Séance du lundi 26 mai 2025
- Présidence de M. Roland Lescure
- 1. Élection d’un député
- 2. Transfert à l’État des personnels enseignants de l’enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna
- 3. Lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur
- Présentation
- Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
- M. Julien Dive, rapporteur de la commission des affaires économiques
- Mme Sandrine Le Feur, présidente et rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
- Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
- Motion de rejet préalable
- Motion de rejet préalable (suite)
- M. Julien Dive, rapporteur
- Mme Annie Genevard, ministre
- Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
- M. David Taupiac (LIOT)
- M. Julien Brugerolles (GDR)
- Mme Brigitte Barèges (UDR)
- Mme Hélène Laporte (RN)
- Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR)
- Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP)
- Mme Mélanie Thomin (SOC)
- M. Guillaume Lepers (DR)
- Mme Delphine Batho (EcoS)
- M. Marc Fesneau (Dem)
- M. Henri Alfandari (HOR)
- Présentation
- 4. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Roland Lescure
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
1. Élection d’un député
M. le président
La présidente de l’Assemblée nationale a reçu aujourd’hui du ministre de l’intérieur une communication l’informant que M. Sébastien Martin a été élu hier, dimanche 25 mai 2025, député de la cinquième circonscription de Saône-et-Loire. Félicitations et bienvenue à lui ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, DR et sur quelques bancs du groupe RN.)
2. Transfert à l’État des personnels enseignants de l’enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’un projet de loi adopté par le Sénat
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif au transfert à l’État des personnels enseignants de l’enseignement du premier degré dans les îles Wallis et Futuna (nos 1440, 1445).
Présentation
M. le président
La parole est à Mme la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche
Ce projet de loi habilitant le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance permettra, si vous l’acceptez, le transfert des personnels wallisiens de l’enseignement du premier degré de la mission catholique vers l’État. Voilà maintenant deux ans que l’État s’est engagé à procéder à cette évolution. Monsieur le rapporteur Mikaele Seo, vous m’avez interpellée à juste titre, le 28 janvier dernier, sur l’attente de nos concitoyens wallisiens et futuniens. Nous avons depuis lors travaillé étroitement à l’aboutissement de ce chantier majeur pour le territoire de Wallis-et-Futuna. Permettez-moi de profiter de cette tribune pour vous remercier de votre implication et de votre disponibilité.
Depuis 1969, l’État concède sa compétence en matière d’enseignement du premier degré dans l’archipel à la mission catholique locale, ce qui a figé pendant cinquante-six ans une situation procédant d’un équilibre à présent obsolète entre autorité de l’État, chefferies coutumières et Église catholique. Ce régime nécessite d’être réformé pour deux raisons. Premièrement, il complique le pilotage de la politique éducative dans l’archipel. Un engagement fort de l’éducation nationale est pourtant indispensable, le niveau à l’entrée en sixième étant très nettement inférieur à la moyenne nationale ; cela, aucun parent ne saurait l’accepter. Deuxièmement, il distend le lien entre les enseignants et le vice-rectorat alors même que le statut des îles Wallis et Futuna, voté en 1961, confère à l’État des responsabilités plus étendues que celles de droit commun. Il est donc temps que l’État recouvre la plénitude de ses compétences en matière d’éducation, puisse accompagner l’ensemble des jeunes de l’archipel vers la réussite et assure aux enseignants de nouvelles perspectives de carrière.
En 2023, à l’issue d’une grève de deux mois et demi, l’État s’est engagé à mettre un terme à la convention de concession et à assumer la pleine responsabilité du service public de l’enseignement du premier degré à Wallis-et-Futuna. Cet engagement suppose un dispositif législatif afin d’intégrer dans le corps des professeurs des écoles, sans concours préalable, les 116 enseignants du premier degré employés par la direction de l’enseignement catholique (DEC) de Wallis-et-Futuna. Ces derniers pourront par ailleurs choisir de conserver leur affiliation au régime de retraite de la caisse des prestations sociales de Wallis-et-Futuna.
Les enseignants intégrés bénéficieront de nouvelles perspectives de carrière et d’une meilleure reconnaissance de leurs fonctions. Ils pourront désormais exercer leur métier selon les mêmes droits et obligations que leurs collègues du second degré. Ils feront l’objet, dans leur ensemble, d’un reclassement qui tiendra compte de leur expérience souvent longue auprès des élèves. Ce transfert vers l’enseignement public permettra notamment de compléter la rémunération des enseignants : ils bénéficieront ainsi d’un nouveau coefficient de majoration, de la prime d’attractivité, d’équipement informatique et d’une indemnité de résidence.
Au-delà des enseignants, l’ensemble des personnels administratifs et techniques de la direction de l’enseignement catholique intégreront aussi les effectifs du vice-rectorat, avec le statut de contractuels de droit public. Je mesure les interrogations suscitées par le fait qu’ils ne seront pas intégrés dans la fonction publique, mais je rappelle qu’ils ne représentent pas une seule et même profession : nous parlons d’agents administratifs ou techniques, de surveillants ou encore d’assistants maternels. Ils ne sauraient être traités d’un bloc au risque d’aller à l’encontre du principe d’égalité et de créer à Wallis-et-Futuna des corps de fonctionnaires qui n’existent pas ailleurs.
D’ici la fin de l’année, un décret sera pris afin de clarifier les conditions générales de recrutement, d’emploi et de rémunération de l’ensemble des agents non titulaires de l’État à Wallis-et-Futuna, en application de l’ordonnance du 25 janvier 2013. Il s’agissait là d’une revendication légitime de l’ensemble des parties prenantes sur place ; mon collègue Laurent Marcangeli, ministre de la fonction publique, a eu l’occasion de les rassurer sur ce point. En outre, dès 2026, le vice-rectorat organisera, en fonction des catégories d’emploi, des recrutements afin de permettre à ses agents d’intégrer un corps de la fonction publique.
Ainsi, le 1er août 2025 au plus tard, l’enseignement public reprendra sa juste place à Wallis-et-Futuna et s’emploiera à améliorer la qualité des enseignements et les résultats des élèves. Notre discussion de ce jour consacrera notre engagement en faveur de l’égalité entre tous les territoires de la République. Je tiens à formuler ici mes plus sincères vœux de réussite à l’ensemble des élèves de Wallis-et-Futuna. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – M. Pierre Pribetich applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Mikaele Seo, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation.
M. Mikaele Seo, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l’éducation
Nous arrivons au bout du chemin législatif de ce texte tant attendu. Ce n’est néanmoins pas la dernière fois que nous nous retrouverons pour évoquer le sort des enseignants du premier degré à Wallis-et-Futuna car nous serons saisis, dans un second temps, du projet de loi de ratification de l’ordonnance – je sais pouvoir compter sur vous, madame la ministre d’État, pour qu’il soit soumis au Parlement aussi vite que possible. Il est nécessaire pour pérenniser la situation des enseignants concernés, qui se battent depuis trop longtemps pour faire valoir leurs droits.
Je tiens tout d’abord à vous adresser des remerciements sincères, madame la ministre d’État, et à souligner le respect de l’engagement que vous avez pris ici même, le 28 janvier, lorsque je vous ai interrogée sur vos intentions dans ce dossier. Vous aviez alors déclaré : « Oui, les enseignants et les personnels du premier degré à Wallis-et-Futuna seront bien intégrés dans la fonction publique de l’État. » En ce qui concerne les enseignants, nous y sommes ; pour ce qui est du reste du personnel, les choses sont un peu moins certaines.
Le projet de loi vise à autoriser le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures de nature législative permettant d’intégrer dans la fonction publique de l’État les enseignants du premier degré exerçant à Wallis-et-Futuna. Il s’agit de les faire entrer dans le corps des professeurs des écoles, ce qui les mettra sur un pied d’égalité avec l’ensemble des maîtres d’école de France.
Nos collègues vous diront les réserves que leur inspire le recours à une ordonnance ; quant aux délais, je déplore les conditions dans lesquelles le Parlement est amené à se prononcer sur cette mesure. La question du statut des maîtres d’école est importante pour le territoire, elle mérite mieux qu’un projet de loi d’habilitation examiné dans l’urgence.
Le projet de transfert à l’État du personnel enseignant du premier degré exerçant à Wallis-et-Futuna découle d’un protocole de fin de conflit signé le 20 juillet 2023. Or la convention de concession liant l’État à la mission catholique expire le 5 juin. La complexité du dossier n’explique pas, à elle seule, le retard qui a été pris. Il convient de rappeler qu’une mission d’inspection devait être diligentée pour dresser un état des lieux et formuler des propositions. Ensuite, un travail interministériel a été nécessaire. Ajoutons que l’enchaînement des événements politiques depuis la dissolution du printemps 2024 n’a pas facilité l’émergence d’une décision ministérielle sur ce dossier, en dépit de mon insistance auprès de vos prédécesseurs.
J’en viens au fond du sujet. L’enjeu est en réalité d’une grande simplicité : il s’agit d’une mesure d’égalité et de justice. Vous le savez, l’archipel a fait le choix de l’intégration dans la République en 1959, à l’issue d’un référendum au résultat sans appel : 94 % des habitants s’y étaient déclarés favorables. Dans le cadre de la loi du 29 juillet 1961 conférant aux îles Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer, qui régit encore aujourd’hui nos relations avec la métropole, il est clairement posé que l’enseignement est une compétence de l’État. Dans les faits, l’enseignement secondaire est effectivement assuré par l’État dans un cadre très proche de celui qui régit, en métropole, l’enseignement secondaire public. Il n’en va pas de même de l’enseignement primaire, ce qui s’explique avant tout par l’histoire. Depuis l’arrivée dans l’archipel des pères maristes, en 1837, les écoles se sont développées sous l’impulsion de l’Église : ce sont les missionnaires, souvent aidés par les parents d’élèves, qui ont construit les écoles sur des terrains donnés à la mission catholique par les autorités coutumières. Pour l’enseignement primaire, la loi de 1961 n’a rien changé au monopole de la mission catholique, et un système de concession a été instauré à partir de 1969.
L’État va assumer à Wallis-et-Futuna la totalité de ses prérogatives. Pour l’instant, une convention, renouvelée et mise à jour tous les cinq ans environ, règle les modalités selon lesquelles cette compétence de l’État est exercée par la mission catholique. Je vois plusieurs raisons au fait que ce système ait perduré jusqu’à maintenant. Premièrement, c’était une manière pour la République de marquer son respect de la culture et des coutumes wallisiennes et futuniennes, conformément à l’article 3 de la loi de 1961, qui dispose : « La République garantit aux populations du territoire des îles Wallis et Futuna le libre exercice de leur religion, ainsi que le respect de leurs croyances et de leurs coutumes en tant qu’elles ne sont pas contraires aux principes généraux du droit. » Or la population de l’archipel reste, aujourd’hui encore, très attachée à la religion catholique. Deuxièmement, l’État avait trouvé là un moyen de préserver un équilibre entre les trois pouvoirs locaux : les institutions de l’État, les autorités coutumières et l’Église, dont l’influence était et reste considérable dans la population. Troisièmement, accepter la situation était une solution de facilité pour l’État, qui se reposait ainsi sur un tiers pour exercer une de ses compétences.
L’enseignement primaire à Wallis-et-Futuna est donc exercé par un établissement scolaire unique, émanation de la mission catholique, dénommé direction de l’enseignement catholique, la DEC. Sur le plan juridique, c’est elle qui emploie les enseignants et les autres catégories de personnel et qui gère au quotidien les établissements scolaires. Elle opère le pilotage du système sous le contrôle du vice-rectorat de Wallis-et-Futuna, lequel est directement rattaché au préfet, administrateur supérieur du territoire, en vertu de l’organisation des pouvoirs publics dans l’archipel.
En pratique, la situation est moins claire, car c’est le vice-rectorat qui recrute les élèves instituteurs dans le cadre d’un concours qu’il organise, avant de les envoyer à Nouméa où ils suivent leur formation. C’est lui qui les rémunère directement, qui gère leur avancement d’échelon et de classe, qui leur notifie leur admission à la retraite.
La situation devait donc évoluer. Au fil des années, les conflits entre les enseignants et la DEC se sont multipliés, le plus souvent autour de revendications sociales et salariales ayant en réalité une cause unique : la différence de traitement entre les instituteurs locaux et les agents de l’État. L’intégration des maîtres d’école de Wallis-et-Futuna, dont nous sommes appelés à valider le principe, est une mesure d’égalité et de justice. Cette mesure fait consensus : elle est approuvée par une grande majorité des enseignants, par l’État et par les élus locaux. Sans surprise, je vous inviterai donc moi aussi à approuver ce transfert.
Afin de s’assurer que le personnel enseignant conserve tous ses acquis, un droit d’option leur sera ouvert en ce qui concerne leur régime de retraite. Dans la mesure où celui de l’archipel apparaît mieux-disant par rapport à celui de la fonction publique d’État, il semble normal que les enseignants ayant déjà effectué une grande partie de leur carrière dans le cadre de ce système puissent s’y maintenir.
Toutefois, deux aspects du projet du gouvernement avaient suscité une profonde insatisfaction. Le premier concernait la situation d’une poignée d’enseignants qui risquaient d’être exclus du champ de l’ordonnance en raison d’un niveau de diplôme insuffisant. Parce qu’il s’agit ici d’une mesure de justice, voire de réparation, il n’était pas envisageable de laisser certains maîtres d’école de côté. Avec Évelyne Corbière Naminzo, rapporteure du projet de loi au Sénat, nous avons fait en sorte que le texte n’exclue aucun enseignant.
La seconde source d’insatisfaction réside dans la situation du personnel non enseignant. Je le dis clairement : je regrette que le gouvernement ait décidé de faire deux poids, deux mesures, en écartant du champ de l’habilitation le personnel administratif, technique et les agents d’entretien des écoles, actuellement employés par la DEC et rémunérés par l’État. Votre analyse juridique vous a conduite, madame la ministre d’État, à considérer que le transfert de ces agents ne nécessitait pas une mesure législative. L’engagement qui a été pris consiste à les employer tous, dans un premier temps, comme contractuels de droit local, selon le régime défini par l’arrêté no 76 du 23 septembre 1976 portant statut des agents permanents de l’administration du territoire de Wallis-et-Futuna, puis à les intégrer de manière échelonnée dans la fonction publique d’État par des concours réservés. C’est là un moindre mal. Madame la ministre d’État, pouvez-vous réaffirmer l’engagement selon lequel vous êtes prête à intégrer l’ensemble de ces agents ?
J’en profite pour vous inviter, ainsi que le premier ministre, à prendre les mesures nécessaires pour en finir avec le régime de l’arrêté no 76 : s’il peut être conservé à la rigueur pour la centaine d’agents qu’il concerne encore à Wallis-et-Futuna, il doit disparaître au bénéfice d’un régime de droit commun pour les contractuels de la fonction publique.
Avant de conclure, je tiens à rappeler que le transfert à l’État du personnel enseignant ne saurait être une fin en soi. L’enjeu principal est la réussite des élèves. Les résultats des écoliers wallisiens et futuniens sont sensiblement inférieurs à ceux de la métropole et d’autres territoires comme la Nouvelle-Calédonie. Cela ne saurait perdurer.
Enfin, je vous adresserai quelques questions, madame la ministre. Quand la version définitive du projet d’ordonnance sera-t-elle prête ? Quand sera-t-il transmis à l’Assemblée territoriale de Wallis-et-Futuna ? Enfin, pourrez-vous nous communiquer dès que possible les projets de décret ?
Chers collègues, compte tenu non seulement de l’importance de l’enjeu que représente pour Wallis et Futuna le transfert à l’État des maîtres d’école mais aussi des délais extrêmement contraints, je vous invite à adopter le projet de loi dans la rédaction actuelle. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, LFI-NFP, SOC, DR et GDR.)
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Béatrice Piron.
Mme Béatrice Piron
Nous examinons un projet de loi d’habilitation d’une importance majeure, à la fois sur le plan symbolique et eu égard au principe d’égalité républicaine. Il tend à permettre, par voie d’ordonnance, le transfert à l’État des personnels enseignants du premier degré dans les îles de Wallis et Futuna.
Ce texte est la traduction législative d’un accord signé en juillet 2023, après un mouvement social historique de plus de deux mois. Cette mobilisation a mis en lumière une revendication légitime, largement partagée sur le territoire, celle de mettre fin à un régime dérogatoire hérité d’un autre temps et d’aligner enfin les maîtres d’école de Wallis-et-Futuna sur le droit commun de la fonction publique d’État.
Le projet de loi incarne la promesse tenue d’un État présent, juste et respectueux de ses engagements. Wallis-et-Futuna, territoire du Pacifique Sud, possède une identité profondément ancrée dans les réalités locales. Depuis son rattachement à la République française en 1961, il a su conjuguer institutions républicaines, autorités coutumières et rôle structurant de l’Église catholique. Ce modèle original a façonné un système éducatif atypique, dans lequel la mission catholique joue, depuis 1969, un rôle central dans l’organisation de l’enseignement primaire. Pendant plus de cinquante ans, ce système a assuré un service éducatif dans des conditions parfois difficiles du fait de l’isolement, de la dispersion géographique et de la limitation du développement des infrastructures. Toutefois, il a aussi produit des inégalités, en particulier pour les enseignants, recrutés hors concours, sans statut de fonctionnaire, sans véritable reconnaissance de leur engagement, sans perspectives d’évolution de carrière.
Par ailleurs, les élèves du territoire continuent d’obtenir des résultats scolaires sensiblement plus faibles que leurs homologues métropolitains ou ultramarins. Les évaluations nationales réalisées à l’entrée en sixième montrent des écarts préoccupants, particulièrement en mathématiques et en maîtrise de la langue française. Ainsi, deux élèves sur trois éprouvent de grandes difficultés en mathématiques à l’entrée au collège, et quatre sur dix en français. Une telle situation n’est plus acceptable. Ces résultats sont le symptôme d’un système à bout de souffle, dans lequel le personnel, pourtant dévoué, a été trop longtemps ignoré.
Le protocole d’accord signé le 20 juillet 2023 a marqué un tournant. Il engage l’État à reprendre la gestion directe de l’enseignement du premier degré, à intégrer les enseignants dans la fonction publique et à garantir une transition correcte et respectueuse des équilibres locaux. Au cœur de ce texte se situe la volonté d’offrir aux enseignants de Wallis-et-Futuna la reconnaissance qu’ils méritent et aux élèves les moyens d’une réussite durable.
L’habilitation que nous examinons permettra au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires par ordonnance, dans un cadre juridique encadré, validé par le Conseil d’État. Elle prévoit notamment les conditions spécifiques d’intégration des personnels, prenant en compte leur expérience et leur parcours. Cette démarche est justifiée par l’urgence de la situation et par l’objectif d’intérêt général poursuivi.
Nous saluons également la volonté de maintenir le lien avec les traditions locales : la mission catholique continuera d’être un partenaire de l’État, notamment pour la gestion des bâtiments scolaires, et l’enseignement religieux pourra se poursuivre en dehors du temps scolaire, dans le respect du principe de laïcité.
Enfin, la réforme est soutenable. Le coût estimé du reclassement des enseignants, qui s’élève à 3 millions d’euros, doit être mis en regard des bénéfices importants attendus : une école plus équitable, des personnels sécurisés, des élèves mieux accompagnés.
Ce texte réaffirme le principe fondamental de notre pacte républicain : l’égalité devant le service public, partout sur le territoire. Le groupe Horizons & indépendants votera donc résolument en faveur de ce texte. Nous appelons à son adoption conforme, comme cela a été le cas lors de l’examen en commission, pour permettre une application rapide, efficace et qui réponde aux attentes exprimées.
M. le président
La parole est à M. Stéphane Lenormand.
M. Stéphane Lenormand
« L’éducation est la première priorité nationale. » C’est ainsi que le code de l’éducation consacre la mission de l’enseignement, que la République doit garantir à chaque élève, partout sur le territoire.
À Wallis-et-Futuna, l’État avait fait le choix, pour des raisons historiques et culturelles, de déléguer la compétence enseignement à la mission catholique. Si ce mode de gestion a permis d’organiser pendant cinquante ans l’enseignement du premier degré et s’il correspondait à l’importance de l’Église dans la société wallisienne et futunienne, force est de constater qu’il est désormais dépassé. Ce modèle ne correspond plus aux attentes ni aux aspirations de la population et des enseignants ; le mouvement social des maîtres d’école, en mai 2023, a démontré ses limites. Ces derniers aspirent légitimement, depuis plusieurs années, à un statut identique à celui de leurs homologues du second degré et plus largement à ceux de l’ensemble de notre territoire. En réalité, cette revendication n’est pas nouvelle : dès les années 1980, les enseignants du premier degré ont dénoncé le différentiel de rémunération avec les enseignants du secondaire, qui, eux, ont la qualité de fonctionnaires de l’État.
L’État s’était engagé à les intégrer pour mettre fin à ce conflit social. Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires soutient évidemment cet engagement, qui tend à mieux garantir l’égalité des maîtres d’école avec leurs homologues et à améliorer la réussite éducative des élèves. L’intégration des maîtres d’école comme fonctionnaires au sein du corps des professeurs des écoles améliorera la reconnaissance de leur statut et leur évolution salariale et professionnelle, tout en leur ouvrant d’autres possibilités de formation. Cette intégration correspondant au choix de tous les acteurs locaux, il faut le respecter. Notre groupe avait quelques craintes quant à la condition de diplôme que mentionnait l’étude d’impact. Cependant, l’amendement adopté au Sénat avec le soutien du gouvernement nous rassure quant au fait que tous les enseignants en poste seront bien concernés, quel que soit leur niveau de diplôme.
Par ailleurs, le gouvernement entend utiliser cette réforme comme un levier au service de la réussite des élèves, en mobilisant davantage d’expertise pédagogique et de soutien institutionnel autour des écoles du territoire. Les évaluations font état de plus grandes difficultés scolaires en français et mathématiques que sur l’ensemble du territoire national. Notre groupe ne peut que souscrire à cet objectif, mais il s’interroge sur les moyens qui seront effectivement déployés pour l’atteindre, d’autant que la mission inter-inspections considère les effectifs enseignants comme excédentaires, comparativement à la diminution prévisionnelle du nombre d’élèves.
Nous vous adressons donc deux questions. Le gouvernement veut-il profiter de cette réforme pour réduire le schéma d’emploi ? Qu’entend-il lorsqu’il affirme que le reclassement tiendra compte de l’expérience des personnels ? Nous insistons sur la nécessité de réaliser ce transfert en respectant et en préservant les spécificités culturelles et notamment linguistiques. Ainsi, il faut garantir l’enseignement tant des langues régionales que du français et s’assurer de leur qualité.
Je terminerai en exprimant notre regret de voir, une nouvelle fois, un sujet concernant un territoire ultramarin traité par voie d’ordonnance. J’éprouve la plus grande réticence face à ce procédé. L’argument de la complexité et de la rapidité ne peut pas toujours être opposé à cette critique, d’autant que plus d’un an s’est écoulé entre la remise des conclusions de la mission inter-inspections et le dépôt du projet de loi.
Ceci dit, le projet de loi constitue une avancée importante pour le territoire de Wallis-et-Futuna. Le groupe LIOT soutiendra une adoption conforme de ce texte, afin qu’il entre en vigueur avant la fin de la convention. Néanmoins, cette précipitation aurait pu être évitée.
M. le président
La parole est à M. Julien Brugerolles.
M. Julien Brugerolles
La loi du 28 juillet 1961 a conféré aux îles de Wallis et Futuna le statut de territoire d’outre-mer en les dotant d’une organisation institutionnelle particulière prenant en considération les équilibres entre les trois composantes de l’identité locale : les institutions républicaines, les chefferies coutumières et l’Église catholique.
Ainsi, aux îles de Wallis et Futuna, la gestion de l’enseignement du premier degré est assurée depuis la fin des années 1960 par la direction de l’enseignement catholique. Les enseignants sont des agents de droit privé employés par cette direction, et leurs conditions de rémunération sont définies par la convention de concession. La convention actuelle couvre la période 2020-2025. Signée le 5 juin 2020, elle arrive à échéance le 5 juin 2025.
À l’été 2023, une grève des enseignants de plus de deux mois a remis en cause ce régime. Les grévistes demandaient l’application du coefficient d’éloignement fixé à 2,05 pour les fonctionnaires travaillant à Wallis-et-Futuna ainsi que l’accès à la grille indiciaire des professeurs.
À la suite des mobilisations, un protocole d’accord, dans lequel l’État et les parties prenantes s’engageaient à mettre un terme au régime de concession à la mission catholique locale, avait été signé en 2023.
Deux ans après, le projet de loi visant à intégrer les personnels de l’enseignement du premier degré de Wallis et Futuna au sein de la fonction publique d’État a été présenté en Conseil des ministres. En plus de répondre aux enjeux salariaux et statutaires, ce texte tend également, selon le gouvernement, à améliorer la qualité du service public d’enseignement primaire.
De fait, le niveau de maîtrise des savoirs fondamentaux à Wallis-et-Futuna apparaît nettement plus faible que dans l’Hexagone : 40 % des élèves ont une maîtrise insuffisante ou fragile du français, contre 11 % au niveau national ; en mathématiques, 65 % des élèves de Wallis-et-Futuna sont dans cette situation, contre 28 % au niveau national. De plus, les résultats des élèves sont moins bons qu’en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
L’absence de pilotage pédagogique des enseignants et la faiblesse des démarches de formation continue qui leur sont destinées apparaissent, selon les évaluations disponibles, comme les principales causes de ces dysfonctionnements.
L’État devra donc veiller à ce que le transfert des personnels enseignants ne se traduise pas uniquement par un simple changement statutaire, mais qu’il puisse être à l’origine de véritables changements en termes de formation et d’accompagnement. La reprise par l’État de l’enseignement du premier degré doit avoir pour objectif de conduire à une amélioration substantielle du niveau des élèves et de permettre une meilleure transition entre le premier et le second degré.
Si le groupe de la Gauche démocrate et républicaine est favorable à ce transfert qui fait consensus au niveau local, nous ne pouvons que regretter que le Parlement soit à nouveau dessaisi des sujets relatifs aux outre-mer. Ce transfert soulève aussi un problème de laïcité : les enseignants, désormais professeurs des écoles, continueront à enseigner le catéchisme, alors même que le préambule de la Constitution de 1946 dispose que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».
Malgré ces quelques réserves, dans l’attente de la transmission du projet de loi de ratification, notre groupe votera en faveur de ce texte.
M. le président
La parole est à M. Maxime Michelet.
M. Maxime Michelet
Notre assemblée est saisie d’un projet d’habilitation sur le transfert à l’État des personnels enseignants du premier degré dans les îles Wallis et Futuna. Sur ce dossier majeur, attendu par les familles et les acteurs locaux, les gouvernements successifs auront fait preuve d’une surprenante procrastination, malgré la hausse continue des tensions engendrées par un système unique, hérité de l’histoire, non moins unique, de ce territoire ultramarin.
En effet, dès 1969, huit ans seulement après que les îles Wallis et Futuna eurent obtenu le statut de territoire d’outre-mer, les compétences scolaires, pour l’organisation et le fonctionnement du premier degré, étaient concédées à la mission catholique, afin de respecter les spécificités d’un territoire profondément marqué par le monopole éducatif de l’Église.
Des conventions régulièrement renouvelées assurèrent la pérennité de ce système, jusqu’à la dernière convention, actuellement en vigueur, signée le 5 juin 2020 pour cinq ans. C’est donc à seulement quelques jours de la fin de la convention actuelle que l’Assemblée nationale est invitée à se prononcer sur le transfert à l’État des personnels enseignants du premier degré dans les îles de Wallis et Futuna, en autorisant le gouvernement à prendre, par voie d’ordonnance, les mesures nécessaires.
Pourtant, le souci d’organisation spécifique à ce territoire ne date pas d’hier. Le protocole de fin du conflit opposant les enseignants et la direction de l’enseignement catholique date ainsi de juillet 2023. Quant à la mission d’inspection préconisant l’intégration dans la fonction publique, elle remonte à mars 2024 – il y a plus d’un an.
Au vu du très court délai dans lequel les mesures d’intégration nécessaires doivent être prises et au regard de l’importance de ces mesures pour le territoire de Wallis-et-Futuna, le groupe de l’Union des droites pour la République votera en faveur de cette loi d’habilitation, considérant que l’ensemble des acteurs sur place soutiennent cette initiative. Il souhaite aussi que, dans les prochains mois, le gouvernement se penche avec attention sur la situation des personnels non enseignants – vous venez de l’annoncer, madame la ministre.
Cependant, le groupe UDR, comme les précédents groupes qui se sont exprimés, ne manque pas de regretter la méthode employée, laquelle ne permet pas à l’Assemblée nationale d’exercer pleinement son rôle et sa responsabilité de législateur. En effet, consentir est une chose, légiférer en est une autre : légiférer par voie d’ordonnance ne saurait donc être un mode naturel de législation.
Je conclurai mon propos en adressant à l’ensemble de nos compatriotes de la France océanique le soutien inaltérable et fidèle du groupe UDR. Dans le respect des spécificités de ces territoires comme de l’unité de la République, n’oublions jamais notre outre-mer qui fait de la France ce qu’elle ne doit jamais cesser d’être : une puissance planétaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. José Gonzalez.
M. José Gonzalez
Le groupe Rassemblement national soutient ce projet de loi, qui mettra un terme à une situation juridique et humaine devenue obsolète pour les enseignants du premier degré dans les îles Wallis et Futuna.
Nous tenons à saluer l’ensemble des partenaires qui ont rendu cet accord possible : l’État, l’évêché, les enseignants eux-mêmes et tous ceux qui ont permis qu’après deux mois et demi de grève une solution soit trouvée dans un esprit de responsabilité.
Il s’agit d’une avancée importante, dont nous espérons qu’elle produira les effets attendus. Les enjeux sont considérables : le niveau des élèves à Wallis-et-Futuna est très en deçà des moyennes nationales, notamment en français et en mathématiques. Ce n’est pas acceptable.
Donner un vrai statut à ces enseignants – nous ne débattons pas de la situation du personnel administratif et technique, dont le devenir est incertain –, c’est non seulement leur apporter la reconnaissance qu’ils méritent mais aussi leur offrir les moyens de mieux enseigner.
Cela étant dit, nous ne pouvons nous empêcher de souligner un doute légitime : peut-on raisonnablement penser qu’une simple nationalisation des statuts produira, à elle seule, une élévation des résultats scolaires, alors que des exemples d’insuffisance sont déjà constatés ailleurs ?
Nous vous posons la question, car, ailleurs, l’expérience montre que ce n’est pas si simple. À Mayotte comme en Guyane, l’enseignement est national, les enseignants sont fonctionnaires et, pourtant, les résultats sont comparables, voire parfois inférieurs à ceux de Wallis-et-Futuna.
À moyens constants, les promesses resteront des incantations. Nous appelons donc à un plan d’urgence pour les apprentissages fondamentaux dans les territoires ultramarins. À Wallis-et-Futuna, cela suppose des moyens pédagogiques, une formation adaptée pour les enseignants transférés et un classement en réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+), comme nous le suggérons.
La République ne peut pas se contenter d’un affichage statutaire. Elle doit offrir à tous ses enfants, de métropole comme d’outre-mer, les mêmes chances de réussite. Nous vous demandons donc des garanties claires sur la mise en œuvre de la réforme, la formation et les moyens affectés, à travers la création d’un comité de suivi. Autrement, cette réforme ne sera qu’un effet d’annonce, du moins en ce qui concerne les bénéfices que devraient en tirer les élèves et la qualité de l’enseignement.
Enfin, ce transfert de compétences doit se faire dans le respect des équilibres culturels propres au territoire. L’enseignement catholique y a tenu une place centrale pendant plusieurs décennies, et la transition vers une gestion directe par l’État devra se faire sans brusquer les repères de la population locale.
Wallis-et-Futuna est une terre française. La République doit s’y montrer exemplaire : cela commence par des actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à Mme Graziella Melchior.
Mme Graziella Melchior
Ce texte très attendu par les personnes concernées vise à permettre l’intégration des enseignants des écoles de Wallis-et-Futuna dans la fonction publique.
Puisque nous avons l’occasion de parler de ce bel archipel, je souhaiterais m’exprimer sur ce que j’en ai appris. Les Wallisiens et les Futuniens ont librement embrassé la République et l’archipel n’a jamais été colonisé. Le XIXe siècle a été le point de départ des liens qui nous unissent. En 1887-1888, les rois coutumiers des deux îles ont manifesté le souhait de bénéficier du protectorat de la France, tout en conservant leur autorité traditionnelle sur les habitants. Avant cela, l’arrivée des missionnaires catholiques, à partir de 1837, avait suscité une conversion massive des habitants de l’archipel.
Aujourd’hui encore, la religion catholique, étroitement liée à l’identité de Wallis et Futuna, fait partie intégrante de la société. La population étant catholique à 95 %, la place de l’Église est prégnante dans la culture, la vie sociale et donc l’enseignement.
Fruit de cette histoire, le système éducatif de Wallis-et-Futuna se caractérise par une concession donnée à la mission catholique. Néanmoins, à la suite du référendum de 1959, au cours duquel la population a approuvé à 94 % son rattachement à la République, un nouveau cadre juridique a été fixé, conférant le statut de territoire d’outre-mer à l’archipel.
L’État est devenu compétent en matière scolaire – contenu pédagogique, programmes, organisation et bâti scolaire. Toutefois, afin de préserver les spécificités du territoire, l’organisation et le fonctionnement de l’enseignement primaire ont été concédés à la mission catholique en 1969.
Ainsi, situation unique en France, les écoles des îles Wallis et Futuna sont exclusivement privées et catholiques. Les enseignants sont des agents de droit privé, employés par la direction de l’enseignement catholique.
Toutefois, depuis les années 1990, des grèves secouent régulièrement l’enseignement primaire wallisien et futunien. La dernière d’entre elles, en 2023, a duré plus de deux mois et demi. Elle a pris fin par la signature d’un protocole d’accord qui répondait à la demande des enseignants, tout en prévoyant l’organisation d’une mission d’inspection.
L’objet de cette dernière était d’analyser précisément la situation juridique et d’élaborer des scénarios permettant d’atteindre l’objectif d’intégration de l’enseignement du premier degré dans le droit commun de la fonction publique.
L’intégration pure et simple dans le corps national des professeurs des écoles a été l’option retenue, car elle répondait à l’aspiration profonde des enseignants à l’égalité de traitement. Approuvées par le gouvernement, les conclusions de la mission d’inspection fondent ce projet de loi.
Celui-ci tâche donc d’entendre les revendications et de mettre fin à une organisation scolaire à bout de souffle. Comme il est souligné dans le rapport, il est le bienvenu, car il s’agit avant tout d’une mesure d’égalité et de justice – rapprocher le statut des enseignants de Wallis-et-Futuna de celui de leurs collègues de métropole.
Monsieur le rapporteur, je sais que vous êtes engagé depuis des années pour l’amélioration de la condition des maîtres d’école de votre archipel. Comme vous le précisez, ce texte proposé par le gouvernement fait l’objet d’un très large consensus : il est approuvé par les enseignants, qui sont les premiers concernés, de même que par les élus locaux et les autorités coutumières.
Déposé au Sénat le 22 avril 2025 et adopté en première lecture le 19 mai en séance publique, il a également été approuvé la semaine dernière par notre commission des affaires culturelles et de l’éducation. Il nous revient désormais de l’adopter conforme.
En effet, le temps presse. Dans quelques jours, la convention de concession, signée le 5 juin 2020 pour une durée de cinq ans, arrivera à son terme. C’est la raison qui a conduit le gouvernement à présenter au Parlement un projet de loi d’habilitation à légiférer par ordonnance, sur le fondement de l’article 38 de la Constitution.
Précisons néanmoins que l’habilitation est clairement délimitée. En premier lieu, le texte prévoit la définition des modalités d’intégration du personnel enseignant dans le corps des professeurs des écoles de la fonction publique de l’État. En second lieu, il prévoit de définir de quelle manière ces agents pourront opter en faveur du maintien de leur affiliation, pour leur retraite, au régime de la caisse des prestations sociales des îles Wallis et Futuna ou au régime des agents de la fonction publique.
Le groupe Ensemble pour la République soutiendra pleinement ce texte, qui constitue une mesure de justice et d’égalité pour les enseignants de Wallis-et-Futuna.
M. le président
La parole est à M. Rodrigo Arenas.
M. Rodrigo Arenas
L’école républicaine et laïque, dont la France aime à s’enorgueillir, n’est pourtant pas une réalité sur l’ensemble de notre territoire. À l’est de l’Hexagone, là où le concordat sévit, on en est encore à bénir les cartables de nos chers enfants lors de la rentrée des classes des écoles publiques. À l’ouest, on note, par exemple, qu’un quart des communes vendéennes sont dépourvues d’écoles publiques.
Bien plus loin, à des milliers de kilomètres de Paris, les écoliers de Wallis-et-Futuna vivent aussi dans un monde bien différent de celui de la majorité des enfants scolarisés dans les écoles primaires françaises. Dans cette Océanie lointaine, pour les jeunes enfants, le temps s’est arrêté au XIXe siècle, à l’époque où les missionnaires, les religieux catholiques, venaient propager leur foi. Pari réussi, puisqu’un siècle et demi plus tard, la mission catholique y est toujours chargée, seule, de l’enseignement primaire.
Nous sommes tous ici convaincus qu’il est impératif de faire vivre et respecter la laïcité dans nos écoles. La meilleure façon d’y parvenir est d’y bannir, en particulier dans nos écoles publiques, toute forme de prosélytisme religieux. Pour ce faire, permettre aux équipes pédagogiques de Wallis-et-Futuna d’intégrer les corps de la fonction publique d’État, donc de ne plus être dépendantes de la mission catholique, est un pas important à franchir. La France insoumise soutient bien sûr ce projet de loi, car il répond aux demandes des professeurs du premier degré de cette collectivité, qui vont enfin intégrer la fonction publique ; cela va leur assurer un vrai statut, une meilleure rémunération, une moins forte précarité de l’emploi, donc une carrière plus stable.
La création d’un véritable service public de l’enseignement primaire à Wallis-et-Futuna doit bénéficier au personnel, mais aussi et peut-être surtout aux enfants, l’objectif étant une amélioration de la réussite scolaire des élèves – de tous les élèves.
Pour rappel, les résultats de la gestion par la mission catholique ne sont guère probants, puisque les évaluations des élèves à l’entrée en sixième montrent un écart important avec la France hexagonale. En français, et plus encore en mathématiques, les élèves de Wallis-et-Futuna ont en majorité une maîtrise jugée insuffisante ou fragile de ces disciplines. Le niveau en fin de primaire y est même plus faible que celui observé dans les écoles des réseaux d’éducation prioritaire (REP) de l’Hexagone.
Le fait que les enseignants bénéficient désormais des mêmes droits, mais aussi qu’ils soient soumis aux mêmes obligations que les professeurs des écoles du reste du territoire, devrait permettre une amélioration de ces résultats, même si l’on peut regretter que ce projet de loi, très technique, ne prévoie aucune mesure pour réduire les inégalités scolaires entre les élèves de cette collectivité et ceux du reste de la France.
S’il faut nous réjouir de l’évolution salariale positive qui découlera de ce projet de loi pour le personnel concerné, il faut rappeler que le niveau de rémunération de nos enseignants demeure très faible, surtout en comparaison de celui de nos partenaires de l’OCDE. Pour rappel, les salaires des enseignants français ayant quinze ans d’ancienneté restent inférieurs de 16 % à ceux de la moyenne des autres pays de l’OCDE. Il faut donc espérer qu’une revalorisation de leurs salaires interviendra rapidement, d’autant que le coût de la vie est particulièrement élevé sur ce territoire.
Pour finir, nous regrettons que ce projet de loi fasse la part belle aux ordonnances, qui nous semblent affaiblir notre régime démocratique. En effet, le fait que l’on passe par des ordonnances pour adopter des mesures de nature législative montre à quel point notre Parlement est progressivement dessaisi de ses prérogatives au profit du gouvernement, en particulier quand il s’agit de nos territoires ultramarins – ce qui dénote aussi une forme de mépris institutionnel pour ces derniers.
Nous souhaitons que ce projet de loi permette à l’édifice parfois chancelant qu’est notre école publique, républicaine et laïque de prendre enfin toute sa place dans les îles de Wallis et Futuna. La République est une et indivisible : encore faut-il que ses territoires soient traités sur un pied d’égalité. Avec ce projet de loi, nous rattrapons un temps que nous n’avons que trop perdu. Je vous remercie, monsieur le rapporteur, pour votre travail et votre engagement en faveur des écoles de la République et des enfants de Wallis-et-Futuna. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à Mme Ayda Hadizadeh.
Mme Ayda Hadizadeh
En 1969, à Wallis-et-Futuna, l’État a signé une convention pour confier l’enseignement primaire à la mission catholique. En 2025, nous allons enfin tourner ensemble la page de cette exception incompréhensible, de cette anomalie navrante. Je dis enfin, car cette réforme, les enseignants, les familles, et les élus locaux l’attendent depuis des années. En 1990 déjà, il y a eu de grandes grèves d’enseignants, qui n’ont pas été suivies d’effets. En 2023, à nouveau, de grandes grèves ont eu lieu, qui ont duré deux mois et demi – il faut mesurer ce que cela a coûté aux enseignants, mais aussi aux élèves et à leurs familles.
L’État a enfin agi, en prenant l’engagement de tourner cette page et de faire de l’école de Wallis-et-Futuna une école comme les autres, une école de la République. Ce que l’on peut regretter toutefois, c’est qu’on légifère dans l’urgence, et par ordonnances. Ce faisant, on prive la représentation nationale d’un débat nécessaire qui aurait pu être salutaire, ne serait-ce que pour que nos collègues prennent conscience de cette anomalie, dont beaucoup ignoraient jusqu’à l’existence.
Aujourd’hui, à Wallis-et-Futuna, les enseignants sont des agents de droit privé. Ils n’ont pas de statut de fonctionnaire, pas de garantie, pas d’égalité salariale, pas même de coefficient d’outre-mer. Ils n’ont pas les mêmes droits que leurs collègues de métropole. Ils ont le même métier, les mêmes responsabilités, mais pas les mêmes droits : deux poids, deux mesures.
Alors oui, cette réforme est nécessaire. Elle permettra aux enseignants de devenir enfin des fonctionnaires de l’État, d’accéder à la grille nationale des professeurs des écoles, de bénéficier des droits les plus élémentaires – congé paternité, primes, indemnités – et surtout, de sortir d’un système qui les a trop longtemps invisibilisés. Ce n’est pas un privilège qu’on leur accorde aujourd’hui ; c’est une simple reconnaissance : élémentaire, basique.
Mais ce transfert ne concerne pas que des bulletins de salaire. Il engage notre République ; il engage notre conception du service public. Il engage notre promesse d’égalité entre tous les territoires. Et il engage aussi un principe fondamental, que l’on aime à rappeler à cette tribune, et sur nos bancs, de quelque côté que ce soit : la laïcité. Demain, ces enseignants ne pourront plus être forcés de dispenser un enseignement religieux. Demain, les convictions de chaque élève seront respectées. Demain, l’école publique à Wallis-et-Futuna sera la même que partout en France. Pas une copie, pas une sous-école, l’école de la République, pleine et entière.
Mais pour que cela fonctionne, il ne suffit pas de voter un texte. Il faudra accompagner, former, prévoir les affectations et recruter aussi les personnels administratif et technique. Ne laissons pas les services de l’État débarquer en terrain inconnu, avec des documents Word et des feuilles Excel. Construisons avec les acteurs locaux – ils sont là, ils attendent –, avec respect et avec méthode.
Je veux m’adresser, pour finir, aux enseignants de Wallis-et-Futuna. À ceux qui se sont mobilisés, à ceux qui ont tenu pendant ces mois de grève, à ceux qui n’ont jamais cessé de croire en leur métier. Aujourd’hui, on ne vous fait pas une faveur ; on vous rend justice !
Alors oui, le groupe Socialistes et apparentés votera ce texte, mais nous avons une exigence : que plus jamais, dans la République, on ne traite les outre-mer comme des annexes administratives, mais comme ce qu’ils sont, à savoir des territoires français à part entière, avec des citoyens à part entière, des citoyens de la République, comme nous. (Applaudissements sur les bancs des groupe SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à M. Eric Liégeon.
M. Eric Liégeon
Je ne reviendrai pas dans le détail sur la situation spécifique de l’enseignement du premier degré à Wallis-et-Futuna, qui a déjà été largement évoquée par les orateurs qui m’ont précédé. Ce texte met fin à un particularisme qui n’a plus lieu d’être, à une singularité issue de notre histoire coloniale qui ne se justifie plus. Ce cadre avait été conçu pour concilier les principes de la République et l’identité du territoire ; aujourd’hui, il est vecteur de tension et source de complexité pour toutes les parties prenantes – l’État, le personnel éducatif, la direction de l’enseignement catholique, les parents d’élèves.
Le groupe Droite républicaine votera donc tout naturellement pour ce texte, qui fait la quasi-unanimité chez les acteurs concernés. L’intégration dans la fonction publique est réclamée par tous, pour des motifs à la fois économiques, administratifs, juridiques, symboliques et constitutionnels – que la présente loi ne règle d’ailleurs pas entièrement.
Comme souvent, et ainsi que cela a été rappelé par presque tous les intervenants au Sénat, puis dans notre chambre, nous nous en remettons pour beaucoup aux ordonnances, au prétexte qu’il y a urgence. Pourtant, cette urgence était évitable puisque, par définition, les gouvernements successifs savaient dès 2020 que la convention 2020-2025 devait prendre fin cette année. Il n’y a pas de surprise de calendrier. Il est donc regrettable que, comme trop souvent, le Parlement soit privé d’une discussion sur un certain nombre de sujets concrets, qui découleront inévitablement de l’adoption de ce texte.
Je pense par exemple à la question de l’équilibre des salaires au niveau régional et local, mais aussi à la réflexion qu’il conviendra de mener sur l’enseignement lui-même, qu’il s’agisse de ses éventuelles spécificités ou de sa qualité, au vu des résultats en berne qu’il est impératif d’améliorer. Se pose encore la question de la création d’une circonscription éducative. Ce ne sont pas là de menus sujets ; ils auraient mérité que nous nous penchions dessus collectivement.
Au nom du groupe Droite républicaine, je tiens pour conclure à assurer nos compatriotes de Wallis-et-Futuna de notre totale implication et de notre plus grande vigilance pour que ce texte nécessaire soit appliqué « dans le respect de l’histoire wallisienne et de ses habitants », pour reprendre les mots du sénateur Max Brisson. Nous avons également tout à fait conscience que ce texte ne marque qu’une étape dans l’évolution du cadre éducatif dans l’archipel, et non un aboutissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. le président
La parole est à M. Steevy Gustave.
M. Steevy Gustave
Je veux d’abord saluer le travail du rapporteur, dont l’engagement constant sur ce sujet a permis de le faire émerger au niveau national. Dès janvier 2025, dans une question au gouvernement, il rappelait les engagements pris par l’État envers l’archipel. Il a su éclairer notre assemblée sur l’héritage historique et le fonctionnement si singulier du système éducatif à Wallis-et-Futuna.
Ce morceau de France, à plus de 16 000 kilomètres de l’Hexagone, à équidistance des îles Fidji et des Samoa, ne ressemble à aucune autre collectivité. Depuis 1969, l’État y a concédé sa compétence en matière d’enseignement du premier degré à la mission catholique. Cette concession, encadrée par une convention renouvelée tous les cinq ans, permettait de préserver un équilibre entre l’autorité de l’État, les chefferies coutumières et l’Église. Mais ce mode de gestion a figé la condition des enseignants dans un autre temps.
Tandis que leurs collègues du droit commun ont gagné, au fil des années, de nouveaux droits sociaux, ceux du premier degré à Wallis-et-Futuna sont restés bloqués dans un système dépassé depuis cinquante-six ans. Cette injustice structurelle a été à l’origine de nombreuses grèves, notamment celle de 2023, la plus longue de l’histoire des îles. Ce conflit a mis à nu les limites d’un système en total décalage avec l’esprit républicain et avec le statut même de citoyen français.
Le texte que nous examinons aujourd’hui entend répondre à cette situation, en proposant l’intégration des enseignants du premier degré à la fonction publique. Ce n’est pas une faveur : c’est un droit. Un droit à l’égalité de traitement pour des agents publics qui exercent la même mission de service public que leurs collègues de métropole ou des autres territoires d’outre-mer. Mais je veux élargir le propos aux agents techniques, au personnel ouvrier, aux agents d’entretien, à tous ceux qui font vivre l’école au quotidien et qui, eux aussi, restent sur le bas-côté. Leur intégration doit être la prochaine étape.
J’ai aussi des réserves sur la méthode employée. Le recours aux ordonnances prive le Parlement de son rôle. Sur un sujet aussi fondamental que l’éducation républicaine dans nos territoires, un vrai débat parlementaire aurait été non seulement légitime, mais salutaire. Je regrette aussi l’urgence dans laquelle nous sommes contraints de légiférer. Le texte, déposé mi-avril, arrive bien tard. Nous débattons sous contrainte, à la veille de la fin de la convention, prévue pour le 5 juin, alors même qu’un protocole de fin de conflit existe depuis juillet 2023. C’est regrettable.
Malgré tout, le groupe Écologiste et social votera pour ce texte, car il incarne une mesure de justice, une avancée républicaine et un alignement nécessaire des droits. Mais cette avancée ne doit pas masquer les défis qui persistent ailleurs. Ce que nous faisons pour Wallis-et-Futuna, nous devons aussi le faire pour l’ensemble des outre-mer.
Les difficultés systémiques sont bien connues : moyens insuffisants, taux de décrochage et d’illettrisme élevés, absence d’infrastructures adaptées, environnement social souvent précaire. En 2023, les antennes ultramarines de la Fédération syndicale unitaire (FSU) lançaient la campagne « École en sous-France », dénonçant avec force les inégalités structurelles qui affectent l’éducation outre-mer. Elles ont raison ; nous devons les entendre.
Afin de tresser un lien entre le combat républicain en faveur de l’égalité et les voix poétiques de l’archipel, je conclurai cette intervention par une citation de Virginie Hoifua Te Matagi Tafilagi : « Mes yeux-paroles / Sont des vagues / Qui caressent les rivages / De nos mémoires / Insulaires ». À nous de faire de ces vagues une force pour bâtir une République qui reconnaît chacun de ses enfants, sur chaque île, au-delà de chaque océan. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. le président
Sur l’ensemble du projet de loi, je suis saisi par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Frantz Gumbs.
M. Frantz Gumbs
Nous examinons une mesure importante, attendue, étape décisive pour les îles Wallis et Futuna : l’habilitation du gouvernement à procéder, par voie d’ordonnance, à l’intégration des enseignants du premier degré dans les corps de la fonction publique de l’État. Clairement, il s’agit là d’une avancée majeure pour ce territoire et sa population.
Ce texte traduit concrètement un engagement fort pris par l’État à l’issue d’un long mouvement social : deux mois et demi de mobilisation, au printemps 2023, les enseignants faisant valoir leur droit d’être traités à l’égal de leurs homologues de l’Hexagone et des autres territoires d’outre-mer. Le protocole d’accord du 20 juillet 2023 a posé les fondations de cette réforme. Avec ce projet de loi d’habilitation, l’État tient parole : je salue la constance de son engagement.
Cela a été dit, l’enseignement primaire à Wallis-et-Futuna repose depuis 1969 sur une gestion particulière, par convention de concession entre l’État et la mission catholique. Ce modèle a été le reflet de l’histoire, du rôle central de l’Église dans la société wallisienne et futunienne, de l’équilibre propre à ce territoire organisé autour de trois piliers : les institutions républicaines, les chefferies coutumières et l’Église catholique.
Tout en permettant pendant plus de cinquante ans le fonctionnement de l’école, il a généré des particularismes : en matière de statut, de conditions de travail, de droits sociaux, les enseignants de Wallis-et-Futuna ne bénéficiaient pas des mêmes conditions et garanties que leurs collègues de l’Hexagone ou des autres territoires ultramarins. Leur intégration aux corps de l’éducation nationale entraînera une revalorisation significative de leur rémunération, l’augmentation de l’indexation, dont le coefficient passera de 1,7 à 2,05, celle de l’indemnité de résidence : juste retour des choses pour celles et ceux qui assurent au quotidien la mission républicaine de transmission des savoirs.
Au-delà des chiffres, il y a là un message politique fort : chaque élève de la République, où qu’il vive, a droit à un service public de l’éducation de qualité. Tel est l’objectif que doit atteindre cette réforme. Derrière l’enjeu statutaire et administratif, la priorité est claire : la réussite scolaire des jeunes Wallisiens et Futuniens. L’infériorité significative des indicateurs en la matière ne pouvait être indéfiniment ignorée ; il convenait d’y prêter une attention particulière. Ce rattrapage des zones où le niveau est le moins élevé doit faire l’objet d’une réflexion permanente, Wallis-et-Futuna n’étant pas le seul territoire concerné.
Cette réforme ne se fera pas sans une étroite coordination entre tous les acteurs : vice-rectorat, mission catholique, autorités coutumières, assemblée territoriale, représentants syndicaux. Ce n’est qu’en vertu de cette concertation constante que se construira un service public de l’enseignement primaire à la hauteur des attentes. Je tiens à souligner l’effort financier consenti par l’État : près de 3 millions d’euros de surcoût prévisionnel.
J’exprime l’espoir que cette réforme suscite des vocations, qu’elle donne envie à de jeunes Wallisiens et Futuniens de devenir enseignants, de revenir sur leurs terres pour transmettre, pour construire, pour faire réussir les générations suivantes. Ce que nous faisons aujourd’hui pour Wallis-et-Futuna constitue également un signal envoyé à l’ensemble des territoires ultramarins, une preuve, peut-être, que la République sait écouter quand elle veut, qu’elle sait évoluer, adapter ses cadres à la réalité des territoires, tout en garantissant l’égalité des droits.
Par son histoire, son organisation, sa culture, Wallis-et-Futuna est un territoire à part. Depuis le référendum du 27 décembre 1959, à l’issue duquel plus de 94 % de ses habitants ont approuvé le rattachement à la République, et la loi statutaire du 29 juillet 1961, il a toujours su conjuguer tradition et modernité, ancrage local et engagement national. La réforme que nous accompagnons en est un nouvel exemple : une réforme pour Wallis-et-Futuna qui honore la République, une réforme pour un avenir meilleur. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EPR ainsi que sur quelques bancs du groupe EcoS et sur les bancs des commissions. – Mme Ayda Hadizadeh applaudit également.)
M. le président
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre d’État.
Mme Élisabeth Borne, ministre d’État
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué l’arrêté de 1976 qui régit l’emploi des agents non titulaires de l’État ; évidemment, l’effet de ce texte, devenu obsolète, cessera dès que nous aurons, en application de l’ordonnance du 25 juin 2013, pu prendre le décret adéquat. Celui-ci nécessitera un certain nombre de consultations, notamment auprès de l’assemblée territoriale des îles Wallis et Futuna ; notre objectif est qu’il soit publié avant la fin de cette année. Par ailleurs, vous avez mentionné l’ordonnance, au sujet de laquelle nous avons d’ores et déjà échangé. Aussitôt ce projet de loi d’habilitation adopté, le projet d’ordonnance sera transmis au Conseil d’État ; nous espérons le présenter en Conseil des ministres dès la première quinzaine de juin, en vue d’une publication dans la foulée.
Enfin, concernant l’attention que nous portons au niveau des élèves de Wallis-et-Futuna, le taux d’encadrement, très favorable – 116 professeurs pour 1 400 élèves –, sera conservé, les postes maintenus. Les enseignants bénéficieront d’un plan de formation, à la fois sur place, à distance le cas échéant et à l’institut national supérieur du professorat et de l’éducation (Inspe) de Nouméa.
Discussion des articles
M. le président
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles du projet de loi.
Articles 1er et 2
(Les articles 1er et 2 sont successivement adoptés.)
Vote sur l’ensemble
M. le président
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 184
Nombre de suffrages exprimés 184
Majorité absolue 93
Pour l’adoption 184
Contre 0
(Le projet de loi est adopté.)
(Applaudissements sur divers bancs.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures dix, est reprise à dix-sept heures quinze.)
M. le président
La séance est reprise.
3. Lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi adoptée par le Sénat
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur (nos 856, 1437).
Présentation
M. le président
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire
La colère paysanne n’est pas éteinte. Ses braises sont encore chaudes. Les difficultés qui frappent la profession n’ont pas disparu ; elles sont tenaces.
Alors que la cause paysanne a longtemps fait l’objet de clivages délétères, elle s’est muée en cause nationale, à laquelle les Français se sont ralliés lorsqu’un mouvement d’une ampleur inédite a surgi sur les routes du pays en janvier 2024. Le gouvernement l’a entendue. Elle a donné lieu à des promesses de simplification, de réhabilitation de l’acte de produire et de reconsidération sociale.
Depuis lors, les gouvernements successifs avancent : loi d’orientation agricole, aides d’urgence, simplification, choc fiscal et de compétitivité… La voix du gouvernement en la matière résonne même au-delà des frontières ; elle inspire jusqu’à la Commission européenne, qui a annoncé reprendre à son compte plusieurs de nos idées, à l’instar du contrôle unique.
Le gouvernement avance et, avec lui, toutes les bonnes volontés du pays et de la représentation nationale. De ces bonnes volontés est née cette proposition de loi, initiée par les sénateurs Laurent Duplomb et Franck Menonville et cosignée de manière transpartisane par près de 200 sénateurs. Je souhaite les remercier vigoureusement pour leur travail.
Cette proposition de loi est très attendue par les agriculteurs. Elle est nécessaire afin de lever les entraves à l’exercice de leur métier. Elle porte des mesures concrètes, correspondant à des attentes concrètes. Elle répond à la nécessité d’adapter notre cadre législatif aux réalités du terrain.
Le principe de séparation entre la vente et le conseil de produits phytopharmaceutiques, aussi légitime soit-il dans son intention, a débouché sur un cadre trop rigide. Dominique Potier et l’ancien ministre Stéphane Travert l’ont bien souligné dans leur rapport issu du groupe de travail portant sur cette thématique, présenté au cours de la précédente législature. Le gouvernement partage leur constat : le statu quo n’est pas envisageable.
L’ambition de ce texte est claire : il s’agit de lever les blocages qui empêchent l’émergence d’un conseil efficace et utile aux agriculteurs ainsi que les obstacles à la transition climatique et environnementale.
Un compromis a été construit avec les sénateurs. Le texte autorise les distributeurs à conseiller sous des conditions strictes, tout en maintenant l’interdiction pour les metteurs en marché. Il restaure une cohérence sans rien céder sur la prévention des conflits d’intérêts. L’ensemble de la profession y gagnerait.
Ce texte restaure la maîtrise des agriculteurs sur leur activité en leur permettant de protéger leurs cultures, dans un cadre à la fois rigoureux et respectueux des normes communes européennes.
Il n’est pas compréhensible que notre souveraineté alimentaire s’affaisse sous l’effet de distorsions de concurrence que nous avons nous-mêmes installées. L’acétamipride est une substance autorisée au niveau européen jusqu’en 2033 et est utilisée par vingt-six États membres de l’Union européenne sur vingt-sept. Seule la France fait exception, au prix d’un isolement législatif qui pénalise directement ses producteurs, son potentiel de production et la diversité de son agriculture.
Le gouvernement s’est opposé à toute réintroduction de cette substance sans conditions, mais a accepté, dans l’esprit du compromis sénatorial, une dérogation exceptionnelle strictement encadrée. Cette dernière est fondée sur les critères validés par le Conseil constitutionnel, à l’image de celle octroyée à la filière betteravière en 2020. Cette dérogation ne rouvre en rien la voie aux néonicotinoïdes. Elle ne vaut que dans l’attente de solutions alternatives.
La clé, comme toujours, est d’accélérer la transition sans laisser les agriculteurs sans solution. (« C’est faux ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
La commission des affaires économiques a renforcé ce cadre ; c’est sur ce texte stabilisé qu’il vous revient aujourd’hui de vous prononcer.
Cette proposition de loi porte également l’ambition de simplifier le quotidien des agriculteurs sur lequel pèse un enchevêtrement kafkaïen de normes contradictoires, de seuils opaques, de procédures complexes et de surtranspositions incompréhensibles. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Ségolène Amiot
Pipeau ! Mensonges !
Mme Annie Genevard, ministre
Avec Agnès Pannier-Runacher, nous avons engagé une clarification des règles applicables aux projets d’élevage.
Le texte adapte les procédures relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) à la réalité des exploitations – remplacement des réunions publiques par des permanences, relèvement des seuils pour les bovins, porcins et volailles ainsi que le permet la réglementation européenne, et suppression des surtranspositions injustifiées.
Il ouvre la voie à un régime spécifique longtemps attendu par les éleveurs, distinct du cadre industriel, mieux proportionné, que seule une habilitation législative permet d’instituer.
Dans le même esprit, ce texte rétablit le cadre de confiance dans les relations entre agriculteurs et administrations.
M. Jean-Paul Lecoq
Et la démocratie, c’est quand ?
Mme Annie Genevard, ministre
Les tensions avec l’Office français de la biodiversité (OFB) sont connues : elles traduisent un climat de suspicion qui ne profite à personne. Le texte y répond avec équilibre : coordination renforcée des préfets, encadrement de la transmission des procès-verbaux, usage encadré des caméras piétons… Ces mesures ne sont pas accessoires ; elles sont structurantes. Elles permettront de rétablir la confiance, d’alléger la charge administrative et de rendre aux agriculteurs ce qu’ils ont de plus précieux : le temps de produire.
Ce texte engage aussi l’adaptation de notre agriculture aux dérèglements climatiques, en apportant une réponse claire sur la question de l’eau.
Sans eau, pas d’agriculture. Aussi, en reconnaissant l’intérêt général majeur des projets de stockage dans les zones de déficit hydrique, ce texte ne fait pas de faveur ; il pose une condition de survie. (« Bravo ! » et applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
Face aux sécheresses, à l’irrégularité des pluies et à la hausse des températures, le stockage devient un levier incontournable à côté des économies d’eau, des réseaux modernisés…
M. Jean-Paul Lecoq
À condition qu’ils soient publics !
Mme Annie Genevard, ministre
…et de la réutilisation des eaux usées. Supprimer cette disposition, comme l’a fait la commission du développement durable, c’est retirer aux agriculteurs un outil d’adaptation ; c’est interdire à l’État d’en soutenir le développement – ce que prévoit un autre amendement adopté par ailleurs.
Ce texte introduit aussi une catégorie de zones humides fortement modifiées, afin d’adapter le cadre normatif aux particularités de certains territoires. Il met en pratique une écologie lucide, ancrée dans le réel. (Protestations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Jean-Claude Raux
Ne parlez pas d’écologie, vous ne savez pas ce que c’est !
Mme Annie Genevard, ministre
Au-delà de ces principaux leviers, cette proposition de loi apporte d’autres réponses concrètes aux attentes du terrain.
Je tiens à mettre fin aux contrevérités qui circulent concernant l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Il n’a jamais été question de remettre en cause son indépendance scientifique. Ce n’est ni l’esprit du texte ni la position du gouvernement.
J’ai entendu les interrogations sur la transmission des décisions aux tutelles ou sur le rôle d’un Conseil d’orientation pour la protection des cultures. Ces dispositions ont été supprimées en commission, et le gouvernement ne propose pas de les réintroduire. Ce débat est donc clos.
J’entends aussi la demande de transparence, de dialogue, d’efficacité, notamment sur l’identification des alternatives aux produits phytopharmaceutiques ou sur l’identification des filières en impasse lorsqu’aucune alternative n’est disponible. Ces sujets, qui ne relèvent pas du domaine législatif, posent une question de droit. Le gouvernement a donc saisi le Conseil d’État pour sécuriser le cadre d’action. Sa réponse est attendue prochainement.
Au-delà de ces mesures essentielles, ce texte renforce également l’assurance prairies face aux aléas climatiques, encadre le déploiement de la technique de l’insecte stérile et améliore les capacités d’intervention de l’État contre les menaces phytosanitaires par le biais d’une habilitation législative claire. Cette dernière prolonge et amplifie les objectifs portés par la proposition de loi du député Ott – je le salue.
Toutes ces avancées…
M. Jean-Paul Lecoq
Tous ces reculs !
Mme Annie Genevard, ministre
…ont été permises par l’engagement et le travail acharné des personnes qui ont contribué à cette proposition de loi. Je tiens à saluer plus particulièrement l’engagement constant de son rapporteur, Julien Dive. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et plusieurs bancs du groupe EPR.)
M. Jean-Paul Lecoq
Pourtant, il rejette son propre texte ! C’est du jamais vu !
Mme Annie Genevard, ministre
Jusqu’ici, ce texte a donné lieu à un véritable débat parlementaire, et je m’en réjouis : plus d’une semaine de débats en commission des affaires économiques, plus de 800 amendements examinés, près de 100 amendements adoptés, ayant permis d’aboutir à un texte enrichi, que le gouvernement salue.
Un travail important a également été mené en commission du développement durable sous l’impulsion de sa rapporteure. Elle a exprimé ses réticences au travers d’amendements qui ne rencontrent ni l’assentiment du gouvernement ni celui d’une large partie du monde agricole. Nous sommes prêts à avoir ce débat ensemble dans l’hémicycle,…
M. Jean-Paul Lecoq
Chiche !
Mme Annie Genevard, ministre
…nous aurions été prêts à avoir ce débat ensemble dans l’hémicycle de façon claire et respectueuse. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Mme Marie Pochon et M. Benjamin Lucas-Lundy s’esclaffent.)
M. Jean-Paul Lecoq
Vous connaissez déjà les résultats du vote sur la motion ?
Mme Annie Genevard, ministre
C’est ainsi que vit la démocratie parlementaire que vous trahissez. ( Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Protestations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Pierre-Yves Cadalen
Nous n’avons pas de leçons de parlementarisme à recevoir de votre part !
Mme Annie Genevard, ministre
Les commissions ont pleinement su faire vivre ce débat démocratique. Il a permis d’aboutir à un texte équilibré, enrichi de plusieurs amendements auxquels le gouvernement souscrit pleinement.
M. Jean-Paul Lecoq
Vive la démocratie !
Mme Annie Genevard, ministre
Les débats en commission ont montré qu’une majorité pouvait se dégager sur ces sujets exigeants, dans la clarté et dans l’écoute. C’est un signal politique extrêmement fort. Cela démontre que lorsque le travail parlementaire se déploie dans un esprit de responsabilité, il ouvre des chemins et produit des solutions. Pourtant, certains ici veulent que ces solutions se fracassent sur le mur de l’obstruction. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Plus de 3 500 amendements ont été déposés, dont 70 % venant des Verts et de La France insoumise. C’est l’équivalent du nombre d’amendements déposés sur la première partie du projet de loi de finances pour 2025.
Mme Sophie Taillé-Polian
Le droit d’amendement est constitutionnel !
Mme Annie Genevard, ministre
Écoutez bien ce chiffre : ces amendements représentent 1 071 562 mots. C’est l’équivalent des sept volumes de À la recherche du temps perdu ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.)
M. Alexandre Portier
Ça en fait, du temps perdu…
Mme Annie Genevard, ministre
Et parmi tous ces mots, pas un seul pour les agriculteurs ; seulement un long voyage en Absurdie. Je vous détaille le contenu de ces amendements : des mots remplacés par des synonymes ; des dates déclinées par une poignée d’amendements, repoussant parfois l’entrée en vigueur des dispositions jusqu’à l’année 2050 ; plus de 120 commandes de rapports au gouvernement sous six mois – soit un à produire toutes les trente-six heures ; des propositions ubuesques de modification du titre de la loi qui vont jusqu’à l’indécence de proposer celle de « loi anti-paysans ». (Exclamations sur les bancs du groupe EcoS.)
Vous avez fait du droit d’amendement un droit d’enlisement.
Mme Sophia Chikirou
Et vous, vous faites de la motion de rejet préalable un 49.3 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et EcoS.)
Mme Annie Genevard, ministre
Vous vous abritez derrière un droit constitutionnel pour enliser le débat parlementaire parce que vous avez peur du vote. (Protestations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Sébastien Peytavie
Vous avez fait la même chose sur la proposition de loi portant sur la fin de vie !
Mme Annie Genevard, ministre
Vous avez peur parce que vous savez qu’à force de conviction une majorité d’adoption peut être trouvée dans cet hémicycle, puisqu’elle existe dans le pays.
M. Jean-Paul Lecoq
Vous n’êtes jamais là pour travailler sur les lois ! Vos députés sont absents.
Mme Annie Genevard, ministre
Nous pourrions en rire si les agriculteurs – qui chaque jour s’usent jusqu’à l’os pour vous nourrir –, n’en payaient pas le lourd tribut. La colère des champs mérite mieux que les manœuvres de couloir. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et RN ainsi que sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Sophie Taillé-Polian
Vous ne respectez rien !
Mme Annie Genevard, ministre
Le rapporteur Julien Dive a été contraint de déposer une motion de rejet préalable sur son propre texte, pour que cette proposition de loi puisse faire l’objet d’un vote. (Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP et EcoS.) Je respecte son choix et j’aurai l’occasion de m’en expliquer tout à l’heure. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. Jean-Claude Raux
Ne donnez pas de leçons ! Vous aurez des comptes à rendre.
Mme Annie Genevard, ministre
Je trouve cela déplorable et triste pour notre pays qu’il soit nécessaire d’en arriver là pour qu’une loi prospère. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR ainsi que sur quelques bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Julien Dive, rapporteur de la commission des affaires économiques.
M. Julien Dive, rapporteur de la commission des affaires économiques
Nous devons examiner la proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, adoptée par le Sénat le 27 janvier dernier et sur laquelle le gouvernement a engagé la procédure accélérée.
Mme Sophie Taillé-Polian
Nous voulons l’examiner, nous !
M. Julien Dive, rapporteur
Comme vous le savez, ce texte émane du Sénat, où un travail de fond a été fait, en lien avec le gouvernement, pour l’améliorer.
La mobilisation des agriculteurs en témoigne, cette proposition de loi contient une série de mesures très attendues par le monde agricole, complémentaires de celles qui ont été adoptées dans la loi d’orientation agricole promulguée en mars.
En tant que rapporteur de la commission des affaires économiques, je concentrerai mon propos sur les articles 1er, 2, 3, 4, 7 et 8, puisque les articles 5 et 6 ont été délégués au fond à la commission du développement durable.
L’article 1er vise à revenir sur la séparation des activités de vente et de conseil en matière de produits phytopharmaceutiques pour les distributeurs ; elle n’a jamais fonctionné en pratique depuis son instauration, comme l’ont montré les travaux conduits par nos collègues Stéphane Travert et Dominique Potier. Ces travaux, menés de manière transpartisane, ont largement nourri la réflexion sur ce sujet et ont permis de dégager des constats partagés bien au-delà des clivages politiques.
Cette séparation de la vente et du conseil est néanmoins maintenue pour les producteurs, afin de limiter les risques de conflits d’intérêt.
L’article 1er instaure par ailleurs un conseil stratégique global, qui doit inciter les agriculteurs à mener une réflexion d’ensemble pour renforcer la viabilité économique, environnementale et sociale de leur exploitation.
L’article 2 comportait une série de dispositions relatives au rôle de l’Anses dans la procédure d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des produits phytopharmaceutiques. La commission des affaires économiques a décidé de les supprimer, car elles auraient eu pour effet d’alourdir les procédures, ce qui irait à l’encontre de l’objectif de fluidification recherché.
Mais cet article 2 porte surtout sur un sujet qui focalise l’attention : la possibilité de déroger au principe de l’interdiction d’utiliser des produits contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes – concrètement, l’acétamipride, seule substance de la famille des néonicotinoïdes approuvée au sein de l’Union européenne. Sur ce point, l’effet de l’article est, ni plus ni moins, de replacer l’Anses, donc l’évaluation scientifique, au centre de la prise de décision.
M. Fabrice Brun
Très bien ! Il faut savoir sortir des dogmes et écouter la science !
M. Julien Dive, rapporteur
Cette dérogation par décret ne vaudra pas autorisation d’utiliser des produits contenant de l’acétamipride. Le texte le prévoit clairement : il faudra encore que le produit contenant cette substance se voie délivrer une AMM. Et c’est là que l’on retrouve le rôle de l’Anses, qui avait été écartée du sujet par le législateur en 2016 !
Le texte est strictement proportionné à l’objectif recherché : apporter une solution ponctuelle, pour un usage précis, à une filière qui ne dispose pas d’autre solution et qui se trouve pénalisée par rapport à ses voisines européennes qui, elles, ont accès à ladite solution.
La commission des affaires économiques a ajouté à l’article 2 une limitation à trois ans de la durée d’application du décret de dérogation, qui devra en tout état de cause être abrogé dès lors qu’une solution alternative apparaît.
Enfin, la commission a inscrit dans la loi l’existence du comité des solutions chargé de recenser les filières en impasse et les méthodes pouvant constituer des alternatives crédibles. Sans contraindre l’Anses dans l’organisation de ses travaux, il faut faire en sorte que cette agence dialogue avec l’ensemble des parties prenantes pour donner des perspectives à nos filières.
L’article 3, dans la version adoptée par le Sénat, visait à assouplir les modalités de consultation du public dans le cadre de la procédure d’autorisation environnementale telle qu’elle résulte de la loi du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte, notamment pour les installations d’élevage. La commission a toutefois souhaité prendre en compte la spécificité des installations d’élevage au regard des autres ICPE et décidé de rétablir l’écriture initiale du texte afin de revenir au régime antérieur à la loi « industrie verte ».
La commission a également confirmé le relèvement des seuils applicables aux installations d’élevage de porcs et de volailles, en lien avec la révision d’avril 2024 de la directive européenne relative aux émissions industrielles – la directive IED – qui entrera en vigueur le 1er septembre 2026.
M. Pierre Cordier
Du calme ! Écoutez Julien Dive !
Mme Sophie Taillé-Polian
Vous devriez lire votre papier encore plus vite !
M. Julien Dive, rapporteur
Afin de répondre à des préoccupations croissantes concernant les élevages de saumons en circuit fermé, la commission s’est prononcée en faveur d’un moratoire de dix ans sur ce type d’élevage.
Elle a modifié l’article 4 pour rétablir une procédure de recours des éleveurs contre l’évaluation de leurs pertes de récoltes en prairie par un indice.
L’article 7 clarifie le fait que l’introduction dans l’environnement d’insectes stériles à des fins de lutte autocide reste soumise à autorisation préalable, comme pour les autres insectes non indigènes. Nous avons renforcé la procédure d’autorisation en y associant l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et le ministre de la santé. Nous avons aussi interdit, dans tous les cas, l’utilisation d’insectes génétiquement modifiés.
L’article 8 est une habilitation à légiférer par ordonnance, que nous avons largement remaniée.
Enfin, l’article 9, créé par la commission, double l’amende qui punit le fait de déverser dans les cours d’eau des substances dangereuses.
Ces débats ont duré près de cinquante heures, réparties entre la commission des affaires économiques et la commission du développement durable. Nous avons examiné plus de 900 amendements, dont 171 ont été adoptés. Ce chiffre dit tout de la densité du travail accompli et de la volonté de trouver des points d’équilibre, même sur des sujets sensibles.
En conclusion, je voudrais saluer l’esprit dans lequel se sont tenus nos débats en commission. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR ainsi que sur de nombreux bancs des groupes EPR et Dem.)
M. le président
La parole est à Mme Sandrine Le Feur, présidente et rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Mme Sandrine Le Feur, présidente et rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire
Nous avons une responsabilité commune : bâtir une agriculture résiliente, respectueuse du vivant et des générations futures. Dans un monde incertain, où les ressources naturelles s’épuisent, où la parole scientifique est parfois remise en cause, ce devoir collectif est plus urgent que jamais.
M. Jean-Paul Lecoq
Très bien !
M. Fabrice Brun
Et les agriculteurs, dans tout ça ?
Mme Sandrine Le Feur, rapporteure pour avis
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne répond ni à cette exigence, ni aux attentes concrètes des agriculteurs, qui nous demandent deux choses : vivre dignement de leur travail et être accompagnés pour s’adapter au réchauffement climatique. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. Jean-Paul Lecoq
Exactement !
Mme Sandrine Le Feur, rapporteure pour avis
Ce texte, qui a été largement modifié, comporte bien sûr des apports utiles. Mais il suscite surtout de sérieuses inquiétudes, et il ne doit pas servir de cheval de Troie pour affaiblir nos exigences environnementales. (Mêmes mouvements.)
Réintroduire l’acétamipride, même partiellement, serait un recul pour la santé des pollinisateurs et la crédibilité de notre transition agricole. De même, la ressource en eau et les zones humides doivent être préservées.
M. Damien Girard
Évidemment !
Mme Sandrine Le Feur, rapporteure pour avis
J’ai conscience des difficultés rencontrées sur le terrain ; nous devons y répondre, mais nous ne pouvons pas sacrifier nos ambitions environnementales pour adopter des solutions de court terme. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mon engagement, comme rapporteure du texte, comme présidente de commission et comme agricultrice, c’est de défendre une agriculture durable et résiliente. (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Paul Lecoq
Bravo !
Mme Sandrine Le Feur, rapporteure pour avis
La commission du développement durable et de l’aménagement du territoire est saisie au fond des articles 5 et 6.
Je veux remercier les députés de ma commission, qui ont travaillé et amendé le texte dans une volonté commune de construire un texte respectueux à la fois du monde agricole et de nos engagements environnementaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Je me réjouis de la suppression de l’article 5 par la commission, car il était inacceptable,…
M. Jean-Paul Lecoq
Bravo !
Mme Sandrine Le Feur, rapporteure pour avis
…en particulier s’agissant des dispositions sur les zones humides. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.) Il prévoyait la création d’une nouvelle catégorie de zone humide, dite « fortement modifiée ». Ma position est ferme à ce sujet : l’urgence n’est pas de continuer à les dégrader, mais de les restaurer.
M. Thierry Tesson
C’est un discours de gauche !
Mme Sandrine Le Feur, rapporteure pour avis
Concernant le stockage, l’article 5 favorisait, pour les ouvrages de stockage de l’eau et les prélèvements pour l’agriculture, l’octroi de dérogations d’une part à la protection des milieux aquatiques et de notre ressource en eau, d’autre part à la protection des habitats naturels. Il ne saurait être question de reconnaître toutes les retenues d’eau comme d’intérêt général, sans examen au cas par cas et en dérogeant aux obligations du droit environnemental. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.) En effet, elles n’ont pas toutes les mêmes impacts sur le cycle de l’eau. Je ne suis pas opposée à l’irrigation – elle est parfois nécessaire – mais elle doit s’inscrire dans une stratégie cohérente de transition agricole. (Exclamations sur les bancs des groupes RN, DR et UDR.)
M. Pierre Cordier
Sans eau, l’agriculture, ça peut être compliqué, en effet !
Mme Sandrine Le Feur, rapporteure pour avis
L’article 5 ter, introduit en commission, représente une avancée considérable pour la protection de la santé humaine et des écosystèmes. Depuis 1980, plus de 14 000 captages d’eau potable ont été fermés, dont 45 % pour cause de teneurs excessives en nitrates et pesticides. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS ainsi que sur de nombreux bancs du groupe LFI-NFP.) Les études scientifiques se multiplient qui mettent en évidence les liens entre exposition aux pesticides et augmentation des cancers, maladies neurologiques, troubles hormonaux et de la fertilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. Julien Brugerolles
Bravo !
Mme Sandrine Le Feur, rapporteure pour avis
L’article généralise la délimitation des aires d’alimentation des captages et met en place des plans d’action pour protéger la qualité de l’eau. Il sera possible, dans ces zones, d’utiliser les alternatives efficaces déjà disponibles, comme les produits de biocontrôle ou ceux autorisés en agriculture biologique. Revenir sur cette avancée en séance ferait courir un grave risque à la population.
J’en viens maintenant aux autres articles additionnels après l’article 5 introduits en commission. J’y suis à titre personnel défavorable.
Je considère d’abord qu’ils imposent aux agriculteurs et agricultrices des conditions trop drastiques pour accéder à la ressource en eau, notamment pour ceux qui réservent l’usage de l’irrigation à la seule agriculture biologique ou qui interdisent tout financement des ouvrages de stockage par les agences de l’eau.
De plus, il convient de laisser aux comités de bassin une liberté de planification et d’orientation pour une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau. À ce titre, la motion adoptée à l’unanimité, à l’issue du débat autour de Sainte-Soline, par le comité de bassin Loire-Bretagne – qui rassemble des associations environnementales, des représentants agricoles et des collectivités – rappelle avec force que le dialogue territorial est essentiel pour construire des solutions justes, adaptées et durables.
Enfin, je le dis clairement : un retour à l’acétamipride, même à titre dérogatoire, n’est pas acceptable. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.) Les risques pour les pollinisateurs, ainsi que les fortes présomptions de neurotoxicité et de perturbation endocrinienne, sont trop préoccupants pour être ignorés. Je défendrai donc un amendement de suppression de ces dispositions. (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR. – De nombreux députés des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS se lèvent pour applaudir.)
M. le président
La parole est à Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques.
M. Julien Odoul
Une deuxième oratrice LFI !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
La commission des affaires économiques a beaucoup travaillé sur cette proposition de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ; du 13 au 16 mai, nous avons eu, malgré l’existence d’importants désaccords, des débats constructifs et respectueux, ce dont je me félicite.
Ces dix-sept heures de débats – sur six seulement des huit articles, puisque les deux autres étaient délégués à la commission du développement durable – étaient clairement nécessaires pour aboutir à un texte qui comporte désormais vingt-six articles.
Ce climat est bien éloigné, il faut le dire, des dégradations matérielles, des menaces et des violences inacceptables qui ont malheureusement visé certains de nos collègues parlementaires et leurs permanences. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.) Ces dérives, qui portent atteinte à notre démocratie et visent à remettre en cause l’indépendance des parlementaires, ne sont pas tolérables. (Mêmes mouvements.) Je ne doute pas que Mme la ministre partagera ce point de vue, par respect pour nos institutions et pour la souveraineté parlementaire. (Mêmes mouvements.)
Notre commission a notamment décidé de supprimer les dispositions qui, dans le texte transmis par le Sénat, portaient atteinte à l’indépendance de l’Anses, l’agence scientifique qui évalue et autorise, ou pas, la commercialisation des pesticides. Je me félicite de ce vote qui prend le parti de faire primer la parole scientifique sur toute autre considération politique ou économique.
Je déplore, pour ma part, la réintroduction de la possibilité d’utiliser des néonicotinoïdes, qui entraînent des risques très élevés pour la santé humaine, les écosystèmes, la pollinisation, les apiculteurs… J’ai cette conviction que le principe de précaution doit prévaloir ; je sais qu’elle est partagée par nombre de mes collègues – pas seulement à gauche, loin de là. En 2007, nous avons donné valeur constitutionnelle à ce principe ; si la France réintroduit un pesticide qui comporte de tels risques, cela marquera un désaveu historique de cette ambition. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Je sais bien sûr à quel point la question est sensible pour certaines filières agricoles. Mais des alternatives existent, émergent. La puissance publique devrait à la fois soutenir ces filières et éviter un scandale sanitaire demain.
Une autre agriculture est possible ! Avons-nous déjà renoncé à la transition écologique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP ainsi que sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS.) Je sais qu’une majorité des agriculteurs veulent faire cette transition.
Mme Marie-Christine Dalloz
Non, pas une majorité !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Pour que la transition ne soit pas subie, qu’elle ne soit pas vécue comme une punition, elle doit reposer sur un nouveau compromis : transition contre protection – protection contre les produits importés à bas prix qui ne respectent pas nos normes ; aides bien plus importantes à l’agroenvironnement, à l’agriculture biologique, aux jeunes installés ; prix rémunérateurs et encadrement des marges des multinationales de l’aval. À chaque fois, la majorité présidentielle s’est employée à couler ces batailles menées depuis des années par divers bancs de l’Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
En réalité, les contraintes qu’invoque cette proposition de loi ne viennent pas de la protection du vivant, mais de trente années de libéralisation des marchés qui ont mis en danger la souveraineté alimentaire de notre pays (Mêmes mouvements) et la souveraineté nationale. Non, ce n’est pas à l’Europe de décider à notre place comment la santé de nos concitoyens doit être protégée ! Nous ne surtransposons pas, nous décidons souverainement ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Exclamations sur les bancs du groupe DR.) Et nous devons être fiers de défendre une telle ambition environnementale et sociale ; nous devons nous en donner les moyens et en donner les moyens aux agriculteurs.
Enfin, je déplore avec inquiétude le dépôt par le bloc présidentiel d’une motion de rejet préalable contre sa propre proposition de loi. Si elle venait à être adoptée, elle empêcherait tout examen du texte en séance publique dans cette Assemblée. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.) Tout le travail des commissions et les dizaines d’heures de débats fructueux entre députés seraient jetés aux orties.
Mme Marie-Christine Dalloz
À qui la faute ? Vous en êtes responsables !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Certes, madame la ministre, vous avez fait des promesses à certains syndicats agricoles,…
Mme Marie-Christine Dalloz
Vous n’en avez pas fait ?
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
…mais celles-ci n’engageaient pas l’Assemblée nationale, qui doit rester incontournable dans ces débats ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC. ) C’est toujours un choix désastreux que d’enterrer le débat parlementaire. C’est un précédent inédit et dangereux ! Nous aurions dû tous pousser dans le même sens : donner à l’examen de ce texte dans l’hémicycle le temps nécessaire afin d’aboutir à un vote à la majorité, après des débats éclairés. Je regrette notamment que nous n’ayons pas pu aboutir à un vote en conférence des présidents sur l’application de la procédure du temps législatif programmé, comme je l’avais suggéré. (Exclamations sur les bancs du groupe RN. – M. Laurent Jacobelli fait au revoir de la main à l’oratrice.)
M. Fabrice Brun
Elle a fini ?
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Nos concitoyens retiendront que vous avez empêché nos débats sur des questions existentielles !
M. le président
Merci, madame la députée.
Mme Aurélie Trouvé
À quoi servons-nous, nous, députés ? (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’oratrice. – Les députés du groupe LFI-NFP ainsi que quelques députés du groupe SOC se lèvent et applaudissent cette dernière. – Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – Exclamations sur les bancs des groupes RN et DR.)
Motion de rejet préalable
M. le président
J’ai reçu de MM. Julien Dive, Laurent Wauquiez, Gabriel Attal, Marc Fesneau et Paul Christophe une motion de rejet préalable (« La honte ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP), déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, EPR, DR, HOR et UDR ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem.)
Rappels au règlement
M. le président
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour un rappel au règlement.
Mme Cyrielle Chatelain
Il se fonde sur l’article 100 relatif à la bonne tenue de nos débats. Quarante amendements par député du groupe Écologiste et social sur un texte dangereux pour notre santé et pour notre environnement : non, ce n’est pas de l’obstruction. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP. – Exclamations sur les bancs des groupes RN et DR.)
M. Emeric Salmon
Ce n’est pas un rappel au règlement ! C’est son intervention !
Mme Cyrielle Chatelain
Chacun de ces amendements était utile : ils concernaient la réautorisation de l’acétamipride, la protection des agriculteurs contre la concurrence déloyale (Vives exclamations sur les bancs des groupes RN et DR),…
M. le président
S’il vous plaît !
Mme Cyrielle Chatelain
…la protection des agriculteurs qui souffrent de maladies professionnelles. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Ces débats, le bloc gouvernemental…
M. le président
Concentrez-vous sur le rappel au règlement, madame la députée.
Mme Cyrielle Chatelain
…et le Rassemblement national n’en ont pas voulu. Ils ont détourné la motion de rejet de son objet. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Une motion de rejet préalable sert à montrer son désaccord avec un texte. Là, c’est le rapporteur du texte qui la présente pour empêcher les débats. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.)
M. Michel Herbillon
Non ! Pour faire cesser l’obstruction !
Mme Cyrielle Chatelain
Afin que les débats puissent avoir lieu, le groupe Écologiste et social a accepté en conférence des présidents de renoncer à son travail. Il a soutenu le temps législatif programmé : il a accepté que 68 % du temps soit dédié au soutien du texte et de s’autolimiter. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS. – Exclamations sur les bancs du groupe DR. – Protestations sur les bancs du groupe RN.)
Mme Marie-Christine Dalloz
C’est fini !
Mme Cyrielle Chatelain
Il a accepté de limiter son nombre d’amendements. Je veux le dire : pourquoi y a-t-il une motion de rejet ?
M. le président
Je vous remercie, madame la députée.
Mme Cyrielle Chatelain
Vous avez peur d’un mot, c’est le mot « cancer », parce que c’est ce que fait ce texte… (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’oratrice. – Les députés des groupes EcoS et LFI-NFP se lèvent et applaudissent longuement cette dernière.)
M. le président
Sur ce sujet de l’organisation de nos débats, je donnerai la parole à un orateur par groupe au maximum – tous les groupes ne sont pas obligés d’intervenir.
La parole est à M. Jean-Luc Fugit, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Luc Fugit
Il se fonde sur l’article 100, relatif à la bonne tenue de nos débats. Chers collègues de La France insoumise et du groupe Écologiste et social, pour étudier ce texte, une autre voie que l’obstruction était possible.
Un député du groupe DR
Très bien !
M. Jean-Luc Fugit
Le débat en commission des affaires économiques a duré près de vingt heures. Ce débat sérieux et apaisé a permis l’adoption du texte par la commission des affaires économiques. (Exclamations sur les bancs du groupe EcoS.) Les députés du groupe Ensemble pour la République ont d’ailleurs cru jusqu’au bout qu’un débat serein serait également possible en séance publique.
M. Philippe Gosselin
Avec eux, ce n’est jamais possible !
M. Jean-Luc Fugit
Mais vous avez déposé plus de 2 000 amendements en quelques heures, sur une proposition de loi qui compte à peine dix articles. Vous avez donc fait le choix de refuser le débat en créant les conditions de son blocage. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) Tout à l’heure, en conférence des présidents, la présidente de l’Assemblée nationale vous a proposé de retirer nombre de vos amendements et que nous appliquions la procédure du temps législatif programmé.
Mme Sophie Taillé-Polian
Il n’y a pas de débat sans amendements !
M. Antoine Léaument
Vous êtes de droite !
M. Jean-Luc Fugit
Vous n’avez voulu entendre parler ni de l’un, ni de l’autre. (Protestations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Applaudissements sur les bancs du groupe DR ainsi que sur quelques bancs du groupe HOR.)
Mme Mathilde Panot
Vous mentez !
M. le président
S’il vous plaît ! On écoute M. Fugit !
M. Jean-Luc Fugit
Vous avez ainsi achevé de démontrer à quel point vous méprisez le débat parlementaire.
Mme Mathilde Panot
Vous êtes un menteur !
M. Jean-Luc Fugit
Plus grave encore, votre obstruction montre à quel point vous méprisez les agriculteurs eux-mêmes. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à Mme Mathilde Panot, pour un rappel au règlement.
Mme Mathilde Panot
Il se fonde sur l’article 100. Mesdames et messieurs les ministres, après les 49.3 pour passer en force les budgets austéritaires, après les 49.3 pour passer en force la retraite à 64 ans, vous inventez une nouvelle forme de 49.3. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur les bancs du groupe DR.) On marche sur la tête. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) On n’avait encore jamais vu un rapporteur présenter une motion de rejet sur son propre texte ! (« Quelle honte ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.) Son dépôt ne vise qu’une chose : saborder un texte pour ne pas avoir une seule minute de débat ni un seul vote dans cet hémicycle…
Mme Émilie Bonnivard
C’est vous qui le sabordez !
Mme Mathilde Panot
…sur des sujets pourtant majeurs pour la santé des Français – en premier lieu celle des agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Pour que tout le monde comprenne, rappelons que si cette motion de rejet est adoptée, le texte repartira immédiatement au Sénat et tout sera réglé dans une commission mixte paritaire (CMP) à huis clos, sans aucun débat devant les Français et les Françaises. (Exclamations et applaudissements sur les bancs des groupes RN et DR ainsi que sur quelques bancs des groupes HOR et UDR.)
M. Philippe Gosselin
Très bien !
Mme Mathilde Panot
Oui, vous avez peur de la démocratie. Collègues, jusqu’à quand accepterez-vous de sacrifier votre rôle de députés ? (Exclamations sur les bancs du groupe DR.) Aujourd’hui, c’est ce texte, demain, ce sera peut-être un autre ! Vous êtes en train de créer un précédent très dangereux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Si vous acceptez qu’une motion de rejet devienne un 49.3 contre l’Assemblée nationale, ce n’est plus vous, les députés, qui légiférez, mais la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) qui fait sa loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.) Face à un coup de force antidémocratique, nous ne vous laisserons pas piétiner l’Assemblée nationale !
M. le président
Merci de conclure.
Mme Mathilde Panot
Nous déposerons une motion de censure contre ce gouvernement. (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
M. Julien Odoul
C’est n’importe quoi !
M. le président
La parole est à M. Sébastien Chenu, pour un rappel au règlement.
M. Sébastien Chenu
Il se fonde sur l’article 58 – les rappels au règlement doivent rester des rappels au règlement. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) La technique de nos collègues de La France insoumise est celle du pourrissement. Hier, ils ont pourri le débat sur la réforme des retraites, empêchant la représentation nationale de voter et de repousser cette réforme qu’ils prétendaient combattre alors qu’ils ont empêché le vote dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Vives exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Mathilde Panot
Nous en sommes fiers !
M. Sébastien Chenu
Aujourd’hui, ils pourrissent un débat sur l’agriculture, parce qu’en réalité, ils détestent les paysans et les agriculteurs. (Mêmes mouvements.) Ils détestent la ruralité ! Ils veulent voir notre pays sans un paysan, ils veulent voir la ruralité disparaître ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN, dont certains députés se lèvent, ainsi que sur quelques bancs des groupes DR et UDR.) En réalité, ils détestent la démocratie et l’expression des Français – leur manipulation le démontre ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Les députés des groupes RN et UDR se lèvent et applaudissent longuement.)
Mme Marie Mesmeur
C’est vous qui nous empêchez de voter !
M. le président
La parole est à M. Boris Vallaud, pour un rappel au règlement. Un peu de silence, s’il vous plaît.
M. Boris Vallaud
Il se fonde sur l’article 100 de notre règlement.
Mme Émilie Bonnivard
Il y a des inscrits après !
M. Boris Vallaud
Chacun doit en avoir conscience, la manœuvre dont le rapporteur lui-même est à l’origine constitue un déni de démocratie grave (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS. – Exclamations sur les bancs du groupe RN)…
M. Thierry Tesson
C’est vous ! Vous n’avez pas d’amis !
M. Laurent Jacobelli
Vous êtes tout seul !
M. le président
Un peu d’écoute, s’il vous plaît !
M. Boris Vallaud
…sur des sujets qui préoccupent les Françaises et les Français, les agricultrices et les agriculteurs. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
La loi que vous vous apprêtez à repousser et à renvoyer dans de sombres couloirs plutôt que dans le débat démocratique dans l’hémicycle (Exclamations sur les bancs du groupe RN) n’apportera pas 1 euro de plus dans la cour des fermes – vous ne vous attaquez pas à la question des revenus – (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS), ne garantira pas le moindre mètre cube d’eau supplémentaire – nous devons partager la ressource –, ne permettra pas d’installer le moindre nouvel agriculteur ni de défendre nos élevages, donc notre souveraineté alimentaire – rien n’est prévu en matière de foncier agricole (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS).
Non contents de ce grand mensonge, ce matin, en conférence des présidents, l’extrême droite, la droite et le socle commun se sont livrés à un concours de lenteur pour ne pas répondre favorablement aux propositions formulées par d’autres groupes – j’en parle d’autant plus tranquillement que nous n’en étions pas – de retirer des amendements pour autoriser le vrai débat ici, c’est-à-dire l’exercice de la démocratie. (Exclamations sur les bancs du groupe RN. – Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
M. le président
Avant de donner la parole à M. Julien Dive pour présenter la motion de rejet préalable, je rappelle que les conditions d’examen de cette proposition de loi ont fait l’objet d’échanges durant tout le week-end. La conférence des présidents a été spécialement réunie à ce sujet à 15 heures. Elle n’est pas parvenue à une solution qui conviendrait à tous.
Mme Émilie Bonnivard
Donc nous allons rejeter le texte ! C’est la démocratie !
M. le président
Toutes celles et ceux qui le souhaitaient ont désormais pu faire entendre leur point de vue. En conséquence, à partir de maintenant et jusqu’au vote sur la motion de rejet préalable, je n’accorderai plus la parole pour des rappels au règlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs du groupe EcoS.) Vous aurez bien entendu la possibilité de présenter des explications de vote, d’une durée de deux minutes maximum par groupe.
Mme Émilie Bonnivard
C’est la démocratie ! Nous allons voter !
Motion de rejet préalable (suite)
M. le président
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre la motion de rejet préalable.
M. Julien Dive, rapporteur
J’aurais aimé un débat constructif. (« C’est faux ! » sur les bancs du groupe EcoS.) J’aurais aimé que nous puissions confronter nos arguments, croiser nos visions, comme nous avons su le faire en commission.
Mme Dominique Voynet
Jésuite !
M. Julien Dive, rapporteur
Nous avons eu des échanges parfois vifs, souvent exigeants, mais toujours respectueux. J’aurais aimé entendre les arguments de fond de chacun, vous répondre, construire là où c’est possible, assumer nos divergences là où elles existent.
Mme Mathilde Panot
Menteur ! Vous êtes mauvais acteur !
M. Julien Dive, rapporteur
J’aurais aimé que les agriculteurs, en suivant nos travaux aujourd’hui, perçoivent un Parlement à la hauteur de leurs attentes, capable de parler de leur quotidien avec sérieux, lucidité et responsabilité. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Marie Mesmeur
Arrêtez de mentir !
M. Julien Dive, rapporteur
Nous étions sur cette voie : en commission, le dialogue a existé – surtout, il a été ouvert. Pas moins de 52 % des avis favorables que j’ai rendus ont concerné des amendements défendus par la gauche.
M. Alexis Corbière
Et alors ! Raison de plus !
M. Julien Dive, rapporteur
Article par article, la proposition de loi a été travaillée. Il ne s’agissait pas d’un texte verrouillé, mais d’une base perfectible, amendable, construite dans un esprit d’ouverture.
M. Alexis Corbière
Eh bien voilà !
M. Julien Dive, rapporteur
Il y avait la place pour échanger et une volonté manifeste de dialoguer. L’esprit qui a guidé notre travail était celui d’une construction partagée. Nous n’avons pas défendu un texte figé, monolithique ou partisan, mais une méthode : celle de l’écoute, de la confrontation utile et du progrès par le désaccord.
M. Louis Boyard
Celle de la FNSEA !
M. Julien Dive, rapporteur
Ce texte, je l’ai défendu depuis le mois de mars comme un artisan attentif à ce que chacun puisse y apporter sa pierre. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – M. Didier Le Gac applaudit également.) J’ai accepté les auditions que vous m’avez proposées et les amendements de tous les bancs, j’ai formulé des compromis et j’ai tenu compte des préoccupations exprimées. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Pour rappel, près de cinquante heures de débat dans les deux commissions ont été nécessaires pour examiner plus de 900 amendements, dont 171 ont été adoptés. (Mêmes mouvements.) Un article a même été voté à l’unanimité, ce qui témoigne de notre capacité à converger lorsque les conditions d’un vrai débat sont réunies.
Ce travail aurait pu se poursuivre dans l’hémicycle. Il aurait pu être le prolongement du dialogue et montrer à nos concitoyens que, face à une attente si forte du monde agricole, le Parlement sait s’élever au-dessus des réflexes partisans.
M. Emmanuel Maurel
Il le peut toujours !
M. Julien Dive, rapporteur
Mais cet esprit d’ouverture a été sciemment ignoré, balayé et nié. Ce n’est ni une confrontation d’idées, ni un désaccord assumé et respectueux. Nous faisons face à une stratégie d’obstruction délibérée – une obstruction massive, revendiquée, assumée, méthodique qui instaure une rupture de confiance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs des groupes EPR et HOR.)
Pas moins de 3 500 amendements ont été déposés (« Et alors ? » sur les bancs du groupe LFI-NFP), dont 1 200 créent des articles additionnels – s’ils étaient adoptés, la proposition de loi compterait donc plus de 1 200 articles ! Ils visent non à enrichir le texte, mais à l’asphyxier et à désintégrer le débat ; non à exercer loyalement un droit d’opposition, mais à saturer volontairement le temps parlementaire. J’appelle cela du sabotage organisé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme Marie-Christine Dalloz
Bravo !
M. Julien Dive, rapporteur
Ce sabotage a été organisé par les députés des groupes La France insoumise et Écologiste et social, qui refusent le débat dès lors qu’il ne leur est pas acquis. Car parmi ces milliers de propositions, que trouve t-on ? Un véritable catalogue de provocations déguisées en procédures (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP) : un tour de France des départements à exclure du texte, un par un, pour faire gonfler artificiellement la liasse – pas moins de 94 amendements identiques, déclinés au nom de quasiment chaque département, ont été déposés ; des amendements rédactionnels qui consistent, par exemple, à remplacer les mots « un mois » par « trente jours » (Mêmes mouvements) ; un autre fixant l’entrée en vigueur des dispositions de l’article 3 au 1er janvier 2100, puis des amendements de repli la fixant au 1er janvier 2099, au 1er janvier 2098, au 1er janvier 2097, etc. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Sophie Taillé-Polian
Et votre obstruction lors de la niche du groupe Écologiste et social, on en parle ?
M. Julien Dive, rapporteur
D’autres encore réclament l’ajout de « et agentes » après le mot « agents », comme si le problème du monde agricole était une affaire de typographie.
Mme Sabrina Sebaihi
De typographie non, mais de pesticides, oui !
M. Julien Dive, rapporteur
Et la liste ne s’arrête pas là : doublons volontaires, redites vides de sens, empilements absurdes… Le ridicule ne tue pas, mais il finit par étouffer la parole publique. Est-ce vraiment votre conception du débat parlementaire ?
Ne nous y trompons pas : cette obstruction ne se limite pas aux amendements. Certains sont prêts à user de toutes les armes du règlement pour ralentir encore les travaux : rappels au règlement en série, demandes de suspension de séance, sous-amendements à foison, multiplication d’interventions de forme, autant d’artifices destinés non à enrichir le débat, mais à l’épuiser.
Mme Sophie Taillé-Polian
C’est vous qui décidez de passer en force !
Un député du groupe LFI-NFP
Supprimez l’Assemblée nationale, alors !
M. Julien Dive, rapporteur
De plus, que dire du fait que depuis soixante-douze heures que cette motion est déposée, pas un seul de ces amendements d’obstruction n’a été retiré ? (« Ah ? » sur quelques bancs du groupe DR.) Si la volonté avait été de permettre le débat, le signal aurait dû être donné dès samedi. Rien n’a été fait ! Faut-il rappeler que les groupes La France insoumise et écologiste ont déposé une quinzaine de motions de rejet préalable depuis 2022 et qu’ils en avaient d’ailleurs déposé une sur ce texte la semaine dernière, avant de se rétracter ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe EPR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Ils n’ont jamais remis en cause la légitimité de cet outil qui constitue pour eux une expression normale de leur opposition et un levier institutionnel comme un autre. Mais aujourd’hui, parce que cette motion émane d’un autre banc, elle deviendrait soudain une menace pour la démocratie parlementaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Mme Danielle Brulebois applaudit également.) Il y aurait donc des bonnes et des mauvaises motions, des motions qui seraient recevables en fonction de ceux qui les proposent !
Mme Émilie Bonnivard
Ils sont ridicules !
Mme Fatiha Keloua Hachi
Mais rejeter son propre texte, on ne l’a jamais vu !
M. Julien Dive, rapporteur
Certains en sont même venus à qualifier ce texte de tous les noms, à le tordre, à le caricaturer, comme si l’exagération pouvait combler le vide argumentatif.
M. Hadrien Clouet
Comme s’il était très mauvais !
M. Julien Dive, rapporteur
Mais puisque les mots ont un sens, pour reprendre une formule que vous aimez tant inscrire dans vos exposés sommaires, utilisons-les à bon escient. Que reste-t-il quand on refuse d’argumenter et qu’on rejette tout compromis ? Il reste la posture. Mais les effets de manche, aussi maîtrisés soient-ils, ne font pas vivre une exploitation !
Mme Émilie Bonnivard
Eh oui !
M. Julien Dive, rapporteur
C’est pourquoi, avec quatre présidents de groupe, MM. Laurent Wauquiez, Gabriel Attal, Marc Fesneau et Paul Christophe, j’ai choisi de déposer cette motion de rejet préalable. Elle est devenue une nécessité imposée par les circonstances.
Mme Sabrina Sebaihi
Vous n’êtes jamais responsables de rien !
M. Julien Dive, rapporteur
En effet, l’article 91, alinéa 5, du règlement de notre assemblée prévoit que cette motion peut être déposée pour faire décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Or, face à une obstruction massive, méthodique et manifeste de 3 500 amendements, dont bon nombre visent assurément à entraver le débat plutôt qu’à l’enrichir, il est devenu impossible de mener une délibération sereine et constructive.
Mme Émilie Bonnivard
En effet, on nie la démocratie avec un tel comportement !
M. Julien Dive, rapporteur
Ce n’est d’ailleurs pas une première dans l’histoire parlementaire. En 1995, le Sénat avait eu recours à une question préalable dans un contexte d’obstruction et le Conseil constitutionnel avait explicitement validé cette décision au nom du « bon déroulement du débat démocratique et du fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels ».
M. Michel Herbillon
Très bien !
Mme Fatiha Keloua Hachi
Ça fait juste trente ans !
Mme Sabrina Sebaihi
On va remonter à la IVe République, aussi ?
M. Julien Dive, rapporteur
Ce précédent rappelle que lorsqu’une stratégie d’asphyxie est utilisée, il est légitime, et même parfois indispensable, de mobiliser les outils procéduraux à notre disposition pour rétablir les conditions d’un débat véritable.
M. Philippe Gosselin
Eh oui, ça sert aussi à ça !
M. Maxime Laisney
Comme les 49.3 !
M. Julien Dive, rapporteur
Il convient donc de mettre fin à une paralysie orchestrée qui nuit à l’intérêt général, en particulier à celui du monde agricole. Chacun use des outils que lui offre le règlement. La France insoumise et les écologistes ont choisi l’obstruction, nous, nous choisissons la responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Mme Danielle Brulebois applaudit également.)
Mme Marie Mesmeur
Bah, bien sûr !
M. Julien Dive, rapporteur
Je le redis solennellement : cette motion n’a pas pour objet de clore la discussion,…
Mme Sabrina Sebaihi
Elle sert à quoi, alors ?
M. Julien Dive, rapporteur
…mais de permettre qu’elle ait lieu dans des conditions dignes et respectueuses. Le débat n’est pas bloqué ; au contraire, nous cherchons à le rendre possible.
Mme Sophie Taillé-Polian
On est dans l’obscurité et l’opacité !
M. Julien Dive, rapporteur
Je vous invite donc à voter en faveur de cette motion,…
Mme Dominique Voynet
Quel déshonneur !
M. Julien Dive, rapporteur
…non pour faire taire un camp,…
M. Antoine Léaument
Si, de toute évidence !
M. Julien Dive, rapporteur
…mais pour rendre à notre assemblée sa capacité à travailler clairement, utilement et dans le respect de celles et ceux pour qui nous sommes ici. Derrière le texte que nous avons travaillé en commission, derrière chaque amendement examiné, il y a ce que vivent chaque jour les agriculteurs et nous avons le devoir de le prendre en compte sans filtre idéologique ni simplification commode.
Mme Dominique Voynet
Il n’y a aucune réponse précise !
M. Julien Dive, rapporteur
Tous sont aujourd’hui confrontés aux mêmes pressions : une inflation réglementaire, des charges qui explosent, des revenus qui s’effondrent, des décisions administratives souvent incohérentes.
Mme Sabrina Sebaihi
Ce texte n’y répond pas !
M. Julien Dive, rapporteur
Ils travaillent sans relâche, week-ends compris, parfois même dans la peur – la peur d’un contrôle injuste, la peur de ne pas pouvoir honorer une échéance, la peur de devoir arrêter. Leur quotidien est fait de décisions immédiates, de coups durs et de solitude aussi. Et comment leur répond-on aujourd’hui ? Par un rideau d’amendements, un mur procédural, une obstruction méthodique ! Quel message leur envoie-t-on ?
Mme Dominique Voynet
Comédien !
M. Julien Dive, rapporteur
Je ne dirai pas que c’est une insulte, mais c’est du mépris, et je refuse qu’on méprise la souffrance d’une profession sous prétexte qu’elle ne se conforme pas à certains dogmes.
M. Jean-Paul Lecoq
Et le Mercosur, on en est où ?
M. Julien Dive, rapporteur
Je veux enfin inviter chacun d’entre vous à faire ce que nous devrions tous faire en pareille circonstance : aller à la rencontre des premiers concernés par ce texte, les agriculteurs ! (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et HOR ainsi que sur quelques bancs du groupe RN.) Ils vous attendent aujourd’hui aux portes de l’Assemblée nationale.
Mme Sabrina Sebaihi
Ils ne sont pas tous d’accord avec le texte !
M. Julien Dive, rapporteur
Ils ne sont pas des milliers, car si beaucoup ne font pas le déplacement, ce n’est ni par désintérêt, ni par résignation. C’est parce qu’ils sont chez eux, à tenir debout une exploitation qui ne peut pas attendre. Ceux qui viennent le font parfois au détriment de leurs cultures ou de leurs bêtes, simplement pour nous dire qu’ils attendent que les choses changent et qu’ils ne supportent plus qu’on recule à force d’artifices.
Mme Sophie Taillé-Polian
Ça ne va rien changer pour eux, ils seront toujours aussi mal payés !
M. Julien Dive, rapporteur
On peut passer des heures ici à s’affronter sur des amendements sans contenu, déposés uniquement pour bloquer.
M. Fabien Di Filippo
Ce que veut la gauche, c’est l’obstruction !
M. Julien Dive, rapporteur
Mais rien – je dis bien rien – ne remplacera jamais un échange avec ceux pour qui nous légiférons. Alors, allez les voir, prenez ce temps-là, écoutez-les, demandez-vous honnêtement si le Parlement peut encore se permettre ce sabotage ! À ceux qui, sur ces bancs, ont déposé des milliers d’amendements pour ralentir ce texte, je pose une question simple : êtes-vous prêts à regarder un agriculteur droit dans les yeux (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS) et à lui dire que son quotidien peut encore attendre, parce que le calendrier parlementaire doit servir vos manœuvres ?
M. Arnaud Le Gall
Vous avez signé des accords de libre-échange qui les condamnent ! Honte à vous, vous continuez ! Vous êtes des tartuffes !
M. Julien Dive, rapporteur
Ces colères que vous entendez aujourd’hui ne doivent pas rester sans suite ; le travail ne s’arrête pas là, il se poursuivra jusqu’au bout, dans l’esprit qui nous a guidés jusqu’alors.
Par conséquent, je me porte garant de la défense, lors de la commission mixte paritaire, des amendements issus de notre travail en commission. Je le dis aux députés de tous les groupes : je suis prêt à continuer ce travail avec ceux qui veulent encore avancer. Ce texte n’est pas figé. Il a été construit et modifié. Il est équilibré. Il est perfectible, bien sûr, mais il est attendu. Je serai donc à l’écoute de tous les parlementaires prêts à construire un texte pour les agriculteurs – pour ceux qui innovent, pour ceux qui cherchent à transmettre et pour ceux qui, souvent, hésitent à continuer. (Les députés du groupe DR se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN, EPR, Dem, HOR et UDR.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Nous savons tous qu’avec 3 500 amendements, le texte ne peut pas aller au bout…
M. Fabien Di Filippo
Évidemment !
Mme Annie Genevard, ministre
…et c’est précisément ce que vous souhaitez. Vous ne voulez pas que le texte aille jusqu’au vote (Protestations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS) et c’est bien là le problème – d’ailleurs, vous en convenez.
Mme Christine Arrighi
Non, non !
M. Jean-Paul Lecoq
Vous avez fait pareil sur la fin de vie et on a travaillé le samedi !
Mme Annie Genevard, ministre
Le gouvernement prend acte de cette obstruction. Tout le débat est de savoir si une minorité a le droit de vie ou de mort sur un texte et si une majorité de députés peut faire aller jusqu’à son terme un texte de loi qu’il soutient.
M. Alexis Corbière
C’est une blague ! Vous voulez qu’on parle des retraites ?
Mme Annie Genevard, ministre
Vous avez donné la réponse. Dans un tel cas de figure, nous considérons…
M. Jean-Paul Lecoq
C’est vous qui êtes à la manœuvre, vous l’avouez vous-même ! L’exécutif a donné l’ordre !
M. le président
Merci d’écouter Mme la ministre !
Mme Annie Genevard, ministre
…– nous comprenons parfaitement la volonté des quatre présidents de groupe et leur décision de défendre cette motion de rejet présentée par Julien Dive. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Jean-Claude Raux
Lâcheté absolue !
Mme Annie Genevard, ministre
Par ailleurs, je trouve assez savoureux, madame la présidente de la commission, que vous accusiez les parlementaires d’enterrer le débat. C’est vraiment l’inversion de la charge de la preuve ! (Mme Danielle Brulebois applaudit.) Vous ensevelissez le débat sous une montagne d’amendements et vous accusez autrui de ce dont vous faites précisément la démonstration. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.) Le gouvernement s’en remet donc à la sagesse souveraine de l’Assemblée nationale. (Vives exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Alexis Corbière
C’est la fin du Parlement !
Mme Annie Genevard, ministre
Si le respect des agriculteurs passe par une motion de rejet…
M. le président
En tout cas, le respect du Parlement suppose qu’on écoute la ministre !
Mme Annie Genevard, ministre
…préalable à une CMP que le gouvernement espère conclusive, le gouvernement le comprend parfaitement. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)
M. le président
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Tout d’abord, je veux répondre à M. Chenu quand il affirme que nous n’aimons pas les paysans. (« Il a raison ! » et autres exclamations sur les bancs des groupes RN et UDR.) Personne ici ne peut accuser un groupe parlementaire de ne pas aimer les agriculteurs ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. le président
Je vous demande d’écouter Mme la présidente !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Tout le monde ici a conscience des problèmes rencontrés par les agriculteurs…
M. Philippe Gosselin
Certains plus que d’autres !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
…et combattre la loi Duplomb, c’est aussi vouloir empêcher des agriculteurs d’être victimes de cancers liés aux pesticides. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, dont quelques députés se lèvent, EcoS et GDR ainsi que sur plusieurs bancs du groupe SOC.) Aujourd’hui, dans notre enceinte, des agriculteurs victimes des pesticides ont été invités, ainsi que des familles d’agriculteurs (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP) tués par des pesticides.
Mme Annie Genevard, ministre
Aujourd’hui interdits !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
C’est la preuve que tous ceux qui combattent la loi Duplomb ne sont pas contre les agriculteurs, bien au contraire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – « Vous, si ! » sur plusieurs bancs des groupes RN et UDR.) Toute l’Union nationale de l’apiculture française est contre la réintroduction de néonicotinoïdes. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Les apiculteurs seraient-ils donc contre les agriculteurs ? La Confédération paysanne est contre la loi Duplomb. (Exclamations et rires sur les bancs des groupes RN, DR et UDR.)
M. Laurent Wauquiez
Vous êtes ridicule !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Quoi que l’on pense de tel ou tel syndicat, on ne peut pas prétendre qu’il est contre les agriculteurs. Soyez sérieux !
M. Philippe Gosselin
C’est vrai que vous étiez à Attac !
M. Arnaud Le Gall
Julien Odoul qui se moquait des suicides d’agriculteurs, il en rigole encore, vous voyez !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Évitons les anathèmes qui n’ont pas de sens ! J’en arrive maintenant – puisque la question est gravissime – à cette motion de rejet. Je veux rappeler ce qui s’est passé en conférence des présidents. Pour ma part, j’ai suggéré un temps législatif programmé. Il suffisait d’une majorité de présidents de groupe pour que cette procédure soit approuvée. De fait, elle aurait supprimé l’examen de milliers d’amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.) Malheureusement, nous n’avons pu obtenir ce vote et je le regrette bien. Pourquoi le bloc présidentiel n’a-t-il pas soutenu cette proposition ? (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes EPR et DR.)
M. Jean Terlier
Retirez les amendements d’abord !
M. Fabien Di Filippo
Tant que les amendements ne sont pas retirés, vous n’êtes pas crédibles !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
J’en arrive à l’interprétation. N’est-ce pas le moyen de revenir à la version du Sénat et de jeter aux orties le vote de la commission du développement durable qui a repoussé l’article 5 et une partie des dispositions de l’article 6 ? N’est-ce pas le moyen de remettre en cause le vote de notre commission qui s’est prononcée contre la remise en cause de l’indépendance de l’Anses dans l’examen de l’article 2 ? Je m’adresse notamment aux députés qui ont voté contre une partie de l’article 2 : voter la motion de rejet, c’est remettre en cause le vote de la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. Nicolas Forissier
L’hémicycle, c’est plus que la commission des affaires économiques !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Enfin, s’agissant de la démocratie parlementaire, si nous ne sommes pas capables de débattre dans l’hémicycle (Vives protestations sur les bancs des groupes RN, EPR, DR, Dem, HOR et UDR) de ce qui concerne la santé des agriculteurs et de nos concitoyens, à quoi servons-nous, chers collègues ? (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent, rejoints par plusieurs députés du groupe EcoS. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC et GDR.)
M. le président
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Nous en venons aux explications de vote.
La parole est à M. David Taupiac.
M. David Taupiac (LIOT)
Nous ne pouvons que regretter l’impasse dans laquelle nous sommes, qui aurait été si facile à éviter. Retirer des amendements, accepter le temps législatif programmé, s’engager pour un débat respectueux, dans l’écoute de chacun, voilà les solutions que nous défendions. Leur application nous aurait permis de sortir par le haut de cette situation et d’apporter aux agriculteurs les réponses qu’ils attendent depuis si longtemps.
Nous n’avons désormais qu’un seul choix : voter pour ou contre une motion de rejet. Alors que le travail parlementaire devrait être fait de mesure et de compromis, nous voilà privés de l’une et de l’autre. Si nous votons la motion de rejet, nous repartirons sur la base de la version sénatoriale ; or nous sommes nombreux à considérer qu’elle méritait d’évoluer pour offrir davantage de garanties environnementales.
En commission, notre groupe a défendu, avec quelques succès, une position d’équilibre et de compromis. En effet, s’il nous faut préserver notre souveraineté alimentaire et répondre aux difficultés de nos agriculteurs, nous devons également entendre la légitime inquiétude de nos concitoyens inquiets de la préservation de leur santé et de l’environnement. Alors, nous tenons à vous alerter : si cette motion est adoptée, les parlementaires qui siègent en commission mixte paritaire devront veiller à revenir à une position équilibrée, à l’image des débats que nous avons eus en commission des affaires économiques.
Dans l’hypothèse inverse, ce texte pourrait ne pas être adopté dans sa version finale lors de son retour dans l’hémicycle. Animés de cette vigilance et de ces mises en garde, une majorité des membres de notre groupe acceptent avec regret de voter cette motion de rejet. En effet, cela fait trop longtemps que les agriculteurs attendent : il est temps que la loi poursuive son chemin législatif. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur quelques bancs du groupe DR.)
M. le président
La parole est à M. Julien Brugerolles.
M. Julien Brugerolles (GDR)
Avec cette motion de rejet, vous projetez de museler notre assemblée…
M. Alexis Corbière
C’est vrai !
M. Julien Brugerolles
…et de dessaisir les députés de leurs droits les plus fondamentaux : amender, débattre et voter ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC. – Exclamations sur plusieurs bancs des groupes RN et DR.)
Mme Émilie Bonnivard
C’est la démocratie qui va parler, c’est tout !
M. Julien Brugerolles
C’est un coup de force inédit contre la représentation nationale ; un coup de force dont le principal objectif est en réalité d’écarter du débat parlementaire les vrais sujets qui minent notre agriculture. En effet, l’initiative sénatoriale de cette proposition de loi n’est pas seulement démagogique : elle nous détourne des causes profondes des difficultés que rencontrent nos agriculteurs.
Votre motion de rejet nous prive d’un débat sur la question centrale des prix, des revenus (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC) et de la répartition de la valeur ajoutée ! Votre motion de rejet nous prive d’un débat sur la protection réelle de nos producteurs contre les importations de produits ne répondant pas à nos exigences sociales, environnementales et sanitaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
M. Jean-Paul Lecoq
Bien sûr !
M. Julien Brugerolles
Votre motion de rejet nous prive d’un débat sur la création d’un vrai régime public d’assurance contre les risques climatiques, sanitaires et environnementaux. (Mêmes mouvements.)
Tous ces sujets méritaient une grande loi d’orientation et de programmation agricole, mais ils ont été soigneusement évacués de la loi dite d’orientation pour la souveraineté alimentaire. En choisissant finalement de contourner l’Assemblée sur ce texte, vous préférez la déréglementation et la dérégulation à la protection de notre agriculture et de nos agriculteurs ; vous poursuivez ainsi les dérives libérales (Exclamations sur quelques bancs du groupe EPR) les plus préjudiciables à la durabilité de notre agriculture.
M. Nicolas Forissier
Vive le libéralisme !
M. Julien Brugerolles
Nous en sommes convaincus : plus nous alignerons la baisse de nos exigences sur celle des pays moins-disants, moins nous disposerons de leviers et de force pour protéger nos agriculteurs et notre souveraineté alimentaire. C’est pourquoi les députés du groupe GDR voteront résolument contre cette motion de rejet ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Mme Brigitte Barèges (UDR)
Quand j’ai décidé de rempiler aux élections législatives en 2024,…
Mme Christine Arrighi
C’était une erreur !
Mme Brigitte Barèges
…j’étais animée par la volonté de participer au redressement de la France (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS), tellement abîmée par les avènements successifs de François Hollande et d’Emmanuel Macron (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN) et surtout par leur cortège de penseurs dogmatiques si sûrs d’eux, persuadés d’apporter de la modernité à notre France éternelle.
Mme Sophia Chikirou
Mais vous votez ensemble !
Mme Brigitte Barèges
Nos terroirs ont été les premières victimes : à cause d’eux, l’agriculture, notre fleuron national, excédentaire à l’export, est aujourd’hui en fin de vie ! Le mot n’est pas trop fort : grâce à Ségolène Royal (M. Didier Le Gac applaudit) et à tant d’autres, au prétexte de sauver la planète, on a achevé nos paysans et bientôt nos paysages ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes UDR et RN.)
M. Charles Alloncle
Bravo !
M. Arnaud Le Gall
Vous avez voté tous les accords de libre-échange ! Vous êtes des tartuffes !
Mme Brigitte Barèges
Et pourtant, nos agriculteurs ont fait des efforts : ils ont essayé de s’adapter à toutes ces normes. Dans mon département, le Tarn-et-Garonne, premier exportateur de pommes, de prunes et de noisettes, les arboriculteurs ont modifié leur système d’irrigation en passant de l’aspersion au goutte-à-goutte. Mais comment peut-on encore soutenir qu’ils pourraient se passer d’eau ?
M. Jean-Claude Raux
Qui a dit ça ?
Mme Brigitte Barèges
Ils ont aussi remplacé leurs traitements phytosanitaires par la lutte raisonnée. Mais comment comprendre et accepter qu’à quelques kilomètres, de l’autre côté des Pyrénées, les Espagnols continuent à utiliser des produits interdits en France ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme Nathalie Oziol
Vous avez signé les traités de libre-échange !
Mme Brigitte Barèges
Résultat de cette absurdité, nos cerisiers sont ravagés par la mouche de la cerise, les pommes et les noisettes par le puceron cendré et par la punaise diabolique ! Trop de normes, trop de défiance ! Le faux procès à propos des abeilles en est l’illustration : non, il ne s’agit pas de réintroduire tous les néonicotinoïdes !
M. Jean-François Coulomme
Voilà, enfin le mot est lâché !
Mme Brigitte Barèges
Seul l’un d’eux est concerné : l’acétamipride, qui est autorisé dans toute l’Europe jusqu’en 2033 ! D’ailleurs, le vrai prédateur des abeilles, c’est le frelon asiatique ! L’abeille est reine dans nos vergers (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN) car elle nous pollinise. À cause de cette concurrence déloyale, que nous subissons depuis tant d’années, nous sommes passés du premier au neuvième rang mondial pour l’exportation de pommes ! Dès lors, on importe et on consomme en France des fruits qui sont traités ailleurs par des produits interdits.
M. le président
Merci, madame la députée.
Mme Brigitte Barèges
Il faut arrêter cette folie ; voilà pourquoi nous voterons la motion de rejet car le monde agricole n’a pas besoin… (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’oratrice. – Les députés des groupes UDR et RN applaudissent cette dernière.)
M. le président
La parole est à Mme Hélène Laporte.
Mme Hélène Laporte (RN)
Ce n’est un secret pour personne : l’agriculture française souffre. Les agriculteurs ne cessent de nous le rappeler, il est impossible de survivre quand on subit des contraintes plus lourdes qu’ailleurs en Europe tout en affrontant une concurrence faussée.
Mme Dominique Voynet
Le prix du travail, il est aussi plus cher chez nous !
Mme Hélène Laporte
Depuis des années, ils attendaient un véritable allégement normatif plutôt que des mesures cosmétiques telles que celles adoptées dans la dernière loi d’orientation agricole. La présente proposition de loi, déposée le 1er novembre dernier et adoptée le 27 janvier au Sénat, répond enfin à cette attente. Elle contient des mesures concrètes, au premier rang desquelles la fin de la surtransposition française concernant l’acétamipride.
Nous déplorons 65 % de pertes dans les récoltes de noisettes en 2024 et 60 % des fruits consommés en France sont issus de l’importation. Il est urgent d’agir pour permettre à nos producteurs de continuer à nous nourrir ! En vingt-cinq ans, la France est passée du second au sixième rang mondial des exportateurs agricoles. À cause de l’ambiguïté dont font preuve le gouvernement et le groupe majoritaire, dont l’embarras est manifeste, l’examen du texte a été repoussé à de multiples reprises ; c’est une preuve de plus que pour vous, le combat pour l’égalité des armes en agriculture n’est pas une priorité. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Jean-Paul Lecoq
Ça, c’est vrai !
Mme Hélène Laporte
En commission du développement durable, nos agriculteurs ont pu amèrement constater l’absentéisme du camp présidentiel – et du groupe DR, d’ailleurs – ainsi que l’acharnement de la gauche à détricoter le texte. Aujourd’hui, ce sont les socialistes qui brillent par leur absence ! Alors, grâce au groupe Rassemblement national, le seul assidu, le seul à prendre la cause agricole au sérieux, les dispositions essentielles ont pu être préservées et la catastrophe évitée.
Désormais, la stratégie de la gauche est claire : l’obstruction. Avec près de 2 400 amendements dilatoires déposés par les groupes écologiste et LFI, une discussion sereine est devenue impossible. Dans ces conditions, l’adoption de cette motion est le seul moyen de poursuivre les travaux dans un cadre acceptable :…
M. Louis Boyard
Macronistes ! (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Mme Hélène Laporte
…nous la voterons et elle ne peut d’ailleurs passer que grâce au vote du Rassemblement national ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Nos agriculteurs ont trop attendu ; certains ici les abandonnent, d’autres les combattent mais nous, au Rassemblement national, nous sommes à leurs côtés pour défendre notre souveraineté alimentaire. (Les députés du groupe RN et plusieurs députés du groupe UDR se lèvent et applaudissent.)
M. le président
La parole est à Mme Anne-Sophie Ronceret.
Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR)
« Chaque recul sur cette proposition de loi est une claque supplémentaire pour celles et ceux qui déjà, tiennent debout par devoir plus que par espoir. » Ces mots, ce sont ceux d’un agriculteur de ma circonscription,…
Une députée du groupe LFI-NFP
De la FNSEA !
Mme Anne-Sophie Ronceret
…et ils disent tout. Nos agriculteurs n’ont pas attendu les crises pour nous alerter : trop de normes, trop de contrôles, trop d’injonctions contradictoires !
Mme Sophie Taillé-Polian
Trop de blabla !
Mme Anne-Sophie Ronceret
Oui, mes chers collègues, ce texte est une réponse claire pour leur permettre d’exercer leur métier dans des conditions dignes et durables.
M. Jean-René Cazeneuve
Eh oui !
Mme Anne-Sophie Ronceret
Stop à l’interdiction sans solution ! Stop à la surtransposition qui empêche nos agriculteurs de disposer des mêmes conditions que leurs homologues européens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs des groupes DR, Dem et HOR.)
Contrairement à ce que certains prétendent, il n’est pas question d’opposer l’agriculture à l’écologie : il s’agit de sortir de l’idéologie pour passer des discours aux actes. Nous avons l’agriculture la plus saine au monde (« Ah bon ? » sur les bancs du groupe EcoS) ;…
M. Vincent Descoeur
Eh oui ! Bien sûr !
M. Rodrigo Arenas
N’importe quoi !
Mme Anne-Sophie Ronceret
…nous devons donner aux agriculteurs les moyens de continuer à produire, à s’adapter, à transmettre et à innover. Avec mon collègue Jean-Luc Fugit et à l’issue d’un travail concerté avec les membres de notre groupe (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – M. Éric Martineau applaudit également), nous faisons le choix de sortir de cette impasse, parce que nos agriculteurs méritent notre respect et notre soutien. Ils attendent des actes, pas des postures politiques ! En effet, le débat est dévoyé :…
M. Franck Riester
Eh oui !
Mme Anne-Sophie Ronceret
…plus de 3 400 amendements ont été déposés sur le texte, bloquant inexorablement son examen. Ce que nous rejetons aujourd’hui, c’est l’obstruction organisée par les écologistes, La France insoumise et leurs alliés, aux dépens de nos agriculteurs et de notre souveraineté alimentaire. Voter cette motion, ce n’est donc pas renoncer au texte :…
M. Nicolas Sansu
Bien sûr que non ! C’est permettre le pire texte !
Mme Anne-Sophie Ronceret
…c’est au contraire permettre d’avancer (Exclamations sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS) ;…
M. Jean-Yves Bony
Bravo !
Mme Anne-Sophie Ronceret
…c’est affirmer que l’agriculture française est une priorité et que notre responsabilité, ici, est d’apporter des réponses concrètes et pragmatiques (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR), comme nous l’avons fait en commission. Le groupe Ensemble pour la République votera la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs des groupes DR, Dem et HOR.)
M. le président
La parole est à Mme Mathilde Hignet.
Mme Mathilde Hignet (LFI-NFP)
L’année dernière, pendant la mobilisation des agriculteurs, Marie-Thérèse (« Ah ! » sur les bancs du groupe RN) disait : « Il faut être justes pour la rémunération, faire appliquer la loi. Un président de la FNSEA qui détient aujourd’hui 700 hectares, ça interroge ! Nous en avions 20 avec Raymond. Raymond, qui avait son slogan pas de pays sans paysans serait très malheureux. » (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.) Raymond Lacombe, le mari de Marie-Thérèse, était président de la FNSEA.
Ce témoignage ne réclame pas davantage de néonicotinoïdes ou de mégabassines pour aider les agriculteurs et les agricultrices. Marie-Thérèse Lacombe le rappelle régulièrement, le collectif a été la solution pour faire évoluer l’agriculture. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Y a-t-il une disposition encourageant le travail collectif et améliorant le revenu agricole dans cette loi écrite par Arnaud Rousseau ? (« Non ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Non ! Rien ! Rien que de la compétition au profit d’une minorité d’agriculteurs et d’agricultrices. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Marie-Charlotte Garin applaudit également.)
Le 17 mars dernier, Pierre Alessandri était assassiné dans sa ferme en Corse. En 2023, Paul François, paysan charentais, était violemment agressé à son domicile après avoir fait condamner Bayer pour son intoxication aux produits chimiques. Et que dire de ces paysans bretons, intimidés pour avoir posé des questions sur l’enrichissement de certains de leurs dirigeants ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC. – M. Nicolas Sansu applaudit également.)
En Bretagne, en Corse, en Charente, c’est la violence contre les paysans qui est la première contrainte à l’exercice du métier d’agriculteur ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Et que fait le gouvernement ? Rien ! Que propose cette loi pour lever les contraintes ? Elle réautorise des pesticides dangereux pour la santé et la biodiversité et elle favorise l’agrandissement des élevages. En revanche, rien pour des prix rémunérateurs garantis (Mêmes mouvements) et l’encadrement des marges ! Rien sur le foncier, sur la concurrence déloyale accentuée par les accords de libre-échange !
Pire, le sénateur Duplomb pointe « une agriculture de l’assistanat » ! Voilà comment les majors de la FNSEA considèrent leurs collègues agriculteurs ! (Mêmes mouvements.) La loi Duplomb ne profite qu’à l’agrochimie et à l’agrobusiness ! Elle est l’un des derniers soubresauts de l’agriculture industrielle ; pour tous les autres, elle représente un danger !
Avec cette motion de rejet, vous piétinez la voix des paysans et des paysannes qui s’opposent à ce texte ; vous piétinez la voix et la mémoire des victimes de pesticides, agriculteurs, salariés, riverains ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Vous tremblez face aux lobbys : nous ne céderons pas ! (Les députés du groupe LFI-NFP, continuant d’applaudir, se lèvent puis brandissent des pancartes. – Vives protestations sur les bancs des groupes RN, DR et UDR.)
M. le président
Je vous demande de ranger ces pancartes tout de suite ! Vous le savez, les manifestations de ce type sont proscrites dans l’hémicycle. Franchement, ce n’est pas du niveau de la représentation nationale. (« Dehors ! » sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Fabien Di Filippo
Inscription au procès-verbal, au moins !
Mme Émilie Bonnivard
Ce n’est pas possible !
M. Laurent Jacobelli
Sanctions !
M. le président
Vous ne m’avez pas entendu, visiblement, mais je viens de rappeler qu’une telle manifestation était proscrite dans l’Assemblée nationale et que je la réprouvais. (Vives exclamations sur les bancs des groupes RN, DR et UDR.)
M. Laurent Jacobelli
Il faut des sanctions !
M. le président
La parole est à Mme Mélanie Thomin.
Mme Mélanie Thomin (SOC)
La situation dans laquelle nous nous trouvons est grave : nous sommes appelés à nous prononcer sur une motion de rejet déposée par les artisans mêmes d’un texte incendiaire, soutenus dans leur volte-face par ceux qui leur ont tenu la plume et semblent vouloir écrire la loi à la place des députés. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – M. Nicolas Sansu applaudit également.) Nous n’acceptons pas ce scandaleux jeu de dupes. Le parti politique arrivé dernier aux élections législatives de 2024 (« Et vous ? » sur les bancs des groupes RN et DR) dicte désormais l’ordre du jour de l’Assemblée nationale depuis le palais du Luxembourg. (Mêmes mouvements.)
M. Pierre Cordier
C’est un peu comme sous la IVe République, finalement !
Mme Mélanie Thomin
Il faudrait en plus que les députés s’écrasent et renoncent à leur droit de débattre ? Dans quelle démocratie saine et mature la chambre des députés est-elle condamnée au silence, qui plus est pour réintroduire un pesticide interdit, sans aucun avis scientifique ? Chers collègues du socle commun, quand allez-vous prendre conscience du glissement populiste que vous provoquez et qui abîme chaque jour un peu plus notre démocratie ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NFP, EcoS et GDR.) Si le groupe socialiste est opposé à cette proposition de loi, nous n’avons en aucun cas adopté une posture dogmatique et nous sommes restés ouverts au débat.
M. Philippe Gosselin
Balayez devant votre porte, avec Mélenchon !
Mme Mélanie Thomin
Mais nous avons également posé des lignes rouges. S’agissant de la réintroduction de l’acétamipride, vous le savez très bien, la réponse ne peut pas être un retour en arrière impliquant des risques avérés pour la santé humaine – notamment celle de nos enfants – et pour l’environnement, pour la survie des abeilles, pour la biodiversité, pour nos biens communs. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
Nous avons des propositions pour protéger la science et les prérogatives de notre agence sanitaire, pour organiser des plans de sortie des produits phytopharmaceutiques, pour construire la démocratie de l’eau. Cette proposition de loi n’apportera aucune réponse de fond aux difficultés rencontrées par les agriculteurs – falaise démographique et mur climatique.
Aussi plaidons-nous pour ce que vous ne faites pas : travailler au revenu agricole, à une grande loi foncière, à la relève des générations ; agir contre les concurrences déloyales. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Madame la ministre, nous nous battrons dans les prochains jours pour dénoncer vos méthodes (Exclamations sur quelques bancs des groupes RN et DR), pour faire triompher le bon sens scientifique, pour apporter des solutions concrètes aux tensions sociales dans le monde agricole.
Le groupe socialiste s’oppose au bâillonnement de l’Assemblée nationale. Nous ne devons subir ni la dictature de l’opinion ni celle du marché. Nous voulons travailler ; nous voulons proposer. (Les députés des groupes SOC et EcoS se lèvent et applaudissent. – Les députés des groupes LFI-NFP et GDR applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. Guillaume Lepers.
M. Guillaume Lepers (DR)
Aujourd’hui, j’ai honte. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Alexis Corbière
Nous aussi !
M. le président
Chers collègues, s’il vous plaît !
M. Guillaume Lepers
J’ai honte de la situation dans laquelle nous sommes et de l’image que notre assemblée va renvoyer cette fois-ci encore. Une fois de plus, collègues de La France insoumise et collègues écologistes, vous bordélisez cet hémicycle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Exclamations prolongées sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Un député du groupe LFI-NFP
Nous aussi, on a honte, quand on vous entend !
M. Antoine Léaument
Vous n’êtes jamais là !
M. Guillaume Lepers
Les Français nous regardent ; le monde agricole nous regarde. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.) Inquiet, il attend des solutions pour lui épargner de disparaître dans les dix prochaines années.
M. Antoine Léaument
Vous n’êtes jamais là !
M. Guillaume Lepers
En janvier 2024, les manifestations agricoles ont éclaté dans mon département, le Lot-et-Garonne. J’étais alors maire, et j’ai vu, entendu, ressenti la détresse de nos agriculteurs. (Exclamations prolongées sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Ce texte entend traiter cette détresse d’une profession qui veut vivre de son travail et non des subventions de la politique agricole commune (PAC).
M. Alexandre Portier
Il est vraiment bon, Lepers !
M. Guillaume Lepers
On ne peut pas se revendiquer défenseur des agriculteurs et les empêcher d’avoir accès à l’eau, d’utiliser les mêmes outils que leurs concurrents européens, de développer leur élevage, afin d’assurer notre souveraineté alimentaire.
M. le président
S’il vous plaît, veuillez écouter l’orateur !
M. Hadrien Clouet
C’est un stagiaire ?
M. Antoine Léaument
Il n’est jamais là !
M. Guillaume Lepers
Si cette motion de rejet échoue, nous ne pourrons pas mener ce débat car, en déposant des milliers d’amendements, vous avez sciemment organisé l’impossibilité d’examiner le texte. Vous choisissez la politique politicienne…
M. Philippe Vigier
Oui !
M. Guillaume Lepers
…plutôt que le débat d’idées. Ce n’est pas pour cela que je me suis présenté en juin dernier aux élections législatives ; ce n’est pas pour cela que les Lot-et-Garonnais m’ont élu ; ce n’est pas non plus pour cela que vos électeurs votent pour vous ! (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Chers collègues, si les Français ont élu une assemblée nationale sans majorité absolue,…
Une députée du groupe LFI-NFP
Vous avez obtenu 5 % des voix !
M. Guillaume Lepers
…c’est pour que nous travaillions ensemble et trouvions des compromis. En déposant ces milliers d’amendements, vous refusez tout compromis, vous refusez le débat,…
M. Louis Boyard
Vous, vous faites des compromis avec les fascistes !
M. Nicolas Sansu
Combien d’amendements avez-vous déposés sur le texte sur l’aide à mourir ?
M. Guillaume Lepers
…vous faites le choix de l’obstruction plutôt que de la discussion. Avec Laurent Wauquiez, le groupe Droite républicaine se tiendra toujours aux côtés des agriculteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) C’est pour rejeter non pas ce texte, mais son obstruction, que notre groupe votera, avec déchirement, en faveur de la motion présentée par le rapporteur. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe DR, dont une partie des députés se lèvent.)
M. le président
La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho (EcoS)
Dans les annales de l’Assemblée nationale, il n’y a absolument aucun exemple d’un tel détournement de procédure, flagrant et manifestement abusif, de la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
M. Michel Herbillon
Arrêtez de donner des leçons en permanence !
Mme Delphine Batho
Son but est non pas de s’opposer au texte, mais d’approuver la version du Sénat et de mettre fin au débat avant même que le moindre argument écologiste ait pu s’exprimer. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EcoS. – Exclamations sur les bancs des groupes RN et DR.)
M. Nicolas Forissier
C’est vous qui en êtes responsables !
Mme Delphine Batho
C’est sans précédent sous la Ve République.
Cela en dit long sur la honte que vous inspire ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.) C’est un texte obscurantiste, dont l’auteur, le sénateur Duplomb, considère que le changement climatique est « bénéfique ». C’est une loi d’une portée inédite contre la science, contre l’Anses, contre la santé publique, contre l’intérêt général. (Mêmes mouvements.)
M. Alexandre Portier
Contre les zadistes !
M. Laurent Jacobelli
Nous sommes seulement contre la gauche !
Mme Delphine Batho
Dans une inversion totale, contraire à la sincérité des débats, chaque voix pour la motion de rejet sera donc une voix pour les pesticides et leur cortège de cancers et de maladies neurodégénératives (Mêmes mouvements) ;…
M. Nicolas Forissier
N’importe quoi !
Mme Delphine Batho
…pour les néonicotinoïdes, qui tuent les abeilles, qui sont neurotoxiques pour l’être humain et auxquels 83 % des Français sont opposés ;…
M. Laurent Jacobelli
Vous faites peur aux gens !
Mme Delphine Batho
…pour les fermes usines ; pour la destruction des zones humides ; pour la baisse continue du nombre d’agricultrices et d’agriculteurs – on ne leur garantira toujours pas un revenu digne, il y aura toujours autant de suicides parmi eux, et la lutte contre la concurrence déloyale ne sera toujours pas engagée. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Laurent Jacobelli
Vous harcelez les agriculteurs, vous devriez avoir honte !
Mme Delphine Batho
Article 49.3, vote bloqué, temps législatif programmé : les moyens de contraindre le débat parlementaire ne manquent pas.
M. Alexis Corbière
Très juste !
Mme Delphine Batho
Mais vous leur préférez le détournement de procédure,…
M. Alexis Corbière
C’est vrai !
Mme Delphine Batho
…sans peur du ridicule ni limite morale, pour faire taire, dans vos rangs, les voix qui ne se résignent pas à voter pour un poison.
M. Alexis Corbière
C’est vrai !
M. Laurent Jacobelli
Le poison, c’est la gauche !
Mme Delphine Batho
Le résultat en sera un renversement de souveraineté au profit du Sénat. Cette spirale vous conduira jusqu’au bout à la soumission aux exigences de l’agrochimie. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, SOC et LFI-NFP.) S’il restait un doute, voilà le visage du trumpisme à la française ! (M. Nicolas Forissier entame un décompte du temps de parole restant. – « C’est fini ! » et autres exclamations sur les bancs des groupes RN et DR, qui finissent par couvrir la voix de l’oratrice. – Plusieurs députés du groupe RN font claquer leur pupitre.)
Ce texte antiécologique et antisanté ne peut être approuvé qu’en piétinant la démocratie. Le groupe Écologiste et social appelle les députés à voter contre la motion de rejet. (Les députés des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC ainsi que M. Nicolas Sansu se lèvent et applaudissent. – Les députés du groupe GDR applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. Marc Fesneau.
M. Marc Fesneau (Dem)
À l’écoute des interventions de certains collègues, une expression commune m’est venue à l’esprit : c’est l’hôpital qui se moque de la charité. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, EPR, DR et HOR.) On peut dire que vous avez usé, sinon abusé, des motions de rejet préalable,…
M. Hadrien Clouet
Ce n’est pas vrai !
M. Marc Fesneau
…y compris sur des textes que vous avez soutenus ensuite.
M. Louis Boyard
Jamais sur nos propres textes !
M. Marc Fesneau
Ne reprochez pas à ceux qui mobilisent moins ces moyens que vous d’en faire usage à leur tour !
Le groupe Les Démocrates aurait préféré débattre du sujet – nous l’avons fait en d’autres occasions, madame Batho. Mais 3 500 amendements,…
Mme Delphine Batho
Tartuffe !
M. Marc Fesneau
…cela équivaut à quinze jours ou trois semaines de débats dans l’hémicycle.
Plusieurs députés des groupes LFI-NFP et EcoS
Et alors ?
M. Marc Fesneau
Vous rendez de fait impossible le débat parlementaire – non seulement le vote final du texte, mais aussi la discussion de chacun de ses articles.
Mme Sandra Regol
Vous avez refusé toutes les solutions !
M. Marc Fesneau
Au fond, ceux qui versent dans le déni de la démocratie sont ceux qui lui font ainsi obstruction. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EPR. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. le président
S’il vous plaît, veuillez écouter le président Fesneau !
M. Marc Fesneau
Nous avons des désaccords sur ce texte, mais je salue les efforts consentis par certains d’entre vous et par la présidente de l’Assemblée nationale pour essayer de trouver une voie de compromis – il a été proposé de recourir au temps législatif programmé ou de retirer des amendements. Nous n’avons pas trouvé de terrain d’entente, et je le regrette.
Madame Batho, ce n’est pas la version du Sénat qui sera adoptée.
Mme Delphine Batho
Si, vous verrez !
M. Marc Fesneau
Je rappelle que l’étape suivante de la procédure sera la réunion d’une commission mixte paritaire. J’ai entendu les engagements pris par le rapporteur Julien Dive, et je lui fais confiance. Vous pouvez compter sur le groupe Les Démocrates pour défendre à cette occasion la version issue des commissions de l’Assemblée nationale, en se gardant de la démagogie que l’on entend de part et d’autre. Voilà ce à quoi nous devons nous atteler, sachant que les conclusions de la CMP seront soumises au vote de cette assemblée. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, EPR, DR et HOR.)
M. le président
La parole est à M. Henri Alfandari.
M. Henri Alfandari (HOR)
Pour la première fois, le groupe Horizons & indépendants votera une motion de rejet. Il s’agit non pas de rejeter ce texte, qui apporte des réponses concrètes aux difficultés rencontrées chaque jour par celles et ceux qui nous nourrissent... (Brouhaha et invectives sur divers bancs.)
M. le président
J’appelle tout le monde au calme ! Nous écoutons la dernière explication de vote, puis nous procéderons au vote, en toute sérénité. Seul M. Alfandari a la parole !
M. Henri Alfandari
Je vous remercie, monsieur le président. Nonobstant cette obstruction de la parole, je parlais des agriculteurs qui nous nourrissent…
Nous voterons donc cette motion pour rejeter la stratégie d’obstruction massive déployée par certains groupes de cet hémicycle, animés par une logique de blocage qui dénature nos institutions et notre travail de parlementaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, EPR et DR. – Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Plus de 3 500 amendements, c’est au minimum trois semaines de débat. De la sorte, chers collègues, vous révélez que vous êtes de mauvais perdants. Vous avez multiplié les caricatures sur ce texte, mais vous savez qu’à la fin, vous serez minoritaires. Autrement dit, vous refusez le résultat du vote. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Ainsi, vous condamnez ces milliers d’hommes et de femmes qui manifestent pour leur droit de produire sans entrave : sans entrave idéologique à la protection des cultures, sans obstacle excessif au développement de leur élevage, sans incertitude permanente concernant l’accès à l’eau, sans contrôles disproportionnés qui jettent le doute sur leur engagement.
Cette obstruction est une attaque directe contre nos agriculteurs, qui méritent mieux que vos manœuvres politiciennes.
M. Antoine Léaument
Vous êtes de droite !
M. Henri Alfandari
C’est aussi une attaque portée au débat parlementaire, à l’esprit de dialogue et de construction qui devrait nous animer collectivement.
M. Nicolas Sansu
Sur l’aide à mourir, combien d’amendements ?
M. Henri Alfandari
Notre groupe votera donc cette motion de rejet, pour permettre l’examen du texte en CMP et lui donner ainsi toutes les chances d’aboutir. Nous faisons ce choix avec responsabilité, avec gravité et, surtout, avec une profonde loyauté à l’égard du monde agricole. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, EPR et DR.)
M. le président
Je mets aux voix la motion de rejet préalable.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 402
Nombre de suffrages exprimés 395
Majorité absolue 198
Pour l’adoption 274
Contre 121
(La motion de rejet préalable est adoptée.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes RN, DR, HOR et UDR ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. le président
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
4. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au gouvernement ;
Votes solennels sur la proposition de loi visant à garantir l’égal accès de tous à l’accompagnement et aux soins palliatifs et sur la proposition de loi relative au droit à l’aide à mourir.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quarante.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra