Troisième séance du vendredi 21 mars 2025
- Présidence de M. Roland Lescure
- 1. Sortir la France du piège du narcotrafic
- Discussion des articles (suite)
- Article 4 bis C (suite)
- Rappel au règlement
- Article 4 bis C (suite)
- Article 4 bis
- Article 5
- Article 5 bis
- M. Pouria Amirshahi
- M. Ugo Bernalicis
- Amendements nos 265 et 768
- Article 6
- Après l’article 6
- Amendement no 790
- Article 7 bis
- Article 9
- Mme Pascale Bordes
- Mme Élisa Martin
- M. Pouria Amirshahi
- Mme Colette Capdevielle
- Amendements nos 191, 383, 425, 683 et 192
- Discussion des articles (suite)
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Roland Lescure
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures quarante.)
1. Sortir la France du piège du narcotrafic
Suite de la discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (nos 907, 1043 rectifié).
Discussion des articles (suite)
M. le président
Cet après-midi, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles de la proposition de loi, s’arrêtant à l’amendement no 189 à l’article 4 bis C.
Article 4 bis C (suite)
M. le président
Je suis saisi de cinq amendements, nos 189, 364, 520, 852 et 264, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 189, 364 et 520 sont identiques.
La parole est à Mme Céline Hervieu, pour soutenir l’amendement no 189.
Mme Céline Hervieu
Cet amendement du groupe Socialistes et apparenté, initialement proposé par Crim’halt et François Ruffin, vise à rendre prioritaire l’affectation publique et sociale des biens confisqués.
L’État doit pouvoir démontrer aux citoyens que les gains du crime organisé leur sont rendus, que le crime organisé ne l’emporte pas sur la philosophie du bien commun et qu’on doit rendre ce qui a été pris.
Cette mesure, qui existe depuis 2021 et a été élargie aux collectivités territoriales en 2023, ne porte manifestement pas encore ses fruits.
L’objectif de l’amendement est de renforcer l’affectation des biens mal acquis au bien commun, aux fondations et aux associations. Son adoption marquerait donc une grande avancée dans notre lutte contre le crime organisé.
L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) n’a pas une connaissance fine des besoins des territoires, contrairement aux collectivités qui peuvent contribuer à la bonne affectation de ces biens.
En Italie, où la réattribution sociale des biens confisqués est obligatoire depuis 1982, 40 000 biens immobiliers sont au service de fondations publiques, de citoyens et d’associations.
Je salue tous ceux qui ont participé à la rédaction de l’amendement et vous invite à le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. le président
Sur les amendements identiques nos 189, 364 et 520, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 364.
M. Ugo Bernalicis
Je voudrais revenir sur l’amendement de suppression défendu par le gouvernement. Je suis bien d’accord, il est inutile de dresser un inventaire à la Prévert des services de l’État qui peuvent recevoir des biens confisqués puisque dès lors que l’État confisque des biens, ceux-ci deviennent par principe sa propriété et il peut en disposer comme il l’entend.
Pour autant, nous n’avons pas soutenu l’amendement de suppression, car nous souhaitons que l’Agrasc puisse choisir en priorité une affectation sociale. Bien sûr, c’est déjà possible, grâce à des mesures que nous avons prises dans des lois précédentes mais nous voulons à présent passer la vitesse supérieure, en remplaçant les termes « peut mettre », tel que nous l’avons voté en commission, par « met en priorité », afin que, dès le départ, l’Agrasc ait cet objectif politique et sociétal en ligne de mire et qu’il soit rendu à la société ce qui a été mal acquis. Ce n’est pas une obligation, mais s’il faut faire un choix, autant que le bien soit affecté à une association ou une collectivité plutôt qu’à l’État et c’est parce que nous voulons que l’Agrasc soit dans cet état d’esprit dès le début de la procédure d’affectation des biens que nous soutenons cette proposition.
Par ailleurs, nous avons également prévu, sans doute par gourmandise, de ne pas nous en tenir aux seuls biens immobiliers et d’élargir la disposition aux meubles.
M. Antoine Léaument
J’espère que vous serez touchés par l’Agrasc !
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 520.
Mme Elsa Faucillon
Malgré l’adoption d’une loi en 2021, l’affectation sociale et solidaire des biens confisqués reste trop marginale. L’amendement tend donc à accélérer les choses, en en faisant une priorité.
Au-delà des moyens mobilisés par l’État et du travail de la police, des douanes et des dockers, c’est en acculturant la société à la lutte contre le narcotrafic que nous progresserons. C’est en tout cas de cette manière que l’Italie a obtenu des résultats : en faisant en sorte que toute la société se sente concernée par cette lutte.
Bien sûr, il faut doter les services publics des moyens adaptés et nécessaires mais il ne faut pas négliger l’importance de dispositions de ce type, pour que les saisies profitent au bien commun. C’est pour cette raison que nous avons profité d’en arriver à ce stade de nos travaux pour introduire cette proposition de Crim’halt dans un texte essentiellement centré sur la répression. (M. Antoine Léaument applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol, pour soutenir l’amendement no 852.
Mme Sandra Regol
Nous avons déjà entamé cette discussion avant la pause et nous étions d’accord pour dire qu’on ne peut pas flécher l’argent des biens mal acquis dans une seule direction. Mais alors, que faire de ces biens ?
Dans d’autres pays, l’argent repris aux narcotrafiquants représente des sommes considérables. Monsieur le président, vous êtes l’élu des Français du Québec. Là-bas, la décision qui a été prise de libéraliser et de nationaliser le cannabis a engendré cette année 800 millions de dollars, pour une population qui s’élève à 9,5 millions de personnes. On récolte donc près de 1 milliard par an pour une population environ six fois moins nombreuse que la population française. En France, on peut donc estimer à 4 milliards les sommes que l’on pourrait reprendre chaque année aux narcotrafiquants. Et encore, seul 60 % du trafic est passé d’illicite à licite.
Il est important de reprendre l’argent que le trafic nous a volé : c’est de l’argent volé aux Françaises et aux Français. Et il faut savoir comment le réinvestir. Les groupes socialiste, écologiste, Insoumis et GDR ont déposé chacun des amendements, qui proposent différentes façons de ventiler cet argent. Peut-être devrions-nous prendre un peu de temps pour trouver la bonne formulation, qui ne soit pas trop restrictive et ne constitue pas un inventaire à la Prévert ? Il serait tout de même dommage de nous priver de cet argent, alors qu’une province cousine, comme le Québec, fait beaucoup mieux que nous et investit des millions de dollars chaque année dans la prévention et pour ses citoyennes et ses citoyens. J’ai l’impression que la France est un cran derrière.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l’amendement no 264.
M. Antoine Léaument
Dans le prolongement de l’intervention de ma collègue Sandra Regol, je regrette que nous n’ayons pas eu de débat sur la légalisation du cannabis. (« Ah ! » sur divers bancs)
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Cela n’a rien à voir !
M. Antoine Léaument
Si, cela a à avoir avec l’amendement, qui concerne l’affectation sociale des biens saisis par l’Agrasc, l’idée étant d’utiliser ces biens pour mener des politiques sociales permettant de sortir du piège du narcotrafic.
Or il y a une autre manière de sortir du piège du narcotrafic, c’est justement de légaliser le cannabis. En effet, cela ferait sortir de l’argent de la main des trafiquants, et je crois que notre objectif à tous est bien de les toucher au portefeuille. Cette légalisation aurait aussi l’avantage de créer des emplois, donc de financer le système de retraite.
M. Emeric Salmon
Les dealers vont payer les retraites !
M. Antoine Léaument
On pourrait ainsi ramener l’âge de départ à 62, voire 60 ans, si l’on arrive à créer assez d’emplois.
Ce serait aussi une manière de financer des politiques de prévention, et c’est justement là où je voulais en venir. Ce qui est essentiel pour sortir du piège du narcotrafic, c’est de mener une politique de prévention qui aille dans trois directions : d’abord, éviter l’entrée dans la consommation ; ensuite, faire diminuer la consommation des personnes qui sont déjà consommatrices de stupéfiants ; enfin, aider les personnes qui sont entrées dans une logique de dépendance à en sortir et, pour elles, il faut des politiques de soin.
De tout cela, nous aurions aimé pouvoir discuter avec le ministre de la santé. Nous aurons eu trois ministres au banc au cours de nos débats, celui de l’intérieur, celui de la justice, et celle des comptes publics. C’est très intéressant, mais pour sortir réellement du piège du narcotrafic, il aurait aussi fallu aborder la question du point de vue de la santé.
M. le président
Il nous reste 296 amendements à examiner. Je vous invite donc à centrer vos interventions sur le fond de vos amendements. J’ai eu le plaisir d’assister à la séance de cet après-midi, où un débat sur la légalisation du cannabis – un sujet que je connais bien – a déjà eu lieu.
Mme Sandra Regol
Ah non, il n’a pas eu lieu !
M. le président
Si l’on pouvait, à partir de maintenant, se concentrer sur les amendements, ce serait parfait.
La parole est à M. Éric Pauget, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.
M. Éric Pauget, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Avis défavorable.
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice, pour donner l’avis du gouvernement.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Avis défavorable.
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 189, 364 et 520.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 85
Nombre de suffrages exprimés 85
Majorité absolue 43
Pour l’adoption 35
Contre 50
(Les amendements identiques nos 189, 364 et 520 ne sont pas adoptés.)
(Les amendements nos 852 et 264, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur l’amendement no 853, par le groupe Socialistes et apparentés ; sur l’amendement no 521, par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine ; sur l’amendement no 745, par le groupe Rassemblement national.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisi de deux amendements, nos 853 et 521, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir l’amendement no 853.
M. Pouria Amirshahi
Nous avons déjà commencé à débattre de l’affectation possible des biens mal acquis. La première possibilité, c’est que les collectivités locales et l’État, pour le bien commun, préemptent l’ensemble de ces biens et envisagent ensuite, sans affectation a priori, leur distribution à des causes communes. Une autre possibilité serait d’en ventiler l’affectation plus précisément, de façon utile – comme l’a dit le ministre tout à l’heure – socialement et économiquement.
L’amendement no 853 flèche précisément le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS). Nous ne voulons pas seulement valoriser l’économie sociale et solidaire comme contre-modèle de l’économie capitaliste qui, elle, est la référence des mafieux ; nous voulons aussi faire de l’économie sociale et solidaire le champ économique et social d’insertion de ceux qui, demain, sortiront de prison, et qui ont commis des délits parce que des malfrats les ont entraînés dans la délinquance. Il nous semble très important de valoriser le secteur de l’économie sociale et solidaire, en lui permettant d’être récipiendaire de tout ce qui aura été confisqué par l’État.
J’aimerais appuyer la proposition de ma collègue Sandra Regol : il serait bon de prendre le temps d’examiner l’ensemble de ces amendements d’affectation a posteriori des biens mal acquis et d’en ventiler l’attribution. (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’orateur.)
M. le président
Nous allons nous en tenir au temps de parole prévu et tâcher de tous rester concentrés – cela vaut aussi pour moi.
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 521.
Mme Elsa Faucillon
Nous sommes très concentrés, monsieur le président, et je ne crois pas que, durant nos discussions en conférence des présidents, il ait été question de bâcler la fin de l’examen de ce texte.
Mme Sandra Regol
Au contraire !
Mme Elsa Faucillon
Au contraire. Une majorité s’est accordée pour poursuivre l’examen du texte lundi…
M. le président
Si l’on remet en cause la présidence après quelques minutes de débat, cela commence mal. Ce que je vais faire ce soir, c’est respecter les règles et demander à chacun d’entre vous de limiter ses interventions à deux minutes.
Mme Elsa Faucillon
Notre objectif, je le répète, c’est d’ancrer l’idée que le crime ne paie pas. Pour ce faire, il nous semble important que les biens mal acquis irriguent le bien commun, et c’est pourquoi nous proposons que l’Agrasc puisse attribuer ces biens à des entreprises de l’économie sociale et solidaire.
Dans la mesure où l’économie du narcotrafic exploite les plus vulnérables et est sans foi ni loi, notre idée, c’est que l’argent du crime organisé puisse bénéficier à des entreprises dont le mode de gestion est démocratique et où les écarts salariaux sont plus réduits que dans le reste du monde de l’entreprise. Cela favoriserait une mobilisation citoyenne contre le narcotrafic. Il nous paraît important de débattre de ces questions, qui sont très peu présentes dans ce texte, alors qu’elles sont tout aussi importantes que le volet répressif sur le haut du spectre.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis, qui prend la parole contre ces amendements – c’est bien cela ?
M. Ugo Bernalicis
Tout à fait, et je m’en suis d’ailleurs expliqué avec l’association Crim’halt. Nous nous étions déjà opposés à ce que le travail d’intérêt général puisse s’exercer dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, parce que, même s’il est plus vertueux que le reste de l’économie, il reste un secteur marchand. Or nous voulions que le travail d’intérêt général ne soit lié à aucun intérêt financier. Et c’est le même argument ici.
Je souscris évidemment aux propos de ma collègue Elsa Faucillon sur l’échelle des salaires et l’objet social de ces entreprises, mais je considère qu’il y a suffisamment de structures en dehors du secteur marchand, y compris les collectivités territoriales, pour ne pas rentrer là-dedans. C’est pourquoi nous sommes contre ces amendements, et vous noterez que j’ai expliqué ma position, contrairement au gouvernement et au rapporteur, qui n’ont pas d’avis argumenté sur le sujet, ce qui est bien dommage, compte tenu de l’enjeu…
M. le président
Concentrez-vous sur les amendements, monsieur Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
C’est ce que je fais ! L’amendement de notre collègue, en réalité, ne vise pas l’ensemble de l’économie sociale et solidaire mais, au sein de celle-ci, les entreprises solidaires d’utilité sociale (Esus), ce qui est une bonne chose, si bien que s’il est adopté, ce ne sera pas un scandale. Mais je pense qu’il serait vraiment préférable que les biens confisqués bénéficient à des causes totalement désintéressées et extérieures au secteur marchand.
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol, pour un rappel au règlement.
Mme Sandra Regol
Il se fonde sur l’article 100, relatif à la bonne tenue de nos débats. Nous avons eu peu de temps pour aborder la question de l’affectation des biens mal acquis, et là, vous nous demandez de nous limiter à une intervention pour et une contre. Dans la mesure où il n’y a que deux amendements en discussion, ne pourrions-nous pas avoir au moins deux interventions pour et deux contre, afin de pouvoir échanger ?
M. le président
Comme près de 300 amendements restent en discussion, je vais respecter les règles, à savoir un pour, un contre. Si vous le souhaitez, vous pouvez prendre la parole pour soutenir cet amendement.
Article 4 bis C (suite)
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol.
Mme Sandra Regol
Je vais être brève. Si cette question nous paraît si importante, c’est du fait de la définition que les sénateurs ont donnée du trafic de drogue, au terme de plusieurs mois d’auditions dans le cadre de leur commission d’enquête.
Cette définition est en substance la suivante : un système ultralibéral, sans aucune borne et impliquant énormément de violence. Pour le contrer, il faut s’en prendre à l’argent qui y circule ; les derniers articles examinés ont ainsi donné lieu à un débat fort intéressant où nous nous sommes rejoints, madame la ministre chargée des comptes publics, au sujet de la nécessité d’aller chercher ces fonds. En revanche, la question des moyens d’attaque nécessaires pour y parvenir a été quasiment oubliée lors de la rédaction du texte.
Comment reprendre l’argent que les trafiquants soustraient à la France ? J’ai cité tout à l’heure l’exemple québécois : le gouvernement fédéral et celui de la province ont choisi de frapper les trafiquants là où cela leur ferait mal, c’est-à-dire au portefeuille. C’est là l’autre grande proposition du rapport de la commission d’enquête sénatoriale, et un aspect du problème néanmoins peu étudié : quand a-t-on décidé de consacrer davantage de moyens à aller chercher dans les banques les leviers légaux du blanchiment ? Seule la formation a été évoquée ! Or le produit de la vente des biens mal acquis peut nous permettre de combattre, sinon à armes égales, du moins avec des armes.
M. le président
La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
Si important que soit le débat, je crains, madame la députée, que nous ne nous éloignions de l’examen des amendements, lesquels visent à autoriser l’attribution de biens confisqués aux entreprises solidaires d’utilité sociale. Le garde des sceaux vous a très clairement expliqué que, désormais, nous mettions à la disposition de nos services ceux de ces biens qui peuvent leur être utiles, par exemple des véhicules, ce qui réduit d’autant nos dépenses. D’autres, soit directement, soit sous la forme du produit de leur vente, sont attribués à des associations de victimes ; notre lutte contre la traite d’êtres humains est ainsi largement financée par l’Agrasc. Nous procédons de la sorte dès que nous le pouvons.
Mme Sandra Regol
Pourrions-nous avoir des chiffres ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Quand vous voudrez, a dit le garde des sceaux, nous présenterons à la commission des lois le bilan de l’Agrasc : combien a été saisi – 600 millions d’euros en 2024 –, comment tout cela est organisé, distribué. Ce système, qui ne remonte qu’à quelques années, fonctionne ; nous faisons tout notre possible, car certains biens ne peuvent être directement affectés à des causes sociales. La restriction à l’économie sociale et solidaire en priverait beaucoup de gens. Quant à chercher l’argent, à le saisir, le confisquer, le bloquer, le geler, Tracfin, l’Office national antifraude (Onaf), la direction générale des finances publiques (DGFIP), le renseignement douanier y passent leur temps ! Je suis prête à vous en donner tous les exemples que vous pourriez souhaiter. Nous ne faisons preuve d’aucune faiblesse sur ce point ; nous avons seulement besoin d’outils supplémentaires, et tel est l’objet de ce texte.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 853.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 94
Nombre de suffrages exprimés 94
Majorité absolue 48
Pour l’adoption 29
Contre 65
(L’amendement no 853 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 521.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 92
Nombre de suffrages exprimés 92
Majorité absolue 47
Pour l’adoption 28
Contre 64
(L’amendement no 521 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Manon Bouquin, pour soutenir l’amendement no 745.
Mme Manon Bouquin
Il vise à autoriser l’attribution aux douanes de biens mal acquis. Les services douaniers ne contrôlent pas seulement les frontières, ils sont aux avant-postes de la lutte contre l’économie souterraine, traquent le blanchiment d’argent, déjouent trafics d’armes et fraudes massives, interceptent les cargaisons de drogue ; il y a quelques jours, ils opéraient la plus importante saisie de cocaïne – 9 874 kilos, estimés à plus de 660 millions d’euros – jamais réalisée en France. On les oublie pourtant au moment de réaffecter les biens saisis. L’article prévoit que ces biens, une voiture par exemple, ou du matériel informatique, puissent être utilisés par la police, la gendarmerie, la justice, l’Office français de la biodiversité (OFB) ou encore la sécurité civile, non par les douanes ! Ce n’est pas normal. Pourquoi ne pas les inclure ? Ce serait une mesure cohérente et qui leur donnerait des moyens supplémentaires. Compte tenu de l’unanimité avec laquelle nous les défendions tout à l’heure, j’espère voir adopter cet amendement ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
Sur l’article 4 bis C, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Favorable : il serait en effet cohérent d’étendre aux services de douane la disposition des biens mobiliers et immobiliers saisis.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Sagesse.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Le gouvernement aurait au contraire dû déposer un amendement qui tende à supprimer la liste des services de l’État auxquels ces biens peuvent être attribués – M. le ministre a commencé à l’exprimer lors de sa précédente intervention, mais le moment était mal choisi. Désolé, je me prépare pour Beauvau, je fais ce que je peux… (Sourires.) À partir du moment où ils sont confisqués, les biens mal acquis deviennent propriété de l’État ; le fait qu’il les mette à la disposition de tel ou tel de ses services relève de son fonctionnement interne. Un texte législatif devrait tout au plus déterminer l’ordre des priorités : pour s’affecter ce qui lui appartient, l’État n’a besoin d’aucune autorisation. En réalité, que l’amendement soit adopté ou rejeté ne changera donc rien ! Je préfère seulement éviter les codes trop épais, les lois trop bavardes, et d’éventuelles méprises au sujet du fonctionnement de l’Agrasc ou des services de l’État.
M. le président
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Monsieur le garde des sceaux, votre position me déçoit un peu : vous auriez dû émettre un avis favorable, puisque nous souhaitons que les biens saisis puissent être affectés aux policiers, aux gendarmes, même aux douaniers !
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Sur le principe, monsieur Taverne, nous sommes d’accord, comme la dernière fois ; s’agissant d’établir une liste, M. Bernalicis n’a pas tort – pas tout à fait ! (Sourires et exclamations sur les bancs des groupes SOC et EcoS.) Nous risquons, dans un inventaire à la Prévert, d’oublier des services d’enquête, ou l’administration pénitentiaire, par exemple. Au demeurant, Mme la ministre a eu l’occasion de vous dire que nous mettions déjà des biens saisis à la disposition des douaniers. Je n’ai certes rien contre eux, et il ne s’agissait pas de déplaire ; encore une fois, ces énumérations ne sont pas une bonne façon de faire la loi, mais si l’Assemblée le souhaite… (M. Nicolas Sansu s’exclame.)
M. le président
Sur l’article 4 bis, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je mets aux voix l’amendement no 745.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 93
Nombre de suffrages exprimés 77
Majorité absolue 39
Pour l’adoption 56
Contre 21
(L’amendement no 745 est adopté.)
(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. le président
Je mets aux voix l’article 4 bis C, tel qu’il a été amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 89
Nombre de suffrages exprimés 86
Majorité absolue 44
Pour l’adoption 86
Contre 0
(L’article 4 bis C, amendé, est adopté.)
Article 4 bis
M. le président
Je mets aux voix l’article 4 bis.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 91
Nombre de suffrages exprimés 90
Majorité absolue 46
Pour l’adoption 81
Contre 9
(L’article 4 bis est adopté.)
Article 5
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 20 et 883, visant à réintroduire l’article 5, supprimé par la commission.
La parole est à M. Jocelyn Dessigny, pour soutenir l’amendement no 20.
M. Jocelyn Dessigny
L’article 5, supprimé en commission, prévoyait une procédure judiciaire en vue de geler les avoirs des personnes impliquées dans des infractions graves, relevant notamment de la délinquance ou de la criminalité organisées, ou dans des faits soit de trafic de stupéfiants, soit de non-justification de ressources ou de l’origine d’un bien. La dette de l’État s’élève à plus de 3 milliards d’euros : puisqu’il a besoin d’argent, autant aller chercher celui-ci dans les poches des trafiquants !
M. le président
L’amendement no 883 de M. Éric Ciotti est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Lors de l’examen du texte par la commission des lois, nous avons longuement parlé de ces dispositions : elles ne servent à rien, puisque les sénateurs ont introduit dans le texte un gel administratif qui sera beaucoup plus efficace. En rétablissant ce gel judiciaire, nous n’aboutirions qu’à créer des motifs de nullité, complexifier la procédure, et aller à l’encontre de notre objectif. Avis défavorable.
M. Antoine Léaument
Ça jette un froid !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis. Un gel administratif vaut mieux qu’un gel judiciaire ; le dispositif prévu par le Sénat étant en effet plus efficace, le gouvernement avait soutenu la suppression de l’article.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Quitte à choisir, je préfère pour ma part un gel judiciaire à un gel administratif.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Vous ne voulez pas de gel du tout !
M. Ugo Bernalicis
En effet ! Dans le cadre de la procédure judiciaire, la saisie a pour effet de geler de facto les avoirs, puisqu’ils ne sont plus à la disposition de la personne en cause. Du reste, c’est parce que « saisie » est un terme judiciaire que le droit administratif a créé celui de gel. Or le gel administratif présente l’inconvénient de n’être qu’administratif ; s’il faut saisir l’argent de criminels avant que celui-ci n’échappe à notre portée, la procédure appropriée est judiciaire. Que l’exécutif puisse geler des avoirs, surtout importants, de sa propre volonté, ne serait pas souhaitable : mieux vaut qu’ils soient placés sous main de justice, puis confisqués au terme d’un procès – à moins que vous ne comptiez nous exposer, à l’occasion de l’examen de l’article 5 bis, les cas de figure dans lesquels la justice serait inopérante. S’il ne s’agit que du manque de magistrats, de réactivité, nous en revenons à la question des moyens, devenus la variable en fonction de laquelle telle ou telle décision sera prise, telle ou telle voie utilisée !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Nous ne cherchons qu’une chose : la rapidité, – à défaut de laquelle, lorsque nous voulons agir, les fonds sont partis ! Vous ne voulez pas de gel ; dans le même temps, vous vous demandez si nous avons les moyens nécessaires pour nous attaquer à l’argent des criminels.
Si l’on vous suit, vous êtes en train de nous dire exactement le contraire : il ne faudrait ni geler, ni saisir, ni stopper l’argent.
Le gel administratif a une vertu : il peut être activé avant condamnation, sur ordre administratif, précisément pour éviter que l’argent ne parte dans un autre pays et qu’on ne puisse plus le récupérer. Par conséquent, nous sommes favorables au gel administratif introduit par l’article 5 bis, mais défavorables au rétablissement du gel judiciaire. Le but, c’est que les services puissent taper au portefeuille, par anticipation de ce qui nous désarme, à savoir la fuite des capitaux à l’étranger dans des juridictions non coopératives – même si nous nous battons pour qu’elles coopèrent. Entre-temps, nous voulons geler l’argent et le saisir. (M. Sébastien Huyghe applaudit.)
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Très bien !
(Les amendements identiques nos 20 et 883 ne sont pas adoptés.)
Article 5 bis
M. le président
Je vous informe que sur l’amendement no 265 et sur l’article 5 bis, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire de demandes de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi
Reconnaissons que vous êtes assez convaincante, madame la ministre. Vous l’avez été tout à l’heure dans votre démonstration sur les entreprises de blanchiment liées aux agences de location, vous l’êtes encore sur l’idée simple de taper au portefeuille. Je partage cet objectif et il y a là quelques points de rencontre entre ce que vous affichez et ce que nous souhaitons depuis le début. Au passage, nous regrettons que nous ayons passé beaucoup de temps sur des dispositifs qui ne s’attaquent pas au haut du spectre.
Par cet article, vous créez un mécanisme de gel administratif des avoirs, mesure qui peut se comprendre dans des circonstances particulières, notamment en cas de risque immédiat d’exil fiscal – comme vous l’avez évoqué, bien que ce ne soit pas explicitement mentionné dans le texte. Néanmoins, ce dispositif peut porter atteinte aux libertés individuelles et à la propriété privée – permettez-moi de la défendre, vous ne m’entendrez pas toujours le faire de cette façon. Vous risquez de vous retrouver face à des personnes mises en cause dans le cadre d’une enquête, suspectées d’être les récipiendaires ou les propriétaires de fonds méritant qu’une enquête soit diligentée, mais ne justifiant pas forcément d’être saisis immédiatement dans la mesure où un minimum de vérifications serait nécessaire. Si un juge judiciaire en était chargé, nous aurions au moins une procédure contradictoire, des droits de la défense plus équitables et l’assurance que si les biens doivent être gelés – ce à quoi je souscrirais – l’opération soit garantie par le juge judiciaire. Cela me semble de bon aloi et équilibré.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
L’article 5 bis crée un gel administratif des avoirs. Je comprends la cohérence du gouvernement dans ses propos.
À la fin de mon argumentation précédente, je voulais faire le parallèle avec l’interdiction de paraître, qui existe déjà en matière judiciaire. Le juge peut la prononcer dans le cadre de la condamnation, y compris en pré-sentenciel : pendant l’enquête en cours, c’est-à-dire avant même que l’individu ne soit condamné, il peut la décider s’il estime que le mis en cause ne doit pas retourner sur certains lieux parce qu’il risquerait de commettre de nouvelles infractions ou, tout simplement, de fragiliser l’enquête. Là, c’est la même chose.
Vous avez expliqué, madame la ministre, que le gel administratif est utile pour empêcher l’argent de partir à l’étranger, avant la condamnation. Au début, j’ai bugué ; j’ai pensé qu’il y avait un truc que je n’avais pas pigé. Je me suis donc replongé dans le sujet. La différence entre la saisie et la confiscation, c’est précisément que la saisie arrive avant le jugement – on prend l’argent à titre préventif pour le geler, c’est-à-dire le saisir pour reprendre le verbiage judiciaire – ;…
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Non, un gel et une saisie, ce n’est pas la même chose !
M. Ugo Bernalicis
…ensuite, une fois que le jugement sera prononcé, cela deviendra une confiscation. Par conséquent, la saisie a le même effet que le gel.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Non !
M. Ugo Bernalicis
L’argent est pris et ne peut plus s’échapper. Je vous vois faire non de la tête, madame la ministre, mais vous m’expliquerez en quoi il y a une différence entre les deux.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Elle fait non de la tête, mais elle peut le faire avec les mains aussi !
M. Ugo Bernalicis
Cela marche aussi. J’estime que la procédure judiciaire offre davantage de garanties à tout le monde, que ce soit à la société et aux individus, mais aussi dans le cadre de la procédure elle-même, parce qu’un gel a une durée limitée. Mais peut-être espérez-vous enchaîner avec une procédure judiciaire ensuite. Toutefois, si vous avez gelé les avoirs à tort, vous serez obligée d’indemniser la personne concernée, ce qui n’est pas le cas dans une procédure judiciaire. La justice, la justice, la justice.
M. le président
Monsieur Bernalicis, souhaitez-vous défendre l’amendement no 265, tendant à supprimer l’article 5 bis ?
M. Ugo Bernalicis
Oui. S’il y a une différence, je ne demande qu’à être convaincu, parce que nous avons tous la même volonté d’empêcher l’argent de fuir. Le pognon bouge à la vitesse de l’éclair et peut être placé dans une banque ou sur un autre compte en quelques clics. L’argent, notamment les devises, est très mobile et si les individus se savent surveillés, il peut disparaître très vite et l’on perd sa trace. Ce n’est pas la même chose que de ne pas pouvoir le saisir mais, finalement, le résultat est le même. En même temps, si sa trace a été perdue, on sera confronté au même problème, qu’il ait été gelé ou non.
J’aimerais donc vraiment comprendre ce qui ne peut pas être fait au moyen d’une saisie en matière judiciaire que le gel permettrait – si tant est qu’il y ait une différence fondamentale. Bien sûr, j’entends l’argument de la rapidité. Néanmoins, celui-ci n’est pas acceptable pour un républicain, un démocrate et un défenseur de l’État de droit que je suis. Vous nous expliquez que vous manquez de moyens, de magistrats et que, comme il faut bien agir, l’administration s’en chargera. Je ne suis pas d’accord avec ce type de raisonnement ! Si vous n’avez pas assez de magistrats pour les saisies, vous n’avez qu’à en augmenter le nombre. Si la plateforme d’identification des avoirs criminels (Piac) manque d’enquêteurs et d’enquêtrices pour opérer des saisies, alors donnez-lui suffisamment de personnel. Cela apporterait des garanties à tout le monde, notamment si l’on veut être efficace en matière de répression du blanchiment opéré par les narcotrafiquants.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur cet amendement de suppression de l’article ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Geler, cela veut dire figer ; cela signifie qu’on ne peut plus faire d’opérations bancaires, que l’argent ne peut plus bouger, qu’il ne peut pas être transféré et qu’il n’est plus possible de retirer des espèces à partir d’un compte bancaire. Le juge est prévenu ; on judiciarise l’affaire et on peut alors saisir, confisquer et, le cas échéant, utiliser les fonds pour l’État, l’argent public, les associations de victimes ou autres. Geler, c’est ce que l’on peut faire le plus rapidement possible, lorsqu’il existe un soupçon et un risque de fuite à l’étranger. Ensuite, on saisit et on agit.
Ne nous perdons donc pas en conjectures ni en grandes arguties. Nous connaissons très bien ce mécanisme pour les avoirs terroristes et il fonctionne. L’idée est de l’étendre à un cas très grave, face au risque que des dizaines de millions d’euros quittent le territoire et soient dispersés sur des comptes en banque à travers le monde. Si ce modèle marche pour le terrorisme, pourquoi ne pas l’appliquer au narcotrafic ? Voilà ce que nous vous proposons. C’est pourquoi je suis défavorable à la suppression de l’article 5 bis.
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi
Je suis contrarié parce que vous êtes convaincante mais vous n’allez pas au bout de votre démonstration. Vous avez, à juste titre, expliqué qu’il fallait se prémunir de tout risque d’évasion de l’argent mal acquis et que celui-ci devait être récupéré non seulement parce qu’il revient à l’État mais aussi parce qu’il est le fruit de forfaitures criminelles.
Nous comprenons qu’on puisse geler cet argent pour empêcher son départ. Imaginez toutefois que la décision prise soit erronée – on peut toujours se tromper. En gelant l’argent, vous empêchez tout retrait en France. Or le comble, dans une société de justice, c’est précisément l’injustice et le fait de s’être trompé. Ce que nous demandons, c’est non de revenir sur le fond de votre proposition, qui paraît pertinente, mais de garantir qu’il s’agira d’une décision judiciaire. Il n’est d’ailleurs pas sûr que cela prenne beaucoup plus de temps mais, puisque le garde des sceaux est présent, peut-être pourra-t-il nous éclairer sur ce point ? S’il ne peut pas, j’en serais doublement contrarié. Il me semble que nous pourrions nous mettre d’accord ; vous avez, monsieur le ministre, une capacité à nous aider à améliorer le texte et nous sommes toujours partisans – nous en avons fait la démonstration hier – de le faire. Nous pourrions donc prendre quelques instants pour y travailler et, si nous avions la garantie d’une décision judiciaire, j’y souscrirais sans réserve. Sauf qu’elle n’est pas acquise à ce stade ! (Mme Sandra Regol applaudit.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 265.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 97
Nombre de suffrages exprimés 91
Majorité absolue 46
Pour l’adoption 31
Contre 60
(L’amendement no 265 n’est pas adopté.)
M. le président
Sur l’amendement no 768, je suis saisi par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
M. le président
La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir cet amendement.
M. Sébastien Huyghe
L’amendement vise à renforcer l’efficacité du dispositif de gel administratif des avoirs en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants. Tout d’abord, il introduit une obligation déclarative des personnes ou des entités visées par une mesure de gel, afin d’assurer une meilleure transparence et une meilleure traçabilité des fonds gelés. Celles-ci devront déclarer au ministre de l’économie leurs fonds et ressources économiques, au-delà d’un seuil défini par décret.
Ensuite, il supprime la limite de trois renouvellements de la mesure de gel, afin d’aligner ce dispositif sur ceux existants en matière de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent. Il s’agit d’éviter qu’une contrainte purement formelle ne limite l’action de l’État lorsque la menace persiste.
Enfin, l’amendement supprime la mention de l’information du parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco), car cette précision ne relève pas du domaine législatif. Dans les faits, cette information restera systématique, comme cela se pratique déjà dans la lutte contre le terrorisme.
L’amendement apporte donc une plus grande cohérence et une meilleure efficacité au dispositif de gel des avoirs, dans la lutte contre le narcotrafic.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Favorable à titre personnel, mais la commission a émis un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Favorable.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Je ne vois pas l’intérêt d’ajouter ces précisions, puisque rien ne vous empêche d’avertir le procureur national anti-criminalité organisée en cas de gel – ou toute autre juridiction d’ailleurs, car la saisie de sommes importantes peut concerner d’autres types d’infractions. Vous voulez les centraliser au Pnaco, très bien – c’est votre truc.
Lorsqu’en matière judiciaire, l’argent ou le compte en banque sont saisis, on ne peut plus retirer l’argent du compte, madame la ministre ! Il est bloqué et géré par l’Agrasc. C’est précisément le principe de la saisie : récupérer les avoirs et les transférer temporairement, à titre préventif – comme la détention provisoire, en quelque sorte –, à l’Agrasc, qui les gère. À moins qu’il y ait un truc qui m’échappe, un élément de droit qui ferait que la saisie ne couvrirait pas la même chose que le gel ?
En revanche, en ce qui concerne la rapidité, vous avez raison : d’un côté, il suffit qu’un ministre signe un papier pour que les avoirs soient saisis ; de l’autre, il y a un magistrat, qui se dote de garanties et mène une enquête avec les services, avant de frapper et de saisir l’argent. Toutefois, il ne prévient pas les intéressés. Par conséquent, si l’enquête est bien menée, il n’y a pas de problème. Et si vous disposez d’un renseignement administratif, à vous de le judiciariser le plus vite possible, pour que la saisie soit faite par l’autorité judiciaire ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Le procès suivra son cours et les biens seront confisqués. Je suis désolé, mais vous ne m’avez pas répondu sur ce point. Vous avez laissé croire qu’en cas de saisie, à la différence du gel, on pouvait encore prendre l’argent sur le compte en banque. Eh bien non !
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Soit je ne m’exprime pas clairement, soit certains ne veulent pas comprendre. (« Oh non ! » sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Antoine Léaument
Si, mais on n’a pas bien saisi !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Pour saisir l’argent, il faut déjà qu’il y en ait : si la personne mise en cause comprend qu’elle est soupçonnée et organise la fuite des capitaux que vous n’avez pas préalablement gelés, vous pourrez avoir judiciarisé tout ce que vous voulez, vous n’aurez plus rien à saisir !
M. Ugo Bernalicis
Ça vaut aussi pour le gel !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Non, parce que le gel est immédiat. C’est très rapide à appliquer : je gèle, je préviens le juge, qui me donne l’autorisation, et je saisis. Cela s’appelle une séquence : gel administratif, puis judiciarisation, puis saisie, puis revente, puis condamnation, on l’espère, à la fin. Et s’il n’y a pas de condamnation, nous remboursons la personne innocentée.
Mme Élisa Martin
Avec des indemnités !
M. Antoine Léaument
Avec intérêts ou sans intérêts ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
C’est donc très clair. Vous devriez peut-être faire un plus gros effort de compréhension. D’abord on gèle, puis le juge permet la saisie ; ainsi, on a stoppé le trafic et la fuite des capitaux. Je pense que tout le monde a compris.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 768.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 93
Nombre de suffrages exprimés 92
Majorité absolue 47
Pour l’adoption 59
Contre 33
(L’amendement no 768 est adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’article 5 bis, tel qu’il a été amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 94
Nombre de suffrages exprimés 92
Majorité absolue 47
Pour l’adoption 81
Contre 11
(L’article 5 bis, amendé, est adopté.)
M. le président
Sur les amendements nos 203, 224, 225 et sur l’article 6, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés de demandes de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Article 6
M. le président
La parole est à Mme Céline Hervieu.
Mme Céline Hervieu
L’article 6 élargit les possibilités de transmission d’informations entre les services judiciaires et les services de renseignement. Actuellement, ce partage est limité aux affaires de terrorisme, d’ingérence étrangère ou d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Si l’article était adopté, les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et le Pnaco pourraient partager plus facilement des informations avec les services de renseignement pour les infractions les plus graves relevant de la criminalité organisée.
Le groupe socialiste est favorable à l’élargissement des transmissions d’informations entre l’institution judiciaire et les services de renseignement, mais cette extension doit être strictement proportionnée et cantonnée à ce qui est nécessaire de façon à protéger le secret de l’instruction et à respecter les droits fondamentaux des personnes – c’est la ligne de crête sur laquelle nous nous situons car dans le champ des infractions pour lesquelles la transmission d’informations sera autorisée figure la dégradation de biens communs, infraction qui peut ne pas avoir de lien avec le narcotrafic. Nous voulons poser des garde-fous et vous alerter sur le champ des infractions retenues. Nous développerons notre position lors de la présentation des amendements, en particulier de ceux de mon collègue Paul Christophle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
L’article 6 étend le dispositif de transmission d’informations par le procureur de la République de Paris aux services de renseignement, à tous les procureurs de la République d’une part, et à la totalité des infractions relevant de la criminalité organisée, d’autre part. Actuellement, seul le procureur de la République de Paris est habilité à transmettre aux services de renseignement des informations recueillies dans le cadre d’enquêtes portant sur le crime organisé, en particulier en matière de trafic d’armes et de stupéfiants. L’article étend cette possibilité à l’ensemble des procureurs de la République et élargit le périmètre des infractions concernées.
Nous pourrions être d’accord avec cet élargissement, mais compte tenu de l’écriture actuelle et de l’absence d’encadrement, cela nous semble difficile. L’article accentue la porosité entre le judiciaire et le renseignement, ce qui présente plusieurs dangers. Outre la violation du secret de l’instruction, l’information des services de renseignement peut leur permettre de déclencher à leur tour des techniques de renseignement qui ne sont pas soumises aux mêmes exigences de recours et de transparence. Nous aimerions des précisions et une meilleure délimitation du périmètre pour pouvoir voter cet article – en l’état actuel, nous ne le pourrons pas.
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Nous sommes particulièrement préoccupés par le secret de l’instruction. Nous devons le préserver, dans l’intérêt de tous, d’autant plus que l’Assemblée a voté en faveur du dossier coffre. Pour le mis en cause, ce sont plusieurs boîtes noires qui finissent par s’additionner ! Les services de renseignement qui détiennent des informations obtenues grâce à cette transmission pourront déclencher d’autres procédures, mécanismes, ou techniques spéciales d’enquête, sans que le mis en cause et son avocat en aient connaissance. C’est la raison pour laquelle nous nous opposons à la circulation non maîtrisée des informations.
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 376 et 377.
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l’amendement de suppression no 376.
M. Antoine Léaument
Il est défendu.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir l’amendement no 377.
M. Ugo Bernalicis
Tout le monde est attaché au secret de l’instruction – c’est un principe fondamental. L’article 11 du code de procédure pénale prévoit une dérogation : il autorise le procureur de la République et lui seul à rendre publiques certaines informations, pour des raisons d’ordre public, lors de conférences de presse – on l’a vu en matière de terrorisme. Sur le fondement de cet article, il peut théoriquement transmettre de telles informations aux préfets et aux services sous leur autorité, pour leur permettre d’agir sur le plan administratif. En matière de terrorisme, si l’on se rend compte, lors d’une enquête visant à déjouer un attentat, qu’un autre se prépare, l’on doit vite prévenir le préfet et les services de police pour qu’ils puissent le déjouer – on ne va pas perdre de temps à rouvrir une nouvelle enquête. Le procureur de la République peut déjà agir ainsi sur le fondement de l’article 11.
Mais nous avons préféré le graver dans le marbre. L’article prévoit une transmission non seulement ascendante, mais également descendante – les services de renseignement peuvent, eux aussi, demander des informations au procureur de la République. Vous voulez à présent étendre cette dérogation au narcotrafic – à la criminalité organisée plus précisément. Il n’est pas sain de prévoir de tels allers-retours et d’autoriser les services de renseignement à aller piocher dans les enquêtes judiciaires. En revanche, une fois qu’elles sont closes, on peut faire du renseignement criminel en vue de produire une analyse et de transmettre des données : c’est ce que fait le service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco).
Je ne sais pas quelles sont les situations non couvertes aujourd’hui par la dérogation de l’article 11 autorisant le procureur de la République à transmettre des informations pour des motifs d’ordre public, et que vous souhaitez couvrir grâce à ces dispositions – à moins de considérer comme l’a dit ma collègue Élisa Martin qu’avec le dossier coffre, on pourra mettre de côté un élément d’une enquête, par exemple un micro qui n’a pas apporté d’information utile, sans indiquer la date et l’heure, de sorte que personne ne saura qu’il a existé, et transmettre le contenu de l’écoute au service de renseignement.
M. le président
La parole est à M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.
M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Monsieur le président, je suis heureux de vous retrouver – j’espère que tous les parlementaires partagent ce sentiment.
M. Vincent Caure, rapporteur
Chers collègues, par ces deux amendements, vous voulez supprimer l’article 6, qui étend les possibilités de communication d’informations judiciaires aux services de renseignement. Cet élargissement est tout sauf anormal, il est utile – c’est même une mesure de bon ordre.
Je comprends votre interrogation concernant la transmission d’informations couvertes par le secret de l’instruction. On a beaucoup cité le rapport Léaument Mendes. Pour ma part, je vous invite aussi à consulter l’état d’avancement des travaux de vos rapporteurs après les auditions – il y est question de ce sujet et nous y présentons nos arguments en faveur de la mesure. L’article 6 a été réécrit dans un sens plus restrictif au Sénat. Madame Sebaihi, la transmission d’informations ne concerne pas tous les procureurs : elle a été limitée au Pnaco et aux procureurs des Jirs ainsi qu’à certaines infractions situées au plus haut du spectre de la criminalité. Compte tenu de ces deux éléments, le dispositif me semble recevable et même nécessaire. Avis défavorable.
Mme Sabrina Sebaihi
Et sur le secret de l’instruction ?
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je pense que vous avez parfaitement compris le dispositif et que nous sommes en parfait désaccord – c’est un fait. On peut prendre pour modèle la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et le parquet national antiterroriste (Pnat). Le texte fait d’ailleurs ce parallèle : l’article 1er prévoit de placer l’état-major criminalité organisée auprès de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) et l’article 2 crée le Pnaco – il y a une cohérence dans le texte, vous l’aurez remarqué.
Dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, le phénomène est beaucoup plus marqué : 90 % des affaires – peut-être un petit peu moins, je caricature – relèvent du renseignement et sont judiciarisées dans un second temps – elles sont peu nombreuses en comparaison du Pnaco. Dans le champ de la criminalité organisée, les affaires sont essentiellement judiciaires et comportent un tout petit peu de renseignement. Nous voulons renforcer la part du renseignement, mais celle-ci ne sera jamais très importante.
Revenons sur l’exemple de la DGSI et du Pnat : lorsque des écoutes sont mises en place et que le pouvoir judiciaire détient des informations, à la suite d’un attentat, de soupçons de blanchiment ou d’organisation terroriste et que le Pnat ouvre une enquête, certaines de ces informations peuvent éclairer les services de renseignement, comme la DGSI sur le réveil de la zone de l’État islamique au Khorassan – c’est normal, cela ne viole pas le secret de l’instruction. Il est très intéressant pour les services de renseignement de connaître l’évolution des diverses menaces terroristes. Dans le cas du terrorisme islamiste, il peut s’agir de l’État islamique au Maghreb, de l’État islamique au Khorassan, d’Al-Qaïda. De la même manière, les groupes d’ultradroite ne constituent pas une menace uniforme.
Les services du procureur de la République peuvent, à l’occasion d’écoutes installées dans le cadre d’une enquête judiciaire, recueillir des informations qui intéressent l’État pour se protéger. Inversement, il est tout à fait normal que les services de renseignement qui ont connaissance d’infractions et disposent d’informations permettant d’expliquer des circuits et de comprendre ce qui va se passer, les transmettent au procureur. C’est ce qui justifie le partage d’informations entre la DGSI et le Pnat. C’est la même chose pour le Pnaco. J’ai été ministre de l’intérieur pendant quatre ans et demi, je peux vous le dire. M. Aurélien Rousseau, qui a été directeur de cabinet de la première ministre, peut vous le dire également.
M. Ugo Bernalicis
Vous n’êtes plus ministre de l’intérieur !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Non. Monsieur Bernalicis, je sais que cela vous plairait – je vous ai beaucoup manqué. On ne sait jamais – il ne faut pas écarter l’idée d’un revers de la main. (Sourires sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Plus sérieusement, lorsque le procureur transmet des informations à la DGSI sur l’état de la menace et sur les organisations terroristes, il ne lui communique pas d’informations judiciaires. Les informations transmises par le Pnat à la DGSI ne portent pas sur le contenu de l’enquête : elles concernent les circuits, les organisations et les contacts susceptibles d’aider la DGSI à intervenir sur le plan administratif dans le domaine du renseignement.
Évidemment, quand on n’est pas d’accord sur le fait que la DGSI ou la DNPJ soient chefs de file, ni sur l’existence de parquets spécialisés comme le Pnat ou le Pnaco, ni pour que leur action comporte un volet renseignement, on ne peut pas être d’accord avec cet article.
M. Ugo Bernalicis
C’est une forme de cohérence !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Tout à fait, nous avons chacun notre cohérence. Mais ce n’est ni une violation organisée du secret de l’instruction, ni un abandon de la barrière entre l’administratif et le judiciaire. Les juridictions doivent évidemment renseigner le renseignement. Si nous n’adoptons pas ce genre d’article pour le terrorisme comme pour la criminalité organisée, on devra attendre la fin des affaires pour faire du renseignement criminel. Comme celles-ci peuvent durer cinq ou dix ans dans le cas du terrorisme et trois, quatre, cinq, six ans, dans le cas de la criminalité organisée, nous serons en retard d’une guerre. Je crains que nous ne soyons absolument pas d’accord avec les amendements de suppression défendus par M. Bernalicis. Il faut absolument les rejeter.
M. le président
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Nous nous opposerons évidemment à ces amendements de suppression. Nous avons déjà un retour d’expérience, comme le disait M. le garde des sceaux. En matière de terrorisme, le partage d’informations entre la DGSI et le Pnat fonctionne très bien : le fait que les magistrats communiquent avec les services de renseignement leur permet d’être beaucoup plus efficaces.
Votre vision des magistrats est à géométrie variable. L’une de nos collègues a évoqué le dossier coffre. Selon vous, nous ferions porter la suspicion sur les avocats ; de votre côté, c’est sur les magistrats que vous la faites peser. N’oubliez pas que le dossier coffre exige une requête du procureur auprès du juge des libertés et de la détention et que la chambre d’instruction exerce ensuite un contrôle. Ce dispositif est donc parfaitement louable et il fonctionne très bien. N’oubliez pas non plus que les réseaux de criminalité organisée sont organisés avec une grande intelligence – c’est la raison pour laquelle on parle de criminalité organisée. Nous devons absolument nous opposer à ces amendements de suppression. Les magistrats doivent travailler en coopération avec les services de renseignement pour être plus efficaces.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Nous sommes bien d’accord que l’article 11 du code de procédure pénale, dès lors que l’ordre public est en jeu, permet au procureur de la République, pour n’importe quelle infraction ou délit, d’appeler le préfet afin de lui transmettre des informations sur une enquête en cours. Ces informations ne touchent pas au cœur de l’enquête ni à ses aspects judiciaires : elles concernent l’ordre public. Cette articulation est déjà prévue pour toutes les matières.
M. Ugo Bernalicis
Vous l’avez posé noir sur blanc dans la loi s’agissant du terrorisme : ces échanges ne se font pas seulement de manière ascendante. Le parquet transmet des informations aux services de renseignement et ces derniers peuvent non seulement transmettre des informations au procureur de la République – j’espère qu’ils le font et qu’ils judiciarisent les affaires lorsqu’ils le jugent nécessaire, on va partir du principe que c’est le cas – mais aussi demander des informations au procureur de la République.
Vous voulez le nier s’agissant du Pnaco. Je répète ma question très précise. Aujourd’hui, le Sirasco fait du renseignement criminel sur les enquêtes qui sont closes – c’est déjà le cas, les informations sont transmises et font l’objet d’une investigation, je l’espère néanmoins – ils n’ont pas beaucoup de moyens, mais c’est un autre sujet.
Prenons le cas d’une enquête au cours de laquelle on a posé un micro. Certaines choses ont été entendues mais elles ne serviront pas à mettre en cause la personne, puisqu’elles ne constituent pas des preuves ; ces éléments sont placés dans le dossier coffre afin qu’on ne puisse pas identifier les agents qui ont posé le micro. L’avocat et le mis en cause ne sauront jamais ce qu’il en a été – date, heure, etc – et ignorant l’existence même de ces écoutes, n’en demanderont pas le contenu. En revanche, ces éléments figureront bien dans le dossier coffre.
La question est la suivante : est-ce que, avec l’article 6, ces éléments qui n’auront pas été utilisés dans le dossier judiciaire pourront quand même être transmis aux services de renseignement ?
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
La réponse est : non. Vous mélangez deux choses bien distinctes. La DGSI, la DNPJ ne sont pas seulement des services de renseignement, ce sont aussi des services d’enquête. Comme ils sont placés sous l’autorité du procureur de la République, il n’est pas anormal que celui-ci soit le chef du service d’enquête – cette situation est aussi vieille que les codes pénal et de procédure pénale. À ce titre, il ne s’agit pas d’une information administrative ordinaire. Votre comparaison avec le préfet est donc mauvaise puisqu’il s’agit de services d’enquêteurs habilités comme officiers de police judiciaire (OPJ).
Par ailleurs, je répète qu’il n’existe aucun lien entre d’une part le dossier coffre et les techniques utilisées dans un cadre judiciaire, d’autre part le renseignement, ascendant ou descendant, entre le procureur et les services.
M. le président
Vu la dispersion des forces, je vais procéder à un scrutin public.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 376 et 377.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 97
Nombre de suffrages exprimés 83
Majorité absolue 42
Pour l’adoption 10
Contre 73
(Les amendements identiques nos 376 et 377 ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à M. Paul Christophle, pour soutenir l’amendement no 203.
M. Paul Christophle
Comme cela a été rappelé, le secret de l’instruction est un principe fondamental, auquel nous sommes très attachés. Nous comprenons toutefois qu’il soit nécessaire de transmettre certaines informations, notamment dans les affaires de terrorisme ou d’ingérence étrangère – des cas d’espèce ont montré que c’était utile – et d’étendre cette possibilité au champ de la criminalité organisée.
Toutefois, et c’est l’un des problèmes de cette proposition de loi où cohabitent narcotrafic et criminalité organisée, plusieurs crimes et délits visés à l’article 706-73 du code de procédure pénale ne nous semblent pas justifier des transmissions d’information. C’est le cas du crime de destruction, dégradation et détérioration d’un bien commis en bande organisée, dont je ne suis pas certain qu’il ait un lien avec le haut du spectre du narcotrafic – les collectifs militants qui ont pu être poursuivis sur le fondement du 9o de l’article 706-73 ne devraient pas faire l’objet d’une transmission d’informations aux services de renseignement. C’est le cas aussi des crimes et délits d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France commis en bande organisée, visés au 13o du même article. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Léa Balage El Mariky applaudit également.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Avis favorable de la commission, défavorable à titre personnel.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Avis défavorable.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 203.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 96
Nombre de suffrages exprimés 95
Majorité absolue 48
Pour l’adoption 34
Contre 61
(L’amendement no 203 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Paul Christophle, pour soutenir l’amendement no 224.
M. Paul Christophle
Ni le rapporteur ni le ministre n’ayant explicité leur avis, j’ignore lesquelles de ces infractions il leur répugne de retrancher du champ, bien trop étendu, de la disposition. Avec cet amendement et le suivant, ils auront la possibilité de donner une consigne de vote différente selon les crimes visés.
Le présent amendement vise à supprimer la référence au 9o de l’article 706-73.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Nous avons déjà évoqué les articles 706-73, 706-73-1 et 706-74 du code de procédure pénale au cours de nombreux débats, tant sur le champ infractionnel que sur la manière dont on englobait la criminalité organisée. Le ministre a rappelé l’intérêt de cet article et je ne vois pas l’utilité d’y supprimer la référence aux 9o et 13o de l’article 706-73. La commission a émis un avis favorable ; le mien reste défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Monsieur le député, pardon, mais je ne pensais pas que vous pensiez sérieusement faire adopter ce que je prenais pour un amendement d’appel. Je m’étonne que vous ne voyiez pas le lien entre la criminalité organisée et des gens qui, par exemple, placent des bombes sur des voies ferrées. Pensez-vous vraiment qu’il s’agisse de militantisme ? Dans ce cas, nous n’avons pas le même rapport à la République et à l’ordre public. J’imaginais qu’un député socialiste, donc républicain, aurait déposé cet amendement dans le seul but d’évoquer le sujet. J’y suis évidemment très défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol.
Mme Sandra Regol
Monsieur le ministre, les exemples que vous avez pris et les réponses que vous avez données laissent subsister deux craintes. D’une part, comme l’a expliqué Sabrina Sebaihi, la transmission d’informations aux services de renseignement risque de déclencher l’usage d’autres techniques de renseignement. Qu’advient-il quand on ajoute un dispositif à l’autre ? Cela ne nous engage-t-il pas dans une sorte de multiplication des boîtes noires ? D’autre part, le champ de la disposition est étendu et il faut bien dire que les amendements socialistes visant à le restreindre sont de nature à nous rassurer.
M. le président
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Je me demande bien d’où vient votre suspicion permanente envers les magistrats et les services de renseignement. Depuis le début de l’examen du texte, on sait que vous y êtes opposés, que vous voulez le vider de sa substance.
M. Pierre Pribetich
Quelle rengaine !
M. Michaël Taverne
On se calme !
M. le président
Vous seul avez la parole, monsieur Taverne.
M. Michaël Taverne
Très sincèrement, quelle défiance ! Faites donc confiance aux magistrats et aux policiers, qui travaillent dans l’intérêt général pour assurer la sécurité des Français !
Mme Elsa Faucillon
Dit celui qui défilait sous le mot d’ordre « le problème de la police, c’est la justice »…
M. Michaël Taverne
On entend des propos extravagants ce soir. Faites leur confiance ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Mme Sandra Regol
La confiance n’empêche pas de poser un cadre !
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 224.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 98
Nombre de suffrages exprimés 95
Majorité absolue 48
Pour l’adoption 35
Contre 60
(L’amendement no 224 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement no 225.
Mme Colette Capdevielle
Nous sommes d’accord : nous vivons dans un État de droit et nous souhaitons que les policiers et les juges travaillent bien. Le secret de l’instruction est un principe cardinal, auquel l’article 6 déroge, instaurant un régime d’exception – tout le monde en convient également.
Par cet amendement de repli, nous vous demandons de soustraire au champ de la disposition les infractions d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d’un étranger en France commises en bande organisée. Ces infractions n’ont rien à voir avec le terrorisme – il ne s’agit pas de placer une bombe sur une voie ferrée. Il n’est pas justifié de les inclure dans le régime d’exception que vous nous demandez de voter. Nous appelons nos collègues à suivre l’avis de la commission.
M. le président
Quel est-il, monsieur le rapporteur ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Favorable. Je suis, à titre personnel, défavorable à l’amendement.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Pardon mais il ne s’agit pas d’un ajout du gouvernement : une telle disposition existe déjà dans le code. Je vais vérifier pour ne pas dire de bêtises, mais il me semble que ce n’est pas notre majorité qui l’y a introduite.
Mme Colette Capdevielle
Si, vous avez inclus le 13o de l’article 706-73!
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
La possibilité de transmettre des informations relatives à des filières d’aide aux étrangers en situation irrégulière entre le parquet et les services de l’État existe déjà. Ce n’est pas un ajout de notre part, cela figure dans le code de procédure pénale depuis plus de vingt ans.
Mme Colette Capdevielle
Pour les actes de terrorisme !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Cela existait déjà, y compris à l’époque où vous étiez aux responsabilités. Je comprends que cela suscite des interrogations, mais ce n’est pas nous qui avons classé ces infractions parmi les crimes et délits en bande organisée.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis, contre l’amendement.
M. Ugo Bernalicis
Oui, j’y suis opposé car il ne change pas grand-chose au problème de fond. Je ne voudrais pas faire croire qu’une garantie supplémentaire pourrait rendre le dispositif acceptable.
Je me demande parfois si je ne suis pas un peu zinzin – « zinzinsoumis », diraient certains –, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Nous sommes en train de modifier l’article 706-105-1 du code de procédure pénale, qui prévoit que, par dérogation à l’article 11, le procureur de la République de Paris peut communiquer certaines informations à l’autorité administrative, pour des raisons d’ordre public. Nous sommes tous d’accord sur ce point.
Je poursuis par la lecture de l’article : « le procureur de la République de Paris », en l’occurrence le procureur antiterroriste, « peut, pour les procédures d’enquête ou d’instruction » – il s’agit donc bien des procédures en tant que telles – « entrant dans le champ d’application […] communiquer aux services de l’État » – donc aux services de renseignement – « de sa propre initiative » – pourquoi pas ? C’est déjà possible en application de l’article 11 – « ou à la demande de ces services » – il s’agit là d’une possibilité nouvelle introduite par l’article – « des éléments de toute nature figurant dans ces procédures et nécessaires à l’exercice de leur mission en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information. Si la procédure fait l’objet d’une information, cette communication ne peut intervenir que sur avis favorable du juge d’instruction. »
Tel est bien le dispositif sur lequel sera calqué celui qui régira le Pnaco. Je ne suis donc pas fou quand j’affirme qu’au cours d’une enquête, les services pourront aller piocher des informations dans un autre dossier en fonction des nécessités. Imaginons qu’une information, qui n’a pas été utilisée dans le cadre de l’enquête pour laquelle elle a été recueillie, a été placée dans le dossier coffre pour protéger l’identité des enquêteurs ou la manière dont les techniques spéciales ont été utilisées – ce que je peux entendre, nous avons perdu le vote de toute façon. Je ne vois pas en quoi l’article 706-105-1 empêcherait le magistrat de transmettre le contenu du dossier coffre aux services de renseignement puisque ce même article précise « des éléments de toute nature figurant dans ces procédures et nécessaires à l’exercice de leur mission ». (M. Antoine Léaument applaudit.)
M. Antoine Léaument
C’est limpide !
M. le président
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
Je voudrais pour ma part revenir sur l’article 6 dans son ensemble. M. le garde des sceaux a répondu en grande partie aux inquiétudes que nous nourrissions au début de son examen. Je tenais donc à dire la chose suivante : lorsque nous prenons le temps de dialoguer pour lever des incompréhensions, en l’occurrence l’ambiguïté qui demeurait entre le pouvoir administratif et celui des services du procureur en matière d’enquête, s’agissant notamment du secret de l’instruction, nous parvenons à avancer. Par conséquent, alors que nous étions plutôt partis pour voter contre l’article, nous allons finalement vous suivre.
M. Antoine Léaument
Oh !
Mme Sabrina Sebaihi
Enfin, collègues du Rassemblement national, je tenais à vous rassurer : nous avons toute confiance dans les services de justice et de police ! Nous n’avons aucun doute à leur sujet et nous avons confiance dans le travail qu’ils accomplissent. Nous ne craignons pas qu’ils aient accès à certaines informations sensibles, dans la mesure où cela peut les aider à mener leurs enquêtes dans de bonnes conditions. Nous avons tellement confiance que nous, contrairement à vous, n’avons pas manifesté pour expliquer que le problème de la police, c’est la justice ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC. – M. Antoine Léaument applaudit également.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 225.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 96
Nombre de suffrages exprimés 80
Majorité absolue 41
Pour l’adoption 20
Contre 60
(L’amendement no 225 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Sur un sujet susceptible de faire polémique dans un futur proche, je préfère répondre à M. Bernalicis. Vous évoquez le cas où un service, en l’occurrence la DNPJ – la police judiciaire –, travaille pour le Pnaco, en faisant des écoutes et en installant des dispositifs techniques ; les éléments de l’enquête se trouvent placés dans le dossier coffre.
M. Ugo Bernalicis
Oui !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Très bien. Vous imaginez alors une situation où le procureur de la République communique certains des éléments du dossier coffre, qui n’ont pas été utilisés dans le cadre de la procédure, à la DPNJ.
M. Ugo Bernalicis
S’ils contiennent une information intéressante, oui !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Comprenez-vous l’absurdité de votre histoire ? C’est la DNPJ qui a mené l’enquête !
M. Ugo Bernalicis
L’enquête judiciaire !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Oui, c’est ce dont nous parlons ! Le procureur de la République, à l’aide de son propre service de renseignement – en l’occurrence, on ne parle ni du Pnat, ni de la DGSI, ni du préfet –, utilise des techniques d’enquête telle que la pose de micros. Dans cet exemple très précis que vous avez évoqué,…
M. Ugo Bernalicis
Oui !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…ce n’est pas le procureur de la République lui-même qui pose le micro : c’est le service de police judiciaire, nous sommes bien d’accord ?
M. Ugo Bernalicis
Sous le contrôle du procureur ! Celui qui le fait n’a pas le droit d’en parler à ses collègues !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Sous le contrôle du procureur, oui, mais vous savez très bien comment fonctionnent la police nationale ou la DGSI ! Mais peut-être vos arguments n’en sont-ils pas vraiment ; dans ce cas, je me rassois et nous avançons.
D’abord, ce dont nous parlons existe déjà, monsieur Bernalicis : vous le savez puisque ce que nous faisons ici consiste simplement à étendre la dérogation aux informations qui ont trait aux meurtres en bande organisée, aux actes de barbarie et aux séquestrations. L’Assemblée doit savoir que la transmission d’informations entre l’autorité judiciaire et les services de renseignement, qu’elle soit descendante ou ascendante, existe déjà pour ce qui est des trafics de stups, d’êtres humains et d’armes.
M. Ugo Bernalicis
Oui !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Par conséquent, ne mélangeons pas les choses – j’imagine que vous ne le faites pas sciemment…
M. Ugo Bernalicis
Nous ne sommes pas d’accord !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je le sais, et cela importe peu – d’ailleurs, le jour où nous serons totalement d’accord sur un texte régalien (Sourires),…
Mme Sandra Regol
Ce serait un peu effrayant !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…c’est qu’il se sera passé quelque chose. Faites attention : avec l’âge, en général, on a tendance à se droitiser. (Rires.)
Mme Sandra Regol
Pas toujours !
M. Antoine Léaument
Je viens de l’autre côté, moi !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Ça peut arriver, en tout cas, même s’il y a de rares exceptions. (Mêmes mouvements.)
Comprenez-moi, monsieur Bernalicis : ce que je veux éviter, c’est que notre débat conduise les gens qui nous écoutent, à l’extérieur, à penser que le gouvernement cherche à combiner en quelque sorte le PV distinct, qui vous a occupé un certain temps – il a suscité des interrogations et des oppositions –, et la transmission d’informations avec les services de renseignement, qu’elle soit ascendante ou descendante. Ce n’est pas la même chose et ça ne peut pas l’être !
M. le président
Je mets aux voix l’article 6.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 98
Nombre de suffrages exprimés 98
Majorité absolue 50
Pour l’adoption 88
Contre 10
(L’article 6 est adopté.)
Après l’article 6
M. le président
La parole est à Mme Hanane Mansouri, pour soutenir l’amendement no 790 portant article additionnel après l’article 6.
Mme Hanane Mansouri
Il vise à créer un fichier national des trafiquants de stupéfiants. L’objectif est de recenser les récidivistes qui ont été condamnés pour trafic, production, importation ou vente de stupéfiants ; cet outil faciliterait le suivi de ces individus dans le cadre de l’enquête et donc le travail de nos forces de l’ordre, de nos magistrats et des services de douane.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Je perçois mal l’intérêt de cet outil. Peut-être vous rallierez-vous à la proposition soutenue notamment par le rapporteur Éric Pauget à l’article 9, c’est-à-dire la création d’une liste noire des organisations criminelles ? Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Ce fichier n’est pas une mauvaise idée en soi ; la question est de savoir s’il serait administratif ou judiciaire. Nous avons décidé, le ministre de l’intérieur et moi-même, que la DNPJ tiendrait une liste d’objectifs, comme elle a déjà l’habitude de le faire – mais en l’occurrence, la centralisation des informations serait gage d’une meilleure efficacité.
Ce fichier sera administratif et non judiciaire, et je pense qu’il est préférable pour tout le monde que ce soit le cas. Si nous passions par la loi pour le créer, il serait judiciaire, ce qui risquerait de compliquer le traitement des informations. Nous voulons donc qu’il soit administratif, comme le sont le FPR – fichier des personnes recherchées –, auquel appartiennent les fiches S, ou le FSPRT – fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Ce dernier, par exemple, est tenu par le ministère de l’intérieur et alimenté notamment par la DGSI, en particulier le service qui s’appelait autrefois l’Uclat – unité de coordination de la lutte antiterroriste –, qui dresse la liste des personnes soupçonnées d’être radicalisées ou d’aider à la radicalisation.
Je vous demande donc de retirer votre amendement : si nous en comprenons bien le principe, une telle manière de procéder nous embêterait beaucoup. Par ailleurs, comme vient de le dire le rapporteur Caure, M. Pauget a proposé une liste noire qui, elle, répertorierait les repentis potentiels. Lorsque cette loi sera votée, nous disposerons donc de deux fichiers ; mais le premier, celui de la DNPJ, n’a pas vocation à être adopté par voie législative.
M. le président
Retirez-vous l’amendement, madame Mansouri ?
Mme Hanane Mansouri
Je le maintiens.
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Par principe, nous éprouvons une certaine méfiance à l’égard de tout nouveau fichier. Peut-être y a-t-il quelque chose qui nous échappe mais ce fichier recenserait tous ceux qui ont commis une infraction liée aux stups – il va y avoir du monde !
Toutes ces personnes se trouvent dans le TAJ – traitement d’antécédents judiciaires –, n’est-ce pas ? L’intérêt du TAJ, c’est aussi de vérifier si ces infractions ne s’accompagnent pas, par exemple, de blanchiment, de proxénétisme aggravé ou que sais-je encore : il permet, et c’est utile, de voir d’emblée dans quel écosystème de criminalité la personne évolue. Peut-être l’ergonomie du TAJ mérite-t-elle d’être revue ? Quoi qu’il en soit, outre notre réserve de principe concernant la création de tout nouveau fichier, nous ne voyons pas l’intérêt concret, dans ce cas d’espèce, de créer un tel fichier.
(L’amendement no 790 n’est pas adopté.)
Article 7 bis
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l’amendement no 378 tendant à supprimer l’article.
M. Antoine Léaument
L’article 7 bis vise à rendre obligatoire la transmission d’informations relatives aux ports de plaisance aux Cross, les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants, qu’il faudrait d’ailleurs appeler les Croco, cellules de renseignement opérationnel sur la criminalité organisée – mais ce n’est que mon avis. (Sourires.)
Je comprends l’idée derrière cette transmission d’informations puisque désormais, une partie du trafic de stupéfiants transite par les ports de plaisance. On a ainsi pu observer que des centaines de kilos de cocaïne avaient été acheminés par catamaran. Quand on pense que les trafiquants en sont à utiliser des sous-marins, un catamaran, d’une certaine manière, c’est facile.
Néanmoins, le fait de transmettre aux services de renseignement un fichier comprenant l’intégralité des personnes passées par un port de plaisance nous semble disproportionné. Nous vous invitons donc à supprimer cette disposition – encore une création de fichier ! – car ce n’est malheureusement pas la bonne méthode. Ce qui permet de lutter efficacement contre le trafic de stupéfiants, c’est le renseignement humain, par lequel on essaie d’obtenir des informations pour savoir si un bateau de plaisance est susceptible de contenir des stupéfiants. L’Ofast – Office français antistupéfiants –, notamment, a arrêté des bateaux de plaisance après avoir obtenu des renseignements de ce type.
M. le président
La parole est à M. Roger Vicot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission. Bon retour sur nos bancs, monsieur le rapporteur !
M. Roger Vicot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Merci et désolé de cette interruption momentanée de la lumière et du son, qui a tout de même duré une bonne partie de la journée – j’en suis vraiment confus. Merci de votre indulgence !
Effectivement, les bateaux de plaisance peuvent constituer une sorte d’angle mort peu surveillé. Je privilégierai l’amendement suivant, déposé par M. Falorni, dont la rédaction est plus précise.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Mon amendement est très simplement rédigé, puisqu’il s’agit de « supprimer cet article ». (Sourires.) Je maintiens mon propos et je vais essayer d’argumenter pour convaincre nos collègues, eu égard au fait que, depuis le début de l’examen du texte, nos débats sont d’assez bonne facture – hormis quelques sorties assez déplorables, en particulier celles qui nous accusent d’être des ennemis de la patrie.
Pour parvenir à arraisonner des navires de plaisance qui transporteraient des stupéfiants, la bonne méthode, c’est de s’appuyer sur des renseignements obtenus en amont. Les renseignements en aval, même s’ils sont transmis à la Cross, ne serviront à rien : le bateau sera arrivé à destination et la cargaison de drogue aura été déchargée. Votre système est donc très sympathique, mais il ne sert qu’à faire joli dans un texte de loi ! Il vous permet de dire que cette fois-ci, vous avez trouvé une méthode hyperefficace pour lutter contre les bateaux de plaisance transportant de la drogue ; si ça vous fait plaisir, tant mieux, mais avec ce énième fichier, vous ferez encore perdre du temps à tout le monde. Les Cross vont se retrouver avec des tonnes de données sur les personnes passées par des ports de plaisance, qui ne leur serviront rigoureusement à rien ! En revanche, quand on parvient à obtenir des informations en amont, au moment où le bateau de plaisance arrive au port, on peut saisir la cocaïne et arrêter les gens qui se trouvent à bord ; ce faisant, on obtient des renseignements et on contribue utilement à la lutte contre le trafic de stupéfiants.
J’espère vous avoir convaincus d’adopter cet amendement de suppression, afin que nos services se concentrent sur ce qui est utile.
M. le président
Monsieur Dessigny, avez-vous été convaincu par M. Léaument ?
M. Jocelyn Dessigny
Malheureusement, monsieur Léaument, vous manquez de force de conviction : nous voterons contre votre amendement de suppression. Le dispositif instauré dans les articles précédents permettra d’agir beaucoup plus efficacement dans les principaux ports : les services de renseignement, qui auront accès au fichier des entreprises logistiques, pourront y intervenir de manière beaucoup plus performante. Mais les narcotrafiquants, on le sait, s’adaptent : si nous les empêchons de développer leur activité dans les plus grands ports, ils la déplaceront dans des ports plus petits, les ports de plaisance. Il faut donc maintenir cet article.
(L’amendement no 378 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz, pour soutenir l’amendement no 587.
Mme Anne Bergantz
Cet amendement de mon collègue Olivier Falorni vise à améliorer le fonctionnement du nouveau dispositif de recueil de données relatives aux navires de plaisance, prévu à l’article 7 bis. Nous proposons quatre modifications.
Premièrement, nous supprimons la mention des infractions criminelles, qui est trop large, ainsi que la référence à la Cross.
Deuxièmement, nous excluons du dispositif les navires qui restent dans leur port d’attache et les navires déjà concernés par le Passenger Name Record (PNR) maritime ; nous restreignons en outre le dispositif à une liste de ports qui sera fixée par arrêté ministériel.
Troisièmement, étant entendu que les données recueillies sont encadrées par la loi, nous renvoyons à un décret en Conseil d’État le soin d’en préciser la liste exacte ainsi que les modalités de leur transmission et celles du contrôle de l’identité des personnes transportées sur ces navires.
Quatrièmement, nous prévoyons une sanction pour les autorités portuaires qui ne rempliraient pas l’obligation de recueil et de transmission de ces données et complétons cette sanction par un délit d’habitude. De surcroît, une sanction sera prévue par voie réglementaire pour le capitaine du navire qui ne remplirait pas ses obligations de transmission des données.
M. Éric Martineau
Excellent !
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Roger Vicot, rapporteur
Je comprends l’intention de M. Léaument de cibler certains bateaux de plaisance. Je ne suis pas opposé à cette idée par principe. Néanmoins, il me paraît plus intéressant de retenir le présent amendement, qui apporte des précisions utiles au dispositif prévu à l’article 7 bis, notamment le fait que la liste des ports sera fixée par arrêté ministériel. Quant aux données recueillies, elles seront encadrées par la loi. J’émets un avis favorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Je suis opposé à cet amendement, et je veux vraiment que nous allions au fond du débat.
Une question juste a été soulevée : si l’on retient notre proposition d’installer des scanners là où c’est nécessaire, dans les grands ports industriels où arrivent les containers, les trafiquants se reporteront sur d’autres ports – je n’en disconviens pas. Il s’agira de ports situés à l’étranger, depuis lesquels ils achemineront la cocaïne et le cannabis par voie terrestre, ou de ports de plaisance, si nous faisons l’hypothèse qu’ils resteront sur les façades maritimes françaises.
Certes, il est intéressant de connaître la liste des bateaux de plaisance qui arrivent dans un port et celle des gens qu’ils transportent, mais vous allez noyer les Cross sous ces informations ; elles ne seront pas capables de les traiter correctement. Surtout, vous aurez une difficulté supplémentaire : vous allez détourner l’attention de ce qu’il faudrait réellement surveiller. Quel est l’objectif visé ? Savoir s’il y a de la cocaïne à bord de tel ou tel bateau de plaisance. Le renseignement doit être obtenu en amont et la clé, encore une fois, c’est le renseignement humain plutôt que la tenue de fichiers. À notre avis, il faudrait avant tout créer des postes dans les services de police chargés des enquêtes. J’espère vous avoir convaincus.
M. Jocelyn Dessigny
Toujours pas !
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol.
Mme Sandra Regol
Je remercie les auteurs de cet amendement, qui encadre un peu mieux le dispositif prévu à l’article 7 bis. Néanmoins, trois questions demeurent.
Premièrement, la transmission de ces informations restera pour les autorités portuaires une charge qu’il ne leur sera pas évident d’assumer. Qui plus est, vous ajoutez des sanctions assez lourdes pour le cas où ces obligations ne seraient pas remplies. Ce point mérite une discussion.
Deuxièmement, votre amendement ne modifie par la durée de conservation des données, fixée à cinq ans. Nous revenons toujours à ce problème de durée, très important à nos yeux.
Troisièmement, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, notre collègue Falorni a proposé ce dispositif en se fondant sur l’expérimentation menée dans le port de La Rochelle. Or nous ne disposons pas des éléments objectivés ni des retours d’expérience auxquels il a probablement eu accès. Pouvons-nous avoir des informations à ce sujet ?
M. le président
Je vais mettre l’amendement aux voix…
Mme Sandra Regol
J’attends des réponses !
M. le président
Je ne peux forcer personne à vous répondre, madame la députée…
Mais M. le ministre d’État semble vouloir le faire ; je lui donne donc la parole.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Les explications fournies par Mme Bergantz et par M. le rapporteur étaient très claires. Pour faire très simple, nous avons besoin, pour les bateaux de plaisance, d’un dispositif analogue au PNR. Vous avez vous-même relevé tout à l’heure que la drogue était transportée aussi par des bateaux de plaisance. M. Falorni, avec qui nous avons discuté de ce dispositif, n’a pas eu besoin d’avoir accès à une grande quantité d’informations. Nous constatons tout simplement qu’il n’existe pas de contrôle de l’identité des personnes qui arrivent dans les ports par bateau de plaisance.
(L’amendement no 587 est adopté ; en conséquence, l’amendement no 617 tombe.)
(L’article 7 bis, amendé, est adopté.)
Article 9
M. le président
La parole est à Mme Pascale Bordes.
Mme Pascale Bordes
L’article 9 permet de franchir un cap juridique important dans la lutte contre la criminalité organisée, puisqu’il consacre enfin dans notre droit pénal la notion d’organisation criminelle, distincte de celle d’association de malfaiteurs.
Cette infraction d’appartenance à une organisation criminelle, nouvelle et autonome, est particulièrement adaptée aux réalités des réseaux de narcotrafic. Ce changement est fondamental car les réseaux mafieux d’aujourd’hui n’entrent pas nécessairement dans les cases juridiques anciennes. Ces structures sont pérennes, hiérarchisées et professionnalisées, elles s’organisent dans la durée pour commettre des crimes en série, sans que la préparation d’un acte précis puisse toujours être immédiatement démontrée.
Cet article permettra d’étendre le champ des poursuites à tous ceux qui facilitent, financent, abritent ou soutiennent ces réseaux, même s’ils ne sont pas eux-mêmes en possession de drogue ou d’armes. Il permettra également de viser le logisticien, le guetteur, le comptable, le blanchisseur, bref tous ceux qui, de près ou de loin, sont responsables de cette entreprise criminelle qui continuera à déstabiliser notre État si nous ne faisons rien. Il faut enfin reconnaître la réalité de cette menace criminelle d’une ampleur inédite et donner à la justice les moyens de l’affronter, sinon à armes égales, du moins dans des conditions qui ne soient pas aussi mauvaises.
Cet article constitue une réelle avancée dans la lutte contre le narcotrafic et les narcotrafiquants. La preuve en est que la gauche et l’extrême gauche ont déposé, une fois de plus, des amendements de suppression – cela devient un gage de qualité !
M. le président
Sur les amendements nos 191, 383 et 425, qui tendent à supprimer l’article 9, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés et par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Lorsque l’on introduit des définitions dans le code pénal, il faut qu’elles soient claires et limpides. La notion d’organisation criminelle renvoie à une structure d’une nature quelconque préexistant à l’organisation d’un délit. C’est là que les choses se compliquent : comment définir la nature de cette organisation préexistante ? Depuis combien de temps doit-elle exister ? Peut-elle être plastique ? Par exemple, le type de délits qu’elle commet peut-il changer au cours du temps ?
Dans le code pénal existent déjà des notions clairement établies, y compris par la jurisprudence. Ainsi en va-t-il de l’association de malfaiteurs, définie comme « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ». Nous avons là ce qu’il faut pour caractériser ces réseaux de narcocapitalistes que l’on souhaite arrêter plus efficacement grâce à la présente proposition de loi. On trouve aussi la notion de bande organisée, qui correspond à l’idée d’une coopération pour organiser des infractions. Dans une bande organisée, les rôles sont répartis, et on peut retrouver tous ceux que Mme Bordes mentionnait à l’instant.
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi
Il est des questions juridiques, notamment relatives à l’évolution du droit pénal, qui peuvent paraître éloignées des passions politiques, mais qui sont intéressantes à traiter, surtout quand les choses sont ambiguës ou peu claires. J’ignore qui du rapporteur ou du ministre pourra répondre à mes interrogations.
Vous créez une infraction nouvelle, l’appartenance à une organisation criminelle, et vous criminalisez, dans certains cas, la participation à une association de malfaiteurs. Je le dis sincèrement, je n’en vois pas bien l’utilité, puisque le code pénal sanctionne déjà largement l’association de malfaiteurs, a fortiori en cas de circonstances aggravantes, notamment lorsque l’infraction est commise en bande organisée. Pourquoi faites-vous cela ?
Du fait de nos principes juridiques, nous nous heurtons à une deuxième difficulté, en particulier dans la lutte contre la grande criminalité organisée : on ne peut pas retenir à la fois le fait qu’une infraction est commise en bande organisée et l’appartenance à une organisation criminelle. À moins que ces dispositions ne le rendent désormais possible et ne facilitent ainsi les enquêtes ?
Le principe auquel je me réfère et en faveur duquel je plaide est non bis in idem : on ne punit pas deux fois, sous deux qualifications différentes, un seul et même fait. Ce n’est pas seulement un principe de rationalité ; c’est aussi un principe de protection des justiciables et de la défense. S’il était possible de punir deux fois pour le même fait, on pourrait cumuler les peines et verser, in fine, dans une logique étasunienne : en l’absence de limite, une personne pourrait être condamnée à quatre-vingt-dix-neuf ans de prison, ce qui n’a aucun sens – je caricature, mais vous comprenez l’idée.
J’aimerais que vous éclairiez les définitions qui figurent à l’article 9. Mes collègues proposeront, par leurs amendements, des formulations alternatives. Si elles étaient retenues, nous pourrions considérer l’article d’un œil plus bienveillant.
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle
Nous voyons là les difficultés que pose l’absence d’avis du Conseil d’État sur l’ensemble du texte. Cette nouvelle infraction résulte, je crois, d’un ajout du rapporteur Pauget en commission. Le droit pénal étant d’interprétation stricte, on ne peut pas créer ainsi, de but en blanc, une infraction sans prendre en considération l’état du droit ni étudier précisément les conséquences d’une telle décision.
Or il existe déjà une infraction bien connue : la participation à une association de malfaiteurs, le fait d’agir en bande organisée constituant une circonstance aggravante. Cette infraction correspond aux besoins : elle recouvre les faits que vous souhaitez poursuivre. Elle fait en outre l’objet d’une jurisprudence bien établie. La Cour de cassation a rendu de multiples décisions à ce sujet. Je m’étonne que des juristes, ici, saluent la création d’une nouvelle infraction aux contours flous, inutile au regard du droit positif, et dont la formulation reste très générale.
Qui plus est, la participation à une association de malfaiteurs est punie de dix à quinze ans de prison, tandis que l’appartenance à une organisation criminelle le sera d’une peine bien inférieure, de trois ans de prison. Ce sera nécessairement source de conflits !
Cette nouvelle infraction est inutile ; je ne comprends pas pourquoi elle a été proposée. J’attends des explications : qu’entendez-vous couvrir pénalement qui n’entrerait pas déjà dans le champ de l’association de malfaiteurs et de la bande organisée ? Ces deux notions couvrent un spectre très large de comportements criminels et délictuels.
M. Ugo Bernalicis
Exactement !
M. le président
Nous en venons aux amendements de suppression de l’article 9.
L’amendement no 191 de Mme Colette Capdevielle est défendu.
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq, pour soutenir l’amendement no 383.
M. Jean-Paul Lecoq
L’article 9 paraît superflu. En l’état du droit positif, l’infraction d’association de malfaiteurs – prévue par l’article 450-1 du code pénal – et la circonstance aggravante de bande organisée – prévue par l’article 132-71 du code pénal – permettent déjà de répondre aux besoins.
L’abondante jurisprudence rendue sur ces textes par la chambre criminelle de la Cour de cassation a permis de définir précisément les champs d’application des deux incriminations. Dans ce panorama juridique, la création d’une nouvelle infraction, manifestation de l’inflation législative, crée une insécurité juridique et des difficultés supplémentaires de qualification.
Le nouvel article 450-1-1 du code de procédure pénale adopté par le Sénat définit l’organisation criminelle comme « tout groupement ou entente ayant une structure existante depuis un certain temps, formée en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes, voire délits, caractérisés par des faits matériels ». Cette définition complexe se démarque des définitions actuelles de la bande organisée et de l’association de malfaiteurs ainsi que de leur interprétation par la Cour de cassation, en ce qu’elle recoupe les faits couverts par ces deux incriminations.
Une telle création semble superflue et inutile au regard du droit positif. Les incriminations existantes peuvent être utilisées afin de couvrir les faits visés par la notion d’appartenance à une organisation criminelle. Il convient de nous en tenir au droit positif pour éviter toute confusion entre des notions que la jurisprudence a mis du temps à préciser. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – Mme Sandra Regol applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin, pour soutenir l’amendement no 425.
Mme Élisa Martin
Je prolonge mon propos précédent. La création d’une infraction pénale se justifie pour appréhender des faits qui ne sont pas couverts par une infraction existante. En l’espèce, tous les faits de complicité – de la location de la voiture pour un go fast au pilotage d’un bateau transportant des stupéfiants – peuvent déjà être sanctionnés sur le fondement de l’infraction d’association de malfaiteurs.
Au travers de cette nouvelle qualification, peut-être cherche-t-on à alourdir les peines ? Si tel était le cas, cela renforcerait notre opposition à l’article : nous ne pensons pas qu’on combatte efficacement les délits ou qu’on en réduise le nombre en aggravant les peines.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Rappelons que le Sénat et sa commission d’enquête sur le narcotrafic sont à l’initiative de la présente proposition de loi : l’article 9 a été écrit et voté par les sénateurs. J’ai dit publiquement en commission des lois que je partage votre constat sur la fragilité juridique de la définition de l’organisation criminelle issue des travaux du Sénat.
M. Jean-Paul Lecoq
Raison de plus pour la supprimer !
M. Éric Pauget, rapporteur
Je présenterai donc des amendements visant à la corriger.
J’appelle votre attention sur le fait que supprimer l’article nous priverait de la possibilité de redéfinir la notion d’organisation criminelle, qui présente des avantages. Le rapport de la commission d’enquête du Sénat souligne que l’infraction de participation à une association de malfaiteurs est insuffisante pour appréhender les agissements des narcotrafiquants, notamment ceux du haut du spectre. Si nous voulons lutter contre la criminalité organisée, ce qui constitue l’objet du texte, nous devons définir cette notion.
Le texte prévoit aussi de nouvelles sanctions. Je conviens avec vous qu’elles sont moins-disantes que d’autres sanctions du code pénal et qu’elles reposent sur un fondement fragile.
En sus de définir l’organisation criminelle, l’article 9, ne l’oublions pas, criminalise les faits d’association de malfaiteurs. Ainsi, quand elle a pour objectif de préparer un crime, l’association de malfaiteurs deviendra passible de peines criminelles et non plus délictuelles.
S’agissant de l’appartenance à une organisation criminelle, mon amendement no 582 vise à sanctionner les faits suivants : faire publiquement l’apologie d’une organisation criminelle – actuellement dans le Sud, du côté de Marseille, certaines personnes se revendiquent de structures bien connues comme le clan Yoda ou la DZ mafia – ; ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie, tout en étant en relation habituelle avec une ou plusieurs organisations criminelles ; concourir sciemment et de façon fréquente ou importante à l’organisation ou au fonctionnement d’une organisation criminelle.
En l’état du droit, ces agissements ne correspondent pas à des incriminations pénales, ce qui interdit aux magistrats de les poursuivre. Le Sénat a cherché à remédier à cette lacune.
Je suis donc défavorable aux amendements de suppression : premièrement, parce que je propose des amendements qui redéfinissent l’organisation criminelle d’une manière différente de celle exposée en commission des lois ; deuxièmement, parce que l’article 9 comporte des sanctions nouvelles dont le quantum est cohérent ; troisièmement parce que l’article crée une liste des organisations criminelles, sur le modèle italien – un outil novateur pour sanctionner l’appartenance à ces groupes.
M. le président
Sur l’amendement no 683, je suis saisi par le groupe Écologiste et social d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Nous avons commencé la séance à 21 h 45, je propose de la prolonger jusqu’à 00 h 15 pour terminer l’examen de l’article 9. (Protestations sur quelques bancs.)
M. Ugo Bernalicis
Supprimons-le, nous gagnerons du temps !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement sur ces amendements de suppression ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
On peut comprendre la volonté des sénateurs. Ils ont voulu élargir la criminalisation, ce qu’a dénoncé Élisa Martin ; ils ont aussi souhaité faire de l’appartenance à une organisation criminelle une nouvelle infraction, comme c’est le cas en Italie. Je leur ai fait part de mon désaccord sur ces deux points.
Je comprends bien l’intention, mais je pense que cet article rendra le code pénal moins lisible. C’est une fausse bonne idée.
M. Jean-Paul Lecoq
Exactement !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
C’est pourquoi, sur ces amendements de suppression, je m’en remettrai à la sagesse de l’Assemblée.
Toutefois, je suis assez tenté par les modifications que suggère le rapporteur et la rédaction qu’il propose me semble meilleure. Malgré l’heure tardive, monsieur le président, il est bon que nous en débattions.
Si la nouvelle infraction d’appartenance à une organisation criminelle me laisse dubitatif, c’est qu’il me semble difficile de suivre la même logique qu’en Italie, où l’appartenance à une organisation mafieuse relève de codes culturels, tels que le tatouage.
Mme Élisa Martin
Oui, c’est marqué !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
C’est ce que le procureur national italien m’a confirmé quand je l’ai interrogé sur cette disposition, à laquelle mes services étaient réticents. En France, on ne manifeste pas ainsi son appartenance à un clan ou à une organisation mafieuse. Une grande partie des personnes qui se revendiquent de la DZ mafia n’en sont pas membres : elles veulent impressionner, acheter la paix en prison ou montrer qu’elles en ont les capacités – nous ne sommes même pas certains que c’est bien la DZ mafia qui est présente lors de ses conférences de presse…
J’entends les arguments soulevés par Mme Martin et M. Amirshahi mais je souhaite que l’Assemblée rejette les amendements de suppression pour que nous puissions débattre des amendements du rapporteur. Dans la perspective de la commission mixte paritaire et pour atteindre les objectifs poursuivis par le Sénat, il a cherché à améliorer la rédaction du texte de manière à le rendre utilisable par les magistrats et les services enquêteurs. Je l’en remercie.
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi
La discussion est très intéressante car elle est ouverte et nous fait réfléchir sur la nature et le cumul des qualifications pénales.
Nous pensons que l’aggravation des peines n’exercera pas nécessairement un effet dissuasif sur les trafiquants du haut du spectre criminel. Vous pensez qu’elle est utile et que le quantum pourrait être un élément de négociation avec des coopérateurs de justice. Nous pouvons l’entendre.
En revanche, nous n’avons pas eu de réponse à la question posée sur le cumul de peines. Sauf erreur de ma part, il est impossible de sanctionner les mêmes faits deux fois sous deux qualifications différentes. Il me semble, même si cela n’est pas très clair, que la rédaction adoptée modifie cela, c’est pourquoi nous avons proposé des amendements de suppression. Je ne suis pas certain que les amendements de M. Pauget rectifient ce point.
Nonobstant ce que vous avez dit sur le durcissement des peines, monsieur le ministre, rien n’empêche les poursuites, la qualification et, le cas échéant, la condamnation.
M. le président
La parole est à Mme Pascale Bordes.
Mme Pascale Bordes
Monsieur Amirshahi, il est déjà possible de sanctionner ces faits mais la proposition de loi propose de les criminaliser : le quantum sera plus élevé et la sanction sera la réclusion criminelle, non l’emprisonnement, ce qui change tout.
Vous avez souligné le caractère imprécis de la définition de l’appartenance à une organisation criminelle. La chambre criminelle de la Cour de cassation fera ce qu’elle fait en pareil cas, elle s’attellera à préciser les contours de la nouvelle infraction. Il n’y a donc pas de difficulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Cette discussion est très intéressante et mérite bien, au vu du nombre d’années de prison encourues dans les affaires que nous évoquons, que nous y consacrions quelques minutes afin que chacun comprenne la volonté du législateur.
Madame Bordes, je considère que la criminalisation est une bonne chose car, pour certains actes commis par des membres d’une organisation criminelle, elle permet d’alourdir les peines – en cela, je partage votre objectif et suis en désaccord avec l’aile la plus à gauche de l’hémicycle.
Cependant, le législateur ne doit pas laisser à la Cour de cassation le soin de définir une notion qu’il a lui-même introduite – vous-même n’êtes pas réellement convaincue par l’argument que vous avez avancé.
Mme Pascale Bordes
Si, si !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Tout d’abord, cela irait à l’encontre de l’idée que nous partageons tous, me semble-t-il, selon laquelle le juge ne doit pas remplacer le législateur. Ensuite, la loi pénale est d’interprétation stricte ; notre tâche collective est de la rendre la plus claire et précise possible.
Monsieur Amirshahi, je comprends votre point de vue mais il me semble que vous faites une confusion – j’espère la lever. Les deux peines, pour un même fait, ne seront pas additionnées. La mesure n’est donc pas contraire au principe essentiel de notre droit, non bis in idem.
En revanche, il existe un risque de confusion des infractions par le magistrat. Au passage, le fait que moi, je reprenne l’argument avancé tout à l’heure par Mme Martin devrait vous mettre la puce à l’oreille !
Mme Élisa Martin
C’est grave ! (Sourires.)
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je suis rarement d’accord avec vous car il est rare que vous disiez des choses justes ; n’y voyez aucune opposition de principe !
Pour caractériser l’acte, le magistrat pourra choisir entre deux infractions. Or le ministère de la justice craint que la nouvelle infraction chasse la précédente – comme la mauvaise monnaie chasse la bonne.
Par ailleurs, cette nouvelle infraction nous semble intéressante sur le principe, mais l’appartenance à une organisation criminelle – relevant du narcobanditisme, de type mafieux – est complexe à définir. En Italie, les codes ne sont pas les mêmes qu’ici.
Enfin, il sera difficile de défendre auprès du Conseil constitutionnel qu’un individu peut être poursuivi pour son appartenance à une organisation criminelle alors qu’il n’a rien fait de criminel.
Mme Colette Capdevielle
Bien sûr !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Imaginons que le Conseil constitutionnel ne retoque pas la disposition et qu’elle entre en vigueur. Le jour où une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sera posée au sujet d’une affaire criminelle très grave, nous n’aurons pas servi la justice…
M. Pouria Amirshahi et M. Ugo Bernalicis
C’est que nous disons !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Nous sommes d’accord – et c’est une question très importante.
Nous n’aurons pas servi la justice si le Conseil constitutionnel annule la procédure au motif que le magistrat a choisi la mauvaise infraction. Nous ne faisons pas toujours bonne œuvre, je le dis à l’attention du Rassemblement national.
J’espère que je vous ai éclairés et vous propose de clore ce débat. Les amendements de M. le rapporteur apportent des réponses aux questions qui ont été posées ce soir. S’ils sont adoptés, il faudra sans doute aller plus loin lors de la commission mixte paritaire pour aboutir à un résultat qui convienne à tous.
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle
Je remercie M. le garde des sceaux pour ces explications. Cependant, j’appelle à voter nos amendements de suppression.
Monsieur le rapporteur, lorsqu’on crée une infraction, il faut en définir les contours – vous venez de le dire vous-même. Que désigne-t-on exactement quand on parle d’appartenance à une organisation criminelle ? Voulez-vous condamner une personne qui, sans avoir commis aucun acte répréhensible, vendu ou acheté de drogue, porterait un tee-shirt « Je suis membre de la Calabraise » ou arborerait un tatouage reprenant l’emblème de l’organisation mafieuse ? Je n’ai toujours pas compris quel type de comportement vous entendez incriminer.
De deux choses l’une : soit le membre d’une organisation criminelle commet des actes punis par la loi – vente, achat ou transport de marchandises illicites –, soit il commet des actes qui ne sont pas encore répertoriés dans la loi. Le problème, c’est que votre définition est tellement floue – vous-même ignorez ce qu’elle recouvre – que la mesure, en l’état, est inapplicable. Ce n’est pas sérieux.
M. le garde des sceaux vient d’ailleurs de nous rappeler que la loi pénale était d’interprétation stricte. C’est vrai. Par conséquent, on ne bricole pas de la sorte la rédaction d’une nouvelle infraction, on travaille sérieusement. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC et LFI-NFP.)
Si nos collègues adoptaient ces amendements, nous gagnerions du temps et nous aurions achevé l’examen de l’article à minuit – je le signale à l’attention de M. le président.
M. le président
Je suis neutre, mais j’ai perdu tout espoir d’en avoir terminé ce soir.
La parole est à M. Éric Pauget, rapporteur.
M. Éric Pauget, rapporteur
L’élaboration de cette loi s’est faite en plusieurs étapes. Comme je l’ai dit en commission, la rédaction issue du Sénat n’était pas satisfaisante d’un point de vue juridique. Nous avons pris en considération les remarques que vous avez formulées en commission des lois car elles nous semblaient justes : nous avons supprimé la notion d’appartenance à une organisation criminelle.
Je vous invite à lire l’amendement no 582. En nous calquant sur la législation relative à la lutte contre le terrorisme, nous avons requalifié les faits suivants : l’apologie d’une organisation criminelle ;…
M. Antoine Léaument
Il y aurait à redire sur le délit d’apologie du terrorisme !
M. Éric Pauget, rapporteur
…le fait de ne pouvoir justifier de ressources lorsqu’on est en relation habituelle avec une organisation criminelle ; le fait de concourir à l’organisation ou au fonctionnement d’une organisation criminelle.
J’admets que cette mesure présente un caractère novateur mais, je le répète, nous avons tenu compte de vos remarques car nous avions bien conscience des insuffisances du texte.
Par ailleurs, le droit pénal n’est pas un droit conservateur, figé. Il doit évoluer.
Mme Colette Capdevielle
C’est vrai !
M. Éric Pauget, rapporteur
Je rappelle enfin que le point de départ de ce texte, ce n’est pas la proposition de loi du Sénat mais le rapport d’enquête des sénateurs, qui souligne que l’outil à notre disposition dans notre droit – la notion de articipation à une association de malfaiteurs – n’est pas suffisant pour nous permettre d’incriminer le haut du spectre, les têtes de réseau du narcotrafic.
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 191, 383 et 425.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 92
Nombre de suffrages exprimés 88
Majorité absolue 45
Pour l’adoption 35
Contre 53
(Les amendements identiques nos 191, 383 et 425 ne sont pas adoptés.)
M. le président
L’amendement no 683 de M. Pouria Amirshahi est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
M. le rapporteur a expliqué que, pour définir une des nouvelles qualifications pénales, les auteurs s’étaient inspirés du délit d’apologie du terrorisme. Je suis très inquiet de l’apprendre, surtout quand je songe à toutes les personnes qui peuvent aujourd’hui être poursuivies pour ce délit. Avec de telles mesures, vous frappez des opposants politiques.
Dans le rapport d’information que j’ai rédigé avec M. Ludovic Mendes, du groupe EPR, nous défendons la légalisation du cannabis. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Christophe Barthès
Quelle surprise !
M. Antoine Léaument
Risquerions-nous alors d’être poursuivis pour ce nouveau délit, tout comme M. Gil Avérous, ancien membre du gouvernement ?
Il est très délicat de créer une nouvelle infraction dans le code pénal. Je vous invite à bien mesurer la portée des dispositions que nous allons voter. Elles peuvent présenter de réelles difficultés – pensez simplement au fait que vous ne serez pas toujours au pouvoir !
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 683.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 89
Nombre de suffrages exprimés 88
Majorité absolue 45
Pour l’adoption 35
Contre 53
(L’amendement no 683 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir l’amendement no 192.
Mme Colette Capdevielle
Je viens de consulter l’amendement no 582 de M. Pauget – dont nous n’aurons sans doute pas le temps de discuter ce soir. Il ne répond pas du tout à nos préoccupations. J’imagine la tête d’un juge à qui l’on demandera de se prononcer sur une personne « en relation habituelle » avec une organisation criminelle. Mais que recouvre cette expression ? Est-on en relation habituelle avec une personne quand on va faire le ménage chez elle, quand on lui apporte à manger ? (Sourires sur plusieurs bancs des groupes SOC et LFI-NFP. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.) J’ignore ce que signifie cette notion qui, d’ailleurs, ne figure pas dans notre droit. Après tout, on pourrait considérer que je suis en relation habituelle avec mes collègues députés. Nous sommes tous en relation habituelle avec d’autres personnes ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC et LFI-NFP.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Cette mesure va créer une confusion entre différentes infractions prévues dans le code pénal, ce qui donnera lieu à des batailles juridiques pour savoir si les faits doivent être qualifiés de telle ou telle manière. Cet article est déjà un nid à contentieux.
Le délit d’association de malfaiteurs et la circonstance aggravante de bande organisée permettent déjà de procéder à des poursuites dans de nombreux cas, sachant que l’on peut en outre, grâce la notion de complicité, mettre en cause encore plus de personnes agissant dans le cadre d’un même réseau.
Enfin, vous ne définissez pas les contours de cette nouvelle infraction. Qu’est-ce qu’une relation habituelle ? On peut dire, par exemple, que j’ai été en relation habituelle avec Gérald Darmanin toute la semaine. (Rires sur les bancs du groupe EcoS.) Imaginons que je commette un crime en bande organisée avec mes amis – qui, comme vous le savez, constituent une organisation criminelle.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
En bande désorganisée alors !
M. Ugo Bernalicis
Pas si désorganisée : hier soir, nous avons voté en file indienne et ça s’est très bien passé !
Cette relation habituelle fait-elle de M. Darmanin, par capillarité, un participant à notre organisation criminelle ? L’exemple fait sourire, mais chacun doit comprendre l’enjeu.
Notre préoccupation est réelle. Comme l’a dit le garde des sceaux, si la mesure est adoptée – et si le Conseil constitutionnel ne la censure pas –, des personnes seront poursuivies sur la base de ce nouveau délit mais, faute de qualification juridique précise, la Cour de cassation profitera du flou entourant la notion de relation habituelle pour annuler la procédure. Ainsi, quand la justice, faute de pouvoir apporter les preuves suffisantes que le suspect a commis les faits reprochés, se sera contentée de mentionner, de façon trop vague, une relation habituelle avec l’organisation, celui-ci pourra ressortir libre et reprendre ses activités potentiellement délictuelles ou criminelles. J’espère avoir été suffisamment clair.
(L’amendement no 192 n’est pas adopté.)
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
2. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, lundi, à quinze heures :
Suite de la discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic ;
Suite de la discussion de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée.
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra