Première séance du mardi 03 juin 2025
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Questions au gouvernement
- Violences après la victoire du PSG
- Attentat terroriste à Puget-sur-Argens
- Violences après la victoire du PSG
- Violences après la victoire du PSG
- Politique à l’égard de l’outre-mer
- Atteintes au principe de non-régression environnementale
- Acceptabilité de la transition écologique
- Politique économique
- Lutte contre le tabagisme
- Politique écologique
- Situation en Nouvelle-Calédonie
- Prévention des cancers
- Projet d’autoroute A31 bis
- Violences après la victoire du PSG
- Attentat terroriste à Puget-sur-Argens
- Situation des pêcheurs
- Préparation du budget 2026
- Situation à Gaza
- 2. Faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements
- 3. Création de l’homicide routier et lutte contre la violence routière
- Discussion générale (suite)
- Discussion des articles
- Article 1er
- M. Xavier Breton
- Amendement no 4
- M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
- Amendements nos 12, 13, 11 et 24
- Article 1er bis A
- Amendement no 21
- Article 1er ter
- Amendement no 5
- Article 1er quater
- Amendement no 14
- Article 1er quinquies
- Article 2
- Article 3
- Article 1er
- Explications de vote
- Vote sur l’ensemble
- 4. Reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine
- 5. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Violences après la victoire du PSG
Mme la présidente
La parole est à M. Paul Christophe.
M. Paul Christophe
Monsieur le premier ministre, notre pays en est-il arrivé au point de voir chaque effusion de joie, chaque ferveur nationale être entachée, polluée par des débordements – pire, des délits et des crimes – qui viennent gâcher la fête ?
Quel est le bilan après la victoire du Paris Saint-Germain ? Nos policiers et nos sapeurs-pompiers ont été violemment agressés. Nos concitoyens sont terrorisés face à la violence de notre société, violence que nous ne parvenons pas à endiguer : 600 personnes interpellées, des dégradations matérielles majeures à Paris et ailleurs, plusieurs décès : des drames de trop !
Nous devons nous battre sur les sujets qui comptent. À Horizons, nous refusons l’inaction. Pour reprendre les mots d’Édouard Philippe : « La justice, c’est à la fois une valeur et une institution. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que l’institution va mal. »
Nous nous égarons dans une bataille sémantique inutile, alors que seule compte la réponse pénale. Nous, nous croyons résolument qu’une peine courte, ferme et immédiate a plus d’impact qu’un bracelet ignoré.
Avec Loïc Kervran, nous avons fait des propositions concrètes visant à enfin faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme et à permettre les courtes peines. Cette proposition de loi a même été adoptée par l’Assemblée nationale.
Mais où en sommes-nous ? Allez-vous faire en sorte que ce texte soit examiné au Sénat ?
Avec Naïma Moutchou, nous avons défendu un texte visant à restaurer l’autorité de l’État. Disons-le aux Français : ce texte aurait permis de condamner plus fermement les agresseurs de nos policiers et de nos sapeurs-pompiers de ce week-end. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Où en sommes-nous ? Pourquoi ce texte n’est-il pas inscrit par le gouvernement à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, malgré un avis favorable de votre garde des sceaux ?
Comment justifier de ne pas voir aboutir ces mesures concrètes, nécessaires et attendues ?
Gardons-le à l’esprit : sans une justice efficace, pas d’ordre, pas de confiance, pas de lien social. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique.
M. François Bayrou, premier ministre, chargé de la planification écologique et énergétique
Avant de répondre très directement à la question que vous m’avez posée, je souhaite que nous ayons une pensée pour les forces de l’ordre, ceux qui font le travail, ceux qui sont sur le terrain, ceux qui subissent ces assauts. (Les députés et les membres du gouvernement se lèvent et applaudissent.)
Merci de ce mouvement.
M. Sylvain Maillard
Il ne fallait pas vous forcer monsieur Bernalicis !
M. Jean-Paul Lecoq
Ayons aussi une pensée pour les victimes !
M. François Bayrou, premier ministre
Ce sont ces forces qui subissent ces attaques et ces agressions, et qui, en notre nom, font l’impossible pour maintenir l’ordre dans les événements que vous avez si justement décrits.
Vous avez ainsi décrit ce qu’est l’exaspération de millions de Français qui regardent ces scènes avec le sentiment qu’il n’y a rien à faire, que c’est une fatalité. Ce sentiment est inacceptable. Posons la question simplement : pouvons-nous ne rien faire face à la multiplication de ces événements ? Ma réponse est non.
Vous avez indiqué plusieurs pistes pour améliorer la réponse pénale à ces actes.
Je veux dire deux choses qui traduisent mon sentiment. La première, c’est peut-être – et le garde des sceaux l’a proposé – que là où sont inscrites dans la loi des peines maximales, on puisse inscrire aussi des peines minimales. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS. – Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe HOR. – M. Emeric Salmon applaudit aussi.)
M. Fabien Di Filippo
Bayrou est sarkozyste !
M. Julien Odoul
C’est le programme de Marine Le Pen ! L’adhésion est à 30 euros…
M. François Bayrou, premier ministre
La deuxième chose, c’est que ces événements…
M. Emeric Salmon
Vous vous êtes trompé de bulletin de vote en 2022 !
M. François Bayrou, premier ministre
…n’ont rien à voir avec une rixe à un coin de rue. C’est prémédité, préparé, organisé ; ce sont des violences en réunion pour lesquelles la loi prévoit des aggravations de peines, mais qui sont extrêmement complexes car elles exigent des accumulations de circonstances particulières, notamment quant à la gravité des blessures.
M. Benjamin Lucas-Lundy
À quoi sert le ministre de l’intérieur ?
M. François Bayrou, premier ministre
Il faut être beaucoup plus clair et que l’aggravation des peines liée à des violences en réunion et préméditées soit plus nette, plus lisible pour tout le monde, notamment en simplifiant l’application des circonstances aggravantes.
M. Laurent Jacobelli
Il faut, il faut, il faut : vous êtes au pouvoir ! Votez RN !
M. François Bayrou, premier ministre
Donc, premièrement peines minimales quand il le faut, deuxièmement amélioration des circonstances aggravantes de telle sorte qu’il soit clair aux yeux de tous…
M. Julien Odoul
Vous êtes au pouvoir !
M. François Bayrou, premier ministre
…que ce type de violences préméditées, préparées, organisées et désormais régulières, ne peut être accepté dans un pays comme le nôtre. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
Attentat terroriste à Puget-sur-Argens
Mme la présidente
La parole est à Mme Farida Amrani.
Mme Farida Amrani
Monsieur le premier ministre, l’extrême droite tue. Le climat politique raciste et islamophobe tue.
Samedi soir, un acte terroriste a encore été commis sur notre territoire. Hichem Miraoui, ressortissant tunisien de 45 ans, a été assassiné par un terroriste d’extrême droite dans le Var. Un homme de nationalité turque a également été pris pour cible et blessé.
Nos pensées accompagnent leurs proches et leurs familles. Ils ont été ciblés parce qu’ils étaient étrangers, parce qu’ils étaient perçus comme musulmans. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Ce terroriste a revendiqué son acte dans des vidéos appelant à « tirer sur les Maghrébins » et à voter pour l’extrême droite.
Il l’a fait sur Facebook, où plusieurs députés du Rassemblement national ont activement contribué à propager la parole raciste, islamophobe et antisémite en toute impunité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS. – Mme Fatiha Keloua Hachi applaudit aussi. – « Mensonge ! » sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Il a dit avoir agi au nom du drapeau français. Mais je veux le dire ici : la France n’a pas et n’aura jamais le racisme comme étendard. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Stéphane Peu applaudit également.)
Ce n’est pas un acte isolé. Il y a cinq semaines, Aboubakar Cissé était poignardé à mort dans une mosquée, tué parce que musulman. Le 31 août dernier, Djamel Bendjaballah, 43 ans, était assassiné par un militant d’extrême droite. Sa famille se bat encore pour faire reconnaître le mobile raciste du crime.
Dans ce climat, qu’a fait votre gouvernement ? Rien. Pire, vous portez les idées de l’extrême droite. Vous ne faites plus qu’un ! (Mêmes mouvements.) De Bruno Retailleau à Manuel Valls, en passant par Aurore Bergé, censée lutter contre les discriminations, votre gouvernement n’a qu’une mission : diviser, stigmatiser et armer l’extrême droite.
Alors, monsieur le premier ministre, quand allez-vous cesser d’alimenter et de flatter les fantasmes de l’extrême droite qui nous met une cible dans le dos ? Combien de morts faudra-t-il pour que vous protégiez enfin l’ensemble… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. – Les députés du groupe LFI-NFP et plusieurs députés du groupe EcoS se lèvent et applaudissent vivement cette dernière.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Ce qui s’est produit dans le Var est trop grave pour jeter des accusations sur d’autres personnes que sur l’auteur.
Je voudrais d’abord avoir une pensée émue pour les victimes – celui qui est mort, celui qui est blessé –, pour leurs familles, que nous allons retrouver, mais aussi pour les communautés affectées, notamment la communauté tunisienne.
Mme Sabrina Sebaihi
Quarante-huit heures après !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je me suis rendu à l’ambassade de Tunisie ce matin, et j’ai eu hier au téléphone mon homologue, le ministre de l’intérieur tunisien, parce que l’écho a été énorme, non seulement sur le sol national, dans la communauté tunisienne, mais aussi à Tunis.
Je veux dire, de la façon la plus solennelle, que les policiers et les gendarmes ont, là encore, très bien réagi, puisque le crime s’est produit à 22 h 30 et qu’à 5 h 30, nous avions retrouvé l’auteur.
Ce crime avait été prémédité puisqu’il y a eu des vidéos… (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mme Christine Arrighi
Mais pourquoi n’avez-vous rien fait avant ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…et que nous avons saisi des armes dans la voiture.
Surtout, ce crime est signé : c’est clairement un crime raciste, c’est sans doute un crime antimusulman et peut-être aussi un crime terroriste, puisque le parquet national antiterroriste a été saisi.
Je veux le dire de la façon la plus nette : le racisme, ce n’est pas la France ; le racisme, c’est un poison qui tue. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR.)
Mme Danielle Simonnet
Pourquoi alors avoir utilisé le mot « barbare » ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Précisément, c’est un crime barbare, bien sûr. La France, c’est la République et la République ne fait aucune différence selon la couleur de peau, l’origine ou les croyances.
Mme Mathilde Feld
C’est aux députés d’en face qu’il faut le dire !
Mme Christine Arrighi
C’est vous qui faites une différence !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Croyez-moi, je suis très heureux que le Pnat s’en soit saisi et j’espère que la justice sera intraitable et implacable (Mme Mathilde Panot s’exclame.) à l’égard de ce qui constitue un crime antifrançais. Chaque crime raciste est un crime antifrançais. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Violences après la victoire du PSG
Mme la présidente
La parole est à Mme Hanane Mansouri.
Mme Hanane Mansouri
Samedi soir, une fête attendue depuis des décennies par les supporters parisiens, un moment inégalé depuis la victoire de l’Olympique de Marseille il y a trente-deux ans, a tourné au drame.
Le bilan est digne d’un scénario catastrophe : 2 morts, 200 blessés, 560 interpellations dans tout le pays.
Nous pourrions dire que le laxisme institutionnalisé nous a habitués à ce genre de violences gratuites. Et pourtant, ces actes barbares ont réussi l’exploit de nous choquer à nouveau.
Mais je ne ferai pas le procès de la place Beauvau ou de la place Vendôme en dressant la liste des erreurs évitables ; je ne commenterai pas non plus la déclaration du président de la République au soir de la victoire. Je range donc ma robe de juge.
En revanche, j’attends aussi que vous rangiez votre costume de délégué de classe et vos réponses toutes faites pour vous défausser de toute responsabilité, en nous disant, une fois encore, que tout a été fait. Si tel est le cas, vous prenez acte de la chute de l’État.
Le bilan, c’est un périphérique paralysé, des motards passés à tabac puis dépouillés, la plus belle avenue du monde saccagée, pillée, des cyclistes et des conducteurs de scooters renversés, des pompiers agressés, des Français tués.
Pourtant, selon l’empereur de la mauvaise foi et de l’indécence, notre collègue Léaument, la barbarie serait à chercher du côté des forces de l’ordre. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Ces racailles se seraient mises à voler parce qu’elles ont été gazées par la police. Sans doute y voit-il un réflexe logique.
M. Antoine Léaument
Vous ne m’avez pas compris !
Mme Hanane Mansouri
Les Français n’en peuvent plus de cette insécurité qui vient de l’intérieur, de ces individus qui sèment le chaos partout où ils passent, de cette justice qui n’a plus rien de juste, notamment après avoir fait du sursis la règle et du ferme l’exception. Surtout, ils n’en peuvent plus de se sentir ignorés, qu’on leur dise qu’ils sont fachos ou qu’ils sont manipulés par CNews.
Monsieur le premier ministre, que comptez-vous faire pour que l’ordre soit respecté dans la rue et que la justice soit rendue dans les tribunaux ? Quand pourrons-nous exulter de joie sans avoir peur ? Quand pourrai-je vivre dans cette France dans laquelle vous êtes né mais que je n’ai jamais connue ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Il y a un point sur lequel nous sommes en accord : j’ai également été surpris lorsque des membres de La France insoumise ont affirmé dans des tweets que le fauteur de troubles,…
M. Alexis Corbière
C’est vous !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…c’était le ministre de l’intérieur (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP),…
M. Alexis Corbière
Il s’est dénoncé !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
… le responsable de l’ordre public, et non pas les casseurs, les voleurs, les pilleurs, qu’ils exonèrent ainsi de leurs responsabilités.
La réponse à ces violences est de trois ordres. D’abord, le maintien de l’ordre.
M. Théo Bernhardt
Bah voyons !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
J’ai ici un tableau comparatif des forces déployées sur ce type d’événements.
M. Kévin Pfeffer
Ce n’est pas le sujet !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Dans la nuit de samedi à dimanche, 5 400 policiers ont été déployés. En 2020, lors de la dernière finale de la Ligue des champions disputée par le PSG, il y en avait 3 000. Vous rendez-vous compte de la différence ?
M. Philippe Ballard
C’était en plein covid !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je rends hommage aux gendarmes et aux policiers. Ils ont été exceptionnels. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR ainsi que sur quelques bancs du groupe Dem.) Trente d’entre eux ont été blessés ! En ce moment même, un policier est plongé dans le coma artificiel. Plusieurs sapeurs-pompiers ont été blessés. Il faut dénoncer les fauteurs de troubles et non les forces de l’ordre !
M. Patrick Hetzel
Très bien !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Le travail a été fait. Il n’y a jamais eu autant de gardes à vue et d’interpellations.
M. Emeric Salmon
Parce qu’il n’y avait jamais eu autant de violence !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
La deuxième réponse doit être pénale. Le premier ministre vient de le dire, il faut une révolution pénale : la sanction n’est clairement pas à la hauteur des actes des fauteurs de troubles.
M. Kévin Mauvieux
Il faut agir !
M. Antoine Léaument
C’est vous le fauteur de troubles !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Il doit y avoir une sanction, pour les majeurs comme pour les mineurs. Peut-être une loi pourrait-elle autoriser l’usage de la reconnaissance faciale dans le cadre des enquêtes judiciaires, ce qui serait une aide déterminante pour identifier les coupables. Réfléchissons-y. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
La dernière réponse passera par un changement profond de société, afin de réhabiliter l’autorité et le respect. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Violences après la victoire du PSG
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Ballard.
M. Philippe Ballard
Monsieur le garde des sceaux, pourquoi avez-vous, comme la Macronie, toujours une guerre de retard ? C’est une question très simple.
M. Charles Sitzenstuhl
Oh là là…
M. Philippe Ballard
Vous déplorez la faiblesse de certaines peines qui ont été prononcées en réponse au chaos qui a duré deux nuits et pendant lesquelles plusieurs villes ont été livrées aux barbares ? Mais qu’avez-vous fait ces dernières années ? Car ce n’est pas la première fois que notre pays subit cette anarchie, hélas. Elle est même devenue récurrente. Pourquoi la Macronie n’a-t-elle pas dès lors adapté l’arsenal juridique ? Elle aurait pu le faire en reprenant des propositions défendues par le Rassemblement national depuis fort longtemps. « Nous serons implacables », disait dimanche le chef de l’État. Fallait-il vraiment comprendre « implacables » ? Ou bien plutôt « incapables » ?
Avez-vous pris des circulaires à destination des procureurs et des magistrats du siège les invitant à faire preuve de fermeté ? Demanderez-vous aux procureurs de faire appel pour cet individu qui, ayant effectué un tir tendu au mortier d’artifice sur des policiers, sera condamné à trois mois avec sursis et 500 euros d’amende, alors qu’il encourait une peine de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Plusieurs députés du groupe RN
La honte !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
J’ai déjà dit à plusieurs reprises, et ce dès mon arrivée à la Chancellerie, que je suis favorable à la suppression du sursis et à la création de peines minimales, comme y a appelé monsieur le premier ministre.
M. Frédéric Boccaletti
Cessez de parler ! Agissez !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
De plus, si vous demandez à la justice de faire preuve de fermeté, faites-le pour tous les procès… (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – Rires sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Protestations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Jean-Paul Lecoq
C’est vrai !
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Ballard.
M. Philippe Ballard
J’ai bien compris que vous vous étiez gardé du temps pour répondre à ce que je vais vous dire maintenant.
M. Erwan Balanant
C’est tellement téléphoné !
M. Philippe Ballard
Au RN, nous sommes sympas, nous vous offrons quelques idées. Je vous invite même à prendre des notes, sait-on jamais. Voici quelques mesures défendues par Marine Le Pen (« Ah ! » sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem) aux élections présidentielles de 2022 et par Jordan Bardella (Mêmes mouvements) aux élections législatives de 2024 :…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Qui sera votre candidat aux élections présidentielles ?
M. Philippe Ballard
…peine minimale automatique dès la première condamnation, peine plancher pour les récidivistes,…
Mme Sabrina Sebaihi
Rendez l’argent !
M. Philippe Ballard
…suppression des allocations familiales pour les parents de mineurs récidivistes (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR),…
M. Erwan Balanant
Il manque Cayenne dans votre liste !
M. Philippe Ballard
…présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre, construction de places de prison et de centres éducatifs fermés,…
M. Marc Fesneau
Et pour les condamnés du RN ?
M. Éric Bothorel et Mme Ayda Hadizadeh
La prison !
M. Philippe Ballard
…abaissement de l’excuse de minorité et application du principe « tu casses, tu paies ».
Mme Ayda Hadizadeh
Tu voles, tu rembourses !
M. Philippe Ballard
Les Français en ont marre ! Agissez ou bien laissez-nous votre place, nous serons plus efficaces ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme Marie Pochon
Rendez l’argent !
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je crains que vous soyez croyant mais pas pratiquant dans cette affaire. (Mme Prisca Thevenot applaudit.) Vous n’avez voté ni la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ni la loi relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, ni la loi confortant le respect des principes de la République, ni aucun crédit alloué au ministère de la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Je crains que citer le nom de Mme Le Pen ne soit pas une garantie de fermeté. Alignez vos idées avec vos votes, soutenez le renforcement du nombre de magistrats dans les tribunaux et soutenez-les, pas seulement quand ça vous arrange, mais tout le temps et partout. C’est ça la République ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Mme Julie Lechanteux
C’est du vent !
M. Yoann Gillet
Zéro pointé !
Politique à l’égard de l’outre-mer
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Metzdorf.
M. Nicolas Metzdorf
Monsieur le ministre des outre-mer, partout dans le monde, des nations concurrentes à la France, voire hostiles, essayent d’agrandir leur emprise et leur empire sur de nouveaux territoires. La France donne le sentiment de reculer en matière de rayonnement à l’échelle du monde. C’est pourtant une de ses principales forces.
On parle désormais d’indépendance-association pour la Nouvelle-Calédonie, alors qu’elle a choisi la France lors de trois référendums. On parle d’une réforme « sans tabou » pour l’avenir constitutionnel de la Guyane. On commence à parler de référendum en Polynésie française. On tergiverse pour défendre Mayotte face aux Comores.
La France a-t-elle encore une ambition,…
M. Jean-Victor Castor
Nous oui !
M. Nicolas Metzdorf
…non pas pour ses territoires d’outre-mer mais pour elle-même ?
Que pouvons-nous dire aux centaines de milliers de Français d’outre-mer qui chantent La Marseillaise en hissant fièrement le drapeau français ? Que pouvons-nous faire, si ce n’est de soigner leur sentiment d’abandon ?
Quand mon arrière-grand-père a quitté pour la première fois de sa vie la Nouvelle-Calédonie, c’était pour se battre à Verdun aux côtés de tirailleurs kanak, pour défendre la France, la République et l’idée qu’il s’en faisait.
Nous méritons mieux que l’abandon. Nous ne voulons pas de reconnaissance, simplement de l’ambition et d’être fiers de pouvoir nous dire Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, RN, DR, Dem, HOR et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre des outre-mer.
M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer
Je n’ai aucun doute, comme vous, quant au message que porte la France dans le monde. Je ne doute pas non plus du lien qu’entretient la République avec les territoires ultramarins. Mais elle ne peut ignorer ni les blessures profondes, ni les fractures, ni l’histoire et sa complexité.
M. Davy Rimane
Exactement !
M. Manuel Valls, ministre d’État
Pour s’aimer et être fier de soi, il faut connaître son histoire et les autres.
Nous avons pour devoir de préserver l’unité et l’autorité de l’État. Nous avons pour devoir d’agir. C’est ce que nous faisons à Mayotte, par un projet de loi que vous examinerez bientôt et qui engagera plusieurs milliards d’euros, ce qui n’avait jamais été fait. Il vise à ce que l’égalité promise à nos compatriotes mahorais soit enfin réalisée.
Notre devoir, c’est de soutenir les Réunionnais, c’est de soutenir les Antilles par l’intermédiaire d’un texte sur la vie chère, c’est de lutter contre le narcotrafic aux Antilles, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie.
Notre devoir, enfin, c’est de trouver un chemin entre ces différentes aspirations, malgré la difficulté, non pas en les opposant, non pas en opposant les histoires, mais en reconnaissant les plaies béantes et en faisant en sorte que chacun puisse se retrouver. Pour ce faire, je compte sur vous, comme je compte sur M. Emmanuel Tjibaou, parce que je suis convaincu qu’un accord est possible en Nouvelle-Calédonie, un accord qui respecte les histoires, qui ne cède pas aux caricatures et qui brandit un seul drapeau, celui du cœur et de la République. C’est ce que tout le monde attend là-bas. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Nicolas Metzdorf.
M. Nicolas Metzdorf
En Nouvelle-Calédonie, on a l’habitude de finir par s’entendre. N’ayez aucun doute quant à la volonté des non-indépendantistes de trouver un accord qui permette à la Nouvelle-Calédonie de se reconstruire dans la paix. Mais ce nouvel accord devra respecter la volonté des Calédoniens, qui ont choisi la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR ainsi que sur quelques bancs du groupe SOC.)
Atteintes au principe de non-régression environnementale
Mme la présidente
La parole est à Mme Julie Ozenne.
Mme Julie Ozenne
Albert Chotard, agriculteur en Bretagne, est décédé ce samedi, après quarante ans de combat contre la maladie de Parkinson et sa cause, l’exposition aux pesticides. Le groupe Écologiste et social adresse ses pensées à ses proches et rend hommage à son combat. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – Bruit sur les bancs des groupes RN, DR et UDR.)
En 2020, Santé publique France a recensé 26 000 nouveaux cas de Parkinson. Et pour cause ! Le consensus scientifique est incontestable : les pesticides détruisent la santé des Français. Pourtant, le gouvernement a soutenu la semaine dernière le passage en force de la loi Duplomb, laquelle réautorise un pesticide interdit à cause de sa dangerosité.
Mme Christine Arrighi
La honte !
Mme Julie Ozenne
Ce faisant, il s’oppose à la volonté de 83 % des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – Brouhaha.)
M. Théo Bernhardt
Pas besoin de s’égosiller !
Mme Julie Ozenne
La conséquence de votre obstination à ne pas sortir de notre dépendance aux pesticides, c’est l’explosion des cancers et des leucémies.
M. Roger Chudeau
On connaît la chanson !
Mme Julie Ozenne
Qui, dans cet hémicycle, a encore la chance de ne pas avoir de proche touché par l’une de ces maladies ?
Mme Stéphanie Galzy
Ça suffit !
Mme Julie Ozenne
En si peu de temps, vous avez fait voler en éclats le principe de non-régression environnementale. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – Le brouhaha se poursuivant, l’oratrice hausse le ton.) Comment ? Par la suppression de zones en villes qui protégeaient les citoyens les plus précaires contre les pollutions de l’air, par la suppression du ZAN, qui protégeait nos terres agricoles et naturelles contre la bétonisation, les inondations et les sécheresses, par la suspension de MaPrimeRénov’, qui aidait les ménages modestes à vivre dans des logements décents, par le passage en force pour relancer le chantier absurde de l’autoroute A69, dont l’utilité n’a pas été démontrée, contrairement à son impact catastrophique sur la biodiversité et la qualité de l’air.
M. Jean Terlier
Vous étiez en minorité hier !
M. Fabien Di Filippo
Qu’on lui donne un masque à oxygène !
Mme Julie Ozenne
La science ? Vous la piétinez. La santé des Français et de ceux qui les nourrissent ? Vous la détruisez. La confiance des citoyens et de la jeunesse envers les institutions démocratiques et judiciaires ? Vous la bafouez.
Vos volte-face sur les mesures écologiques et sociales sont… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. –? Les députés du groupe EcoS se lèvent et applaudissent cette dernière.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
J’essayerai de répondre calmement à vos cris (Rires sur quelques bancs du groupe RN. – Protestations sur plusieurs bancs du groupe EcoS),…
Mme Julie Ozenne
C’était le cri du peuple !
Mme Sandrine Rousseau
Vous ne pouvez pas dire ça, monsieur le ministre !
M. Yannick Neuder, ministre
…en revenant sur l’impact que peuvent avoir différents facteurs sur la santé. Effectivement, un certain nombre d’éléments doivent être étudiés de près, mais j’avais insisté, lorsque d’autres députés m’avaient posé une question similaire, sur la nécessité de créer un registre national des cancers. Je rappelle à la présidente de l’Assemblée nationale et aux présidents de groupe que la sénatrice Mme Sonia de La Provôté a déposé une proposition de loi en ce sens.
Ce registre permettrait justement de mesurer l’impact de ces facteurs. Certains sont comportementaux – le tabagisme, la consommation d’alcool ou la consommation de drogues –, mais la qualité de l’air – sa concentration en dioxyde d’azote et en particules fines – joue aussi.
Mme Sandrine Rousseau
On parle de 40 000 morts par an tout de même !
M. Yannick Neuder, ministre
Tout à fait, on attribue aux particules fines 40 000 morts par an. La qualité de l’eau et les PFAS doivent également être pris en compte. Il faut donc recueillir des données décrivant l’effet de tous ces facteurs.
Je vous invite à inscrire à l’ordre du jour de vos travaux l’examen de la proposition de loi tendant à créer un registre national des cancers.
Mme Julie Laernoes
Vous êtes ministre, vous pouvez déposer un projet de loi !
Mme Émilie Bonnivard
Ça va bien la dame en vert ? Fasciste !
M. Yannick Neuder, ministre
La création de ce registre est soutenue par de nombreux scientifiques, elle a donné lieu à la publication d’une tribune dans Le Monde et nous devons collectivement agir.
Annie Genevard l’a très bien dit : les pesticides dangereux pour la santé sont interdits dans l’Union européenne.
Mme Julie Laernoes
C’est faux !
M. Yannick Neuder, ministre
D’autres pourront être interdits en France, s’ils provoquent des malformations, des cancers ou des maladies neurodégénératives. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme Danielle Simonnet
Ce n’est pas beau de mentir !
Mme Émilie Bonnivard
Bravo !
Mme la présidente
Vous en appelez à la présidence de l’Assemblée nationale, mais je vous rappelle que le gouvernement fixe la moitié de l’ordre du jour de nos débats. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS.)
Acceptabilité de la transition écologique
Mme la présidente
La parole est à M. Hubert Ott.
M. Hubert Ott
Dès son origine, le Mouvement démocrate a placé l’écologie au cœur de son projet de société. L’écologie doit rassembler, c’est notre conviction.
Depuis 2017, notre groupe cherche à atteindre cet objectif, pour faire face à la crise climatique.
Nos récents débats au sujet de la remise en cause des ZFE ou de l’avenir du ZAN montrent qu’une trajectoire de transition doit toujours s’accompagner de solutions réalistes et accessibles à tous. L’écologie ne doit pas se transformer en impasse.
Si les réponses aux défis environnementaux ne sauraient être construites sans ou contre les Français, deux réalités nous interpellent : le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité. Elles nous imposent sécheresses, inondations, tempêtes, pollution de l’air et dépérissement des forêts, et nous nous retrouvons avec une dette écologique qu’il est de notre responsabilité de ne pas léguer à nos enfants.
Plus que jamais, la science doit nous servir de boussole pour comprendre ces phénomènes. Nous devons nous écouter, partager et réfléchir ensemble avant de décider. Nous devons respecter le réel et le vivant, pour agir avec justesse et, surtout, transformer sans dégrader.
Partout, des personnes engagées – chefs d’entreprise, citoyens, agriculteurs ou viticulteurs – incarnent une écologie concrète. Ils cultivent le respect de la nature, intègrent l’innovation et se réunissent pour bâtir un avenir durable. Ils sont nos exemples !
Il n’y a pas une solution unique, mais des solutions concrètes, adaptées à chaque territoire, car les enjeux ne sont pas simples et ne doivent pas trouver de réponses binaires. Ces réponses doivent se construire dans la cohésion et la compréhension, pour un bénéfice partagé.
Dans un contexte où reculer reviendrait à renoncer, comment le gouvernement compte-t-il maintenir le cap d’une écologie qui rassemble et qui exige, capable de répondre aux grandes attentes, de préserver la santé, de respecter le vivant et l’environnement, d’encourager notre économie… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. – Les députés des groupes Dem et HOR applaudissent ce dernier.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
M. Aurélien Pradié
Qui devrait remercier le député pour sa question ! (Sourires.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Vous avez raison de nous interroger sur nos exigences en matière de protection de l’environnement et sur l’acceptabilité des mesures associées pour les Français. Cette question est centrale et doit le rester.
L’écologie ne peut pas servir de variable d’ajustement et la transition ne peut pas être modulée au gré des humeurs ou des échéances électorales. Or ces dernières semaines, l’écologie a fait face à des difficultés. Elles n’ont rien d’inédit et n’entament pas notre détermination à agir.
Mme Christine Arrighi
Qu’est-ce que vous faites au juste ? Un peu de courage !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Pendant qu’on débat, le dérèglement climatique ne négocie pas. Ses effets sont visibles, concrets, parfois violents, et nous n’avons plus le luxe de faire semblant d’agir.
Comme vous, je crois en une écologie populaire, pleinement compatible avec le progrès. Le vote, hier soir au Sénat, de l’excellent texte défendu ici par Anne-Cécile Violland et Antoine Vermorel-Marques contre l’ultra fast-fashion me donne raison : une majorité large et transpartisane a émergé au sujet d’un enjeu concret d’écologie et d’emploi. (Mme Justine Gruet applaudit.)
Mme Christine Arrighi
Et la loi Duplomb, on en parle ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Je crois aussi en une écologie qui transforme nos modèles sans punir les Français, en accompagnant et en protégeant ces derniers plutôt qu’en les trompant. Je crois en une écologie qui crée aujourd’hui plus d’emplois que les autres secteurs économiques, en une écologie qui permet de fournir des solutions – c’est ce que nous faisons avec le leasing social ou avec la protection de la qualité de l’eau et de l’air, au profit des Français.
Quand nous travaillons avec les élus locaux sur l’artificialisation, c’est pour mieux concilier développement des territoires et protection des sols. Oui, il nous faut une écologie du réel, une écologie du courage,…
Mme Christine Arrighi
Le courage, c’est bien ce qui vous manque !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…une écologie qui n’oppose pas, mais qui rassemble. Surtout, une écologie qui protège.
Vous le savez, aux côtés du président de la République, nous avons accompli des progrès significatifs depuis 2017. Les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 20 %. La qualité de l’air s’est améliorée de 30 % dans les agglomérations. Près de 50 000 emplois industriels ont été créés.
M. Théo Bernhardt
Merci bien, c’est terminé.
Mme Estelle Youssouffa
Allez, ça suffit maintenant.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Voilà notre bilan et nous continuerons à le défendre.
Politique économique
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Lhardit.
M. Laurent Lhardit
Monsieur le premier ministre, la politique économique menée depuis 2017 et que vous poursuivez depuis votre prise de fonctions repose sur la théorie du ruissellement, selon laquelle favoriser les plus riches profiterait in fine à l’ensemble de la société. (Sourires sur plusieurs bancs des groupes SOC, EcoS et LFI-NFP.)
Pourtant, loin de stimuler durablement la croissance, la politique menée depuis huit ans a surtout amplifié les inégalités, affaibli les services publics, accru la précarité et creusé la dette. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Quant à la baisse du chômage, elle a pour l’essentiel résulté de la généralisation des emplois précaires et du statut d’entrepreneur ubérisé.
M. Erwan Balanant et M. Laurent Croizier
C’est factuellement faux.
M. Laurent Lhardit
Face à cet échec patent, il est maintenant urgent de réorienter la politique économique de la France. Le Portugal depuis dix ans et l’Espagne depuis cinq ans appliquent des politiques qui favorisent l’augmentation du pouvoir d’achat pour relancer leurs économies, tout en soutenant les entreprises et la réindustrialisation.
Alors que sa politique permet à l’Espagne de se prévaloir d’une croissance trois ou quatre fois supérieure à la nôtre, vous préparez des mesures d’économie qui pourraient pénaliser les ménages et la relance économique.
Le gel possible de MaPrimeRénov’ dès juillet, révélé ce matin dans la presse, serait une folie économique et climatique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
M. Inaki Echaniz
La honte !
M. Laurent Lhardit
Alors que nous approchons du mur de la récession, qu’attendez-vous pour vous affranchir des dogmes libéraux, prendre exemple sur nos voisins européens et vous inspirer de ce qui marche ? (Mêmes mouvements.)
Qu’attendez-vous pour prendre les mesures de relance du pouvoir d’achat et de soutien à l’investissement, notamment dans l’industrie ? Enfin, qu’attendez-vous pour réorienter la politique économique de la France et la mettre au service de la justice sociale et de l’efficacité… (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’orateur. – Les députés des groupes SOC et EcoS applaudissent ce dernier.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Avant de distribuer les richesses, il faut les produire.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Éric Lombard, ministre
Le cœur de la politique économique menée depuis 2017, c’est la protection des entreprises, dont nous avons besoin. De retour d’une tournée en Asie du Sud-Est avec le président de la République et les représentants de nos entreprises, je peux vous assurer que la concurrence est très forte, partout. Protéger et développer nos entreprises est donc notre priorité.
M. Sylvain Maillard
Bien sûr !
M. Éric Lombard, ministre
La première inégalité est celle de l’accès à l’emploi. Or l’effet des politiques de lutte contre le chômage menées depuis 2017 est démontré : le taux de chômage n’a jamais été aussi bas lors des vingt dernières années.
Pour protéger les entreprises, il faut investir. Nous devrions tous être fiers du fait que la France est le pays le plus attractif d’Europe pour la sixième année consécutive : vous parlez d’échec, mais voilà un succès !
Mme Anna Pic
Tout est parfait, circulez il n’y a rien à voir !
M. Éric Lombard, ministre
La politique de réindustrialisation vise, au bénéfice de tous, à assurer la transformation écologique et énergétique.
M. Jean-Paul Lecoq
Surtout au bénéfice des actionnaires !
M. Éric Lombard, ministre
Celle-ci est aussi au cœur de notre projet, car il n’est de développement que durable et partagé.
La réindustrialisation doit permettre le développement de productions décarbonées. Elle est accompagnée d’un plan de transformation écologique très ambitieux, qui nous permettra d’être au rendez-vous d’une économie zéro carbone en 2050.
M. Inaki Echaniz
Et MaPrimeRénov’ alors ?
M. Éric Lombard, ministre
Pour atteindre nos objectifs, il est essentiel de rééquilibrer nos finances publiques.
M. Jean-Paul Lecoq
Et de taxer les actionnaires !
M. Éric Lombard, ministre
La dette pèse sur l’ensemble du pays. Son coût, de 67 milliards d’euros aujourd’hui, sera de 100 milliards dans trois ans !
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Éric Lombard, ministre
Dans cette situation, une politique de relance alourdirait la dette et réduirait nos marges de manœuvre.
M. Charles Sitzenstuhl
Il faut réduire les dépenses.
M. Éric Lombard, ministre
À l’inverse, la réduction des déficits est bien la seule manière de suivre une trajectoire de croissance.
M. Jean-Paul Lecoq
Et les actionnaires ?
M. Éric Lombard, ministre
Je veux enfin rappeler que la France est l’un des pays d’Europe continentale dont la croissance est la plus vigoureuse. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. Sylvain Maillard
Très bien !
M. Inaki Echaniz
Et MaPrimeRénov’ ? On n’a pas eu de réponse !
Lutte contre le tabagisme
Mme la présidente
La parole est à M. Michel Lauzzana.
M. Michel Lauzzana
Le tabagisme reste aujourd’hui la première cause de mortalité évitable en France. Il tue chaque année près de 75 000 personnes, dont 46 000 décèdent des suites d’un cancer.
Face à cette urgence de santé publique, notre mobilisation donne des résultats. La France enregistre son niveau de tabagisme le plus bas depuis trente-cinq ans, avec une baisse particulièrement marquée chez les jeunes de moins de 25 ans.
Ce progrès est le résultat d’efforts conjoints, fournis par les pouvoirs publics, les associations, les collectivités, mais aussi du nombre toujours croissant des concitoyens désireux de tourner la page du tabac.
Toutefois, nous ne devons pas relâcher notre vigilance. Le nouveau programme national de lutte contre le tabac 2023-2027 constitue un levier majeur et certaines de ses mesures ont déjà été engagées : l’interdiction des puffs, bientôt celle des sachets de nicotine, des campagnes de prévention renforcées et une extension des espaces sans tabac.
Vous avez annoncé ce week-end qu’à partir du 1er juillet, de nouveaux lieux – les plages, les parcs publics, les abribus et les abords des écoles, des piscines et des équipements sportifs – deviendraient des espaces sans tabac. La mesure est claire : là où il y a des enfants, il ne doit plus y avoir de tabac.
Je salue cette initiative, largement soutenue par nos concitoyens. Plus de 80 % des Français jugent ces espaces nécessaires et les considèrent comme efficaces pour lutter contre le tabagisme passif.
Quels moyens concrets engagerez-vous pour garantir l’effectivité de ces nouveaux espaces dans le territoire ? Quelles seront les prochaines étapes du programme national pour atteindre les deux objectifs que sont l’accompagnement des fumeurs vers l’arrêt et l’émergence d’une génération sans tabac d’ici à 2032. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Mme Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles
Vous avez raison et le constat que vous venez de dresser est à la fois source de satisfaction et invitation à poursuivre nos efforts. Le tabac cause encore 205 morts chaque jour. Il tue 75 000 personnes chaque année, dont 46 000 décèdent des suites d’un cancer.
Quand on parle de santé publique, il faut rappeler que le tabagisme coûte 150 milliards d’euros chaque année et provoque la souffrance des personnes qu’il rend malades. Ce constat établi, une longue suite de mesures a été prise.
Nous devons la prolonger car encore 17 % des jeunes de moins de 20 ans déclaraient, en 2023, fumer quotidiennement. Quand verrons-nous la génération sans tabac ? Notre défi est de la faire advenir ensemble.
Dans cette optique, il faut que là où il y a des enfants, il n’y ait pas de tabac. C’est le sens des interdictions qui deviendront effectives le 1er juillet prochain, après la parution d’un décret en Conseil d’État, dont la discussion touche à sa fin. Ensuite, une campagne de communication permettra d’informer chacun de nos concitoyens.
J’en profite pour saluer le travail des élus : des municipalités ont déjà pris des arrêtés interdisant la consommation de tabac aux abords des écoles ou dans les parcs publics.
Nous donnerons une base légale à une interdiction généralisée. Nous pourrons ainsi passer un été tranquille, sur des plages où l’on n’éteindra plus de mégots de cigarettes. Rappelons que ceux-ci représentent chaque année 25 000 tonnes de pollution à traiter.
Politique écologique
Mme la présidente
La parole est à M. Matthias Renault.
M. Matthias Renault
En une semaine, ici à l’Assemblée, l’écologie punitive a connu quatre revers majeurs, avec le renvoi en CMP de la proposition de loi Duplomb pour les agriculteurs et de la proposition de loi relative à l’A69, avec l’aménagement du ZAN et avec la suppression des ZFE. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Ces quatre défaites de l’écologie punitive, ce sont quatre victoires politiques du Rassemblement national.
M. Thierry Sother
C’est honteux !
M. Matthias Renault
Ce sont surtout quatre victoires pour les Français, car ce sont eux qui sont soumis à des règles absurdes et autoritaires, prises au nom de l’écologie. De ces victoires, la ministre de la transition écologique fait une défaite personnelle.
Depuis une semaine, elle s’épanche dans les médias pour dire tout le mal qu’elle pense des votes de l’Assemblée nationale. Au sujet des ZFE, elle a même osé déclarer qu’elle avait honte du vote de l’Assemblée et de l’alliance entre le RN, LR, LFI et même quelques députés du bloc central.
M. Inaki Echaniz
Elle a raison !
M. Matthias Renault
Honte, finalement, que les représentants du peuple se comportent – pour une fois ! – conformément à ce qu’ils sont, à ce que nous sommes : des représentants du peuple ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) Du peuple, vous ne parlez pas, ou seulement pour justifier l’injustifiable : défendre, avec les ZFE, une politique de ségrégation sociale. Vous dites que ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter une voiture propre ne sont pas oubliés, que les petites gens pourront circuler sous certaines conditions – un déplacement ponctuel, un rendez-vous chez le médecin, avant 8 heures ou après 20 heures –, le tout avec un pass ZFE : c’est exactement ce qu’on appelle une politique ségrégationniste ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RN et UDR.)
Vous avez perdu sur les ZFE, madame la ministre de l’écologie punitive, et vous êtes en train de perdre, avec toute une partie de la gauche qui soutient des normes absurdes érigées au nom de l’écologie.
M. Jean-Claude Raux
Au nom de l’avenir !
M. Matthias Renault
L’heure du choix est peut-être venue en ce qui vous concerne : après ces votes à l’Assemblée, comptez-vous vous accrocher au poste de ministre de l’écologie punitive ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Il y a des jours où être ministre de l’écologie suppose d’accepter d’être prise en étau. Un instant plus tôt, Mme Ozenne reprochait au gouvernement ne pas aller assez vite, assez fort, assez loin. À présent, vous m’accusez d’aller trop vite, trop fort, trop loin.
M. Jean-Philippe Tanguy
Non, on t’accuse d’être nulle !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
C’est la condition, sans doute inconfortable et néanmoins nécessaire, de ceux qui choisissent l’action et la responsabilité plutôt que la démagogie. (Exclamations sur les bancs des groupes RN et UDR.) Vous dressez un inventaire que vous voudriez accablant,…
M. Jean-Philippe Tanguy
C’est ton bilan !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
…mais que proposez-vous aux Français ?
M. Jean-Philippe Tanguy
De te remplacer ! (Sourires sur les bancs du groupe RN.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Que proposez-vous à ceux qui ne peuvent plus boire l’eau du robinet parce qu’elle est polluée ? À ceux dont les enfants sont à l’hôpital, en soins intensifs, parce que l’air est pollué ? Aux agriculteurs qui ne peuvent plus produire en raison des crises climatiques ? Que proposez-vous pour sortir de notre dépendance aux énergies fossiles provenant de Russie, des États-Unis ou d’Algérie ? Pour répondre aux entrepreneurs qui investissent dans les solutions bas-carbone, créent de l’emploi et attendent de la stabilité politique ? Que dites-vous aux Français dont les emplois dépendent à 80 % du patrimoine naturel ?
M. Erwan Balanant
Ils ne disent rien !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
La protection de ce patrimoine naturel est pourtant la condition sine qua non de notre souveraineté, de notre santé, de notre industrie, de notre qualité de vie et de notre prospérité future. Quoique ce soit en effet difficile et ingrat (Exclamations sur les bancs du groupe RN), je préfère agir avec exigence et avec la science comme viatique plutôt que de flatter avec facilité ! Je continuerai de faire ma part avec détermination et constance ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem. – Mme Stéphanie Rist et M. Sylvain Maillard applaudissent également.)
M. Bryan Masson
Quelle humilité !
Mme la présidente
La parole est à M. Matthias Renault.
M. Matthias Renault
Nous remporterons d’autres victoires en ce domaine, je vous l’assure ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Erwan Balanant
C’est vous qui allez punir les Français !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Vous qui critiquez si bien, vous n’êtes pas les derniers à me solliciter lorsqu’une catastrophe naturelle frappe vos circonscriptions (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et EcoS), lorsque les habitants de vos régions sont les pieds dans l’eau ou quand ils font face à des désastres agricoles ! (Vives protestations sur les bancs des groupes RN et UDR.) Proposez au lieu de critiquer ! Nous agissons quant à nous dans un esprit de responsabilité ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem ainsi que sur plusieurs bancs du groupe EcoS.)
Situation en Nouvelle-Calédonie
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Tjibaou.
M. Emmanuel Tjibaou
Durant son déplacement en Asie du Sud-Est, nous avons appris par voie de presse que le président de la République reprenait la main sur le dossier calédonien – à vos côtés, me semble-t-il, monsieur le ministre des outre-mer. Au-delà de la déclaration d’intention depuis l’autre bout de la planète, nous nous interrogeons à nouveau sur la méthode, dans un moment crucial du processus engagé avec l’ensemble des parties prenantes. Depuis que je siège dans cet hémicycle, le groupe GDR et moi-même n’avons eu de cesse de vous alerter sur la prudence requise par la gestion des territoires en crise partout en outre-mer.
Au terme d’un débat amorcé en janvier, le gouvernement a présenté à Deva un projet d’État confédéré, reflétant deux aspirations fondamentales : d’un côté, l’aspiration à l’émancipation aux confins d’une souveraineté partagée, de l’autre, l’aspiration à la protection et à la sécurité de nos compatriotes désireux de conserver un lien fort avec la France. Si elle n’a pas abouti, la rencontre de Deva n’en reste pas moins un point d’étape majeur dans l’élaboration d’un accord politique – lequel est toujours en cours de discussion, puisqu’il a recueilli les faveurs de la majorité des groupes politiques présents, ainsi que celles du Front de libération nationale kanak et socialiste ; il faut à présent l’enrichir, capitaliser sur ces avancées afin de répondre aux attentes des populations. Car nous le savons tous : si aucun accord politique n’est trouvé d’ici à fin juin, nous entrerons dans un tunnel électoral, avec les scrutins provinciaux, municipaux, puis l’élection présidentielle, dont nous ne sortirons qu’à la fin du premier semestre 2027. Nous pourrions perdre trois années, alors que le territoire est exsangue, dépourvu de perspectives de relance économique ou sanitaire et incapable de mener les réformes nécessaires à son avenir.
Comment capitaliser sur cette méthode qui nous a ramenés sur le chemin de la concorde, si celle-ci change à nouveau en même temps que le format des discussions ? Comment aboutir à un accord politique dans ces conditions ? Il est temps de refermer la parenthèse coloniale dans nos pays et que la France prenne sa part dans l’achèvement du processus d’émancipation en Kanaky Nouvelle-Calédonie. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre des outre-mer.
M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer
La méthode n’a pas changé. Le premier ministre m’a confié la mission de rétablir la voie du dialogue en Nouvelle-Calédonie ; c’est fait. Il m’a aussi demandé de conclure un accord de paix ; cette mission se poursuit, sous l’autorité du président de la République, évidemment, et avec la confiance du premier ministre. Tant que j’aurai cette énergie, tant que je serai persuadé qu’un accord est possible, je la poursuivrai. Vous le savez : je suis convaincu qu’un accord est possible, en alliant ces aspirations effectivement contradictoires que vous avez évoquées. Pourquoi un accord est-il possible là-bas ? Parce que l’économie du territoire est à terre, parce qu’il est menacé d’une explosion sociale, parce que son système de santé s’est effondré, parce que Nouméa compte des centaines de personnes sans domicile fixe, parce que des gens ne mangent pas à leur faim ! Notre devoir et notre responsabilité, celle de l’État mais aussi, et d’abord, celle des élus calédoniens comme des forces économiques et sociales, commandent de trouver un accord ! (Approbation sur les bancs du groupe GDR.)
Sans accord, aucun rétablissement de l’économie et de la situation sociale ne sera possible ! Nous devons donc travailler jusqu’au bout. Avec le président de la République et le chef du gouvernement, nous formulerons des propositions pour mettre autour de la table, ici, à Paris, pourquoi pas les forces économiques et sociales du territoire, sans doute les maires, mais d’abord les forces politiques, afin d’achever le processus de décolonisation et d’épuiser le droit à l’autodétermination, en respectant évidemment la parole des Calédoniens, sans oublier pour autant l’histoire et le passé qui a conduit aux désastres des années 1980 et aux drames de 2024. De toutes mes forces, je veux exprimer ma conviction qu’avec votre soutien et celui de Nicolas Metzdorf, nous trouverons une solution. C’est non seulement essentiel pour l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, mais aussi pour notre patrie, pour la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, SOC, EcoS, Dem et GDR ainsi que sur quelques bancs du groupe DR. – M. Jean-Philippe Nilor applaudit également.)
Prévention des cancers
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Rousseau.
M. Aurélien Rousseau
Nous sommes dans une période paradoxale en matière de cancers. Chaque jour, des traitements nouveaux sont présentés dans le monde entier, offrant des perspectives très encourageantes. Dans le même temps, nous sommes nombreux à vivre ou à avoir vécu avec le cancer, parfois en l’affichant publiquement, comme vous l’avez fait, madame la présidente, avec beaucoup de force, ou comme je le fais à présent – pas seulement pour excuser de longues semaines d’absence sur ces bancs, mais pour dire aux Françaises et aux Français que ces sujets intimes sont aussi des sujets de politique publique. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EPR, EcoS, Dem et GDR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et DR.)
Nous percevons autour de nous l’augmentation des cas, notamment chez les plus jeunes. Combien d’entre eux sont dépistés avec des cancers à des stades avancés ? Certains, comme le remarquable professeur Fabrice Barlesi, qui dirige l’Institut Gustave-Roussy, affirment que nous devons nous préparer à un tsunami. Les facteurs sont connus – alcool, tabac, surpoids, régime alimentaire – mais des questions demeurent : quelle est la responsabilité des pollutions environnementales, des aliments ultratransformés, des perturbateurs endocriniens, des contraceptifs hormonaux ? Tout cela est difficile à quantifier.
Pouvez-vous vous engager à ce que la recherche en matière de cancer ne soit victime d’aucune réduction budgétaire dans les mois à venir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe EcoS. – Mme Stéphanie Rist et M. Olivier Becht applaudissent également.) Nous devons redonner souffle et visibilité à la politique de lutte contre le cancer. Pouvez-vous confirmer l’engagement du gouvernement dans une voie que j’avais mise en avant, celle de la recherche en prévention ? Actionner ce levier sera décisif pour lutter contre les cancers et les récidives, et pour mesurer les inégalités sociales. Pouvez-vous vous engager à faire toute la transparence sur l’état des connaissances, sur ce que nous savons comme sur ce que nous ne savons pas, bref à mener à terme le projet de registre des cancers ? Nous devons en effet avancer à la lumière de la science et non à celle, blafarde, du faisceau tendu par les complotistes et les relativistes. (Les députés du groupe SOC se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et GDR ainsi que sur plusieurs bancs du groupe DR. – Mme la présidente et Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles applaudissent également.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Je salue votre courage et, à travers vous, l’ensemble des près de 4 millions de Français qui vivent avec un cancer. Vous avez cité un grand nom de la cancérologie française, celui du professeur Barlesi. Je pense aussi à Jean-Yves Blay. Tous deux ont d’ailleurs cosigné une tribune appelant à se doter d’un registre national des cancers. Pardonnez-moi, madame la présidente, je ne cherche pas à alimenter une polémique stérile entre le Parlement et le gouvernement, mais il me semble que l’ensemble des groupes est favorable à l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi visant à créer un tel registre… (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur plusieurs bancs des groupes EPR et SOC.)
Mme Émilie Bonnivard
Très bien !
M. Yannick Neuder, ministre
Ce registre fournira davantage de données,…
Plusieurs députés du groupe EcoS
Créez-le !
M. Yannick Neuder, ministre
…sur le déterminisme génétique, les facteurs liés aux nouvelles hygiènes de vie ou à l’environnement – qualité de l’air, qualité de l’eau, pesticides, PFAS –, sans oublier les aliments ultratransformés, qui sont l’une des pistes sérieuses d’explication des cancers. (M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit.)
Il est important que les équipes françaises de recherche, issues notamment du Paris Saclay Cancer Cluster, qui reviennent du congrès annuel de la Société américaine d’oncologie clinique, fassent part des dernières avancées en ce domaine. J’en profite pour saluer l’ensemble de la communauté française de recherche en oncologie.
Sans présager des décisions du Parlement sur le prochain budget, le gouvernement n’a aucune intention de limiter les crédits alloués à la recherche sur le cancer. Deuxièmement, il compte bien favoriser la prévention – le meilleur traitement étant celui que l’on n’administre pas, surtout si l’on pense à toutes les séquelles possibles. Nous avons intérêt à agir au plus précoce ; le diagnostic en dépend.
Enfin, le Sénat souhaite un registre national des cancers, la proposition de loi sur le sujet, déposée par les sénatrices Sonia de La Provôté et Marie-Pierre de La Gontrie, ayant été votée à l’unanimité.
Mme Dominique Voynet
Il y a déjà deux ans !
M. Yannick Neuder, ministre
Nous pourrons donc l’inscrire à l’ordre du jour transpartisan de cette assemblée, le plus rapidement possible, dès que nous en aurons l’occasion. Je vous remercie encore une fois pour votre courage et pour votre question. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Mme Danielle Brulebois applaudit également.)
Mme la présidente
Concernant votre souhait d’inscrire ce texte le plus rapidement possible à l’ordre du jour, monsieur le ministre, sachez que la prochaine semaine de l’Assemblée – lors de laquelle cette dernière fixera son ordre du jour – est prévue en décembre 2025 ! Si vous voulez aller vite, c’est bien au gouvernement de mettre ce texte à l’ordre du jour ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS, GDR et sur plusieurs bancs du groupe EPR. – Protestations sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Mme Émilie Bonnivard
Un peu de respect, tout de même, madame la présidente ! C’est honteux, on ne parle pas comme cela à un ministre !
M. Fabien Di Filippo
Agissez ainsi avec tous, y compris avec le premier ministre !
Mme Émilie Bonnivard
Je regrette d’avoir voté pour cette présidente, j’aurais dû voter pour Chassaigne !
Projet d’autoroute A31 bis
Mme la présidente
La parole est à M. Belkhir Belhaddad.
M. Belkhir Belhaddad
Monsieur le ministre des transports, voilà des mois que le projet d’autoroute A31 bis n’avance plus. Nous avons eu l’occasion d’évoquer ce sujet lors de votre venue en Moselle, il y a plusieurs semaines. L’actuelle A31, artère vitale pour les plus de 120 000 travailleurs frontaliers quotidiens, corridor européen majeur pour le fret, est structurellement saturée et vieillissante, avec de nombreuses conséquences directes : embouteillages quotidiens, accidents fréquents, réseau secondaire également congestionné.
Dans ce contexte, le projet d’A31 bis incarnait une véritable solution. Il a été approuvé en décembre 2023 par l’un de vos prédécesseurs, M. Clément Beaune, et une première concertation publique technique a été lancée en septembre 2024. Depuis, le silence de l’État et de ses services inquiète fortement, d’autant que le calendrier est d’ores et déjà retardé. Les élus locaux, les entreprises les Mosellans ont besoin de visibilité. Il y a urgence ! Six présidents d’intercommunalités du Nord mosellan ont exprimé leurs profondes inquiétudes et demandé la confirmation de la réalisation dans les délais annoncés, ainsi que l’accélération des procédures administratives. Si je salue les efforts engagés pour développer les transports collectifs via le service express régional métropolitain, les lignes de bus transfrontalières ou le covoiturage, ceux-ci ne pourront pas absorber à eux seuls les flux de passagers à venir.
La protection de l’environnement et l’application des normes qui la garantissent doivent demeurer une priorité. Compte tenu des enjeux de mobilité dans le territoire mosellan et de la nécessaire remise à niveau de ses infrastructures, le projet d’A31 bis doit être concrétisé selon le calendrier fixé.
L’État est-il pleinement engagé pour le mener à son terme ? Pouvez-vous apporter des précisions quant à la procédure en cours ? (M. Michel Lauzzana applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre chargé des transports.
M. Philippe Tabarot, ministre chargé des transports
Le projet d’autoroute A31 bis représente pour l’État un aménagement prioritaire, structurant pour la mobilité en Lorraine, en France et en Europe : nous sommes déterminés à le faire aboutir.
L’autoroute A31, vous l’avez dit, connaît des saturations récurrentes qui pénalisent les travailleurs frontaliers et les habitants de votre territoire. Nous travaillons étroitement avec la région Grand Est et l’ensemble des collectivités locales, dont le département de la Moselle, à ce projet d’A31 bis attendu par la majorité des habitants. Un consensus politique local s’est quasiment dégagé…
M. Laurent Jacobelli
Non !
M. Philippe Tabarot, ministre
…lors de la consultation publique organisée à la fin de l’année 2022, et je sais que plusieurs parlementaires s’y sont impliqués. Le dossier d’enquête publique pour le secteur nord est en cours de préparation par les services de l’État, sous l’autorité du nouveau préfet de Moselle.
J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer : la concertation préalable à l’enquête publique a été lancée le 28 mai. (Mme Sandrine Rousseau s’exclame.) Après les consultations obligatoires – autorité environnementale, collectivités territoriales, contre-expertise socio-économique –, nous espérons lancer l’enquête publique à l’automne 2025, pour obtenir une déclaration d’utilité publique dans les meilleurs délais.
Je sais que ce temps de préparation semble long, mais le dossier est complexe et il convient de lui donner toutes les chances d’aboutir dans les meilleures conditions. Je tiens à rappeler que le lancement d’un projet de cette envergure requiert de franchir de nombreuses étapes et procédures, notamment sur le plan environnemental. Permettez-moi d’ajouter que face aux procéduriers et à la pression contentieuse qui s’exerce sur les grands projets d’infrastructure, l’État prend toutes les précautions nécessaires pour s’assurer que celui-ci respecte les plus hauts standards environnementaux. (Mme Danielle Brulebois applaudit.)
M. Jean Terlier
Très bien !
Violences après la victoire du PSG
Mme la présidente
La parole est à M. Corentin Le Fur.
M. Corentin Le Fur
La victoire historique du Paris Saint-Germain samedi soir aurait dû offrir une soirée de liesse, de partage et de communion collective.
M. Jean-Luc Bourgeaux
C’est vrai !
M. Corentin Le Fur
Elle a malheureusement été gâchée par des scènes insupportables et inqualifiables, devenues hélas tristement banales, de chaos en plein Paris : vitrines cassées, magasins pillés, voitures brûlées, supporters agressés, forces de l’ordre et même pompiers pris pour cible. Le bilan est dramatique : plus de 600 interpellations, au moins deux décès et des centaines de blessés. Je ressens, comme beaucoup de Français, un sentiment d’écœurement.
M. Laurent Jacobelli
Il faut en parler au président de LR !
M. Corentin Le Fur
Je pense à tous ces vrais supporters du PSG, à tous ces amoureux du football qui se sont fait voler leur victoire et gâcher leur bonheur par des casseurs et des voyous. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) Je pense à toutes ces familles, à tous ces gens honnêtes, à ces citoyens respectueux qui, par peur d’être dépouillés, ont renoncé à sortir pour fêter le titre de leur club. Ce scénario se répète désormais à chaque grand rassemblement : une minorité violente, souvent organisée, saccage l’espace public et s’en prend aux commerçants.
Monsieur le ministre de l’intérieur, je connais votre détermination absolue et votre grande fermeté. Nous devons trouver une réponse collective pour dire « plus jamais ça ». Tous ceux qui cassent, brûlent, pillent, caillassent les forces de l’ordre ou les pompiers doivent être condamnés et lourdement sanctionnés. (Mêmes mouvements.)
M. Julien Odoul
Cela fait des années qu’on le dit !
M. Corentin Le Fur
Surtout, ils ne doivent plus bénéficier d’un seul euro d’aide de l’État. C’est pourquoi, avec mes collègues du groupe Droite républicaine, nous avons déposé une proposition de loi pour instaurer un principe de casseur-payeur.
M. Patrick Hetzel
Très bien !
M. Corentin Le Fur
Notre proposition est simple : plus de RSA, plus d’allocation, plus d’APL, plus d’aide à la formation, plus aucune aide pour ceux qui sèment le chaos dans notre pays. (Mêmes mouvements. – M. Jean-François Coulomme s’exclame.)
M. Alexandre Portier
Pas 1 euro pour les voyous !
M. Corentin Le Fur
C’est en les frappant au porte-monnaie que nous pourrons mettre fin à cette triste spécificité française et, je l’espère, retrouver le sens de la fête dans notre pays. Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à soutenir cette initiative ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – Mme Brigitte Barèges applaudit aussi.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Je soutiendrai cette proposition de loi avec joie. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.) Vous avez totalement raison : face à ces barbares, nous ne pouvons nous contenter d’une réponse sécuritaire. En effet, nous ne pourrons jamais positionner des cordons de CRS devant chaque vitrine de magasin, ni des escadrons de gendarmerie mobile à chaque carrefour et dans chaque rue de France. La réponse doit être aussi judiciaire.
Vous avez également raison de défendre le principe du casseur-payeur, qui doit être cardinal. Je formulerai quatre propositions. Premièrement, que l’État se retourne systématiquement contre les casseurs, en leur imputant une dette personnelle ineffaçable et en mobilisant les moyens du Trésor public pour la recouvrer. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur plusieurs bancs du groupe HOR.) Deuxièmement, mobiliser la solidarité familiale : l’article L. 227-17 du code pénal n’est pratiquement jamais utilisé, alors qu’il permet de rendre les familles financièrement solidaires lorsqu’elles se révèlent défaillantes. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Patrick Hetzel
Excellent !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Troisièmement, faire payer les casseurs en réduisant voire en supprimant totalement les aides sociales qu’ils perçoivent. La société française n’a pas à payer pour des casseurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.) Enfin, rendre automatique la constitution de partie civile : beaucoup de commerçants, d’artisans, de collectivités et de citoyens ne pensent pas à engager une telle démarche pour faire payer les casseurs. Il faut qu’elle soit systématiquement prévue pour assurer enfin le plein exercice de ce principe : « tu casses, tu paieras ». (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Attentat terroriste à Puget-sur-Argens
Mme la présidente
La parole est à M. Steevy Gustave.
M. Steevy Gustave
Samedi soir, à Puget-sur-Argens, Hichem a été assassiné. Assassiné par son voisin, en raison de ses origines ; assassiné parce qu’il était perçu comme un étranger, parce qu’il était musulman, parce qu’il était tunisien. Ce n’est pas un fait divers ; c’est un attentat. Un attentat raciste, revendiqué sur les réseaux sociaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Un acte nourri de haine et prémédité, comme en témoigne l’arsenal retrouvé dans sa voiture. Un acte terroriste, qui visait à faire peur, à diviser, à insinuer la haine.
Ce drame n’est pas isolé. Il y a quelques semaines, Aboubakar Cissé était tué dans une mosquée du Gard. Quelques mois plus tôt, Djamel Bendjaballah était écrasé par un militant néonazi à Dunkerque, sous les yeux de sa fille. Ces crimes s’accumulent et le silence persiste. Certes, personne ici n’a tenu l’arme ; mais à force d’agiter la peur, de stigmatiser les musulmans, de faire de l’immigration une obsession, certains préparent le terrain quand d’autres passent à l’acte. Derrière les mots, il y a des morts. Derrière les postures, il y a des familles. Derrière le buzz, il y a des mères qui pleurent leurs fils. Ça suffit ; assez joué avec le feu ! Assez de ceux qui bâtissent leur carrière politique sur la peur et sur le dos de nos compatriotes !
Mme Farida Amrani
Racistes !
M. Steevy Gustave
La République n’est pas un champ de bataille identitaire ; elle est un refuge, un rempart, un idéal. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC.) Il est plus que temps qu’elle protège tous ses enfants, sans hiérarchie, sans exception, sans condition. Aujourd’hui, ce ne sont plus des alertes, ce sont des morts.
Monsieur Retailleau, vous qui parlez de « barbares » et d’identité nationale, dites-nous jusqu’à quand vous ferez de la peur un projet politique, alors que des citoyens meurent simplement pour ce qu’ils sont. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Nous avons un point d’accord et un point de désaccord. Je suis d’accord pour affirmer tout haut que ce crime est beaucoup plus qu’un fait divers. Il est désormais prouvé qu’il s’agit d’un crime raciste, sans doute antimusulman, donc terroriste – l’enquête du parquet national antiterroriste le confirmera vraisemblablement.
Si le Pnat s’est saisi, c’est parce que cette affaire est grave. Vous l’avez très bien dit : ce meurtre dépasse l’acte lui-même ; le meurtrier a voulu s’en prendre à Hichem parce qu’il était étranger, il s’agit donc d’un acte antiraciste. (Exclamations et rires sur divers bancs.) Raciste ! Je le dis et le répète : un acte raciste est un acte antifrançais.
M. Sébastien Delogu
Alors protégez les Français !
Mme Danielle Simonnet
Et n’utilisez pas le mot « barbare » !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Nous partageons la même définition de la France et de la République : celle-ci ne reconnaît aucune différence selon l’origine, la croyance ou la religion. (Mme Mathilde Panot s’exclame.) En cela, nous sommes parfaitement d’accord et je fais confiance à l’autorité judiciaire pour punir gravement celui qui a commis cet acte odieux et abominable. Il s’agit d’un acte barbare.
Cependant, nous sommes en désaccord sur un point : on ne peut se servir de ce meurtre intolérable pour faire de la politique politicienne. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – M. Alexis Corbière rit.) Je le dis de façon très claire : la France n’est pas raciste mais, malheureusement, il y a des racistes en France.
M. Aly Diouara
L’extrême droite vous applaudit !
M. Raphaël Arnault
Ils siègent juste à côté de vous !
Mme Caroline Parmentier
Vous nous traitez de racistes ? Fiché S ! (M. Raphaël Arnault et Mme Caroline Parmentier s’apostrophent de banc à banc.)
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Ces racistes doivent être punis sévèrement, parce qu’ils bafouent le projet républicain, le projet de notre beau pays, que nous aimons tous…
Mme Sandra Regol
Quand on aime son pays, on ne ferme pas les yeux !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…d’où que nous venions, quelles que soient nos croyances. Croyez-moi, quand je combats l’islamisme, je ne combats pas les musulmans. (Mme Mathilde Panot s’exclame.) Ceux qui font l’amalgame entre l’islamisme et les musulmans se trompent ; ce sont les pays musulmans qui ont, les premiers, interdit les Frères musulmans. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Alexis Corbière
Quel est le rapport ?
Mme la présidente
La parole est à M. Steevy Gustave.
M. Steevy Gustave
Je ne suis pas dans la polémique ; je respecte tout le monde. Je suis un défenseur du vivre ensemble et, à chaque fois que je vous écoute, j’ai mal à ma France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Situation des pêcheurs
Mme la présidente
La parole est à M. Patrice Martin.
M. Patrice Martin
Madame la ministre de la mer et de la pêche, depuis des mois, vous répétez vouloir défendre nos pêcheurs. Pourtant, leur situation se dégrade chaque jour et votre inaction saute à leurs yeux. Chaque matin, ces hommes et ces femmes lèvent les filets ; chaque soir, ils voient sombrer leurs espoirs. Des quotas drastiques, des interdictions pesantes, des contraintes étouffantes : voilà le quotidien de ceux qui défendent non seulement un métier, mais un patrimoine, une identité, une économie côtière tout entière.
Dans ma circonscription, à Dieppe comme au Tréport, pendant que les Pays-Bas arment des navires industriels géants, nos pêcheurs sont soumis à des contrôles rigides et disproportionnés. Le comble : on leur impose de rejeter chaque année jusqu’à 80 000 euros de poissons à la mer ! Tout cela pendant que vous alignez des discours creux et des promesses sans lendemain.
M. Jean-Paul Lecoq
Rendez-nous Sébastien Jumel !
M. Patrice Martin
Les conséquences du Brexit sont un autre coup dur : le Royaume-Uni reprend le contrôle de ses eaux, la pêche illégale prospère et la France regarde, impuissante. Pendant ce temps, les éoliennes offshore grignotent les zones de pêche, perturbent les écosystèmes et rognent l’espace vital des marins. Ajoutez à cela la pression écrasante de l’Office français de la biodiversité,…
M. Damien Girard
Vous êtes sûr que le problème vient de là ?
M. Patrice Martin
…des réglementations européennes absurdes, et vous comprendrez pourquoi nos pêcheurs se sentent abandonnés, relégués au rang de variables d’ajustement. Résultat : un déficit commercial abyssal de 5 milliards d’euros pour la deuxième façade maritime mondiale. Voilà le prix de votre politique. Madame la ministre, quelles mesures concrètes prendrez-vous enfin pour sauver cette filière, inverser cette balance commerciale catastrophique et défendre nos intérêts à la conférence des Nations unies sur l’océan ? Préférerez-vous continuer à sacrifier nos pêcheurs sur l’autel des dogmes européens et des illusions technocratiques ? (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
M. Laurent Jacobelli
C’est sa tournée d’adieux !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche
Merci de me donner l’occasion de réaffirmer mon soutien total aux pêcheurs français, qui pratiquent une pêche durable.
M. Fabrice Brun
Elle devrait dire la même chose des agriculteurs !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Pour travailler quotidiennement à leurs côtés, je sais que la filière traverse une période difficile. Mes priorités sont claires : défendre notre souveraineté alimentaire, protéger nos pêcheurs contre la concurrence déloyale et sécuriser sur le long terme l’exercice de leur métier en protégeant la ressource halieutique.
Cela se traduit par des actes. J’ai obtenu que nos pêcheurs continuent d’accéder aux eaux britanniques jusqu’en 2038 : dix ans de sécurité et de stabilité, personne ne l’imaginait en janvier – c’est désormais chose faite. J’ai aussi obtenu qu’ils bénéficient d’une compensation, de même niveau que celle de l’année dernière, pour la fermeture du golfe de Gascogne. Les pêcheurs ont déjà touché cette compensation ; le guichet pour les mareyeurs vient d’ouvrir, je l’ai obtenu de la Commission européenne.
Vous avez l’air d’ignorer que les Néerlandais sont soumis aux mêmes règles drastiques que nous, celles du total admissible de captures et des quotas. C’est cette pêche régulée, que vous semblez combattre, qui permet de redresser les stocks de poissons et à nos pêcheurs – notamment les thoniers en mer Méditerranée – de gagner beaucoup mieux leur vie qu’il y a quinze ans.
Sachez que je serai au rendez-vous avec nos pêcheurs, dans le cadre du contrat stratégique de filière que nous avons signé avec eux. Ils savent qu’ils peuvent compter sur moi ; à la prochaine conférence des Nations unies sur l’océan comme devant la Commission européenne, nous défendrons une vision exigeante de la politique de pêche commune, qui protège contre la pêche illégale. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Patrice Martin.
M. Patrice Martin
Nos pêcheurs n’attendent plus des discours, mais des résultats ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. Jean-Paul Lecoq s’exclame.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
M. Julien Odoul
Elle veut toujours avoir le dernier mot !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre
Nos pêcheurs ont eu des résultats sur le Brexit et sur la fermeture du golfe de Gascogne : ils en auront également à l’Unoc. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Préparation du budget 2026
Mme la présidente
La parole est à M. Harold Huwart.
M. Harold Huwart
L’Himalaya, monsieur le ministre, n’est pas une montagne que l’on peut escalader seul. Vous avez indiqué, le 15 avril dernier, votre volonté de consulter les groupes parlementaires et de travailler sur la préparation du budget 2026, en toute transparence, avec la représentation nationale.
Comme beaucoup de députés, les membres du groupe LIOT sont prêts à ce travail de fond, indispensable préalable à l’examen d’un budget à l’automne. Comme beaucoup de députés et beaucoup de Français, nous sommes préoccupés par le dérapage actuel des finances publiques et nous sommes conscients qu’une réaction urgente est nécessaire.
Depuis le 15 avril, cependant, nous n’avons eu droit, en fait de travail collectif, qu’à des indiscrétions par voie de presse, le plus souvent démenties : un jour c’est la TVA sociale, un autre jour c’est la suppression de l’abattement fiscal pour les retraités, un dernier, enfin, c’est la question du référendum. Vous présenterez vos conclusions le 14 juillet : alors que nous sommes le 3 juin, c’est la seule information précise dont nous disposons.
Ma question est simple : attendez-vous que la session soit terminée, que les portes du Parlement soient fermées et que les députés soient dans l’incapacité de se réunir pour dévoiler votre plan de redressement des finances publiques ?
Dans le cas contraire, quand comptez-vous recevoir les représentants des groupes parlementaires ? Quelle méthode et quel calendrier comptez-vous leur présenter ? Vous engagez-vous à présenter vos conclusions à un moment où l’Assemblée siégera, afin qu’elle puisse assurer les missions d’examen, de contrôle et de proposition que la Constitution de la République lui a confiées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur plusieurs bancs des groupes SOC et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Éric Lombard, ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
Nous allons bien évidemment tenir l’engagement pris par le premier ministre. Nous vous avons fait part des conclusions de la réunion du comité d’alerte des finances publiques qui s’est tenue, autour du premier ministre, le 15 avril – nous allons d’ailleurs réunir de nouveau ce comité, afin de vous tenir au courant de l’état des lieux.
Avec Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics, le dialogue avec le Parlement est permanent ; mais il prendra une intensité particulière à compter de ce mois de juin. Si, comme vous l’avez relevé, le premier ministre rendra ses décisions à la mi-juillet, celles-ci devront être nourries du dialogue avec le Parlement.
M. Aurélien Pradié
Vous savez bien que, seuls, vous n’avez aucune légitimité !
M. Éric Lombard, ministre
Pendant le mois de juin et avant le 15 juillet, nous allons recevoir, avec la ministre, l’ensemble des groupes représentés ici et au Sénat, afin de recueillir vos avis, vos propositions et vos opinions sur la préparation de ce budget.
Le débat ne prendra toutefois pas fin le 15 juillet, quand le premier ministre aura présenté les orientations du gouvernement : nous entendons le poursuivre avec les groupes avant la rentrée parlementaire, de façon à construire un texte qui, tout en reflétant le mieux possible les grandes orientations du gouvernement, soit enrichi de celles des parlementaires.
M. Aurélien Pradié
Quand l’Assemblée ne siégera plus ? Sur la plage ? Vous vous moquez de nous !
Situation à Gaza
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-François Coulomme.
M. Jean-François Coulomme
Voilà maintenant vingt mois, monsieur le ministre des affaires étrangères, qu’Israël se livre à l’extermination du peuple palestinien (« Ah ! » sur les bancs du groupe RN), sous le regard complaisant – ou complice – des États-Unis et de la France.
Ce génocide est le premier de l’histoire à être diffusé, dans toute son horreur, en clair et en direct, à la face horrifiée du monde entier.
M. Emeric Salmon
Ce n’est pas un génocide, arrêtez d’employer ce mot !
M. Jean-François Coulomme
Les tentatives des dirigeants israéliens pour effacer le martyre infligé à tout un peuple des disques durs de l’histoire n’y feront rien – pas plus que les tentatives des propagandistes appointés, journalistes et politiques corrompus, pour insulter, depuis leurs estrades dorées, aussi bien la vérité que notre humanité (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP), tentatives culminant dans cet abject gala parisien du Diaspora Defence Forces, destiné à glorifier et absoudre les crimes d’une nation génocidaire tout en déclenchant l’hilarité de ses participants au moyen de quiz barbares bientôt disponibles en kiosque et, demain, dans les programmes officiels bolloréens de l’éducation nationale.
À ces deux ans de bombardements, à la pulvérisation des corps sous les missiles, à l’holocauste des Gazaouis calcinés sous les bombes incendiaires, s’ajoute désormais le blocus humanitaire, arme d’extermination massive jadis expérimentée par d’autres régimes génocidaires.
M. Laurent Jacobelli
Quelle honte !
M. Jean-François Coulomme
Ajoutez-y l’horreur des tirs des snipers israéliens – comme un ball-trap sur des spectres affamés. La présidente de l’extrême droite, éborgnée par son islamophobie qui l’emporte sur l’antisémitisme historique de son clan politique, martèle qu’il serait injuste de sanctionner Israël. (Mêmes mouvements. – M. Damien Girard applaudit aussi.)
M. Julien Odoul
Vous êtes en roue libre !
M. Jean-François Coulomme
Face à ce cauchemar humanicide, un équipage d’aide humanitaire international, avec l’activiste Greta Thunberg et notre députée européenne Rima Hassan,…
M. Laurent Jacobelli
Des Pieds nickelés !
M. Jean-François Coulomme
…a appareillé, dimanche, pour rallier Gaza et convoquer la réaction internationale au chevet des Gazaouis. (Mêmes mouvements.)
Il y a quinze ans, Israël attaquait un navire similaire, assassinant neuf personnes.
Votre gouvernement va-t-il enfin poursuivre ces galas pour apologie de crimes contre l’humanité ? Allez-vous exiger d’Israël le respect de la convention de Genève, qui garantit le droit absolu des civils à l’aide humanitaire ? (Mêmes mouvements.)
Avez-vous, enfin, fait jouer l’autorité de la France pour protéger la Freedom Flotilla en route pour Gaza ? (Les députés du groupe LFI-NFP se lèvent et applaudissent.)
M. Laurent Jacobelli
Et la libération des otages ?
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
La France condamne avec la plus grande fermeté les bombardements qui frappent les civils, le blocage de l’aide humanitaire, les déplacements forcés de population ou encore la récente décision du gouvernement israélien d’établir de nouvelles colonies.
Nous le disons au peuple israélien : il existe un autre chemin, une autre solution que l’état de guerre permanent préfiguré par les décisions actuelles de son gouvernement. Cette alternative, celui qui la décrit le mieux n’est autre que Benyamin Netanyahou, premier ministre d’Israël en 2009, lors d’un discours prononcé à l’université Bar Ilan de Tel-Aviv : « Nous devons dire la vérité. Au sein de cette patrie, vit une large communauté palestinienne. Nous ne voulons pas les dominer, nous ne voulons pas gouverner leurs vies, nous ne voulons pas leur imposer ni notre drapeau ni notre culture. Dans ma vision de la paix, sur cette petite terre qui est la nôtre, deux peuples vivent librement, côte à côte, dans l’amitié et le respect mutuel. Chacun aura son propre drapeau, son propre hymne national, son propre gouvernement. Aucun ne menacera la sécurité ou l’existence de l’autre. »
M. Sébastien Delogu
C’est de la propagande !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Je le dis clairement : si nous recevons les garanties que nous demandons à propos de la démilitarisation et des besoins de sécurité d’Israël et si les Palestiniens reconnaissent Israël comme l’État du peuple juif, alors nous serons prêts, dans le cadre d’un futur accord de paix, à parvenir à une solution où un État palestinien démilitarisé existera aux côtés de l’État juif. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Farida Amrani
C’est un génocide !
M. Jean-François Coulomme
Ma question s’adressait à un ministre français, pas à Netanyahou !
M. Jean-Noël Barrot, ministre
Nous appelons donc le premier ministre israélien à revenir exactement à ses propos de 2009 : là se trouve la seule voie qui mènera son peuple à la paix et à la sécurité. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Jérémie Iordanoff.)
Présidence de M. Jérémie Iordanoff
vice-président
M. le président
La séance est reprise.
2. Faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements
Commission mixte paritaire
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, de la proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements. (no 1443).
Présentation
M. le président
La parole est à M. Romain Daubié, rapporteur de la commission mixte paritaire.
M. Romain Daubié, rapporteur de la commission mixte paritaire
Après une dissolution, nous voici réunis pour la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur la proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements.
C’est l’aboutissement d’une réflexion collective, partagée avec de nombreux acteurs, dont le Conseil supérieur du notariat.
Plus d’un an et demi nous sépare de la date du dépôt de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, mais son actualité est toujours aussi brûlante. Le besoin en logements a augmenté de plus de 10 %, tandis que des immeubles restent vides. Construire la ville sur la ville est aussi nécessaire socialement qu’écologiquement : cela permet la sauvegarde des terres naturelles ou agricoles, réduit les émissions de gaz à effet de serre liées à la construction et offre davantage de logements aux habitants.
Évidemment, ce texte ne réglera pas la crise du logement. Mais, grâce au travail de l’Assemblée nationale et aux apports du Sénat, nous pouvons adopter une proposition de loi qui permettra de débloquer des centaines de projets dans nos territoires.
En matière de réforme du logement, la solution miracle, rapide et qui ne coûte rien n’existe pas. En revanche, je crois à la simplification et aux ajustements sectoriels. C’est l’objectif de la proposition de loi de simplification du droit de l’urbanisme et du logement, dite Huwart, et de la mienne.
Avant de revenir au fond du texte, je tiens à remercier – je vais en oublier – Jean-Paul Mattei pour son concours initial, le ministre chargé des relations avec le Parlement, qui a trouvé du temps parlementaire, ainsi que les ministres du logement successifs qui ont soutenu ce texte.
Les compromis avec le Sénat n’ont pas été compliqués à trouver. Avec Martine Berthet, sénatrice d’un département limitrophe du mien mais avec qui je n’avais jamais eu l’occasion de travailler, nous nous sommes retrouvés sur les objectifs, ainsi que sur une certaine philosophie de l’action publique.
Le texte ne crée pas de dispositifs rigides, contraignants et verticaux, mais propose des outils aux maires et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), afin que chaque territoire puisse les adapter en fonction de ses besoins et de ses particularités locales.
L’article 1er vise à permettre à l’autorité compétente en matière de permis de construire de déroger aux règles du plan local d’urbanisme (PLU) pour transformer des bâtiments, quelle qu’en soit la nature, en logements.
Afin d’éviter une forme de surenchère au détriment des installations agricoles, nous avons prévu un délai de non-utilisation agricole de vingt ans pour les bâtiments ruraux, et un avis conforme de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF). Ce délai n’est pas sorti de nulle part : il correspond à l’un des délais d’intervention des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer). Il faut préserver la souveraineté agricole du pays, et faciliter la juste rémunération des agriculteurs.
Lorsque des bâtiments sont transformés en logements, les élus locaux pourront créer une servitude de résidence principale, sur le modèle des dispositions de la Echaniz-Le Meur. (M. Inaki Echaniz applaudit.)
M. Fabien Di Filippo
Trop de normes, c’est ça le problème !
M. Romain Daubié, rapporteur
Les articles fiscaux ont, quant à eux, été repris dans la loi de finances pour 2025.
L’article 3 bis vise à prendre en compte les opérations de transformation de bâtiments autres que d’habitation en logements dans les projets urbains partenariaux. L’article 4 propose de généraliser une innovation – le permis de construire à destinations multiples – déjà expérimentée pour la construction du village olympique.
Les travaux en CMP ont permis de distinguer deux cas de figure. Soit le permis autorise plusieurs destinations pour la construction. Dans ce cas, l’autorisation ne permet pas de faire l’économie du dépôt d’une nouvelle demande de permis de construire lors d’un changement ultérieur de destination – par exemple, en cas de création de balcons sur un ancien immeuble de bureaux. Le porteur de projet saura simplement qu’il ne pourra pas se voir refuser le permis en raison d’un changement de destination.
Soit le permis de construire peut indiquer précisément les différents états de construction selon les destinations prévues, ce qui permet d’évaluer dès le départ la conformité du projet aux règles d’urbanisme. Dans ce cas, les travaux pourront être réalisés sans dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation et que le projet puisse se voir opposer la jurisprudence dite Sekler, liée à l’arrêt du Conseil d’État du 27 mai 1988.
Dans tous les cas, il faudra avoir prévenu le maire et l’EPCI en cas de changement de destination. Les deux formes de permis de construire à destinations multiples seront valables pour une durée de vingt ans.
L’article 5 étend les dispositions relatives aux marchés de conception-réalisation aux centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), et l’article 5 bis assouplit les possibilités de construction de résidences étudiantes, ce qui favorisera et accélérera le développement du logement étudiant.
Enfin, les articles 6 et 7 débloqueront des situations aberrantes où un seul copropriétaire pouvait empêcher la transformation d’un local professionnel en logement dans un immeuble en ville. J’ai été confronté à cette situation en tant que maire. De nombreux acteurs, dont la filiale de transformation de bureaux en logements d’Action logement, attendent avec impatience cette évolution législative.
En revanche, il nous a paru important de continuer à exclure les commerces des cas couverts par ces deux articles, afin de ne pas sacrifier les commerces de nos centres-bourgs. Ces lieux ne sont pas seulement des espaces de commerce, mais aussi de lien social et de proximité. Ils permettent d’éviter le tout-voiture et le tout-centre-commercial dans les zones rurales et périurbaines.
Je vous invite à adopter cette proposition de loi à l’unanimité, comme cela a été le cas en première lecture, puis au Sénat, et en commission mixte paritaire. (Mme Annaïg Le Meur applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement.
Mme Sophie Primas, ministre déléguée auprès du premier ministre, porte-parole du gouvernement
Savoir innover, repenser nos modèles pour apporter des réponses concrètes aux défis contemporains, c’est l’ambition du texte présenté par Romain Daubié à la fin de l’année 2023. Un an et demi plus tard, le Parlement a enfin l’occasion de transformer cet essai et de parachever le travail très sérieux mené par les deux chambres pour renforcer les dispositions de ce texte. Vous savez tous à quel point il est attendu.
Que de défis représentent ces 9 millions de mètres carrés de bureaux vacants, dont plus de 5 millions en Île-de-France, l’une des zones les plus denses et tendues d’Europe ! Alors que la rareté du foncier et la hausse des coûts de construction obèrent la production de logements neufs, 10 à 20 % des immeubles de bureaux sont inoccupés. Nous ne pouvons nous y résoudre ; nous devons agir pour que nos villes répondent mieux aux besoins et aux attentes légitimes des Français.
La transformation de bureaux en logements n’est plus un tabou, ni une utopie : c’est un des leviers concrets pour lutter contre la crise du logement dans les grandes métropoles. Il nous faut agir sur trois leviers.
Premier levier : lever les freins réglementaires à la transformation de bureaux en logements. C’est la philosophie de ce texte, qui complète utilement des outils prévus par la loi Elan. Il sera désormais possible de déroger au plan local d’urbanisme pour autoriser ces projets de transformation, ce qui fera gagner de précieux mois. En outre, les résidences étudiantes bénéficieront désormais d’un bonus de constructibilité.
La ministre en charge du logement, Valérie Létard, a souhaité prolonger ces travaux en lançant en mars dernier un groupe de travail chargé d’identifier et de lever de nouveaux obstacles à la transformation des bureaux, notamment en matière de normes de construction. Ce groupe rendra ses conclusions à l’automne.
La proposition de loi Huwart prévoit également plusieurs dispositions visant à faciliter la surélévation et la construction de logements.
Deuxième levier : adapter notre droit, nos outils et nos modèles à la ville de demain, plus évolutive et plus diverse dans ses usages. Je salue l’approche innovante de l’Assemblée nationale, avec la création de ce permis à destinations multiples, inspiré de la technique du permis à double état, conçu pour les Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
Grâce à l’autorisation anticipée de changement de destination, il sera possible de concevoir des bâtiments évolutifs ou réversibles, prévus dès l’origine pour plusieurs usages successifs. Cette importante avancée réduira la charge administrative pour les porteurs de projet et les impacts environnementaux liés à la démolition ou à la reconstruction.
Nous devons appliquer cette approche innovante au modèle économique de la transformation des bureaux en logements. Aujourd’hui, il est difficile de financer ces opérations – qui coûtent 30 % de plus que la construction neuve – et d’assurer le portage des actifs, malgré le soutien de la Banque des territoires et de la détermination des acteurs, comme Action logement ou l’établissement public foncier d’Île-de-France, que je tiens à saluer.
C’est pourquoi la ministre en charge du logement a mis en place un second groupe de travail, qui planche sur les modèles de financement et de fiscalité pour proposer des solutions innovantes. Avec son soutien, le préfet de la région Île-de-France a lancé un appel à manifestation d’intérêt, visant à accompagner plusieurs de ces projets, de leur émergence jusqu’à leur mise en œuvre concrète.
Le retour d’expérience permettra d’améliorer les pratiques et, surtout, de convaincre les financeurs de la pertinence de ces transformations. En effet – troisième levier –, il s’agit de poursuivre l’effort de conviction en faveur des financeurs mais aussi des élus locaux et des habitants. Transformer des bureaux en logements peut faire peur ; il faut accompagner et rassurer tous les acteurs.
Le texte de Romain Daubié apporte des réponses très pertinentes, notamment la possibilité pour les collectivités de soumettre à taxe d’aménagement ces opérations, afin de mieux financer les investissements publics nécessaires en parallèle.
L’exonération de taxe sur les bureaux vacants lorsqu’une opération de conversion est déclenchée sera une incitation supplémentaire. C’est pourquoi Valérie Létard a défendu l’inscription immédiate de ces mesures de bon sens dans la dernière loi de finances. Elles sont désormais en vigueur.
Le gouvernement est optimiste quant à la dynamique de transformation des bureaux en logements. Toutefois, nous savons qu’elle ne sera pas la solution partout, ni la solution à tout. Ainsi, il faut apporter des solutions aux territoires ruraux, où la rénovation du bâti ancien et l’amélioration du parc social sont des enjeux majeurs.
Enfin, nous ne répondrons pas à la crise du logement uniquement par la résorption de la vacance. La reprise de la production de logements neufs est indispensable.
Valérie Létard est donc déterminée à travailler avec vous, dans l’hémicycle, lors de l’examen du prochain projet de loi de finances, ainsi qu’avec les professionnels sur le terrain, pour mener à bien de grands chantiers – le statut du bailleur privé, la fiscalisation de la construction, le renforcement du financement du logement social.
Nous souhaitons que le vote de ce texte soit la première pierre de la relance du logement, composante majeure de notre vitalité économique territoriale, et surtout première composante du pouvoir d’achat des Français. Une telle relance est donc impérative. (M. le rapporteur, MM. Henri Alfandari et Mickaël Cosson, et Mme Annaïg Le Meur applaudissent.)
M. le président
La parole est à Mme la présidente de la commission mixte paritaire.
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission mixte paritaire
Je ne retracerai pas le long parcours du texte qui a donné lieu à la CMP dont nous examinons les conclusions – vous savez qu’il a été déposé par notre collègue Romain Daubié en décembre 2023.
J’en profite pour le remercier de son travail et de son endurance. (M. Inaki Echaniz, Mme Marina Ferrari et M. Jérôme Nury applaudissent.)
Le manque de logements est à l’origine de cette proposition de loi. La situation s’est nettement aggravée depuis 2023 : désormais, on dénombre 4 millions de personnes mal logées. La construction de logements, en particulier sociaux, est en berne. Des millions de personnes ne peuvent accéder aux logements du parc privé, trop chers. Cinq millions de personnes sont en attente d’un logement social en France, un record ! Plus de 300 000 personnes sont sans domicile fixe, soit deux fois plus qu’il y a dix ans. Ces personnes sont logées en hébergement d’urgence dans une chambre d’hôtel quand elles ont de la chance ; sinon, elles se retrouvent à la rue. Dans mon département, la Seine-Saint-Denis, 2 000 à 3 000 personnes, dont des centaines d’enfants, dorment sur un trottoir ou dans un parc, faute d’hébergement d’urgence. Tout cela se passe dans la septième puissance économique du monde.
Je connais l’engagement de la ministre du logement, et je le respecte. Je devine aussi que, faute de moyens et de soutien de la part de ce gouvernement, elle cherche les voies possibles pour introduire des mesures un tant soit peu utiles – c’est le cas de cette proposition de loi.
M. Inaki Echaniz
C’est vrai !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission mixte paritaire
Elle permettra de transformer un peu plus facilement des bureaux et d’anciens bâtiments agricoles en habitations – tant mieux ! Mais convenons que c’est très peu au regard de l’océan de souffrances et de besoins. Cette proposition de loi est nécessaire, mais malheureusement insuffisante. Nos concitoyens traversent les crises ; les inégalités se creusent ; rien ne change, rien n’a aussi peu changé.
Je profite de cette occasion pour élargir un peu mon propos. Je préside une commission, celles des affaires économiques, qui est en prise avec les difficultés socio-économiques quotidiennes de notre pays. Avec les autres commissaires, nous sommes donc aux premières loges pour constater la passivité du gouvernement dans tous les domaines, faute de volonté à sa tête. L’industrie s’effondre ; le ministre de l’industrie regarde passer les plans sociaux. L’agriculture est étouffée par la concurrence déloyale et la libéralisation des échanges internationaux, sans que les producteurs ne bénéficient de protections supplémentaires et sans aucune réponse du gouvernement.
Désormais, la seule boussole qui le guide, ce sont les économies budgétaires, encore les économies budgétaires, toujours les économies budgétaires, quitte à miner la construction et la rénovation thermique des logements, donc à maintenir nos concitoyens dans des habitations indécentes et à fragiliser les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) du bâtiment.
Après une baisse de budget de 400 millions d’euros pour l’année 2025, nous apprenons aujourd’hui que Bercy s’apprête à geler MaPrimeRénov’ avant la fin de l’année : quelle régression, quel renoncement !
In fine, le surplace, le rafistolage, la gestion à la petite semaine deviennent caractéristiques de l’action gouvernementale. Les propositions de loi, qui proviennent de plus en plus souvent d’un sénateur, s’enchaînent et se multiplient, sans que nous comprenions le cap, l’orientation, la logique générale de cette action. Chers collègues, les propositions de loi ne peuvent en aucun cas tenir lieu de politique générale gouvernementale cohérente et forte. À quand un projet de loi programmatique ambitieux pour notre économie, l’énergie, l’industrie, l’agriculture, le logement ? (M. Inaki Echaniz et Mme Eva Sas applaudissent.)
Le premier ministre a été haut-commissaire au plan ; désormais, il est à la tête d’un gouvernement qui en est complètement dépourvu. Ce choix de l’inaction enfonce chaque jour le pays dans une crise économique, sociale et politique d’ampleur dont, je le crains, nous peinerons à sortir. (M. Inaki Echaniz, M. Stéphane Peu et Mme Eva Sas applaudissent.)
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Danielle Simonnet.
Mme Danielle Simonnet
Neuf millions de mètres carrés : d’après une étude publiée en décembre dernier, c’est la surface de bureaux vides dans notre pays. Deux millions de ces mètres carrés sont vides depuis plus de deux ans. Alors que la crise du logement fait rage, que le nombre de personnes à la rue explose chaque année – elles sont deux fois plus nombreuses qu’il y a dix ans – et qu’un quart de la population française est victime de la crise du logement, cette immense surface inutilisée relève du scandale.
Rappelons tout d’abord que la cause principale de cette situation honteuse, c’est la spéculation immobilière. Les politiques d’urbanisme abandonnent leur mission, qui consiste à favoriser la production de logements et de bâtiments en tenant compte des besoins, au profit d’entreprises privées qui produisent en fonction de ce qu’elles estiment le plus rentable à court terme. Le gouvernement a-t-il agi pour s’attaquer à cette spéculation ? Non. A-t-il imposé un moratoire sur les projets urbains inutiles, contestés et antiécologiques, qui aboutissent à une multiplication des immeubles de bureau ? Non. Au moins consent-il à ce texte, qui apporte une réponse partielle à cette situation aberrante.
En effet, une fois l’inutilité de ces bureaux constatée, il ne reste qu’une chose à faire : les convertir en logements. Ce texte facilite donc les conversions de bureaux en logements en s’attaquant aux freins qui limitent de telles opérations.
Les travaux de la CMP ont permis une avancée importante : le texte prévoit que les logements ainsi créés puissent être fléchés vers un usage exclusif d’habitation en résidence principale, ce qui permettra de contribuer réellement à résoudre la crise du logement. En effet, il serait inconcevable que les logements convertis deviennent vacants ou soient mis en location comme meublés touristiques, ce qui aggraverait encore la crise du logement.
La loi prévoit aussi de faciliter la conversion de bâtiments agricoles inutilisés en logements. Cette mesure est également très positive. En effet, il est décisif de préserver les terres agricoles et de lutter contre l’artificialisation des sols, n’en déplaise aux groupes macronistes, DR et RN, qui veulent se servir du projet de loi de simplification de la vie économique pour imposer la fin de l’objectif zéro artificialisation nette (ZAN), et pouvoir bétonner à tout va – avant de pleurer à la prochaine inondation. Il est en tout cas très important que la construction de logements dans nos zones rurales se fasse prioritairement par la transformation de bâtiments non utilisés, afin de préserver les terres agricoles, la pleine terre.
Hélas, si ce texte vise également à faciliter la production de logements étudiants, il étend les dispositions aux logements détenus par des acteurs privés lucratifs. Pourtant, il serait urgent d’arrêter de considérer le logement, et plus spécifiquement le logement étudiant, comme un placement financier permettant à des acteurs privés de réaliser des bénéfices, en imposant aux étudiants des loyers hors de prix. Alors que la précarité étudiante explose, il faut au contraire privilégier et soutenir bien davantage les logements étudiants publics, qui permettent aux jeunes concernés de bénéficier de logements bien plus dignes, pour un loyer plus modéré. Le logement, et plus que tout autre le logement pour les jeunes, ne doit pas être un objet de spéculation – il faut sortir d’une pure recherche de rentabilité.
Cette proposition de loi est bienvenue ; le groupe Écologiste et social la votera. Mais qu’attend le gouvernement pour s’attaquer de manière bien plus volontariste à la crise du logement ? À quand une grande loi-cadre sur le logement, alors que la crise est si forte ?
C’est tout l’inverse qui est fait : le gouvernement a d’abord attaqué le logement social en visant la réduction de loyer de solidarité (RLS) alors qu’il aurait fallu soutenir ce dispositif encore davantage. La production de logement social n’a pas été aussi faible depuis vingt ans : il faudrait augmenter massivement les aides à la pierre et soutenir les collectivités territoriales qui s’y attellent.
La Macronie s’en est aussi prise aux locataires en réduisant les aides personnelles au logement (APL), alors qu’il faudrait au contraire les augmenter pour aider les locataires à faire face à la baisse globale de leur pouvoir d’achat. En soutenant l’infâme loi Kasbarian, le gouvernement a attaqué les droits des locataires, qu’il serait pourtant urgent de renforcer. Au lieu d’agir pour la baisse des loyers, il n’a toujours pas confirmé sa volonté de pérenniser l’encadrement des loyers, alors que ce dispositif a fait ses preuves et devrait être non seulement prolongé, mais surtout renforcé et généralisé.
Nous voterons cette loi, mais nous appelons surtout de nos vœux une politique globale qui, au lieu de viser les locataires et de favoriser la spéculation, s’attaque de manière radicale au problème du logement, en faisant passer le droit au logement avant le droit de faire du profit sur le dos des millions de victimes de la crise du logement. Le logement doit être considéré comme un bien commun et non comme un produit financier. (M. Inaki Echaniz et Mme Eva Sass applaudissent.)
M. le président
La parole est à M. Mickaël Cosson.
M. Mickaël Cosson
Nous examinons aujourd’hui les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi de notre collègue Romain Daubié. Ce texte vise à faciliter le changement de destination d’un bâtiment afin de créer des logements. Cette initiative est essentielle : il s’agit de la concrétisation d’une idée phare du développement durable, dont nous parlons depuis plus de vingt-cinq ans. J’entends les critiques formulées à l’égard du gouvernement, mais il nous aura quand même fallu de nombreuses années pour appliquer les principes du développement durable aux bâtiments existants.
Le constat est clair et partagé : le développement significatif du télétravail, qui concernait 3 % des salariés avant la crise du covid contre 19 % en 2024, a conduit à une vacance croissante des locaux de bureaux. De nombreuses entreprises réduisent la surface de leurs bâtiments, laissant derrière elles des mètres carrés inoccupés. Parallèlement, la demande de logements, notamment de logements abordables, ne cesse de croître. Nous traversons une crise sans précédent : c’est de la souplesse qu’il nous faut apporter à l’urbanisme, non de la rigidité.
Pourtant, comme le souligne le rapport initial, de trop nombreuses difficultés freinent encore la conversion de ces espaces en habitations. Ce sont ces obstacles que cette proposition de loi, enrichie et affinée au fil de la navette parlementaire, s’attache à lever, avec intelligence et détermination.
Fruit d’un travail collaboratif et adopté à l’unanimité en commission mixte paritaire, ce texte met à la disposition des acteurs de terrain une boîte à outils précieuse. Il permettra notamment aux maires de jouer un rôle plus important en facilitant la transformation de tous les types de bâtiments en logements. Cette extension, qui inclut même les bâtiments agricoles ayant perdu leur usage depuis au moins vingt ans, est une avancée notable qui témoigne de la volonté d’adapter la loi aux réalités diverses de nos territoires. Il nous faudra cependant veiller à ce qu’elle soit appliquée uniformément.
L’introduction du permis réversible constitue une innovation majeure. Bien que sa durée ait été limitée à vingt ans par la CMP, il offrira une flexibilité indispensable, en permettant aux acteurs de changer l’usage d’un bâtiment sans devoir solliciter de nouvelles autorisations d’urbanisme, sur la base des règles applicables lors de sa délivrance initiale.
Nous saluons également les dispositions spécifiques visant à faciliter la transformation de bureaux en logements étudiants. Elles permettent aux Crous de recourir à la conception-réalisation – c’est une réponse ciblée à un besoin urgent.
De même, l’assouplissement des règles qui s’appliqueront dans les copropriétés pour accompagner la transformation de bureaux est une mesure de bon sens. La possibilité pour un copropriétaire de changer l’usage de ses parties privatives après un vote de l’assemblée générale à la majorité simple simplifiera les démarches.
Nous notons que la CMP a finalement exclu les locaux commerciaux de cette dernière possibilité, et qu’elle a supprimé les articles fiscaux.
Il faut aussi souligner que les projets urbains partenariaux (PUP) sont étendus aux opérations de transformation de bureaux en logements ; cette approche concertée et efficace permettra de redynamiser nos villes.
Cette proposition de loi est une réponse directe et attendue à la crise du logement, comme l’indique la position du groupe Les Démocrates. En transformant l’existant, nous limitons l’artificialisation des sols, un impératif écologique majeur, et nous réduisons l’impact foncier du logement, sans parler des économies pour les collectivités qui organisent les déplacements. C’est une démarche vertueuse, qui s’inscrit pleinement dans une vision d’aménagement durable du territoire.
Le parcours de ce texte témoigne de la capacité de notre Parlement à converger vers des solutions d’intérêt général. Les apports de l’Assemblée nationale et du Sénat ont été constructifs. Le fait que le texte issu de la CMP ait été adopté à l’unanimité est un signal fort de consensus. Notre groupe se félicite que de nombreuses dispositions soutenues par le rapporteur, Romain Daubié, figurent dans la version finale.
Pour toutes ces raisons, parce que ce texte frappé au coin du bon sens apporte des solutions concrètes et équilibrées, parce qu’il est le fruit d’un travail parlementaire rigoureux, et, surtout, parce qu’il répond à un besoin fondamental de nos concitoyens, le groupe Les Démocrates lui apportera son soutien plein et entier.
M. Romain Daubié, rapporteur
Quelle surprise ! (Sourires.)
M. Mickaël Cosson
C’est un pas significatif vers une meilleure utilisation de notre parc immobilier, une réponse pragmatique et nécessaire à la crise du logement – certes pas essentielle, mais nous sommes sur la bonne voie.
Transformons ces bureaux vides en foyers vivants ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem.)
M. le président
La parole est à M. Henri Alfandari.
M. Henri Alfandari
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui part d’un constat simple, mais crucial : la vacance des bureaux progresse, tandis que la crise du logement continue de s’aggraver en de nombreux points du territoire. Le taux d’occupation des bureaux a baissé de 5,4 % en deux ans. En parallèle, de trop nombreux Français peinent à trouver un logement abordable, notamment dans les zones tendues. Rien qu’en Île-de-France, ce sont entre 5 et 6 millions de mètres carrés qui sont inoccupés.
Depuis la crise sanitaire, les pratiques de travail ont profondément évolué : le télétravail, qui ne concernait que 3 % des salariés en 2019, est aujourd’hui une réalité pour plus de 15 % d’entre eux. Cette évolution structurelle entraîne une redéfinition des besoins en matière d’immobilier tertiaire, des espaces restant inoccupés, parfois durablement.
Il devenait indispensable d’adapter notre cadre juridique pour permettre à ces surfaces vacantes de retrouver une utilité sociale, en devenant des logements. C’est tout le sens de ce texte – faciliter la reconversion de bâtiments inoccupés en logements durables, adaptés aux besoins des territoires, en mobilisant des outils concrets au service des élus locaux.
Dans un premier temps, les collectivités territoriales pourront délivrer un nouveau type de permis de construire, dit à destinations multiples, et ainsi autoriser en une seule fois l’édification d’un bâtiment pouvant faire l’objet ultérieurement d’un changement de destination. Ce dispositif innovant répond à l’exigence croissante de réversibilité des bâtiments. Il offrira plus de souplesse aux porteurs de projet en simplifiant les démarches administratives et en anticipant la diversité des usages futurs.
Dans un second temps, les plans locaux d’urbanisme pourront être modifiés plus simplement pour autoriser le changement de destination de tous types de bâtiments – et plus uniquement les bureaux – vers l’habitation. Cela permettra de limiter l’étalement urbain en donnant la priorité à la réutilisation du parc bâti plutôt qu’à la consommation de nouveaux fonciers.
Le texte lève également un frein bien identifié dans les copropriétés : le vote à l’unanimité pour changer l’usage de parties privatives non destinées à l’habitation. Désormais, sauf pour les locaux commerciaux, ce changement pourra être décidé à la majorité, ce qui permettra de débloquer de nombreux projets aujourd’hui à l’arrêt.
Enfin, la proposition de loi accélère les procédures permettant aux Crous de transformer des bureaux en logements étudiants. Cet outil contribuera à l’objectif de disposer de 35 000 nouveaux logements étudiants, dont plus de 11 000 dans le cadre des Crous. Ce texte répond donc aussi à une urgence sociale : loger dignement notre jeunesse.
En misant sur la transformation de l’existant, le texte ouvre la voie à un urbanisme plus sobre et plus durable. Il permettra de limiter l’artificialisation des sols, de réduire les émissions liées à la construction neuve et de favoriser une ville plus mixte.
Le groupe Horizons & indépendants se félicite du compromis équilibré trouvé en CMP, qui a permis de conforter les mesures structurantes du texte initial tout en intégrant des apports pertinents du Sénat. Je pense à l’élargissement du champ d’application du texte à d’autres bâtiments que les seuls bureaux et à l’encadrement renforcé du permis de construire à destinations multiples. Ce texte complète l’action conduite par le gouvernement et cette majorité, de protection des copropriétés dégradées et de leurs habitants, de lutte contre les phénomènes d’éviction des habitants au profit des meublés de tourisme de courte durée, ou encore d’adaptation du parc de logements aux transitions écologique et démographique.
Il incarne enfin une logique que nous défendons au sein du groupe Horizons & indépendants : faire confiance aux territoires, redonner des marges de manœuvre aux maires pour leur permettre d’agir avec souplesse et cohérence, là où les besoins sont les plus urgents. Nous voterons donc naturellement cette proposition de loi, dont nous saluons à la fois la philosophie générale et l’ambition pragmatique.
M. le président
La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani
Le groupe LIOT ne s’oppose pas à cette proposition de loi. Transformer une partie des bureaux inoccupés en logements peut constituer une solution partielle à la pénurie de ces derniers. Les mises en chantiers demeurent en effet à un niveau très bas. Par rapport à une base 100 en 2015, l’activité en la matière a bondi à 144,8 en 2006, mais est revenue à 87,4 en 2023. Globalement, le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) est en tension, une filière qui représente, soit dit en passant, plus de 550 000 entreprises et 1,6 million d’emplois, sans compter un effet d’entraînement considérable.
La France métropolitaine compte actuellement 37 millions de logements dont 3,7 millions sont des résidences secondaires et 2,9 millions sont vacants. Globalement, depuis 1982, 11 millions de résidences principales ont été construites, pour une population qui a augmenté de 12 millions d’unités. Au-delà de cette dernière donnée, apparemment positive, le problème est que la production de logements neufs est retombée à ses plus bas niveaux contemporains : moins de 290 000 mises en chantier, loin des 400 000 des années fastes.
Le logement social suit la même tendance. La réduction du loyer de solidarité et la baisse des aides personnalisées au logement se sont traduites pour les promoteurs par une baisse de recettes et, en conséquence, de la production de logements sociaux.
Toute mesure allant dans le sens d’une reprise est donc bonne à prendre, comme celle prévue à l’article 1er qui, dans les communes de plus de 50 000 habitants où existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements, permet à l’autorité compétente de déroger au PLU et d’autoriser la transformation de bureaux en logements, après avis du conseil municipal ou de l’organe délibérant. Comme celle également qui étend le périmètre de compétence des conventions de projet urbain partenarial. Ou encore l’article 6 qui ouvre le droit à un copropriétaire de changer librement l’usage de ses parties privatives, d’un usage tertiaire vers un usage d’habitation.
Nous soutenons donc la logique de cette proposition de loi, comme nous apprécions les précisions apportées par les sénateurs, permettant aux opérations de comporter une part de locaux de destination autre que d’habitation, dans un objectif de mixité fonctionnelle et d’amélioration de leur équation économique.
Reste que ces mesures, pour positives qu’elles soient, n’agiront qu’à la marge. Le secteur tout entier attend de la politique du logement l’adoption de réelles mesures de relance. Les difficultés budgétaires constituent certes de puissants freins mais on pourra aussi tenir compte du fait que ce secteur est celui qui propose le maximum d’effet induits et donc de retour en matière d’emplois et de rentrées fiscales. C’est de l’ensemble de la boucle macroéconomique qu’il faudrait tenir compte. Il a ainsi été de bon ton de critiquer le dispositif Pinel, puis de le supprimer, au motif de son coût. On a simplement oublié l’autre plateau de la balance, aussi bien dans le domaine de l’utilité sociale que dans celui du retour sur investissement.
Le fait est que, je le répète, le secteur tout entier attend à la fois des mesures législatives – nous sommes en train, d’ailleurs, d’en examiner – et de l’oxygène budgétaire. Reste, il faut le dire aussi, que tout ceci ne signifie nullement qu’au nom des besoins économiques et sociaux tout soit permis, librement et sans limites. Nous savons tous ici, car le problème y est régulièrement soulevé, les ravages que peut exercer la spéculation immobilière dans un certain nombre de territoires. La question est difficile à traiter car elle heurte de front deux principes fondamentaux que sont la liberté du marché et la liberté d’établissement. On nous dit donc que l’établissement d’un statut de résident serait inconstitutionnel – encore qu’il soit appliqué dans certaines régions à l’intérieur même de l’Union européenne. Faut-il pour autant se résoudre à subir ?
Le législateur que nous sommes a pour devoir de trouver les solutions de protection là où cela s’impose. C’est particulièrement le cas en Corse où la part de résidences secondaires atteint maintenant près de 40 % ! On peut facilement comprendre ce qui se cache derrière ce chiffre en matière de spéculation, de bouleversement de la société, d’acculturation, de reclassement social, sur une base de richesse individuelle avec les investisseurs d’un côté et les précaires de l’autre. Il faut agir – en Corse certainement, mais aussi probablement ailleurs.
On me pardonnera cette légère digression qui n’est pas tout à fait hors sujet. J’en reviens plus directement au texte pour confirmer que le groupe LIOT le votera. (M. François-Xavier Ceccoli applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane Peu
Le pays traverse une crise du logement qui s’illustre notamment par l’embolie des demandes de logement HLM et par la chute vertigineuse de la production de nouveaux logements, en particulier depuis 2017 : l’accroissement net du parc social est seulement de 37 000 logements par an, contre près de 80 000 en 2015. Or, pour toute réponse à cette crise inédite, le bloc central de l’hémicycle nous propose, texte après texte, non des outils de relance de la construction de logements mais des textes de gestion de la pénurie.
Le présent texte, après un interminable parcours parlementaire, fait toutefois exception puisqu’il encourage les opérations de transformation de bureaux, de locaux professionnels ou de bâtiments publics en logements afin de contribuer à résorber la crise. De fait, on estime à 4,5 millions le nombre de mètres carrés de bureaux vacants pour la seule région Île-de-France et à un peu plus de 9 millions de mètres carrés pour l’ensemble du pays.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine est donc favorable à l’esprit du texte, même s’il ne joue qu’à la marge et ne constitue qu’une toute petite partie de la solution : l’idée de déroger aux règles du PLU pour transformer en logements des bureaux mais aussi des zones commerciales à l’entrée des villes est un levier intéressant. La facilitation de ces opérations réunit de nombreux avantages en termes de lutte contre la vacance des locaux, de sobriété foncière et de développement de l’offre de résidences étudiantes, même s’il nous faut demeurer vigilants sur le cadre de vie que l’on offre alors aux habitants, qu’il s’agisse des services ou des équipements.
Vous avez également souhaité donner aux communes la possibilité de créer une servitude de résidence principale, sur le modèle de la loi Echaniz-Le Meur, ce qui permettra de s’assurer que les logements créés correspondent aux besoins des territoires. Nous sommes bien sûr favorables au fait de laisser la main aux élus pour s’adapter aux particularités locales et à la démographie, mais il faut néanmoins reconnaître deux écueils.
Le premier est que ce texte n’aborde pas les obstacles d’ordre économique qui pénalisent fortement ce type de projet – nous savons tous le coût souvent exorbitant de la transformation des bureaux en logements –, le risque étant de le réserver à des investisseurs et promoteurs immobiliers dont l’objectif, par nature, est de produire des logements à coût élevé, y compris en matière de résidence étudiante, ce qui pose problème.
On regrettera ensuite l’absence de fléchage des projets vers la réalisation de programmes de logements sociaux, en particulier pour ce qui concerne les communes carencées au titre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU). Nous avions proposé par voie d’amendement d’interdire aux communes carencées de donner des autorisations qui ne concerneraient pas d’abord le développement de l’offre de logements HLM et exigé que les projets de transformation de bureaux en logements répondent à des objectifs de mixité sociale. Sans ces garde-fous, le risque est grand de voir se multiplier des projets qui ne répondront finalement qu’à des objectifs de rentabilité pour les investisseurs, objectifs éloignés de la production de logements abordables qui fait cruellement défaut.
En dépit de ces lacunes, nous voterons le présent texte, en regrettant néanmoins, une fois de plus, que la question du logement soit abordée systématiquement de biais, dans des textes fragmentaires, alors que nous avons impérativement besoin d’une loi de programmation ambitieuse, structurée et assortie des moyens budgétaires propres à soutenir un programme de relance de la construction de logements qui soit enfin à la hauteur des besoins. (Mme Eva Sas applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Matthieu Bloch.
M. Matthieu Bloch
Nous voici réunis pour examiner en lecture définitive un texte sur un sujet fondamental : le logement. Ce texte, issu d’un consensus transpartisan, mérite que l’on s’y arrête avec lucidité, responsabilité et surtout avec pragmatisme.
Que des millions de mètres carrés de bureaux restent vides pendant que nos compatriotes dorment dans leur voiture ou peinent à se loger décemment, c’est insupportable. Cette proposition de loi, si elle ne règle pas tout, ouvre des portes. Elle facilite la reconversion de certains locaux en logements, donne de la liberté aux élus et renforce l’efficacité administrative.
Fruit d’un compromis équilibré entre les deux chambres, le présent texte conserve l’essentiel de la proposition d’origine, à savoir la souplesse donnée aux élus locaux pour déroger aux règles d’urbanisme dans un but d’intérêt général. Mais il intègre aussi les ajustements souhaités par le Sénat, que nous saluons, notamment en matière de respect des équilibres territoriaux. D’un point de vue politique, nous pouvons nous réjouir qu’il ne crée pas de contrainte nouvelle pour les collectivités mais qu’il leur donne au contraire davantage de moyens d’agir. Il s’inscrit dans une logique que nous défendons : la décentralisation concrète, loin des injonctions normatives venues d’en haut.
Je reviens sur plusieurs avancées majeures que le groupe UDR considère comme positives. Premièrement, la possibilité donnée aux maires de déroger aux plans locaux d’urbanisme pour autoriser la transformation d’immeubles de bureaux, mais aussi d’anciens commerces, hôtels, voire de bâtiments agricoles. C’est un signal clair envoyé aux territoires : les maires sont les mieux placés pour décider ce qui est bon pour leur commune. Il s’agit d’une mesure de bon sens.
Ensuite, l’introduction du permis de construire à destinations multiples, directement inspiré de l’expérience des Jeux olympiques de Paris. Cette innovation permet d’adapter un bâtiment à différents usages sans dépôt d’un nouveau permis à chaque transformation. Là encore, c’est la souplesse qui prévaut, et il faut le saluer.
Enfin, l’assouplissement du droit de la copropriété va permettre de débloquer de nombreuses situations. Trop de projets échouaient encore à cause d’un vote bloqué par une minorité d’opposants. Nous saluons ici la sagesse du compromis : le texte exclut les commerces de pied d’immeuble de cette mesure, afin de préserver la vie des centres-villes qui ont besoin de commerces de proximité pour rester attractifs. Une politique de transformation ne doit pas devenir une politique de désertification commerciale.
En outre, nous approuvons une disposition à laquelle nous avons été particulièrement attentifs : la servitude de résidence principale.
M. Inaki Echaniz
Vous étiez contre !
M. Matthieu Bloch
Cette mesure, même limitée, introduit un garde-fou indispensable pour que ces transformations profitent d’abord aux habitants,…
Mme Annaïg Le Meur
Vous avez voté contre !
M. Matthieu Bloch
…et non aux plateformes de location.
Toutefois, nous devons aussi rappeler que le texte ne saurait constituer un remède universel. Il n’est qu’un maillon d’une politique plus large, encore à construire, qui doit aborder la fiscalité foncière, la libération du logement intermédiaire, la redynamisation des centres-bourgs – les maires s’y attellent déjà – et bien entendu la simplification des normes.
Le choix de renvoyer les questions fiscales au projet de loi de finances relève d’une cohérence législative que nous soutenons ; ce débat budgétaire mérite un cadre approprié et il est légitime qu’il ait lieu au moment où le gouvernement fixe ses priorités en matière d’investissement local.
Il convient également de souligner que la proposition de loi n’impose rien aux territoires. Elle offre des outils auxquels les élus pourront avoir recours en fonction de la réalité de leur commune. Cela garantit qu’elle ne sera pas appliquée là où elle n’est pas pertinente, notamment dans les zones où la vacance ne constitue pas un levier pour répondre au besoin de logements.
Ce texte va dans la bonne direction. Il ne résout pas tout, mais il agit avec pertinence là où cela est possible. Il donne du pouvoir aux élus, encourage la transformation plutôt que la démolition, propose des outils adaptés aux réalités locales. C’est pourquoi le groupe UDR votera en faveur de la proposition de loi ; lorsqu’un texte donne plus de liberté à ceux qui connaissent leur territoire, favorise l’initiative locale et sert l’intérêt de nos compatriotes, il mérite notre soutien. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Frédéric-Pierre Vos.
M. Frédéric-Pierre Vos
La commission mixte paritaire soumet à notre vote le fruit de son travail, à savoir une proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements. Ainsi, le même législateur qui a voté la loi Alur, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, en 2014 s’apprête aujourd’hui, au prétexte d’une carence dramatique en logements, à déroger – et pas qu’un peu – à l’édifice complexe issu du remplacement des plans d’occupation des sols (POS) par les PLU. J’appelle l’attention des pouvoirs publics sur la mesure qu’ils souhaitent mettre en œuvre et sur les effets qu’elle risque d’entraîner.
Permettez-moi de poser le problème ; il mérite de l’attention car nous touchons à une partie fondamentale du droit de l’urbanisme. Toute planification cohérente procède d’abord à l’analyse du territoire concerné et à l’identification des zones propres à l’urbanisation, puis détermine ensuite la vocation de chaque zone, la réservant ainsi à un type d’activité particulier. Cela permet d’éviter l’antagonisme architectural ou fonctionnel qui survient lorsqu’on crée des logements à côté d’une usine ou une école à côté d’un aéroport.
Jusqu’en 2014, date de promulgation de la loi Alur, la pratique s’accommodait d’une rédaction efficace et désuète : l’en-tête de chaque zonage décliné dans les documents d’urbanisme était rédigé selon la technique dite du « tout sauf », qui permettait de déterminer ce qui y était permis comme ce qui en était exclu. Les rédacteurs du POS ou du PLU pouvaient facilement énoncer tout ce qu’il était permis de construire à cet endroit, le « sauf » n’étant pas limitatif mais exclusif. Ce dispositif était facile d’utilisation. Sa seule contrainte résidait dans l’interprétation : il laissait par exemple entendre que la catégorie des logements incluait les hébergements, alors que ces deux usages sont bien différents.
C’est avec le décret du 28 décembre 2015 relatif à la partie réglementaire du livre Ier du code de l’urbanisme que les têtes pensantes du ministère, aidées par les non moins brillantes têtes pensantes du Conseil d’État, ont décidé de réformer la technique du « tout sauf » en la remplaçant par celle du « on a tout prévu », produisant un véritable inventaire à la Prévert. Ce décret de simplification a substitué aux neuf destinations initiales cinq nouvelles destinations, elles-mêmes sous-divisées en vingt-trois sous-destinations au gré des rajouts et des omissions.
La circulaire du 8 juillet 2024 n’hésite cependant pas à affirmer que cette liste augmentée conserve son caractère limitatif. L’administration a ceci de plaisant qu’elle rend souvent hommage à Georges Courteline : les ronds-de-cuir ont la vie dure, puisqu’un catalogue qu’on augmente est pourtant défini comme limitatif ! Il vous aura fallu pas moins de quatre décrets et une circulaire pour expliquer aux communes comment sélectionner sans erreur les bonnes sous-destinations, là où la technique du « tout sauf » permettait de savoir directement quelles constructions étaient autorisées.
La proposition de loi que vous nous soumettez vise donc à modifier le dispositif en vigueur pour donner aux communes la capacité de déroger au zonage qu’elles ont elle-même élaboré, parfois avec difficulté, et dont le contenu présumé limitatif, à capacité augmentative, admettra désormais les dérogations. Ô merveille de l’administration française qui, en moins de dix ans, est parvenue à une révolution complète du système dont elle avait difficilement accouché pour s’éviter les quelques avanies du système précédent, et a inventé, tout en se reniant, un système pire encore !
Car qui dit dérogation dit motivation, qui dit motivation dit arrêté ou délibération, et donc recours. Point n’est besoin d’être grand druide pour comprendre que ce système dérogatoire créera nécessairement des tensions à tous points de vue et qu’une fois encore de fausses idées vertueuses produiront des problèmes compliqués. En voici un petit échantillon : à supposer qu’un immeuble de bureaux construit dans les années 1960 ou 1970 change de destination sans travaux, comment pouvez-vous imaginer qu’il sera compatible avec les normes du DPE, le diagnostic de performance énergétique, que vous imposez au reste des Français ? Si, à l’inverse, il est nécessaire de réaliser des travaux d’une telle importance qu’ils atteindront la carcasse de l’immeuble, comment sera gérée cette démolition dérogatoire, sachant que le texte ne parle que de réhabilitation ? Encore des recours ! Puisque vous vous affranchissez des normes contraires lorsqu’il s’agit de transformer des bureaux en logements, comment cette procédure affectera-t-elle le calcul du nombre de logements sociaux ?
Le groupe Rassemblement national craint fortement que ce Frankenstein juridique n’échappe une fois de plus à son créateur et que les dégâts soient considérables. Nous vous en prévenons car nous sommes vigilants. Nous serons à vos côtés pour vous aider, mais nous serons toujours là pour vous sanctionner lorsque vous tomberez dans l’erreur. Bon courage, madame la ministre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à Mme Annaïg Le Meur.
Mme Annaïg Le Meur
Nul ne peut ignorer les difficultés que rencontrent les Français pour se loger à coût abordable, en particulier au sein des communes les plus attractives, dites zones tendues. Cette situation que l’on peut légitimement qualifier de « crise du logement » intervient alors que les loyers ont connu une hausse ininterrompue depuis quarante ans, notamment dans le parc locatif privé. À qualité constante, les loyers y ont été multipliés par 2,6 entre 1984 et 2020. En parallèle, le taux d’effort des locataires, c’est-à-dire la part de leurs revenus consacrée au loyer, a fortement augmenté, atteignant 28,4 % dans le parc privé et 24,1 % dans le parc social entre 2001 et 2013. Ce taux varie évidemment selon les revenus : il est plus élevé pour les ménages modestes, qui sont contraints de s’éloigner des cœurs de ville, de leur lieu de travail ou de leurs attaches familiales.
Dans ce contexte, un frein important à la création de nouveaux logements a été identifié : la difficulté à transformer les bureaux vacants en logements. Le développement du télétravail et des espaces de travail partagés depuis la crise sanitaire a pourtant modifié durablement les usages. Le taux d’occupation des bureaux a reculé de plus de 5 % et la vacance progresse. Malgré cela, les projets de transformation en logements restent marginaux : entre 2015 et 2019, moins de 1 % de la surface des nouveaux logements provenait de locaux à usage commercial ou tertiaire. Les freins sont juridiques, techniques ou encore économiques. Le texte issu de la commission mixte paritaire vise précisément à lever ces blocages en jouant sur trois leviers.
Le premier d’entre eux consiste à lever les obstacles liés au droit de l’urbanisme. L’article 1er facilite l’évolution du plan local d’urbanisme pour permettre ou renforcer les destinations mixtes, rendant possible la transformation de bureaux en logements même lorsqu’elle n’était pas prévue par le zonage initial. C’est une mesure pragmatique qui donne aux maires davantage de marge de manœuvre pour répondre à des besoins locaux, en cohérence avec leur politique d’aménagement.
Le deuxième levier consiste à faciliter les transformations qui concernent les copropriétés. Les articles 3 bis et 4 visent à sécuriser les opérations dans les copropriétés, où des blocages peuvent surgir lorsque le règlement n’autorise pas le changement d’usage. Le texte clarifie les conditions de transformation lorsque le règlement est en décalage avec le droit de l’urbanisme. Il renforce ainsi la sécurité juridique de l’opération tout en maintenant l’équilibre entre le droit de propriété et l’intérêt collectif des copropriétaires.
Le troisième levier consiste à améliorer la transparence en matière de foncier. L’article 5 renforce la circulation de l’information entre les services de l’État et les collectivités pour mieux identifier les locaux vacants et leurs usages ; une telle transparence est indispensable pour bâtir des politiques locales du logement fondées sur des données fiables et actualisées. Enfin, l’article 5 bis prévoit que les constructions de logements gérés par les Crous pourront bénéficier, comme les logements sociaux, d’une majoration du volume constructible. Cette utile avancée résulte d’un amendement que j’avais proposé en première lecture et dont je me félicite qu’il ait été repris dans le texte issu de la CMP. Elle contribuera à mieux répondre aux besoins croissants de logements étudiants, dans un esprit de cohérence avec les dispositifs déjà en vigueur pour le logement social.
J’avoue être un peu perdue quant au titre du texte, qui a beaucoup évolué au cours des débats parlementaires. Même si je compte l’appeler la loi Daubié, j’aimerais savoir quel intitulé a finalement été retenu. Il est inscrit sur le dérouleur de séance « proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements » ; sommes-nous revenus en définitive à ce nom initialement donné au texte ? Il m’avait semblé qu’il avait été appelé « proposition de loi visant à faciliter la transformation des bâtiments de destination autre qu’habitation en habitations ». Il me semble que l’intitulé initial est plus clair et ne change rien à l’essentiel.
La proposition de loi s’attaque à un enjeu concret, local, urgent. Elle contient des outils qui seront donnés aux élus, des leviers opérationnels pour relancer la production de logements et une ambition claire : adapter notre droit aux réalités de notre époque. Vous l’aurez compris, le groupe Ensemble pour la République votera en faveur du texte. (M. Karl Olive applaudit.)
M. le président
La parole est à M. François Piquemal.
M. François Piquemal
L’autre fois, j’étais en manifestation et là, une jeune fille m’aborde et me dit : « François, est-ce que tu me reconnais ? » Je fixe son visage, qui me dit bien quelque chose, mais je ne parviens pas à le remettre, cela me semble assez lointain. Elle me dit : « Je suis Lila, la fille d’Houria ». Alors les choses s’éclairent. Cette jeune fille avait 8 ans quand je l’ai connue ainsi que sa mère, Houria.
C’était durant l’hiver 2013. Elles faisaient partie des soixante-dix personnes que nous – des associations et collectifs de Toulouse – avions mises à l’abri. Pour ceux qui connaissent la ville Rose, c’était rue Delpech, du côté du quartier Saint-Georges. Lila et sa mère étaient à la rue, le père avait disparu ; elles avaient fait toutes les démarches, pourtant – faire valoir leur droit opposable au logement, appeler le 115 –, mais sans que cela ait donné aucune solution. Des travailleurs sociaux, des associations avaient alors décidé de réquisitionner des locaux vides. J’en étais. Ces locaux, c’étaient des bureaux vacants. Je peux désormais raconter comment nous y étions entrés, puisqu’il y a prescription. Tout simplement, des voisins humanistes du quartier nous avaient prévenus que deux étages de bureaux étaient vides depuis bientôt deux ans. Nous sommes entrés dans l’immeuble, avons pris l’ascenseur, atterri au troisième et quatrième étages, comme indiqué, et là, surprise : aucune porte, tout était vide, tout était ouvert.
Pendant plusieurs mois, les soixante-dix personnes, essentiellement des familles, ont vécu dans ces bureaux. Ce n’était pas le plus pratique mais c’était au moins un toit au-dessus de leur tête. Au moins, là-bas, il ne faisait pas froid. Ensemble, nous avons organisé la vie collective, aidé les uns et les autres dans leurs démarches administratives. Il m’arrivait même d’y dormir dans la chambre dédiée aux bénévoles. À l’époque, les institutions discutaient encore avec les associations, et des négociations se sont ouvertes. Elles ont abouti au relogement des soixante-dix personnes.
Le comble de l’histoire, c’est que, pendant tout ce temps, Houria travaillait comme femme de ménage dans des bureaux vides – ils s’étendent sur 240 000 mètres carrés dans la ville. Ensuite, Houria et Lila ont obtenu un logement public. Lila a désormais 19 ans ; elle a fait un bac pro vente, travaille dans des magasins de vêtements et participe à des manifestations pour réclamer ses droits, car elle a appris qu’en France les droits, même les plus essentiels comme celui du logement, s’obtiennent en luttant collectivement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Danielle Simonnet applaudit également.) Pourtant, c’est la puissance publique qui aurait dû assurer les droits qu’Houria, Lila et les autres ont obtenu en 2013.
Mme Danielle Simonnet
Tout à fait !
M. François Piquemal
Elle aurait dû les mettre à l’abri en réquisitionnant et en préemptant les bureaux vides. Il y en a partout, ils couvrent 9 millions de mètres carrés dans notre pays. Ils sont le symbole de la captation de l’immobilier par des logiques capitalistes : de grands fonds d’investissement les achètent et se les revendent, spéculant sur l’augmentation des prix du foncier.
La lumière de ces bureaux vides rejette dans l’ombre les 330 000 personnes qui sont à la rue dans notre pays. Qu’avons-nous fait durant toutes ces années pour y remédier ? Pas grand-chose, ou si peu. Au contraire, on continue de lancer de grands projets de construction de bureaux, y compris dans des zones où il y en a déjà de nombreux vacants. Ainsi, à Toulouse, le maire a décidé de faire reconstruire une tour des années 1980 dont le promoteur indique : « On fera partie de l’immobilier le plus cher de Toulouse. On sera dans la fourchette des 10-12 000 euros le mètre carré. Ce sera une opération où l’immobilier sera cher […]. Nous avons des fonds d’investissement, souvent germaniques, qui investissent dans l’immobilier, puis mettent ces biens sur le marché de la location pour les louer à des entreprises qui y logent leurs cadres de passage. […] La cible de cette clientèle est exigeante. Elle a l’habitude de vivre dans ce type de tours à l’étranger. » Ces bureaux ne sont donc pas destinés aux PME locales, mais à des fonds d’investissement qui continueront à accaparer le foncier. Par conséquent, si l’idée de transformer des bureaux en logements n’est pas une mauvaise idée, elle ne peut suffire à lutter contre les logiques capitalistes en cours.
Rappelons quelques-unes des principales causes de la crise du logement : pénurie et trop faible construction de logements publics et destinés aux jeunes, taux d’intérêt trop élevés, fiscalité en faveur de la multipropriété et manque de régulation du foncier.
La France insoumise votera ce texte, mais nous ne nous faisons pas d’illusions et nous demandons des assurances pour que les logements produits respectent les normes environnementales. Nous venons d’apprendre que MaPrimeRénov’ sera suspendue en juillet, c’est-à-dire que 12 millions de personnes qui vivent dans des passoires thermiques subiront encore les vagues de chaleur cet été.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Tout à fait !
M. François Piquemal
J’enjoins donc le gouvernement à faire mieux – il est vraiment temps ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Danielle Simonnet applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Inaki Echaniz.
M. Inaki Echaniz
Avec le vote définitif sur cette proposition de loi qui aura lieu dans quelques minutes, nous sommes face à une perspective quasi historique pour les soutiens d’Emmanuel Macron. Enfin, pour la première fois depuis 2017, un texte du bloc commun permettra de produire un peu de nouveaux logements et d’apporter des réponses à la crise profonde que traverse notre pays, au lieu de l’aggraver. Et encore, il aura fallu attendre quinze mois depuis son adoption au Sénat pour convoquer la commission mixte paritaire. On imagine le vertige des gouvernements précédents face à la perspective de faire enfin quelque chose de positif pour le logement. Nous remercions tout de même Mme la ministre Valérie Létard d’avoir permis la convocation de cette CMP.
Alors que je souhaitais pour une fois dire du bien de l’action de cette majorité, le gouvernement, ou plus précisément les génies de Bercy, ont une fois de plus décidé de tout détruire. Nous apprenons par la presse que le dispositif MaPrimeRénov’ pourrait être suspendu dès le mois de juillet. Ce serait une folie, tant l’instabilité du dispositif a déjà pénalisé la montée en puissance de la rénovation énergétique. Cette suspension serait totalement incohérente avec les débats sur la proposition de loi Gremillet et la feuille de route énergétique de la France. Enfin, ce serait une catastrophe pour les acteurs du BTP, pour la bifurcation écologique et pour les enjeux de santé publique. Madame la ministre chargée du logement, si vous m’écoutez, pouvez-vous démentir cette information et nous garantir la continuité du dispositif sans coup de rabot budgétaire surprise ?
J’en reviens à la proposition de loi. Je veux sincèrement saluer le travail réalisé par notre rapporteur Romain Daubié, qui a œuvré tout au long des débats dans un excellent esprit de dialogue et de coconstruction transpartisan pour faire aboutir ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. Karl Olive applaudit également.)
Cette proposition est partie de deux constats de bon sens : depuis la pandémie du covid-19, l’organisation du travail et l’utilisation des bureaux a beaucoup changé. Par ailleurs, les enjeux liés à l’objectif de réduction de l’artificialisation des sols imposent d’optimiser le bâti existant, en particulier en zone dense. En outre, privilégier la transformation à la démolition-reconstruction permet de réduire l’empreinte environnementale du secteur du bâtiment.
Alors que les acteurs du logement et de nombreux élus alertent depuis des années sur la nécessité de légiférer en ce sens, le groupe socialiste se réjouit des avancées transpartisanes figurant dans ce texte. Nous sommes très satisfaits de l’équilibre trouvé en première lecture, puis amélioré en CMP, avec l’intégration de l’ensemble des exigences défendues par le groupe socialiste. Nous souhaitions que les projets de transformation tiennent compte des besoins en services publics de leur secteur, au regard du changement de destination des immeubles. En effet, créer des logements dans des quartiers à vocation majoritairement économique peut poser des difficultés en termes de proximité d’écoles ou de crèches, par exemple. C’est d’autant plus vrai dans les métropoles où certains projets pourraient comporter plusieurs centaines de logements. Cet enjeu figure dans le texte issu de la CMP.
Par souci de cohérence, nous souhaitions également que ces opérations soient soumises à la taxe d’aménagement, pour aider au financement des équipements nécessaires. Nous l’avons obtenu en première lecture, et la loi de finances pour 2025 a repris cette proposition.
Le groupe socialiste a tenu à flécher prioritairement les projets de transformation vers le logement permanent avec, notamment, l’extension de la servitude de résidence principale instituée par la loi que j’ai défendue avec Annaïg Le Meur. Cette mesure est inscrite dans le texte et a même été améliorée au terme de la commission mixte paritaire. Je tiens cependant à rappeler que l’extrême droite de l’UDR et du RN s’était opposée à la mesure que ces partis applaudissent à présent – quelle cohérence !
Nous saluons, par ailleurs, la création d’un permis de construire réversible, afin de lutter plus facilement contre l’obsolescence d’un bureau ou d’un autre bâtiment public. Il sera ainsi possible de donner à ces biens une seconde vie au service de l’habitat permanent.
Enfin, ce texte encourage la production de logements étudiants en simplifiant la réalisation de projets de conception-réalisation des Crous. À l’heure où 17 % des jeunes abandonnent leurs formations faute de logement et étant donné que le président de la République n’a pas tenu sa promesse, non seulement cette disposition était nécessaire, mais elle doit aussi être combinée à un effort budgétaire digne et respectable pour offrir un avenir à notre jeunesse. Ce texte apporte donc une légère note d’espoir qui, je l’espère, ouvre la voie à un intérêt renouvelé et plus important pour le sujet.
Poursuivons notre travail pour lutter contre les logements vacants, densifier l’espace urbain et rénover l’habitat dans les villages, soutenir le logement social, combattre la spéculation et l’expansion incontrôlable des résidences secondaires, construire des habitats abordables et permanents, partout sur le territoire. Les socialistes continueront à défendre des mesures en ce sens avec, je l’espère, un soutien plus affirmé des députés conscients des difficultés que traversent les habitants de notre pays et des carences de la politique macroniste. Mon groupe votera pour cette proposition de loi et continuera d’appeler à une grande loi de programmation pour un logement digne et durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Dominique Voynet applaudit également.)
M. le président
Sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisi par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Jérôme Nury.
M. Jérôme Nury
La crise du logement est insupportable dans un pays développé comme la France. Elle touche pourtant des millions de nos concitoyens. Dans certaines villes, il est devenu impossible de louer un logement à prix correct ou d’accéder à la propriété, et il est de plus en plus compliqué de construire dans les territoires ruraux. Nous connaissons les solutions mais nous continuons de les ignorer dans leur globalité. Pire, chaque loi bavarde votée dans cet hémicycle ajoute des normes relevant d’une logique technocratique, qui amplifient plus que jamais les tensions sur le logement.
La construction de nouveaux logements ayant baissé de 20 % en 2024, les ménages les plus modestes sont les premières victimes de cette crise, car ils sont relégués toujours plus loin de leur travail. Ne parlons pas de l’impact de cette politique sur les entreprises et les artisans du bâtiment. Quand certains prônent ici la politique du laxisme et de l’excuse, voire de l’encouragement comme je l’ai entendu tout à l’heure, à l’endroit des mauvais payeurs et des squatteurs, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait de moins en moins d’investisseurs enclins à mettre en location des biens sur le marché.
Cela provoque évidemment une augmentation du score de tension locative, qui est passé de 3,35 à 4,8 en un an, alors que les loyers ont augmenté de 3,3 % en 2025, ce qui constitue une progression supérieure à l’inflation.
Face à ce constat, il est impératif d’agir. La transformation des bureaux ou des bâtiments vacants en logements est une solution qui mérite toute notre attention, quand près de 9 millions de mètres carrés de bureaux ne sont pas utilisés.
Le texte issu de la commission mixte paritaire qui nous est présenté s’inscrit dans cette perspective. Il tend à faciliter la transformation des bureaux vacants en logements, en simplifiant les procédures d’urbanisme et en soutenant les collectivités territoriales dans leurs démarches. Il crée également un permis de construire flexible et étend les majorations de volume constructible aux logements étudiants. Ces mesures permettront d’accélérer la reconversion des espaces inutilisés. Grâce à elles, nous faisons un premier pas vers une solution concrète. Le groupe Droite républicaine votera donc naturellement en faveur de cette proposition de loi.
Cependant, soyons clairs : cette disposition, bien qu’essentielle, ne suffira pas à résoudre l’ensemble du problème du logement en France. Mes chers collègues, nous sommes revenus il y a quelques jours sur les zones à faibles émissions dans certaines villes. Il nous faut désormais revenir sur la politique mortifère du logement déployée depuis plusieurs années. Nous devons d’abord revoir intégralement le dispositif du diagnostic de performance énergétique, qui va faire sortir du marché près de 14 % du parc locatif privé dans les trois ans à venir, aggravant encore la pénurie de logements disponibles. C’est ubuesque quand on sait que la Cour des comptes, dans un rapport publié aujourd’hui même, indique que près de 70 % des contrôles sont fantaisistes ! Nous devons également revenir de toute urgence sur l’application délirante de l’objectif ZAN qui paralyse les territoires ruraux en empêchant le développement économique et celui de l’habitat individuel qualitatif.
Monsieur le rapporteur, votre texte va dans le bon sens car il est concret. Il est issu du terrain, de l’expérience de l’élu local que vous êtes et du maire que vous avez été, preuve s’il en fallait que, grâce à la proximité, à la lucidité et au bon sens, il est encore possible d’inverser les directions malheureuses prises depuis plusieurs années. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. le président
La discussion générale est close.
Vote sur l’ensemble
M. le président
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 214
Nombre de suffrages exprimés 214
Majorité absolue 108
Pour l’adoption 214
Contre 0
(L’ensemble de la proposition de loi est adopté.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante.)
M. le président
La séance est reprise.
3. Création de l’homicide routier et lutte contre la violence routière
Deuxième lecture (suite)
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi créant l’homicide routier et visant à lutter contre la violence routière (nos 157, 1354).
Discussion générale (suite)
M. le président
Mercredi 7 mai dernier, l’Assemblée a commencé d’entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.
La parole est à Mme Sandra Regol.
Mme Sandra Regol
Les morts sur la route sont un sujet de société qui touche intimement beaucoup trop de Françaises et de Français. Depuis des années, les familles endeuillées demandent un geste symbolique : la suppression de la qualification d’homicide involontaire quand la mort de la victime fait suite à un excès de vitesse, à la consommation d’alcool ou à tout autre comportement, parfois récidiviste, qui met en danger la vie du conducteur ou de la conductrice, comme celle des autres usagers de la route.
Cette proposition de loi apportera une reconnaissance des demandes des familles de victimes et une réponse symbolique à leur détresse, même si la sanction ne changera malheureusement pas la donne. Elle ne rendra pas leurs proches aux familles. Elle ne permettra pas de limiter les morts. Elle ne prévoit pas d’agir en amont pour empêcher le pire, mais seulement de sanctionner a posteriori.
Ne vous y trompez pas : la sanction est nécessaire mais elle reste insuffisante. Nous devons instaurer des politiques publiques qui permettent d’éviter les morts et de prévenir l’irréparable.
Après avoir baissé pendant des années grâce à des politiques volontaires, le nombre de morts sur les routes de France stagne à plus de 3 000 personnes par an. Face à ce phénomène, qui sonne comme un recul criminel, nous avons le devoir d’agir, et d’agir à bon escient.
Les chiffres sont clairs : ceux qui tuent le plus sur la route, ce sont les hommes, en particulier ceux qui roulent trop vite, causant près de 30 % des accidents mortels, et ceux qui sont alcoolisés. Des propositions ont été faites pour contrôler la vitesse des automobilistes grâce à l’installation de nouveaux radars, mais elles sont systématiquement refusées sur les bancs de l’extrême droite.
Alors que la France était en très bonne position dans les classements européens concernant le nombre de morts sur la route, elle a perdu sept places ces dernières années. Ces places se comptent en morts. Chaque recul dans les politiques de prévention est donc criminel.
Les écologistes présentent, depuis de nombreuses années, des propositions transversales pour sauver des vies. Parce que les véhicules puissants et lourds sont souvent impliqués dans les accidents graves, tout comme les plus polluants, responsables de morts prématurées supplémentaires, nous avons proposé de créer un permis spécial pour les SUV, c’est-à-dire les voitures de plus de 1,8 tonne. Ce permis, appelé permis B+, ne serait accessible qu’à partir de 21 ans et après deux ans de permis B. Il pourrait sauver des vies.
Nous avons également proposé – l’idée a été reprise dans un texte transpartisan – de prévoir une visite médicale obligatoire tous les quinze ans pour les titulaires du permis, afin d’éviter des accidents en vérifiant que les personnes sont toujours aptes à conduire. Ce genre de visites existe déjà dans certains États membres de l’Union européenne, par exemple en Belgique.
À l’instar de la limitation de vitesse à 80 kilomètres à l’heure, instaurée par l’ancien premier ministre Édouard Philippe avant que ses amis politiques la détricotent dans chaque région et chaque département, nous proposions des mesures similaires, adaptées à chaque type de route et, en compensation, une baisse du prix des péages autoroutiers, afin de rendre les propositions plus attractives. Il y a donc beaucoup à faire en matière de prévention.
La proposition de loi, très attendue par les associations de victimes, a beaucoup évolué depuis le début de nos débats – et dans le bon sens, ce qui est rare. Le groupe Écologiste et social ne s’y opposera donc pas, malgré son manque d’ambition que nous déplorons. Nous espérons que, bientôt, nous nous attaquerons enfin à la prévention des morts de la route, de façon sérieuse et transpartisane. (M. Jean-Claude Raux applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz
Chaque année, plus de 3 000 morts et 200 000 blessés, dont près de 16 000 blessés graves sont victimes d’accidents de la route en France. Pour une part significative d’entre eux, ces accidents sont provoqués par des comportements à risques, interdits par la loi : consommation d’alcool ou de substances illicites avant de prendre le volant, utilisation du téléphone portable en conduisant, grands excès de vitesse, conduite sans permis, refus d’obtempérer ou non-assistance à personne en danger.
L’actualité nous le rappelle : le comportement profondément malveillant de certains conducteurs peut avoir des conséquences dramatiques. Je pense aux rodéos urbains opérés sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants tels que le protoxyde d’azote, comme ce fut le cas à Évian-les-Bains où, il y a quelques semaines à peine, un sapeur-pompier a vu son pronostic vital engagé après avoir été percuté par l’auteur des faits.
De nombreux faits sont renvoyés en droit pénal à la qualification d’homicide involontaire, notion que nous avons le devoir de mieux caractériser. En effet, lorsque les règles du code de la route sont méprisées, que la prise de risque du conducteur est manifeste, le comportement des auteurs d’accident doit être reconnu pour ce qu’il est : celui d’auteurs de violences routières.
Tel est le principe de la nouvelle infraction autonome d’homicide routier que nous nous apprêtons à créer, grâce à cette proposition de loi d’initiative transpartisane. Nous devons cette évolution de notre droit aux familles des victimes, qui réclament depuis longtemps une plus grande responsabilisation pénale des auteurs d’accidents.
Au nom du groupe Les Démocrates, je tiens à rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui ont perdu sur la route un parent, un enfant ou un proche. Ces familles attendent des actes : nous devons être au rendez-vous.
À travers la nouvelle infraction d’homicide routier, nous reconnaissons la gravité de ces comportements qui relèvent de la délinquance routière. Nous gravons ainsi dans le droit le fait que la vitesse excessive, l’alcool, les stupéfiants ne sont pas de simples circonstances aggravantes, mais bien des choix – des choix qui tuent.
Cette infraction se déclinera également en délit de blessures routières, afin de prendre en compte, dans cette même logique, les cas de blessures graves entraînant une incapacité de plus de trois mois.
Par ailleurs, dans un souci de cohérence, nous aménageons les mesures complémentaires à la condamnation, qu’il s’agisse du retrait ou de la suspension du permis de conduire des auteurs, de l’introduction d’un délai minimal de cinq ans avant de pouvoir repasser ce même permis ou encore de la systématisation de la mise à la fourrière du véhicule, dans le cas d’une consommation de stupéfiants aggravée par un état alcoolique.
Parce que la sécurité routière passe évidemment par la prévention, nous avons rétabli en commission le module de prévention de la récidive qui avait été supprimé par le Sénat. En complément de la fermeté de la condamnation, nous considérons que nous devons accompagner les auteurs vers des conduites plus responsables et plus sûres pour ceux avec qui ils partagent l’espace routier.
C’est aussi pour s’en assurer que nous avons introduit un examen médical obligatoire pour tout conducteur impliqué dans un homicide routier ou des blessures routières causant une incapacité totale de travail (ITT) supérieure à trois mois.
En résumé, ce texte n’est pas un simple ajustement juridique, mais bien une réponse à ce qui était considéré comme une réelle injustice par les familles de victimes. Le groupe Les Démocrates votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à Mme Béatrice Piron.
Mme Béatrice Piron
Ce texte transpartisan répond à une réalité tragique, à une injustice persistante et à une attente forte : celle des victimes d’accidents routiers, des familles brisées et de toute une société qui refuse que la mort sur nos routes ne soit banalisée.
Permettez-moi de commencer par un constat saisissant, mais nécessaire. En 2023, 3 398 personnes ont perdu la vie sur les routes de France métropolitaine ou d’outre-mer. Si ce bilan est en baisse de près de 3 % par rapport à 2019, témoignant des efforts continus déployés par l’ensemble des acteurs pour améliorer la sécurité routière, chaque vie perdue sur nos routes reste une vie perdue de trop.
Il relève donc de notre responsabilité collective d’agir avec des mesures fortes en faveur de la réduction du nombre de ces drames humains. C’est précisément l’objet de cette proposition de loi. En créant les délits d’homicide routier et de blessures routières, le législateur reconnaît que la violence routière est une violence à part entière ; que les actes qui causent la mort ou des blessures graves dans certaines circonstances aggravantes comme l’ivresse, la consommation de stupéfiants, la conduite sans permis ou encore le refus d’obtempérer ne relèvent pas d’un simple manquement à la prudence : ce sont des comportements criminels, qui doivent être traités comme tels.
Cette proposition de loi est le fruit d’un travail transpartisan commencé sous la XVIe législature par Anne Brugnera et Éric Pauget. Le groupe Horizons & indépendants y a participé. Notre groupe salue l’existence d’un consensus sur la meilleure qualification pénale des accidents de la route, lesquels ont des conséquences toujours graves et durables pour les victimes.
Un constat est partagé par les groupes parlementaires cosignataires de cette proposition de loi : la qualification d’homicide involontaire ou de blessures involontaires à la suite d’un accident de la route provoqué par un conducteur sous l’emprise de stupéfiants ou dont le permis avait été annulé, semble inadaptée.
Elle est légitimement mal vécue par les victimes et les familles. En effet, si l’auteur n’avait pas l’intention de commettre cette infraction, il a consciemment mis en danger la vie d’autrui en prenant le volant alors même qu’il n’était pas apte à le faire.
La création de l’homicide routier et des blessures routières est d’abord, et avant tout, symbolique, mais les symboles sont importants. En effet, si les quanta de peine encourus par les auteurs de tels délits demeurent inchangés, c’est véritablement la qualification pénale de l’acte commis qui est modifiée. Dès lors, cette proposition de loi nous semble contenir un équilibre subtil et important.
Le groupe Horizons & indépendants salue le rétablissement, en commission des lois, de la rédaction adoptée par notre assemblée en première lecture. Il permet d’éviter la complexification inutile de notre droit pénal, introduite par le Sénat à l’article 1er par la création d’une infraction autonome d’homicide ou de blessures par mise en danger d’autrui. Avec l’adoption des amendements du rapporteur, la clarté de la qualification de l’infraction soumise aux magistrats est renforcée.
Notre groupe se félicite que le texte impose désormais un examen médical en cas d’homicide ou de blessures graves, et que le fait de dépasser de 50 kilomètres à l’heure la vitesse maximale autorisée soit considéré comme un délit dès la première infraction. Rappelons qu’un choc frontal à 90 kilomètres à l’heure équivaut à une chute d’un immeuble de onze étages. Un excès de vitesse n’est pas un écart : c’est un acte de mise en danger délibéré. Certains diront peut-être que ce texte ne va pas assez loin, mais je crois qu’il trace une ligne claire. Il crée une nouvelle catégorie juridique, reconnue, cohérente et adaptée à la gravité des faits.
Et, surtout, il envoie un message clair à toutes celles et tous ceux qui prennent la route : le code de la route n’est pas une option et le permis de conduire n’est pas un droit absolu. Conduire, c’est accepter une responsabilité envers soi-même et envers l’ensemble des usagers de la route. Cette proposition de loi est un hommage aux victimes. Elle est aussi un engagement pour l’avenir, pour une route plus sûre, plus responsable et plus humaine. Le groupe Horizons & indépendants votera résolument en faveur de celle-ci. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR, EPR et Dem.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Pierre Bataille.
M. Jean-Pierre Bataille
Cela fait plusieurs années que notre collègue rapporteur Éric Pauget, la famille d’Antoine Alléno ainsi que d’autres associations œuvrant en faveur de la sécurité routière ou réunissant des familles de victimes se battent pour que soit enfin reconnu le délit d’homicide routier. Alors, aujourd’hui, j’ai une pensée toute particulière pour les victimes innocentes de la route, fauchées par des chauffards irresponsables, et pour leurs proches, marqués à vie ; leurs familles demandent justice, et non vengeance.
Lorsque l’on perd un proche ou un membre de sa famille dans un accident causé par un conducteur qui a sciemment pris le volant sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants – voire des deux –, qui a largement dépassé les limites de vitesse réglementaires ou qui a utilisé son téléphone portable au volant, il est insupportable, et même inconcevable, de voir que notre droit parle, dans de tels cas, d’acte involontaire.
Boire de l’alcool est un acte volontaire ; consommer des stupéfiants est un acte volontaire ; conduire sous leur emprise est également un acte volontaire. C’est ce que ce texte vient enfin reconnaître.
Pourquoi ce texte est-il aussi nécessaire ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En dépit des efforts faits par l’État pour lutter contre la délinquance routière, le bilan n’est pas aussi bon qu’on pourrait le croire. En 2024, d’après les chiffres définitifs fraîchement publiés par la sécurité routière, 3 432 personnes ont perdu la vie sur les routes de France hexagonale et d’outre-mer, la vitesse et l’alcool constituant les deux principales causes de ces accidents mortels. Le nombre total de blessés est estimé à 233 000, dont 16 000 blessés graves. Dans mon département du Nord, 72 personnes ont perdu la vie sur la route cette année et près de 1 270 blessés sont à déplorer.
Derrière ces statistiques se cachent en réalité des milliers de vies brisées et de familles détruites et autant de parcours interrompus par l’irresponsabilité. Ces dernières années, combien d’affaires ont choqué l’opinion ? Elles ont impliqué des conducteurs qui cumulaient les infractions : alcool, drogues, excès de vitesse, usage du téléphone, refus d’obtempérer, rodéos urbains… Avec cette proposition de loi, ces affaires tomberont désormais sous le coup du nouveau délit d’homicide routier. Celui-ci permettra de mieux responsabiliser les auteurs des infractions et surtout de reconnaître clairement le statut de victime de violence routière : une avancée majeure pour les familles de victimes.
Après plus de dix-neuf mois de travaux, nous arriverons bientôt au terme d’un processus parlementaire qui n’a que trop duré. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui a été enrichi et consolidé. Le groupe LIOT n’était pas favorable aux modifications effectuées par le Sénat qui, disons-le clairement, n’apportaient que de la complexité et de la confusion, sans répondre aux demandes des associations de victimes. Notre groupe salue donc le choix de la commission de rétablir le texte initial, plus cohérent, que notre assemblée avait adopté à l’unanimité en première lecture.
Nous saluons également la réintégration des circonstances aggravantes, écartées par le Sénat, telles que l’abus de drogues, l’usage du téléphone au volant et les rodéos urbains : ces comportements ne peuvent plus être considérés comme de simples négligences. Nous soutenons pleinement la reconnaissance de l’homicide routier comme une infraction autonome, distincte de l’homicide involontaire, dès lors qu’un conducteur cause la mort d’autrui sans intention de la donner, mais dans des circonstances précisément définies, traduisant une prise de risque volontaire et consciente.
Notre groupe tient également à souligner l’importance des peines complémentaires, en particulier le retrait du permis avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant dix ans, la confiscation du véhicule ou encore l’interdiction du port d’arme pour les condamnés. Ces peines sont essentielles pour prévenir toute récidive.
À titre personnel, je considère que le retour de peines planchers, ou de peines minimales, aurait toute sa légitimité dans certains cas, notamment pour les délits ayant occasionné la mort ou un handicap physique permanent. D’ailleurs, le garde des sceaux a lui-même ouvert, dans le courrier qu’il a adressé aux magistrats le 11 mai dernier, une réflexion sur l’opportunité d’introduire des peines minimales dans certains cas.
Mais nous le savons : la réponse pénale, aussi forte soit-elle, ne suffira pas. Ce texte n’est qu’une première étape, et notre groupe réaffirme la nécessité d’une politique plus globale en la matière.
Je tiens à saluer les actions bénévoles menées, dans le département du Nord et bien au-delà, par M. Ignace Cardinael, agriculteur, endeuillé par la perte de son fils, il y a treize ans, dans un accident de la route : il a été renversé un dimanche matin, alors qu’il était à vélo, par une conductrice sous l’emprise de l’alcool et de stupéfiants. Pour toute peine, elle a eu six mois de prison ferme sous bracelet électronique et une amende de 70 euros, ce qui a ravagé la famille de la victime.
Le groupe LIOT votera bien entendu en faveur de ce texte attendu, juste, et profondément humain. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et HOR.)
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
En France, près de 3 500 personnes perdent la vie chaque année sur la route ; dans 40 % des cas, les accidents sont causés par l’alcool ou la drogue. Cette réalité tragique nous concerne tous, parfois même elle nous touche personnellement.
Certes, la France a fait des progrès significatifs depuis les années 1970. Le rapport de la Cour des comptes de juin 2021 souligne ainsi que, depuis 1972, nous sommes passés de 18 000 tués sur les routes à moins de 3 500 en 2018 et 2019. Malgré ces avancées, le nombre de morts et de blessés sur les routes reste inacceptable. En 2022, la France métropolitaine était classée au quinzième rang parmi les vingt-sept pays de l’Union européenne en termes de mortalité routière rapportée à la population et, en outre-mer, ce taux est deux fois plus élevé, atteignant un niveau alarmant.
C’est dans ce contexte que s’inscrit cette proposition de loi, qui crée l’homicide routier – elle a beaucoup évolué depuis le début de son examen. Elle répond à une demande forte des associations de victimes et de leurs proches, qui expriment, à juste titre, de l’incompréhension face à la qualification actuelle d’homicide involontaire. Ils estiment que cette qualification ne reflète pas la gravité des actes, notamment lorsqu’un conducteur, sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, parfois des deux, met délibérément en danger la vie d’autrui. C’est à ce sentiment d’injustice, à cette attente des associations de victimes, que la proposition de loi cherche à répondre.
Le texte vise à substituer à la qualification juridique d’homicide involontaire dans le cas de morts sur la route la notion d’homicide routier quand il y a une – ou plusieurs – circonstance aggravante, comme l’excès de vitesse ou la consommation de stupéfiants. L’article 1er, rétabli par la commission des lois dans la version adoptée par notre assemblée, ne change pas les peines encourues mais crée de nouvelles infractions pénales indépendantes et autonomes : l’homicide routier et les blessures routières, distincts des sections définissant les infractions d’homicides involontaires et d’atteintes involontaires à l’intégrité physique. Elles consacrent symboliquement la nature criminelle de l’homicide routier et des blessures routières.
L’homicide involontaire et les blessures involontaires par conducteur, dès lors qu’ils sont aggravés, sont désormais caractérisés comme étant un homicide routier ou des blessures routières. Les circonstances aggravantes déjà prévues par le code pénal demeurent. Ainsi, le manquement délibéré à une obligation particulière de prudence, le grand excès de vitesse, l’état alcoolique, l’usage de stupéfiants, le défaut de permis de conduire ou le délit de fuite permettront de retenir la qualification d’homicide routier ou de blessures routières.
La proposition de loi ajoute d’autres circonstances aggravantes. Le conducteur téléphonant au volant, celui qui refuse d’obtempérer ou celui qui se livre à un rodéo urbain, s’il provoque la mort d’un usager de la route ou lui inflige des blessures, sera poursuivi pour homicide routier ou blessures routières. Les peines principales encourues pour les faits d’homicide routier ou de blessures routières restent identiques à celles actuellement prévues pour homicide ou blessures involontaires aggravés.
Toutefois, plusieurs questions demeurent, que nous avons soulevées dès le début de l’examen de ce texte – et nous nous félicitons plutôt des évolutions qu’il a connues. D’une part, la création de la notion d’homicide routier se situe à mi-chemin entre l’infraction volontaire et l’infraction involontaire, ce qui brouille une distinction fondamentale du droit pénal. Le droit pénal repose en effet sur une distinction claire entre les actes intentionnels et non intentionnels. En introduisant cette notion intermédiaire, la loi risque de créer une ambiguïté et de rendre les décisions de justice moins claires.
D’autre part, la proposition de loi ne traite pas des causes profondes de la violence routière, et je crois que nous avons encore beaucoup d’efforts à faire en la matière. Alors que 23 % des homicides sur la route sont dus à l’alcool et 13 % à la consommation de stupéfiants, la lutte contre ces facteurs de risque doit demeurer la priorité en matière de sécurité routière. Par ailleurs, quand on sait que les accidents de la route sont causés à 80 % par des hommes, on se dit qu’il y a une action à mener en matière d’éducation, car un certain virilisme peut mener à des excès sur la route.
En définitive, nous soutenons l’intention de la proposition de loi et considérons que cette réforme est symboliquement importante. Cependant, elle ne suffira pas à répondre au problème de la violence routière. Il apparaît en effet indispensable de prendre en compte les causes profondes de cette violence et d’adopter une approche plus globale axée sur la prévention et la lutte contre les comportements à risque.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera en faveur de ce texte, en appelant à une amélioration de la prise en charge des victimes des violences routières. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Mme Brigitte Barèges
Le groupe UDR votera résolument en faveur de cette proposition de loi visant à créer l’infraction d’homicide routier et à renforcer la lutte contre la violence sur nos routes. Ce texte répond à une attente forte de nos concitoyens et constitue une avancée significative, tant pour la reconnaissance des victimes que pour la responsabilisation des conducteurs. Permettez-moi de dédier mon intervention à l’association Antoine Alléno, dont plusieurs membres sont présents dans les tribunes, ainsi qu’à la famille de Noé.
Chaque année, en France, des centaines de familles sont brisées par des accidents de la route causés non par la fatalité, mais par des comportements irresponsables : excès de vitesse, conduite sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, délit de fuite. Ces drames laissent derrière eux des proches en quête de justice, trop souvent confrontés à un sentiment d’incompréhension, notamment à cause de la qualification d’homicide involontaire, perçue comme insuffisante au regard de la gravité des faits.
Cette proposition de loi marque donc un tournant juridique en introduisant un caractère presque intentionnel. Elle crée des infractions autonomes, spécifiques, d’homicide routier et de blessures routières. Ce changement va bien au-delà des mots. Il s’agit d’un signal fort : nous affirmons clairement que certains comportements au volant, lorsqu’ils causent la mort ou des blessures graves, ne relèvent pas du simple accident. Ce sont des actes graves, aux conséquences souvent irréparables, qui doivent être traités comme tels par notre droit pénal.
En prenant en compte les évolutions technologiques et celles des pratiques, par exemple l’usage du téléphone au volant ou les rodéos urbains, cette proposition de loi s’adapte aux défis actuels de la sécurité routière. Concrètement, les infractions d’homicide routier et de blessures routières sont créées dans le code pénal. Ces infractions seront caractérisées dès qu’une circonstance aggravante sera présente : conduite sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants, grand excès de vitesse, délit de fuite... En leur absence, les qualifications d’homicide involontaire ou de blessures involontaires continueront à s’appliquer comme aujourd’hui.
Le quantum de peine, lui, ne change pas fondamentalement. L’homicide routier sera puni de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende ; ces peines seront portées à dix ans et 150 000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes multiples. Ce qui change, c’est la lisibilité et la cohérence de notre réponse pénale. Nous envoyons un message clair : la violence routière n’est pas une fatalité ; c’est un comportement que la société ne tolère plus.
Des peines complémentaires sont également prévues : annulation du permis de conduire, confiscation du véhicule en cas de récidive, obligation d’installer un éthylotest antidémarrage, voire immobilisation, dans certaines conditions, d’un véhicule n’appartenant pas au condamné. Ces mesures permettent de limiter les risques de récidive et d’adapter la sanction à la gravité des faits.
Au-delà de la répression, ce texte constitue une avancée essentielle pour les victimes. L’article 1er bis A vise à améliorer leur implication dans la procédure judiciaire : même si elles n’ont pas fait appel au civil, elles seront informées d’une éventuelle déclaration d’appel portant sur l’action publique, c’est-à-dire l’action émanant du procureur, et auront la possibilité de s’exprimer à l’audience. Ce progrès attendu depuis longtemps par nombre de familles contribuera à leur donner leur place – une place nécessaire et légitime – dans le processus judiciaire. À cet égard, je regrette, monsieur le rapporteur, que vous n’ayez pas retenu notre amendement « Palmade », qui visait à permettre que la victime soit également présente lors des audiences concernant l’exécution des peines prononcées. De mémoire, vous l’avez repoussé au motif que, plus tard, un texte important consacrerait de manière éclatante les droits des victimes lors du procès pénal : j’appelle ce texte de mes vœux.
Pour en revenir à la proposition de loi, je tiens à en souligner une mesure forte : le dépassement de plus de 50 kilomètres à l’heure de la vitesse maximale autorisée constituera désormais un délit dès la première infraction et non plus seulement en cas de récidive. Ce texte ne bouleverse pas notre droit pénal, mais apporte des clarifications essentielles. Il renforce la cohérence de notre législation, responsabilise davantage les conducteurs ; surtout, il répond à une exigence de justice pour les victimes de la route. Le groupe UDR votera en sa faveur avec conviction, afin d’accorder aux familles de ces victimes la reconnaissance et la considération qu’elles méritent. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN. – Mme Anne-Cécile Violland applaudit aussi.)
M. le président
La discussion générale est close.
La parole est à M. Éric Pauget, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Éric Pauget, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Permettez-moi tout d’abord de vous faire part de ma satisfaction : nous nous apprêtons à achever l’examen d’un texte auquel notre ancienne collègue Anne Brugnera et moi-même avons commencé à travailler il y a trois ans – travail transpartisan, sérieux, appuyé sur les demandes des associations de victimes de la violence routière, qui assistent en ce moment à nos débats. Globalement, ce texte fait l’objet d’un consensus. Cela a été rappelé, il vise à introduire une nouveauté dans notre droit pénal : le fait de sortir de la binarité – homicide involontaire ou homicide volontaire – en créant une infraction indépendante, autonome, lorsque seront retenues des circonstances aggravantes. Tous ensemble, nous faisons œuvre positive, collective, puisque, je le répète, ce texte a été élaboré pour les victimes, en lien avec les associations de victimes.
Il vise également à aider la justice en lui permettant de mieux qualifier, donc de mieux juger : dès que surviendra un drame de la route, l’enquête, la procédure pourront avoir lieu au titre de l’homicide routier ou des blessures routières. Enfin, il envoie un signal à la société tout entière : la représentation nationale réaffirme que la route ne peut être le miroir de la violence qui sévit au sein de notre société. Encore une fois, nous ferons ensemble œuvre positive, collective, commune ; j’espère qu’à l’issue de l’examen des amendements, le texte sera très largement adopté, comme il l’a été en première lecture au mois de janvier 2024. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et LIOT.)
Discussion des articles
M. le président
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi sur lesquels les deux assemblées n’ont pu parvenir à un texte identique.
Article 1er
M. le président
La parole est à M. Xavier Breton.
M. Xavier Breton
Je voudrais effectivement saluer la poursuite de l’examen de ce texte attendu depuis longtemps. Vous me permettrez de rendre hommage à mon prédécesseur, Jean-Michel Bertrand, député de la XIIe législature : membre du Conseil national de la sécurité routière, chargé par le premier ministre Dominique de Villepin d’une mission parlementaire consacrée à celle-ci, il s’était rendu compte que la qualification d’homicide involontaire était, pour les familles de victimes, impossible à entendre, et avait déposé une proposition de loi visant à mieux qualifier certains comportements particulièrement dangereux au volant – texte qu’en souvenir de lui je me suis attaché à redéposer lors de chacun de mes propres mandats, et qui prévoit un délit d’homicide par mise en danger caractérisée de la vie d’autrui. Si l’homicide routier en diffère par l’intitulé, l’esprit reste le même : je me félicite donc que tout ce travail, dont le résultat, encore une fois, est attendu depuis des années par les familles – nous en connaissons tous dans nos circonscriptions –, soit en passe d’aboutir et fasse l’objet du plus large consensus possible.
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin, pour soutenir l’amendement no 4, tendant à supprimer l’article 1er.
Mme Élisa Martin
Sans doute cette intervention est-elle un peu difficile, mais nous nous devons de faire preuve de franchise et de sincérité ; c’est la raison pour laquelle nous proposons en effet la suppression de cet article. Tout d’abord, cet homicide routier introduirait de l’ambiguïté au sein d’une structure claire, sur laquelle peuvent s’appuyer les magistrats : d’un côté l’homicide involontaire, de l’autre l’homicide volontaire – l’expression dit bien ce qu’elle veut dire. Il est entendu que les magistrats savent déceler les circonstances aggravantes.
Ensuite, nous ne croyons pas à l’efficacité de la surenchère pénale : ce n’est pas en condamnant davantage…
M. Emeric Salmon
Si, si !
Mme Élisa Martin
…tel ou tel acte que nous éviterons qu’il soit commis. Enfin, le cœur du problème réside dans la création d’une catégorie juridique complexe, un peu floue, difficile à attraper pour les magistrats, alors qu’il n’est pas question au sein de ce texte de donner, par exemple, aux départements les moyens d’entretenir correctement les routes départementales,…
M. Emeric Salmon
Ce n’est pas le sujet !
Mme Élisa Martin
…où surviennent malheureusement beaucoup de morts. (Murmures sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
M. Emeric Salmon
Si les routes sont dépavées, ce n’est pas une question d’alcool au volant !
Mme Élisa Martin
Rien n’est dit non plus de la prévention, particulièrement à l’égard des jeunes gens, qui devraient pouvoir mesurer objectivement les effets sur leur cerveau de l’alcool et autres substances – aux vieux, du reste, cela ne ferait peut-être pas de mal non plus ! Rien n’est dit de la conduite accompagnée, le modèle en la matière : les jeunes conducteurs ayant bénéficié de ce dispositif provoquent et subissent moins d’accidents que les autres.
M. le président
Merci, madame Martin.
Mme Élisa Martin
Enfin, mais cela suppose de s’attaquer au lobby de la voiture, pourquoi ne pas imposer des éthylotests antidémarrage ?
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Défavorable. Nous en avons parlé, il y a un mois environ, en commission des lois : l’adoption d’un tel amendement viderait cette proposition de loi de sa substance.
Mme Élisa Martin
Mais cela nous obligerait à travailler !
M. Éric Pauget, rapporteur
Ayant entendu vos propos, je vais essayer une dernière fois de vous convaincre. Bien sûr, nous dérogeons aux principes de notre droit pénal en sortant, je l’ai dit, de la binarité entre involontaire et volontaire afin de créer tous ensemble quelque chose de nouveau. Pour les victimes et les associations qui les représentent, lorsque quelqu’un qui a volontairement consommé de l’alcool, de la drogue, volontairement pris part à un rodéo urbain ou refusé d’obtempérer, provoque un accident, le terme juridique « involontaire » devient inacceptable :…
M. Philippe Vigier
Eh oui !
M. Éric Pauget, rapporteur
…la famille endeuillée a le sentiment d’une deuxième mort, de perdre une deuxième fois celui des siens qui lui manque. La qualification d’homicide routier ou de blessures routières, juridiquement et sémantiquement meilleure, aidera, je le répète, la justice à mieux juger.
M. le président
La parole est à M. le ministre auprès du ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, pour donner l’avis du gouvernement.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
Même avis que le rapporteur : si cet amendement venait à être adopté, il priverait de tout objet la proposition de loi, que le gouvernement soutient.
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Philippe Schreck.
M. Philippe Schreck
Il convient de rappeler que les auteurs de cet amendement de suppression n’avaient pas voté contre le texte en première lecture, ce qui dit beaucoup de certaines évolutions, de certains glissements. Les mêmes affirment que cette proposition de loi serait un texte de communication, d’apparence. La réalité est tout autre. La réalité, c’est que vous entretenez une incroyable connivence avec le refus d’obtempérer ; que les rodéos urbains ne vous gênent pas, puisqu’il y a quarante-huit heures certains d’entre vous étaient au plus près de ces exactions terriblement dangereuses ; qu’à vos yeux la conduite sous l’emprise de stupéfiants ne saurait constituer une infraction, car vous êtes favorables à la légalisation de la majorité des stupéfiants ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Même s’agissant d’un texte comme celui-ci, vous ne cessez jamais de vous retrouver dans le camp du désordre, du chaos ; vous êtes les députés de ceux qui se comportent mal. (Exclamations sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Pour vous, à notre avis, les souffrances des victimes ne présentent pas de sens : elles ne cochent aucune case idéologique, ne correspondent à aucun logiciel du désordre. Bien entendu, nous voterons contre l’amendement. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR. – Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Hervé Saulignac.
M. Hervé Saulignac
Ce texte touche de très près des personnes dont un accident a coûté la vie à un proche ; nous pourrions faire preuve d’un peu plus de dignité. La provocation n’est pas utile. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, LFI-NFP, EcoS et LIOT.)
M. Emeric Salmon
Dites-le à Mme Martin !
M. Hervé Saulignac
Cette proposition de loi pourrait être un simple texte de communication si ceux qui s’en prévalent, qui en sont les auteurs ou la soutiennent, laissent penser qu’elle vise à diminuer la mortalité sur les routes, ce qui ne sera pas le cas. Nous ne le prétendons pas : nous affirmons seulement que ce texte permettra d’exprimer autrement, devant les tribunaux, des drames susceptibles de hanter des années durant les proches de victimes qui ont entendu qualifier d’homicide involontaire le fait que quelqu’un a volontairement abusé de l’alcool, des stupéfiants, jusqu’à ce qu’il en résulte une mort sur la route. Cette situation est insupportable ; la nouvelle qualification dira beaucoup mieux les choses. L’homicide routier, c’est ce que vivent les familles ; c’est ainsi que nous devons l’exprimer. Nous ne voterons pas pour cet amendement de suppression. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LIOT.)
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Vous garderez vos insultes pour vous : elles n’ont aucune espèce d’importance. Quant au reste, j’entends les propos d’Hervé Saulignac ; il est certain qu’il y a là une question de vocabulaire, que les mots peuvent parfois rasséréner, si peu que ce soit, les personnes confrontées à un tel malheur. Le problème tient au fait que nous touchons au code pénal, risquant par là même que cette nouvelle notion embarrasse les magistrats, alors que celle de circonstances aggravantes doit jouer à plein lorsque quelqu’un adopte un comportement objectivement dangereux – boire, consommer je ne sais quoi, rouler trop vite –, ce qu’il convient de réprimer.
Sur ce dernier point, nous n’avons aucun désaccord ; la difficulté, je le répète, réside dans les conséquences de ce vocabulaire. Je me permets en outre d’insister sur le fait que, comme M. Saulignac vient de le dire, cette mesure ne règle rien : il n’y aura pas un seul mort de moins sur les routes de France ! (M. Philippe Vigier s’exclame.) C’est à cette mortalité qu’il faut s’attaquer, et nous ne prenons pas les choses par le bon bout.
(L’amendement no 4 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 12 de M. le rapporteur est rédactionnel.
(L’amendement no 12, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
Sur l’article 1er, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
M. le président
L’amendement no 13 de M. le rapporteur est également rédactionnel.
(L’amendement no 13, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 11.
M. Éric Pauget, rapporteur
Il tend à corriger une erreur de référence.
(L’amendement no 11, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol, pour soutenir l’amendement no 24.
Mme Sandra Regol
L’alinéa 60 de l’article 1er prévoit que toute condamnation pour homicide routier ou blessures routières donne lieu à l’annulation du permis de conduire, avec l’interdiction d’en solliciter un nouveau pendant une certaine durée. En cas de récidive, celle-ci est portée à dix ans et le tribunal peut rendre l’interdiction définitive. Nous proposons d’exclure l’exercice d’une activité professionnelle du champ de cette interdiction définitive. Cette modulation permettrait de consolider l’équilibre institué par le texte en conciliant les deux exigences de fermeté et de réinsertion des personnes.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Avis défavorable. Cette proposition risque de complexifier les sanctions applicables. De plus, elle est inopérante. Comment distinguer la personne qui se rend sur son lieu de travail de celle qui va faire ses courses ? J’entends votre volonté de préserver la vie professionnelle des personnes concernées, mais cela ne fonctionnerait pas.
Je précise que cette interdiction définitive n’est pas une peine automatique ; en fonction de la situation, le juge pourra choisir de la prononcer ou non.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Même avis.
(L’amendement no 24 est retiré.)
M. le président
Je mets aux voix l’article 1er.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 101
Nombre de suffrages exprimés 101
Majorité absolue 51
Pour l’adoption 94
Contre 7
(L’article 1er, amendé, est adopté.)
Article 1er bis A
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol, pour soutenir l’amendement no 21.
Mme Sandra Regol
Il s’agit d’un amendement rédactionnel – cela me fait très plaisir de le dire depuis les bancs de l’hémicycle et non depuis ceux de la commission.
Il vise à sécuriser la disposition consistant à permettre à la victime qui s’est constituée partie civile en première instance de prendre la parole en cause d’appel.
L’objectif de la reformulation proposée par cet amendement est d’éviter une censure ou une insécurité juridique ultérieure. Je suis sûre que M. le rapporteur y sera favorable.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Avis favorable. Effectivement, la rédaction proposée est beaucoup plus précise et correcte que celle issue du texte du Sénat. Elle permettra de renforcer le caractère opérant de cet article.
(L’amendement no 21, accepté par le gouvernement, est adopté.)
(L’article 1er bis A, amendé, est adopté.)
Article 1er ter
M. le président
La parole est à M. Rodrigo Arenas, pour soutenir l’amendement no 5 qui tend à supprimer l’article 1er ter.
M. Rodrigo Arenas
Cet amendement s’inscrit dans la continuité des propos de ma collègue Élisa Martin concernant le problème de la surenchère pénale. Cette proposition de loi est évidemment légitime d’un point de vue émotionnel. Elle répond aux préoccupations des victimes et de leurs familles. Pour autant, je le répète, la surenchère pénale n’apportera pas de réponse au problème dont nous discutons. C’est pourquoi nous proposons cet amendement.
Nous souhaitons annoncer à l’Assemblée et aux familles de victimes, qui assistent à nos débats depuis les tribunes, que notre groupe déposera deux propositions de loi dans un futur très proche. La première prévoit l’installation automatique d’éthylotests antidémarrage dans les véhicules neufs, la seconde l’obligation de relier les villes et les villages de plus de 200 habitants à moins d’une heure par un mode de transport public – comme cela existe en Suisse. Cela permettrait de répondre aux situations précédemment évoquées des repas festifs, mais aussi des personnes qui prennent des anxiolytiques délivrés par des médecins en toute légalité. L’accès à des transports en commun est la meilleure façon d’éviter l’usage de la voiture dans ces situations à risque, en particulier dans les territoires ruraux. Cela permettra de ne pas laisser ces personnes prendre le volant, le cœur serré de peur qu’un accident survienne.
Nous vous soumettrons ces propositions de loi très prochainement et nous ne doutons pas qu’elles seront adoptées à l’unanimité, puisqu’elles procèdent du même esprit que le texte dont nous débattons. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Avis défavorable. La suppression de l’article 1er ter laisserait subsister une incohérence manifeste : en l’état, les peines complémentaires sont plus longues pour les atteintes involontaires à l’intégrité physique de la personne que pour les atteintes volontaires. Ce n’est pas logique. Ce serait donc une erreur de supprimer cet article.
(L’amendement no 5, repoussé par le gouvernement, n’est pas adopté.)
(L’article 1er ter est adopté.)
Article 1er quater
M. le président
L’amendement no 14 de M. le rapporteur est rédactionnel.
(L’amendement no 14, accepté par le gouvernement, est adopté.)
(L’article 1er quater, amendé, est adopté.)
Article 1er quinquies
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol, pour soutenir l’amendement no 23 tendant à supprimer l’article 1er quinquies.
Mme Sandra Regol
Cet amendement d’appel vise à attirer l’attention sur un sujet qui n’est pas anodin.
Il ne s’agit pas de limiter les peines encourues en cas d’excès de vitesse supérieurs à 50 kilomètres à l’heure, mais de poser la question de la gradation des peines prononcées, en particulier en cas de récidive. Nous en avons peu discuté. L’amendement vise à obtenir une réponse de M. le rapporteur sur le sujet.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Il est défavorable. Je vous l’avais dit en commission, j’ai du mal à cerner votre perception de la gravité des faits. Il s’agit ici de délictualiser un dépassement de 50 kilomètres à l’heure.
Mme Sandra Regol
Ma question portait sur les cas de récidive !
M. Éric Pauget, rapporteur
Prenons un exemple : sur nos routes départementales, où la limitation de vitesse est fixée à 80 kilomètres à l’heure, nous parlons d’une personne qui roule à 130 kilomètres à l’heure, soit plus vite que sur l’autoroute. Je pense qu’il faut prendre la mesure de la gravité de ces faits ; c’est pourquoi nous proposons de les délictualiser. Supprimer cette délictualisation, comme vous le proposez, n’envoie pas un bon signal à la société.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Cet amendement revient à déclasser une infraction qui a été qualifiée de délit et à considérer qu’un dépassement de vitesse de 50 kilomètres à l’heure relève du domaine contraventionnel. Avis défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol.
Mme Sandra Regol
J’ai l’impression d’avoir parlé dans le vent. Je répète donc mes propos : il s’agit d’un amendement d’appel, qui porte sur le sujet de la récidive. Je souhaitais obtenir une réponse quant à la gradation des peines. Vous m’avez répondu sur le fond de l’amendement, et pas sur la question qu’il servait à poser. C’est un peu dommage.
M. le président
La parole est à M. Rodrigo Arenas.
M. Rodrigo Arenas
J’entends ce que vous dites, monsieur le rapporteur ; dans la logique de la loi, vous avez raison. Pour autant, il faut entendre ce que dit notre collègue Regol.
Cet article aborde la question de la vitesse. Or cette proposition de loi s’intéresse à la consommation de stupéfiants et d’alcool. La vitesse n’est donc pas véritablement l’objet de ce texte, puisque les excès de vitesse sont déjà réprimés par la loi. Les juges appliquent des lois qui tiennent déjà compte de la vitesse comme circonstance aggravante, venant ainsi alourdir la peine encourue. C’est prévu par notre droit pénal.
Je vous invite à mesurer le fait que nous allons compliquer la tâche des juges. Nous n’allons pas améliorer la situation, comme l’a déjà expliqué ma collègue Élisa Martin.
Je m’adresse enfin aux collègues des bancs d’en face. Je ne laisserai personne dans cet hémicycle dire que nous avons une quelconque bienveillance par rapport à l’objet dont nous parlons. Vous n’avez aucune connaissance de la vie privée de ceux qui siègent dans cet hémicycle. Au sein de notre groupe, certains ont un passé très douloureux sur la question. Je vous invite à faire preuve de mesure comme nous le faisons à votre égard. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
(L’amendement no 23 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin, pour soutenir l’amendement no 6.
Mme Élisa Martin
Nous sommes là au cœur de nos craintes. Vous considérez d’abord qu’il y a une question de vocabulaire. Nous avons dit que cette modification sémantique complexifiait le travail des juges. Ensuite, vous vous inscrivez dans une logique de surenchère pénale, ici par le biais d’amendes forfaitaires délictuelles. Vous savez que nous sommes très réticents à l’égard de ce type de sanctions, qui ne permettent pas l’individualisation de la peine. Ces dispositions – qui résultent d’un amendement adopté en commission – tordent quelque peu la philosophie générale du texte.
Nous redoutons qu’une fois cette proposition de loi votée, la notion d’homicide routier établie et la logique de surenchère pénale entérinée, on considère à tort que le travail est achevé. Or nous n’aurons rien réglé.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Avis défavorable, pour les mêmes raisons que sur l’amendement précédent.
Vous n’avez cessé de dire que ce texte ne servait à rien, qu’il n’était que symbolique et qu’il n’apportait que des modifications sémantiques ; vous nous faites finalement la démonstration qu’il comporte aussi des mesures de fermeté.
Je reviens à l’amendement de notre collègue Regol. Si le conducteur est en état de récidive, le droit commun s’applique. Le juge pourra aggraver les peines s’il l’estime nécessaire compte tenu de la situation de récidive.
M. Rodrigo Arenas
Exactement !
M. Éric Pauget, rapporteur
Le problème ne se pose donc pas.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Pierre Meurin.
M. Pierre Meurin
C’est la démonstration que ce texte n’est pas seulement symbolique ; il permet aux victimes et à leurs familles de faire leur deuil, en consacrant une infraction qui correspond à leurs attentes. Nous nous en réjouissons.
Chers collègues, je vous rappelle que la conduite avec un taux d’alcool supérieur à 0,4 gramme par millilitre d’air expiré constitue un délit. Je ne vois pas pourquoi les choses devraient être différentes en cas d’excès de vitesse égal ou supérieur à 50 kilomètres à l’heure.
Il y a 3 000 morts sur la route chaque année. Cette disposition est nécessaire pour sensibiliser les personnes et remédier à cette situation. Les peines encourues, et la menace de la peine, constituent en elles-mêmes des éléments de prévention des comportements à risque.
Par ailleurs, l’accidentologie en France révèle que les facteurs d’accidents sont multiples. Il n’y a pas seulement les infractions, mais aussi les infrastructures routières. Je vous livre deux chiffres : sur les 3 000 accidents mortels annuels, 500 impliquent un conducteur ayant consommé de la drogue, et un tiers sont dus aux insuffisances des infrastructures routières et à la mauvaise qualité des routes secondaires. Nous avons là deux chantiers d’ampleur.
En revanche, le durcissement du droit pénal est très important puisque la menace de la sanction est un outil de prévention, en particulier en amont, dans le cadre éducatif et scolaire. Face à cette menace de sanction, les délinquants potentiels y regarderont à deux fois avant d’adopter une conduite à risque.
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Ne nous payons pas de mots. Dès le début de l’examen du texte, nous avons affirmé notre réticence sur deux points : la création de la catégorie d’homicide routier et la surenchère pénale que ce texte implique. De fait, les propos de M. le rapporteur tombent.
Permettez-moi de répondre sur le prétendu effet préventif des sanctions. S’il suffisait d’aggraver les peines pour résoudre les problèmes qu’elles visent à réprimer, cela se saurait ! Ce n’est pas vrai, et vous le savez bien.
Vous faites allusion aux stupéfiants – c’est un véritable sujet en matière de sécurité routière, au même titre que l’alcool. Vous savez fort bien que la France dispose de la législation la plus dure d’Europe en la matière ; si l’on suivait votre raisonnement, elle devrait être la plus efficace en termes de prévention. Or les Français sont les premiers consommateurs de produits psychotropes. C’est donc que cela ne marche pas !
Je réitère ma question : quand allons-nous travailler sur les sources réelles des morts et des accidents très graves sur la route ?
(L’amendement no 6 n’est pas adopté.)
(L’article 1er quinquies est adopté.)
Article 2
M. le président
La parole est à M. Rodrigo Arenas, pour soutenir l’amendement no 7 qui tend à supprimer l’article 2.
M. Rodrigo Arenas
Dans le même esprit que les précédents, cet amendement de suppression est un amendement d’appel.
Ce sont les professionnels de la justice qui le disent, plus que les députés : cette loi, qui sera probablement votée au vu des majorités qui se dégagent, va nourrir l’inflation pénale et posera des difficultés pratiques aux juges, notamment en matière de preuve – car il faut prouver l’intention.
De nombreux avocats expliquent voir ici un glissement contraire aux principes généraux du droit pénal. L’intention compte, et doit être sanctionnée comme telle, donc de façon différente de la sanction appliquée pour une situation où, malgré une multiplication de fautes, l’intention de tuer n’existait pas.
On n’est pas délinquant a priori, mais a posteriori. On ne doit pas préjuger que quelqu’un qui boit de l’alcool, qui consomme un stupéfiant ou qui absorbe n’importe quel autre produit altérant sa capacité à conduire est un délinquant a priori : c’est là une dérive sémantique qui peut être dangereuse.
Par ailleurs, cette loi ne changera rien à la prévention. Celle-ci ne doit pas venir seulement de l’éducation, mais aussi des forces de l’ordre : plus celles-ci seront présentes physiquement sur les routes, moins les conducteurs seront tentés d’appuyer sur le champignon et moins nous verrons d’accidents.
Mais la prévention doit commencer à l’école : nous avons, en France, la possibilité d’aller tous à l’école ; agir dès le plus jeune âge est le meilleur moyen de lutter contre les comportements délinquants. Vous savez notre attachement à l’éducation, et je vous sais défenseurs de l’école républicaine.
Ne sanctionnons pas a priori mais a posteriori. Sinon, ce sont les préjugés qui prendront le dessus et non pas l’infraction que cet hémicycle vise.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Avis défavorable. L’article 2 est uniquement un article de coordination ; le supprimer n’aurait aucun sens.
Ne nous méprenons pas : en créant l’homicide routier et les blessures routières, on ne supprime du code pénal ni la notion d’homicide volontaire – lorsqu’il y a intention de donner la mort – ni celle d’homicide involontaire – lorsqu’il n’y avait pas d’intention, que les faits résultent d’une négligence ou de la somnolence, par exemple. Nous créons une qualification juridique nouvelle, qui s’applique lorsque l’acte – qui, lui, est volontaire – conduit à un accident.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Christophe Blanchet.
M. Christophe Blanchet
L’argumentaire de M. Arenas me glace : on a le sentiment, à vous écouter, que la personne qui s’est rendue coupable de consommer de l’alcool outre mesure, ou de la drogue, et de prendre le volant doit être excusée ! Nous sommes responsables. La drogue, c’est interdit ; si on en consomme, alors on ne respecte pas la loi. Il n’y a pas d’excuses à chercher. (M. Rodrigo Arenas proteste.)
Vos explications étaient ambiguës, je me permets de vous le dire. Vos propos m’ont glacé, et d’autres avec moi.
M. Romain Daubié
C’est la culture de l’excuse permanente !
M. Christophe Blanchet
Le rapporteur l’a dit avec justesse, et Dieu sait qu’il défend cette proposition de loi depuis très longtemps, ce dont je le remercie : pensons aux familles des victimes. Elles attendent ce texte. Cela ne réparera pas leur deuil, bien sûr, jamais. Mais sans doute les aidera-t-il à accompagner ceux qui, demain, souffriront de tels faits – car, malheureusement, le monde est imparfait et il y aura d’autres accidents.
Je suis certain que grâce à cette loi, celles et ceux qui souffrent aujourd’hui seront les meilleurs accompagnants de celles et ceux qui souffriront demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur plusieurs bancs du groupe DR.)
M. le président
La parole est à M. Rodrigo Arenas.
M. Rodrigo Arenas
Je ne voudrais pas que vous restiez glacé, cher collègue : ce n’était absolument pas le sens de mon propos. Il existe des circonstances aggravantes ! Et c’est bien pour cela qu’il y a un juge, qu’il considère la faute, qu’il mesure la peine et que, avec le juge de l’application des peines, il la fait appliquer. Notre justice repose sur des êtres humains.
L’émotion est légitime, nous en sommes bien d’accord ; je l’ai dit tout à l’heure, certains de nos collègues ont souffert de tels malheurs. Mais nous faisons la loi, et ce que nous disons, c’est que cette loi n’est pas demandée par les juges, ni par les avocats. Or ce sont eux qui devront rendre justice.
Il serait bien, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, de ne pas faire croire aux familles de victimes, par cynisme ou par hypocrisie, que cette loi va arranger les choses.
Je veux vous rassurer : dans notre travail de parlementaires, je pense que nous accompagnons tous au quotidien les familles des victimes de nos circonscriptions, en particulier quand ces victimes sont des enfants. Ces accidents nous touchent dans notre chair.
(L’amendement no 7 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 15 de M. le rapporteur est rédactionnel.
(L’amendement no 15, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
L’amendement no 16 de M. le rapporteur est un amendement de coordination.
(L’amendement no 16, accepté par le gouvernement, est adopté.)
(L’article 2, amendé, est adopté.)
Article 3
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin, pour soutenir l’amendement no 8 tendant à supprimer l’article 3.
Mme Élisa Martin
Encore une fois, il s’agit d’un amendement de suppression. Cette visite médicale ne nous pose pas vraiment de problème, encore qu’il faille pouvoir trouver un médecin dans les soixante-douze heures – et il peut s’en passer, des choses, en soixante-douze heures !
Mais, encore une fois, nous loupons l’objectif affiché : lutter contre la violence routière. C’est bien ce qui est écrit, n’est-ce pas ?
Regardons l’histoire. En 1972, il y a eu 16 500 morts sur les routes, un chiffre qui dépasse l’entendement. Ce qui a permis de le faire baisser très nettement, ce sont des mesures comme le port obligatoire de la ceinture, y compris à l’arrière, le port du casque obligatoire pour les deux-roues… Bref, des mesures concrètes de protection des usagers de la route, dont les piétons font partie.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Avis défavorable. J’avoue avoir du mal à vous suivre. Je fais des efforts pour vous convaincre, mais je vois que je n’y arrive pas.
Mme Élisa Martin
Non, en effet !
M. Éric Pauget, rapporteur
Je rappelle que cet article a été introduit en première lecture à l’initiative du groupe Les Démocrates. Il dispose qu’une personne qui est à l’origine d’un accident dans ces conditions se voit imposer un examen médical d’aptitude à la conduite.
Il pose deux problèmes. Je vous proposerai juste après un amendement pour préciser l’appréciation de la durée de soixante-douze heures. Il y a d’autre part la question de la prise en charge : j’estime qu’il est normal que la personne qui provoque un accident dans de telles conditions prenne en charge cet examen. Celui-ci ne doit pas être payé par la société.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Le rapporteur a bien rappelé le sens de l’article : il rend obligatoire un examen médical qui évalue l’aptitude à la conduite du conducteur impliqué dans un accident de la route. Supprimer cet article irait à l’encontre de l’objectif que nous nous fixons.
Vous dites que le nombre des accidents mortels a beaucoup diminué depuis 1972 : Dieu merci, oui, effectivement, et de façon significative. Mais ce n’est pas seulement pour les raisons que vous citez à juste titre : c’est aussi parce que les taux d’alcool dans le sang autorisés ont diminué. La difficulté que nous rencontrons, c’est que les stupéfiants ont fait leur apparition, et qu’ils empêchent les conducteurs d’apprécier correctement leur état.
Mme Sandra Regol
Dans les années 70, monsieur le ministre, il y avait aussi des drogues à la mode !
M. le président
La parole est à M. Pierre Meurin.
M. Pierre Meurin
J’entends que c’est un amendement d’appel, et j’ose espérer qu’il sera retiré.
Cet examen médical, c’est la moindre des choses pour quelqu’un qui s’est rendu coupable d’une infraction qui a provoqué des séquelles physiques, voire un décès. On ne peut pas supprimer cet article ! Ou alors, vous voudriez supprimer tout le droit pénal parce que vous avez une vision très permissive de ce qu’il doit être.
Tous les doutes sur le délai devraient être levés par les amendements suivants. Mais prétendre supprimer cet article, c’est-à-dire un examen médical pour des gens dangereux, montre une complaisance de votre part vis-à-vis des délinquants de la route. Ce n’est pas conforme à ce que les victimes qui nous regardent attendent.
Il restera du travail à faire sur la délinquance routière. Je regrette que nous n’ayons pas pu intégrer à ce texte un durcissement des peines en matière de consommation de protoxyde d’azote ou d’autres drogues. C’est une discussion que nous avons eue en commission et en première lecture, et la gauche semble assez indulgente vis-à-vis de la consommation de drogue et des délinquants de la route en général.
J’espère, je le répète, que vous allez retirer cet amendement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Rodrigo Arenas.
M. Rodrigo Arenas
Après ces excès de langage, nous retirons l’amendement, mais nous vous donnons à tous rendez-vous pour l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale : ce qui va être voté devra être vraiment appliqué. Nous savons tous ici que nous n’avons pas assez de médecins pour qu’il soit toujours possible d’en voir un en soixante-douze heures ; il suffit de se rendre aux urgences d’un hôpital public pour constater la réalité. Nous nous retrouverons quand il faudra dégager les moyens pour que celles et ceux qui commettent un crime sur la route soient soumis à un examen médical.
Je reviens sur un autre point. Le CBD et l’alcool sont autorisés ; ce qui est interdit, c’est l’excès. Celles et ceux qui, comme moi, ont quelques cheveux blancs ont été éduqués dans un pays où l’on expliquait que « un verre, ça va, deux verres, bonjour les dégâts ! » Voilà d’où nous venons.
M. Roger Chudeau et M. Emeric Salmon
C’était « trois verres » !
M. Rodrigo Arenas
J’ai grandi, ainsi que les plus âgés de nos enfants, devant ces campagnes publicitaires indignes. Nous avons fait du chemin depuis.
C’est pour ces raisons que nous retirons cet amendement, et je redis que nous vous attendrons quand il faudra que les moyens donnés à la médecine publique comme à l’éducation nationale soient à la hauteur, mais aussi que nos enfants ne subissent plus ces campagnes contraires à l’esprit de la loi que nous allons voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs du groupe EcoS.)
(L’amendement no 8 est retiré.)
M. le président
Sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisi par les groupes Rassemblement national, Ensemble pour la République, Droite républicaine et Les Démocrates de demandes de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 9 et 19.
La parole est à M. Pierre Meurin, pour soutenir l’amendement no 9.
M. Pierre Meurin
Cet amendement tend à préciser le point de départ du délai de soixante-douze heures dans lequel le conducteur doit se soumettre à l’examen médical : il doit commencer au moment où l’état de santé du conducteur le permet.
En outre, cet examen doit avoir lieu aux frais du conducteur. Celui-ci ne doit pas non plus pouvoir reprendre le volant avant que l’examen ne se soit conclu positivement.
M. le président
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 19.
M. Éric Pauget, rapporteur
Il est identique au précédent. M. Meurin avait souligné à juste titre en commission que la rédaction actuelle était imprécise. En effet, si au bout de soixante-douze heures, l’état de santé du conducteur ne lui permet pas de se soumettre à l’examen médical, cette disposition sera inopérante. La rédaction proposée est beaucoup plus précise : elle prévoit que l’examen médical a lieu dans un délai de soixante-douze heures à compter de l’accident, si l’état de santé du conducteur le permet, ou dans un délai de soixante-douze heures à compter du moment où il est en état de se soumettre à une visite médicale.
Avis favorable, bien sûr, sur les deux amendements.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Ces deux amendements poursuivent le même objet, mais ils sont rédigés de manière un peu différente. Le gouvernement a une petite préférence pour celui du rapporteur, qui est plus précis.
M. Emeric Salmon
Ils sont identiques !
M. François-Noël Buffet, ministre
Ils ne sont pas tout à fait identiques selon nous. Cela dit, l’avis est favorable.
M. le président
Ils sont identiques.
Mme Sandra Regol
C’est l’exposé sommaire qui est différent !
M. le président
La parole est à M. Nicolas Turquois.
M. Nicolas Turquois
Je ne suis pas du tout d’accord avec les orateurs qui se sont exprimés à gauche de cet hémicycle, mais il y a quelque chose que je ne comprends pas d’un point de vue opérationnel. Il est certain que certaines personnes responsables d’accidents de la route mériteraient d’être obligées de se soumettre à un examen médical avant d’être autorisées à reprendre le volant, mais dans certains cas, ce sera matériellement impossible – elles ne trouveront pas dans les soixante-douze heures un professionnel de santé pour effectuer cet examen.
M. Rodrigo Arenas
Eh oui !
M. Nicolas Turquois
Dans ces cas-là, comment faire ? J’aimerais être éclairé sur la question.
M. le président
La parole est à M. Pierre Meurin.
M. Pierre Meurin
Je répondrai aux orateurs qui se sont exprimés précédemment. C’est au conducteur auteur d’une infraction ayant causé un décès ou des blessures sur un tiers de se débrouiller pour trouver un rendez-vous pour un examen médical visant à déterminer s’il pourra reprendre le volant – il n’est pas de notre ressort de faciliter la vie des délinquants dans ce cadre. Monsieur le ministre, je me permets de préciser que ces amendements sont strictement identiques.
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre
En effet, ils sont identiques – je n’avais pas vu la correction qui a été apportée.
M. le président
En effet. Une virgule a dû être modifiée à un moment donné.
(Les amendements identiques nos 9 et 19 sont adoptés.)
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol, pour soutenir l’amendement no 22.
Mme Sandra Regol
Il rejoint les questions qui ont été posées concernant la disponibilité des médecins pour recevoir les personnes. Nous soutenons l’obligation d’examen médical. Pour rendre le dispositif plus facile à appliquer dans tous les cas de figure, nous proposons toutefois de supprimer l’alinéa 5 – la délictualisation – tout en conservant l’intégralité du dispositif – retrait du permis, etc.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Pauget, rapporteur
Avis défavorable. Il faut garder une sanction ferme. On parle de personnes qui se sont volontairement droguées ou alcoolisées, qui ont volontairement refusé d’obtempérer ou volontairement participé à un rodéo urbain, qui ont causé un accident et à qui on demande d’aller passer une visite médicale. C’est leur problème de trouver un médecin – ils peuvent aller à l’hôpital. Il faut qu’il y ait une sanction, sinon ils ne se soumettront pas à cet examen. C’est du bon sens.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Rodrigo Arenas.
M. Rodrigo Arenas
Nous voterons pour cet amendement – les propos du rapporteur en précisent l’intention. Monsieur le rapporteur, une personne qui se livre à un rodéo urbain – c’est évidemment interdit – n’est pas forcément sous l’emprise de stupéfiants, de l’alcool ou d’une quelconque substance. C’est simplement un acte délictueux volontaire, qui est déjà inscrit dans le code pénal. D’ailleurs, ceux qui suivent de près les jugements concernant des personnes appréhendées dans ces situations délictueuses savent que la main du juge ne tremble pas. Il n’est pas souhaitable de lier les choses ; c’est pour cela que nous voterons pour l’amendement de Mme Regol, qui dissocie les deux questions.
M. le président
La parole est à M. Emmanuel Duplessy.
M. Emmanuel Duplessy
Je n’ai pas bien compris vos explications. Dans les cas que vous avez décrits, monsieur le rapporteur, on peut quand même partir du principe que la confiscation du permis et une obligation de soins seront ordonnées dans le cadre judiciaire. Cette disposition s’appliquera donc aux autres cas, ceux dans lesquels le délit et l’accident routier ne résultent pas de l’usage de drogue et où la justice ne prononce pas d’obligation de soins et de suspension du permis. Dans les territoires comme le mien – le Loiret, qui est un désert médical –, si la personne n’a pas de médecin traitant, il est très peu probable qu’elle arrive à trouver un médecin en soixante-douze heures pour répondre à cette obligation pénale. Un tel délai n’est pas tenable dans les déserts médicaux.
Il est disproportionné de prévoir une sanction pénale pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 4 500 euros d’amende pour le non-respect d’un délai de soixante-douze heures que les personnes concernées – les délinquants, si vous voulez, même si je n’aime pas réduire les personnes à une seule dimension de leur être –, ne pourront pas respecter, même avec la meilleure volonté du monde. Il vaudrait mieux les priver de leur permis de conduire tant qu’elles n’ont pas passé l’examen médical – le temps de trouver un médecin. Ce serait largement suffisant.
Vous détestez les ruraux vivant dans des déserts médicaux !
M. Emeric Salmon
Ils détestent les délinquants routiers !
(L’amendement no 22 n’est pas adopté.)
M. le président
Les amendements nos 17 et 18 de M. le rapporteur sont rédactionnels.
(Les amendements nos 17 et 18, acceptés par le gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.)
(L’article 3, amendé, est adopté.)
Explications de vote
M. le président
La parole est à M. Philippe Schreck.
M. Philippe Schreck (RN)
Les arguments du type « ce n’est pas de chance », « je n’ai pas fait exprès », « je n’ai pas voulu faire de mal » sont devenus injustes, inaudibles et inacceptables pour les parents de la victime d’un chauffard sous stupéfiants, qui fuit et ne lui porte pas assistance. C’est tout l’intérêt du délit autonome que nous avons créé. Contrairement à ce qui a été dit, ce délit n’est ni sémantique ni symbolique. Au contraire, il est important de supprimer la qualification d’involontaire de certaines infractions – elle a pour conséquence d’aboutir à des sanctions dramatiquement symboliques et incompréhensibles.
Dans certaines circonstances, il doit y avoir la place – ce sera désormais le cas – pour une qualification intermédiaire entre le « vouloir tuer » et le « tuer sans le vouloir », tant il est vrai que certains prévenus, s’ils n’ont pas recherché le dramatique résultat qu’ils ont créé, se placent eux-mêmes dans une situation qui ne peut être appréhendée sous l’angle de faits involontaires. Vous avez raison de le souligner, monsieur le rapporteur, nous avons créé un pan dans le droit pénal qui me semble plutôt novateur et qui, je le répète, n’est ni symbolique ni sémantique. C’est la raison pour laquelle nous voterons en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à Mme Emmanuelle Hoffman.
Mme Emmanuelle Hoffman (EPR)
La création d’un délit autonome d’homicide routier n’est pas un symbole, c’est un acte de responsabilité. C’est mettre fin à la qualification d’homicide involontaire qui est une double peine pour les familles des victimes. C’est pour cela, pour leur combat et en ayant une pensée émue pour celles qui sont présentes ici, que le groupe EPR soutiendra évidemment cette proposition de loi, fruit d’un véritable travail de fond mené par le rapporteur Éric Pauget et par notre ancienne collègue Anne Brugnera, lorsqu’elle siégeait sur ces bancs. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.) Continuons sur notre lancée et votons à l’unanimité ce texte, preuve que sur un sujet aussi grave que la sécurité routière, notre assemblée sait se rassembler et agir dans l’intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur plusieurs bancs des groupes Dem et LIOT.)
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP)
Selon le président d’une association qui milite contre les violences routières, la proposition de loi ne va pas assez loin. Il a raison, de notre point de vue. Il veut dire par là que l’on ne prend pas de mesures concrètes pour lutter contre la violence routière – c’est, je le rappelle, la deuxième partie du titre de la proposition de loi. De surcroît, les professionnels du droit sont très inquiets. Ils disent : « Le mieux étant toujours l’ennemi du bien, ce vœu risque cependant d’induire de sévères difficultés pratiques en matière de preuve rapportée de l’intention, comme dans l’organisation judiciaire. […] Outre le sentiment d’inachevé, les parties civiles font le constat d’une triste habitude à recourir à l’inflation législative, là où il suffisait simplement d’appliquer dans les prétoires un arsenal répressif d’ores et déjà existant ».
Tout est dit. L’aspect problématique qui méritait d’être travaillé, c’est la place des victimes – souvent, sur ce type de sujet comme sur d’autres, celles-ci n’étaient peu ou pas prises en compte, même si nous avons avancé.
Nous allons vraisemblablement créer l’homicide routier au sein du code pénal. Je le répète, notre terrible regret, c’est que rien ne sera réglé pour autant. Dans six mois, dans neuf mois, dans un an, vous aurez à répondre de la même manière devant les victimes et leurs familles : ce texte n’aura rien changé. Nous vous donnons rendez-vous au moment de l’examen du projet de loi de finances : nous aurons à discuter d’une mobilisation bien plus importante, dans tous les pans de la société, pour lutter effectivement contre la violence routière – et nous verrons.
M. le président
La parole est à M. Hervé Saulignac.
M. Hervé Saulignac (SOC)
Ce texte ne doit pas nous exonérer d’une autre priorité : je veux parler de la prévention. À cet égard, je voudrais rendre hommage au travail que mène l’association Prévention routière, qui œuvre beaucoup en France, en particulier auprès des plus jeunes – c’est là l’essentiel du travail que nous avons à conduire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.)
Il n’en demeure pas moins que ce texte corrige une incompréhension. La justice est parfois incomprise, voire contestée, précisément parce qu’elle n’utilise pas les bons mots – « homicide involontaire » pour qualifier la mort d’un parent tué par un chauffard ivre, ce n’était pas faire usage des mots justes. Cette proposition de loi n’est pas seulement un texte qui prend mieux en considération la souffrance des victimes ; elle vise aussi à réconcilier avec l’institution judiciaire ceux qui la rejettent parce que la qualification d’homicide involontaire leur semble traduire une forme de clémence à l’égard des auteurs d’accidents mortels. Rappelons que la moitié des accidents mortels – la moitié de 3 000, cela en fait quand même 1 500, ce n’est pas l’épaisseur du trait – sont causés par l’excès de vitesse, l’état d’ivresse ou l’usage de stupéfiants, des comportements qui ne sont pas acceptables.
Si ce texte a été quelque peu débattu ou contesté, nous avons la conviction qu’il trouvera très vite sa place dans la société, comme une forme d’évidence. Je veux remercier celles et ceux qui en sont les auteurs. (M. Romain Eskenazi applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Émilie Bonnivard.
Mme Émilie Bonnivard (DR)
Le groupe Droite républicaine votera sans réserve et avec conviction en faveur de cette proposition de loi portant création de l’infraction spécifique d’homicide routier.
Je souhaite rendre un hommage particulier à notre collègue Éric Pauget, qui a défendu ce texte sans relâche pendant de nombreuses années (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs des groupes EPR Dem et HOR), se faisant la voix de toutes les familles brisées, endeuillées par la violence routière, et des associations qui les représentent.
La douleur de ces familles qui ont perdu un enfant, un proche, un parent du fait de comportements irresponsables aux conséquences criminelles nous oblige. Leur combat méritait une réponse politique forte.
Nous pensons évidemment à Yannick Alléno, qui a porté haut et fort ce combat, à son association engagée à la mémoire de son fils, à M. Auger, dont le petit-fils a perdu la vie dans des circonstances insupportables, et à toutes les victimes et familles endeuillées – la mienne en fait partie.
Je pense à Alexia et à sa maman Sylvie, à Charlotte Berthoux, victimes d’homicides routiers. La douleur de leurs familles est immense, leur combat est digne, et notre responsabilité politique est d’y répondre.
Il ne s’agit pas d’un symbole ; il s’agit de corriger une injustice ou un vide juridique en matière pénale.
M. Christophe Blanchet
Tout à fait !
Mme Émilie Bonnivard
Non, on ne peut pas dire d’un individu qui a consommé des stupéfiants, qui a roulé à une allure anormale ou sous l’emprise de l’alcool, causant par là la mort d’une personne, qu’il a commis un homicide involontaire.
Nous devons réaffirmer le principe de responsabilité sur nos routes, parce qu’il est absolument vital.
Cette proposition de loi s’inscrit aussi dans la continuité des grandes réformes en matière de sécurité routière menées depuis plusieurs décennies par notre famille politique.
Nous la voterons avec détermination, en ayant dans le cœur et à l’esprit toutes les personnes disparues, et en espérant qu’elle modifiera le comportement de nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR ainsi que sur quelques bancs des groupes EPR et Dem.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz (Dem)
Le groupe Les Démocrates votera sans réserve en faveur de ce texte.
Je profite de ces explications de vote pour saluer le travail et la persévérance du rapporteur de ce texte, Éric Pauget. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Dem et DR.)
Nous parlons ici de violations manifestes, délibérées, parfois récurrentes du code de la route, de comportements à risques tels que la conduite sous l’emprise de stupéfiants ou d’alcool, le refus d’obtempérer, la conduite – parfois répétée – sans permis de conduire ou la participation à des rodéos urbains. Toutes ces infractions doivent être caractérisées pour ce qu’elles sont dans le cadre d’un accident mortel : un homicide routier.
J’aimerais aussi préciser, à la suite du débat et de ce que j’ai entendu, que nous faisons la loi pour la société et non pour les juges et les avocats. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EPR. – Mmes Émilie Bonnivard et Justine Gruet applaudissent également.)
Cette évolution, nous la devons aussi aux familles de victimes, qui demandent depuis longtemps une plus grande responsabilisation pénale des auteurs de ces violences routières. C’est donc sans hésitation que notre groupe l’approuvera. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – Mme Justine Gruet applaudit aussi.)
M. le président
La parole est à Mme Béatrice Piron.
Mme Béatrice Piron (HOR)
Au nom du groupe Horizons & indépendants, je voudrais rappeler l’objectif de cette proposition de loi.
En créant un délit d’homicide routier et, plus généralement, en luttant contre la violence routière, ce texte vise à répondre à une tragédie qui affecte trop de familles chaque année.
Il tend également à répondre à un sentiment légitime d’injustice ressenti par nombre de nos concitoyens.
Enfin, il répond à une attente forte, celle des victimes d’accidents routiers, des familles brisées – et je pense qu’elles sont nombreuses ici aujourd’hui.
Je souhaite également souligner le caractère transpartisan de ce texte. C’est tout à l’honneur de notre assemblée que de savoir se mettre d’accord sur la nécessité de faire évoluer certaines dispositions de notre droit. Le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur quelques bancs des groupes DR et Dem.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Pierre Bataille.
M. Jean-Pierre Bataille (LIOT)
Un signal fort est aujourd’hui envoyé aux usagers de la route, notamment aux plus imprudents. Demain, la justice semblera plus juste pour les familles des victimes. Demain, elle permettra d’apaiser leur douleur et leur évitera de se réfugier dans une tristesse et une amertume qui sont les vrais poisons de ceux qui restent. Le groupe LIOT votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT.)
Vote sur l’ensemble
M. le président
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 203
Nombre de suffrages exprimés 200
Majorité absolue 101
Pour l’adoption 194
Contre 6
(La proposition de loi est adoptée.)
(Applaudissements sur divers bancs.)
M. le président
La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre
Le gouvernement est satisfait de ce vote. Il voudrait profiter des circonstances pour féliciter les auteurs, M. Éric Pauget et Mme Anne Brugnera, ancienne députée du Rhône, un département auquel je suis attaché. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Il ne s’agit pas d’un texte de communication. Il crée une infraction nouvelle, formelle, qui changera le cours des choses – du moins est-ce l’espoir qui est le nôtre. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à dix-neuf heures vingt-cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
4. Reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine
Discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Olivier Faure et plusieurs de ses collègues portant reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français (nos 949, 1474).
Présentation
M. le président
La parole est à M. Olivier Faure, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées.
M. Olivier Faure, rapporteur de la commission de la défense nationale et des forces armées
C’est avec une profonde émotion et un sens aigu de notre responsabilité collective que je prends la parole pour défendre cette proposition de loi transpartisane, dont j’ai l’honneur d’être l’auteur et le rapporteur.
Adoptée à l’unanimité en commission de la défense, elle marque une étape importante dans la reconnaissance par la nation des souffrances endurées par les rapatriés d’Indochine et leurs familles.
Je tiens à remercier sincèrement l’ensemble de mes collègues qui ont cosigné ce texte, et plus particulièrement Anne Le Hénanff, Yannick Monnet et Nicolas Ray, que je salue. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Ce texte est aussi le résultat d’un long travail mené avec les associations concernées, que je salue également. Je pense tout particulièrement à Daniel Freche, à Nina Sinnouretty et à Julien Cao Van Tuat, qui ont largement œuvré à la reconnaissance de cette situation.
C’était l’empire, peut-être même « le plus beau joyau de l’empire », disait-on, cette Indochine française de Marguerite Duras avec cette « lumière plate, aveuglante, cette chaleur gorgée de pluie, ces fleuves lents, le Mékong, les liserés de rizières ».
Mais au lendemain de la seconde guerre mondiale, les nationalistes vietminh revendiquent l’indépendance du Vietnam.
Pour vaincre cet ennemi, l’armée coloniale construit une forteresse aéroterrestre dans la cuvette de Diên Biên Phu, espérant y trouver le théâtre d’une bataille décisive. Le 13 mars 1954, à 17 heures, les premiers tirs déchirent le silence des collines. Puis, des canons invisibles crachent la mort sans jamais se dévoiler.
Le 7 mai 1954, dans un silence de fin du monde, l’armée française finit par lever, la main tremblante, un drapeau blanc.
Dans les tranchées, des visages gris, creusés par cinquante-cinq jours d’enfer, ceux de ces hommes enterrés dans des bastions aux noms de femmes – Béatrice, Éliane, Dominique –, des soldats qui comprennent que ce n’est pas simplement une bataille, mais la guerre qu’ils viennent de perdre. Le « piège à Vietminh » s’est transformé en tombe de l’orgueil de la stratégie française.
Le 21 juillet, Pierre Mendès France, devenu président du Conseil, signe un accord de cessez-le-feu, la partition du Vietnam le long du 17e parallèle et le retrait progressif de la troupe. Il met ainsi fin à une guerre de huit années dont il avait dénoncé l’impasse.
C’est ici que commence le récit d’un calvaire, celui de ces supplétifs de l’armée française, de ces fonctionnaires de police ou de l’administration pénitentiaire, de ces travailleurs de comptoir que l’on appelait encore indigènes, devenus étrangers dans leur pays d’origine pour avoir servi la France. Il faut les rapatrier et le chemin va être long pour eux, pour leurs femmes et pour leurs enfants. D’abord deux années dans les camps de transit autour de Saïgon, puis le bateau, à fond de cale pour les Asiatiques et les métis quand les rapatriés d’ascendance européenne occupent les cabines.
On ne déconstruit pas en une nuit un imaginaire colonial vieux de cinq siècles – cinq siècles marqués par la volonté de dominer justifiée par une idéologie de la supériorité intrinsèque du colon blanc. La colonisation est dans son essence même un projet raciste, puisqu’il pose comme principe une hiérarchie entre les êtres humains, leurs religions ou leurs civilisations. Même à l’égard de ceux qui l’avaient choisie comme patrie, la France s’est comportée en puissance coloniale, jetant dans l’oubli ceux qui l’avaient servie jusqu’au sacrifice d’un exil forcé loin de la terre de leurs aïeux.
Les voilà donc, ces Français d’Indochine, harassés de fatigue, accostant dans le port de Marseille et bientôt acheminés en bus vers des centres d’accueil présentés comme provisoires, mais dans lesquels certains d’entre eux resteront jusqu’en 2014. On compte quatre camps principaux : Le Vigeant, ancien lieu de détention ; Bias, ancienne base militaire ; Noyant-d’Allier et ses anciens corons ; Sainte-Livrade-sur-Lot, ancienne poudrerie. À Sainte-Livrade, derrière les fils de fer barbelés qui entourent le centre, ce sont des baraquements, faits de murs en briques creuses, de toits en éverite – mélange de ciment et de fibres d’amiante – et de plafonds en carton, privés de salle d’eau et de sanitaires, équipés d’un poêle dont le charbon est rationné.
Si je suis aujourd’hui devant vous, c’est pour ne pas laisser dans l’oubli ces pages de notre histoire. Qui sont les rapatriés d’Indochine ayant vécu dans les camps ? D’abord des femmes et des enfants. Les femmes sont essentiellement les compagnes vietnamiennes de Français installés en Indochine, de militaires et de fonctionnaires, marginalisées par la société vietnamienne et la société française en raison de la violente hostilité de l’époque à l’égard des unions mixtes. Les enfants sont pour les deux tiers issus de ces unions. La moitié des hommes du camp sont eurasiens. S’y ajoutent des Français issus des comptoirs de l’Inde, des Antilles et de La Réunion.
Le caractère indigne des conditions de vie et d’accueil, constitutif du préjudice qu’il convient aujourd’hui de réparer, s’incarne dans trois dimensions : l’exercice de la contrainte, le caractère précaire des conditions de vie et l’isolement dont ont souffert les rapatriés d’Indochine.
D’abord, la contrainte. Les camps sont dirigés par d’anciens cadres coloniaux, la discipline est stricte : barrières et barbelés, couvre-feu, salut au drapeau, autorisation pour les visites, les entrées et les sorties. L’arrêté Morlot de 1959 formalise la règle selon laquelle il est interdit de posséder un téléviseur, une voiture ou un réfrigérateur, considérés – tenez-vous bien – comme des signes extérieurs de richesse. Cet arrêté ne sera formellement abrogé qu’en 2009.
Ensuite, la précarité. L’anthropologue Dominique Rolland parle de « baraquements […] infestés de rats et de cafards, des cloisons et plafonds de carton suinte une humidité continuelle, l’absence de sanitaires entretient un manque d’hygiène préoccupant ». Il y fait une chaleur étouffante l’été et froid l’hiver.
Enfin, l’isolement. Il est d’abord spatial, les camps étant souvent à l’écart des bourgs. Cette séparation est renforcée par la barrière culturelle et linguistique ainsi que par l’administration des camps, dirigés par d’anciens administrateurs coloniaux qui imposent une discipline de fer qui va jusqu’au contrôle des déplacements.
L’école, qui aurait dû constituer un facteur d’émancipation, est parfois située au sein des camps eux-mêmes, comme ce fut le cas à Sainte-Livrade, favorisant un peu plus l’exclusion. Les relations avec les populations locales sont marquées par l’indifférence, le mépris et une forme d’exploitation économique, à l’image de l’emploi au noir des femmes pour la cueillette des haricots, ou d’exploitation politique avec la diffusion de consignes de vote pour les élections.
Ce sont des conditions similaires de vie et d’accueil qui ont été jugées indignes par le législateur lorsqu’un droit à réparation a été ouvert par la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d’Algérie. Pourtant, les rapatriés d’Indochine ne sont pas concernés par le dispositif, eux qui, déjà, perdirent le statut de rapatrié à la fin de la guerre d’Algérie pour être rebaptisés « Français d’Indochine » – ils se virent ainsi privés des droits associés, comme s’ils étaient de simples expatriés économiques et n’avaient pas été contraints à l’exil.
Aussi la présente proposition de loi poursuit-elle deux objectifs : la réparation et la reconnaissance de cette injustice. Ainsi, l’article 1er distingue d’une part la reconnaissance de la nation aux rapatriés d’Indochine militaires, supplétifs et agents publics ayant servi la France, d’autre part la reconnaissance de la responsabilité de la nation du fait de l’indignité des conditions d’accueil et de vie pour l’ensemble des rapatriés ayant séjourné dans les centres d’accueil.
Tout d’abord, s’agissant du volet réparation, la proposition de loi étend le dispositif prévu par la loi du 23 février 2022, afin d’indemniser les personnes concernées pour l’indignité de leur séjour, en fonction de leur durée de résidence dans les camps. Un des sujets qui a le plus occupé nos auditions a été de déterminer la fin de la période ouvrant droit à réparation pour les rapatriés d’Indochine. Si les fermetures des camps se sont échelonnées entre 1962 et 1966, celui de Sainte-Livrade a connu une évolution différente et une fermeture beaucoup plus tardive ; certains rapatriés y vivaient encore en 2014.
Conscient de la nécessité de garantir la fluidité de l’application de la loi par les services de l’Office national des combattants et des victimes de guerre (ONACVG) et la cohérence avec le dispositif d’indemnisation des harkis, j’ai présenté en commission un amendement ramenant la fin de la période ouvrant droit aux indemnisations à 1975 – date qui correspond également au desserrement progressif des contraintes imposées aux rapatriés.
J’aimerais enfin insister sur le volet reconnaissance de la proposition de loi. Il s’agit de répondre au sentiment d’abandon et de trahison exprimé par les rapatriés. À la perte de leur vie en Indochine se sont ajoutés l’isolement et le rejet dans leur propre pays. L’article 2 propose ainsi d’instituer une journée nationale d’hommage aux rapatriés d’Indochine et d’instaurer plusieurs lieux de mémoire, notamment à Noyant-d’Allier et à Sainte-Livrade-sur-Lot.
Compte tenu des obligations qu’emporte pour l’État la création d’une nouvelle journée nationale d’hommage, il a été décidé en commission d’élargir la portée du 8 juin, jusqu’ici dédié aux seuls morts pour la France en Indochine, afin d’y associer tous les combattants et rapatriés. Je remercie à cet égard la ministre Mirallès pour son écoute et sa compréhension.
Pour conclure, il s’agit donc de reconnaître une faute historique. L’État, qui aurait dû proposer un accueil digne à ses ressortissants, a été acteur d’une triple relégation : par la contrainte, par la précarité et par l’isolement. L’oubli de la nation a ajouté au traumatisme. Plus de soixante-dix ans après la fin de la guerre d’Indochine, il importait d’y mettre fin. Pour toutes ces générations de rapatriés qui ont eu le sentiment que leur pays les avait abandonnés, pour Daniel, Julien, Nina, Alix, Albert, Martial et tous les autres, pour toutes les grands-mères qui ont tenu debout ce Vietnam-sur-Lot ou sur-Allier, la France, par ses représentants, rouvre aujourd’hui cette page maudite de son histoire et – je l’espère – rendra justice dans quelques instants à ceux qui, pendant tant d’années, ont attendu cette reconnaissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs des groupes EPR, LFI-NFP, HOR et GDR. – M. Nicolas Ray applaudit aussi.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants
Nous vivons aujourd’hui dans cet hémicycle un moment important, qui conjugue vérité et reconnaissance. Cette proposition de loi nous invite à poser un regard lucide sur notre histoire, à faire mémoire de ce qui fut longtemps ignoré et parfois refoulé. Elle nous oblige à entendre les voix de celles et ceux qui, venus d’Indochine et déracinés de leur pays par les soubresauts de la guerre, ont été accueillis sur le sol français dans des conditions qui n’étaient pas à la hauteur de nos ambitions républicaines. Le texte proposé par le député Olivier Faure répond au besoin d’en prendre pleinement conscience.
En tant que ministre chargée de la mémoire et des anciens combattants, je sais combien les mémoires silencieuses, parfois blessées, attendent qu’on les écoute et qu’on leur rende la place qu’elles méritent dans notre récit national. C’est pourquoi je tiens à saluer avec force et sincérité le travail du rapporteur Olivier Faure, dont l’implication et l’engagement sur cette proposition de loi ont permis d’ouvrir ce débat. Son initiative a rassemblé largement et c’est dans cet esprit transpartisan que nous devons aborder les enjeux de ce texte.
Cette proposition de loi, dans sa version initiale, s’inspire du précédent qu’a constitué la loi du 23 février 2022 relative aux harkis. Elle vise à reconnaître et réparer les préjudices subis par les rapatriés d’Indochine et leurs familles du fait de l’indignité des conditions d’accueil. Nous savons combien l’histoire des rapatriés d’Indochine reste peu connue dans le récit que tient notre République sur sa propre histoire. Pourtant, elle concerne plusieurs dizaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants, militaires français, supplétifs mais aussi fonctionnaires, civils engagés, conjoints et descendants qui furent accueillis en France dans des conditions qui n’étaient pas à la hauteur de ce qu’ils étaient en droit d’attendre après avoir pris le risque de tout perdre pour notre pays et après avoir tout perdu.
Le gouvernement entend s’associer à l’appel d’Olivier Faure et aux travaux conduits par la commission de la défense présidée par Jean-Michel Jacques, que je remercie. Ce texte doit aussi être l’occasion d’un large hommage solennel rendu à ces personnes qui ont servi la France en Indochine jusqu’en 1954 et qui ont tout quitté pour rester fidèles à leur engagement au service de notre pays.
C’est tout le sens de l’élargissement de la journée nationale d’hommage du 8 juin, aujourd’hui consacrée aux seuls morts pour la France en Indochine. Cette date doit permettre le plein hommage de la France envers tous ceux qui l’ont servie en Indochine, combattants et rapatriés. Instaurée par la loi, cette journée nationale d’hommage élargie permettra à tous les Français, dans tous les territoires, de se souvenir de tous, héros et victimes.
Le gouvernement souhaite également affirmer la reconnaissance de l’accueil indigne réservé aux rapatriés d’Indochine dans plusieurs structures. Dans les centres d’accueil de Bias, de Sainte-Livrade-sur-Lot, de Noyant-d’Allier, de Creysse et du Vigeant, des conditions de vie particulièrement précaires, marquées par la contrainte administrative, ont perduré jusque dans les années 1960. Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) ainsi que les travaux des historiens et des ethnologues ont montré combien les premières années, entre 1955 et 1965, furent marquées par des formes d’isolement, d’enfermement social, de restriction des droits et de précarité.
Ce n’est qu’à partir de 1966, date qui constitue une inflexion réelle de la politique d’accueil, que l’État commence à réorienter ces structures en passant d’une logique de contrainte à une logique d’accompagnement social. Cette date du 1er janvier 1966 est documentée – j’y reviendrai lors de l’examen de l’amendement proposé par le gouvernement. Elle fonde juridiquement une borne temporelle solide et conforme à la jurisprudence administrative récente pour l’ouverture du droit à réparation. Comme pour la loi de 2022 sur les harkis, si les différentes dates administratives n’ont pas nécessairement conduit à un ressenti immédiat de la part des populations, il est essentiel de disposer d’un critère qui garantit la sécurité juridique et l’égalité entre les personnes concernées.
Cette date du 1er janvier 1966 doit donc servir de borne au dispositif de réparation que le gouvernement propose d’instaurer dans un cadre clair, fondé sur les enseignements de la loi de 2022. Le barème de réparation sera fixé par décret. Les modalités précises permettront une indemnisation juste, dans le respect de l’égalité entre les différentes populations ayant subi un préjudice du fait d’une politique publique d’accueil inadaptée, par une duplication des barèmes issus de la loi de 2022, le cas échéant dans ses ajustements ultérieurs à la suite de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) d’avril 2024.
Combien de personnes seraient concernées par ces réparations ? Les associations identifient entre 329 et 500 bénéficiaires. C’est l’hypothèse basse. En effet, j’appelle votre attention sur le fait que ces chiffres sont partiels.
Si l’on applique aux 4 000 personnes passées par ces structures d’accueil les taux de mortalité observés sur la population française, près de 1 600 personnes pourraient être concernées. Mais cette reconnaissance matérielle, quoique nécessaire, ne saurait suffire pour soigner les blessures anciennes. La mémoire, elle aussi, mérite attention et réparation, car elle doit perdurer par-delà les générations directement concernées.
Comme pour la loi « harkis », le gouvernement entend fonder la politique mémorielle dédiée aux rapatriés d’Indochine sur deux piliers d’égale importance : reconnaître et réparer. Il souhaite accompagner les initiatives visant à intégrer l’histoire des rapatriés indochinois à la mémoire nationale. De l’étude à la mise en place de lieux de mémoire, en passant par le financement de travaux de recherche scientifique et la production de ressources pédagogiques, toutes les pistes seront explorées, en lien avec les associations et les collectivités.
C’est en tissant la singularité de leur histoire et de leur mémoire aux fils de notre mémoire collective que la reconnaissance s’exprime pleinement et que les blessures peuvent cicatriser doucement. C’est bien le sens de l’élargissement du périmètre de la journée nationale d’hommage du 8 juin que j’évoquais il y a quelques instants.
De même, le gouvernement souhaite valoriser davantage les lieux emblématiques de la mémoire indochinoise en France. Sainte-Livrade-sur-Lot, Noyant-d’Allier, ces noms sont les témoins concrets d’une histoire encore vivante, d’une présence indochinoise enracinée dans nos territoires. Ils seront au cœur de notre stratégie mémorielle. Des projets portés par des initiatives associatives sont en cours de développement à Noyant-d’Allier et à Sainte-Livrade. Le ministère, aux côtés d’autres acteurs, les soutiendra sans déposséder les associations qui les ont initiés.
Une fois réalisées, ces initiatives compléteront utilement le mémorial des guerres en Indochine implanté à Fréjus, où j’inaugurerai le 8 juin une plaque d’hommage dédiée à tous les supplétifs, combattants vietnamiens, cambodgiens et laotiens morts pour la France en Indochine. (M. Karl Olive applaudit.) Le ministère encouragera en outre les différents musées dont il est responsable, notamment le musée de l’Armée, à mettre davantage en valeur la mémoire des combattants supplétifs indochinois.
Le travail de mémoire ne peut se faire sans les premiers concernés. C’est pourquoi, depuis plusieurs mois, le gouvernement est à l’écoute des associations de rapatriés. Il a engagé avec elles un dialogue constant, respectueux, exigeant. Ces échanges ont nourri notre réflexion et ont orienté nos choix. Ce texte, dans ses grandes lignes, est le fruit de leur mobilisation. Leur engagement mérite d’être salué. C’est grâce à elles que cette mémoire a pu se transmettre, malgré le silence, même si elle doit être encore davantage connue. C’est grâce à elles que les blessures laissées par les politiques d’accueil d’après-guerre peuvent commencer à cicatriser.
Mesdames et messieurs les députés, par cette proposition de loi, la République entreprend une réparation morale, mémorielle et matérielle. Il ne s’agit pas de réécrire l’histoire – c’est factuellement impossible, politiquement insensé et moralement dangereux. Il s’agit de la regarder en face, comme nous y invite le président de la République depuis 2017, de savoir nous grandir de ce dont nous pouvons être fiers et de reconnaître ce qui ne nous a pas grandis. Surtout, il s’agit de tendre la main à celles et ceux qui, dans l’ombre, ont tant donné à la France sans jamais vraiment recevoir en retour la considération qui leur était due.
Notre responsabilité, aujourd’hui, est de ne pas rater ce rendez-vous. Car dans ce texte, au fond, il ne s’agit pas uniquement de justice pour les rapatriés d’Indochine. Il s’agit de la République elle-même, de sa parole, de sa capacité à dire « nous » sans oublier personne. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR, SOC, DR, HOR et GDR.)
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à M. Romain Eskenazi.
M. Romain Eskenazi
La proposition de loi que nous examinons, défendue par notre collègue Olivier Faure et soutenue par plus de cent députés, n’est pas un simple texte législatif : c’est un acte de justice, par lequel la République fera enfin face à une part d’ombre de son histoire trop longtemps méconnue et oubliée. Cette histoire, c’est celle de nos compatriotes rapatriés d’Indochine, arrachés à leur terre après les accords de Genève en 1954. Je salue la présence en nombre des associations qui se battent depuis des décennies pour une telle loi. Sans elles, nous ne serions pas réunis pour voter ce texte. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, RN, EPR, LFI-NFP, DR, HOR et GDR.)
Entre 4 000 et 6 000 hommes, femmes et enfants – compagnes vietnamiennes, enfants métis eurasiens, anciens agents ou militaires français – furent relégués dans des camps à Sainte-Livrade-sur-Lot, Bias, Noyant-d’Allier ou Le Vigeant. Certains y ont vécu jusqu’en 2014. Dans ces centres isolés, l’État les a abandonnés à des conditions qualifiées bien justement par notre rapporteur d’indignes : baraquements insalubres, sans eau courante, infestés de rats et de cafards. Ils étaient coupés du monde. Les enfants subissaient une scolarité limitée et les adultes des emplois précaires. Les discriminations étaient la norme.
Pire encore, nos compatriotes y vivaient sous une tutelle administrative humiliante, sous le joug de l’arrêté Morlot de 1959 qui les plaçait sous un régime d’exception et instaurait une discipline quasi militaire : couvre-feu, contrôle des déplacements, expulsions pour la simple possession d’une télévision ou d’une voiture. Ils n’avaient pas même le droit d’espérer, ni celui d’être pleinement Français.
Leur vie, c’était l’humiliation, le mépris. Et, plus grave, l’oubli. Les rapatriés d’Indochine étaient invisibilisés, effacés de la mémoire collective et du récit national. Parce que leur retour ne résultait pas, selon l’administration, d’un « événement politique », nos compatriotes ont même été privés du statut de rapatriés. Cette interprétation absurde a eu de lourdes conséquences : privés d’aide, privés d’allocations de subsistance, privés d’accès aux dispositifs d’insertion. Une double peine pour des familles déjà marginalisées, à la fois au Vietnam et en France.
Pourtant, ces femmes et ces hommes étaient français. Ils aimaient la France. Certains s’étaient battus pour elle, d’autres avaient tout perdu. La France les a trahis, la France leur doit réparation.
Il a fallu attendre un drame pour que la République ouvre les yeux. Le 31 décembre 2005, Mme Liliane Andréa, 87 ans, périt dans l’incendie de son baraquement au Centre d’accueil des Français d’Indochine (Cafi) de Sainte-Livrade-sur-Lot. Le feu, parti d’un cabanon-cuisine vétuste, a détruit sept des neuf logements du bâtiment, révélant au grand jour l’indignité des lieux. Ce drame a forcé l’État à réagir. La rénovation des baraquements par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), achevée en 2014, et la création d’un lieu de mémoire à Sainte-Livrade sont des premiers pas. Mais ils sont insuffisants.
Depuis lors, les rapports se sont succédé. En 2006, l’Igas parlait déjà d’une « attente légitime de reconnaissance ». En 2022, la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis plaidait pour une extension du dispositif de réparation aux rapatriés d’Indochine. Pourtant, aucun texte n’a jusqu’à présent répondu à cet appel. Ce silence intolérable ne pouvait plus durer.
Ce que propose Olivier Faure après un travail historique que je salue est simple : reconnaître, réparer. Chaque article de cette loi fait honneur à la France, qui se montre enfin à la hauteur du dévouement de ces citoyens oubliés, leur rendant dignité et mémoire après soixante-dix ans d’injustice.
En reconnaissant la responsabilité de la nation pour les conditions indignes imposées aux rapatriés d’Indochine, nous leur rendons justice. En instaurant une journée nationale d’hommage le 8 juin – date fédératrice qui respecte la mémoire du 14 août à Sainte-Livrade –, nous inscrivons leur histoire dans notre récit national. En alignant les droits des rapatriés d’Indochine sur ceux des harkis, nous corrigeons une inégalité incompréhensible de façon mesurée et cohérente. Nous ne créons pas ici de hiérarchie des mémoires, parce qu’il ne peut y avoir de reconnaissance à deux vitesses : les rapatriés d’Indochine méritent les mêmes droits, la même dignité, la même place dans notre mémoire collective. Enfin, en octroyant une indemnisation forfaitaire juste, nous réparons une dette morale envers les 300 à 500 survivants, âgés de 68 à plus de 90 ans. Le temps presse. Chaque jour qui passe est une occasion manquée de réparer cette injustice.
Avec cette loi, la République se redresse, affronte son passé et corrige ses erreurs. Grâce à ce texte, nous nous assurons d’une chose : les oubliés d’hier ne seront pas les invisibles de demain. (M. Boris Vallaud applaudit.) Le groupe Socialistes et apparentés votera cette proposition de loi et appelle à un soutien unanime, pour la mémoire, pour la justice, pour la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs du groupe HOR.)
Mme Ayda Hadizadeh
Bravo !
M. le président
La parole est à M. Nicolas Ray.
M. Nicolas Ray
Mercredi dernier, la commission de la défense a adopté à l’unanimité cette proposition de loi transpartisane. J’ai l’honneur d’avoir figuré, avec Yannick Monnet et Anne Le Hénanff, parmi ses premiers cosignataires. Je remercie le rapporteur Olivier Faure d’avoir initié cette démarche et d’avoir mené ses travaux préparatoires avec la rigueur et la sincérité qu’elle exige.
Ce texte est une avancée majeure pour les rapatriés d’Indochine et la mémoire de leurs familles. Je salue la présence de nombre d’entre eux, qui assistent avec émotion et attention, je n’en doute pas, à nos débats. Cette reconnaissance de la nation est juste et nécessaire. C’est pourquoi j’espère que ce texte sera voté et qu’il poursuivra son processus législatif au Sénat avec célérité pour entrer en vigueur le plus rapidement possible.
Mon département de l’Allier est particulièrement concerné par ce sujet. De nombreux rapatriés d’Indochine ont été accueillis dans le camp de Noyant-d’Allier et beaucoup de leurs descendants vivent encore dans le département et dans ma circonscription. J’ai toujours été attentif au sort réservé à cette communauté discrète, profondément attachée à notre pays et qui s’est toujours très bien intégrée.
Notre politique mémorielle doit plus que jamais regarder notre histoire en face, avec vérité et responsabilité. Au moment où les supplétifs de l’armée et les personnels civils s’en remettaient à elle, la France les a conduits vers des centres d’accueil aux conditions de vie indignes et avilissantes. Sur les 12 000 rapatriés d’Indochine qui ont transité dans les camps, environ 4 000 s’y sont établis de manière durable. Parmi ces rapatriés se trouvaient beaucoup de femmes accompagnées de leurs enfants métis contraints de fuir.
Les conditions de vie dans ces camps étaient dégradées. Aux logements insalubres se sont ajoutées des atteintes graves aux libertés individuelles : couvre-feu, restrictions de déplacement, surveillance. Toute possession de revenu ou de bien matériel était interdite aux rapatriés, car jugée incompatible avec leur statut. Cette tutelle de l’État était bien éloignée de l’image qu’ils pouvaient se faire de la France, patrie de liberté, d’égalité et de fraternité.
Pendant trop longtemps, la France a passé sous silence le sort de ces femmes et de ces hommes. La loi du 23 février 2005 a accordé la reconnaissance de la nation aux sacrifices consentis par nos compatriotes rapatriés. C’est par un amendement déposé à l’époque par Yves Simon, alors député UMP de l’Allier, que l’application de cette loi a été étendue aux rapatriés d’Indochine.
La loi de 2022 a permis de manifester la reconnaissance de la nation envers les harkis et les rapatriés d’Algérie, mais les rapatriés d’Indochine ont injustement été oubliés. Notre pays n’a pourtant connu que deux guerres de décolonisation et les situations vécues par les rapatriés de ces deux territoires sont comparables – certains camps ont même été occupés successivement par les rapatriés d’Indochine et ceux d’Algérie.
Corriger cet oubli et accorder une reconnaissance identique à ces femmes et à ces hommes qui ont vécu les mêmes traumatismes et les mêmes conditions d’accueil est une exigence morale. Sur cette voie, le groupe Droite républicaine soutiendra résolument, comme il l’a toujours fait, une réconciliation sincère des mémoires. Chacun l’aura compris, l’objectif de cette proposition de loi n’est pas d’accorder aux rapatriés d’Indochine plus de droits qu’aux harkis et aux rapatriés d’Algérie.
Nous saluons le compromis trouvé sur la journée de reconnaissance. Plutôt que de créer une journée supplémentaire, qui se serait ajoutée aux quinze cérémonies nationales existantes, il a été choisi d’élargir aux anciens combattants, aux membres des formations supplétives, ainsi qu’aux rapatriés, la journée nationale du 8 juin qui rend hommage aux morts pour la France en Indochine.
Le texte vise aussi à réparer les injustices et les préjudices subis. La question de la borne d’indemnisation fera l’objet d’un débat. Il s’agira de déterminer la date qui correspond le mieux à la réalité historique et administrative vécue par ces populations et qui permet un traitement équivalent à celui consenti aux harkis, tout en garantissant une sécurité juridique.
En votant ce texte, nous avons la possibilité d’assumer notre histoire et d’honorer la mémoire des rapatriés d’Indochine. Afin d’affirmer la reconnaissance de la nation envers les rapatriés d’Indochine et de réparer les préjudices qu’ils ont subis, le groupe Droite républicaine votera sans réserve cette proposition de loi juste et nécessaire, qui fera aussi l’honneur de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, EPR et HOR. – M. Yannick Monnet applaudit également.)
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion de la proposition de loi portant reconnaissance de la Nation envers les rapatriés d’Indochine et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l’indignité de leurs conditions d’accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français ;
Discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative au droit de vote par correspondance des personnes détenues ;
Discussion de la proposition de loi permettant aux salariés de participer aux collectes de sang, de plaquettes ou de plasma sur leur temps de travail ;
Discussion de la proposition de loi visant à exercer l’accès à l’emploi, à pérenniser et à étendre progressivement l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée comme solution de retour à l’emploi pour les personnes privées durablement d’emploi.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra