Deuxième séance du mardi 18 mars 2025
- Présidence de M. Xavier Breton
- 1. Sortir la France du piège du narcotrafic
- Discussion des articles (suite)
- Article 2 (suite)
- Mme Eléonore Caroit
- M. Ugo Bernalicis
- M. Pouria Amirshahi
- M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
- Amendement no 365
- M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Amendements nos 110 et 122
- M. Florent Boudié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Amendements nos 594, 593, 595, 764, 596, 891, 368, 673, 219, 371, 519, 388, 387, 597 et 674
- Sous-amendement no 973
- Amendements nos 598, 372, 599, 600, 601 rectifié, 765 rectifié, 602, 850, 603, 366, 604, 605, 129 et 823
- Article 23 quinquies (appelé par priorité)
- Article 2 (suite)
- Discussion des articles (suite)
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Xavier Breton
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1. Sortir la France du piège du narcotrafic
Suite de la discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (nos 907, 1043 rectifié).
Discussion des articles (suite)
M. le président
Cet après-midi, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits sur l’article 2.
Article 2 (suite)
M. le président
La parole est à Mme Eléonore Caroit.
Mme Eléonore Caroit
L’article 2 prévoit la création d’un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), dont nous avons largement débattu en commission. L’idée est de créer un super-parquet qui permettrait de s’attaquer au narcotrafic. Or le narcotrafic, contrairement à ce que le titre du texte laisse entendre, n’est pas un piège mais une réalité protéiforme qui existe partout en France, dans les territoires. En voulant créer un parquet national, on risque de centraliser les moyens au détriment des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) déjà existantes, dont je salue le travail.
Face à l’hydre du narcotrafic, est-il préférable de centraliser notre action ou de mieux la coordonner ? Si nous la centralisons, comment nous assurer de la bonne allocation des moyens de la justice, qui doit œuvrer au plus près des territoires ? Nous devons nous interroger quant au seuil de déclenchement de l’action du Pnaco. Comment nous assurerons-nous qu’il ne sera pas débordé par les affaires ? Quand entrera-t-il en jeu ? Comment savoir s’il garantira vraiment la coordination des Jirs ? Comment son action s’articulera-t-elle avec celle de la Junalco, la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée ?
Le débat parlementaire doit aborder toutes ces questions et nous permettre d’appréhender le fonctionnement du Pnaco à venir. Face au narcotrafic, nous n’avons pas besoin de mesures symboliques, mais d’efficacité.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Il convient de rappeler que la Junalco existe déjà et qu’elle fonctionne. Cet après-midi, M. le ministre a indiqué que des dysfonctionnements dans la communication entre les Jirs et donc dans l’action de la Junalco auraient conduit à l’évasion de Mohamed Amra. Ce qu’il oublie de dire, c’est qu’Amra a surtout été retrouvé grâce à la Junalco.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
C’est grâce à la police judiciaire !
M. Ugo Bernalicis
Vous vantez l’action de la police ; je vous rappelle que vous n’êtes plus au ministère de l’intérieur, mais à Vendôme.
M. Alexandre Dufosset
Et Ugo n’est toujours pas à Beauvau !
M. Ugo Bernalicis
Reconnaissez tout de même que la Junalco, dont vous avez la responsabilité administrative, a bien fait son travail. Soit dit en passant, l’État n’a pas eu besoin de ce texte pour saisir récemment 10 tonnes de cocaïne dans le port de Dunkerque. La France n’est donc pas totalement démunie en la matière, la police et la justice savent ce qu’elles font. Je reconnais que votre position est difficile : vous ne pouvez pas, pour justifier l’existence du texte, céder à la facilité de critiquer l’action actuelle de l’État.
En outre, le Pnaco pose plus de questions qu’il n’en résout. Il soulève notamment le problème de la répartition des compétences, puisqu’une articulation entre le parquet national financier (PNF) et la Junalco est déjà prévue pour traiter les affaires de blanchiment aggravé et de cybercriminalité.
La Junalco ayant été créée par voie réglementaire, elle dispose d’une grande souplesse qui permet aux services de communiquer facilement entre eux. Il y a toutefois une difficulté : au parquet de Paris, assez peu de procureurs ont été mis en face de la Junalco pour suivre les dossiers. Par conséquent, ils ne sont pas en mesure de faire remonter les informations au ministre, qui est en partie aveugle. Dans ces conditions, je comprends qu’il soit tenté de créer des outils qui lui permettront de faire de la communication politique sans jamais régler le problème.
Pour ces raisons, nous nous opposons à la création du parquet national anti-criminalité organisée.
M. le président
Sur l’amendement no 365, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi
Sur le sujet de la création du Pnaco au moins – nous verrons plus tard s’il y en a d’autres –, le groupe Écologiste et social semble pouvoir trouver un terrain d’entente avec le gouvernement et les rapporteurs, sous réserve du vote de dispositions concernant les mineurs et leur prise en considération spécifique.
A priori, la situation peut sembler quelque peu troublante car, comme d’autres, je suis très partisan d’une compétence générale de la justice. Sa spécialisation est discutable ; le caractère général de la justice permet à chaque magistrat d’instruire tous types de dossiers. Toutefois, nous avons pu observer les résultats de la spécialisation, notamment grâce au PNF qui, même s’il manque de moyens, a fait la démonstration évidente de sa pertinence. L’expérience du parquet national antiterroriste (Pnat) est moins concluante, pour d’autres raisons.
Réflexion faite, il a semblé au groupe Écologiste et social que la création du Pnaco allait dans le bon sens. En effet, cette mesure procède d’une volonté de coordination, renforce les juridictions spécialisées – en particulier les Jirs – et permet une incarnation qui facilitera l’identification des interlocuteurs appropriés à chaque étape de la chaîne judiciaire et pénale, qu’il s’agisse du renseignement, de l’instruction, ou encore du suivi et de l’encadrement de la peine. Nous sommes donc favorables à la création du Pnaco.
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Je prendrai quelques instants pour répondre aux orateurs s’étant exprimés sur l’article 2.
Monsieur Amirshahi, vous avez raison de souligner que le Pnaco, en tant que mesure de spécialisation de la justice, est une exception à peser au trébuchet. Nous sommes d’accord. Je pourrais vous répondre – vous diriez sans doute que l’argument est juste mais facétieux – que la création du PNF ou du Pnat n’a pas suscité de questionnements si profonds, même si certains parlementaires avaient des réserves. Le fait est que le PNF et le Pnat ont tous deux montré leur efficacité sans retirer aux autres juridictions leurs compétences ni leurs moyens.
M. Ugo Bernalicis
Pas du tout ! Le PNF est engorgé, il est enseveli sous les affaires !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
S’agissant du Pnat, il faut vraiment être sourd, aveugle ou de très mauvaise foi – n’est-ce pas, monsieur Bernalicis –…
M. Ugo Bernalicis
J’apprends en vous écoutant !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…pour ne pas reconnaître son efficacité. Je rappelle que le modèle du Pnat est désormais copié par d’autres pays pour lutter contre le terrorisme. Cela ne doit pas, certes, nous empêcher de nous questionner.
Je tiens à rassurer Mme Caroit : nous n’avons pas à choisir entre l’efficacité que confère la centralisation et celle que confère une meilleure communication entre juridictions. Il faut faire les deux ! Ce que propose le gouvernement – M. le rapporteur Caure aura l’occasion de le dire, car je serai favorable aux amendements de modification qu’il soutiendra, nés aussi d’un long travail au Sénat –, c’est la création d’un parquet national qui n’héritera pas de toutes les affaires de stupéfiants ni de toutes les affaires de criminalité organisée, mais d’une petite partie d’entre elles. Il disposera d’un pouvoir d’évocation qui lui permettra de choisir ses cas tout comme le Pnat choisit de se saisir, ou non, d’un dossier pouvant relever du terrorisme, après avoir éventuellement envoyé des observateurs et en se fondant sur un faisceau d’indices constitués par la jurisprudence et la pratique.
Si le texte est adopté, la directrice des affaires criminelles et des grâces, dès sa promulgation, prendra une circulaire sous mon autorité pour décrire les indices pouvant mener le Pnaco à se saisir d’une affaire. Je me suis d’ailleurs engagé auprès des présidents des commissions des lois des deux chambres à leur communiquer cette circulaire avant sa diffusion, afin de m’assurer qu’elle est conforme à l’esprit de la loi. Grâce à son pouvoir d’évocation, le Pnaco ne se trouvera pas noyé sous les centaines de milliers d’affaires qui pourraient le concerner au cours des années.
Par ailleurs, il aura une fonction d’incarnation. Il nous faut un procureur national anti-criminalité organisée, ne serait-ce que pour les besoins de la coopération judiciaire internationale. Lorsque nous voulons traiter avec les Émirats arabes unis pour lutter contre le blanchiment d’argent ou pour demander l’exécution de mandats d’arrêt, nous sommes obligés d’envoyer le procureur de chaque ressort traiter des affaires qui le concernent : la procureure générale de Paris, le procureur de Marseille ou n’importe lequel des 160 procureurs de la République doit aller voir le procureur général de Dubaï. Le parquet national permettra d’incarner la coopération avec l’étranger, d’autant plus importante en matière de narcotrafic que de nombreux trafiquants se cachent hors de France et organisent leur activité depuis l’étranger.
Monsieur Bernalicis, il est vrai que la Junalco a très bien fait son travail dans l’affaire Amra.
M. Ugo Bernalicis
Ah !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
C’est aussi grâce à la police judiciaire dont la récente réforme a permis de mobiliser 350 enquêteurs par jour pour retrouver M. Amra et les nombreuses personnes qui l’auraient aidé. (M. Ugo Bernalicis s’exclame.)
M. Sébastien Peytavie
Et qui a mené cette réforme ? (Sourires.)
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je vous remercie donc de cet hommage du vice à la vertu. C’est, pour ainsi dire, une victoire post mortem de ma part, mais je suis heureux d’être encore au gouvernement pour vous entendre souligner à quel point nous avons été efficaces.
La Junalco a bien des qualités. Parmi toutes les faussetés que vous avez dites hier, il y avait deux ou trois vérités.
M. Ugo Bernalicis
Ah !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Deux ou trois ! Vous vous améliorez par rapport à votre habitude. En tout cas, vous n’aviez pas tort en faisant remarquer que la Junalco, dont la création avait d’ailleurs été combattue à l’époque par votre groupe…
M. Ugo Bernalicis
Je n’étais pas là !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Vous êtes solidaire avec La France insoumise et les positions de l’extrême gauche, de manière générale.
M. Ugo Bernalicis
Je ne suis pas opposé à la Junalco !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Bref, vous avez eu raison de dire que la Junalco n’a pas disposé des moyens nécessaires pour remplir les missions qui lui étaient confiées. C’est tout à fait vrai. Cependant, la Junalco ne dispose pas des pouvoirs d’évocation et de cosaisine ni de l’incarnation nécessaire au niveau international. C’est pourquoi nous nous appuierons sur l’excellent travail des magistrats de la Junalco et de la procureure générale de Paris pour créer le parquet national anti-criminalité organisée, qui fera preuve, je l’espère, de plus d’efficacité dans la lutte contre le narcotrafic.
M. Ugo Bernalicis
Pas seulement contre le trafic, mais aussi contre la criminalité organisée !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
J’espère avoir répondu à Mme Caroit.
Monsieur Amirshahi, j’ai entendu les préoccupations que vous exprimez au sujet des mineurs. Comme je m’y étais engagé en commission des lois, les mineurs seront suivis par un référent spécialisé au sein du Pnaco et répondront devant une juridiction spécifique aux enfants. Dans un esprit constructif et de consensus, je serai donc favorable à votre amendement no 674.
Je répondrai enfin au Rassemblement national. Hier, lors d’un échange portant sur le terrorisme et sur le Pnat, M. Taverne a affirmé que le Rassemblement national n’avait jamais reculé lorsqu’il s’agissait de donner des moyens à la justice et à la police pour lutter contre le terrorisme. Je tiens à vous rappeler que les députés de votre groupe – Mme Le Pen, M. Chenu – n’ont pas voté la loi qui a créé le Pnat, ni les lois antiterroristes que M. Collomb ou moi-même avons défendues. (Exclamations sur quelques bancs du groupe RN.) J’entends que vous êtes désormais croyants ; je vous invite à être pratiquants et à voter les dispositions que le président de la République a souhaité prendre pour lutter contre le terrorisme. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – M. Alexandre Dufosset s’exclame.) Si l’État lutte efficacement contre le terrorisme, ce n’est pas grâce à vous : vous n’avez voté aucune des lois antiterroristes que j’ai pu vous proposer.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l’amendement no 365, qui tend à supprimer l’article.
M. Antoine Léaument
Monsieur le ministre, vous avez été…
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Brillant ?
M. Antoine Léaument
…honnête : vous avez reconnu que la Junalco n’avait pas eu les moyens nécessaires pour être à la hauteur de ses missions.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Oui !
M. Antoine Léaument
D’une certaine manière, vous nous donnez raison : le problème de la justice réside dans ses moyens.
Nous proposons de supprimer l’article 2, qui est une disposition centrale du texte. Si vous aviez lu le rapport que j’ai rédigé avec M. Mendes, qui est membre de votre majorité, sur le trafic de stupéfiants, vous auriez lu la recommandation commune que nous y avons défendue,…
M. Thibault Bazin
C’est normal, c’est un socialiste !
M. Antoine Léaument
…rejoignant l’analyse de François Molins, dont je ne crois pas que vous le considériez comme naïf ou laxiste : il faut non créer un parquet national anti-criminalité organisée, mais, au contraire, faire de la Junalco un véritable chef de file en la matière.
Vous avez soutenu que vous aviez en quelque sorte convaincu M. Bernalicis au sujet de la place de la police judiciaire, mais j’ai l’impression que c’est plutôt l’inverse : depuis que vous avez changé de ministère, M. Bernalicis a fini par vous convaincre qu’il fallait défendre la police judiciaire. Il y a quatre ans, vous manifestiez avec Alliance police nationale, qui clamait : « Le problème de la police, c’est la justice ! ». (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Florent Boudié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Quel rapport avec l’amendement ?
M. Antoine Léaument
Vous avez désormais compris qu’il fallait que les deux travaillent ensemble et que finalement, quand on met la police judiciaire au service de la justice, précisément, on peut faire de belles affaires comme l’arrestation de M. Amra et d’une quinzaine de ses complices. Pour ma part, je félicite à la fois la Junalco qui a bien travaillé sur le dossier et l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) qui, à l’évidence, a bien travaillé aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.
M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
D’abord, je constate qu’au terme des auditions que nous avons menées et des débats que nous avons eus en commission, un consensus assez large s’est dégagé sur l’utilité et l’intérêt d’un parquet national anti-criminalité organisée. Certes, il n’a pas convaincu tout le monde, mais hors de votre groupe, les députés, sur tous les bancs, reconnaissent son intérêt.
Ensuite, le ministre l’a dit, il y a un véritable enjeu d’incarnation et de renforcement de la coordination autour de ce parquet d’envergure nationale. La Junalco a quatre ans ; elle n’a pas démérité ; l’ensemble de la représentation nationale salue le travail mené par ses magistrats. Cependant l’idée est d’aller plus loin pour mieux lutter contre la criminalité organisée.
Lors des échanges avec Éléonore Caroit et d’autres députés, dans le cadre du travail parlementaire transpartisan fait entre l’examen en commission et en séance, nous étions tous conscients de l’intérêt de ne pas dévitaliser les Jirs et de construire quelque chose avec elles. Nous y reviendrons lors de l’examen des amendements sur cet article, s’il est maintenu, en présentant des amendements qui permettent la cosaisine ou, en tout cas, qui tendent à assurer que ce futur parquet national et les juridictions interrégionales travaillent de la manière la plus intelligente.
Monsieur Pouria Amirshahi, nous aurons bien sûr un débat en séance, comme nous l’avons eu en commission, sur la manière dont les mineurs trouveront leur place dans le Pnaco. Nous avons pu échanger sur ce sujet et nous y serons attentifs.
L’avis de la commission sur l’amendement de suppression est donc défavorable, car cet article est central dans le dispositif instauré par ce texte.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Avis défavorable.
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi
Même si je suis toujours favorable à la création du Pnaco, je voudrais souligner quelques points, car nous sommes au début de cette discussion qui pose le cadre général de nos débats.
Monsieur le ministre, vous avez avancé deux arguments dont je ne suis pas sûr que ce soient les bons.
D’abord, je rejoins M. Léaument : si vous arguez vous-même que la mobilisation de 350 enquêteurs a permis d’arrêter un bandit qui a assassiné deux agents de la pénitentiaire, c’est que la question des moyens est cruciale ; or elle constitue un angle mort du dispositif. Presque tous les amendements déposés ont été jugés irrecevables au titre de l’article 40. Pourtant, il y a un vrai souci concernant la dotation en moyens, qu’il s’agisse de moyens humains ou des équipements – y compris des moyens technologiques, mais nous y reviendrons.
Ensuite, je partage le bilan que vous avez fait du PNF, mais au sujet du parquet national antiterroriste je voudrais rappeler un principe – puisque nous en sommes à l’exposition des principes. Quand on adopte des lois exceptionnelles, comme le sont celles dédiées au terrorisme, on fait un pas de côté par rapport à l’ordre légal et normal des choses quant aux juridictions et aux principes de droit. Quand ces lois exceptionnelles deviennent des lois d’exception, on franchit une nouvelle étape, or c’est exactement ce qu’il s’est passé avec la loi relative au renseignement, puis avec l’état d’urgence, lorsqu’une partie des dispositions de cette loi ont été intégrées au droit commun.
Quel problème cela pose-t-il ? Si vous prenez pour référence la lutte antiterroriste, vous faites de ce qui était censé être exceptionnel, puis qui est devenu une loi d’exception, la source même du droit commun. Attention, vous vous confrontez à des situations très complexes – j’évite de les caractériser de façon émotive – du point de vue du respect du droit ainsi que des conventions internationales dont nous sommes signataires et de nos obligations républicaines en matière de peine. Je n’expose pas là un point de vue idéologique ou purement théorique, car le juge Trévidic le dit mieux que moi : il a lui-même expliqué que cette approche nous avait menés à des impasses et à des insuffisances opérationnelles. (Mme Elsa Faucillon applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Nous voterons contre cet amendement de suppression, puisque nous sommes pour la création du Pnaco. Je voudrais cependant répondre à M. le garde des sceaux – nous sommes tous les deux élus dans le département du Nord, donc vous savez très bien comment ça marche. D’ailleurs, votre dernier déplacement en tant que ministre de l’intérieur, c’était dans ma circonscription, dans un cimetière, vous vous en souvenez, en hommage à Célestin Hennion. Monsieur le garde des sceaux, vous avez soutenu tout à l’heure que nous étions non croyants et pratiquants.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
C’est l’inverse !
M. Michaël Taverne
Ou l’inverse, peu importe. Mais alors nous sommes comme vous car, avant d’être nommé ministre du budget, qui avait affirmé qu’Emmanuel Macron était le « poison définitif » de la Ve République ? (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Sylvain Maillard
C’est faux !
M. Michaël Taverne
Eh bien c’était vous ! Vous étiez donc non croyant, mais vous étiez pratiquant puisque vous avez accepté un poste ministériel.
Ensuite, monsieur le garde des sceaux, il est inutile de créer des polémiques alors que nous examinons un texte très important, vous le savez. Vous savez que nous avons voté la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) en faisant preuve de sens des responsabilités. Si nous n’étions pas là, elle ne serait pas passée.
M. Alexandre Dufosset
Exactement !
M. Michaël Taverne
Il en va de même pour la loi d’orientation sur la justice. Vous souriez, c’est tout à fait normal, mais, sans les députés du Rassemblement national, jamais la proposition de loi sur le narcotrafic ne passera puisque vous avez la gauche contre vous. Nous, notre boussole, c’est l’intérêt des Français. Arrêtez donc vos polémiques inutiles. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Alexandre Dufosset
Exactement !
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Revenons au sujet qui nous occupe. Cela a été dit par M. le ministre, le problème de la Junalco, ce sont ses moyens, notamment ceux du parquet qui requiert devant cette juridiction. Cependant, au lieu de régler les problèmes de moyens, vous annoncez que vous allez créer un parquet national anti-criminalité organisée. De nombreux magistrats ont vu là une bonne affaire, en se disant que si on créait une structure, on serait obligé de la remplir avec quelque chose, ce qui pourrait permettre de sanctuariser des moyens. Voilà comment s’explique la conjonction de gens qui ne sont pas d’accord entre eux mais qui en viennent à soutenir que, finalement, le Pnaco est peut-être la bonne solution. Quant à moi, je n’y crois pas, car on peut avoir un Pnaco vide ou plein, ou un parquet national financier, engorgés à la première minute de jeu ; toutes les combinaisons sont possibles.
Cependant, vous avez ajouté qu’il y avait un besoin d’incarnation. Voilà le sujet central. Vous voulez avoir quelqu’un qui fait des belles conférences de presse à la télé pour valoriser l’action de répression en matière de narcotrafic, comme le fait, dans son champ, le parquet national antiterroriste. Vous voulez ensuite vous en servir pour assurer votre communication politique. C’est l’objectif central, en réalité ; vous l’assumez et je vous en remercie. Mais nous avons là un désaccord, car je ne suis pas pour faire de la justice spectacle. (Rires et exclamations sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme Émilie Bonnivard
Vous faites de la politique spectacle !
M. Ugo Bernalicis
En outre, certaines affaires auraient le droit d’être reprises par le Pnaco, tandis que d’autres seraient délaissées dans les juridictions interrégionales spécialisées, parce qu’elles n’intéressent pas M. Darmanin ou le ministre qui lui succédera. Ce n’est pas ma conception de la justice.
Effectivement, vous allez renforcer les Jirs car, de toute façon, votre Pnaco n’aura jamais les moyens de tout couvrir. Or cette délinquance est certes transnationale, mais elle a des points d’accroche territoriaux. Les juridictions interrégionales spécialisées remplissent actuellement cet office. Ainsi l’organisation actuelle est-elle la bonne.
Enfin, je tiens à vous signaler que jamais mon groupe parlementaire ne s’est opposé à la Junalco – vous avez mal consulté vos sources. En revanche, nous nous sommes opposés au parquet national antiterroriste.
M. le président
La parole est à Mme Eléonore Caroit.
Mme Eléonore Caroit
Merci, monsieur le ministre, pour vos explications, car il est très important que nous comprenions dans quelles circonstances le Pnaco pourra être saisi, ce que vous avez annoncé très clairement. Je salue donc votre annonce d’une circulaire qui sera portée à la connaissance de la représentation nationale.
La question de la coopération internationale demeure. En effet, dans de nombreuses affaires, même celles qui peuvent sembler d’une moindre importance et qui, peut-être, ne relèveraient pas de ce parquet, nous avons besoin de coopération internationale. Je tiens à saluer le travail accompli par les magistrats de liaison auprès des ambassades, ceux qui œuvrent à la coopération que nous menons avec différents pays, ainsi que les experts techniques internationaux (ETI) qui sont présents dans de nombreux pays, notamment au Mexique, où une commissaire de police fait un travail remarquable auprès du parquet de Mexico. Tout cela existe déjà. La coopération s’accomplit entre les territoires, avec les Jirs, les régions et les communes car, encore une fois, le narcotrafic est un fléau qui malheureusement touche tous les territoires. Pourriez-vous nous donner plus d’explications sur la manière dont s’articulera la coopération internationale une fois que le Pnaco sera créé ?
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 365.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 211
Nombre de suffrages exprimés 211
Majorité absolue 106
Pour l’adoption 27
Contre 184
(L’amendement no 365 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 110 et 122.
La parole est à Mme Virginie Duby-Muller, pour soutenir l’amendement no 110.
Mme Virginie Duby-Muller
Il vise à renforcer la lutte contre la criminalité organisée en France. Cette initiative répond à un besoin crucial de centralisation et de spécialisation dans la gestion des affaires complexes liées à la criminalité organisée. La criminalité organisée, par sa nature complexe et transfrontalière, exige une réponse cohérente et efficace. En remplaçant les mentions du « procureur de la République » par le « procureur de la République national anti-criminalité organisée », l’amendement tend à clarifier les responsabilités et à concentrer l’expertise au sein d’une entité dédiée. Cette centralisation est indispensable pour garantir une réponse rapide et coordonnée, évitant ainsi les inefficacités d’une gestion fragmentée.
La cybercriminalité, en constante évolution, est devenue un pilier de la criminalité organisée. Les réseaux criminels utilisent des technologies avancées pour perpétrer leurs activités illégales, rendant la lutte contre ces crimes particulièrement complexe. C’est pourquoi l’amendement tend à transférer l’intégralité de la section J3, spécialisée dans la cybercriminalité, au Pnaco. Cette mesure est essentielle pour maintenir l’intégrité et l’efficacité des enquêtes cybercriminelles, en évitant une division qui pourrait affaiblir notre capacité de réponse. La section J3 a développé une expertise précieuse et des partenariats stratégiques au fil des années. Ces collaborations au niveau tant national qu’international sont essentielles pour lutter efficacement contre la criminalité organisée. En transférant la section J3 au Pnaco, nous assurons donc la continuité des opérations, tout en bénéficiant d’une structure renforcée capable de faire face aux défis croissants de la criminalité organisée.
M. le président
La parole est à M. Éric Bothorel, pour soutenir l’amendement no 122.
M. Éric Bothorel
Cet amendement vise à rattacher au Pnaco la compétence concurrente nationale du parquet de Paris relative aux infractions relevant de la cybercriminalité. En effet, la section J3 – et je salue le travail accompli par Mme la vice-procureure Johanna Brousse et ses équipes au sein de cette section, ainsi que le succès de l’ancien bloc central qui a créé ce parquet numérique – a développé une expertise approfondie des modes opératoires cybercriminels en observant leurs évolutions et en adoptant une vision globale de la cybercriminalité. La complexité technique des cyberattaques n’est pas toujours proportionnelle à la sophistication des organisations qui les ont orchestrées. Les cybercriminels utilisent d’ailleurs souvent les mêmes types de vulnérabilité informatique et outils d’anonymisation, tels que proxies, réseaux privés virtuels (VPN), loaders mixeurs de cryptomonnaies. La diversité des affaires traitées par J3 lui offre une vue d’ensemble, ce qui lui permet de perfectionner ses connaissances.
Il est crucial que le volet judiciaire de la lutte contre la cybercriminalité soit suffisamment fort pour influencer les interlocuteurs issus de trois ministères : l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi), la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). La présence constante de l’unité J3 et ses succès judiciaires lui ont permis de s’imposer auprès de ses partenaires. Diviser cette activité entre plusieurs sections, dans un contexte où la multiplicité des services d’enquête illustre déjà la difficulté de coexistence, affaiblirait cette reconnaissance à l’échelle nationale.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Je comprends ce que vous voulez faire : en transférant la section J3 au sein du Pnaco, conserver un interlocuteur unique sur ces questions. Cette piste a été envisagée et la commission a donné un avis favorable.
Néanmoins, je vous propose d’écarter cette option pour deux raisons. Premièrement, nous cherchons à concentrer le Pnaco sur les affaires qui relèvent d’une très grande complexité et de le penser autour de saisines chirurgicales, tandis que J3 traite actuellement 1 900 dossiers dont seulement 11 relèvent de l’actuelle Junalco. Je pense donc qu’on s’éloignerait du critère de très grande complexité.
Deuxièmement, le transfert de toute la section J3 reviendrait à centraliser les compétences. Or l’ampleur actuelle des sujets cyber incite plutôt à faire monter en compétences l’ensemble de l’appareil judiciaire, à commencer par les juridictions interrégionales spécialisées.
Je vous propose donc d’écarter cette solution et de suivre les recommandations de la mission de préfiguration pilotée par le procureur général de Fontainebleau.
Enfin, ce n’est pas parce que la section J3 n’est pas transférée au Pnaco que celui-ci n’aura pas de compétences pour les infractions d’atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données, puisque ces dernières sont déjà visées.
Malgré l’avis de la commission, c’est à titre personnel que je suis défavorable à ces amendements identiques.
M. le président
La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Florent Boudié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Nous nous sommes longuement posé cette question, en essayant de trouver les bonnes options.
M. Ugo Bernalicis
C’est qui, nous ?
M. Florent Boudié, président de la commission des lois
La cybercriminalité n’inclut pas systématiquement la criminalité organisée. Parmi les dossiers traités par la section J3, on trouve, par exemple, les cyberattaques lancées dans le cadre d’ingérences étrangères. Le Pnaco n’aurait pas sa place pour en connaître.
De plus, l’article 2 prévoit que le Pnaco sera bien chargé des affaires de cybercriminalité du haut du spectre. Je vous renvoie à son alinéa 14, qui inclut le délit d’atteinte aux systèmes de traitement automatisé de données commis en bande organisée.
Le Pnaco pourra se saisir d’affaires cybercriminelles et sera doté d’un pouvoir d’évocation. Mais, à ce stade, la fusion proposée poserait de réels problèmes au regard des affaires traitées par la section J3.
J’ajoute que cette dernière est composée de cinq magistrats.
M. Ugo Bernalicis
Seulement ?
M. Florent Boudié, président de la commission des lois
Elle est fragile, si j’ose dire, car ces magistrats ont des compétences exceptionnelles – je tiens d’ailleurs à les remercier, en particulier la vice-procureure qui en est chargée. Il y a un enjeu de transmission de ces compétences, en particulier aux Jirs, et éventuellement en deçà.
La pérennisation et la diffusion des compétences exercées par ces magistrats me semblent plus urgentes et préoccupantes que la fusion avec le Pnaco, qui présente un certain nombre de difficultés.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
La question posée est très importante. Permettez-moi d’expliquer pourquoi j’émets un avis défavorable, après y avoir longuement réfléchi.
Sur les 1 900 dossiers traités par la section J3 chargée de la cybercriminalité, 11 relèveraient de la criminalité organisée. La majorité des dossiers sont liés aux ingérences étrangères. (M. Éric Bothorel fait une mine dubitative.)
Ce matin encore, j’ai organisé une réunion avec les services, monsieur Bothorel, et j’y ai associé l’Anssi et la coordination du renseignement.
Votre démarche est compréhensible et convaincante, mais on peinerait à comprendre pourquoi 95 % des dossiers traités par le parquet national anti-criminalité organisée ne relèveraient pas de son champ de compétences – ils sont liés, en grande partie, à des ingérences étrangères. Ce n’est pas ce qui est prévu.
Deuxièmement, si le Pnaco estime qu’il n’a pas les compétences nécessaires pour traiter un dossier de cybercriminalité au sein de la criminalité organisée, il pourra faire appel aux magistrats spécialisés de la section J3 à travers une cosaisine. De même, si le Pnaco s’aperçoit qu’une de ses affaires a un lien avec un dossier cyber, il pourra s’en saisir.
Nous ferions une grave erreur en fusionnant la section J3 et le Pnaco. D’ici cinq ou dix ans, nous nous apercevrions que nous avons empêché ce dernier de prendre un bon démarrage. L’objectif est la spécialisation du parquet. Tout ce que nous arriverions à faire, c’est créer des difficultés pour deux institutions qui fonctionnent bien.
À l’inverse, si d’ici cinq ans, la criminalité organisée prend une dimension de plus en plus cyber, rien n’empêchera le législateur et le gouvernement de rapprocher les deux parquets.
La mission de préfiguration que j’avais demandée au ministère de la justice n’a pas conclu favorablement à la fusion de la section J3 et du Pnaco. Je donne donc un avis défavorable aux amendements.
Des questions importantes se poseront sur le cyber, mais le Pnaco nous aidera à être plus efficaces, comme l’a dit le président de la commission des lois.
S’agissant des moyens engagés, …
M. Ugo Bernalicis
Ah !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…le président de la commission des lois évoquait cinq magistrats pour 1 900 procédures, mais il ne faut pas calculer ainsi : il faut compter les cibles, qui sont au nombre de 150. On sait que certaines d’entre elles sont récurrentes, s’agissant des ingérences étrangères.
À sa création, la Junalco ne comptait que quelques magistrats, qui sont aujourd’hui vingt et un, en incluant la section J3. Quant au Pnat et au PNF, ils réunissaient une dizaine de magistrats, qui sont aujourd’hui une trentaine.
M. Ugo Bernalicis
Dix-huit !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Le Pnaco sera doté d’une trentaine de magistrats, dès ses débuts. La Jirs de Paris, qui travaille avec la Junalco, sera renforcée – comme toutes les autres – par la mobilisation des quatre-vingt-quinze magistrats supplémentaires que j’évoquais. Ainsi, le Pnaco commencera son activité avec des moyens qui n’ont rien à voir avec ce qu’ont connu les parquets spécialisés à leurs débuts. Ce n’est donc pas une question de moyens qui se pose.
J’espère que le Parlement suivra nos propositions, et que le Pnaco sera créé au début de l’année prochaine, afin de laisser le temps d’affecter les magistrats spécialisés et d’organiser un parcours de vie professionnelle dédié. Les Jirs, en particulier celle de Paris, ne seront donc pas dégarnies pour créer le Pnaco.
Avis défavorable.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Au départ, il y a eu une fausse bonne idée : la création d’un parquet national antistupéfiants. Ensuite, en raison des nombreuses autres infractions qui y sont liées, l’idée de Pnaco est née. Or ses compétences pouvant être concurrentes avec celles du PNF et de la section J3, s’est posée la question de la coordination de ces instances.
En effet, qui traite des affaires comme Sky ECC sinon la section J3 et le Commandement de la gendarmerie dans le cyberespace (ComCyberGend), devenu le Commandement du ministère de l’intérieur dans le cyberespace (ComCyber-MI), qui travaille à hacker ces réseaux sécurisés, utilisés par les seuls trafiquants ?
Si, sur les cinq magistrats de J3, on en prélève deux pour les besoins du Pnaco, il n’en restera plus que trois, ce qui ne fait pas grand monde pour gérer 1 900 dossiers. En mobilisant les cinq magistrats, cela revient déjà à 380 dossiers par magistrat – plus que le nombre de jours de l’année. Même sans prendre de congés et en travaillant du lundi au dimanche, les magistrats ne peuvent pas consacrer une journée à chaque dossier. Voilà l’état de la justice qui combat le haut du spectre de la cybercriminalité et, plus généralement d’ailleurs, de la justice.
La fusion fonctionnerait bien, puisque la section J3 a déjà participé, dans le cadre de la Junalco et des Jirs, à la lutte contre le trafic de stupéfiants du haut du spectre. Je pense à Sky ECC, à EncroChat et à d’autres affaires emblématiques du genre.
À ces magistrats qui réclament des moyens supplémentaires pour gérer plus rapidement leurs dossiers, vous répondez que vous allez créer le Pnaco parce que, en réalité, vous avez besoin de communiquer et d’envoyer quelqu’un faire des conférences de presse au vingt heures pour annoncer de grosses saisies et montrer qu’on fait bien la guerre aux narcotrafiquants.
C’est en dessous de tout ! C’est médiocre par rapport à l’enjeu de la lutte contre les narcotrafiquants et la criminalité organisée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Éric Bothorel.
M. Éric Bothorel
Dans le cas de Sky ECC, c’est une action conjointe des sections J3 et J1 qui a permis d’intervenir.
Malgré les arguments du rapporteur, du président de la commission et du ministre, je maintiens mon amendement, car je vois bien que nous n’arrivons pas aux mêmes conclusions.
L’affaire Sky ECC a montré que nous étions confrontés à des cybercriminels et des activités de narcotrafiquants de haut niveau, à l’échelle internationale. Si vous me permettez ce langage, nous avons d’un côté, des gens qui cherchent à refourguer de la came et, de l’autre, des gens qui cherchent à blanchir leurs biens financiers acquis notamment par le biais de ransomwares.
Il est donc nécessaire de créer un Pnaco efficace, sans perdre l’expertise cyber acquise par les cinq magistrats cités. Ces derniers ne doivent pas être cantonnés aux activités d’ingérence, car la menace cybercriminelle est croissante. Une augmentation du personnel mobilisé est donc nécessaire.
Les hôpitaux, les collectivités et les entreprises sont attaqués, ce qui génère des milliards de revenus pour les cybercriminels, qui se rapprochent ainsi des narcotrafiquants. Il y a des cartels de la cybercriminalité comme il y a des cartels de stupéfiants.
Le Pnaco gagnerait donc à être renforcé par l’expertise de la section J3.
(Les amendements identiques nos 110 et 122 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Les amendements nos 594 et 593 de M. le rapporteur, sont rédactionnels.
(Les amendements nos 594 et 593, acceptés par le gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 595 et 764.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 595.
M. Vincent Caure, rapporteur
L’amendement est issu de l’une des recommandations du rapport de préfiguration, qui constatait que, dans certains dossiers, l’infraction de blanchiment simple, initialement constatée, se révélait ensuite plus complexe.
La mission de préfiguration recommandait d’élargir l’approche à l’ensemble des délits prévus à l’article 704 du code de procédure pénale. Néanmoins, le champ des infractions prévues à cet article est très large. Nous proposons donc de le cantonner à une liste ciblée, qui vise notamment l’escroquerie simple, l’abus de confiance, le blanchiment douanier et le blanchiment simple.
M. le président
La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir l’amendement no 764.
M. Sébastien Huyghe
Le Pnaco étant l’une des pierres angulaires de ce texte, il est indispensable de le doter des leviers qui lui permettront d’envisager tous les angles d’attaque possibles du fonctionnement des réseaux criminels.
L’élargissement de ses compétences en matière d’infractions était l’une des recommandations de la mission de préfiguration, comme l’a rappelé le rapporteur. Il s’agit donc d’élargir le champ de compétences du Pnaco, notamment au blanchiment simple. La mission a en effet constaté que certains dossiers de criminalité organisée, initialement abordés sous l’angle du blanchiment simple, s’avéraient être de grande ampleur après les premières investigations.
Cette approche servirait donc de porte d’entrée.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Avis favorable.
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Ugo Bernalicis disait à l’instant que chemin faisant, on allait s’apercevoir qu’une telle spécialisation poserait des difficultés – d’ailleurs, je me demande s’il ne faisait pas allusion au PNF. En l’occurrence, pour ce qui concerne le blanchiment, sans doute faudra-t-il faire appel à ses compétences.
Il semble évident qu’il est difficile d’isoler le trafic de stupéfiants en tant que tel, puisque le système – fondé, je le rappelle, sur la prohibition, qui rend un fier service aux trafiquants – repose sur des réseaux aux ramifications de diverses natures.
On voit donc la limite du système proposé : pour traiter chaque question, il faudra aller chercher les compétences nécessaires dans des juridictions spécialisées qui par ailleurs manquent de moyens. Ne vaudrait-il pas mieux maintenir le principe d’une compétence générale des juridictions, qui leur permet de traiter l’ensemble des dossiers dans toutes leurs ramifications et leur complexité ?
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi
Malgré la qualité des discussions que nous avons eues, nous ne pouvons pas vous suivre sur cet amendement, monsieur le rapporteur. Je vais essayer de vous en expliquer les raisons.
Vous proposez d’étendre au blanchiment simple la compétence du Pnaco. Le problème est que – vous l’avez évoqué, ainsi que le ministre – il existe déjà le PNF, dont tout le monde a salué l’utilité et la qualité du travail, et les Jirs. Cela fera donc doublon avec une juridiction existante.
S’agissant des infractions de blanchiment dont il est avéré qu’elles ont un lien direct avec le narcotrafic, le Pnaco aura de toute façon à s’en saisir – c’est son rôle. Vous prenez donc une disposition qui conduira à affaiblir le PNF, alors même que vous avez démontré l’utilité de ce dernier. Je ne vois pas pourquoi on ajouterait une compétence qui est déjà inscrite dans les prérogatives du Pnaco, dès lors qu’il conduit ses enquêtes comme il se doit, en fléchant l’argent.
Enfin, un autre objectif du texte – le plus important, d’ailleurs – est la lutte contre le haut du spectre, contre les têtes de réseau. S’il doit s’attaquer au blanchiment simple qui n’a aucun lien avec le grand trafic, le Pnaco va se trouver embolisé.
M. Antoine Léaument
Et voilà !
M. Pouria Amirshahi
Cela ne servira à rien. Laissez donc faire le PNF, qui fait très bien son travail sur ce plan. (M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Vincent Caure, rapporteur.
M. Vincent Caure, rapporteur
L’objectif des amendements est de permettre au Pnaco de se saisir des affaires de blanchiment, qu’il soit simple ou non, découlant du trafic de stupéfiants, en liaison avec la criminalité organisée.
M. Pouria Amirshahi
Ils sont satisfaits !
(Les amendements identiques nos 595 et 764 sont adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 596 et 891.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 596.
M. Vincent Caure, rapporteur
Il s’inspire aussi des recommandations formulées par la mission de préfiguration menée par le procureur général de Fontainebleau – donc non, on n’avance pas à l’aveugle. Il vise à élargir le champ de compétences du Pnaco à certaines infractions commises en détention, par des individus incarcérés pour des crimes ou délits pour lesquels le Pnaco a exercé préalablement sa compétence – à savoir les infractions de recel, d’évasion ou d’association de malfaiteurs.
M. le président
L’amendement no 891 de M. Sébastien Huyghe est défendu.
Quel est l’avis du gouvernement sur les amendements identiques ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Favorable.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
À ce stade du débat, j’en viens à me poser la question suivante : ne faudrait-il pas créer un parquet national de tout ? (Rires sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Antoine Léaument
Très bien !
M. Ugo Bernalicis
Ce ne serait pas bête : on pourrait ainsi tout traiter !
Cela reviendrait à utiliser les juridictions existantes telles qu’elles sont censées fonctionner. On a créé des services spécialisés qui ne relèvent pas forcément de parquets spécialisés afin qu’ils ne disposent pas d’une compétence propre, qu’on conserve agilité et souplesse – des termes qui devraient vous parler, à vous, macronistes ! – et que la justice s’organise en fonction du type d’affaire à traiter. Si, dans une affaire, il y a du blanchiment, plus de la corruption, plus du trafic de stupéfiants, eh bien on actionne les services d’enquête spécialisés et les juridictions compétentes, et tout le monde concourt à résoudre l’affaire en question. En réalité, cela correspond au fonctionnement actuel – certes en sous-effectif – des juridictions : c’est exactement le rôle que remplissent la Junalco, la section J3 du parquet de Paris, spécialisée dans la lutte contre la cybercriminalité, etc.
Je repose donc la question : est-il aussi habile que cela de créer un parquet national anti-criminalité organisée ? J’ai l’impression que plus nous allons avancer dans l’examen du texte, plus nous allons découvrir les problèmes que cela va provoquer et moins nous comprendrons ce que le nouveau parquet pourra bien apporter. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
(Les amendements identiques nos 596 et 891 sont adoptés.)
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l’amendement no 368.
M. Antoine Léaument
Il s’agit d’un nouvel amendement d’appel, visant à vous alerter sur les compétences concurrentes du nouveau parquet national anti-criminalité organisée et du parquet national financier.
J’ai sous les yeux une circulaire d’octobre 2021 du ministère de la justice que je trouve particulièrement intéressante. Il y est question des Jirs et de la Junalco : « une expertise de la criminalité organisée à valoriser » – il y a un peu plus de trois ans, vous disiez donc qu’il fallait valoriser la Junalco ; apparemment, le ministère, en changeant de ministre, a changé d’avis… On y précisait que « la justice a conféré une compétence nationale concurrente à la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) pour les affaires de très grande complexité, notamment en matière fiscale. […] Le PNF est rendu destinataire par l’administration fiscale de l’ensemble des plaintes sur présomptions caractérisées de fraude fiscale. Il lui appartient de se dessaisir dans de brefs délais, le cas échéant au profit de la JIRS territorialement compétente ».
J’ai une petite question : avec la création du parquet national anti-criminalité organisée, qui va s’occuper de la lutte contre la fraude fiscale ? Cela semble bien compliqué ! Allez-vous confier cette mission aux JIRS, à ce qui restera du tribunal de Paris, au parquet national financier, au parquet national anti-criminalité organisée ?
Monsieur Darmanin, qui va s’occuper de la lutte contre la fraude fiscale ? J’aimerais avoir une réponse à cette question. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Sur les amendements nos 368 et 673 ainsi que sur les amendements identiques nos 219, 371 et 519, je suis saisi par le groupe Rassemblement national de demandes de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 368 ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Vous vous inquiétez de la répartition des compétences entre les différents parquets nationaux ; c’est une inquiétude louable.
Aujourd’hui, le périmètre de compétence de la Junalco recoupe déjà celui du PNF pour ce qui concerne certaines infractions : escroquerie en bande organisée, fraude fiscale en bande organisée, blanchiment simple ou aggravé du produit d’une escroquerie. Lorsqu’ils ont une compétence concurrente, PNF et Junalco se répartissent les dossiers au cas par cas ; par exemple, si un dossier de blanchiment porte sur des fonds issus du trafic de stupéfiants, c’est la Junalco qui le traitera. Je pense que la même logique s’appliquera s’agissant de la répartition des dossiers entre le PNF et le Pnaco.
M. Ugo Bernalicis
Vous pensez ou vous en êtes sûr ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Ce que vous pensez est intéressant, monsieur le rapporteur, mais ce qui importe, ce sont les instructions que donne le ministre ! La Junalco est une juridiction placée en grande partie sous l’autorité du siège, et le ministre peut éventuellement donner des instructions au parquet de Paris, mais la question qui se pose, c’est de savoir quelles instructions il donnera au PNF et au futur parquet national anti-criminalité organisée.
Tout l’intérêt de l’avoir sous votre main, monsieur le ministre, c’est de pouvoir faire en sorte que vos circulaires de politique pénale soient appliquées ! Or, demain, vous allez demander par circulaire au Pnaco de mettre le paquet sur le trafic de stupéfiants – le reste, on verra plus tard. Il est évident que c’est ce que vous allez faire, puisque c’est votre grande cause nationale – M. Retailleau l’a dit. Cela aura mécaniquement pour effet de concentrer les moyens sur une partie des infractions, au détriment des autres. En définitive, la fraude fiscale, qui va s’en occuper ? Est-ce vraiment le Pnaco ? Avec quels services d’enquête ? Ils sont déjà engorgés par les affaires traitées par le parquet national financier ! Cela va poser des difficultés d’organisation.
Vous allez créer des problèmes qui n’existaient pas auparavant. Félicitations !
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 368.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 266
Nombre de suffrages exprimés 219
Majorité absolue 110
Pour l’adoption 36
Contre 183
(L’amendement no 368 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de plusieurs amendements, nos 673, 219, 371 et 519, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 219, 371 et 519 sont identiques.
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi, pour soutenir l’amendement no 673.
Mme Sabrina Sebaihi
Cet amendement tend à exclure les mineurs de la compétence du parquet national anti-criminalité organisée. Il ne s’agit pas d’un simple détail technique ; c’est une question fondamentale de justice, une mesure cohérente avec les principes fondamentaux de la protection de l’enfance et de la justice des mineurs.
Depuis 1945, nous avons construit un système qui vise à réinsérer les jeunes dans la société. Confier la poursuite des mineurs au Pnaco, c’est risquer d’effacer leur spécificité en les soumettant à des logiques procédurales et à un arsenal répressif conçus pour la criminalité des adultes.
Il est essentiel de toujours faire la différence entre la justice des adultes et celle des mineurs. D’ailleurs, l’Unicef nous a alertés sur la nécessité de tenir compte spécifiquement des mineurs dans le cadre de cette proposition de loi ; il souligne que l’impact sur leurs droits doit être évalué et anticipé et que des dispositifs spécifiques les concernant doivent être envisagés.
Ne reproduisons pas l’erreur que nous avons commise en matière antiterroriste. La compétence élargie des juridictions antiterroristes sur la justice des mineurs conduit au recours à la détention ; les juges d’instruction optent le plus souvent pour la mise en examen des enfants plutôt que pour des mesures éducatives, en appuyant leur décision sur la nature du crime lui-même, sans tenir compte de l’âge et de la maturité de l’enfant.
Ne réitérons pas cette erreur. Sortons les mineurs de la compétence du Pnaco. C’est pourquoi nous vous invitons à adopter l’amendement. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS et SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Estelle Mercier, pour soutenir l’amendement no 219.
Mme Estelle Mercier
Il vise à supprimer l’alinéa 17 de l’article 2, qui prévoit la compétence concurrente du Pnaco en ce qui concerne les mineurs.
Les débats que nous avons eus en commission n’ont pas été de nature à nous rassurer. Dans le compte rendu, il est écrit que vous avez dit, monsieur le ministre, que vous étiez prêt à recevoir Mme Regol – qui avait soulevé la question – pour travailler à une nouvelle rédaction en vue de la séance publique mais qu’en attendant, vous préfériez conserver l’article dans sa version actuelle.
Peut-être aurait-il été utile de travailler à cette nouvelle rédaction car l’article n’est pas clair s’agissant des mineurs, notamment de la territorialisation de la justice des mineurs. Non seulement il est indispensable de maintenir une justice spécialisée mais l’implantation géographique du Pnaco à Paris mettrait fin à cette territorialisation. Or il nous semble fondamental de préserver le suivi des mineurs en juridiction par des juges spécialisés, notamment parce qu’il permet une meilleure connaissance des parcours des jeunes et qu’il conduit à préférer les mesures éducatives aux mesures répressives. La territorialisation reste donc pertinente et doit être préservée pour la justice des mineurs. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin, pour soutenir l’amendement no 371.
Mme Élisa Martin
Nous abordons la question de la place des enfants dans l’organisation du trafic de stups, qui, grâce à la prohibition que vous entretenez (Exclamations sur les bancs du groupe RN), a développé des stratégies pour les enrôler.
À ce stade, nous souhaitons faire trois remarques.
La première est que ce n’est pas ainsi qu’on sortira les enfants du système ; c’est par la prévention et l’éducation. De ce point de vue, il est grand temps d’arrêter d’étrangler les conseils départementaux qui ont la charge de la protection de l’enfance.
Deuxièmement, il est nécessaire de conserver à la justice des mineurs sa spécificité, j’ose dire : sa délicatesse. Or l’article 13 prévoit un rapprochement avec la justice des adultes, qui nous paraît très malvenu.
Troisièmement, quoi que vous en pensiez, il faut organiser le suivi éducatif des enfants concernés par le dispositif. S’ils sont tous poursuivis par le Pnaco, installé à Paris, comment mettre en œuvre un tel suivi, pourtant déterminant pour eux ?
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 519.
Mme Elsa Faucillon
Puisqu’il est question des mineurs et du trafic de stupéfiants, avant d’aborder l’amendement lui-même, j’insiste sur la nécessité de prévenir l’enrôlement des mineurs au service de ce trafic. Cela passe entre autres par des mesures de justice, qui peuvent d’ailleurs consister en mesures éducatives, mais cela repose principalement sur la présence des services publics dans les quartiers, sur un travail avec les élus locaux, les bailleurs sociaux et les associations de prévention. En effet, en intervenant dès le plus jeune âge, ces actrices et acteurs de terrain peuvent empêcher cet enrôlement. Telle devrait être notre priorité.
Comme celui de mes collègues, mon amendement vise à supprimer l’alinéa 17, car je crois qu’il faut préserver la spécificité de la justice des mineurs, tant la primauté des mesures éducatives que la territorialisation, point sur lequel j’ai du mal à vous faire confiance après l’adoption du texte sur la justice des mineurs.
M. Jean Terlier
Excellent texte !
Mme Elsa Faucillon
Les débats en commission ne nous ont en rien rassurés sur cette importante question. Notre groupe a d’ailleurs déposé deux autres amendements, que ma collègue K/Bidi défendra : l’un vise au moins à assurer la présence de magistrats référents au sein du Pnaco pour suivre les procédures de justice des mineurs ; l’autre, la liaison entre le juge qui suit le jeune dans son territoire et ceux du Pnaco. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et EcoS, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
J’émettrai un avis défavorable, non que je sois opposé à la spécificité de la justice des mineurs, dont vous venez de rappeler les principes, mais parce que ces quatre amendements tendent à supprimer la compétence du parquet national anti-criminalité organisée concernant les mineurs impliqués dans ladite criminalité organisée. Or, ces dernières années, des mineurs sont mis en cause dans des affaires de criminalité organisée d’une grande complexité, dont le Pnaco doit pouvoir se saisir.
Nous avons déjà eu ce débat en commission et l’avons poursuivi ensuite : il ne s’agit pas de déroger à la spécialisation de la justice des mineurs, que nous nous efforçons au contraire de garantir. L’amendement no 674 de notre collègue Amirshahi, que nous reprendrons, prévoit d’ailleurs que deux substituts chargés du suivi des mineurs seront désignés au sein du Pnaco.
Je vous invite à relire l’alinéa 17 du texte : celui ne prévoit aucune remise en cause des principes qui président à la manière dont la justice s’applique aux mineurs, même en matière de criminalité organisée, mais il assure que le parquet national anti-criminalité organisée les prendra en compte.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Avis défavorable également. Je suis toutefois d’accord avec l’essentiel des propos qui ont été tenus. Il n’est nullement question de revenir sur la spécificité de la justice des mineurs. Ni le Pnat – qui poursuit également des mineurs dont s’occupent des magistrats référents, bien que ce ne soit pas inscrit ainsi dans la loi – ni les tribunaux pour enfants ne comportent de parquet spécialisé pour les mineurs : ce sont des procureurs ordinaires qui interviennent devant des magistrats spécialisés. Le parquet reste le parquet : local ou national, suivant le ressort, le parquet agit, même devant une juridiction spécialisée. Autrement dit, la spécialisation du parquet ne préjuge pas de celle de la juridiction qui jugera le mineur.
Avons-nous prévu une spécialisation de la juridiction telle que certains mineurs seraient jugés dans des conditions différant de celles dans lesquelles le sont les autres mineurs ? La réponse est non. Même s’ils sont poursuivis par le Pnaco, les mineurs resteront jugés par un tribunal pour enfants. Je veux le redire ici : il n’y a pas de spécialisation du jugement des mineurs dans les affaires de criminalité organisée, comme l’a rappelé le rapporteur Caure.
Cela n’enlève rien à ce qu’a dit la députée Faucillon : indépendamment de ce texte, vous avez mille fois raison de soulever la question de l’enrôlement des mineurs, exploités, commandés, voire torturés. Certaines situations sont proprement dramatiques : des mineurs de plus en plus jeunes passent à l’acte, certains commettent des crimes, allant jusqu’à l’homicide – dans les rues de Marseille, le plus jeune tueur à gage que nous ayons connu avait quatorze ans !
Vous avez donc parfaitement raison, madame la députée : ce texte ne répond pas à ce problème. Je ne peux que souscrire à ce constat. Reste qu’indépendamment de ce qu’il faudrait faire en matière de prévention et d’éducation, la spécialisation de la justice des mineurs est sauvegardée dans le texte.
Il ne serait pas raisonnable de créer un parquet national anti-criminalité organisée qui ne puisse pas poursuivre de mineurs impliqués dans des affaires en connexion avec des majeurs. Le Parlement souhaite s’assurer que les mineurs seront suivis par des magistrats référents, habilités au terme d’une formation spécifique, ce que prévoit l’amendement no 674 de M. Amirshahi, auquel je suis favorable.
J’insiste sur l’absence d’a contrario entre ce que nous avons décidé pour le Pnat et ce que nous décidons aujourd’hui pour le Pnaco : comme la chose n’a pas été précisée s’agissant du Pnat, il ne faudrait pas laisser croire que le parquet antiterroriste ne pourrait pas poursuivre les mineurs – que cela soit bien inscrit dans le compte rendu. Ce devrait en tout cas être de nature à vous rassurer, monsieur le député.
Permettez-moi d’indiquer à Mme Mercier que j’ai proposé au groupe écologiste, comme à tous les autres d’ailleurs, de venir discuter de ce texte.
M. Thibault Bazin
Mme Mercier est socialiste.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Mme Regol ayant d’autres obligations, elle a confié à M. Amirshahi le soin de discuter avec nous – elle reste évidemment la bienvenue. J’ai rencontré les collaborateurs du groupe écologiste, comme tous ceux qui ont bien voulu venir à la Chancellerie, et nous sommes tombés d’accord sur l’un des amendements qu’il proposait : nous l’accepterons afin d’assurer l’existence d’une habilitation spécifique pour les mineurs au sein du Pnaco.
J’émets un avis défavorable sur l’amendement no 673 et les amendements no 219 et identiques, mais j’accueillerai favorablement l’amendement no 674 de M. Amirshahi.
M. le président
La parole est à Mme Sophie Ricourt Vaginay.
Mme Sophie Ricourt Vaginay
L’amendement présenté par nos collègues de gauche tend une fois de plus à ériger le régime de protection des mineurs en rempart absolu, quitte à ignorer les véritables conséquences sur le terrain. Il est temps de mettre fin à cette hypocrisie ! En effet, qui tire profit de cette conception angélique de la justice des mineurs ? Ce sont les réseaux criminels. Ces trafiquants ont parfaitement compris comment exploiter les failles de notre système judiciaire : en recrutant des adolescents, interchangeables et difficilement condamnables, ils ont bâti une florissante économie parallèle, fondée sur l’impunité. (Exclamations sur les bancs du groupe SOC.)
Et vous, chers collègues de gauche, vous tombez systématiquement dans leur piège : toujours vous invoquez la sacro-sainte protection des mineurs, sans distinction. (Mêmes mouvements.) Vous n’encouragez en fait que leur exploitation par la mafia et les dealers vous remercient,… (Les exclamations s’amplifient.)
M. Inaki Echaniz
Eh, oh, ça va !
Mme Sophie Ricourt Vaginay
…car refuser cette réforme revient à laisser des jeunes devenir délinquants, avant même d’avoir eu la chance de choisir une autre voie !
Il y a donc deux camps : ceux qui font face à la réalité du terrain et veulent agir ; ceux qui blablatent.
Mme Dieynaba Diop
Cessez vos caricatures !
Mme Sophie Ricourt Vaginay
Nous avons choisi d’agir,…
Mme Ayda Hadizadeh
Vous n’avez rien à faire de la justice des mineurs !
Mme Sophie Ricourt Vaginay
…alors, chers collègues, assez de postures idéologiques ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Chère collègue, vos propos sont odieux. Vous ne pouvez nous accuser de ne pas prendre en compte la question des mineurs. Au contraire, alors que, dans le rapport que nous avons rédigé avec M. Mendes,…
M. Laurent Jacobelli
Entre gauchistes !
M. Antoine Léaument
…nous nous sommes efforcés d’étudier l’entrée des mineurs dans le trafic, la question est totalement absente de cette proposition de loi.
Comment les mineurs entrent-ils dans le trafic de stupéfiants ? Parfois, c’est par le jeu de mécanismes corruptifs très insidieux, comme dans l’exemple suivant, qu’on nous a présenté lors des auditions :…
M. Laurent Jacobelli
Celui de Louis Boyard !
M. Antoine Léaument
…le trafiquant demande un service assez simple : « Va me chercher une canette de Coca et je te donne 50 euros. » Vous voilà pris dans un premier mécanisme corruptif, bientôt suivi par d’autres.
Puisque vous souhaitez marquer une différence fondamentale entre vous et nous, la voici : nous considérons qu’il faut protéger les mineurs, notamment par la formation, contre les risques de corruption qui peuvent peser sur eux. C’est précisément parce qu’ils sont mineurs que la justice doit avant tout les protéger plutôt que les punir, comme vous le voudriez.
En fin de compte, vous prônez une logique de terreur (Exclamations sur les bancs du groupe RN) : vous estimez que de lourdes peines dissuaderont les mineurs d’entrer dans le trafic. Nous préconisons, quant à nous, une logique d’éducation (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) : l’esprit des jeunes gens étant en formation, il nous semble plus efficace de privilégier une politique d’éducation, y compris du point de vue de la sécurité.
M. Victor Hugo, qui siégeait de ce côté-ci de l’Hémicycle, (« Fous-lui la paix, à Victor Hugo ! », sur un banc du groupe RN) affirmait qu’ouvrir une école, c’est fermer une prison. Ouvrez davantage d’écoles, vous fermerez des prisons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 673.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 289
Nombre de suffrages exprimés 288
Majorité absolue 145
Pour l’adoption 108
Contre 180
(L’amendement no 673 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 219, 571 et 519.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 290
Nombre de suffrages exprimés 289
Majorité absolue 145
Pour l’adoption 106
Contre 183
(Les amendements identiques nos 219, 571 et 519 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Sur les amendements nos 388 et 387, je suis saisi par le groupe Rassemblement national de demandes de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Émeline K/Bidi, pour soutenir l’amendement no 388.
Mme Émeline K/Bidi
Cet amendement vise à spécifier le rôle du Pnaco, lorsqu’il est chargé de poursuivre un mineur. En effet, la présente rédaction du texte prévoit une compétence concurrente, le parquet anti-criminalité organisée se substituant aux juridictions spécialisées pour les mineurs. Or la spécialisation de la justice des mineurs constitue l’un des fondements de notre droit.
Si nous comprenons votre volonté de centraliser par souci d’efficacité, il nous semble néanmoins nécessaire de conserver la compétence des juridictions spécialisées s’agissant des mineurs. C’est la raison pour laquelle nous présentons cet amendement de réécriture.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Je suis défavorable à cet amendement : comme ceux que nous venons d’examiner, il tend à supprimer la compétence du Pnaco pour les mineurs. Or ce parquet doit pouvoir requérir contre ceux-ci sans abandonner pour autant les principes qui régissent la justice des mineurs. C’est bien ce que nous proposerons en amendant la présente rédaction dans le sens de l’amendement no 674 de M. Amirshahi.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Avis défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
Nous soutiendrons bien sûr cet amendement, car il est essentiel de préserver la spécificité de la justice des mineurs – cela a été dit.
Je tiens à revenir sur l’intervention de notre collègue, d’après laquelle nous n’aurions pas les pieds ancrés dans la réalité. Au contraire, nos arguments portent sur la façon dont les mineurs entrent dans le trafic de stupéfiants. Ce n’est pas en alourdissant les peines pour les mineurs que vous résoudrez le problème de leur participation à ce trafic.
J’aimerais d’ailleurs vous entendre aussi sur la criminalité en col blanc, sur laquelle vous ne vous exprimez jamais ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
M. Antoine Léaument
La sécurité sociale s’en souvient !
Mme Sabrina Sebaihi
Peut-être est-ce parce que vous êtes bien plus souvent en lien avec celle-ci qu’avec le trafic de drogue ! En outre, nous parlons du trafic de stupéfiants mais il faudrait aussi faire la liste des nombreuses villes, souvent de votre couleur politique, qui ne respectent pas les quotas de construction de logements sociaux (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC. – Mme Elsa Faucillon applaudit également), alors que ces derniers permettent de favoriser la mixité sociale !
M. Inaki Echaniz
Eh oui !
M. Laurent Jacobelli
La culture de l’excuse !
Mme Sabrina Sebaihi
Il faudrait évoquer ces nombreux maires délinquants qui ne respectent pas la loi SRU – solidarité et renouvellement urbains –, mais aussi les budgets d’austérité qui coupent dans la culture, l’éducation, la jeunesse et le sport (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC), empêchant de faire de la prévention pour éviter le développement des réseaux de trafic de drogue. Oui, nous sommes ancrés dans la réalité et ce que nous demandons, c’est une justice spécifique pour les mineurs, car si certains se font embrigader, c’est du fait de causes structurelles…
M. Laurent Jacobelli
Bien sûr que non !
Mme Sabrina Sebaihi
…dont vous êtes responsables depuis des années ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
M. le président
Sur les amendements nos 674 et 372, je suis saisi par le groupe Rassemblement national de demandes de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Je souscris évidemment à tout ce qui vient d’être dit par notre collègue Sebaihi. Je vais même nuancer un tout petit peu son propos : il ne faut pas dire que ce côté-là de l’hémicycle ne se soucie pas de la criminalité en col blanc. En effet, la dernière fois qu’ils ont pris la parole sur ces sujets, c’était pour mener campagne pour la suppression du parquet national financier ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS. – Mme Dieynaba Diop applaudit également.)
Mme Dieynaba Diop
C’est vrai !
M. Ugo Bernalicis
Je tiens à le préciser : ça les intéresse quand même un peu, mais pas dans le sens où nous l’entendons.
Cela étant dit, je reviens sur les mineurs : vous voulez qu’ils soient eux aussi gérés par le Pnaco, y compris pendant la phase d’enquête et ensuite. Il faut cependant préciser que les juridictions pour mineurs peuvent déjà, en vertu du code de la justice pénale des mineurs, écarter le principe d’atténuation de la peine encourue par les mineurs de plus de 16 ans. Or vous voulez que par définition, quand ils passent par la moulinette du Pnaco, une décision motivée – en vertu de l’obligation de motivation – permette, dans 100 % des cas, de les juger comme des majeurs. Voilà l’enjeu de fond !
M. Jean Terlier
Ça n’a rien à voir !
M. Ugo Bernalicis
On voit bien ce qui se cache derrière votre argumentation et ce que vous partagez avec l’extrême droite de l’hémicycle : finalement, pour vous, la minorité des individus qui commettent de tels actes est secondaire, tandis que l’objectif de répression, de dureté et de sévérité est premier. Vous pensez que cela va dissuader tout mineur, quel qu’il soit, d’entrer dans le trafic, mais encore une fois, il n’y entre pas avec un code pénal à la main ! Il y entre par la force des phénomènes corruptifs qu’a décrits mon collègue Antoine Léaument dans le rapport parlementaire qu’il a rédigé avec M. Mendes.
On voit bien que votre objectif, c’est de réussir à traiter les mineurs en tant que tels, par l’intermédiaire de magistrats spécialisés – vous n’avez pas le choix car sinon, vous vous exposeriez à une cause de nullité au cours de la procédure. Je ne m’en fais pas : en cas de nullité, tout le monde se met en ordre de bataille pour respecter la procédure, et c’est bien la vertu de cette sanction – je le dis pour ceux qui ne s’en seraient pas rendu compte.
Votre objectif politique n’est donc pas la protection ! Sinon, vous donneriez un avis favorable à ces amendements qui visent à coordonner l’action du parquet avec les juridictions locales – qui, elles, sont susceptibles de connaître la famille du mineur ou de prendre les mesures de protection adéquates. Seul le répressif vous intéresse, pas l’éducatif ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Merci, monsieur Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Vous avez d’ailleurs souvent l’occasion de le rappeler… (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’orateur.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 388.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 282
Nombre de suffrages exprimés 282
Majorité absolue 142
Pour l’adoption 106
Contre 176
(L’amendement no 388 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 387.
Mme Elsa Faucillon
Il s’agit aussi d’un amendement de repli sur la question de la justice des mineurs au sein du Pnaco. Ce que nous demandons, c’est que deux magistrats, au sein de ce parquet, soient chargés de veiller au respect des procédures spécifiques relevant de la justice des mineurs.
Il est moins-disant par rapport au précédent, qui nous semblait respecter l’équilibre que nous appelons de nos vœux en matière de justice des mineurs, en prenant en compte ses spécificités et en particulier son nécessaire traitement territorial. En l’occurrence, nous voulons garantir que deux magistrats s’assurent, au sein du Pnaco, que les procédures menées sont bien celles qui visent spécifiquement les mineurs.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Cet amendement défendu par notre collègue Faucillon, avec qui j’ai beaucoup travaillé sur le sujet, poursuit le même objectif que celui du collègue Amirshahi, que nous examinerons ensuite et auquel nous sommes favorables : ils visent tous les deux à ce qu’un substitut du procureur assure un suivi spécifique des sujets concernant des mineurs. Cependant, en l’espèce, vous voulez réécrire l’alinéa 17, ce qui conduirait, à nouveau, à supprimer la compétence du Pnaco pour les mineurs. Même si nous partageons votre objectif, l’avis est défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Hervé de Lépinau.
M. Hervé de Lépinau
La gauche essaie de faire pleurer dans les chaumières (Exclamations sur les bancs du groupe SOC) en expliquant qu’en réalité, les mineurs subiraient une procédure dérogatoire du droit commun. Une fois de plus, vous instrumentalisez le mensonge (Exclamations sur les bancs des groupes SOC et EcoS) dans le cadre d’une stratégie qui fait de l’irresponsabilité votre fonds de commerce.
M. Inaki Echaniz
C’est la loi !
Mme Sabrina Sebaihi
C’est juste le droit !
Mme Dieynaba Diop
Comme d’habitude, vous avez du mal avec le droit !
M. Hervé de Lépinau
Je voudrais rappeler qu’il sera tenu compte, lors de la phase de jugement, de la minorité : des principes tels que l’excuse de minorité et les circonstances atténuantes y sont appliqués. Dans le cas où un mineur a été embarqué malgré lui dans un trafic de stups, si l’avocat fait bien son boulot, je vous garantis que la peine sera minimale. Mais cessez de chercher des moyens pour éviter qu’une part de plus en plus importante de la délinquance, celle qui concerne les mineurs, échappe à la justice,…
Mme Dieynaba Diop
Mais ils n’échappent pas à la justice !
M. Hervé de Lépinau
…parce que la justice doit passer et parce que son existence même contribue finalement à la prévention des infractions futures. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
Sur le sous-amendement n° 973, je suis saisi par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Il me faut expliquer au collègue qui vient d’intervenir que personne ne propose de mettre fin aux poursuites concernant les mineurs : nous proposons simplement qu’elles se fassent au bon endroit et par les bonnes personnes, celles qui sont compétentes sur le sujet – cela s’appelle le principe de spécialisation de la justice. (Exclamations sur quelques bancs du groupe RN.)
M. Laurent Jacobelli
Je pense qu’on va se lasser, à la longue !
M. Ugo Bernalicis
Il y a quelque chose de génial dans ce que nous dit M. le garde des sceaux : il veut créer un parquet national anti-criminalité organisée mais comme ce dernier ne disposera pas de tous les moyens du monde, il prévoit le principe de cosaisine des Jirs, notamment en région, en vertu de leur compétence territoriale – on peut avoir besoin de leurs ressources et de leur connaissance du terrain. Dans le cadre de l’enquête, ce qui vaut pour les majeurs ne vaudrait donc pas pour les mineurs ? Il serait impossible de cosaisir la juridiction locale pourtant susceptible de traiter le mineur là où il se trouve, en garantissant la priorité de l’éducatif sur le répressif et en faisant appel à des magistrats qui, potentiellement, le connaissent déjà ?
Vous nous dites que ce n’est pas possible. « Il faut absolument centraliser ! », dites-vous ; « on a besoin de faire comme cela parce qu’il est nécessaire de réprimer ! » (« Il faut que ça s’arrête ! » sur les bancs du groupe RN.) J’en profite pour terminer la phrase que je voulais prononcer tout à l’heure, quand mon micro a été coupé : je fais le lien avec la proposition de loi de Gabriel Attal sur la justice des mineurs,…
M. Jean Terlier
Excellente proposition de loi !
M. Ugo Bernalicis
…qui prévoit qu’entre 16 et 18 ans, il ne puisse plus y avoir d’atténuation de la peine pour certaines infractions. On voit bien là toute votre logique répressive assumée, qui est inefficace !
M. Laurent Jacobelli
On n’a jamais essayé ! Il serait temps !
M. Hervé de Lépinau
Essayons, on verra bien !
M. Ugo Bernalicis
C’est cela, le pire ! Vous cherchez juste à vous faire plaisir en faisant des effets de manche et des coups de menton. Ne nous racontons pas d’histoires : le taux de récidive est aussi élevé dans les établissements pénitentiaires pour mineurs que chez les majeurs ; y passer fait aussi partie de l’école du crime, et quand on appartient à la criminalité organisée, c’est en quelque sorte une médaille que l’on accroche à sa veste. Je ne vois donc pas ce qui pose problème dans le fait de rendre possible des cosaisines.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 387.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 281
Nombre de suffrages exprimés 281
Majorité absolue 141
Pour l’adoption 105
Contre 176
(L’amendement no 387 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 597 de M. le rapporteur est défendu.
(L’amendement no 597, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir l’amendement no 674, qui fait l’objet d’un sous-amendement, no 973.
M. Pouria Amirshahi
Beaucoup de choses fortes ont été dites à la fois par Mme Faucillon et par Mme Sebaihi sur l’importance de la justice pénale des mineurs et sur la spécificité de cet âge, celui de personnes en construction. Si nous avons mis tant de force de conviction dans le rendez-vous que nous avons eu avec vous, monsieur Darmanin, c’est parce que s’occuper des mineurs est un métier qui renvoie à des spécificités. Nous avons manifestement, et je m’en réjouis, réussi à vous convaincre, après un dialogue qui a également mobilisé les rapporteurs et tous ceux qui ont été sensibilisés à la question, notamment au cours des débats assez intenses qui ont eu lieu dans l’hémicycle, il y a quelques semaines, à ce propos.
Je disais donc qu’il n’est pas à la portée de tout le monde de faire face à la délinquance d’un mineur, et pour cause ! Beaucoup d’entre vous sont parents, ici, et je ne suis pas certain que vous sauriez tous du premier coup comment réagir, si vous découvriez que votre enfant a commis un acte délictueux voire criminel. Il y a donc des professionnels pour cela, des femmes et des hommes formés, à qui la République fait confiance (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC) – cela vaut dans l’éducation nationale comme dans la justice.
M. Fabien Di Filippo
Le mieux, c’est d’agir en amont ! L’autorité parentale ne se délègue pas !
M. Thibault Bazin
Fabien Di Filippo a raison !
M. Pouria Amirshahi
Le préciser dans la loi, c’est donc une garantie pour tout le monde : pour les enfants, pour les familles mais aussi pour le pays.
J’ai bien compris que vous n’étiez pas d’accord avec notre amendement précédent mais que vous vouliez bien envisager d’entendre raison sur celui-là, qui vise à ce qu’un substitut du procureur spécialisé puisse, dans le cadre de ses compétences, être directement instruit des affaires concernant les mineurs. Si nous voulons absolument insister sur cette prise en charge spécifique, c’est pour une deuxième raison : c’est aussi au nom de l’efficacité ! Encore une fois, je rappelle que nous nous sommes tous mis d’accord sur un principe auquel vous faites beaucoup de dérogations : il faut viser le haut du spectre.
Expliquez-moi en quoi le fait de concentrer les recherches et les instructions du Pnaco, spécialisé dans les poursuites contre les chefs de mafia, sur des gamins – même s’ils ont commis des fautes parfois très graves et criminelles – sera d’une quelconque utilité pour viser le haut du spectre. La réponse est simple : en rien ! Vous allez emboliser le Pnaco. Laissez faire les professionnels ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
M. le président
La parole est à M. le rapporteur, pour donner l’avis de la commission et soutenir le sous-amendement no 973.
M. Vincent Caure, rapporteur
Il s’agit d’un sous-amendement de coordination rédactionnelle, qui vise – comme sur l’ensemble de l’article 2 – à cesser d’accoler le mot « national » à la mention du procureur de la République anti-criminalité organisée. Quant à l’amendement de M. Amirshahi, j’y suis favorable : après les échanges que nous venons d’avoir, je vous rejoins. J’ajoute simplement l’élément suivant : je pense sincèrement que des mineurs peuvent se retrouver dans le haut du spectre. Je ne veux pas rouvrir le débat – il a eu lieu –, mais je tenais à le préciser. Cela dit, nous partageons le même objectif et cette mesure contribuera au bon fonctionnement du Pnaco.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
Je mets aux voix le sous-amendement no 973.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 281
Nombre de suffrages exprimés 157
Majorité absolue 79
Pour l’adoption 156
Contre 1
(Le sous-amendement no 973 est adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 674, tel qu’il vient d’être sous-amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 277
Nombre de suffrages exprimés 276
Majorité absolue 139
Pour l’adoption 184
Contre 92
(L’amendement no 674, sous-amendé, est adopté.)
M. le président
L’amendement no 598 de M. le rapporteur est rédactionnel.
(L’amendement no 598, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 372.
M. Ugo Bernalicis
Ce que vous proposez, c’est vraiment la vassalisation de la France entière au parquet national anti-criminalité organisée.
M. Philippe Gosselin
Voilà un propos équilibré et modéré !
M. Ugo Bernalicis
Si le Pnaco prend une affaire, tous les parquets doivent lui répondre au doigt et à l’œil, sans discuter, notamment pour faire remonter des éléments. Mais tout ne tourne pas autour de la criminalité organisée ! Il y a d’autres contentieux très importants, des infractions criminelles ou délictuelles qui, dans d’autres domaines, font d’ailleurs régulièrement l’objet de textes de loi – tout le monde s’émeut alors en évoquant les victimes. Mais là, c’est la semaine « criminalité organisée » !
Pour ma part, je dis que les services doivent pouvoir travailler normalement : si le parquet a besoin que tel sujet soit traité, il doit pouvoir échanger avec eux pour le leur demander, mais il ne doit pas pouvoir les y obliger en les vassalisant, pour qu’ils exécutent prioritairement ce qu’il exige.
Encore une fois, il faut favoriser le respect et le dialogue entre les différentes juridictions. Il ne s’agit pas de dire que les parquets locaux devraient refuser de répondre à telle ou telle demande, mais il faut tenir compte du fait qu’eux aussi sont soumis à des contraintes spécifiques, qui répondent à des enjeux spécifiques, et qu’eux aussi doivent rendre des comptes sur leur activité juridictionnelle au préfet, aux administrés et à la République en général.
Par conséquent, laissez les juridictions discuter entre elles et cessez de vouloir tordre le bras à tout le monde, simplement parce que votre lubie du moment ou de la semaine et votre plan com’ des derniers mois, c’est la criminalité organisée – alors que vous n’en aviez rien à faire quand il s’agissait de faire valoir les opérations Place nette. Vous avez même dit, monsieur le ministre, lors de la commission d’enquête qui s’est tenue au Sénat sur le narcotrafic, que les enquêtes de long cours étaient sources d’« inefficacité publique », que le Français moyen aurait lieu de s’en plaindre,…
M. Laurent Jacobelli
On tourne en rond, là !
M. Ugo Bernalicis
…au vu de l’absence de résultats, et qu’il fallait plutôt privilégier Place nette. (« Allez, c’est bon ! » sur les bancs du groupe RN.) Vous avez changé : désormais, vous êtes ministre de la justice et vous voyez que ce n’est pas de cette manière qu’il faut procéder. Voilà tout ! Mais au bout d’un moment, il faut laisser travailler les juridictions.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Je veux vous rassurer : l’existence d’une procédure de délégation judiciaire n’empêche nullement un dialogue sain et nourri. Une telle procédure existe déjà pour le parquet national antiterroriste, mais cela ne veut pas dire qu’il s’en sert en permanence. L’idée est que le Pnaco s’en serve avec parcimonie. Je ne pense pas que cela emporte la vassalisation d’un quelconque parquet sur le territoire national. Il s’agit pour le Pnaco de pouvoir, de manière très ponctuelle, par exemple quand il y a des constatations à faire, requérir le concours d’un parquet local – voilà la manière dont ce mécanisme a été pensé. Une logique de bonne coordination a vocation à se développer entre le Pnaco et les autres parquets. J’émets donc un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Sans ce pouvoir-là, les juridictions dialoguent et les enquêtes sont menées en bonne intelligence. En définitive, vous voulez confier au Pnaco un pouvoir propre qui lui permettra de dire à un parquet local, en substance : il n’y a pas de discussion, vous me faites cela, point barre. Vous parlez de parcimonie, mais cette notion ne figure pas dans le texte. Il faudrait donc croire que tel sera le cas dans la pratique ?
À un moment donné, le parquet est soumis à l’autorité du ministre. Donc, si le ministre demande au Pnaco d’agir dans un sens donné, tous les parquets de France seront obligés de s’aligner. Par exemple, ils devront se consacrer entièrement à la lutte contre la criminalité organisée et, au sein de celle-ci, uniquement à la lutte contre le trafic de stupéfiants, si c’est le plan com’ du moment.
C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec les opérations Place nette : le ministre de l’intérieur de l’époque, ici présent dans ses nouvelles fonctions, a tordu le bras à toute l’institution judiciaire et aux procureurs locaux en ne les tenant informés qu’au dernier moment des objectifs et des cibles qu’il avait fixés dans son propre bureau avec la chefferie policière – au mépris du code de procédure pénale, qui prévoit que la politique pénale est conduite par le garde des sceaux, et non par le ministre de l’intérieur. Étant désormais passé de l’autre côté de la barricade, ledit ministre voit peut-être les choses différemment aujourd’hui…
S’agissant de tels pouvoirs, il faudrait donc faire confiance. Pour ma part, je fais confiance aux magistrats, mais non au garde des sceaux. (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 372.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 267
Nombre de suffrages exprimés 253
Majorité absolue 127
Pour l’adoption 32
Contre 221
(L’amendement no 372 n’est pas adopté.)
M. le président
Les amendements nos 599 et 600 de M. le rapporteur sont rédactionnels.
(Les amendements nos 599 et 600, acceptés par le gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 601 rectifié et 765 rectifié.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 601 rectifié.
M. Vincent Caure, rapporteur
Conformément à l’une des recommandations de la mission de préfiguration du Pnaco, menée par le procureur de la République de Fontainebleau, cet amendement prévoit la possibilité d’une cosaisine du Pnaco et d’une Jirs. Le mécanisme fonctionnerait dans les deux sens : à la demande d’une Jirs qui coordonne le déroulement d’une enquête, le Pnaco aurait la possibilité d’apporter son soutien à celle-ci ; à l’inverse, une Jirs aurait la possibilité d’intervenir dans un dossier que le Pnaco suit et coordonne.
Nous avons entendu les divers avis à ce sujet et en avons beaucoup discuté en commission ; Mme Caroit en a aussi parlé tout à l’heure. L’objectif n’est pas que le Pnaco aspire l’ensemble de l’activité des Jirs – cette inquiétude s’est exprimée dès le début et nous l’avons dissipée. L’idée est que le Pnaco et une Jirs puissent mettre en commun leurs moyens et leur énergie pour mener des enquêtes ensemble. La juridiction de jugement compétente sera bel et bien, in fine, celle du parquet qui coordonne l’enquête.
M. le président
La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir l’amendement no 765 rectifié.
M. Sébastien Huyghe
La complexité croissante des structures criminelles et leur collaboration fonctionnelle toujours plus intégrée obligent l’autorité judiciaire à imaginer de nouveaux modes d’action pour lutter contre leurs activités internationales, voire déterritorialisées, qui mettent à l’épreuve les cadres traditionnels d’enquête. Par ailleurs, le Pnaco doit être conçu comme un enrichissement du dispositif français de lutte contre la criminalité organisée, lequel est fondé sur le réseau des Jirs, qui ont su démontrer leur efficacité et leur capacité d’innovation. Cet amendement prévoit la possibilité d’une cosaisine du Pnaco et d’une Jirs, suivant en cela l’une des recommandations formulées par la mission de préfiguration du Pnaco.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement sur ces deux amendements identiques ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Favorable.
M. le président
Sur l’amendement no 366 et sur les amendements identiques nos 129 et 823, je suis saisi par les groupes Rassemblement national et UDR de demandes de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Pour ma part, j’ai un peu l’impression que vous naviguez à vue. La question posée est celle de l’efficacité des moyens. Dans le rapport que M. Mendes et moi avons remis,…
M. Laurent Jacobelli
Vous n’arrêtez pas de le citer !
M. Thibault Bazin
C’est le retour de la gauche plurielle !
M. Antoine Léaument
…nous avons notamment proposé de renforcer les moyens alloués aux Jirs et, le cas échéant, de subdiviser certaines Jirs. Vous dites que la création du Pnaco est nécessaire, car il faut un chef de file et une forme d’incarnation. Dans notre rapport, nous invitions plutôt à faire de la Junalco le chef de file de la lutte contre la criminalité organisée ; c’est d’ailleurs ce que notre groupe proposera par l’amendement no 366.
D’autre part, si je puis me permettre, vous vous contredisez. Tout à l’heure, lorsque nous avons évoqué la possibilité d’une cosaisine du Pnaco et de la juridiction pour mineurs compétente, vous avez refusé, arguant que le Pnaco devait être chef de file, y compris lorsque des mineurs étaient en cause. Désormais, la cosaisine du Pnaco et d’une Jirs semble vous convenir.
Avec le dossier coffre, vous voulez écarter le contradictoire. Or, contradictoires, vous l’êtes en permanence !
M. Laurent Jacobelli
C’est très mauvais ! C’est le théâtre des Deux Ânes !
(Les amendements identiques nos 601 rectifié et 765 rectifié sont adoptés.)
M. le président
Sur l’article 2, je suis saisi par le groupe Écologiste et social d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
L’amendement no 602 de M. le rapporteur est rédactionnel.
(L’amendement no 602, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
L’amendement no 850 du gouvernement est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Favorable.
M. Inaki Echaniz
On peut savoir de quoi il est question, quand même ?
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
M. le ministre n’est peut-être pas assez bien renseigné. En effet, en présentant cet amendement visant à supprimer l’alinéa 35, il laisse entendre que le droit actuel permet déjà la transmission d’informations entre les services de renseignement du premier ou du second cercle et les juridictions, et qu’il n’y a donc pas besoin de le préciser de nouveau dans le chapitre relatif au Pnaco. Il est vrai que, lorsqu’il était ministre de l’intérieur, il a déjà fait sauter de nombreux verrous et supprimé de nombreuses garanties.
M. Thibault Bazin
M. Bernalicis défend l’amendement du gouvernement ? On aura tout vu !
M. Ugo Bernalicis
Cependant, je veux rappeler à nos collègues d’en face – enfin, collègues… en tout cas, à ceux d’en face (Exclamations sur les bancs du groupe RN) – que l’activité de renseignement est régie par un certain nombre de principes, en particulier celui de cloisonnement, qui est la garantie du bon fonctionnement et de l’efficacité des services de renseignement eux-mêmes. Ce n’est pas la foire à la saucisse, où chacun a accès à tout en permanence !
M. Laurent Jacobelli
Que c’est médiocre !
M. Ugo Bernalicis
La pluralité du renseignement est d’importance capitale. C’est d’ailleurs ce que Nicolas Sarkozy a cassé en appliquant sa réforme du renseignement. Auparavant, il existait plusieurs services, qui n’utilisaient pas tous la même typologie ni les mêmes méthodes pour collecter le renseignement. Celui qui recevait le renseignement de ces différentes sources était dès lors bien informé. On voudrait désormais qu’à tout moment, tout le monde ait accès à tout. Méfions-nous des fausses bonnes idées !
Qui plus est, l’accès aux fichiers et aux informations est un aspect majeur du risque corruptif, comme le rappelle l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Quand vous étiez à la tête du ministère de l’intérieur, monsieur le garde des sceaux, vous aviez certainement relevé que le risque corruptif lié à l’accès aux fichiers prenait une ampleur croissante, notamment dans le haut du spectre de la criminalité organisée. Des préconisations invitent d’ailleurs à utiliser le traitement algorithmique pour repérer les agents qui feraient usage de l’accès à certains fichiers de manière répétée et douteuse. Au demeurant, elles ne sont pas du tout suivies dans les plans de contrôle interne du ministère de l’intérieur.
On ne plaisante pas avec ces sujets, qui ont une importance majeure. J’aimerais que l’on y accorde une plus grande attention.
M. Laurent Jacobelli
Il est parti en roue libre ! Débranchez-le !
M. le président
La parole est à M. Matthias Renault.
M. Matthias Renault
Je réagis aux propos du collègue Bernalicis. Ce débat peut paraître semblable à celui que nous avons eu tout à l’heure, mais le sujet n’était pas du tout le même ! Il était alors question de la transmission d’informations entre services administratifs, plus précisément entre les services de renseignement du premier cercle – DGSI, DGSE, Tracfin – et ceux du second cercle – entre autres, la police, la gendarmerie et l’administration pénitentiaire. Ici, la question est la transmission d’informations entre les services de renseignement du premier ou du second cercle et l’autorité judiciaire. Ce n’est pas du tout la même chose !
M. Ugo Bernalicis
C’est encore pire, vous avez raison !
M. Matthias Renault
Cet amendement de suppression se justifie par le fait que le droit actuel permet déjà aux services administratifs, qu’ils relèvent du premier ou du second cercle, de transmettre des informations à l’autorité judiciaire.
M. Thibault Bazin
C’est ce qu’a dit M. Bernalicis !
M. Matthias Renault
Vous faites un copier-coller de votre argumentaire précédent, alors que le sujet n’est pas du tout le même. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
(L’amendement no 850 est adopté.)
M. le président
L’amendement no 603 de M. le rapporteur est rédactionnel.
(L’amendement no 603, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l’amendement no 366.
M. Antoine Léaument
C’est un amendement d’appel,…
M. Julien Odoul
Vous pouvez raccrocher ! (Sourires sur les bancs du groupe RN.)
M. Laurent Jacobelli
C’est l’appel du vide !
M. Antoine Léaument
…qui vise à renforcer les moyens de la Junalco. Chers collègues, vous faites confiance à M. Darmanin, mais je vous alerte sur un point : on ne s’interroge à aucun moment sur le bilan de ce qui existe, en particulier celui de la Junalco. Pour être honnête, je n’avais pas d’avis à ce sujet, mais à la faveur des auditions et des déplacements que j’ai effectués pour la mission d’information menée avec M. Mendes, j’ai arrêté une position : il convient plutôt de renforcer cette juridiction nationale, qui a été créée il y a cinq ans dans le contexte difficile de la crise du covid et qui a accompli un travail intéressant – il a été question tout à l’heure de l’arrestation de M. Amra. Petit à petit, cette juridiction a réussi à établir son mode de fonctionnement et à assurer une coordination.
Or, pour des raisons communicationnelles et politiciennes, vous vous apprêtez à tout désorganiser, sans savoir exactement comment vous allez bâtir le nouveau dispositif. Le rapport rendu à ce sujet indique que c’est très compliqué et que cela prendra du temps. Il s’agit, je le répète, d’un amendement d’appel, car je crains que vous soyez en train de désorganiser les choses.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Personne ne dit que la Junalco a démérité et qu’il ne faut pas s’intéresser à son bilan depuis quatre ans. Ce que nous disons, c’est qu’il est nécessaire de créer un parquet national anti-criminalité organisée, pour répondre aux besoins d’incarnation et de coordination. Nous avons développé ces arguments en commission et ici, en séance publique, lors de l’examen des amendements de suppression de l’article 2.
Nous sommes conscients de la nécessité de renforcer les moyens. Lors de la présentation des textes, le garde des sceaux a pris l’engagement de créer, dès le mois d’avril, au sein de la Junalco, cinq postes dédiés à la lutte contre la criminalité organisée, puis quatre-vingt-dix autres postes dans l’ensemble de la chaîne, de la Junalco aux Jirs. Mon avis est donc défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Il est dommage que le ministre n’ait plus d’éléments à nous apporter, notamment à propos de la possibilité d’une cosaisine du Pnaco et de la juridiction pour mineurs compétente. Cela n’a pas l’air de l’intéresser…
Vous parlez d’incarnation, monsieur le rapporteur. Or le code de procédure pénale en prévoit déjà une : les procureurs de la République ont toute compétence pour communiquer sur les affaires en cours. La Junalco relevant du parquet de Paris, Mme la procureure de la République de Paris peut déjà communiquer sur la lutte contre la criminalité organisée et incarner cette lutte. Peut-être ne vous convient-elle pas, mais c’est une autre histoire. Ou peut-être voulez-vous nommer une personne qui ne fasse que cela et cultive sa visibilité en multipliant les communiqués de presse. Telle n’est pas l’idée que nous nous faisons de la justice.
Quant à la coordination, la Junalco et les Jirs la souhaitent mais elles soulignent que, pour y parvenir, il leur faudrait des moyens humains et un logiciel qui fonctionne.
M. Antoine Léaument
Eh oui !
M. Ugo Bernalicis
J’espère que vous disposerez d’un logiciel en état de marche pour l’installation du parquet national anti-criminalité organisée (M. Antoine Léaument applaudit) ; sinon, vous courrez au fiasco, qui rime avec Pnaco !
Soyons sérieux ! Vous annoncez une mise en place au 1er juillet 2026 : et d’ici là ? Nous allons demeurer désarmés face à la criminalité organisée alors que vous soutenez que nous aurions impérativement besoin de ce texte – le texte de la dernière chance, selon l’extrême droite ? Décidément, vous en rajoutez. Vous en faites beaucoup trop monsieur le ministre ! Restez tranquille, faites confiance à la Junalco et aux magistrats ; mettez des moyens supplémentaires, ça va bien se passer ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Il est toujours étonnant de s’entendre donner des leçons de modération de la communication par M. Bernalicis ! À cette heure tardive, j’espérais que vous aviez compris que vos interventions – assez éloignées du texte et des amendements – étaient vaines. Comme les autres parlementaires, je souffre en silence en vous écoutant (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, DR, HOR et UDR) car, si vous avez des idées sur tout, vous avez surtout des idées !
Je ne vous ai pas répondu sur les cosaisines car vous avez proféré une énormité tout à l’heure…
M. Laurent Jacobelli
Une de plus ! C’est un collectionneur !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…en évoquant les magistrats du siège et ceux du parquet à propos des saisines. Les parquets pourront saisir les parquets ; rien ne les empêchera de se cosaisir ni n’empêchera que l’un se dessaisisse au profit d’un autre. Le Pnaco dira à un autre parquet qu’il se saisit d’un dossier, voilà tout. C’est ce que font déjà les parquets spécialisés. Par ailleurs, il existe un parquet général : le parquet général de Paris.
On peut dire beaucoup de choses sans jamais rien dire de juste : voilà ce que vous avez réussi à faire ce soir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs du groupe RN. – Exclamations de M. Ugo Bernalicis.)
Nous dotons la magistrature française de moyens supplémentaires : voilà ce qui vous gêne ! Je l’ai évoqué : nous consentons en sa faveur un effort extrêmement important, sans soustraire de moyens – contrairement à ce vous avez affirmé en commission et aux médias – aux parquets classiques ni au Jirs, que nous renforçons en leur adjoignant le Pnaco. Il ne s’agit donc pas de diminuer les moyens de la magistrature mais de les augmenter en matière de narcotrafic. Vous pourriez vous en féliciter si vous m’écoutiez, ce que vous ne faites plus car,…
M. Jean-François Coulomme
Mais si !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…en réalité, ni la question ni la réponse ne vous intéressent : vous cherchez à faire deux minutes pour vos réseaux sociaux ; nous y sommes habitués ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et HOR.) Le sujet est pourtant tout à fait sérieux, monsieur Bernalicis.
Vous ne cessez de répéter votre question sur les logiciels. À la suite d’une de ses visites, M. Léaument nous a accusés en commission des lois de ne pas donner un logiciel à des magistrats spécialisés du parquet de Paris : nous l’avons interrogé par trois fois…
M. Antoine Léaument
Non, c’est moi qui vous ai posé la question !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Monsieur Léaument, nous sommes venus vous voir et je vous ai reçu place Vendôme : vous étiez moins énervé et plus poli, ce dont je vous sais gré.
M. Sylvain Maillard
Eh oui : il n’y avait pas de caméra !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Il est vrai qu’il n’y avait pas de caméra… ou plutôt si, une caméra vous attendait à l’extérieur, sur la place !
Mme Dieynaba Diop
Ce n’est pas au niveau du sujet sérieux dont nous débattons !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Par trois fois, je vous ai demandé quel était ce logiciel manquant,…
M. Antoine Léaument
Non, c’est moi qui ai posé la question, c’est dingue !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…vous avez été incapable de préciser le nom du logiciel et le nom du service. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Plutôt que de répéter des choses manifestement pas tout à fait vraies – même si cela ne veut pas dire qu’il y a les logiciels et les moyens nécessaires dans toutes les juridictions –, vous auriez pu me fournir les précisions demandées sur le logiciel et le service concerné, ce que vous n’avez toujours pas fait. Cela vous aurait évité de dire et de répéter des bêtises car, dans ce cas très précis, il ne manquait pas de logiciel.
Avançons sur l’article 2, quitte à constater nos divergences ! Il n’est pas grave que nous soyons en désaccord sur le Pnaco. Je l’ai dit à la tribune : en 2004, dans un autre contexte, une partie de ceux qui occupaient vos places dans l’hémicycle estimaient que la loi Perben et la création des Jirs marquaient un jour noir pour la justice française. Vingt ans plus tard, tout le monde défend les Jirs et les moyens dont elles sont dotées. Dans vingt ans, si vous êtes toujours là, peut-être défendrez-vous le Pnaco face à un ministre qui soutiendra autre chose ! Constatons que ce gouvernement essaie d’agir de manière très forte contre le narcotrafic et félicitons-nous que la mise en place d’un parquet national spécialisé doté de moyens ait fonctionné en Italie et dans d’autres pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
M. Ugo Bernalicis
En Italie, le parquet est indépendant !
M. le président
Je vais maintenant mettre aux voix l’amendement no 366.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 266
Nombre de suffrages exprimés 247
Majorité absolue 124
Pour l’adoption 32
Contre 215
(L’amendement no 366 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 604 de M. le rapporteur est rédactionnel.
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Favorable.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Avant de répondre à M. le ministre, je rappelle à nos collègues du Rassemblement national que, s’ils veulent parler, il leur faut déposer des amendements ; il faut travailler (Exclamations sur les bancs du groupe RN) ou lever la main, mais faire quelque chose !
Mme Caroline Parmentier
Quel rapport avec l’amendement ?
M. Antoine Léaument
Monsieur Darmanin, vous avez malheureusement inversé les rôles : c’est moi qui vous ai interrogé par trois fois au sujet du logiciel spécialisé pour traiter la question du blanchiment. Je me suis déplacé à la Junalco avec Ludovic Mendes – qui, malheureusement absent ce soir, pourrait en témoigner : deux personnes qui se sont présentées comme spécialisées dans la lutte contre le blanchiment, ne disposaient pas des licences pour utiliser le logiciel idoine. Cela nous a choqués tous les deux. Peut-être le problème a-t-il été résolu depuis… c’était ma question. Lorsque nous nous sommes rencontrés au ministère, je vous ai même dit : « Si vous n’identifiez pas ce logiciel, peut-être la question est-elle réglée ; dans ce cas, je n’ai rien à ajouter ».
M. Laurent Jacobelli
Il paraît qu’il y a un problème d’agrafeuse à la compta. Vous vous en occupez aussi ?
M. Antoine Léaument
Vous êtes incapable de me donner la réponse alors que vous êtes ministre de la justice : c’est votre travail, pas le mien ! En ma qualité de député, je vous pose des questions ; j’exerce mon rôle de contrôle de l’action du gouvernement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Je fais mon travail de député, faites le vôtre !
M. le président
Merci cher collègue.
M. Antoine Léaument
Je n’ai pas terminé ! (Protestations sur les bancs du groupe RN dont plusieurs députés miment le geste de couper la parole.) J’ai encore un peu de temps.
M. le président
C’est exact. Je croyais que vous aviez fini.
M. Antoine Léaument
Monsieur Darmanin, si nous parlons de politesse, vous vous étiez aussi montré plus poli lors de notre entretien. En ce 18 mars, date anniversaire de la Commune (Exclamations sur les bancs du groupe RN), je rappelle qu’au début de cette rencontre, j’avais souligné que, pour ma part, je préférais la Commune de Paris à Napoléon Bonaparte représenté face à votre bureau. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
(L’amendement no 604 est adopté.)
M. le président
L’amendement no 605 de M. le rapporteur est rédactionnel.
(L’amendement no 605, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 129 et 823.
La parole est à M. Michaël Taverne, pour soutenir l’amendement no 129.
M. Michaël Taverne
Un peu de sérieux dans cet hémicycle : nous travaillons et nous déposons des amendements raisonnables et non des amendements qui ne ressemblent à rien. Nous débattons d’un texte sur le narcotrafic et non de la Commune ou de Napoléon, cher Antoine Léaument !
Cet amendement propose de revenir sur les modifications apportées par un amendement de nos collègues écologistes, adopté en commission en raison de l’absence des députés du socle commun, visant à mentionner la justice restaurative dans le texte.
M. Antoine Léaument
Vous êtes d’accord avec le gouvernement !
M. Michaël Taverne
L’article 10-1 du code de procédure pénale dispose déjà : « À l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative. » À l’heure où nous parlons de simplifier le code de procédure pénale et le code pénal, cet amendement créé un article superfétatoire. Nous proposons donc de supprimer l’alinéa 61 introduit par amendement en commission. Chers amis du NFP, vous voyez, nous travaillons ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Danièle Obono
On n’est pas vos amis !
M. le président
La parole est à M. Olivier Fayssat, pour soutenir l’amendement no 823.
M. Olivier Fayssat
En complément de l’intervention de mon excellent collègue Taverne, j’ajoute que nous parlons ici des criminels les plus dangereux de France, tellement dangereux qu’il faut les isoler au sein du système carcéral classique et prendre des mesures exceptionnelles pour en protéger les agents pénitentiaires, les autres détenus et la société tout entière. Compter sur la justice restaurative pour amener ces grands assassins sur la voie de la rédemption prête à sourire ! Mohamed Amra en conviendrait lui-même sans doute.
La justice restaurative vise à trouver l’apaisement par le dialogue ; avec l’aide d’un médiateur neutre et formé, elle fait dialoguer une victime et l’auteur de l’infraction en espérant faire surgir la bienveillance, le remords et le repentir sincère. Pourquoi ne pas proposer aussi un atelier cake au yaourt ou des sorties champêtres ? Dans les cas qui nous intéressent aujourd’hui, la justice restaurative représenterait évidemment une faille de sécurité, un coût majoré et une décrédibilisation du dispositif mais aussi une insulte aux victimes. J’espère que vous conviendrez que notre amendement relève du minimum de bon sens que nous espérons pouvoir attendre d’un peu plus de la moitié de cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable. Si la justice restaurative existe déjà dans les textes, la commission des lois a choisi de retenir la proposition du président Iordanoff à l’issue d’un débat. Je pense que nous pouvons suivre l’avis de la commission et conserver cette disposition telle qu’elle est écrite.
Mme Stéphanie Rist
Très bien !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
On ne peut caricaturer ainsi la justice restaurative ! Même si – M. le député l’a dit – une partie des détenus et des personnes condamnées, notamment les condamnés à la perpétuité, ne se trouvent pas dans une situation qui permet ce type de mesure, tous les détenus condamnés dans le cadre du narcobanditisme ne feront pas trente ans de prison. Certaines personnes condamnées pour narcobanditisme purgent une peine de cinq, dix ou quinze ans de prison ; il faut bien tenter de les réinsérer.
La justice restaurative est aussi appliquée chez nos amis italiens qui ont mis en place le régime carcéral que je propose et le parquet national centralisé. Pour sortir de la spirale du banditisme, de l’argent sale et de la violence, une partie des condamnés doivent pouvoir s’interroger sur ce qui les a menés là. Si la justice restaurative ne fonctionne pas toujours et partout, et si elle ne représente pas le schéma général à appliquer, elle fonctionne de temps en temps à la suite de certaines violences. Même si elle ne sortait que quelques personnes de la spirale infernale dans laquelle elles se sont mises, cela constituerait déjà une victoire. Dès lors, pourquoi supprimer cette mention du texte ?
M. Taverne dit : cela existe déjà dans le code. Certes ! L’amendement n’émane d’ailleurs pas du gouvernement. Je considère que la mention est superfétatoire dans le code mais ce n’est pas la première fois que nous ferions un geste politique !
S’il ne paraît pas évident d’instaurer la justice restaurative en matière de narcobanditisme et s’il ne faut pas être naïf vis-à-vis d’une partie des détenus les plus ancrés dans la violence et la criminalité, une autre partie d’entre eux peuvent tirer profit de ce processus.
Prenons l’exemple de la déradicalisation en prison. Des centaines de détenus condamnés pour terrorisme sont sortis de prison car, dans le passé, le quantum des peines de prison pour ce type de crimes n’était pas celui en vigueur aujourd’hui. Par ailleurs de nombreux détenus, sans doute des centaines, ont connu la radicalisation en prison. Cependant, tout en considérant que ces personnes sont extrêmement dangereuses pour notre sécurité, vous constaterez que nombre d’entre elles ne repassent pas à l’acte. Je le dis avec toutes les précautions possibles car tout peut arriver à tout moment et je ne disconviens pas qu’il s’agit de sujets dangereux pour la nation.
Vous savez bien que les professionnels et l’administration pénitentiaire accomplissent un travail admirable afin que les personnes sortent de la radicalisation – ce que l’on observe d’ailleurs aussi dans d’autres pays, notamment arabes, comme le Maroc.
Il n’est jamais inutile de tenter de remettre sur le bon chemin des personnes qui ont eu un parcours sinueux et complexe. Certes, ce que je dis ne s’applique pas à toutes les personnes ni à toutes les condamnations mais, dans certains cas, cela vaut la peine d’essayer. En tout cas, votre amendement ne me semble pas pertinent – ce qui ne signifie pas que je suis naïf.
M. le président
La parole est à M. Jérémie Iordanoff.
M. Jérémie Iordanoff
Tout d’abord, je remercie M. le rapporteur et M. le ministre de défendre les choix faits en commission en la matière.
Certes, l’alinéa peut paraître redondant mais, au sein d’un texte très répressif, qui fait totalement l’impasse sur la prévention et l’accompagnement des victimes – comme l’ont souligné hier de nombreux collègues –, il est important de mentionner la justice restaurative car elle place les victimes au cœur du processus. (M. Hendrik Davi applaudit.)
M. Antoine Léaument
Exactement !
M. Jérémie Iordanoff
L’intervention du collègue Fayssat témoigne de l’opposition de certains, sur ces bancs, au principe même de la justice restaurative. Cela justifie la référence, dans le texte, à un dispositif qui vise à reconstruire la victime mais aussi à responsabiliser l’auteur de l’infraction et à assurer sa réintégration dans la société. Car nous ne voulons pas punir pour punir – démarche que défend l’extrême droite du matin au soir en commission et qui n’est pas efficace – mais éviter la récidive, prendre en considération les victimes et faire en sorte que la société aille mieux.
Il est impératif de prévoir d’autres réponses que la punition, c’est pourquoi il me semble nécessaire de conserver l’article tel qu’il a été modifié par l’amendement adopté en commission – c’est bien le minimum que doit contenir un tel texte. Par ailleurs, de manière générale, il convient de respecter ce qui a été voté en commission.
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle
Si nous avons voté cette disposition en commission des lois, ce n’est pas, comme le disent certains, à cause de l’absence de quelques collègues mais bien parce que, au terme d’un débat, nous avons estimé qu’elle permettait, au sein d’un texte lourd et particulièrement répressif, de donner un peu d’espoir.
Manifestement, les ciottistes ne savent pas ce qu’est la justice restaurative, prévue par l’article 10-1 du code de procédure pénale. Je les invite donc à voir un film très intéressant intitulé Je verrai toujours vos visages (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, LFI-NFP et EcoS) qui montre très clairement comment fonctionne ce dispositif, mis en place à l’initiative de certaines juridictions, et qui existe depuis plusieurs années, notamment au Canada.
Je vais vous donner un exemple. Il y a environ dix ans, j’ai eu la chance, avec le garde des sceaux de l’époque, Jean-Jacques Urvoas, et quelques collègues – dont certains ici présents –, de visiter des prisons où étaient incarcérés des hommes, souvent autochtones, condamnés à de très lourdes peines d’emprisonnement pour viol aggravé. Y était mené, avec les anciens, un travail de justice restaurative. L’objectif est que les auteurs de crime prennent conscience de la gravité de leurs actes, soient confrontés à des victimes et qu’un rapprochement s’opère entre ces dernières – les personnes qui souffrent de la délinquance – et les délinquants. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Que cela vous plaise ou non, un tel dispositif fonctionne dans de nombreux pays, dans le monde entier (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP)…
M. Laurent Jacobelli
La gauche est malade !
M. Julien Odoul
Vous êtes dingues !
Mme Dieynaba Diop
Respectez la collègue qui s’exprime !
Mme Colette Capdevielle
…et lorsque nous avons l’occasion et le courage de l’appliquer en France, avec des hommes et des femmes très motivés, le taux de récidive chute.
M. le président
Madame la députée, il faut conclure.
Mme Colette Capdevielle
Or tel est bien l’objectif que nous voulons tous atteindre : faire sortir les femmes et les hommes… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. – Les députés du groupe SOC et plusieurs députés des groupes LFI-NFP et EcoS applaudissent cette dernière.)
M. le président
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Chers collègues, j’en appelle à votre discernement. Vous nous dites : oui, ça existe déjà, c’est superfétatoire, oui, c’est redondant mais votons le quand même ! Nous parlons tout de même du code de procédure pénale ! Il est en permanence question de simplifier le code de procédure pénale et le code pénal, deux ouvrages déjà très épais comme le savent ceux qui les ont déjà consultés. Pourquoi ajouter dans le texte une disposition qui existe déjà ?
M. Ugo Bernalicis
Quelqu’un lui a dit que le texte que nous examinons allait s’ajouter aux codes actuels ?
M. Michaël Taverne
Nous ne remettons pas en cause la justice restaurative – ce n’est pas la question –, nous vous signalons simplement que la mesure existe déjà. Si nous devions procéder ainsi avec tous les textes, nous ajouterions sans cesse des dispositions figurant dans le code de procédure pénale. Essayez un peu de vous mettre à la place des magistrats.
Mme Dieynaba Diop
Essayez surtout de vous mettre à la place des victimes !
M. Michaël Taverne
La proposition de loi visant à lutter contre le narcotrafic compte vingt-quatre articles et des dizaines et des dizaines d’alinéas. Votons donc ces amendements afin d’alléger le texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur plusieurs bancs du groupe UDR.)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 129 et 823.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 272
Nombre de suffrages exprimés 266
Majorité absolue 134
Pour l’adoption 90
Contre 176
(Les amendements identiques nos 129 et 823 ne sont pas adoptés.)
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
M. le président
Je mets aux voix l’article 2, tel qu’il a été amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 274
Nombre de suffrages exprimés 273
Majorité absolue 137
Pour l’adoption 234
Contre 39
(L’article 2, amendé, est adopté.)
Article 23 quinquies (appelé par priorité)
M. le président
Je rappelle que l’examen par priorité, demandé par le gouvernement, concerne également les articles 23, 23 bis A, 14, 8, 8 bis, 8 ter et 16, les amendements portant article additionnel après ces articles ainsi que l’article 24 et certains des amendements portant article additionnel après cet article.
Nous en venons aux inscrits sur l’article 23 quinquies. La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
Nous examinons à présent un article important qui ne figurait pas dans le texte issu du Sénat. Il représente à l’évidence une ligne rouge pour le groupe GDR.
Le garde des sceaux ne cesse de répéter que le dispositif prévu par cet article est inédit. Il ressemble pourtant étrangement aux quartiers de haute sécurité supprimés en 1982 par Robert Badinter, lequel expliquera, quelques années plus tard, qu’ils n’assuraient pas la sécurité mais détruisaient lentement les détenus.
Comment pourrait-il en être autrement dès lors que l’on accepte que les personnes soumises à ce régime soient coupées de tout, que leurs droits fondamentaux soient bafoués, que les appels téléphoniques et autres contacts vers l’extérieur soient très limités ? Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants estime d’ailleurs qu’un tel régime peut s’apparenter à de la torture blanche. Nous y reviendrons dans le cadre de la discussion des amendements.
M. Julien Odoul
Que d’énergie dépensée pour défendre des criminels !
Mme Elsa Faucillon
Si cet article constitue pour nous une ligne rouge, c’est parce que la fermeture des quartiers de haute sécurité, il y a plus de quarante ans, s’inscrivait dans une série de mesures visant à faire évoluer les prisons afin qu’elles soient en adéquation avec les valeurs démocratiques que nous défendons. Certes nous n’y sommes toujours pas parvenus mais nous nous efforçons, depuis plusieurs décennies, d’atteindre cet objectif. Or, avec une telle mesure, vous allez à rebours de cette ambition. Vous revenez en arrière et la République implante, en son sein, des espaces qui bafouent les droits fondamentaux.
M. Julien Odoul
Vous avez implanté des centaines de goulags !
Mme Elsa Faucillon
En outre, vous savez que les établissements que vous souhaitez rouvrir sont des fabriques à fous.
Par ailleurs, vous affirmez, monsieur le garde des sceaux, qu’en rassemblant ces détenus dans une même prison, la sécurité sera renforcée. Or réunir de très gros narcotrafiquants dans un même lieu est une mesure contre-productive car ce type d’établissement deviendra une cible privilégiée des attaques.
M. le président
La parole est à M. Philippe Schreck.
M. Philippe Schreck
Cet article concerne quelques dizaines, voire centaines d’individus parmi les quelque 70 000 détenus. Ce sont les plus dangereux d’entre eux, ceux qui ne connaissent aucune limite et pour qui la vie humaine n’a aucune valeur.
Nous savons que, pour différentes raisons, nos prisons ne sont plus adaptées à la prise en charge des chefs les plus dangereux des réseaux criminels qui continuent d’organiser leur trafic depuis leur cellule. Le drame d’Incarville, il y a un an, a permis de mesurer les conséquences d’une situation pénitentiaire hors de contrôle.
Face à ces enjeux, une partie de notre assemblée – l’extrême gauche – souhaite que rien ne bouge. Même si rien ne va, les idéologues ne veulent rien changer. Par conséquent, tous les Amra qui peuplent nos prisons peuvent conserver par-devers eux leur flotte de téléphones portables et organiser leur trafic ou leur évasion.
Il va de soi que l’isolement, les fouilles et la limitation des moyens de communication sont indispensables. Le régime de détention dont il est question dans cet article a fait ses preuves. Des résultats positifs ont été observés dans les pays qui ont pris à bras-le-corps le problème du narcotrafic. Le groupe Rassemblement national soutiendra donc la création de nouveaux quartiers de lutte contre la criminalité organisée.
Cependant nous posons deux questions, à commencer par celle des moyens car cette mesure concernait désormais 700 ou 800 narcotrafiquants. Or le budget de l’administration pénitentiaire a été raboté par la loi de programmation que nous avions votée.
La question de la formation du personnel se pose également. Vous le savez, monsieur le ministre, les enjeux seront décuplés en raison de l’aggravation des risques puisque les délinquants les plus dangereux et ceux qui disposent des moyens financiers les plus importants seront réunis. Il faudra donc que la formation et la protection de nos agents soient adaptées à cette situation.
Je suppose que vous évoquerez ces deux questions dans la discussion. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à Mme Eléonore Caroit.
Mme Eléonore Caroit
Cet article prévoit une disposition exceptionnelle : la création des fameux quartiers de lutte contre la criminalité organisée. J’aimerais vous soumettre quelques interrogations, monsieur le ministre.
Tout d’abord, le texte prévoit que les détenus y sont placés « à titre exceptionnel, afin de prévenir la commission ou la répétition d’une infraction » et « pour des infractions entrant dans le champ d’application des articles 706-73, 706-73-1 ou 706-74 du code de procédure pénale ». À mon sens – mais j’aimerais avoir votre éclairage –, ce champ est bien plus large que la criminalité organisée, il ne se limite pas au très haut du panier, aux 800 personnes visées par le dispositif.
Ensuite, c’est le garde des sceaux qui décide du placement dans ces quartiers de très haute sécurité. Une telle décision ne devrait-elle pas être prise par le juge judiciaire ?
En outre, l’article, tel qu’il est rédigé à ce stade, prévoit que la personne intéressée « peut », et non « doit », être assistée de son avocat au cours de la procédure contradictoire concernant le placement.
Enfin la décision est valable pour une durée de quatre ans, une période très longue au vu du régime prévu.
Je ne m’oppose pas, évidemment, à la création de régimes dérogatoires mais cela doit se faire dans des cas tout à fait exceptionnels et très limités dans le temps. Or il me semble que ces précisions ne figurent pas dans le texte. Je vous remercie donc de nous éclairer sur ces points.
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Cet article est important, à la fois sur le fond mais aussi pour le plan com’ de l’un de nos deux ministres de l’intérieur.
Mme Élisa Martin
Vous avez justifié cette disposition en expliquant qu’il fallait être « gentil avec les gentils » et « méchant avec les méchants ». Franchement, ce n’est pas une manière très sérieuse d’étayer votre position.
Vous voulez concentrer au même endroit des personnes qui ont commis des délits et des crimes graves. Est-ce là une bonne manière de procéder ? Vous en parlerez aux agents de l’administration pénitentiaire.
On peut également s’interroger sur le choix des individus concernés. Si l’on s’en tient à ce que prévoit cette proposition de loi, on constate qu’il s’agit de tous ceux qui sont détenus pour des infractions liées aux stupéfiants, quel que soit l’article en question. Le spectre des personnes visées est donc extrêmement large.
Autre motif de questionnement : c’est vous qui déciderez à qui s’appliquera ce régime d’exception. Or je ne vois guère à quel titre il vous reviendrait de prendre une telle décision, ni a fortiori à quel titre vous seriez le mieux placé pour le faire.
Quant au régime de détention lui-même, il suscite aussi l’interrogation. Vous allez décider – on ne sait pourquoi, ni comment, ni sur quel fondement – que des personnes seront mises à l’isolement, et ce pour une durée a priori très longue. J’ai déjà évoqué à ce sujet la notion de torture blanche. Un tel processus devrait faire l’objet d’une réévaluation quasi permanente, tant les conséquences psychiques et physiques de l’isolement de longue durée sont à la fois majeures, rapides et tout à fait irrémédiables.
Voilà notre position sur cet article et les raisons qui la motivent. Vous allez créer des fauves. Que se passera-t-il à leur sortie ? Parce qu’évidemment viendra un moment où ils sortiront. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle
Monsieur le garde des sceaux, en commission des lois, je vous ai posé une question à laquelle vous n’avez pas répondu. « Alors même que vous faisiez le tour de tous les plateaux de télévision pour faire la publicité du nouveau régime de détention dont cet article prévoit la création, pourquoi n’avez-vous pas déposé au Sénat l’amendement qui l’insère dans la proposition de loi ? », vous ai-je demandé. Il est très étonnant que vous ayez fait ce choix et préféré le déposer auprès de la commission des lois.
Par ailleurs, avant de le déposer, vous auriez pu attendre que le Conseil d’État rende son avis, par lequel il vous demande de revoir votre copie s’agissant des personnes concernées, des modalités de détention et des visites. Vous ne l’avez pas fait, et c’est cet amendement qui a véritablement pollué le texte et entraîné, au terme des débats de la commission, l’abstention du groupe Socialistes et apparentés.
Je voudrais vous faire part, monsieur le garde des sceaux, d’un communiqué daté de ce jour, publié par l’Association française des magistrats instructeurs. Il ne s’agit pas d’une assemblée de gauchistes, comme vous avez l’habitude de le dire pour, souvent, vous en moquer, mais bien de professionnels qui travaillent dur et dans des conditions difficiles. Au sujet de votre invention, ils indiquent que la solution qui consiste à sanctuariser quelques centres pénitentiaires dans lesquels on concentrerait la délinquance organisée qualifiée de très dangereuse constitue un « leurre ». En effet, elle repose sur une définition du détenu « très dangereux » qui sera « extrêmement difficile à établir, puis à appliquer concrètement ». Elle sera vraisemblablement adaptée aux capacités d’accueil des établissements pénitentiaires en question. Il s’agit d’un leurre dans la mesure où « la concentration de détenus de très haut niveau signifiera aussi une concentration des efforts de ces délinquants aux moyens financiers quasi illimités pour organiser des évasions ».
Vous allez créer des zones sécurisées dans lesquelles serait concentrée la grande délinquance organisée, avec un accès limité aux juges. Présenter cette solution comme la panacée ne fait que démontrer la faiblesse de l’État et le recul de l’État de droit : voilà ce que vous disent les magistrats instructeurs réunis en association ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi
Je m’associe à tout ce que viennent de dire les oratrices qui m’ont précédé. Dans cet article, rien ne va.
M. Pouria Amirshahi
Premièrement, lors de sa présentation en commission, comme l’a rappelé Mme Capdevielle, nous avons évoqué le fait que vous nous l’avez présenté au débotté – il a fallu modifier l’ordre du jour de nos travaux pour cette seule raison –, nous privant du temps nécessaire pour discuter sérieusement de dispositions aussi dérogatoires au droit commun.
Deuxièmement, s’agissant du fond, l’article contrevient à tous les principes essentiels de la dignité humaine. L’isolement presque complet qu’il prévoit et les restrictions drastiques qui en découlent révèlent – j’ai eu l’occasion de vous le dire, monsieur le ministre, et vous vous en êtes ému – une vision doloriste de la peine, qui exige qu’elle fasse mal et la confond avec le châtiment. En réponse à d’autres membres de cette assemblée, qui siègent sur les bancs qui font face aux nôtres et avaient insisté pour défendre ces dispositions, j’avais même évoqué une vision sadique de la peine.
Une telle vision ne mène à rien !
M. Antoine Léaument
Eh oui !
M. Pouria Amirshahi
Vous pouvez certes punir encore plus lourdement toute une série de malfrats. Je comprends l’intention qui vous anime. Mais – comme l’avait dit M. Dupond-Moretti – un criminel, a fortiori issu de ces rangs-là, ne commet pas ses crimes en ayant le code pénal à la main pour déterminer si, pour telle infraction, il prendra deux, trois ou quatre ans ferme, à l’isolement total. Il ne pense pas à cela mais à ce qui le motive : l’argent et les moyens de l’obtenir, le meurtre, l’absence de scrupules. Il ne se demande pas si vous allez durcir ou non les peines qu’il encourt.
D’autres dispositions posent problème. Comme nous n’avons vraiment pas eu le temps d’en débattre suffisamment en commission, permettez, monsieur le président, que nous y insistions dans ce propos introductif relatif à l’article 23 quinquies. Celui-ci ouvre la possibilité d’enfermer, dans les conditions que je viens d’évoquer rapidement et qui seront examinées en détail, des personnes parce qu’elles risquent de commettre une infraction. Il reste qu’un risque doit être objectivé, par exemple en démontrant que le détenu concerné occupe une position donnée au sein d’un organigramme criminel, que son appartenance à ce réseau est ancienne et que ses relations confirment la réalité de ce risque.
Or nous avons affaire ici – je livre en particulier cette réflexion au garde des sceaux, qui est chargé de cette question – à une dérive de la doctrine pénale française, qui a commencé lorsqu’au moment de la loi antiterroriste, on a été amené à se fonder sur des suppositions, et qui s’est poursuivie dans la loi de 2017 qui prévoit la possibilité d’imposer des mesures coercitives en raison de comportements et non pour sanctionner des faits avérés. Il s’agit d’une justice prédictive et non d’une justice qui repose sur les faits.
M. le président
La parole est à M. Vincent Caure, rapporteur.
M. Vincent Caure, rapporteur
Je répondrai brièvement aux orateurs inscrits sur l’article avant que l’on poursuive la discussion en abordant notamment des amendements de suppression. Je rappelle d’abord que la loi prévoit déjà l’affectation de détenus au sein de quartiers spécifiques : les unités pour détenus violents et les quartiers de prise en charge de la radicalisation. Ces quartiers ne permettent certes pas de résoudre tous les problèmes qui se posent à nous – c’est bien pour cela que le présent texte propose la création de quartiers de lutte contre la criminalité organisée – mais, en tout cas, les dispositions dérogatoires qui les autorisent existent.
Ensuite, il ne s’agit pas ici de réinventer quoi que ce soit mais d’adapter le fonctionnement de notre système carcéral pour couper certains détenus du haut du spectre – on avance le chiffre de 800 détenus – de leurs organisations criminelles, afin qu’une fois isolés, ils ne puissent plus entretenir de liens avec elles. On distingue ces détenus des autres au titre du danger qu’ils représentent, sur le fondement d’éléments objectifs – les peines auxquelles ils ont été condamnés – et subjectifs – par exemple des informations recueillies avec l’aide du renseignement pénitentiaire.
Il est un fait que ce régime de détention est plus dur que le régime commun puisqu’il s’agit, encore une fois, d’isoler le détenu de son organisation criminelle. L’objectif n’est pas seulement d’être méchant avec les méchants mais aussi d’atteindre plusieurs objectifs, dont certains sont de valeur constitutionnelle, qu’il s’agisse de la sauvegarde de la dignité humaine ou de celle de l’ordre public, au regard du danger que représentent les individus concernés.
Le garde des sceaux a saisi le Conseil d’État afin qu’il rende un avis sur cet article 23 quinquies. Les rapporteurs du texte, le président de la commission des lois et le garde des sceaux ont assisté aux délibérations de la section de l’intérieur du Conseil d’État. Nous disposons désormais de l’avis délibéré par l’assemblée générale qui apporte des précisions rédactionnelles et de fond relatives à la manière dont nous pouvons améliorer la rédaction de cet article, afin de lui conférer davantage de robustesse.
Au fil de la discussion et de l’examen des différents amendements, dont certains sont soutenus par plusieurs groupes et au sujet desquels nous nous retrouverons, nous poursuivrons l’aménagement du dispositif, pour concilier l’objectif visé par le texte – isoler les criminels concernés et les empêcher de mener, avec leurs organisations criminelles, leurs entreprises depuis la prison – et les objectifs de valeur constitutionnelle.
M. Antoine Léaument
Mettez des moyens !
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je vais m’efforcer de répondre aux questions des orateurs inscrits à l’article. Comme je l’ai dit et redit, je conviens tout à fait qu’il s’agit là non seulement d’un article très important, mais qu’il suscite également des interrogations. En effet, le régime de détention dont il est question – je l’assume pleinement – est difficile et très original : s’il copie le modèle italien, il n’a jamais existé en France.
Mme Elsa Faucillon
Ce n’est pas vrai !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Madame Faucillon, vous dressez un parallèle entre les quartiers de lutte contre la criminalité organisée que nous nous proposons de créer et les quartiers de haute sécurité qu’a supprimés Robert Badinter lorsqu’il était garde des sceaux. Il s’agit d’une décision prise il y a plus de quarante ans, à une époque où les difficultés du système carcéral et celles que la délinquance nous impose d’affronter n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. La technologie n’était pas la même. (Mme Faucillon s’exclame.) Je vous ai écoutée avec intérêt, madame Faucillon. En 1982, il n’y avait ni drones, ni téléphones portables et les circuits de blanchiment n’étaient pas les mêmes. En outre, les détenus enfermés dans les quartiers de haute sécurité s’y trouvaient pour des raisons différentes.
Si l’on examine objectivement le régime de détention que prévoit l’article, on constate qu’il est moins dur pour les individus que le régime d’isolement auquel nous soumettons les détenus aujourd’hui. Il s’agit d’un régime d’étanchéité, non d’isolement. Vous me dites que les détenus ne doivent pas y être placés pour une période aussi longue que quatre ans, mais depuis combien de temps M. Faïd et M. Abdeslam sont-ils soumis à un régime d’isolement ?
Une députée
Ce n’est pas de l’isolement !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Eh bien si, et sans la volonté du législateur ! C’est la première fois qu’un garde des sceaux vous propose d’instaurer un régime carcéral non pas d’isolement individuel – contrairement à celui auquel nous avons recours aujourd’hui par manque de moyens de détention particuliers – mais d’étanchéité. Comme en Italie, les détenus qui y seront soumis pourront se promener ensemble, certes en petits groupes composés de quatre à cinq personnes.
Nous reparlerons, si vous le souhaitez, des deux prisons que j’ai choisies, pour éviter que soient proférées des inepties : bien évidemment, les détenus ne pourront pas tous se regrouper. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de créer ces quartiers spécifiques dans les centres pénitentiaires de Vendin-le-Vieil et de Condé-sur-Sarthe, qui abritent douze cours de promenade séparées. Je n’ai pas choisi la maison centrale de Saint-Maur ou celle d’Arles, où se trouvent des cours de promenade générales : il aurait été absurde d’y laisser évoluer en même temps cent narcotrafiquants ! (M. Antoine Léaument s’exclame.) Monsieur Léaument, je vous ai invité à vous rendre sur place. Exercez votre droit de parlementaire, cela ne posera aucun problème ! D’ailleurs, j’ai constaté cette semaine que les sénateurs écologistes ont visité Vendin-le-Vieil et vérifié la véracité de mes propos. On peut bien sûr s’opposer au nouveau régime de détention dont nous discutons mais ne disons pas de bêtises à son sujet.
M. Antoine Léaument
Et les amendements de suppression ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
J’affirme simplement, et cela devrait vous conduire à vous poser des questions, que le régime que je propose n’est pas un régime d’isolement individuel tel que le pratique l’administration pénitentiaire dans les cas de MM. Amra – qui est seulement prévenu –, Abdeslam ou Faïd, mais d’un régime d’étanchéité entre les détenus et le monde extérieur, aussi différent du régime d’isolement individuel que de celui des quartiers de haute sécurité qui existaient en France avant 1982.
Madame Capdevielle, vous abordez deux questions. Laissez-moi vous indiquer d’abord que je n’ai jamais dit que les magistrats instructeurs étaient une bande de gauchistes. Je vous mets au défi de démontrer le contraire et, si vous n’y parvenez pas, je vous demanderai, si vous me le permettez, de corriger votre propos demain en séance. Je ne sais pas où vous avez lu cela.
Mme Colette Capdevielle
Je n’ai pas dit ça !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
C’est ce que vous m’avez dit, madame, et je n’accepte pas que vous puissiez tenir et répéter des propos qui déprécient les fonctionnaires de mon administration.
Mme Colette Capdevielle
Ce n’est pas ce que j’ai dit !
Mme Sabrina Sebaihi
Ce n’est pas ce qu’elle a dit ! Elle a dit que c’étaient des magistrats et non une bande de gauchistes !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Si, c’est ce que vous avez dit ! Vous m’avez attribué l’habitude de dire que ces magistrats formaient une assemblée de gauchistes.
Un député
Non, non, non !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Nous verrons ce qu’indiquera le compte rendu demain matin ! Si c’est bien ce que vous avez dit, madame, je vous demanderai d’avoir la gentillesse et l’honneur de rectifier vos propos et j’espère que vous le ferez.
Il existe d’ailleurs une assemblée, qui n’est pas un rassemblement de fascistes, et qui a validé le régime que je propose. Il s’agit de l’assemblée générale du Conseil d’État, qui est pourtant sourcilleux – et il est bien naturel qu’il le soit – et soucieux des libertés individuelles et publiques.
Je me réjouis qu’un amendement du gouvernement à une proposition de loi ait fait l’objet – événement très rare – d’une saisine du Conseil d’État, auprès duquel j’ai moi-même défendu ce régime. L’avis du Conseil est désormais public : nous pouvons donc en discuter. S’il a considéré que ce régime était conforme à la Constitution et aux conventions européennes, c’est peut-être qu’il y a match, si vous me permettez l’expression, et que nous n’assistons pas à un affrontement opposant le camp du bien à ceux qui ne sauraient respecter ni les libertés individuelles ni le droit.
Vous me demandez pourquoi je n’ai pas proposé ce régime lors des débats au Sénat. Peut-être était-ce une erreur et eût-il fallu me nommer plus tôt au gouvernement, mais cela n’a pas été la volonté de M. Barnier : je ne suis garde des sceaux que depuis le 24 décembre dernier. Si j’avais élaboré en vingt-deux jours, soit pour la réunion de la commission des lois du Sénat le 22 janvier, un régime carcéral extrêmement particulier, inspiré du modèle italien que j’ai longuement étudié sur place, après avoir énormément consulté non seulement des membres de mon administration, le Conseil d’État mais aussi un certain nombre de spécialistes qui ne relèvent ni de l’administration pénitentiaire ni de la justice, je ne doute pas que vous m’auriez dit : « Quel travail ! »
Mme Élisa Martin
Il ne faut pas bâcler, mais c’est quand même bâclé !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
J’ai donc décidé de présenter ce nouveau régime en premier lieu à l’Assemblée nationale par voie d’amendement. Et je ne suis pas maître de l’ordre du jour de la navette entre les deux chambres. En présentant ce dispositif, j’ai dit à votre commission que je saisirai le Conseil d’État où j’ai invité votre rapporteur socialiste, M. Vicot – que je remercie d’être venu, témoigner d’ailleurs de son désaccord partiel avec ce texte –, ainsi que le rapporteur Caure et le président de votre commission des lois, fait inédit dans les archives du Conseil d’État selon le président de la section de l’intérieur lui-même. Nous avons rendu public l’avis de la haute juridiction, et j’ai indiqué que je modifierai ce régime en fonction dudit avis. Je pense qu’il s’agit d’une réelle démarche démocratique.
M. Amirshahi, vous dites malgré tout que les députés n’ont pas eu beaucoup de temps pour discuter en commission, mais je suis venu moi-même vous l’expliquer – j’ai même en cette occasion loupé un conseil des ministres pour vous (« Oh ! » sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS), ce qui prouve où vont mes inclinations !
Mme Élisa Martin
Pour d’autres, c’est le conseil municipal de Pau !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Vous avez eu tout le temps de m’interroger sur le nouveau régime d’incarcération et j’étais prêt à rester autant que vous le souhaitiez, mais je crois que le président de la commission des lois avait un problème de réservation de salle et je ne peux que vous renvoyer vers lui si le débat n’a pas été aussi nourri que vous l’espériez. Je viendrai toujours avec plaisir, comme vous le savez, devant chacune des commissions.
Mme Sandra Regol
Il est minuit passé !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
J’ai dit que je modifierai ce régime pour qu’il soit conforme à l’avis du Conseil d’État et à la Constitution de la Ve République, et je le ferai. Le Conseil d’État a considéré qu’une durée de détention pouvant atteindre quatre ans dans ce type de quartiers pénitentiaires était excessive. Je rappelle que c’est le modèle italien, celui d’un pays européen voisin, et aussi au passage que ce régime, dit 41 bis, a été mis en place là-bas par un gouvernement social-démocrate. Le Conseil d’État préconise deux ans ; je serai d’accord pour deux ans. De même, il a considéré qu’il ne fallait pas de fouilles systématiques si des parloirs étaient validés en hygiaphones et qu’il fallait laisser le chef de détention ou la direction interrégionale en décider ; j’en suis d’accord.
Vous évoquez, madame Caroit, la présence systématique d’un avocat devant l’autorité décisionnaire de la détention dans ce type de quartiers, et j’en suis d’accord. Nous modifierons l’article en conséquence même si cela tombait sous le sens, pour le préciser puisque c’est une condition particulière de détention, à l’instar de la privation de liberté pour les mineurs.
Le Conseil d’État, pour la première fois, a changé sa position relative à la visioconférence au vu de notre rédaction et des informations que nous lui avons fournies, en particulier concernant le drame d’Incarville qui a démontré que des personnes extrêmement dangereuses peuvent profiter de quelques instants dans le cabinet d’un juge d’instruction pour en venir à assassiner ensuite des agents pénitentiaires. Je rappelle que nous parlons d’une étape de la phase d’instruction alors qu’en Italie, même les phases de jugement et de décision définitive se font en visio.
Je rappelle aussi que le magistrat pourra de toute façon décider d’aller contre l’avis transmis au ministre concernant le régime pénitentiaire. Certes, le détenu, lui, ne pourra former aucun recours, mais comme c’est déjà le cas en droit du contentieux administratif, le tribunal compétent ayant rejeté le recours de M. Abdeslam contre…
M. Ugo Bernalicis
On vous a dit que minuit était passé ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Mais si le débat vous ennuie dès qu’il est plus de minuit, monsieur Bernalicis, cela veut dire que vous ne vous intéressez pas au texte et que souhaitez seulement faire durer son examen, jour après jour. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Je ne crie pas quand vous parlez et permettez-moi de vous demander le même respect, ne serait-ce que pour vos collègues qui m’ont interrogé et attendent mes réponses.
M. Ugo Bernalicis
Mais ça n’est pas grave, je ne vous en veux pas !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Dans le régime administratif, duquel relèvent les contentieux d’un certain nombre de sujets liés à la détention des condamnés pour peine, la visio est la règle : le juge administratif peut s’y opposer, pas le détenu. Grâce à la visio, les droits de la défense sont respectés sans que les agents de l’administration pénitentiaire n’aient à accompagner plusieurs fois par semaine des détenus lorsqu’on doit se prononcer sur des questions de forme.
Mme Élisa Martin
Pourquoi est-ce vous qui décidez ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je vais y venir, madame la députée. Si vous me permettez de poursuivre, nous trouverons le moyen de nous entendre – j’espère en tout cas que vous m’entendrez malgré vos cris.
Pour le Rassemblement national, M. Schreck a eu raison d’évoquer la question de la formation des agents pénitentiaires. Le nouveau régime pénitentiaire va demander plus d’effectifs dans les deux prisons de haute sécurité, soit une vingtaine d’agents supplémentaires à Vendin-le-Vieil par exemple – alors que le niveau d’effectifs est déjà important dans ces établissements. Il est prévu de procéder pendant trois mois à 5 millions de travaux à Vendin-le-Vieil et à Condé-sur-Sarthe et de transférer ailleurs les détenus – sauf les 15 % concernés par la mesure et déjà présents – et, pendant ce temps, de former sur place – ils n’iront pas à Agen – les agents pénitentiaires à ces détenus particuliers, même si ces agents ont déjà une formation spécifique.
J’ajoute, monsieur le député, que nous mettrons en place deux mesures : la présence systématique d’au moins deux agents par détenu pour éviter les risques de corruption et les risques de menace, et, comme en Italie, tout agent sera affecté tous les six mois à une aile différente – il y en a douze, par exemple, à Vendin-le-Vieil – pour ne pas trop prendre d’habitudes, si je puis m’exprimer ainsi, avec les détenus et réciproquement.
Au ministère de la justice, il n’y a pas d’habilitation, au sens où on l’entend pour l’Uclat, l’unité de coordination de la lutte antiterroriste, ou la DGSI. Pourtant des personnes peuvent être surendettées, avoir un membre de leur famille en lien avec un pacte corruptif ou éprouver certaines difficultés – cela ne vaut pas que pour les agents pénitentiaires, mais aussi pour les magistrats, pour les greffiers et pour les agents administratifs. Nous habiliterons les agents pour connaître leurs difficultés de vie, pour qu’ils ne soient pas sensibles à la corruption ou à la menace, et nous devrons évidemment tenir compte de leur loyauté vis-à-vis de la République – vous savez que c’est le cas pour l’immense majorité, mais il peut y avoir ici où là des problèmes qui risqueraient de mettre fin à l’étanchéité souhaitée. Je pense avoir répondu à vos questions, mais nous aurons l’occasion au cours des débats d’y revenir si vous le souhaitez, même si ces sujets relèvent du domaine réglementaire.
Qui décide ?
M. Antoine Léaument
Ah !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
C’est une des questions que m’a posées Mme Caroit et je lui réponds que ce sera comme en Italie – où, je le rappelle, le dispositif a été mis en vigueur par un gouvernement social-démocrate, pas par un parti de droite extrémiste. En l’espèce, la direction nationale de la police judiciaire, l’administration pénitentiaire et les magistrats instructeurs vont proposer au placement dans les deux établissements que j’ai mentionnés les profils qu’ils jugent les plus dangereux pour l’extérieur. Ce ne sera pas le ministre de la justice qui dira : « Je veux inscrire telle personne sur la liste. » Ce sera l’occasion pour ces services de décrire avec précision lesdits profils. Je rappelle d’emblée que l’administration pénitentiaire décide déjà où vont les détenus condamnés définitivement. On ne va rien changer : tout se fait déjà sous l’autorité du ministre. Si l’individu est en détention provisoire, le magistrat judiciaire compétent…
Mme Eléonore Caroit
Quel magistrat ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…pourra s’opposer lors de l’instruction de la décision du ministre en motivant son refus – s’il juge, par exemple, nécessaire la présence du détenu pour des confrontations.
M. Ugo Bernalicis
Une belle usine à gaz !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Une fois que les services auront finalisé leur proposition et que le magistrat aura donné son accord, le garde des sceaux sera toujours libre de ne pas signer l’arrêté s’il considère que la proposition des services n’est pas convaincante. Il m’est arrivé comme ministre de l’intérieur de ne pas accepter, et plus de fois que vous ne le pensez, l’utilisation de telle ou telle technique de renseignement intrusive quand j’ai considéré que la DGSI ou les services de police ne motivaient pas assez son utilisation. Il y a tout de même dans le processus un moment politique, et c’est normal, où le garde des sceaux va…
M. Ugo Bernalicis
Ça devait être des amis !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Vos propos insultants et même calomnieux, monsieur Bernalicis, sont inacceptables et pas à la hauteur d’un député de la nation, je vous le dis les yeux dans les yeux. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. – M. Éric Pauget rapporteur, applaudit également.) Vous pouvez faire des grimaces, mais je pense que sur un sujet aussi important, nous pourrions nous écouter dans cet hémicycle… Si vous avez un autre rendez-vous à minuit dix, n’hésitez pas, monsieur Bernalicis : vous regardez votre montre depuis tout à l’heure !
Madame Caroit, l’arrêté signé par le ministre sera évidemment susceptible de recours selon les règles du droit commun et donc en référé si nécessaire ; le juge administratif infirmera ou confirmera alors ladite décision – la procédure a été validée par le Conseil d’État –, et en ce dernier cas, la personne se retrouvera dans une des deux prisons de haute sécurité, plus précisément dans ce qu’on va appeler dans un des « quartiers de lutte contre la criminalité organisée ». Je pense que sur ce plan, ces deux établissements vont déjà bien m’occuper dans l’année qui vient, et le prochain garde des sceaux pourra envisager de créer des quartiers du même régime dans des prisons ordinaires.
Que va-t-il se passer alors ?
Le texte prévoit que la détention dans ces quartiers soit au maximum de deux ans, renouvelables après évidemment une nouvelle évaluation. Il y aura certainement des contentieux du fait même de cette durée, mais le dispositif est indispensable au regard de la nécessité d’accroître le nombre de repentis tel que prévu à l’article 14. En Italie, pourquoi les gens parlent ? Non pas pour faire moins d’années de prison ni pour obtenir l’immunité même après avoir commis un crime de sang, mais pour éviter ce régime de détention difficile ou pour en sortir. Et ce n’est pas le ministre qui négocie : ce sont les magistrats qui négocient avec le détenu.
Des gens ne seront pas à vie dans ce régime de détention, mais nous ferons ainsi parler de futurs repentis, nous sauverons des centaines de vies et mettrons fin à des dizaines d’organisations criminelles. Il y a en Italie un millier de repentis du fait du régime 41 bis.
M. Ugo Bernalicis
Tout cela n’est pas vrai !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je sais que le nouveau régime d’incarcération va être difficile et me réjouis qu’il ait été validé par le Conseil d’État, dont je suivrai les propositions. Je ne pense pas un seul instant qu’il s’agisse de torture blanche ou de sadisme comme je l’ai entendu dire : il me semble seulement que l’État français doit rétablir l’autorité en montrant aux organisations criminelles que c’est la sienne qui compte et qu’on ne peut pas menacer des magistrats ni assassiner des agents pénitentiaires.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Dans le régime d’incarcération actuel, nos prisons ont en effet failli tout comme notre régime judiciaire. Et nous devons, en souvenir de ceux qui sont tombés à Incarville, à tous nos agents pénitentiaires et à tous nos magistrats, la protection de la République. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem – Mme Brigitte Barèges applaudit également.)
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
2. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, cet après-midi, à 14 heures :
Questions au gouvernement ;
Suite de la discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic ;
Suite de la discussion de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 19 mars 2025, à zéro heure quinze.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra