ans, un agriculteur sur deux sera parti à la retraite ; il nous faut donc former une jeune génération pour reprendre le flambeau. Pour la même raison, la question de l’installation et de la transmission est fondamentale. Nous devons accompagner au mieux les démarches d’installation et de cession d’une exploitation.
Il contient encore des mesures de simplification du contentieux. Vous n’ignorez pas que le monde agricole est particulièrement attaqué par toutes sortes de contentieux qui ne sont pas toujours justifiés, tant s’en faut.
Toutes ces mesures devraient permettre de relever la ligne d’horizon et de fixer un avenir. Le Salon de l’agriculture qui va s’ouvrir doit être un grand moment de communion ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe EPR. – Mme Marina Ferrari applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Eric Liégeon.
M. Eric Liégeon
Comme mon collègue, je vous invite au Salon de l’agriculture, pour ma part au stand de la Franche-Comté. (M. Laurent Croizier applaudit.) Vous pourrez y goûter les merveilleux produits de notre région ! (Sourires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Filière photovoltaïque
Mme la présidente
La parole est à Mme Julie Laernoes.
Mme Julie Laernoes
Tous nos voisins font le choix d’une électricité naturelle, abondante et à très bon marché. Tous les pays du monde investissent massivement dans le solaire. Tous sauf un : la France.
M. Alexis Corbière
Eh oui !
Mme Julie Laernoes
Monsieur le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie, vous avez publié le 12 février un projet d’arrêté réduisant brutalement le soutien financier aux installations photovoltaïques de moins de 500 kilowatts-crête, et ce de manière rétroactive. Les projets que vous condamnez sont ceux des collectivités, des agriculteurs, des PME qui investissent pour produire une énergie propre, pour se libérer des énergies fossiles qui pèsent sur leurs budgets et pour contribuer activement à la protection du climat. Ce sont des projets de centrales photovoltaïques sur des surfaces déjà artificialisées et à partir de bâtiments existants.
M. Alexis Corbière
Exactement !
Mme Julie Laernoes
Les projets que vous condamnez sont déjà engagés, financés et autorisés. Votre décision met en péril des milliers d’emplois et la souveraineté énergétique. La filière solaire représente 67 000 emplois et 14 milliards d’euros de chiffre d’affaires. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EcoS.) Voulez-vous vraiment ajouter la filière photovoltaïque à la liste déjà très longue des plans sociaux dans l’industrie ? (M. Inaki Echaniz applaudit.)
M. Alexis Corbière et M. Peio Dufau
Excellente question !
Mme Julie Laernoes
Nous parlons d’une filière en plein essor qui contribue à la transition énergétique et à la résilience des territoires. À Lyon et au Mans, la solarisation des parkings finance la perméabilisation des sols pour répondre au défi climatique. Vous parlez de pragmatisme, d’ambition et de responsabilité pour atteindre l’indépendance énergétique, mais où est le pragmatisme quand vous prenez un tel arrêté sans écouter les professionnels du secteur ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS. – M. Boris Vallaud applaudit également.) Où est l’ambition quand vous menacez une filière clé des énergies renouvelables alors que notre pays accuse déjà un retard criant en la matière ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.) Où est la responsabilité quand vous attaquez méthodiquement et délibérément, depuis deux ans, toutes les politiques et les outils de planification écologique : l’Ademe, l’Agence bio, l’OFB et maintenant la filière solaire ?
Allez-vous retrouver un peu de bon sens et revenir sur cette décision absurde qui s’apparente à un moratoire en règle contre le solaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Marc Ferracci, ministre chargé de l’industrie et de l’énergie
En la matière, il est nécessaire de faire preuve de mesure et de modération. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
M. Philippe Vigier
Eh oui !
Mme Julie Laernoes
Ce n’est pas ce que vous faites !
Mme Dominique Voynet
Ce n’est pas de la morale qu’on veut, ce sont des réponses !
M. Marc Ferracci, ministre
Nous assumons notre soutien tant aux énergies renouvelables qu’à la filière nucléaire depuis le discours du président de la République à Belfort en février 2022.
Mme Dominique Voynet
Ce n’est pas la même chose ! Nous n’avons pas parlé du nucléaire !
M. Marc Ferracci, ministre
Nous soutenons l’éolien, nous soutenons le photovoltaïque et nous continuerons de le faire.
Vous avez évoqué l’arrêté que j’ai soumis pour consultation au Conseil supérieur de l’énergie le 12 février. Il prend acte de la nécessité, dans une situation budgétaire contrainte, de différencier le soutien aux grandes et aux petites installations photovoltaïques. En effet, l’efficacité économique du soutien aux grandes installations est supérieure. Les petites installations photovoltaïques, si l’on tient compte du coût de raccordement, présentent un coût de production plus important. C’est pourquoi, souhaitant offrir aux consommateurs les tarifs d’électricité les plus compétitifs possibles, nous avons fait le choix de recentrer les aides. La France étant exportatrice nette d’électricité, elle a besoin d’optimiser en même temps sa production d’électricité et les coûts de raccordement au réseau.
Cette décision reflète notre cohérence…
Mme Julie Laernoes
Il n’y a aucune cohérence !
M. Marc Ferracci, ministre
…et le dialogue que nous avons conduit.
Mme Julie Laernoes et Mme Dominique Voynet
Il n’y a eu aucun dialogue !
M. Marc Ferracci, ministre
Le dialogue se poursuit à travers les consultations en cours, dans les prochains jours et même dans les prochaines heures, durant lesquelles nos services, notamment mon cabinet, rencontreront les acteurs comme ils le font à chaque étape de telles décisions.
Nous continuons à soutenir le photovoltaïque,…
Mme Julie Laernoes
C’est faux ! C’est un moratoire !
M. Marc Ferracci, ministre
…en particulier avec l’introduction avant la fin de l’année d’un taux de TVA réduit sur les achats de panneaux photovoltaïques. Soyez donc équilibrée dans votre approche…
Mme Julie Laernoes
Je suis totalement équilibrée !
M. Marc Ferracci, ministre
…car nous, nous le sommes.
Mme Julie Laernoes
C’est faux !
Chasse à la palombe
Mme la présidente
La parole est à Mme Geneviève Darrieussecq.
Mme Geneviève Darrieussecq
Nous avons appris la semaine dernière que la Commission européenne avait assigné la France devant la Cour de justice de l’Union européenne à propos de la chasse au filet des colombidés, mieux connus sous le nom de palombes. Cette chasse traditionnelle est un marqueur identitaire fort dans le grand Sud-Ouest.
M. Jean-René Cazeneuve
Eh oui !
Mme Geneviève Darrieussecq
Cet épisode survient après de nombreuses remises en cause d’autres chasses traditionnelles, alors que la population de palombes est en constante augmentation depuis des décennies. Soyez assuré que vous ne trouverez personne dans les campagnes pour s’opposer à la protection de la biodiversité et des espèces animales menacées. Mais leurs habitants nous disent ne plus savoir comment se faire entendre et arrêter ce qui apparaît comme un rouleau compresseur qui avance inexorablement.
M. Jean-René Cazeneuve
Très bien !
Mme Geneviève Darrieussecq
Il faut prendre conscience que ce type de décision technocratique distend gravement le lien qui doit unir nos concitoyens à l’idée européenne.
M. Pierre Cordier
Exactement ! Elle a raison !
Mme Geneviève Darrieussecq
Nous attendons de la Commission qu’elle fédère les peuples autour de la défense de l’Ukraine face à la menace russe (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR) et prenne des initiatives pour notre sécurité, qu’elle fasse entendre une voix forte et unie sur les grands sujets géopolitiques – et ils sont graves –, qu’elle prenne des initiatives pour faire de l’Europe une grande puissance. Nous ne voulons certainement pas qu’elle perde sa crédibilité dans des combats anecdotiques contre la chasse au filet…
M. Jean-René Cazeneuve
Très bien !
Mme Geneviève Darrieussecq
…qui sont vécus comme des attaques injustes contre nos cultures locales. Madame la ministre de la transition écologique, nous comptons sur vous pour refuser cette assignation et, plus largement pour défendre, au-delà de la biodiversité, la richesse de la diversité humaine et de la variété de nos modes de vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs des groupes EPR, SOC, DR et HOR.)
M. Jean-René Cazeneuve
Bravo !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
M. Pierre Cordier
Et de la chasse !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Merci de me permettre de m’exprimer sur ce sujet si important pour les chasseurs et, je le sais, pour votre territoire.
Vous l’avez rappelé, la Commission européenne a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne, estimant que la France ne respectait pas la directive « oiseaux » en autorisant la chasse à la palombe au filet dans cinq départements du Sud-Ouest. Le même jour, elle a également mis en demeure Malte pour la chasse traditionnelle aux pinsons. Le contenu de cette saisine ne m’a pas encore été communiqué, mais je vous le dis clairement : je défendrai fermement la chasse à la palombe au filet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem ainsi que sur plusieurs bancs des groupes EPR et SOC.) J’apporterai des arguments pour prouver que cette chasse traditionnelle très pratiquée dans le Sud-Ouest…
M. Pierre Cordier
Dans les Ardennes aussi !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…et jamais remise en cause au niveau national a toute sa place en France. Je précise que cette décision ne concerne absolument pas une espèce menacée. Le pigeon ramier est une espèce abondante et parfois même considérée comme nuisible à cause des dégâts agricoles qu’elle occasionne. Ce n’est pas un sujet de préoccupation pour les associations, comme l’a confirmé la Ligue pour la protection des oiseaux qui préfère que nous nous concentrions sur le véritable enjeu en matière de protection de la biodiversité que sont les espèces menacées – c’est une approche scientifique que je rejoins.
De plus, cette dérogation porte sur une technique de chasse au filet, à comparer à la chasse au fusil. Or la chasse au filet présente des avantages environnementaux, outre les aspects culturels que vous avez justement rappelés : elle est sélective, comme nous l’avons montré à travers des expérimentations qui ont eu lieu durant l’automne dernier. En effet, les oiseaux capturés accidentellement peuvent être relâchés vivants. De plus, cette technique, contrairement au fusil, n’introduit pas de plomb dans la nature et ne perturbe pas d’autres espèces.
Je vous confirme donc que nous travaillerons sur cette question avec les fédérations de chasseurs, l’Office français de la biodiversité et les organisations associatives défendant la biodiversité pour faire entendre notre voix sur ce sujet important. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à dix-sept heures trente.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
3. Motion de censure
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion et le vote sur la motion de censure déposée, en application de l’article 49, alinéa 2, de la Constitution, par M. Boris Vallaud et soixante-cinq membres de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Ayda Hadizadeh.
Mme Ayda Hadizadeh
La République est un serment, gravé au fer rouge dans le grand livre de l’histoire. Elle est née des orages de la Révolution, elle s’est forgée dans les tempêtes du siècle, elle a survécu aux cendres de la guerre. Elle est le souffle de 1789, l’élan de 1848, la flamme de 1945. Pourtant, la voilà qui vacille, car ceux qui doivent la défendre l’abandonnent, car ceux qui doivent la protéger se laissent aveugler par les vents mauvais. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Un poison insidieux s’infiltre dans les veines de nos institutions. Goutte par goutte, il se distille dans les discours, dans les lois, dans les décisions de ce gouvernement. Ce poison, c’est la compromission. Ce sont les préjugés. C’est le mensonge. C’est l’idée que l’on peut s’inspirer des mots hideux de l’extrême droite qui porte la haine en bandoulière. (Mêmes mouvements.) Mais non ! La République ne se vend pas ! Elle ne se vend pas à ceux qui veulent faire de l’étranger un ennemi, à ceux qui disent de l’État de droit qu’il est une faiblesse, à ceux qui veulent transformer la justice en un instrument de vengeance. Elle ne se vend pas – jamais ! – aux tribuns de la peur et aux marchands de haine. Il est du devoir de tout républicain d’en devenir le défenseur quand elle vacille et le rempart quand on l’attaque.
La République française n’est pas la seule attaquée. Aujourd’hui, c’est tout l’esprit démocratique qui est sous la menace. Cet esprit des Lumières, qui a su éclairer le monde, les tyrans et les apprentis tyrans cherchent à l’éteindre. Le monde démocratique est poussé au bord du gouffre par les prédateurs de la liberté. Dans ces temps sombres, les démocraties attendent de véritables capitaines, de la trempe de celles et ceux qui, dans la tempête, savent garder l’esprit ferme et, en même temps, le cœur tendre. (Mêmes mouvements.) L’esprit ferme s’appuie sur des faits et méprise les préjugés ; le cœur tendre comprend la détresse et combat la souffrance. Mais ici, que voyons-nous ? Un gouvernement sans cap ni colonne vertébrale. Au lieu de tenir tête, il plie l’échine ! Au lieu de s’élever, il rampe ! Au lieu de dire non, il chuchote oui, du bout des lèvres, avec des regards fuyants, en espérant que personne ne le remarque. Mais nous, nous l’avons vu ! Nous l’avons entendu ! Nous avons entendu le ministre de l’intérieur déclarer que l’État de droit n’était ni intangible ni sacré. Nous vous avons entendu vous, monsieur le premier ministre, reprendre les mots funestes de « submersion migratoire », au lieu de dénoncer la seule submersion : la submersion nationaliste ! (Mêmes mouvements.)
M. Inaki Echaniz
C’est une honte !
M. Arthur Delaporte
Quel scandale !
Mme Ayda Hadizadeh
Le nationalisme, ce sera toujours la guerre ! Nous avons vu ces lois indignes votées sous l’œil complice de ceux qui avaient pourtant juré de leur faire barrage. Pour la justice des mineurs, vous avez piétiné l’esprit de l’ordonnance de 1945 et vous choisissez la répression sans discernement. S’agissant de la protection de l’environnement, vous affaiblissez le pacte vert, vous mettez en péril notre santé et notre avenir, et vous légalisez les atteintes à la biodiversité, ainsi que le saccage de nos écosystèmes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.) Dans le domaine de l’immigration, vous criminalisez les étrangers qui travaillent ; vous attaquez les étrangers malades, les étrangers amoureux et les étrangers en détresse. Votre politique stigmatise, exclut et fragilise. (Mêmes mouvements.) Votre dureté de cœur n’épargne pas même les Français. Vous affaiblissez la liberté de l’information, vous attaquez les aides sociales, vous abandonnez ceux qui souffrent. Vous nous aviez promis de gouverner tel Henri IV, ce souverain qui a su ramener la paix dans le cœur d’un peuple qui s’entretuait. Mais aujourd’hui, qui singez-vous ? Donald Trump ! (Mêmes mouvements.)
Ce n’est pas ainsi que l’on gouverne la République ! Gouverner, ce n’est pas flatter les peurs, c’est les combattre. Gouverner, ce n’est pas suivre le courant, c’est tenir la barre. Gouverner, ce n’est pas pactiser avec l’ombre, c’est éclairer le chemin. Vous ne construisez pas ; vous détruisez. Chaque jour, vous ouvrez une nouvelle brèche : une brèche dans la justice, quand vous remettez en cause l’indépendance des magistrats ; une brèche dans la science, quand vous affaiblissez les agences sanitaires ; une brèche dans notre contrat social, quand vous laminez nos droits et nos protections. (Mêmes mouvements.) La République n’est pas une muraille que l’on démolit pierre par pierre. La République, c’est une cathédrale qui a traversé les siècles et qui a su résister aux monarchies, aux dictatures, aux tyrannies. Notre pays a apporté les Lumières au monde, mais il a sombré quand il a laissé le poison de la haine envahir son cœur. Les ténèbres, ce sont l’esclavage, l’affaire Dreyfus, la collaboration, la colonisation. La République sait guider le peuple vers la sagesse et la paix, quand elle est fidèle à ses valeurs humanistes, quand elle reste fidèle à sa lumière.
Nous sommes ici pour juger un gouvernement qui a failli, mais nous ne sommes pas seulement les juges du présent ; nous sommes les architectes de l’avenir. (Mêmes mouvements.) Car nous pouvons mieux – nous devons mieux. Nous devons mieux, car la France mérite un budget qui ne soit pas dicté par la peur, mais inspiré par l’unité. Nous devons mieux, car un gouvernement républicain ne doit jamais s’écraser devant l’extrême droite. Il doit être le garant d’une démocratie forte et apaisée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Nous devons mieux, car l’écologie ne peut plus être un slogan creux. Elle doit devenir une réalité, portée par un État protecteur qui ne cède pas aux lobbies. Nous devons mieux, parce que la justice ne doit pas être une variable d’ajustement, mais ce socle inébranlable sur lequel repose la confiance du peuple. Nous devons mieux, pour que l’éducation garantisse à chaque enfant, quelle que soit son origine, l’accès au savoir, à la culture, à la liberté. (M. Arthur Delaporte applaudit.) Nous devons mieux, pour les enfants de Notre-Dame de Bétharram. Combien d’enfants brisés ? Combien de vies détruites ?
M. Paul Vannier
Démission !
Mme Ayda Hadizadeh
La République n’attend pas des approximations. Elle ne supporte pas le mensonge. Elle exige des réponses et vous devez rendre des comptes – il est l’heure ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Nous devons mieux, parce que la dignité humaine ne se négocie pas. L’immigration ne doit pas être traitée comme un fardeau, mais comme un défi à relever avec humanité et raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Ce défi, la France le relève tous les jours ! C’est moi qui vous le dis, moi qui suis née en Iran, moi dont la mère a fui l’obscurantisme, moi qui n’ai pas une goutte de sang français – pourtant, c’est toute la France qui coule dans mes veines. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) La France a fait de moi son enfant. J’ai reçu l’amour de la France sur les bancs de l’école de la République, grâce à ses professeurs. J’ai reçu l’amour des Français, que je remercie encore et toujours, car quand on reçoit de l’amour, on le rend !
Voilà le génie français que vous voulez détruire : celui qui arrive à transformer, en une génération, par l’amour et la bienveillance, tout enfant venu d’ailleurs en un enfant de la patrie, prêt à tout donner pour elle, prêt à mourir pour elle. La République ne stigmatise pas, ne rejette pas, ne divise pas. Elle intègre, elle émancipe, elle unit. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Il ne suffit pas de refuser l’inacceptable ; il faut aussi ouvrir un chemin.
Nous sommes ici pour dire oui : oui à une République forte, parce qu’elle est juste ; oui à un gouvernement qui ne pactise jamais avec la haine, mais qui construit avec son peuple ; oui à un État qui protège, qui éclaire, qui libère. C’est cela, la République. C’est cela, la France que nous défendons – et que nous défendrons toujours. C’est cela, le serment que tout républicain assis sur ces bancs a passé le 7 juillet avec nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Alors, nous votons la censure, car nous voulons un autre avenir. Vive la République ! Vive la France ! (« Bravo ! » sur les bancs du groupe SOC. – Les députés du groupe SOC, ainsi que MM. Jean-Claude Raux et Stéphane Peu, se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Cette motion de censure, qui est la sixième que nous examinons en cinq semaines, …
Un député du groupe SOC
Et ce ne sera pas la dernière !
Mme Ayda Hadizadeh
La pédagogie est dans la répétition !
M. François Bayrou, premier ministre
…est la plus cousue de fil blanc de toute l’histoire parlementaire.
M. Inaki Echaniz
Un peu de respect, monsieur le premier ministre !
M. François Bayrou, premier ministre
Selon les mots de l’un des membres les mieux informés de cette assemblée, ancien premier secrétaire du Parti socialiste et ancien président de la République française, « ce n’est pas une motion de censure pour faire tomber le gouvernement, mais pour montrer que nous sommes dans l’opposition. » (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)
M. Nicolas Sansu
C’est clair !
M. François Bayrou, premier ministre
Il s’agit donc d’une motion de censure à faux, à blanc. Après avoir refusé, à juste titre, de voter quatre motions de censure à balles réelles contre le gouvernement – et contre la France –, vous nous présentez une motion de censure de congrès. (Rires sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Dieynaba Diop
Vous n’êtes pas à la hauteur !
M. François Bayrou, premier ministre
Voilà le parti de Blum, de Jaurès, de François Mitterrand et de Jacques Delors, dont vous devez bien avoir des portraits dans vos locaux, réduit à déposer une motion de censure pour faire semblant.
M. Théo Bernhardt
Il n’en reste plus grand-chose !
M. François Bayrou, premier ministre
Il y avait une vieille expression dans les vallées pyrénéennes pour se moquer gentiment des villages voisins réputés moins prospères. On disait : « Ce sont des pays où l’hiver les corbeaux volent sur le dos pour ne pas voir la misère. »
M. Inaki Echaniz
Vous n’avez pas le monopole des Pyrénées !
M. François Bayrou, premier ministre
Eh bien, les portraits des grands ancêtres…
M. Olivier Faure
Et à Bétharram, c’est pareil : vous ne voulez rien voir !
M. François Bayrou, premier ministre
J’y viens, monsieur Faure, je viens à vous.
M. Olivier Faure
Attention, pas de mépris !
M. François Bayrou, premier ministre
Je viens à vous. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
Monsieur Faure, je vous en prie.
M. François Bayrou, premier ministre
Je disais que les portraits des grands ancêtres, il va falloir que vous les retourniez contre le mur pour qu’ils ne voient pas à quels expédients le Parti socialiste en est réduit.
Mme Dieynaba Diop
Fermer les yeux, c’est une chose que vous savez bien faire !
M. Olivier Faure
Vous allez le regretter !
M. François Bayrou, premier ministre
Ne menacez pas, monsieur Faure, je viens à vous. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)
M. Nicolas Sansu
Portez l’estocade !
M. Olivier Faure
Le respect, ça se mérite !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous en arrivez, au moment où la planète chancelle sur ses bases, où le danger est partout, où la guerre d’agression de Poutine fait rage en Ukraine, où la Chine déploie sa puissance pour nous soumettre économiquement, où le quarante-septième président des États-Unis évoque rien de moins que l’annexion du canal de Panama, de Gaza et du Groenland,…
Mme Sandrine Runel
Va-t-il annexer Pau ?
M. François Bayrou, premier ministre
…où l’Europe que nous avons voulue ensemble et construite ensemble ne parvient pas à s’unir, vous en arrivez à déposer une motion de censure pour faire semblant, de manière à enlever à Jean-Luc Mélenchon un angle de sarcasmes contre vous. Mais vous ne détournerez rien, car vous aurez les sarcasmes, et vous aurez le ridicule.
Mme Ayda Hadizadeh
Vous n’êtes pas éditorialiste, mais premier ministre !
M. Boris Vallaud
On vous laisse la médiocrité !
M. Pierre Pribetich
Un peu de hauteur !
M. François Bayrou, premier ministre
Je dis cela avec tristesse. J’expliquerai à la fin de ce propos pourquoi je pense – et ça ne date pas d’aujourd’hui – que la démocratie française a besoin de socialistes libres, comme elle a besoin de gaullistes libres, de démocrates libres, de grands partis réformistes de gouvernement, à côté ou en face des mouvements protestataires, contestataires, plus radicaux, les uns sur la ligne nationaliste, les autres sur la ligne soi-disant révolutionnaire.
M. François Bayrou, Premier ministre
J’ai plaidé, tout au long de ma vie politique, la même conviction : si nous pensons tous la même chose, alors nous ne pensons plus rien. (M. Jimmy Pahun applaudit.) La démocratie française a besoin de respect mutuel,…
Mme Dieynaba Diop
Balayez devant votre porte !
M. François Bayrou, premier ministre
…mais elle a d’abord besoin que chacun se respecte soi-même. Et c’est à cela que manque cette motion de censure pour faire semblant.
Mme Ayda Hadizadeh
Et vous, vous parlez comme l’extrême droite !
M. François Bayrou, premier ministre
Parlons maintenant des prétextes – car ce ne sont que des prétextes : il n’y a pas un parlementaire, dans cette assemblée, sur quelque banc qu’il siège, même parmi ceux qui nous combattent et nous détestent, qui croie que nous ne respectons pas les valeurs de la République. (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Mme Dieynaba Diop
Et la submersion ?
M. Paul Vannier
Vous mentez aux députés !
M. François Bayrou, premier ministre
Beaucoup pensent que nous sommes incapables…
M. Emeric Salmon
Ah oui !
Mme Dieynaba Diop
C’est sûr que vous n’êtes pas à la hauteur !
M. François Bayrou, premier ministre
…beaucoup pensent que nous sommes nuls, à côté de la plaque, loin de ce qu’il conviendrait de faire, agaçants et insupportables, mais il n’en est pas un en vérité pour croire que nous ne respectons pas la République.
Mme Mathilde Panot
Si !
M. François Bayrou, premier ministre
La République, historiquement, nous l’avons défendue et sauvée,…
Mme Mathilde Panot
Non !
M. François Bayrou, premier ministre
…tous les courants qui appartiennent à ce gouvernement et tous les courants de gouvernement, en un temps dont j’ose espérer qu’il n’est pas révolu, pour composer ensemble, quand il le fallait, la résistance française.
Mme Ayda Hadizadeh
Et c’est pour ça que vous la trahissez ?
M. François Bayrou, premier ministre
Mais on voit bien de quoi il s’agit : habiller des mots les plus grands et les plus grandiloquents possible de médiocres, de médiocrissimes intérêts : minuscules intérêts électoraux, microscopiques intérêts de courants de congrès.
M. Inaki Echaniz
C’est vous qui dites ça ? Vous ne pensez qu’à vous depuis vingt ans !
M. François Bayrou, premier ministre
Et, ce faisant, je vous le dis comme je le crois : vous vous trompez. (M. Olivier Faure et un grand nombre de députés du groupe SOC quittent l’hémicycle en protestant.)
C’est dommage, monsieur Faure : j’allais parler de vous !
Mme Dieynaba Diop
Ce n’est pas respectueux, monsieur le premier ministre, vous n’êtes pas à la hauteur !
M. François Bayrou, premier ministre
J’avoue que c’est la première fois que je vois un parti qui, ayant déposé une motion de censure, quitte l’hémicycle pendant qu’elle est en discussion. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Mais l’innovation est la marque des peuples vivants. (Sourires sur les bancs des groupes RN et UDR.) En habillant de mots grandiloquents des intérêts électoraux de courants de congrès, je crois que vous jouez contre vous-mêmes.
Donc vous vous êtes saisis, avec la même grandiloquence, de ce que j’aie employé le mot « submersion » dans une émission de télévision. Je n’ai jamais employé l’expression « submersion migratoire », (« Quoi ? » sur les bancs du groupe RN) mais vous vous êtes épandus à loisir sur ce sujet.
M. Paul Vannier
Il ment comme il respire !
M. François Bayrou, premier ministre
Je veux rappeler le contexte, puisqu’aujourd’hui il faut se justifier de tout. J’étais dans l’émission de Darius Rochebin et, au bout d’une heure d’émission, ou un peu plus, il m’a posé une question à laquelle je dois avouer – c’est assez rare – que je ne m’attendais pas.
Mme Christine Arrighi
Surprise !
M. François Bayrou, premier ministre
Il a dit : « Je suis allé voir les photos de votre enfance, au lycée de Nay, au pied des Pyrénées, et j’ai remarqué quelque chose. » J’avoue qu’à cet instant mon esprit battait un peu la campagne, en repensant à ces photos auxquelles sont attachés tant de souvenirs et de tendresse…
Mme Christine Arrighi
C’est hors sujet !
M. François Bayrou, premier ministre
…et je ne voyais vraiment pas où il voulait en venir.
Mme Isabelle Santiago
Nous non plus, nous ne voyons pas vraiment où vous voulez en venir.
M. François Bayrou, premier ministre
« J’ai remarqué, dit-il, que dans votre classe, vous êtes tous blancs. » Imaginez que dans un pays africain, au Sénégal ou au Congo, on ait interrogé un responsable politique en lui disant : « J’ai regardé vos photos d’enfance et vous êtes tous noirs. » Je crois qu’on en parlerait aux quatre coins du continent et que cela aurait dit quelque chose du temps que nous vivons.
Mme Ayda Hadizadeh
Voilà ce qu’il fallait répondre !
M. François Bayrou, premier ministre
J’ai été saisi, je dois l’avouer, de ce que ces garçons et ces filles que nous étions ensemble, je n’avais jamais pensé qu’ils étaient blancs.
M. Jérôme Guedj
Arrêtez, monsieur le premier ministre, vous allez encore déraper.
M. François Bayrou, premier ministre
Nous étions quelque 600 élèves et, dans tout le lycée, il y avait un Africain, dont nous étions tous, les garçons, vaguement jaloux…
Mme Mathilde Panot
Ce n’est pas possible !
M. François Bayrou, premier ministre
…parce qu’il était toujours sur le même banc, dans un coin de la cour, avec une très jolie fille, pleine de charme (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP) qui se reconnaîtra si elle écoute.
Mme Mathilde Panot
Arrêtez !
Mme Ayda Hadizadeh
Est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous dites ?
Mme Mathilde Panot
Arrêtez de nous raconter vos souvenirs !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous proposez de me censurer ; vous pouvez tout de même accepter que je vous réponde !
Mme Mathilde Panot
C’est indigne ! Plus vous parlez, plus en a envie de vous censurer !
Mme la présidente
Madame la présidente Panot, s’il vous plaît…
M. François Bayrou, premier ministre
Et le journaliste a prolongé sa question : « Vous étiez tous blancs, est-ce que vous pensez qu’il faut métisser la France ? »
Mme Sandrine Runel
C’est grave de dire ça !
M. Emeric Salmon
Il ne fait que rapporter les propos du journaliste !
M. François Bayrou, premier ministre
J’ai répondu deux choses. D’abord, que je ne regardais pas la couleur de la peau. Ensuite, qu’il y avait du danger dans une telle affirmation, parce que si nos compatriotes considèrent que la couleur de la peau doit inexorablement changer, qu’ils le veuillent ou non, si c’est une fatalité qu’on leur commande de subir, même contre leur gré, alors ils auront le sentiment de perdre le contrôle. C’est ce que j’ai appelé « submersion ».
M. Peio Dufau
Donc vous l’avez dit !
M. François Bayrou, premier ministre
Et je répète que je n’ai jamais dit « migratoire ».
Mme Ayda Hadizadeh
C’est la même chose !
Mme Mathilde Panot
Et Retailleau, qu’est-ce qu’il dit ?
M. François Bayrou, premier ministre
Et si vous ne vous rendez pas compte de cela, pas compte que les choses qui viennent du fond des âges – même si vous direz qu’elles sont archaïques – font partie de la nature humaine, alors vous passez à côté de choses bien plus profondes que l’addition de Marx, Lénine, Staline et Trotski réunis. (Sourires sur les bancs du groupe RN.) Et méfiez-vous : à force de nier l’archaïque, vous ouvrez la voie à tous les Trump, à tous les Vance, à tous les Musk de la création, spécialement à tous les suprématistes et à tous les racistes (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem),…
M. Jimmy Pahun
Il a raison !
M. François Bayrou, premier ministre
…spécialement dans les milieux populaires, comme vous dites, chez ceux qui vivent dans les difficultés sociales et culturelles, et qui se croient dépossédés de leur destin.
Vous les transformez malgré eux en chair à canon de la mondialisation.
Mme Ayda Hadizadeh
Régularisez les travailleurs sans papiers !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous touchez non pas à ce qu’ils ont, mais à ce qu’ils sont ou croient être. Vous faites, avec la bouche en cul-de-poule, le lit de toutes les instrumentalisations. Mais il y a pire et je vous rappelle que c’est vous qui avez déposé la motion de censure.
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Non, c’est eux ! Ce sont les socialistes !
M. François Bayrou, premier ministre
Vous avez raison.
Les mêmes qui osent déclarer que nous faisons la politique de l’extrême droite (« C’est vrai ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NFP), les hypocrites, les hypocritissimes, quand François Mitterrand a dit « le seuil de tolérance est atteint », une phrase qui touche à une conception organique de la société, où celle-ci est décrite comme se défendant contre une agression, qu’ont-ils dit à l’époque ?
Mme Mathilde Panot
Oh là là !
M. François Bayrou, premier ministre
Mais il y a pire dans l’hypocrisie.
Un député du groupe LFI-NFP
Il y a vous !
M. François Bayrou, premier ministre
Je regrette qu’Olivier Faure soit parti : peut-être l’a-t-il fait parce qu’il imaginait ce que j’allais dire. Le responsable politique qui est le principal leader du parti qui dépose la motion de censure, M. Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, qu’a-t-il dit le 25 octobre 2018 ?
Mme Sandrine Runel
Vous faites une revue de presse du Parti socialiste ?
M. François Bayrou, premier ministre
Je le cite exactement : « Il existe aujourd’hui des endroits où le fait de ne pas être issu de l’immigration peut poser problème à des gens dans ces quartiers, et qui peuvent se sentir exclus.
M. Kévin Pfeffer
Un élan de lucidité !
M. François Bayrou, premier ministre
II y a des endroits où il y a des regroupements qui se sont faits génération après génération et qui donnent le sentiment qu’on est dans une sorte – écoutez bien ! – de colonisation à l’envers, ce que m’a dit un jour une de mes concitoyennes.
M. Kévin Pfeffer
Censurez M. Faure !
M. François Bayrou, premier ministre
Qui me disait après avoir voté longtemps pour la gauche, qu’elle ne voulait plus voter pour nous parce qu’elle avait le sentiment d’être colonisée. Ce message-là, je l’entends. » C’est Olivier Faure qui parle.
« Colonisation à l’envers » : ce message-là, M. Faure l’entend.
M. Kévin Pfeffer
Encore un mec d’extrême droite ! (Sourires sur les bancs du groupe RN.)
Mme Ayda Hadizadeh
Il s’exprimait contre la ghettoïsation !
M. François Bayrou, premier ministre
Mais M. Faure sait-il que « colonisation à l’envers », c’est bien plus grave que « seuil de tolérance » ou que « sentiment de submersion », qui n’est que le constat d’une situation subie ? « Colonisation à l’envers », c’est autre chose : c’est un projet politique, un dessein politique, une volonté de conquérir et de soumettre. Et c’est le même responsable politique qui, vêtu de probité candide et de lin blanc – et, j’imagine, d’un peu de fond de teint pour effacer le rouge de la honte –, disait hier à la radio que nous sommes connivents avec l’extrême droite et même en fusion idéologique avec elle. (« Oui ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Charles Sitzenstuhl
Ça tire à balles réelles !
M. François Bayrou, premier ministre
Celui qui dit « colonisation à l’envers »…
Mme Ayda Hadizadeh
Ce n’est pas lui qui le dit !
M. François Bayrou, premier ministre
Madame, je viens de lire le texte dans son intégralité et il finit par : « Ce message-là, je l’entends. »
M. Peio Dufau
Ce ne sont pas ses mots !
M. François Bayrou, premier ministre
Ce sont ses mots précisément : j’ai donné la date de sa prise de parole, vous pouvez vérifier.
Parlons un peu d’immigration, puisque c’est le sujet. L’immigration, c’est d’abord la misère du monde. Nous le savons bien, nous qui fûmes pays d’émigration. Pourquoi partaient-ils, nos arrière-grands-parents basques, béarnais, bretons ? Parce que c’était la misère. Ils allaient vers une vie qu’ils croyaient plus facile, et beaucoup y mouraient – je parle de ma propre famille.
Ceux qui sont aujourd’hui dans la misère, ils viennent chez nous, ou ils y passent : 300 000 se sont accumulés au fil des années, parce qu’ils veulent passer en Grande-Bretagne. L’immigration, c’est une partie de notre France : 25 % des Français, dit-on, descendent d’un parent immigré de la première, deuxième ou troisième génération. C’est votre cas, madame, et vous avez raison de le revendiquer à la tribune. C’est notre réalité, et c’est une réalité d’enrichissement de notre pays.
Provoquées par la guerre, chassées par la misère, ce furent les immigrations espagnole, portugaise, italienne, polonaise, russe, iranienne ; celles, pour la plupart très bien intégrées, d’autres continents, indochinoise, vietnamienne, cambodgienne, laotienne, ou chilienne, brésilienne, argentine. Ce furent celles en provenance d’Afrique du Nord, après la présence française en Algérie, les liens si forts avec le Maroc et la Tunisie. Faut-il rappeler que nous, communauté nationale, avons voulu ces liens avec d’autres communautés, avec des familles entières qui, durant la tragédie de la guerre d’Algérie, ont cru à la parole de la France ? Je tiens à mentionner à cette tribune nos compatriotes harkis, envers qui notre dette ne s’éteindra pas. Immigration africaine enfin, causée par le dénuement et la quête d’un autre destin, favorisée par un lien indissoluble – la langue, la culture, les études en France, le travail en France –, souhaitée par tous nos dirigeants politiques et économiques de l’époque – pour dire la vérité, nombre de dirigeants économiques la souhaitent toujours. Ceux qui en sont issus sont-ils des compatriotes de manière pleine et entière ? Ils le sont. Ont-ils contribué au rayonnement de la France ? Magnifiquement.
Nous ne sommes pas une nation fondée sur l’origine ethnique, géographique, la couleur de la peau : nombre de nos compatriotes descendent aux Antilles d’esclaves africains (Mme Maud Petit applaudit), à La Réunion de familles indiennes, en Nouvelle-Calédonie des peuples autochtones austronésiens, quand ils ne sont pas d’origine wallisienne ou polynésienne. Chez nous, la nation ne se fait pas non plus par la religion. Elle se fait par un ciment. Nous sommes ce que nous croyons : que les êtres humains, femmes et hommes, sont libres, qu’ils sont égaux, qu’ils doivent être fraternels. De ce triptyque républicain, la fraternité constitue la clé de voûte : bien des régimes reposent sur le postulat que la liberté l’emporte sur l’égalité, ou réciproquement, mais on ne peut être fraternel sans concevoir l’autre comme libre et égal à soi.
À cela, nous ajoutons une conquête récente, la laïcité. Laos, en grec, c’est le peuple ; laïkos, ce qui fait ce peuple, ce qui, encore une fois, le cimente.
M. Paul Vannier
Comment dit-on mensonge en grec ?
M. François Bayrou, premier ministre
Nous avons mis quatre siècles à la construire, à compter de l’apparition, au XVIe siècle, après presque un siècle de guerres, de la notion de tolérance. Jusque-là, il n’y avait qu’un roi, une loi, une foi ; une religion nouvelle, le protestantisme, est venue tout chambouler. Généralement, la laïcité est présentée comme une séparation, celle de l’Église et de l’État…
M. Charles Sitzenstuhl
Pas en Alsace !
M. François Bayrou, premier ministre
…ou, comme je l’ai souvent énoncé, celle de la foi et de la loi : la loi protège la foi, la foi ne fait pas la loi. Or, si l’on y réfléchit, c’est bien davantage. La laïcité va plus loin que la tolérance.
M. Jérôme Guedj
Heureusement !
M. François Bayrou, premier ministre
Elle ne se contente pas d’établir que l’on peut être différents et cependant concitoyens, elle affirme que nous sommes concitoyens parce que nous acceptons nos différences et, plus encore, parce que nous les voulons ;…
M. Jérôme Guedj
Non ! Contresens !
M. François Bayrou, premier ministre
…que le lien qui nous unit en tant que Français est assez fort pour cela, qu’il nous permet d’apporter nos différences dans un espace commun de reconnaissance, de dialogue et d’enrichissement mutuel. La laïcité, c’est l’amour de cet espace, contre les communautarismes. En matière religieuse, philosophique, elle s’est imposée au terme d’une histoire dont on connaît les heurts, les violences, les effusions de sang. Nous avons mis des siècles, je le répète, à parvenir à ce respect mutuel entre croyants et non-croyants. Les tenants d’une foi donnée ne préconisent heureusement plus l’extinction des autres. Chrétiens et juifs ne souhaitent pas la disparition dans notre pays de la religion musulmane, pas plus que les athées celle des croyances religieuses. Nous avons construit un espace commun où tous ont droit de cité.
M. Jérôme Guedj
Tout cela est très discutable – mais intéressant !
M. François Bayrou, premier ministre
Je comprends, mais vous n’aviez qu’à ne pas déposer de motion de censure (Sourires et applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC),…
Mme Mathilde Panot
Nous sommes des opposants !
M. François Bayrou, premier ministre
…car il devient alors très difficile de se soustraire à l’obligation d’écouter ceux que vous voulez censurer !
M. Jérôme Guedj
J’écoute ! Je ne suis pas d’accord, mais ce n’est pas un drame…
M. François Bayrou, premier ministre
Il nous reste à tirer les ultimes conséquences de ce principe et à l’appliquer – nous en sommes loin, comme on le voit, mais je suis persuadé qu’il faut le faire – à la sphère politique. Ce concept nouveau de laïcité politique invite à mettre un terme aux conflits absurdes, descendants des guerres de religion, aux « mon parti, mon programme et rien d’autre » dans lesquels la France épuise son crédit depuis si longtemps. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – M. Jimmy Pahun applaudit également.)
Mme Mathilde Panot
Il n’y a que quatre députés pour vous applaudir !
Mme la présidente
Un peu de silence, s’il vous plaît !
M. François Bayrou, premier ministre
Pendant longtemps, j’ai cru comme tout le monde que le but des affrontements politiques consistait à faire triompher ses idées, à vaincre les autres, c’est-à-dire au bout du compte, si l’on y réfléchit un peu, à obtenir tous les pouvoirs, à imposer un absolutisme politique comme on voulait autrefois un absolutisme religieux.
Mme Mathilde Panot
Comme Emmanuel Macron !
M. François Bayrou, premier ministre
J’ai été un très bon militant de partis qui n’étaient pas des plus faciles à défendre ; j’y ai consacré beaucoup de temps et des quelques capacités que je possédais à l’époque.
M. Emeric Salmon
Un peu prétentieux, tout cela…
M. François Bayrou, premier ministre
Désormais, je ne crois plus que la démocratie signifie l’écrasement des uns par les autres.
M. Aurélien Le Coq
Démissionnez, alors !
M. François Bayrou, premier ministre
Je défends le contraire. Dans cet hémicycle et ailleurs, je suis en accord avec certains courants politiques, j’en considère d’autres avec des nuances, avec certains je suis en désaccord, avec d’autres enfin en opposition franche ; mais je crois en la démocratie comme en un espace où les sensibilités doivent coexister et, autant que possible, s’enrichir. Que ce soit en matière philosophique, religieuse ou politique, la laïcité ne saurait tendre à la tolérance molle, que je n’aime pas, encore moins au relativisme, que j’abhorre, mais à la fermeté des convictions et à la compréhension mutuelle.
M. Xavier Breton
Au pluralisme !
M. François Bayrou, premier ministre
Dans le débat, voire le combat, on n’a pas envie de mous, d’insipides, de « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Georges Bernanos l’a écrit dans l’un de ses plus grands romans : « petits cœurs, petites bouches – ceci n’est point pour vous ». On a besoin de raison, vous l’avez dit ; besoin de flamme, de cœur, de culture, d’intelligence, d’histoire et d’art, pour avec cette raison, cette foi, cette vertu d’engagement, arriver à comprendre l’autre, même l’adversaire, comme l’on comprendrait un frère ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Beaucoup hausseront les épaules en taxant d’idéalisme une telle manière de voir les choses. J’accepte le reproche ; je le revendique même. Ce n’était pas un tiède que Pascal, pas un tiède que Voltaire. Regardons-nous : nous sommes le peuple qui fait vivre ensemble Voltaire et Pascal, qui vit de Voltaire autant que de Pascal, sans arrondir les angles de leur pensée. Que l’on enlève l’un ou que l’on supprime l’autre, la France ne serait plus la France. Je vois d’ici les regards amusés (« Pas du tout ! » sur quelques bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS) : quel est ce type qui, à propos des valeurs de la République, vient vous parler de Voltaire et de Pascal, au temps des réseaux sociaux ?
Mme Ayda Hadizadeh
Ce n’est pas le sujet !
M. François Bayrou, premier ministre
Pardonnez-moi, mais de toute ma conviction, de toute ma folie peut-être, je crois que c’est parce que l’on ne parle plus d’eux que les réseaux sociaux sont devenus si pauvres. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme Marie Pochon
Demandez à Retailleau d’en parler !
M. François Bayrou, premier ministre
Voltaire et Pascal, je vous assure, ne sont pas moins modernes qu’Elon Musk et Sam Altman. En tout cas, c’est là qu’est la France !
Mme Ayda Hadizadeh
La proposition de loi sur la justice des mineurs n’est pas inspirée de Voltaire !
M. François Bayrou, premier ministre
C’est parce que nous partageons ces principes que nous formons un peuple : Ernest Renan le proclamait déjà il y a cent cinquante ans. Il y a là un cas de figure unique au monde : nous ne nous définissons pas par la pureté du sang de nos ancêtres, par la supériorité d’un dieu sur les autres, mais en tant que porteurs de quelque chose d’infiniment plus précieux, un projet commun de liberté, d’égalité et de fraternité, celle-ci, je le répète, constituant la clé de voûte.
Mme Mathilde Panot
Parlez-en à votre ministre de l’intérieur !
M. Jérôme Guedj
On dirait une colle en hypokhâgne…
M. Bastien Lachaud
Et la suppression du droit du sol à Mayotte ?
M. François Bayrou, premier ministre
Ce projet ne peut s’extraire de son époque, une époque où se pose la question des grandes migrations. Tout est inscrit dans la démographie : il suffit de regarder la carte du monde. D’ici à cinquante ans, la Chine pourrait avoir perdu des centaines de millions d’habitants, l’équivalent de la population de l’Europe ! L’Inde croît au contraire à grande vitesse. L’immense Russie est comme prisonnière d’un long hiver démographique. L’Italie perd également des habitants ; l’Espagne n’en gagne qu’en accueillant chaque année 3 millions d’immigrés, lesquels, il est vrai, partagent sa langue et sa tradition religieuse. Parmi ces bouleversements démographiques, les conflits d’identité s’exaspèrent, charriant avec eux des dangers extrêmes. Cette névrose identitaire constitue un risque immense, auquel il n’y a aucune raison que la France ne soit pas exposée. On le voit comme sous un verre grossissant aux États-Unis et en Inde. Ici renaît la guerre de Sécession ; là, jusque dans les villages, entre hindous, musulmans et chrétiens, c’est la guerre des temples : on ferait brûler le voisin détesté. La guerre n’appartient plus au passé, mais à l’avenir : économique, monétaire, technologique, née de la soif de conquête, de l’intégrisme religieux, de la grande mutation climatique, elle est partout, chassant devant elle les pauvres gens, les jeunes sans avenir. Si, dans ce monde en feu, quelqu’un prétend parvenir à l’immigration zéro, il se fait des illusions ! (M. Bruno Fuchs applaudit.)
La clé de l’immigration, dans le monde où nous allons vivre, ce sont les conditions d’intégration. Pour échapper aux affrontements, aux embrasements, il faut que la France fasse respecter sa loi. Aucun pays ne peut accepter la dissolution des règles qu’il s’est choisies, car il sent alors son existence menacée, et des réactions de rejet s’enflamment. Nous devons réguler l’immigration, d’où l’importance que les obligations de quitter le territoire français – on ne les appelle même plus que les OQTF – prononcées par nos tribunaux soient respectées.
Mme Ayda Hadizadeh
Il y a d’honnêtes travailleurs sous OQTF !
M. François Bayrou, premier ministre
Si les décisions de justice ne sont plus exécutées, la loi est bafouée, autant dire inexistante. D’où l’importance, aussi, que notre droit d’asile ne soit pas dévoyé. Nous nous battrons pour que la France reste terre d’asile,…
Mme Ayda Hadizadeh
Avec la circulaire Retailleau ?
M. François Bayrou, premier ministre
…comme le requièrent sa tradition, son honneur, ses valeurs constitutionnelles ;…
Mme Ayda Hadizadeh
Vous avez durci l’accès à la régularisation, même pour les travailleurs !
M. François Bayrou, premier ministre
…pour autant, l’accueil qu’elle a la générosité de garantir à ceux qui sont en danger, à ceux qui ont peur et voient en elle un refuge ne saurait être démonétisé, dévalué, par les subterfuges de ceux qui n’ont pas trouvé de moyen plus commode d’y entrer. D’où l’importance, enfin, d’une conception nette, et elle aussi respectée, des devoirs qui incombent aux personnes accueillies en France.
Ces obligations, qui ouvrent la voie à la régularité du séjour, d’abord, à l’intégration, ensuite, à l’assimilation, enfin, au terme de ce parcours d’étapes, sont au moins au nombre de trois : l’obligation de travailler, c’est-à-dire de contribuer au modèle économique et social ; l’obligation de parler notre langue, qui est le fondement du lien social ; et l’obligation d’adhérer à nos principes de vie en commun. Cette conviction est, je crois, partagée par la plupart de ceux qui siègent sur ces bancs. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Dem et HOR.)
Alors, quels sont les sujets qui font débat ? Certains affirment qu’un grand nombre d’étrangers arrivent sur notre sol pour profiter des avantages sociaux. Ils disent que 13 % seulement des familles non immigrées bénéficient de logements sociaux, alors que c’est le cas de 35 % des familles immigrées.
M. Alexis Corbière
Et 70 % des Français disent qu’il faut que vous partiez !
Mme Ayda Hadizadeh
Il n’y a pas assez de logements sociaux !
M. François Bayrou, premier ministre
D’où un sentiment d’injustice qu’on ne peut balayer d’un revers de la main, pas plus qu’on ne peut refuser à une personne d’être régularisée lorsqu’elle réside sur notre territoire depuis longtemps, participe à la marche de la société, travaille, maîtrise notre langue et adhère à nos principes de vie en commun.
Je ne parle pas ici de la nationalité. (Sourires ironiques sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Sandrine Runel
Non, n’en parlons pas. Comme ça, nous gagnerons du temps !
M. François Bayrou, premier ministre
L’acquisition de la nationalité, c’est autre chose. La nationalité ne doit pas se brader.
Mme Ayda Hadizadeh
C’est déjà le cas !
Mme Christine Arrighi
Il faut attendre trois ans pour obtenir sa régularisation !
M. François Bayrou, premier ministre
La naturalisation implique une adhésion volontaire et explicite à un peuple, réuni autour d’une conviction philosophique commune. Il s’agit non pas d’accéder à une panoplie de droits, mais de s’inscrire dans un destin collectif, qui vient de loin et qui se projette vers l’avenir.
Il existe également un autre débat : celui de l’accès aux soins. Certes, il y a un enjeu sanitaire pour notre propre population. Toutefois, la France ne serait pas la France si la condition pour recevoir des soins indispensables était de détenir le bon passeport. Encore faut-il vérifier que les soins pris en charge par la société sont effectivement indispensables aux personnes qui les reçoivent (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem)…
Plusieurs députés du groupe LFI-NFP
Arrêtez !
Mme Ayda Hadizadeh
Tous les ministres de la santé le disent !
M. François Bayrou, premier ministre
…et qu’il n’y a ni abus ni fraude.
La condition de l’intégration, c’est qu’il existe une loi et qu’elle soit respectée, et non que le pays soit ouvert à tous les vents,…
Mme Ayda Hadizadeh
Ce sont des préjugés !
M. François Bayrou, premier ministre
…avec un État incapable de faire respecter ses propres règles. L’État a le devoir d’être ferme, pour que ses citoyens aient la certitude de bénéficier de sa protection et puissent considérer la nationalité française comme un privilège, un avantage face aux désordres du monde.
La communauté nationale n’est pas une question pour les privilégiés, qui sont protégés par leur patrimoine et leurs capacités. Au bout du compte, si la communauté nationale vient à se dissoudre, qui en seront les premières victimes ?
Mme Ayda Hadizadeh
Pourquoi agitez-vous encore des fantasmes ?
M. François Bayrou, premier ministre
Les Français dont les parents et les grands-parents sont venus de loin pour rejoindre la communauté nationale ! Ceux qui n’ont pas le nom de famille approprié ou la bonne couleur de peau.
Mme Ayda Hadizadeh
La bonne couleur de peau ?
M. François Bayrou, premier ministre
Ils seront les premières victimes de la dissolution des règles que nous ne respectons plus. (M. Jimmy Pahun applaudit.)
Mme Ayda Hadizadeh
Leurs parents travaillent et ils sont sans papiers !
M. François Bayrou, premier ministre
Il est temps d’ouvrir les yeux sur les dangers des temps que nous vivons. Chaque jour qui passe, la force fait un peu plus la loi en matière commerciale, technologique et financière, entre les États-Unis et la Chine. De même, le spectre qui se profile d’une entente entre l’homme fort du Kremlin et le quarante-septième président des États-Unis est terrifiant pour l’Europe, sur laquelle il fait planer l’ombre de la guerre et de l’asservissement. Nous sommes sur le point de voir se produire sous nos yeux une annexion annoncée, revendiquée même, de territoires : je pense à la Crimée et au Donbass, s’agissant de l’Ukraine, ou encore au Groenland et au Panama.
La question que soulèvent les temps actuels est la question existentielle par excellence : « Être ou ne pas être ».
M. Bastien Lachaud
Ça, c’est l’Angleterre !
M. François Bayrou, premier ministre
Voulons-nous être la France, rester ce que nous sommes ou acceptons-nous la soumission ? Cette question se pose pour la France et pour l’Europe. Car seuls les Français, en particulier depuis l’élection du président de la République en 2017,…
M. Bastien Lachaud
Dont personne ne veut !
M. François Bayrou, premier ministre
…sont porteurs d’une vision du continent comme entité politique, unie par un socle de valeurs homogène, une civilisation commune déterminée à défendre son existence, d’abord, et ses intérêts, ensuite. Nous sommes les porte-drapeaux de l’Europe et de son autonomie stratégique.
M. Alexis Corbière
Mais quelle blague !
M. François Bayrou, premier ministre
Nous sommes le seul pays européen à être présent sur les cinq continents.
M. Bastien Lachaud
Sur les cinq océans, vous ne connaissez pas la géographie !
M. François Bayrou, premier ministre
Sur les cinq océans, vous avez raison. Mais nous sommes dans une position critique, une situation de crise, de faiblesse, due à notre désordre politique. C’est lui qui rend la France faible. Ce sont les affrontements entre partis, sans cause ni raison, fondés sur de simples prétextes, qui nous empêchent de saisir les enjeux et de les relever !
M. Aurélien Le Coq
Cela s’appelle la démocratie !
M. François Bayrou, premier ministre
J’appelle donc les sensibilités politiques représentées dans cette assemblée à ne pas détourner leur énergie de cette tâche historique, à ne pas dilapider leurs forces dans des tours de passe-passe politiques, dont ce type de motion de censure fournira à la postérité un cas d’école. Non seulement votre motion de censure rate sa cible, mais elle se retournera contre ceux qu’elle prétend défendre. C’est pourquoi j’appelle la représentation nationale à la rejeter. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.
Mme Virginie Duby-Muller (DR)
Nous sommes réunis de nouveau pour examiner une motion de censure déposée par la gauche. (« Par les socialistes ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Cette fois, nous avons l’immense honneur d’assister à une représentation de Tartuffe. Le Parti socialiste veut prendre à témoin l’opinion et démontrer qu’il est dans l’opposition. Il prend le premier prétexte venu pour justifier sa démarche, mais continue de se présenter comme faisant partie d’une opposition constructive. Le reste du Nouveau Front populaire vote la motion, après avoir dénoncé, la semaine dernière, avec les mots les plus fermes et la plus grande conviction, la position du Parti socialiste. Cette gauche-là n’a visiblement que le chaos en commun ! Quant au Rassemblement national, il ne vote pas la motion, pour des raisons d’affichage assumées.
Dans cette illusion étrange, nous sommes les acteurs malgré nous d’une vaste comédie qui désintéresse profondément les Français. Demandez-leur en effet ce qu’ils en pensent, lorsque vous les croiserez pour les dernières cérémonies de vœux ou sur les marchés ! Ils vous exprimeront une grande lassitude.
M. Alexis Corbière
Si vous saviez ce qu’ils pensent de vous !
Mme Virginie Duby-Muller
Vous seriez d’ailleurs bien inspirés d’écouter un peu plus votre base militante.
M. Pierrick Courbon
Vous avez perdu les élections !
Mme Virginie Duby-Muller
Par vos assauts répétés contre nos institutions, par vos tentatives forcenées de renverser le gouvernement et de provoquer l’instabilité, vous écornez l’image de la France et de ses représentants, ce qui est d’autant plus grave dans le contexte géopolitique actuel. Vous sciez la branche sur laquelle nous sommes tous assis.
Depuis le début de la semaine, le gouvernement a apporté de la lisibilité sur l’agenda parlementaire des prochains mois. Certains textes seront utiles aux Français. Or c’est l’ensemble de ces textes que vous remettez en cause : la loi contre le narcotrafic, à l’heure où certains députés veulent légaliser le cannabis ; la loi en faveur des agriculteurs, issue du Sénat ; la loi sur le renforcement des soins palliatifs et sur la fin de vie, que la gauche appelle d’ailleurs de ses vœux ;…
M. Pierrick Courbon
Loi coupée en deux !
Mme Virginie Duby-Muller
…la loi sur la profession d’infirmier – et j’en passe. En faisant tomber le gouvernement, vous remettrez en cause tous ces textes. Or nous avons besoin d’avancer ; n’entravons pas la marche du Parlement et adoptons les textes qui sont utiles aux Français !
Après l’adoption de la motion de censure qui a renversé le gouvernement de Michel Barnier, notre assemblée a été paralysée. Ceux qui l’ont votée ont joué avec les déficits et privé la France d’un budget pendant de longs mois.
M. Alexis Corbière
C’est vous qui avez causé les déficits !
Mme Virginie Duby-Muller
La censure a d’ailleurs eu un coût pour le budget de l’État et celui de la sécurité sociale. Il ne faut ni le minimiser ni l’oublier. Le dérapage budgétaire s’est aggravé, tout comme les conditions socio-économiques.
M. Ian Boucard
Eh oui !
M. Alexis Corbière
La faute à qui ?
Mme Cyrielle Chatelain
À Emmanuel Macron !
Mme Virginie Duby-Muller
Par exemple, le déficit prévisionnel du budget de la sécurité sociale pour l’année 2025 est passé de 18 milliards d’euros – tel que prévu lors la commission mixte paritaire (CMP) –, à plus de 22 milliards.
La censure du gouvernement de Michel Barnier a aussi généré un climat d’anxiété et d’incertitude particulièrement néfaste pour le pays : les entreprises et leurs salariés sont restés dans le flou le plus complet quant au calcul des cotisations à l’entrée de l’échelle des salaires ; les difficultés ont été visibles dans certains secteurs comme l’emploi saisonnier agricole ou la distribution de médicaments ; les investissements publics et privés ont été mis en pause, les embauches gelées et les projets reportés. Ce climat général a abouti à une dégradation de la croissance et donc à une baisse des recettes de l’État.
Il nous faut désormais créer au plus vite les conditions d’une confiance retrouvée et, ainsi, d’un rebond de la croissance. En adoptant la motion de censure, nous annihilerions de facto la reprise des investissements dont notre pays a tant besoin, car nous aggraverions le climat d’incertitude politique.
La conséquence en serait concrète : une hausse des taux d’intérêt et une dégradation de la trajectoire de la dette. Cette dernière est inquiétante, car le budget adopté définitivement n’inclut pas les éventuels événements exogènes susceptibles de la bousculer. Le Haut Conseil des finances publiques l’a rappelé dans son avis : le budget « offre peu de marges de sécurité » et repose sur des leviers qui sont « peu documentés ». Ce qu’il veut dire concrètement est très simple et nous devons regarder la réalité en face : en cas de crise, de pandémie ou de dégradation de l’environnement macroéconomique, le déficit pourrait devenir hors de contrôle.
Évidemment, l’adoption de la motion de censure aurait des conséquences délétères et viendrait percuter les prévisions macroéconomiques, en les rendant caduques, quelques jours seulement après l’adoption du budget.
Le groupe Droite républicaine ne souhaite pas en arriver à cette extrémité et adoptera une attitude responsable. Avec notre président Laurent Wauquiez, c’est ce que nous faisons depuis les élections législatives de 2024.
Mme Cyrielle Chatelain
On ne le voit pas beaucoup, votre président…
Mme Virginie Duby-Muller
Pour l’élaboration des prochains budgets, je souhaite que nous cessions de naviguer au gré des gouvernements et de préparer un texte, en quelques semaines, à partir de mesures purement paramétriques. Notre groupe participera aux travaux préparatoires que le gouvernement voudra bien organiser, pour retrouver une vision de long terme dans la construction de notre budget.
Vous voudriez sacrifier toute stabilité sur l’autel de la politique politicienne. Pour quelle raison ? Pour dénoncer le terme de « submersion migratoire » que le premier ministre a très justement utilisé à propos de Mayotte !
M. Alexis Corbière
Très justement ? Il ne parlait pas de Mayotte : soyez précise !
Mme Virginie Duby-Muller
Chers collègues, comment qualifiez-vous un département français dans lequel près de la moitié de la population est illégale et près de 70 % des illégaux sont originaires des Comores ; un département dans lequel l’immigration illégale a des conséquences concrètes sur les services publics : la maternité de Mamoudzou est, par exemple, la plus grande de France, tandis que les écoles sont sous-dimensionnées ; un département dans lequel l’immigration illégale a des conséquences sur la biodiversité, à cause des installations et des pompages illégaux ? Mayotte est le département de France où la déforestation est la plus importante et où les bidonvilles s’étendent – le cyclone Chido l’a tristement rappelé.
Ces caractéristiques sont donc celles d’un département qui subit, c’est vrai, une « submersion migratoire ». En ne le reconnaissant pas, vous vous heurtez à la réalité. Il ne s’agit pas de généraliser la situation de Mayotte à l’ensemble du territoire français ; ce serait une faute. Il s’agit simplement de retranscrire ce que vivent les Mahorais. Rendez-vous sur place, chers collègues du NFP, et ils vous le diront !
Le groupe Droite républicaine ne fait pas que parler ; il agit.
M. Alexis Corbière
Hélas !
Mme Virginie Duby-Muller
Cet hémicycle a adopté, il y a quelques jours, notre proposition de loi visant à restreindre le droit du sol à Mayotte, en conditionnant l’obtention de la nationalité française à une année de résidence.
Mme Marie Pochon
Votre texte était anticonstitutionnel !
Mme Virginie Duby-Muller
Pendant l’examen des textes inscrits à l’ordre du jour de notre niche parlementaire, nous avons subi des attaques d’une violence inouïe de la part de la gauche la plus radicale et des outrances caricaturales. Mais nous n’avons rien lâché et nous avons obtenu une victoire pour l’ensemble des Mahorais. Par notre action constructive, nous sommes utiles aux Français ! Permettez-moi, à cet égard, de saluer également le travail de Mansour Kamardine, ancien député mahorais de notre groupe et mon ancien voisin dans cet hémicycle (Applaudissements sur les bancs du groupe DR), qui s’est battu pour son archipel et a fait beaucoup pour son territoire.
La Droite républicaine, dans la continuité de personnalités telles que Jacques Chirac, a toujours considéré nos compatriotes ultramarins comme des Français à part entière. Nous aimons l’outre-mer…
Mme Cyrielle Chatelain
Mais vous l’avez oublié quand vous étiez au pouvoir !
Mme Virginie Duby-Muller
…et le disons haut et fort : aimer nos compatriotes ultramarins, c’est refuser de leur faire vivre une situation que nous jugerions inacceptable en métropole.
M. Ian Boucard
Tout à fait ! Contrairement à la gauche !
Mme Virginie Duby-Muller
C’est ce que vivent non seulement les Mahorais, mais aussi les Guyanais, qui subissent également une forte immigration irrégulière.
Aimer nos compatriotes ultramarins, c’est investir pour améliorer l’accès à l’eau des Martiniquais ou des Guadeloupéens, s’engager pour le système de santé à Saint-Barthélemy ou à Saint-Martin ou encore mieux loger les Réunionnais.
Aimer nos compatriotes ultramarins, c’est défendre le droit à l’autodétermination et les Calédoniens, qui ont dit à trois reprises dans les urnes qu’ils sont Français et fiers de l’être. (M. Ian Boucard applaudit.)
M. Peio Dufau
C’est faux !
Mme Virginie Duby-Muller
Notre parti associé – le Rassemblement-Les Républicains – est incontournable en Nouvelle-Calédonie, car il sait défendre l’appartenance à la France tout en respectant la culture kanak. Permettez-moi d’ailleurs de saluer le nouveau président de l’exécutif calédonien, Alcide Ponga, également président de ce parti.
Aimer nos compatriotes ultramarins, c’est aussi défendre l’autonomie de la Polynésie française, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna.
Oui, nous aimons nos compatriotes ultramarins et nous avons les yeux ouverts. Cette motion de censure est un exemple de cécité et d’immobilisme.
Chers collègues, il est temps que cette tartufferie prenne fin. De l’arène politique, vous offrez un spectacle affligeant, qui révèle la déconnexion de certaines formations politiques par rapport au pays.
M. Inaki Echaniz
Comme lors du dîner des sommets !
Mme Virginie Duby-Muller
Vous contribuez ainsi à accentuer la défiance des citoyens à l’égard des politiques ; car, pour être respecté, il faut être respectable.
Avec Laurent Wauquiez et les collègues du groupe Droite républicaine,…
M. Inaki Echaniz
On mange à l’heure !
M. Ian Boucard
On travaille !
Mme Virginie Duby-Muller
…nous voulons que cette longue séquence d’instabilité politique prenne fin, pour que nous puissions travailler sur les vrais sujets de long terme. Nous voulons par exemple rétablir la justice sociale en créant un écart significatif, à situation familiale identique, entre les familles où les parents travaillent et celles où les parents ne travaillent pas. Ceux qui se lèvent tôt doivent toujours gagner davantage que ceux qui vivent de l’assistanat et des cotisations des autres.
M. Alexis Corbière
Ça, c’est vrai ! Et pour ça, il y a la taxe Zucman !
Mme Virginie Duby-Muller
Exercer un emploi, naturellement quand on le peut, doit redevenir plus rémunérateur que cumuler des aides.
M. René Pilato
Échangez votre situation avec la leur : prenez le RSA et laissez vos indemnités d’élue !
Mme Virginie Duby-Muller
Supprimons ces terribles trappes à inactivité, où la reprise d’un travail ou l’augmentation de son volume horaire font gagner en salaire moins qu’elles ne font perdre en prestations ou en tarifs sociaux.
Il faut, par étapes, aller vers une allocation sociale unique, qui représentera une simplification pour les bénéficiaires tout en permettant de lutter contre le non-recours et de réduire les frais de gestion. Cette politique doit aller de pair avec le rétablissement des allocations familiales aux familles qui travaillent, pénalisées par la mise sous condition de ressources – un coup de rabot donné sous la présidence de M. Hollande.
Voilà une des priorités sur lesquelles nous devons travailler pour la France : mieux valoriser ceux qui travaillent.
Mme Cyrielle Chatelain
C’est fini, votre temps de parole est écoulé !
Mme Virginie Duby-Muller
Je dispose de quinze minutes, alors souffrez de m’écouter encore un peu !
M. Jean-Pierre Vigier
Il ne faut pas leur répondre !
M. Ian Boucard
Il serait dommage de vous arrêter, votre discours est brillant !
Mme Virginie Duby-Muller
Ces motions de censure ne sont que des effets de manche qui s’éloignent grandement de cet objectif. Revenez à l’essentiel de la mission d’un député : être utile aux Français et à la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – M. Éric Martineau applaudit également.)
Mme la présidente
Le temps de parole était effectivement de quinze minutes.
La parole est à Mme Marie Pochon.
Mme Marie Pochon (EcoS)
« II n’y a qu’une seule question politique : comment voulez-vous élever vos enfants ? » C’est vous qui avez prononcé cette phrase, monsieur le premier ministre, il y a quelques années. Je partage entièrement votre avis : c’est la question qui doit animer chacun de nos choix, en tant que représentants de la nation. Comment voulons-nous élever nos enfants ? C’est la question que je me pose depuis cette dissolution inconséquente, depuis que la morosité s’est installée dans le pays après le déni de démocratie qu’a constitué le refus du résultat des urnes, et alors que la seule discussion proposée au pays est celle de la haine et du rejet de l’autre.
Des discussions, nous devrions en avoir sur tant d’autres thèmes ! Non, je ne pense pas à celui de la « laïcité religieuse », qui semble vous intéresser particulièrement, monsieur le premier ministre, mais à ceux qu’avaient inscrits sur le papier les millions de Français qui ont noirci les cahiers de doléances il y a six ans : les manières d’être à la hauteur du défi climatique et environnemental tout en protégeant nos compatriotes les plus vulnérables, la réindustrialisation, l’accès aux soins et à la culture, les moyens alloués à notre école républicaine, la justice fiscale, le pouvoir d’achat, la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la mobilité pour toutes et tous, la protection contre les polluants éternels, la garantie de prix rémunérateurs pour les agriculteurs, le contrôle de la qualité de notre eau potable, le respect du droit international.
Nombre de ces discussions seront menées demain, lors de la journée d’initiative parlementaire du groupe Écologiste et social, et je remercie mes collègues pour cela. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et SOC.)
Mais partout, tout le temps, c’est le chaos qui s’installe, peut-être à dessein : on attaque les institutions garantes de l’État de droit – ce fameux État de droit qui n’est ni figé ni immuable ; le climatoscepticisme s’implante ; on laisse tenir des propos qu’en d’autres temps, toute la classe politique aurait condamnés, des « étrangers, dehors » crié dans l’hémicycle aux « submersions migratoires » – qui, non, n’existent pas, et c’est dégueulasse de les faire vivre dans l’esprit des gens pour en tirer de petits avantages électoraux ; on veut bâtir des prisons par dizaines, tandis que, dans mon département, on fermera encore quarante-sept classes cette année. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EcoS. – M. René Pilato applaudit également.)
Tandis que certains responsables politiques brandissent des tronçonneuses en conférence de presse, d’autres organisent la primaire de leur parti en direct de la place Beauvau, à coups de conférences de presse affolant BFM TV avec une maire qui affirme que les auteurs d’attaques au couteau ont « souvent […] des origines liées à l’islam ».
Mme Cyrielle Chatelain
Honteux !
Mme Marie Pochon
Tandis que certains défendent ici un populisme judiciaire enfermant les enfants et stigmatisant les parents, d’autres entendent revenir sur le droit du sol sur tout le territoire national. Tout ce joli monde a également rendu une pluie d’hommages à un tortionnaire, mais n’aura pas eu un mot – pas un seul ! – pour dénoncer, quelques semaines plus tard, une attaque néonazie sur notre sol. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC ainsi que sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
Vous ne prospérez que sur l’indignité de la division et de la fracture ; et vous appelez les autres à la responsabilité et à la stabilité ! Qu’en est-il de votre responsabilité, monsieur le premier ministre ? Vous ne nous avez jamais posé la question, alors que cela se fait dans toutes les démocraties fonctionnelles ; c’est à cette question que nous devons répondre aujourd’hui.
Cette motion de censure, nos collègues socialistes auraient pu la déposer à l’occasion du budget. Elle porte sur tout le reste, et on les remercie quand même. (Sourires sur les bancs du groupe SOC.) Néanmoins, j’aimerais revenir un instant sur ce budget pour rappeler quelques faits : une dette de 1 000 milliards, creusée depuis 2017 par la droite sénatoriale et le bloc présidentiel (« Eh oui ! » et applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC) ; la publication de notes confidentielles remettant en question la sincérité du budget 2024 – dont nous n’avions même pas pu débattre ; le vingt-huitième 49.3 en un peu plus de deux ans.
Malgré tout – vous remarquerez notre grande résilience –, mes collègues du groupe Écologiste et social et moi-même avons participé aux débats budgétaires cet automne. Nous y avons fait adopter des amendements, en commission et en séance, grâce à des votes venus de tous les bancs, démocratiquement. Le gouvernement a fait le choix de ne pas les retenir. Puis, nous sommes revenus aux discussions et avons fait des propositions crédibles, parce que le dialogue et la culture du compromis font partie de nos valeurs.
Monsieur le premier ministre, vous avez sciemment décidé de contraindre l’exécution budgétaire de la loi spéciale pour installer l’inquiétude chez nos concitoyens, et d’utiliser pas moins de quatre 49.3 pour clore les discussions. (M. Pierre Pribetich applaudit.) Vous avez sciemment décidé d’exonérer certains de l’effort collectif – cet effort que nos concitoyens devront consentir. Pire encore : tous ces efforts, toutes ces coupes ne suffisent pas à nous faire emprunter la bonne trajectoire de réduction de la dette. La situation empirera donc d’ici à quelques mois.
Vous n’avez fait aucun compromis ; vous en aviez le droit. En ce qui nous concerne, nous avions le devoir de nous y opposer.
J’en viens à « tout le reste ». Comme vous, monsieur le premier ministre, je suis élue dans ce qu’à Paris on appelle la province. Contrairement à vous, je sais que notre sort, dans la Drôme d’où je viens, n’a souvent été lié qu’à notre capacité à nous débrouiller par nous-mêmes. Nous votons et payons nos impôts, nous aimons notre pays. L’État doit assurer l’égalité des territoires, la redistribution, la justice, la santé, l’éducation, notre sécurité aujourd’hui et demain ; sinon, nous serons les oubliés de cette histoire – si nous ne le sommes pas déjà un peu –, et nous ne serons pas les seuls. L’État doit considérer chacune et chacun de la même manière, qu’il habite à Pau ou à Mayotte, à Séderon ou dans le 17e arrondissement de Paris.
M. Emmanuel Mandon
Nous sommes bien d’accord !
Mme Marie Pochon
La colère qui s’exprime dans notre pays n’est pas « un truc très français ». Elle a des racines très concrètes dans l’abandon de territoires entiers ; dans les logiques de marché qui plongent les gens dans des situations inextricables ; dans la perte de sens que vos discours d’autorité veulent combler ; dans l’abandon, sous couvert de coupes budgétaires, des initiatives Territoires zéro chômeur de longue durée ; dans la fermeture, dans mon département, de sept centres de santé sexuelle ; dans votre incapacité à respecter vos propres engagements écologiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.) Elle se niche dans la véritable démission environnementale dont vous faites preuve en plaçant des cibles sur tous les thermomètres de la protection de la biodiversité, de l’Office français de la biodiversité (OFB) à l’Agence de la transition écologique (Ademe) en passant par l’Agence Bio, les réserves naturelles, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae),…
Mme Cyrielle Chatelain
La honte !
Mme Marie Pochon
…tous ces outils qui sont un frein, jugé irraisonnable, à votre sacro-sainte compétitivité – il faudra que vous nous expliquiez un jour comment elle peut faire vivre nos villages et nos fermes, assurer notre mieux-vivre. Rendez-vous compte : entre la censure de M. Barnier et votre nomination, monsieur Bayrou, un département français a été intégralement rasé par les conséquences du dérèglement climatique. Or on regarde ailleurs. C’est vertigineux !
« La politique, c’est fait pour donner aux gens des raisons de vivre », disiez-vous il y a quelque temps. Depuis six mois, j’ai douté avant de voter chaque motion de censure, tant l’habitude s’installe d’accepter, parce qu’il le faut, des politiques et des budgets sans débat et sans vote de l’Assemblée ; d’accepter, parce qu’il le faut, les insultes à nos compatriotes, la fracturation de notre communauté nationale ; d’accepter, parce qu’il le faut, les pires reculs environnementaux, la fin de l’agriculture paysanne et familiale, le silence et le mensonge sur les actes pédocriminels ; d’accepter, parce qu’il le faut, vos ministres xénophobes et l’extrême-droitisation de nos débats.
Après de nombreux doutes, j’ai voté ces motions, parce que je ne peux assumer cette accoutumance au pire dans laquelle nous sombrons. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.) En ces temps où bruisse l’antiparlementarisme sur fond d’austérité budgétaire, il faut affirmer que le Parlement est non pas le problème mais la solution. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.) Il faut interdire le 49.3, qui censure l’expression de la représentation nationale (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et SOC.)
M. Alexis Corbière
Bravo !
Mme Marie Pochon
Cela seul, sans doute, ouvrirait la porte à l’obligation de coopérer, au-delà des postures démagogiques et populistes. À l’heure où notre République s’abîme de sa perméabilité à la corruption, il n’aurait pas fallu élire au Conseil constitutionnel, avec l’aval de l’extrême droite, un copain sauvé, grâce à la prescription, d’une mise en examen pour prise illégale d’intérêts. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)
Monsieur le premier ministre, depuis votre nomination, je n’ai pas tout compris à vos mots, et je ne suis pas sûre que vous les maîtrisiez tous non plus. (Rumeurs sur les bancs des groupes EPR et Dem.) Derrière les oublis, les maladresses et les hésitations, j’ai vu se dessiner un cap : vous maintenir au pouvoir grâce au flou, grâce à l’inaction,…
M. Alexis Corbière
Grâce au RN !
Mme Marie Pochon
…en promettant un peu à certains mais en ne vous engageant sur rien, alimentant la grande confusion dont se nourrit l’extrême droite. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS. – Mme Dieynaba Diop applaudit également.)
J’ai compris que nos générations vivront sans doute moins bien que celles de nos parents, et que nous ne ferons rien, ou si peu, face au cataclysme climatique et sanitaire, comme l’estime le secrétaire général à la planification écologique qui a quitté son poste hier. J’ai compris que, malgré tout ce que nos aînés avaient bâti après les plus grands drames de notre histoire, nous nous enfoncerons dans l’ère du chacun pour soi et de la règle de droit arbitraire selon que l’on soit puissant ou vulnérable. J’ai compris que, malgré les heures d’échanges avec vous, vos ministres et nos collègues députés, vous préférez gouverner avec l’aval d’autres, à l’exact inverse du front républicain qui a fait élire votre socle commun. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)
Monsieur le premier ministre, vous n’êtes pas écologiste ; entendez que des Français s’en préoccupent. Vous n’êtes pas de gauche ; entendez que c’est le bloc politique arrivé en tête aux élections. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et SOC.) Entendez que les dividendes monstrueux versés par le CAC40 cette année sont une insulte à toutes celles et à tous ceux dont vous exigez des efforts – et qui les font, parce qu’ils croient encore en la République.
Monsieur le premier ministre, vous vous dites démocrate : entendez ce que les défaites successives de votre camp, ce que la colère, la tristesse, l’impuissance, le désespoir, tous ces sentiments qui parsèment les sondages d’opinion, les cahiers de doléances et les cérémonies de vœux – je pense à celles qui ont eu lieu dans nos circonscriptions le mois dernier – disent de la crise de régime que nous vivons.
M. Alexis Corbière
Excellent !
Mme Marie Pochon
Entendez que cela ne peut justifier la continuité, mais doit conduire à un changement de cap.
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste et social votera la motion de censure. (Les députés des groupes EcoS et SOC ainsi que M. François Piquemal se lèvent et applaudissent. – Plusieurs autres députés du groupe LFI-NFP applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Marc Fesneau.
M. Marc Fesneau (Dem)
Une motion de censure n’est pas une motion de congrès, qu’il soit du Parti socialiste ou d’une autre formation politique. Ce n’est pas non plus un label ou un trophée qu’un groupe s’attribue à lui-même dans le concours, assez lunaire, du meilleur opposant de France. Enfin, ce n’est pas un étendard politique brandi à chaque polémique pour distinguer ceux qui auraient des valeurs de ceux qui n’en auraient pas.
M. René Pilato
Un peu quand même !
M. Marc Fesneau
Non, une motion de censure n’est pas un acte anodin. Il faut en mesurer les conséquences, car elles peuvent être graves, compte tenu des difficultés immenses auxquelles la France, l’Europe et le monde sont aujourd’hui confrontés. Aujourd’hui, celles et ceux qui entendent censurer le gouvernement doivent donc le faire en connaissance de cause.
M. Alexis Corbière
C’est le cas ! Ne vous inquiétez pas !
Mme Dieynaba Diop
Nous le faisons en pleine conscience !
M. Alexis Corbière
Ce sont les Français qui vous ont censurés, en juin !
M. Marc Fesneau
Censurer le gouvernement signifie que le projet de loi de finances initiale et le projet de loi de financement de la sécurité sociale que le Parlement vient d’adopter, à l’issue d’un parcours jonché d’obstacles, ne pourront être déployés concrètement et rapidement, sur le terrain. (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.) Cela signifie que les avancées utiles que des groupes politiques, y compris des groupes d’opposition – même s’ils ont du mal à l’admettre –, ont obtenues avec ces textes ne pourront être déclinées au bénéfice des Françaises et des Français. Je pense tout particulièrement aux efforts consentis en faveur de l’hôpital public ou de l’éducation nationale – sur les bancs de gauche, vous les avez, comme nous, défendus.
Mme Dieynaba Diop
On a limité la casse !
M. Marc Fesneau
Censurer le gouvernement signifie que la stabilité que nous avions commencé à bâtir dans un esprit de compromis et de dialogue, au service des Françaises et des Français, au service des entreprises, des associations et des collectivités territoriales, n’était en réalité qu’un mirage, et que nous les plongeons à nouveau brutalement dans l’incertitude et le désordre. Cela revient aussi à mettre un coup d’arrêt à des avancées attendues : repousser le projet de loi d’orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture,…
Mme Marie Pochon
Ce serait vraiment dramatique ! (Sourires.)
M. Inaki Echaniz
Il n’est pas à la hauteur, et vous le savez !
M. Marc Fesneau
…réclamé par le monde agricole à la veille de l’ouverture du Salon international de l’agriculture ; renoncer à examiner rapidement la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, qui a fait l’objet d’un consensus – je sais que ce mot vous gêne – au Sénat, pour apporter collectivement une réponse à ce fléau funeste ; retarder encore l’examen des propositions de loi sur la fin de vie et les soins palliatifs,…
M. Inaki Echaniz
Vous avez divisé le texte en deux !
M. Marc Fesneau
…qui trouvent, nous le savons, un écho puissant dans une société qui aspire à plus d’autonomie et de considération pour le choix des personnes en fin de vie.
M. Philippe Vigier
C’est vrai !
M. Marc Fesneau
Alors oui, je le dis à nouveau : censurer un gouvernement est tout sauf un acte anodin, à un moment où la France et les Français ont plus que jamais besoin et envie de stabilité.
Mme Dieynaba Diop
Nous en avons le droit, et nous assumons cette responsabilité !
M. Marc Fesneau
Puisque les auteurs de cette motion entendent parler de valeurs, je voudrais dire en quoi ces arguments paraissent d’un autre temps, picrocholins, quand des menaces globales et immédiates nous guettent, mettant, elles, réellement en danger nos valeurs – celles que, je crois, nous partageons.
Mme Marie Pochon
L’extrême droite est une menace réelle !
M. Marc Fesneau
Accaparer cet hémicycle pour débattre d’un supposé péril des valeurs apparaît au mieux dérisoire, au pire inconscient, alors qu’une guerre sur le sol européen devient une éventualité.
Mme Perrine Goulet
Absolument !
M. Marc Fesneau
S’il s’agit de parler des valeurs, des principes et des fondements de notre République,…
M. Inaki Echaniz
Soutenez-vous M. Retailleau ?
M. Marc Fesneau
…alors je nous invite à ouvrir les yeux sur les véritables risques qui menacent notre démocratie, donc tout notre système de valeurs.
M. Inaki Echaniz
Laurent Wauquiez a dit qu’il était d’accord avec le RN !
M. Marc Fesneau
Je pense aux risques liés aux impérialismes conquérants et brutaux, dont les contours se dessinent chaque jour un peu plus nettement, à l’Ouest comme à l’Est. Je pense à ce qui s’ébauche d’un nouvel ordre international – nous devrions plutôt parler de désordre –, qui pourrait être, demain, régi par la loi du plus fort et l’influence des multinationales, permettant l’ingérence de puissances étrangères au cœur de nos démocraties. Je pense aux guerres commerciales qui se profilent : elles peuvent mettre à mal toutes nos économies et plonger notre pays et l’Europe dans une crise sans précédent. Je pense aux crises climatiques à venir, qui vont bouleverser les équilibres sociaux, démographiques et économiques. (M. Jimmy Pahun applaudit.) Je pense enfin aux nouveaux défis technologiques : le sommet sur l’intelligence artificielle qui vient de se tenir à Paris témoigne de leur ampleur. C’est tout cela qui menace véritablement nos valeurs, et non autre chose !
Alors que s’ouvre sous nos yeux une ère nouvelle, nous devrions donc collectivement – nous qui partageons les valeurs multiséculaires de notre République – nous montrer à la hauteur du défi historique que la France et l’Europe doivent affronter avec lucidité.
Ce qui menace nos valeurs, ce sont celles et ceux qui, de l’intérieur, participent à l’affaiblissement du pays…
M. René Pilato
C’est Macron, alors !
M. Marc Fesneau
…en le déstabilisant, alors que les défis et les risques que je viens de décrire sont immenses. Ce qui menace nos valeurs, ce sont ceux qui affaiblissent la voix de la France, et ainsi de l’Europe, face à l’agression russe en Ukraine et au changement de pied brutal des États-Unis. Ce qui menace nos valeurs, ce sont celles et ceux qui organisent de l’intérieur l’impuissance et la soumission de l’Europe, soutiennent tous les régimes illibéraux et sont fascinés par leurs dirigeants autoritaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.) Ce qui menace nos valeurs, ce sont celles et ceux qui prônent le repli sur soi, alors que l’Europe doit être un amplificateur de notre souveraineté dans des domaines aussi stratégiques que la défense, l’énergie, l’agriculture ou l’intelligence artificielle.
En tout état de cause, mesdames et messieurs les membres du groupe Socialistes et apparentés, qui avez déposé cette motion de censure, nous n’avons pas, nous, au groupe Les Démocrates, au centre, de leçons à recevoir sur les valeurs, ne vous en déplaise ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.) Notre histoire, nos choix, parfois difficiles, les combats que nous menons depuis des années aux côtés de François Bayrou, tout dans nos actes parle plus fort que vos paroles. Nous avons su, nous, prendre nos risques pour tenir ferme sur les valeurs.
Mme Dieynaba Diop
Vous gouvernez avec le soutien sans participation de l’extrême droite !
M. Inaki Echaniz
Vous travaillez avec Bruno Retailleau !
M. Marc Fesneau
Ce sont les enjeux que j’ai rappelés, et tant d’autres, qui devraient nourrir nos débats et sur lesquels nous devrions chercher de manière constante à faire vivre le pluralisme en dépassant nos désaccords, pour promouvoir l’intérêt général et préserver l’essentiel.
Comme l’écrivait Aragon : « Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat / Fou qui songe à ses querelles / Au cœur du commun combat ».
C’est à ce combat existentiel que je nous invite – car c’est de cela qu’il est question. Pour le mener, il existe encore, je le crois, une majorité dans le pays, comme dans cet hémicycle. Tel est le rendez-vous que nous donne l’histoire, et j’espère qu’un jour, vous serez enfin avec nous, dans le respect de nos différences, à la hauteur de ces enjeux vitaux, car c’est à cette aune que nous serons jugés. Pour ce motif, au nom de mon groupe, j’appelle chacun, en conscience, à ne pas voter cette motion de censure. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR. – M. Sylvain Berrios applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Sylvain Berrios.
M. Sylvain Berrios (HOR)
Nous voici une fois de plus réunis dans cet hémicycle pour débattre d’une motion de censure. Celle-ci a pour seule ambition d’occuper l’espace médiatique.
M. Inaki Echaniz
Non !
M. Sylvain Berrios
Vous reprochez au premier ministre d’avoir prononcé deux mots. Vous vous indignez de l’emploi de l’expression « submersion migratoire ». Si votre démarche était sincère, vous auriez retenu non pas deux, mais trois des mots employés par le premier ministre : « sentiment de submersion ».
M. Inaki Echaniz
Ça en fait toujours deux !
Mme Dieynaba Diop
Nous vous ferons une petite explication de texte ! Car vous n’avez pas compris !
M. Sylvain Berrios
Or cela change tout. Dans le premier cas, cela peut justifier votre motion de censure ; dans le second, cela vous discrédite.
Mais qu’importe. Vous nous donnez l’occasion de rappeler les incohérences et les renoncements auxquels les bancs de la gauche consentent depuis de trop nombreuses années sur une matière aussi profondément humaine que notre rapport à l’immigration.
Qui peut contester que ce sentiment de submersion est ressenti par nombre de nos compatriotes, à Mayotte et dans tant d’autres territoires français ? Nous ne pouvons plus ignorer le sentiment des Français. De même, nous ne devons plus ignorer les faits.
Souvenons-nous des propos d’Ernest Renan, à l’heure où étaient jetées les fondations républicaines : « Une nation est une âme, un principe spirituel » ; « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement » ; « L’existence d’une nation est […] un plébiscite de tous les jours ». Sept ans plus tard, en 1889, la République adoptait une loi sur la nationalité qui consacrait le double jus soli, le double droit du sol.
Ignorer le sentiment des Français, c’est ignorer cette faculté à consentir ou à ne pas consentir au projet national, à perpétuer ou à rompre ce « plébiscite de tous les jours ». C’est ignorer aussi ce passé, dans lequel nos racines puisent profondément. Nul besoin que ces racines soient identiques pour former une nation ; il suffit que l’enracinement soit plébiscité, lui aussi.
Nous l’affirmons avec gravité mais sans ambiguïté : la France doit remettre de l’ordre dans sa politique migratoire. C’est une nécessité et un devoir, auquel le groupe Horizons & indépendants travaillera, pour apporter des solutions.
Nous devons remettre de l’ordre dans notre politique migratoire, car il y va des fondements de la nation. Quels sont-ils ? L’adhésion à un projet commun et la volonté de participer à un effort permanent de construction. Je déplore que ces valeurs soient aujourd’hui oubliées d’une trop large partie de la gauche. Elles avaient pourtant inspiré l’une des pages les plus nobles de son histoire.
Une politique d’immigration réussie repose sur trois piliers : la maîtrise des flux, la lutte contre l’immigration clandestine et l’intégration des immigrés réguliers.
En matière de flux, pour la seule immigration légale, la Cour des comptes indique dans un rapport récent que près de 327 000 titres de séjours ont été accordés en 2023, soit une hausse de 64 % en dix ans. La même année, plus de 140 000 demandes d’asile ont été déposées. Cela représente donc près d’un demi-million de personnes par an, qui viennent s’ajouter aux 4 millions de détenteurs d’un titre de séjour en cours de validité.
Mme Dieynaba Diop
Vous avez repris les fiches du RN ?
M. Sylvain Berrios
Les faits sont têtus : la hausse des flux correspond à une multiplication par trois du nombre d’entrées sur le territoire national depuis le début des années 2000. À ces chiffres, il faut ajouter au moins 600 000 personnes supplémentaires – il s’agit de l’estimation basse – qui se trouvent actuellement en situation irrégulière en France.
M. Inaki Echaniz
Et qui font tourner le pays !
M. Sylvain Berrios
En matière de lutte contre l’immigration clandestine, les faits sont têtus aussi : en 2023, seulement 7 % des 138 000 mesures d’éloignement prononcées par la France ont été exécutées.
Enfin, l’intégration – ou l’assimilation, selon les nuances que l’on souhaite apporter – est l’élément sur lequel repose le pacte républicain. Elle suppose en effet une adhésion préalable et indispensable ; elle est aussi la condition de notre indivisibilité,…
Mme Dieynaba Diop
Vous l’avez oubliée à propos du droit du sol à Mayotte !
M. Sylvain Berrios
…celle de la République et de la nation.
Dans les années 1870, période cruciale qui a façonné notre pays, Fustel de Coulanges écrivait à juste titre : « La patrie, c’est ce qu’on aime. » Pour Albert Camus, la patrie, c’est la langue française. Au fond, ils disent la même chose.
Du baron Haussmann à Marie Curie, en passant par Henri Bergson, Guillaume Apollinaire, Romain Gary ou Joseph Kessel, combien de grands étrangers devenus Français l’ont prouvé, avec autant de cœur que de brio, chacun dans son domaine !
Ces femmes et ces hommes ont tous eu pour boussole l’idéal français ; notre idéal de liberté a été au cœur de leurs choix les plus intimes et souvent les plus douloureux. Nous ne devons pas trahir cette espérance. Nous devons résolument refuser de renoncer à l’idéal de liberté lorsqu’on parle d’immigration. Cet idéal devrait d’ailleurs être partagé sur chacun des bancs de cet hémicycle.
Aujourd’hui, d’autres grands contemporains nous le rappellent, à l’image de Boualem Sansal, et de sa plume, emprisonnés par le pouvoir algérien. Pour ne pas renoncer à cet idéal de liberté et d’intégration, il n’y a pas cinquante solutions : nous devons maîtriser les flux et lutter contre l’immigration clandestine – les deux premiers axes que j’ai mentionnés.
Cela passe par une coopération internationale éclairée et par une lutte contre les réseaux de passeurs et de trafiquants. Cela dépend aussi de notre capacité à discuter et à renégocier avec fermeté les accords qui, aujourd’hui, nous contraignent injustement. Le régime spécifique dont l’Algérie bénéficie depuis 1968 avait toute sa justification il y a soixante ans. Désormais, il doit être suspendu, face au refus croissant des autorités algériennes de coopérer en la matière. Il est possible de le faire de votre propre autorité, monsieur le premier ministre : aucun travail législatif n’est nécessaire pour engager immédiatement cette suspension de l’accord de 1968 entre la France et l’Algérie.
De même, l’accord du Touquet de 2004 doit pouvoir être réétudié. Plus de vingt ans après son entrée en vigueur, est-il légitime de continuer à faire peser sur les côtes françaises et sur les populations locales les enjeux de sécurisation de la frontière britannique ?
D’autre part, la maîtrise des flux légaux ne doit plus être un tabou ni un étendard politique. À cet égard, la récente circulaire du ministre de l’intérieur, Bruno Retailleau, portant sur les pouvoirs de régularisation exceptionnelle des préfets emprunte une direction que nous saluons : l’admission au séjour et l’intégration dans la nationalité doivent relever non pas de considérations d’opportunité, mais d’une volonté ferme du législateur.
La question des naturalisations par la voie du mariage doit aussi être posée. La polémique née du refus du maire de Béziers de marier un étranger placé sous OQTF renforce notre conviction : le mariage ne peut pas être une voie de contournement de la règle commune ou de l’autorité de l’État.
Enfin, nous devons redonner confiance aux Français comme aux étrangers qui aspirent à le devenir par la voie légale : confiance dans la capacité de l’État à protéger, à accompagner, à intégrer ; confiance dans notre pacte républicain, dans nos valeurs et dans notre idéal de liberté.
Cette motion de censure ne fait qu’ajouter de la confusion à un débat déjà complexe. Elle ne propose aucune solution concrète, aucune piste de réflexion sérieuse. Il nous appartient pourtant de fixer un cap. La France a besoin d’unité et de cohésion.
Mes collègues du groupe Horizons & indépendants et moi-même y sommes prêts. Nous croyons en une politique qui propose, qui construit, qui avance, qui rend libre. Nous croyons en une politique qui entend les Français lorsqu’ils expriment leurs sentiments, qui les respecte et qui leur apporte des solutions, loin des gesticulations.
Monsieur le premier ministre, le groupe Horizons & indépendants est prêt à travailler avec vous, dès maintenant, selon les trois axes que j’ai indiqués. C’est la raison pour laquelle nous ne voterons pas cette motion de censure. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – Mme Danielle Brulebois et M. Xavier Breton applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Constance de Pélichy.
Mme Constance de Pélichy (LIOT)
Élue députée pour la première fois en juillet dernier, je suis arrivée dans cette assemblée en étant consciente que nous étions en train d’écrire un moment singulier de notre histoire nationale. Alors que je monte à la tribune, je ne peux m’empêcher de penser à tous ceux qui m’ont précédée et qui, précisément, ont fait l’histoire. Je pense à Simone Veil qui, en 1975, a changé la vie de toutes les femmes. Je pense à Robert Badinter qui, en 1981, a consacré la dignité humaine (MM. Jacques Oberti et Arnaud Simion applaudissent), ou encore à Philippe Séguin, dont le discours sur l’Union européenne, prononcé en 1992, est encore dans toutes les mémoires. Lorsque je regarde l’hémicycle, je vois Victor Hugo et Lamartine ; j’entends les passes d’armes entre Clemenceau et Jaurès. Et face à ces grands noms qui ont fait notre histoire, je mesure tous les combats que la République et la démocratie ont dû livrer pour construire la France d’aujourd’hui. (M. Charles de Courson applaudit.)
Nous sommes à un tournant de notre histoire. Ce tournant, j’en conviens, ne se joue pas précisément sur cette motion de censure : nous savons déjà tous qu’elle n’aboutira pas, pour diverses raisons, et les élus de mon groupe ne la voteront pas – il nous apparaît particulièrement inopportun, dans la période actuelle, d’ajouter de l’instabilité à un contexte déjà trop agité.
M. René Pilato
L’instabilité, c’est Macron et sa dissolution !
Mme Constance de Pélichy
Cependant, je ne peux cautionner ce qui se passe ici. Depuis 2022, par le dévoiement de nos procédures et de nos institutions, nous assistons à un déni de démocratie (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC. – M. Harold Huwart applaudit également), qui va grandissant. Permettez-moi de vous alerter, monsieur le premier ministre : en contournant en permanence l’Assemblée nationale, nous affaiblissons durablement notre République. (Mêmes mouvements.)
M. Laurent Alexandre
Votez la censure !
Mme Constance de Pélichy
Je suis arrivée ici, il y a huit mois, pleine d’espoir. J’ai espéré que nous pourrions sortir de la crise par le haut ; que cette nouvelle donne politique nous offrirait l’occasion de nous parler, de nous respecter, de travailler ensemble. La tâche est ardue, je ne le nie pas. Elle nécessite probablement du temps ; elle nécessite aussi un gouvernement à la hauteur.
M. René Pilato
Il n’y a plus de démocratie ! Il n’y a plus que des 49.3 !
Mme Constance de Pélichy
Mais finalement, que constate-t-on ? Les députés sont saisis sur des textes mineurs qui devraient relever directement du gouvernement. (Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT et SOC.)
M. René Pilato
Exactement !
Mme Constance de Pélichy
Nous passons des heures à parler de l’encadrement des dispositifs de vapotage à usage unique ou d’expérimentations relatives à des bourses pour les élèves.
M. René Pilato
Pendant ce temps-là, le budget passe par 49.3, au mépris du peuple !
Mme Constance de Pélichy
Ce matin même, nous avons passé trois heures, en commission, sur un texte visant à endiguer la prolifération du frelon asiatique.
M. Inaki Echaniz
C’est un vrai sujet !
Mme Constance de Pélichy
Je ne nie absolument pas l’importance de ces sujets, mais est-ce vraiment à l’Assemblée nationale de les traiter au cas par cas ? N’est-ce pas du ressort du pouvoir réglementaire ?
L’ironie veut que, le jour même où nous avons consacré plusieurs heures au frelon asiatique, nous ne parlerons presque pas de la loi d’orientation agricole. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Christophe Bex applaudit également.) Pire, nous allons voter ce soir sur l’avenir que nous souhaitons pour notre agriculture, alors qu’il y a deux heures, nous ne disposions toujours pas du texte ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT, SOC et EcoS. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit aussi.)
M. Inaki Echaniz
C’est honteux !
M. Emmanuel Mandon
Il faut relire la Constitution !
Mme Constance de Pélichy
Pourquoi ? Parce qu’il est issu d’une CMP convoquée en début de semaine et qui s’est déroulée cette nuit. Concrètement, cela signifie que les députés nouvellement élus n’auront pas eu la possibilité d’être associés à ce débat majeur.
Mme Marie-Noëlle Battistel
C’est une honte !
Mme Constance de Pélichy
Cela signifie aussi que le texte a été discuté par une assemblée qui n’est plus la même qu’aujourd’hui, et qu’il a ensuite été négocié cette nuit entre sept sénateurs et sept députés, ces derniers ayant découvert le texte qu’ils devaient examiner seulement quelques heures auparavant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. Inaki Echaniz
Eh oui ! C’est honteux !
M. René Pilato
Vous n’aimez pas la démocratie ! Vous n’aimez pas les représentants du peuple !
Mme Constance de Pélichy
Comme beaucoup, j’appelais à ce qu’un texte pour l’agriculture soit voté sans attendre, mais la méthode employée me révolte : elle illustre un déni de démocratie. Comment un vote éclairé pourrait-il avoir lieu ce soir, alors que nous n’avons même pas cinq heures pour étudier la proposition qui nous est soumise ?
Mme Mélanie Thomin
C’est injuste !
Mme Constance de Pélichy
Cela me révolte car, en quelques mois, ce n’est pas la première fois que cela se produit. Le budget a donné lieu à une CMP expéditive. Soit ! Nous avions besoin d’un budget dans l’urgence. Mais ce qui m’indigne, c’est qu’un texte aussi important que le budget de notre pays – un des budgets les plus complexes que la France ait eu à élaborer depuis la fin des années 1950 –, un texte aussi politique, soit adopté dans ces conditions. Et je ne parle pas de l’usage du 49.3 : ce qui m’a révoltée, monsieur le premier ministre, c’est de vous entendre répondre, lors des questions au gouvernement, une semaine après son adoption express, que vous non plus, vous ne saviez pas exactement ce qu’il contenait, et que vous aussi, vous en découvriez un peu plus chaque jour. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS. – MM. Christophe Bex et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
M. René Pilato
Lamentable !
Mme Constance de Pélichy
Comment peut-on adopter un budget aussi important avec autant d’amateurisme ?
M. René Pilato
Vous devriez censurer, collègue ! Soyez cohérente !
Mme Constance de Pélichy
Comment pouvons-nous accepter, vous comme moi, d’être à ce point court-circuités ?
Oui, l’Assemblée est difficile à manœuvrer, mais elle est le reflet de la société française : elle est divisée. En faisant volontairement le choix de la contourner, vous contournez le peuple. Alors, comme nous ne pouvons plus débattre des orientations du pays, la seule manière de débattre est la motion de censure. C’est dramatique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Emmanuel Duplessy applaudit également.)
M. René Pilato
Il faut la voter !
Mme Constance de Pélichy
Que dire lorsque votre garde des sceaux déclare ici, au sujet de la proposition de loi de M. Attal sur les mineurs délinquants, qu’il réécrira le texte issu des travaux de l’Assemblée ? Cela signifie-t-il que, lorsque l’Assemblée s’exprime, le gouvernement peut tout balayer d’un revers de la main ?
La palme pourrait être accordée au président de la République qui, alors que nous traversons une crise financière sans précédent, alors qu’il n’a plus aucune légitimité démocratique ni politique, annonce un budget de 109 milliards d’euros pour l’intelligence artificielle,…
Mme Christine Arrighi
Ce sont les 100 milliards du ferroviaire !
Mme Constance de Pélichy
…sans que nous ayons jamais eu la moindre discussion, ici, sur ce que nous voulons pour l’avenir de l’intelligence artificielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) De qui se moque-t-on ?
L’Assemblée est le reflet du peuple ; elle en est l’émanation ; c’est le socle sur lequel repose la légitimité démocratique de notre République. La contourner ouvre la voie aux tentations autoritaires.
La motion qui nous occupe ce soir n’en est qu’un symptôme. Parce que nous n’avons plus de débats sur le fond ni de possibilité d’échanger sur le contrat de société que nous voulons, nous en sommes réduits à parler de sémantique migratoire au cours de l’examen d’une motion. C’est affligeant, et je ne participerai pas à cela. Mais, monsieur le premier ministre, s’il vous plaît, soyez à la hauteur de nos principes républicains : remettez l’Assemblée au cœur de la vie politique nationale et permettez-nous de travailler à construire la société de demain. (Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.
Mme Soumya Bourouaha (GDR)
La motion de censure qui nous est soumise, déposée par nos collègues socialistes, vise à dénoncer les dérives du gouvernement et la compromission historique d’un bloc dit central, composé des forces macronistes originelles et d’une droite républicaine qui n’a plus de républicaine que le nom. Comme eux, nous considérons que ce gouvernement, par la voix de certains des plus éminents de ses membres, a fait le choix de tourner le dos à la République pour s’engouffrer toujours plus loin dans les thèses et la rhétorique de l’extrême droite.
Oui, l’extrême-droitisation du débat public est une réalité ; elle est une pente glissante sur laquelle le gouvernement a décidé de s’engager, sans retenue. Les exemples d’un tel glissement sont nombreux. Votre ministre de l’intérieur, ne serait-ce que lui, a érigé les dérapages en mode de fonctionnement. En proclamant que « l’État de droit n’est ni intangible ni sacré », il avait, dès sa nomination, posé les bases d’une remise en cause profonde de nos principes républicains. Cela fait écho à des propos qu’il avait déjà tenus à de nombreuses reprises, avant d’être ministre, lorsqu’il qualifiait certains citoyens de « Français de papier », lorsqu’il déplorait une « régression vers les origines ethniques » ou lorsqu’il osait déclarer que la colonisation, « c’est aussi des heures qui ont été belles, avec des mains tendues ».
Gérald Darmanin, quant à lui, après avoir fait campagne contre Marine Le Pen en disant qu’elle était « trop molle », applique aujourd’hui des politiques qui font rougir de plaisir les éléments les plus radicaux du Rassemblement national.
M. Inaki Echaniz
Eh oui !
Mme Soumya Bourouaha
Il plaidait encore il y a quelques jours pour l’arrêt de toute « activité ludique » en prison, sous-entendant que les prisons françaises seraient un gigantesque réseau Disneyland où la gauche, irresponsable, dorloterait les délinquants. Au-delà de leur degré d’irresponsabilité, ces propos sont très éloignés de la réalité, ce qui fait peur.
M. Emeric Salmon
La réalité est pire !
M. Kévin Pfeffer
Les irresponsables, c’est vous !
Mme Soumya Bourouaha
La France est en effet régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour les très mauvaises conditions de détention dans son système carcéral.
Enfin, vous-même, monsieur le premier ministre, avez apporté votre pierre à l’édifice en légitimant, il y a quelques semaines, un supposé « sentiment de submersion » migratoire. Vous avez ainsi, à votre tour, repris les mots, les concepts et les obsessions de l’extrême droite la plus antirépublicaine. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Ces multiples provocations ne sont pas des actes isolés. Elles sont l’aboutissement d’une dérive de la droite amorcée il y a plus de quinze ans, lors de la création du ministère de l’identité nationale sous Nicolas Sarkozy. Mais elles sont aussi le fruit de la complaisance d’une partie de la gauche qui, en certaines occasions, a cédé du terrain à ces idées nauséabondes : un président socialiste a voulu faire voter la déchéance de nationalité ; certaines figures issues du Parti socialiste ont dérivé progressivement jusqu’à accepter de gouverner aux côtés de MM. Retailleau et Darmanin. De tels renoncements ont préparé le terrain sur lequel prospère aujourd’hui l’extrême-droitisation du pouvoir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. René Pilato
Exactement !
Mme Soumya Bourouaha
Vous l’avez compris, nous partageons le constat dressé par les auteurs de cette motion de censure. Néanmoins, nous voulons exprimer une divergence par rapport à nos collègues socialistes. Donner l’alerte à propos des valeurs républicaines est indispensable, mais cela ne suffit pas. La dérive du pouvoir actuel est aussi et surtout la conséquence directe d’une politique économique et sociale qui abandonne les classes populaires et certains territoires de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS.)
La droite et la Macronie laissent les inégalités se creuser désespérément ; elles bradent les services publics ; elles imposent un budget d’austérité qui ne répond en rien aux attentes des Français. Or, nous le savons, le racisme ne prospère jamais aussi bien que dans la misère. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et LFI-NFP. – M. Emmanuel Grégoire applaudit également.) La xénophobie se nourrit du sentiment d’abandon. Quand la précarité gagne du terrain, quand les salaires stagnent, quand les services publics ferment, quand on ne peut plus se soigner, quand les usines se délocalisent, quand l’insécurité sociale est devenue le quotidien de la majorité des Françaises et des Français, il est plus facile pour les forces réactionnaires de détourner la colère populaire vers des boucs émissaires plutôt que vers les forces du capital. (Mme Karen Erodi et M. Matthias Tavel applaudissent.)
C’est pour cela que nous ne pouvons pas nous contenter d’une critique ayant trait aux valeurs : nous devons dénoncer et combattre sans relâche les politiques économiques qui précarisent toujours plus nos concitoyens les plus fragiles. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons voté les motions de censure qui visaient à rejeter les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale présentés par ce gouvernement, lesquels poursuivaient l’agenda politique d’Emmanuel Macron,…
M. Christophe Bex
Eh oui !
Mme Soumya Bourouaha
…agenda politique qui, depuis 2017, a une seule et unique obsession : satisfaire les marchés financiers, quoi qu’il en coûte au peuple.
Ce gouvernement, par sa soumission aux dogmes du marché et par sa violence sociale, est responsable de l’affaissement du pacte républicain. Il est aussi responsable de la montée des ressentiments xénophobes et de l’affaiblissement du vivre-ensemble. Il n’y a pas de combat efficace contre l’extrême droite sans un engagement résolu pour la justice sociale.
M. Matthias Tavel
Elle a raison !
Mme Soumya Bourouaha
Jaurès disait déjà en son temps que « le socialisme, c’est la République menée jusqu’au bout » ; leurs destins sont intimement liés. L’affaiblissement des valeurs d’humanité et de partage, le discrédit permanent jeté par le bloc central, c’est la victoire du « tous contre chacun » face au vivre-ensemble, la victoire de la concurrence sur la coopération, la victoire de la division face à l’unité.
M. René Pilato
Très juste !
Mme Soumya Bourouaha
Cet affaiblissement s’illustre jusque sur la scène internationale, où notre pays a perdu toute crédibilité et où sa voix ne porte plus. Il a abandonné ses fondamentaux et ses valeurs. Il a renoncé à défendre en premier lieu les peuples, surtout les plus fragiles. Les droits civils et politiques ne sont plus au cœur de son action, et c’est le prix des armes qui, désormais, guide notre diplomatie. Les habitants de Gaza, de Goma, du Sahara occidental et de tant d’autres terres sont abandonnés par la France, qui préfère le bruit des bottes, l’odeur de l’argent et la loi du plus fort à la voix de la paix et à l’honneur des peuples. (M. Édouard Bénard applaudit.)
M. André Chassaigne
Très juste !
Mme Soumya Bourouaha
Pour cela aussi, nous voulons vous censurer.
De nombreux procès en républicanisme ont été faits à la gauche ces dernières années. Trop souvent, nous avons accepté les quolibets ; nous avons accepté d’entendre certains, au sein du bloc central, dire que le front républicain devait se diriger contre nous.
M. Matthias Tavel
C’est une honte !
Mme Soumya Bourouaha
C’est oublier trop vite que nous sommes les héritiers des fondateurs de la République (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP et EcoS) et que jamais nous ne baisserons la tête face à ceux qui ont choisi l’alliance avec ses ennemis. La confusion ne peut plus exister entre la gauche et l’extrême droite. La perte de repères ne peut pas se poursuivre. Vous devez entendre que les mauvais budgets que vous imposez aux Français par 49.3 sont des accélérateurs concrets des idées d’extrême droite.
M. Matthias Tavel
Tout à fait !
Mme Soumya Bourouaha
C’est à cette condition que, demain, notre République pourra retrouver la concorde et l’harmonie dont elle a besoin. C’est pourquoi les députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine voteront dans leur majorité la motion de censure déposée par nos collègues socialistes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. Maxime Michelet.
M. Maxime Michelet (UDR)
La motion de censure soumise à nos délibérations est la sixième déposée par la gauche contre l’actuel gouvernement en l’espace d’un mois seulement. On pourrait s’attendre à ce que notre débat ne soit qu’une nouvelle répétition des cinq précédents débats qui nous ont réunis au même motif. Mais c’était sans compter sur la créativité politique de la gauche qui innove, avec cette nouvelle motion de censure, en inventant la motion de censure détournée.
Monsieur le premier ministre, je vous prie de bien vouloir m’excuser mais mon discours ne vous évoquera qu’incidemment, puisque la motion de censure ne vous évoque qu’incidemment. Le but premier de cette motion n’est pas, en effet, de vous renverser, et ses signataires le savent. Son seul et unique but est de porter la censure contre son seul et unique sujet, à savoir les idées du Rassemblement national et de ses alliés de l’Union des droites pour la République. Cette motion de censure ne veut pas vous censurer, elle veut censurer des idées et des principes que la gauche, forte de son magistère moral autoproclamé, dénonce à grand renfort de grands mots et de grandes phrases, comme nous pouvons le lire dans son texte. « Ennemi mortel de la République », « maîtres chanteurs du Rassemblement national », « corruption de nos principes communs », « passions tristes de l’extrême droite », « attaques contre notre modèle démocratique » : ce texte en viendrait presque à relever moins de la politique que de la poliorcétique, tant le Parti socialiste y semble assiégé de toutes parts par des dangers face auxquels il serait le seul et vaillant barrage.
Le problème, chers collègues socialistes, c’est que les idées que vous dénoncez ne sont pas seulement les nôtres, mais aussi celles du peuple français lui-même, et parfois même – pardon de vous rappeler cette douloureuse vérité –, celles de vos propres militants et sympathisants.
Concernant la justice des mineurs, vous considérez ainsi comme une infamie d’envisager l’abrogation de l’excuse de minorité. Mais vous êtes minoritaires : 81 % des Français y sont favorables et, d’ailleurs, 76 % des sympathisants socialistes le sont aussi. Concernant le droit du sol, vous considérez comme une indignité d’envisager sa remise en cause sur l’île de Mayotte. Mais vous êtes encore minoritaires : non seulement 73 % des Français y sont favorables, mais 65 % d’entre eux sont favorables à son abrogation sur l’ensemble du territoire national, comme nous le proposons.
Concernant l’immigration, enfin, vous considérez que les mots de « submersion migratoire » sont funestes. Mais vous êtes encore et toujours minoritaires, puisque 67 % des Français considèrent qu’il existe bien une submersion migratoire dans notre pays.
M. Arthur Delaporte
Faux !
M. Maxime Michelet
Permettez-moi d’ailleurs, en toute amitié,…
M. Inaki Echaniz
Nous ne sommes pas amis !
M. Maxime Michelet
…de vous alerter sur l’entrisme dans vos rangs de ce que vous qualifiez d’extrême droite, car cette même étude d’opinion démontrait que 43 % de vos sympathisants souscrivent également à cette expression.
Une adhésion qui nous remémore quelques paroles anciennes, prononcées en 1989, sur le nombre d’immigrés présents en France. Un homme politique que vous connaissez bien affirmait alors : « Le seuil de tolérance a été atteint dès les années 1970. » Ces mots, que vous qualifierez à n’en pas douter de funestes, sont ceux de François Mitterrand.
Pour vous, la question migratoire, qui inquiète tant nos compatriotes, qui bouleverse tant leur quotidien et nos territoires, n’est pas un problème mais une opportunité. Une opportunité de réaffirmer l’hégémonie morale que vous souhaitez exercer, une opportunité aussi, quelque peu désespérée, de raccrocher les wagons du Nouveau Front populaire, puisque voilà tout ce qui vous reste pour survivre électoralement.
Il y a quelques jours, vous n’avez pas voulu voter avec vos camarades d’élection sur les censures relatives au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale, alors il vous fallait vous racheter une conscience. Et cette conscience, vous avez choisi de la racheter à nos frais.
Mme Dieynaba Diop
C’est vous qui l’avez perdue en vous alliant au RN !
M. Maxime Michelet
Mais cela ne nous dérange pas. Nous aurions même envie de vous en remercier, tant votre motion est une flagrante démonstration de votre rupture avec la réalité.
On ne peut que regretter que vous n’ayez jamais fait vôtres les mots fameux de Charles Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. » Face à la réalité, vous faites le choix de ne pas voir ce que vous voyez, vous préférez détourner le regard. Car oui, la submersion migratoire est une réalité, étayée par des chiffres incontestables que je vais me permettre de vous rappeler.
En vingt ans, le nombre de premiers titres de séjour délivrés a plus que doublé, passant de 120 000 à 340 000, et en dix ans seulement, le total de ces titres de séjour s’est élevé de 2,7 à 4,3 millions. En quinze ans, les demandes d’asile ont quant à elles plus que triplé, passant de 36 000 à 131 000 demandes tandis que, depuis 2012, c’est-à-dire depuis l’élection de François Hollande, ce sont 400 000 clandestins qui ont été régularisés et 1 million d’OQTF qui n’ont pas été exécutées.
Ces chiffres sont ceux d’une immigration dérégulée, dont les conséquences ne peuvent être méconnues mais que vous choisissez de méconnaître. Sous l’effet de dynamiques d’immigration hors de contrôle et de dynamiques de natalité en berne, la France est soumise à des tensions inédites dont toutes les forces politiques devraient s’inquiéter. Mais vous, vous faites le choix non de vous inquiéter de la réalité, mais de vous inquiéter de nos idées. Plutôt que des symptômes, vous vous inquiétez des remèdes, non pas sur le ton de la divergence politique, mais sur celui de la suprématie morale de votre humanisme supposé.
Chers collègues, pour reprendre les termes de Mme Hadizadeh, vous n’avez pas le monopole du cœur tendre. Non, vous n’avez pas le monopole de l’humanisme. Surtout, vos politiques n’ont rien d’humaniste, car il n’y a rien d’humaniste à laisser des populations immigrées, pauvres et précaires, venir dans un pays qui n’est pas en mesure de les accueillir. Rappelez-vous que nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde, selon les mots, funestes aussi j’imagine, du socialiste Michel Rocard.
Mme Dieynaba Diop
Nous devons prendre notre part !
M. Maxime Michelet
Mais au-delà de votre censure de la réalité, vous voulez, à travers nos idées, censurer les opinions. Vous évoquez d’ailleurs dans votre texte une étonnante tyrannie de l’opinion qu’on comprend aisément comme la tyrannie des opinions différentes des vôtres. Au-delà de votre censure de la réalité, vous voulez censurer le peuple, les idées auxquelles le peuple adhère et les droits dont le peuple est dépositaire.
Mme Dieynaba Diop
On veut censurer le fascisme !
M. Maxime Michelet
Car, au milieu des innombrables droits évoqués par votre texte, où se trouvent les droits du peuple de France ? Où se trouvent les droits du peuple souverain à choisir librement son destin ? Où se trouvent les droits du peuple français à choisir qui il accueille et qui il n’accueille pas ? Où se trouvent les droits du peuple à ne pas consentir à la submersion migratoire ? Le peuple français n’a jamais consenti à ces politiques. En réalité, ce peuple vous dérange, car il ne pense pas comme vous mais comme nous. Et, pour paraphraser Bertolt Brecht, peut-être préféreriez-vous le dissoudre. En tout cas, vous brûlez d’impatience de le censurer et de le faire taire.
Au fil de vos discours, il est une évidence incontestable : vous avez une haute estime de vous-mêmes et une piètre estime du peuple français. Toutes les passions sont pour vous des « passions tristes ». Quant à nous, la seule passion que nous connaissons au peuple français, c’est celle de la souveraineté, et sans doute est-ce là une divergence entre nous.
Une passion de la souveraineté ancrée dans une histoire millénaire au cours de laquelle la France, ballottée entre tant de crises, a toujours trouvé en elle, c’est-à-dire en son peuple, la force de se relever. Cette passion de la souveraineté est sans doute aussi la raison pour laquelle le peuple français a fait du Rassemblement national et de ses alliés la première force politique du pays, dès les élections européennes et aux élections législatives qui ont suivi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme Dieynaba Diop
C’est sans doute pour cela que le peuple français vous a placés en tête le 8 juillet…
M. Maxime Michelet
Voilà une autre réalité qui vous dérange, mais elle est incontestable, peu importe vos motions de censure et vos leçons de morale.
M. René Pilato
Peu importent les élections, peu importent les urnes !
M. Maxime Michelet
Nous sommes le premier parti de France et nous sommes le parti du peuple français. Les idées que vous condamnez sont celles d’un peuple qui refuse de subir, mais qui veut choisir ; celles d’un peuple qui refuse de se résigner, mais qui veut se battre ; celles d’un peuple qui s’est battu pour être libre et souverain et qui entend bien le rester.
Naturellement, au regard du caractère hautement opportuniste et tristement politicien de cette motion, nous ne censurerons pas votre gouvernement, monsieur le premier ministre.
M. Laurent Alexandre
Vous collaborez avec ce gouvernement !
M. Emeric Salmon
C’est limite, ça, madame la présidente !
M. Maxime Michelet
Mais, si j’étais à votre place, je nourrirais tout de même quelques inquiétudes à la lecture de cette motion de censure. Car elle annonce la fin inévitable du macronisme. Cette parenthèse insensée se refermera bientôt, entraînant dans sa faillite tous ceux qui veulent en hériter. Alors, face à la gauche, face à son idéologie, face à sa bien-pensance, face à son aveuglement, face à son mépris des droits du peuple,…
M. René Pilato
C’est vous qui n’assumez pas de censurer ce gouvernement. Honte à vous !
M. Maxime Michelet
…il ne restera bientôt qu’une seule et unique alternative pour construire l’alternance et poursuivre la France, et cette alternative, c’est nous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
(À dix-neuf heures vingt-cinq, Mme Clémence Guetté remplace Mme Yaël Braun-Pivet au fauteuil de la présidence.)
Présidence de Mme Clémence Guetté
vice-présidente
Mme la présidente
La parole est à M. Kévin Pfeffer.
M. Kévin Pfeffer (RN)
Les semaines passent et se ressemblent, à l’Assemblée nationale. Nous voici à nouveau réunis cet après-midi, dans un spectacle un peu pathétique auquel le public, lassé, ne participe plus, pour débattre de la censure du gouvernement, cette fois-ci à l’initiative de nos collègues socialistes, et en raison des déclarations prétendument scandaleuses du premier ministre intérimaire sur l’immigration.
Mais qu’a bien pu dire M. Bayrou pour mériter que l’Assemblée nationale perde encore du temps à débattre d’une censure alors qu’il y a tant à faire pour la France, alors que les Français nous regardent et attendent que nous nous occupions des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien ? De quelle immonde sortie a-t-il bien pu se rendre coupable pour que ce débat soit prioritaire sur tous les problèmes des Français ?
Eh bien, il a osé, il a eu l’extrême audace de parler d’un sentiment de submersion migratoire. Alors, mesdames, messieurs les députés socialistes, d’extrême, d’ultragauche, sur ces bancs,…
M. Laurent Alexandre
Et vous, vous êtes l’ultradroite !
M. Kévin Pfeffer
…j’ai une information à vous faire parvenir, car elle n’était peut-être pas arrivée jusqu’à vous : comme le premier ministre, comme nous, ce sont 65 % des Français qui estiment que la France est submergée par l’immigration. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. René Pilato
C’est par votre racisme que nous sommes submergés, chers collègues !
M. Kévin Pfeffer
D’ailleurs, socialistes, méfiez-vous de vos infréquentables électeurs, car 39 % de vos partisans sont de cet avis. S’insurger contre une réalité, contre des faits établis et chiffrés ne changera pas l’évidence : notre pays est bel et bien submergé…
M. Laurent Alexandre
Par votre bêtise !
M. Kévin Pfeffer
…et les Français ne le supportent plus.
Mais nous ne sommes pas dupes face à cette motion de censure socialiste. Ces propos ne sont qu’une bonne excuse, qui tombe à pic alors que vous tentez de faire oublier votre participation au gouvernement et votre trahison à l’endroit du Nouveau Front populaire. Mais s’il vous plaît, lavez votre linge sale au sein de votre infréquentable famille et ne prenez pas à partie tous les Français ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Ah, il est loin ce Parti socialiste qui, par la voix de sa candidate à l’élection présidentielle de 2007, Ségolène Royal, disait ne pas être favorable à une régularisation globale des sans-papiers, en ces termes : « Nous ne pouvons, pas plus que nos voisins, ouvrir purement et simplement nos frontières sans créer des déséquilibres économiques et sociaux insupportables, notamment une forte pression à la baisse sur les salaires. »
Ah, il est loin ce temps où le Parti socialiste était respectable. C’était bien avant son acoquinement, voire sa totale soumission, à l’extrême gauche et à M. Mélenchon. D’ailleurs, on ressent encore cet après-midi l’influence de LFI au travers de l’attitude menaçante de M. Faure, sur qui LFI déteint immanquablement.
C’était bien avant que le PS choisisse une candidate à Matignon, Mme Castets, qui, forte de sa totale incompétence, a affirmé que tous les sans-papiers, travailleurs ou non, seraient régularisés dans l’heure. Mais l’honneur peut bien se brader pour sauver quelques sièges de députés PS.
Oui, le Parti socialiste, véritable marchand de tapis de la vie politique française, qui négocie tantôt avec l’ultragauche pour sauver des élus, tantôt avec le centre pour ne pas censurer le budget, a perdu depuis longtemps sa boussole, celle de la défense des classes populaires. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.) Mais trop d’honneur est fait à la gauche ce jour. Revenons plutôt au véritable sujet qui intéresse les Français : l’immigration.
La France a délivré 337 000 titres de séjour en 2024, soit deux fois plus qu’il y a vingt ans ! Le droit d’asile, c’est 131 000 dossiers en 2024, sachant que plus de 90 % des demandeurs, déboutés ou non, resteront sur notre territoire faute d’exécution des OQTF. S’ajoutent à cela les 400 000 clandestins qui ont finalement obtenu des papiers ces dix dernières années. Bref, je ne vous assommerai pas plus de chiffres, tous plus accablants les uns que les autres, mais retenez qu’avec un rythme global d’un demi-million d’arrivées légales par an, le terme de « submersion » semble bien le plus approprié.
Au-delà de ce constat, une autre question légitime se pose : l’immigration est-elle une chance pour la France ? De façon individuelle, peut-être, parfois, mais dans sa globalité, avec cette intensité et les caractéristiques actuelles des arrivants, certainement pas.
Pas quand 71 % des immigrés extra-européens arrivés en 2022 n’avaient toujours pas d’emploi début 2023, pas quand le taux de chômage et d’inactivité des étrangers est très supérieur à celui des Français, pas quand 35 % des immigrés vivent en HLM contre 11 % des Français, pas quand les étrangers représentent 24 % de la population carcérale, soit trois fois plus que leur poids dans la société, que nos prisons débordent et ne peuvent plus accueillir les criminels, pas quand l’ancien ministre de l’intérieur Gérald Darmanin nous indique que les étrangers représentent 48 % des interpellés à Paris, 55 % à Marseille, 39 % à Lyon et 20 % sur l’ensemble du territoire, pas quand un demi-million de clandestins ont recours à l’aide médicale de l’État, cette palette presque complète de soins offerte aux sans-papiers, qui nous coûte plus de 1 milliard chaque année.
M. Laurent Alexandre
Et vous, les bourgeois, vous coûtez combien ?
M. Kévin Pfeffer
Au-delà du constat de submersion, l’immigration actuelle est un problème : un problème pour nos finances publiques, pour notre mode de vie, pour notre modèle social, pour notre sécurité, n’en déplaise aux socialistes, dont la présence au gouvernement constitue d’ailleurs aussi une partie du problème ! Car, si les mots de certains sonnent parfois agréablement aux oreilles des Français, les actes se font attendre. Preuve en est votre budget, pour lequel toutes les propositions d’économies à réaliser sur le dos des Français ont été mises sur la table : du déremboursement des médicaments à la baisse du montant des retraites, de l’augmentation du prix de l’électricité à la baisse des investissements de nos collectivités locales, du matraquage fiscal de nos petites entreprises à la remise en cause de l’apprentissage et, partant, de l’emploi de nos jeunes, absolument toutes les pistes d’économies ont été explorées, sauf l’immigration ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Pas touche au budget lié à l’immigration : jamais ! Pas touche à l’aide médicale de l’État, pas touche aux prestations sociales versées aux étrangers, aux financements des associations qui encouragent l’immigration, pas touche à ce tabou ultime qui pèse pourtant lourdement sur nos finances publiques.
M. Laurent Alexandre
Vous, vous protégez les riches et les ultrariches !
M. Kévin Pfeffer
Mais nous vous le disons, monsieur le premier ministre : les mots ne suffisent plus ! Nous le disons aussi à M. le ministre de l’intérieur Bruno Retailleau, qui partage toujours nos constats, souvent nos solutions,…
Mme Dieynaba Diop
Il partage surtout votre idéologie !
M. Kévin Pfeffer
…qui promet beaucoup mais accepte de gouverner dans la même équipe que des ministres socialistes, et qui a préféré reconduire Emmanuel Macron à la présidence de la République en appelant à voter contre Marine Le Pen en 2022 : les Français ne veulent plus se payer de mots ! Les mots ne sont plus suffisants lorsque la France sombre chaque jour un peu plus sous un chaos migratoire qui pèse sur notre sécurité et nos finances.
Si vous ne partagez pas ces constats, consultez les Français ! Un formidable outil, rangé depuis 2005 au fond des tiroirs de l’Élysée, existe : consultez les Français par référendum ! Proposez-leur un texte pour durcir fortement les conditions d’entrée et de maintien sur notre territoire. Proposez-leur un texte donnant la priorité aux Français pour l’attribution de logement sociaux et leur réservant l’accès à certaines prestations sociales. Proposez-leur de mettre fin au droit du sol partout sur le territoire et de restreindre drastiquement le regroupement familial, d’expulser les clandestins, de rétablir le délit d’entrée illégale sur notre territoire. Proposez-leur de renégocier Schengen pour réserver la libre circulation aux citoyens européens, de transformer l’aide médicale de l’État en une aide médicale strictement réservée aux urgences vitales, de modifier notre Constitution pour faire prévaloir le droit national sur l’entrée et le séjour des étrangers sur le droit européen, et ne plus se faire imposer les lubies immigrationnistes de Bruxelles.
M. Pierre-Yves Cadalen
Vous détestez la République !
M. Kévin Pfeffer
Vous savez que ces propositions sont très largement plébiscitées par les Français et vous avez peur de les consulter, peur qu’ils désavouent cinquante années d’une politique migratoire anarchique qui a conduit à rendre impossible l’assimilation des étrangers présents sur le sol national, qui a mené au communautarisme, voire au séparatisme…
M. René Pilato
Celui des riches et des pauvres !
M. Kévin Pfeffer
…et a accueilli en France des personnes qui ne veulent pas vivre selon les mœurs françaises, ne reconnaissent pas la loi française et qui même, parfois, veulent imposer leur mode de vie à leurs voisins, à l’école, au travail, dans les services et l’espace publics.
M. Laurent Alexandre
Arrêtez les clichés !
M. Kévin Pfeffer
Seul le Rassemblement national – avec Marine Le Pen, présidente de la République, et Jordan Bardella, premier ministre (Applaudissements sur les bancs du groupe RN) – aura le courage de mettre en œuvre toutes ces propositions plébiscitées par les Français.
M. Laurent Alexandre
Vous êtes le chaos !
M. Kévin Pfeffer
Aujourd’hui, nous ne censurerons pas le gouvernement pour des mots sur l’immigration qui déplaisent à l’extrême gauche, mais nous ne nous interdisons rien, notamment en cas d’inaction prolongée sur les questions migratoires. Car s’il y a bien une chose qui jette le discrédit sur l’action de ce gouvernement,…
Mme Karen Erodi
Dont vous êtes les alliés !
M. Kévin Pfeffer
…c’est l’inaction, l’impuissance, l’indifférence aux grandes urgences quotidiennes du pays, de l’inquiétude vitale sur la fin de la France jusqu’à l’urgence sociale de la fin du mois.
Comment s’alarmer d’une submersion migratoire qu’une majorité de Français s’accordent à reconnaître quand on refuse même de remettre en vigueur le délit de séjour irrégulier ou des accords obsolètes avec un pays qui nous met au défi, comme l’Algérie ? Comment rester sourds aux cris de détresse de millions de Français qui craignent pour leur sécurité, n’arrivent plus à vivre de leur travail et peinent à joindre les deux bouts ?
L’outil de la censure est précieux. Il doit servir à protéger les Français. Nous l’avons utilisé en ce sens en décembre contre le gouvernement Barnier, obtenant ainsi une bouffée d’oxygène pour les Français.
Car l’indexation des retraites sur l’inflation au 1er janvier, c’est grâce à la censure du RN ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) La baisse de 15 % du prix de l’électricité au 1er février, c’est la censure du RN ! (Mêmes mouvements.) L’annulation du déremboursement des médicaments, c’est la censure du RN ! La poursuite des aides à l’apprentissage pour l’emploi de nos jeunes, c’est la censure du RN !
M. Arthur Delaporte
N’importe quoi ! Quelle imposture !
M. Kévin Pfeffer
Monsieur le premier ministre, si le RN ne s’est pas encore servi du marchepied que constitue le bloc de gauche pour vous censurer, c’est parce qu’il fallait un budget et que nous ne croyons ni en vous, ni en vos potentiels successeurs pour améliorer le budget 2025 désormais adopté. Cependant, le Rassemblement national ne s’interdit rien pour l’avenir. Quand nous le déciderons, de préférence à la suite de nouvelles élections que nous appelons de nos vœux, vous devrez laisser la place ! Ainsi les Français pourront-ils confirmer le plébiscite en faveur du Rassemblement national qu’ils ont déjà exprimé à deux reprises en juin 2024.
Compte tenu du triste spectacle que nous offrent l’Assemblée nationale et nos collègues d’extrême gauche depuis maintenant huit mois, dont cet après-midi constitue une nouvelle illustration, nul doute que le triomphe de nos idées sera encore plus important demain. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Vojetta.
M. Stéphane Vojetta (EPR)
Nous voici donc réunis pour examiner une nouvelle motion de censure. Une fois n’est pas coutume, je vais commencer par une confidence : si l’on m’avait dit en juin 2022, au soir des élections législatives, que j’interviendrais aujourd’hui à cette tribune au nom du groupe Ensemble pour la République pour soutenir le rejet d’une motion de censure socialiste contre un gouvernement dont Manuel Valls serait membre, j’avoue que j’aurais eu du mal à le croire ! (Sourires)
Cependant, je dois vous faire une autre confidence : depuis la nomination de ce gouvernement, Manuel Valls, et d’autres ministres à ses côtés, font un bon travail. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Ils font le travail que les Français attendent d’eux : un travail nécessaire, tel que le soutien d’urgence à nos concitoyens de Mayotte et de Nouvelle-Calédonie.
Passons à l’examen de cette motion de censure. Elle intervient alors que le projet de loi de financement de la sécurité sociale a enfin été adopté lundi soir au Sénat – au prix de mille souffrances parlementaires et de concessions gouvernementales presque aussi nombreuses – et que la France est enfin dotée d’un budget qui, même imparfait, a le mérite d’exister et d’offrir à nos compatriotes, à nos entreprises et à nos créanciers internationaux l’apaisement, le dialogue et la stabilité qu’ils appelaient de leurs vœux.
Ce compromis budgétaire n’a pas débouché sur une coalition allant du Parti socialiste aux Républicains, pourtant largement envisageable ailleurs en Europe, mais, plus modestement, sur une non-censure du PS. Reconnaissons-le : le vote du budget est à mettre au crédit du Parti socialiste, qui a enfin su se relever pour se montrer digne de son histoire et de son statut de parti de gouvernement et rejeter la tentation d’une stratégie délétère d’opposition systématique. Serait-ce à force de regarder Pedro Sanchez avec les yeux de Chimène qu’il a fini par apprendre de nos voisins ibériques la formule pour participer aux orientations gouvernementales sur la base de compromis ? Si la recette est parfois indigeste, elle a le mérite de nous permettre d’avancer.
Monsieur le premier ministre, je dois avouer que je n’ai pas compris les saillies d’ouverture de votre discours à l’encontre d’un parti à qui votre gouvernement a tendu la main et qui a accepté, fût-ce à contrecœur, de la saisir. Les concessions que les socialistes ont su arracher à ce gouvernement sont le fruit d’un esprit de responsabilité que je tiens à saluer, même s’il s’est parfois exercé aux dépens de la vision portée par le groupe que je représente, et notamment de son ambition d’éviter l’augmentation du coût du travail pour soutenir l’emploi, le pouvoir d’achat de ceux qui travaillent et l’attractivité de notre pays.
Reconnaissons que la plus grande victoire du Parti socialiste…
M. Boris Vallaud
Elle est à venir !
M. Stéphane Vojetta
…n’est pas tel ou tel gain budgétaire, mais bien le fait d’être revenu au centre du jeu politique. Rappelons-nous en effet du triste mois de décembre dernier, alors que nous abordions la motion de censure qui allait faire tomber le gouvernement Barnier. La seule question sur toutes les lèvres était à l’époque : « que va décider le Rassemblement national ? ». On décortiquait les déclarations du moindre porte-parole lepéniste, on attendait dans l’anxiété le compte rendu du dernier SMS échangé entre Michel Barnier et Marine Le Pen. Nous en étions même arrivés à prêter attention à la logorrhée de Jean-Philippe Tanguy, dans l’espérance que le décryptage de ses diatribes dévoilerait un fragment de la pensée complexe de sa patronne.
Aujourd’hui, quel contraste ! Désormais, c’est Boris Vallaud, Olivier Faure et François Hollande que l’on surveille comme le lait sur le feu, car ce sont eux qui décident.
M. Arthur Delaporte
Ah !
M. Stéphane Vojetta
Votre plus grand succès, collègues socialistes, c’est celui-là : le fait d’avoir retiré le volant des mains du Rassemblement national. Pourtant, en présentant cette motion de censure, vous lui redonnez la possibilité de revenir au centre du jeu à votre place. Il ne me semble pas que les enjeux soulevés par cette motion justifient de prendre ce risque. L’essentiel n’est-il pas désormais, pour ce gouvernement et cette assemblée, d’avancer d’une manière ou d’une autre ?
Certes, nos points de désaccord sont nombreux. Je ne vais pas tenter de vous convaincre aujourd’hui de l’état catastrophique de notre système de retraite, dit par répartition mais qui creuse chaque année davantage le gouffre de notre dette publique. Je n’aspire pas non plus à trouver avec vous un consensus sur l’immigration ou sur la taxation des patrimoines. Ces désaccords-là sont profonds : ils devront être tranchés à l’occasion des élections présidentielles de 2027, qui exigeront une campagne longue et structurée autour de programmes clairs, mais pas avant.
D’ici là, nous ne sommes pas condamnés à l’inaction. Comme je le dis souvent à mon ami Arthur Delaporte, on peut être en désaccord sur presque tout ; mais tant que la chose sur laquelle on s’accorde est suffisamment importante, on peut travailler ensemble.
Les sujets sur lesquels nous pourrions avancer sans nier nos différences fondamentales sont nombreux. Cher Jérôme Guedj, pourquoi ne pas avancer ensemble sur la loi grand âge promise en 2018, mais que nous attendons toujours ? Cher Dominique Potier, pourquoi ne pas travailler ensemble sur le devoir de vigilance des multinationales, notamment en ce qui concerne les questions de responsabilité sociale et environnementale ? Cher Arthur Delaporte, chère Marietta Karamanli, continuons à progresser sur la régulation des réseaux sociaux et contre l’exposition excessive des enfants aux écrans, continuons à nous battre pour faire respecter la loi française par les influvoleurs et la loi européenne par les oligarques américains qui contrôlent nos réseaux sociaux.
M. Arthur Delaporte
Oui !
M. Stéphane Vojetta
Ainsi, nous disposons d’un budget et le Parti socialiste a enfin quitté le côté obscur de la force,…
M. Arthur Delaporte
Là, c’est non !
M. Stéphane Vojetta
…de sorte que nous pourrions travailler ensemble. Et pourtant, nous étudions aujourd’hui une motion de censure, la trente-troisième depuis juin 2022 et la première à ne pas être présentée sur le fondement de l’article 49.3 de la Constitution, car vous nous proposez de censurer le gouvernement sur la base de la défense de certains principes républicains.
Ceux-ci doivent effectivement nous guider chaque jour dans notre mission de parlementaires désignés par le peuple pour le représenter fidèlement entre ses murs. Et si je vous sais courroucés par le vocabulaire de certains membres du gouvernement,…
M. Arthur Delaporte
À raison !
M. Stéphane Vojetta
…force est de constater que, selon les derniers sondages, 73 % des Français considèrent qu’accueillir de nouveaux étrangers n’est pas souhaitable.
M. Boris Vallaud
Ils n’étaient pas nombreux à Londres en 40…
Mme Mathilde Panot
Vous êtes aussi mauvais pour les discours que pour les tweets !
M. Stéphane Vojetta
Représenter fidèlement les Français impliquerait de reconnaître leurs inquiétudes et d’y répondre en travaillant avec « le cœur tendre et l’esprit ferme » que vous revendiquez, selon les mots d’Ayda Hadizadeh, plutôt que de les nier en s’offusquant. N’oublions jamais que 30 à 40 % des électeurs actuels du Rassemblement national votaient à gauche avant de basculer. Alors répondons à ces Français ! Ne laissons pas le monopole de la question migratoire à la seule extrême droite, qui n’aura que faire de notre cœur tendre, de notre humanisme et du respect de l’État de droit.
M. Kévin Pfeffer
Valls, c’était autre chose !
M. Stéphane Vojetta
Ces principes républicains que vous souhaitez défendre, chers collègues, vous les trouverez d’ailleurs davantage du côté de ce gouvernement qui vous a tendu la main que du côté d’une France insoumise qui vous insulte dès qu’un micro est tendu, alliée de circonstance qui lâche contre vous des meutes de cyberharceleurs si vous osez dévier de sa ligne et qui expulse Raphaël Glucksmann de manifestations prétendument unitaires.
Cher Olivier Faure, vous faites l’hypothèse qu’un jour viendra le temps des excuses de la part de vos chers amis Insoumis. En attendant, chacun peut continuer à admirer sur les réseaux sociaux leur visuel vous dépeignant comme un allié de Marine Le Pen.
M. Maxime Laisney
Ce sont vos tweets qui sont infamants !
M. Stéphane Vojetta
Des amis, des alliés, des républicains ne font pas ça ! (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Les principes républicains, pensez-vous vraiment les retrouver au sein d’une gauche où, en moins de 24 heures la semaine dernière, trois députés ont été, pour l’un, condamné pour violences aggravées contre deux fonctionnaires de l’éducation nationale, dont une femme ; pour l’autre, condamné pour conduite en état d’ivresse, tandis que le troisième expliquait sur une chaîne du service public en quoi ses achats de drogues dures à des mineurs de moins de 15 ans avec de l’argent public étaient excusables.
M. René Pilato
Et Kohler, et Bergé ? Il y en a cinquante autour de Macron…
M. Arthur Delaporte
Des députés macronistes se droguaient aussi !
M. Stéphane Vojetta
Voilà donc le tiercé dans l’ordre – ou plutôt le tiercé du désordre – de ceux qui vont voter aujourd’hui avec vous cette motion de censure, censée défendre les valeurs de la République. Or il faudrait déjà respecter ses règles, notamment celles que nous et nos prédécesseurs avons fixées collectivement dans cette enceinte.
Et s’il fallait donner une dernière raison de ne pas voter cette motion de censure, ce serait sans doute la manière dont celle-ci est promue par La France insoumise. Ses membres, nous le savons, étaient déjà fâchés de vous voir régulièrement délaisser votre rôle de supplétifs du grand dessein mélenchoniste (Exclamations et rires sur les bancs du groupe LFI-NFP), à savoir la démission du président de la République conduisant à une présidentielle anticipée si ardemment désirée par un Jean-Luc Mélenchon qui ne rajeunit pas. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. René Pilato
Vous parlez toujours de Mélenchon, jamais de Macron ! Auriez-vous honte de lui ?
M. Stéphane Vojetta
Ils sont désormais également jaloux de vous voir – vous, les « sociaux-traîtres » – reprendre votre place légitime au centre du jeu politique national, sans vous renier mais sans tout bloquer.
Face à ce crime de lèse-majesté, ils ont donc pris la seule décision logique : tenter de remettre le Rassemblement national au centre de ce jeu à votre place. Pour ce faire, ils ont décidé d’orchestrer un pseudo-scandale politique (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP),…
Mme Mathilde Panot
Un pseudo-scandale ? Avec 112 plaintes ? Vous êtes abject !
Mme Karine Lebon
Il s’agit d’agressions d’enfants !
M. Jean-François Coulomme
Retournez à Bétharram !
M. Stéphane Vojetta
…espérant convaincre les députés lepénistes de voter en faveur de cette motion de censure qui les attaque pourtant allègrement. Voilà la seule explication valable à la campagne que nous subissons collectivement depuis quinze jours et qui consiste à parler de tout, sauf des victimes des crimes en question.
M. Sébastien Delogu
Et vous, qu’avez-vous dit ? Rien du tout !
M. Stéphane Vojetta
Non, les principes républicains ne peuvent être défendus par ceux qui choisissent d’instrumentaliser et de récupérer les terribles violences sexuelles infligées à des mineurs, les élèves de Notre-Dame de Bétharram – des actes que je condamne personnellement et au nom du groupe auquel j’appartiens, en souhaitant que leurs auteurs soient punis aussi durement que notre loi le permet.
Heureusement – ou hélas ? –, il semblerait que les députés du Rassemblement national ne soient pas tombés dans ce piège grossier.
M. Jean-François Coulomme
Ils vous ont accordé un sursis !
Mme Mathilde Panot
Merci le RN !
M. Stéphane Vojetta
L’ouverture prochaine du Salon de l’agriculture doit probablement raviver chez eux les souvenirs de leurs permanences saccagées au lendemain de la censure du gouvernement Barnier.
Chers collègues socialistes, vous allez donc voter pour votre propre motion de censure. Votre bonne conscience sera rétablie, vos péchés absolus, ainsi soit-il.
M. Aurélien Saintoul
Absous !
M. Stéphane Vojetta
Oui, absous, merci !
M. Aurélien Saintoul
Ignare !
M. Stéphane Vojetta
Puis nous pourrons enfin, peut-être, commencer à être utiles à notre pays et à travailler sérieusement – ensemble, je le souhaite.
Vous l’aurez sans doute compris, le groupe EPR ne votera pas cette motion de censure. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Mme Mathilde Panot
Très mauvais discours !
Mme la présidente
La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Sébastien Delogu
Après la racaille de Twitter, un orateur !
M. Bastien Lachaud (LFI-NFP)
Nous avons devant nous le pire gouvernement de la Ve République (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) : antisocial, réactionnaire, illégitime. Il doit partir. Le président Macron, qui l’a installé, doit s’en aller. Qu’ils dégagent tous ! (Mêmes mouvements.)
Face à ce pouvoir, il faut une vraie opposition. Pas une opposition en papier mâché, qui se contente d’effets de manche et qui fait trembler – mais de rire – le premier ministre. Quelle pantalonnade !
Ce gouvernement détruit l’État et le bien public. La cure d’austérité est la plus violente jamais vue : 25 milliards de coupes budgétaires. Tout y passe : logement, éducation, enseignement supérieur, santé, emploi, collectivités locales. C’est l’asphyxie.
Notre pays n’a pourtant jamais été aussi riche, mais ce gouvernement le clochardise pour mieux financer des cadeaux fiscaux à ses amis. (Mêmes mouvements.) Pour eux, le pouvoir régale – aux frais des citoyens, évidemment – : 200 milliards, soit le premier poste de dépenses de l’État. Le casse du siècle !
Ce gouvernement appauvrit le peuple. Payer plus et gagner moins, encore et encore : hausse des prix de l’électricité et des mutuelles de santé ; augmentation des taxes pour les petits entrepreneurs, artisans et commerçants ; taxation des alternants. Mais aussi, d’autre part : baisse des aides personnelles au logement et de la prime d’activité ;…
M. René Pilato
La honte !
M. Bastien Lachaud
…réduction des droits et radiation des chômeurs ;…
M. René Pilato
La honte !
M. Bastien Lachaud
…travail gratuit pour les allocataires du RSA ;…
M. René Pilato
La honte !
M. Bastien Lachaud
…baisse de l’indemnisation des arrêts maladie et gel du point d’indice des fonctionnaires ;…
M. René Pilato
La honte !
M. Bastien Lachaud
…aucune augmentation du smic ni des salaires ; et la retraite à 64 ans. Ce gouvernement fait les poches des travailleurs pour gaver les actionnaires et les milliardaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Ce gouvernement se fiche de l’écologie comme de sa première chemise – d’ailleurs, le premier ministre y a consacré à peine une minute de son discours de politique générale. Il baisse tous les crédits alloués à l’environnement : rénovation thermique, électrification des véhicules, énergies renouvelables et fonds Vert pour les collectivités. En tout, ce sont 2 milliards de moins par rapport à 2024. Il attaque toutes les agences et les normes environnementales. Il sacrifie la planète et les générations futures sur l’autel de l’austérité et du profit. (Mêmes mouvements.)
Ce gouvernement parle comme l’extrême droite et veut d’ailleurs appliquer le programme de celle-ci : islamophobie, xénophobie et racisme à tous les étages. Le premier ministre parle de « submersion migratoire » tandis que M. Retailleau évoque des « Français de papier » et déclare que l’État de droit n’est ni intangible ni sacré. Ils baissent le budget de l’aide médicale de l’État et veulent rétablir le délit de séjour irrégulier, introduire une préférence nationale dans l’accès aux aides sociales, remettre en cause le droit du sol et ouvrir un débat sur l’identité française. Quelles atteintes aux principes républicains ! (Mêmes mouvements.) Quelle violence déchaînée contre des millions d’innocents !
Ce gouvernement ment devant la représentation nationale, sans honte et sans vergogne, à l’image du premier ministre lui-même, empêtré dans le scandale des violences physiques et sexuelles commises contre des dizaines d’enfants à Notre-Dame de Bétharram. Un jour, il dit qu’il ne savait rien, le lendemain qu’il avait demandé un rapport et le surlendemain qu’il avait rencontré le juge – mais seulement en tant que voisin. Mensonge après mensonge, mensonge d’État ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Aurélien Le Coq
Il n’est pas premier ministre, il est premier menteur !
M. Bastien Lachaud
Ce gouvernement piétine la démocratie. Car s’ils sont là, c’est parce qu’ils ont volé le résultat des élections législatives des 30 juin et 7 juillet derniers. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Elles avaient été remportées par le Nouveau Front populaire mais le président de la République a décrété, tout seul, que personne n’avait gagné, pour continuer la même politique et installer une coalition de bric et de broc rassemblant tous les perdants sous le patronage de revenants sortis de nulle part : Michel Barnier et François Bayrou. (Mêmes mouvements.)
Mme Karen Erodi
Tous sortis de la naphtaline !
M. Bastien Lachaud
Coup de force contre la démocratie. Coup d’État contre le vote du peuple.
Cette faute originelle suffirait à elle seule à justifier que nous votions la motion de censure. Nous la voterons une nouvelle fois aujourd’hui, comme nous avons voté toutes celles qu’a présentées la gauche. Nous sommes des opposants conséquents. Nous voulons faire tomber ce gouvernement calamiteux et illégitime. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Tous ne peuvent pas en dire autant.
Nous ne sommes pas dupes de la triste comédie qui nous est offerte aujourd’hui par nos collègues socialistes. À cinq reprises déjà, depuis l’arrivée de François Bayrou à Matignon, ils ont eu l’occasion de voter la censure. Ils se sont abstenus. Ils ont permis à M. Bayrou de durer, ils lui ont laissé les mains libres pour agir et mener sa politique destructrice. Et voilà qu’ils feignent à présent de déplorer cette même politique, avec des trémolos dans la voix. Mais à qui la faute ?
Aujourd’hui, pour redorer leur blason et se racheter une conscience, ils s’offrent une session de rattrapage. Mais c’est un théâtre de dupes, une motion de censure symbolique, pour de faux. Une façon de dire : « Bouh ! C’est mal, ils sont méchants ! (Rires sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Mais nous ne ferons rien quand même. » Merci pour ce moment ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Le ci-devant président de la République François Hollande a vendu la mèche. Il a expliqué sur un plateau de télévision que le texte n’était pas fait pour renverser le gouvernement mais pour l’interpeller, et que si jamais il existait le moindre risque qu’il soit adopté, le Parti socialiste lui-même ne le voterait pas. (Sourires.) Il crie : « À l’abordage ! » Oui, mais avec un pistolet à bouchons et un sabre en bois ! Logique, pour un capitaine de pédalo. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Sébastien Delogu
Excellent !
M. Jean-Luc Bourgeaux
Ça vole haut !
M. Bastien Lachaud
Que nos collègues socialistes se rassurent, le Rassemblement national a d’ores et déjà indiqué qu’il ne voterait pas cette motion de censure. Le tour est joué : le gouvernement se maintiendra et sa politique désastreuse se poursuivra. Tout changer pour que rien ne change : un mauvais tour joué par des politiciens cyniques.
Le Rassemblement national nous avait depuis longtemps habitués à ce petit numéro de passe-passe : « Censurera ? Censurera pas ? », « Retiens-moi où je fais un malheur ! ». Avant les élections, ils promettaient de faire tomber le vieux monde, comme le disait M. Bardella.
M. Ugo Bernalicis
Richard Ferrand, par exemple !
M. Bastien Lachaud
Depuis, ils sont devenus la première béquille du système. (Mêmes mouvements.) Ils ont même laissé Richard Ferrand prendre la tête du Conseil constitutionnel en vertu d’un accord conclu avec le clan Macron. (Mêmes mouvements.) Ils veulent devenir respectables, s’attirer les bonnes grâces du grand capital et se contenter d’y ajouter une bonne dose de racisme pour attirer à eux un peuple égaré. C’est misérable. (Mme Hélène Laporte s’exclame.)
Voilà que les socialistes rejoignent les rangs de ceux qui font semblant de s’opposer, mais apportent en réalité leur soutien tacite au gouvernement. Ils se drapent dans de grands mots comme « responsabilité » ou « compromis » alors qu’en vérité, leurs intentions sont toutes petites. En refusant de s’opposer frontalement au gouvernement, ils pensent pouvoir séduire les déçus du macronisme. Certains croient sincèrement à cette stratégie, d’autres ne l’adoptent que pour préparer un futur congrès, mais tous veulent gagner du temps. Car, sans candidat ni programme, ils ne sont pas prêts pour une nouvelle élection. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Politique à la godille. Calculs à la petite semaine.
Ces combines inavouables ne mériteraient que le dédain si leurs conséquences n’étaient pas dramatiques : le gouvernement est conforté, les discours racistes normalisés, la gauche divisée et l’opposition délégitimée. La démocratie elle-même est discréditée quand certains se font élire en prétendant tourner la page du macronisme et faire barrage à l’extrême droite, puis se retrouvent le lendemain aux côtés de cette dernière dans un soutien sans participation à un gouvernement macroniste. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Gérard Leseul
Honteux !
M. Bastien Lachaud
Le peuple est condamné à la perspective de subir deux ans de malheur supplémentaires, avec le tapis rouge déroulé au Rassemblement national. Ceux qui prennent cette responsabilité devront en répondre devant leur conscience. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Ugo Bernalicis
Et devant les électeurs !
M. Bastien Lachaud
Nos collègues socialistes accusent, à raison, le gouvernement d’être « l’accélérateur de nombreux affaissements politiques et moraux ». Toutefois, ne le sont-ils pas eux-mêmes ? Quand on prend au sérieux l’engagement de défendre ceux qui subissent dans leur chair la violence sociale et le racisme, on ne se contente pas de jouer une pièce de boulevard. Quand on prend au sérieux la menace de l’extrême droite, celle dont les groupuscules ont assassiné Djamel Bendjaballah, poignardé un syndicaliste ou chanté hier encore « Paris est nazi » en pleine rue (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP), on ne se contente pas d’une motion de censure symbolique. C’est indigne.
Nous ne serons jamais de ceux-là. Nous restons fidèles au programme du Nouveau Front populaire : un programme de rupture, et non de compromis, avec la politique d’Emmanuel Macron. (Mêmes mouvements.) Nous combattons la casse sociale et la banalisation du racisme – vraiment, sans faux-semblants, sans relâche ni compromission. (Mêmes mouvements.)
Nous voulons la chute du gouvernement Bayrou et le départ du président Macron.
M. Stéphane Vojetta
Ce sera en 2027 !
M. Bastien Lachaud
Nous voulons la fin de la monarchie présidentielle et appelons de nos vœux une VIe République démocratique, sociale, écologiste et humaniste pour gouverner, enfin, par le peuple et pour le peuple. (Mêmes mouvements.)
M. Pascal Lecamp
Il y a des élections pour ça !
M. Marc Fesneau
On sait que ça en gêne certains !
M. Stéphane Vojetta
Ils n’aiment pas les élections !
M. Bastien Lachaud
François Mitterrand écrivait : « Il n’y a d’opposition qu’inconditionnelle dès lors qu’il s’agit de substituer un système de gouvernement à un autre. Retoucher, aménager, corriger le pouvoir absolu, c’est déjà composer avec lui. C’est mimer l’opposition de Sa Majesté qui, autant que la majorité, participe au régime qui le soutient. » Certains feraient bien de méditer ces paroles. Nous ne serons jamais, nous, la béquille du système ni l’opposition de Sa Majesté. (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère (NI)
L’indépendance d’un député non inscrit l’autorise à prendre du recul, à garder le sens de la nuance et à se limiter à quelques observations,…
M. Sébastien Delogu
Mais qui êtes-vous ?
M. Philippe Bonnecarrère
…tout d’abord sur le rôle du Parlement aujourd’hui, deuxièmement sur ce qui est essentiel et ce qui est accessoire, ensuite sur l’intérêt national. Je conclurai en me demandant qui, parmi nous, est l’idiot utile du Rassemblement national.
S’agissant du rôle du Parlement, nos concitoyens sont lucides et conscients des difficultés du pays et de l’absence de majorité – ne vous en déplaise, monsieur Lachaud. Ils attendent de nous du sérieux et des solutions.
La défense, ce soir, de la motion de censure nous a-t-elle fait gagner en crédibilité ? Je l’ai écoutée respectueusement. J’y ai entendu une charge sévère – en soi légitime, c’est le débat démocratique –, une dénonciation, mais pas d’ambition pour notre pays.
D’ailleurs, avons-nous réellement débattu ? Je regrette qu’à aucun moment un orateur n’ait essayé de convaincre ses collègues – même si les députés de certains groupes se sont levés collectivement (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Qu’un groupe présente une motion de censure et n’écoute pas le point de vue des différents orateurs me semble tout aussi étonnant.
Nous avons une responsabilité collective face à un débat public tiré vers le bas par les réseaux sociaux – je partage vos propos à ce sujet, monsieur le premier ministre.
M. Sébastien Delogu
Qui êtes-vous, monsieur ?
M. Philippe Bonnecarrère
J’en viens à l’essentiel et à l’accessoire. Le groupe socialiste a accepté de ne pas voter cinq motions de censure, ce qui a permis à notre pays de disposer d’un budget. Il a ainsi assumé l’essentiel et je le remercie d’avoir tenu bon – même si ses membres ne sont pas présents dans l’hémicycle pour m’écouter.
M. Jacques Oberti
Nous sommes là !
M. Philippe Bonnecarrère
Pourquoi gâcher cette prise de responsabilité en mettant en avant l’accessoire, ce que M. le premier ministre appelait un prétexte, en convoquant le grand livre de l’histoire – qui, heureusement, en a vu d’autres ! J’ai lu et relu le texte de la motion de censure, qui me semble bien forcé et relève de l’accessoire.
Troisième point : l’intérêt national ne guide pas cette motion. En entendant notre collègue Ayda Hadizadeh, montée à la tribune pour la défendre, indiquer que tout l’esprit démocratique mondial était sous la menace, je n’ai pu qu’approuver ses propos. En effet, alors que l’ordre mondial, fruit de l’enseignement tiré des guerres du passé, est bousculé, alors que les rapports de force sont décomplexés, on aurait pu envisager le dépôt d’une motion de censure critiquant la manière dont notre pays fait face à cette situation brutale. Mais rien de tout cela dans cette motion ! On pourrait même y lire en creux une approbation totale.
François Bayrou n’est pas Donald Trump.
Un député du groupe LFI-NFP
Et Bruno Retailleau ?
M. Philippe Bonnecarrère
Nos concitoyens attendent de nous un sursaut collectif et non, quelques militants mis à part, une censure, des excès ou des critiques reprenant l’expression « capitaine de pédalo » – j’en ai été désolé pour le groupe socialiste.
M. Sébastien Delogu
Vous êtes qui ? On ne vous a jamais vu !
M. Philippe Bonnecarrère
Je voudrais vous dire enfin que, par cette motion de censure, vous posez une question aussi pertinente que subliminale : qui est l’idiot utile du Rassemblement national, dont les députés sont bien sûr absents de cet hémicycle ? S’agit-il du bloc central, quand il veut légiférer sur les questions migratoires ? S’agit-il de nos collègues du Nouveau Front populaire et de leurs amis ?
M. Sébastien Delogu
Nous ne sommes pas collègues !
M. Philippe Bonnecarrère
Pour moi, vous êtes des collègues : je ne sache pas qu’il en soit autrement dans la chambre des députés. Nos collègues du Nouveau Front populaire, donc, et leurs amis ne seraient-ils pas davantage les idiots utiles du RN en s’opposant à toute protection de nos frontières ?
Ce débat a déjà eu lieu pendant des semaines lors de l’examen de la loi « immigration » : le mot d’ordre des uns était immigration zéro, sans que quiconque sache comment l’appliquer ; aucun amendement favorable à la régulation, même le plus modeste, ne trouvait grâce aux yeux des autres. À force de voir les uns et les autres nier les réalités, j’en viens à croire que les idiots utiles du Rassemblement national ne sont pas là où le pensent les signataires de la motion de censure. Un pays a le droit et le devoir de protéger ses frontières et sa souveraineté et de réguler les migrations sans perdre son humanisme et en conservant le sens des réalités.
Mme Karen Erodi
C’est tout le problème !
M. Sébastien Delogu
Vous êtes qui ?
M. Philippe Bonnecarrère
Chacun a ses contradictions et un peu de modestie et de bon goût seraient bienvenus, y compris de la part de ceux qui ont quitté l’hémicycle et qui pensent que dire « Mme Le Pen présidente de la République et M. Bardella premier ministre » suffirait à faire d’un slogan un programme.
Les Français nous demandent d’assumer nos responsabilités et d’avancer. J’estime avoir reçu deux mandats : représenter mes concitoyens et chercher en tout l’intérêt national. Que ce soit du point de vue de l’un ou de l’autre, le pays ne mérite pas la censure ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La discussion est close.
Je vais maintenant mettre aux voix la motion de censure.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je rappelle que seuls les députés favorables à la motion de censure participent au scrutin, et que le vote se déroule dans les salles voisines de l’hémicycle.
Le scrutin va être ouvert pour vingt minutes : il sera donc clos à vingt heures vingt-deux.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures deux, est reprise à vingt heures vingt-cinq.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
Voici le résultat du scrutin :
Majorité requise pour l’adoption de la motion de censure, soit la majorité absolue des membres composant l’Assemblée 289
Pour l’adoption 181
La majorité requise n’étant pas atteinte, la motion de censure n’est pas adoptée.
4. Ordre du jour de la prochaine séance
Mme la présidente
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi d’orientation agricole.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra