Troisième séance du jeudi 05 juin 2025
- Présidence de M. Xavier Breton
- 1. Meilleur encadrement du pacte Dutreil
- Rappel au règlement
- 2. Reconnaissance, remboursement et réparation par la France de la « double dette » d’Haïti
- 3. Mesures de justice pour limiter les frais bancaires
- 4. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Xavier Breton
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1. Meilleur encadrement du pacte Dutreil
M. le président
Je vous informe que la présidente de l’Assemblée nationale a reçu une lettre de M. Nicolas Sansu l’informant qu’il retirait sa proposition de loi visant à un meilleur encadrement du pacte Dutreil.
Il est pris acte du retrait de cette proposition de loi par son auteur en application de l’article 84, alinéa 2, du règlement. En conséquence, il n’y a pas lieu de poursuivre la discussion de ce texte.
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à M. Inaki Echaniz, pour un rappel au règlement.
M. Inaki Echaniz
Sur le fondement de l’article 100 relatif à la bonne tenue de nos débats, monsieur le président.
Je tiens à apporter mon soutien à nos camarades du groupe GDR qui ont dû affronter l’hypocrisie de MM. Sitzenstuhl et Lefèvre. Alors que ces derniers n’ont pas de mots assez forts pour exprimer leur inquiétude face à la remise en question d’une partie du pacte Dutreil, ils soutiennent un gouvernement qui annonce du jour au lendemain la suppression du dispositif MaPrimeRénov’, ce qui mettra en difficulté un très grand nombre de petites entreprises et près de 100 000 salariés. Sur ce sujet, bizarrement, ils se taisent ! Ce n’est pas moi qui le souligne, mais M. Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment, qui n’est pas un parti… (M. le président coupe le micro de l’orateur. – Les députés du groupe GDR applaudissent ce dernier.)
2. Reconnaissance, remboursement et réparation par la France de la « double dette » d’Haïti
Discussion d’une proposition de résolution
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion, en application de l’article 34-1 de la Constitution, de la proposition de résolution visant à la reconnaissance, au remboursement et à la réparation par la France de la « double dette » d’Haïti (nos 1267).
Discussion générale
M. le président
La parole est à M. Marcellin Nadeau.
M. Marcellin Nadeau
Je salue la présence dans les tribunes de représentants d’associations d’Haïtiens de France. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.– MM. Charles Fournier et Jean-Philippe Nilor applaudissent également.)(L’orateur prononce quelques mots en créole.)
L’actualité nous ramène doublement vers Haïti : aujourd’hui, le président Trump a décidé d’interdire aux Haïtiens, pourtant voisins, d’entrer aux États-Unis et de faire partir les immigrés haïtiens présents sur le sol américain ; ce soir, le bicentenaire de la « double dette » nous occupe.
Si, en 1794, au nom du principe énoncé par Robespierre de la liberté due à tout homme, la France révolutionnaire abolissait l’esclavage dans ses colonies, en 1804, la France napoléonienne, revenant sur cette décision, le rétablissait. Entre-temps, dans la colonie française de Saint-Domingue, les anciens « esclavisés » s’étaient révoltés contre leurs anciens maîtres, qui voulaient les maintenir en sujétion. Napoléon envoya une armée commandée par son beau-frère Charles Victoire Emmanuel Leclerc pour les exterminer, mais ce sont eux qui, commandés par le général Jean-Jacques Dessalines, les battirent à la bataille de Vertières, où l’armée française fut écrasée. Cet acte héroïque permit la déclaration d’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804. La première république noire était née. Cette indépendance ne fut reconnue par la France que le 17 avril 1825.
Rappelons les circonstances de ce geste. En 1804, l’indépendance Haïti n’a pas été reconnue par ses voisins caribéens et américains en raison des pressions de la France. En 1825, une flottille de guerre envoyée par Charles X arrive à Port-au-Prince et intime aux Haïtiens de verser des réparations pour indemniser leurs anciens maîtres et voir reconnaître leur nouvel État, faute de quoi la France leur déclarera la guerre à nouveau. Un drame pour cette nouvelle nation qui ne demande qu’à exister au monde.
L’ordonnance royale du 17 avril 1825 mérite ainsi une attention particulière tant elle occupe une place singulière dans l’histoire française et mondiale. Par ce texte, Charles X décide unilatéralement, en rupture avec le refus opposé par la France jusqu’ici, de reconnaître l’indépendance d’Haïti, mais il assortit cette reconnaissance d’une contrepartie financière aussi exorbitante qu’illégitime : dix fois le PIB haïtien ! L’article 2 de l’ordonnance est ainsi rédigé : « Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la Caisse générale des dépôts et consignations de France, en cinq termes égaux, d’année en année, le premier échéant le 31 décembre 1825, la somme de 150 millions de francs, destinée à dédommager les anciens colons qui réclameront une indemnité. » Ce versement est destiné aux anciens propriétaires d’esclaves.
Sans aucun accord avec les autorités haïtiennes, c’est ainsi une rançon qui est demandée, une rançon qu’Haïti ne peut payer sauf à s’endetter, et à s’endetter pour payer son endettement, ce que fera le gouvernement Boyer sous la menace d’un blocus maritime et de 500 canons massés devant Port-au-Prince. En 1825, au sortir du Congrès de Vienne, la France a tout perdu : son impérialisme n’a plus de débouchés, mais Paris a besoin de financer ses conquêtes algérienne et cochinchinoise. Sous couvert de la reconnaissance de son indépendance, Haïti supportera donc la volonté capitalistique française avec 150 millions de francs-or. Au-delà du crime, ignoble en lui-même, il s’agit bien de financer le capitalisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
La France impose une dette à Haïti, mais c’est une double dette puisque Haïti, qui doit emprunter, est obligé de le faire auprès de banques françaises. À cela s’ajoute l’obligation de concéder des avantages commerciaux à l’ancienne puissance coloniale : Haïti doit réduire ses droits de douane pour les bateaux français tandis qu’aucun navire haïtien n’est admis à venir commercer dans les colonies françaises de la Caraïbe, ses voisines. Bref, on reconnaît l’indépendance d’Haïti, mais on aliène sa liberté et sa souveraineté. On l’asphyxie.
L’économiste Thomas Piketty estime que l’indemnité payée par Haïti représente 300 % de son PIB, soit l’équivalent de trois années de production d’un territoire alors considéré comme la colonie la plus riche du monde. La France a frappé d’un tribut odieux le peuple haïtien, l’empêchant de se développer naturellement. Voilà peut-être le premier acte néocolonial de la France, perpétré par Villèle, ce sinistre ministre de Charles X, qui, après avoir emprisonné et tué Toussaint Louverture, entravera l’existence de cette nouvelle nation caribéenne, bridant ainsi le premier État noir de la planète.
Mais cette ignominie n’a pas suffi. Si le solde de la dette n’a pu être réglé qu’en 1883, les agios de l’emprunt ne le seront, eux, qu’au XXe siècle. Le Trésor public français, à travers le Crédit industriel et commercial et la Caisse des dépôts et consignations, en profite pour se substituer à la Banque nationale d’Haïti, qu’ils contrôlent. En 1911, sur 3 dollars perçus par l’État haïtien au titre de l’impôt sur le café, principale ressource du pays, 2,53 dollars servent encore à rembourser la dette aux mains des investisseurs français. Et comme si cela ne suffisait pas, profitant de la faiblesse haïtienne, les États-Unis occupent le pays pendant dix-neuf ans. C’est désormais auprès de la National City Bank de New York que les emprunts se font.
Savez-vous, chers collègues, qu’au bout du compte Haïti a trop remboursé au titre de la dette ? En 1907, le trop-versé était estimé à 2 millions de francs, soit 9 millions d’euros aujourd’hui. Le trop-perçu se trouve toujours dans les caisses de la Banque de France… La dette d’Haïti n’est donc pas une histoire ancienne ! Nous sommes en pleine actualité, ce que manifeste le caractère excessif des propos sarcastiques du président de la République Emmanuel Macron laissant entendre, à New York, que la situation actuelle d’Haïti ne serait due qu’à l’impéritie des Haïtiens eux-mêmes…
L’impact de cette double dette, qui n’est plus à démontrer, est largement documenté : elle a été un frein évident au développement d’Haïti. Et c’est bien la France qui en est responsable. Dans ces conditions, les demandes de remboursement formulées par le mouvement Lavalas et le gouvernement du président Aristide le 7 avril 2003 – qui estimaient la réparation à hauteur de 21 milliards de dollars – peuvent être considérées comme légitimes. Tout comme fut légitime la reconnaissance, en 2015, d’une dette morale de la France, lorsque le président Hollande affirma – avant d’être, hélas, immédiatement désavoué par le Quai d’Orsay : « Quand je viendrai à Haïti, j’acquitterai à mon tour la dette que nous avons. »
Dans un tel contexte, il faut saluer les travaux de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage, qui a publié la note « La double dette d’Haïti (1825-2025)-Une histoire actuelle » à l’occasion de ce triste bicentenaire, ainsi que les travaux de référence de l’historienne haïtienne spécialiste de la dette, Mme Gusti-Klara Gaillard-Pourchet. Le 17 avril 2025, cette dernière s’est vu confier par le président de la République l’animation, aux côtés du diplomate Yves Saint-Geours, d’une commission chargée d’évaluer l’impact de l’indemnité financière imposée par la France et de formuler des recommandations.
Cette démarche nécessaire de justice et de vérité, que nous soutenons, est l’objet de la proposition de résolution que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine soumet aujourd’hui à l’Assemblée. Nous vous invitons à faire en sorte qu’après deux cents ans, le gouvernement français reconnaisse enfin le caractère indu de la double dette d’Haïti et prenne en considération les demandes de réparation formulées par le gouvernement haïtien et les instances internationales à travers l’ONU.
En tant que Martiniquais et Caribéen, je suis très fier d’avoir présenté cette proposition de résolution et je remercie mon groupe de me l’avoir permis ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à M. Emeric Salmon.
M. Emeric Salmon
Le groupe Rassemblement national exprime son opposition à la demande formulée par le groupe GDR concernant une prétendue obligation pour la France d’engager un processus de réparation à l’égard d’Haïti, au titre de la double dette historique contractée au XIXe siècle.
Tout d’abord, si l’histoire doit être connue, analysée et assumée avec lucidité, il nous faut éviter l’anachronisme moral. Le monde du XIXe siècle obéissait à des logiques, des équilibres de puissance et des normes juridiques qui ne peuvent être jugées uniquement à l’aune des valeurs d’aujourd’hui. L’indemnité versée par Haïti en 1825, certes douloureuse, s’inscrivait dans un contexte international où l’indépendance n’était jamais gratuite, ni pour les colonies ni pour les nations émergentes. Il ne s’agissait pas uniquement d’une volonté unilatérale de domination française, mais d’un compromis politique dans un cadre post-napoléonien marqué par l’instabilité et la nécessité de la reconnaissance diplomatique.
M. Stéphane Peu
C’est incroyable !
M. Emeric Salmon
Ensuite, vouloir aujourd’hui chiffrer, isoler et réparer un épisode aussi complexe de notre histoire commune pose une série de problèmes pratiques et philosophiques. Où fixer la limite ? Quelle période choisit-on de réparer ? La dette a-t-elle été imposée ou acceptée comme prix de la reconnaissance internationale ? (Protestations sur les bancs du groupe GDR.)
M. Davy Rimane
N’importe quoi !
M. Emeric Salmon
Comment intégrer, dans ce débat, les prêts contractés avec des banques privées, notamment la Banque de France, sans brouiller la responsabilité publique ?
Par ailleurs, cette revendication soulève des risques de précédents dangereux. (M. Jean-Philippe Nilor s’exclame.)
Mme Karine Lebon
C’est vous qui êtes dangereux !
M. Emeric Salmon
D’autres nations pourraient exiger réparation pour des faits historiques similaires, menaçant l’équilibre diplomatique et économique mondial. Une politique de repentance indéfinie, sans cadre juridique international clair, ouvre la voie à des tensions et à des polarisations que nous devons éviter.
M. Davy Rimane
Vous avez créé de l’instabilité partout où vous êtes passés !
M. Emeric Salmon
Cela ne signifie pas que la France doit se détourner d’Haïti. Au contraire ! Nous devons renforcer nos partenariats dans le respect mutuel, soutenir le développement, aider à la stabilité démocratique et encourager les initiatives éducatives, économiques et environnementales. C’est dans la solidarité d’aujourd’hui que se construit une réparation morale bien plus concrète et efficace que toute compensation financière rétroactive.
Enfin, ne perdons pas de vue la situation actuelle d’Haïti : instabilité politique, crises humanitaires, insécurité endémique. C’est là que se trouve notre responsabilité présente. Engageons-nous à l’endosser avec dignité mais ne prenons pas le risque de figer l’avenir dans une lecture unilatérale du passé. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Jean-Philippe Nilor
Révisionniste !
M. le président
La parole est à M. Daniel Labaronne.
M. Daniel Labaronne
Le débat qui nous réunit aujourd’hui transcende les clivages partisans. Il convoque l’histoire, engage notre mémoire collective et dessine les contours d’un avenir que nous souhaitons, avec lucidité et responsabilité, plus juste et plus fraternel.
La relation entre la France et Haïti est ancienne, profonde et singulière.
M. Frédéric Maillot
Et sanglante !
M. Daniel Labaronne
Haïti, en 1804, devenait la première république noire libre de l’histoire moderne après une révolution qui fit vaciller les fondements du système esclavagiste. La reconnaissance de cette liberté par la France est intervenue en 1825 mais, vous l’avez rappelé, elle fut conditionnée à une indemnité colossale, imposée sous la menace, au bénéfice des anciens colons français.
Cette dette de l’indépendance et les emprunts contractés pour l’honorer ont entraîné une spirale de dépendance dont les conséquences ont pesé lourdement et durablement sur le destin d’Haïti – et c’est encore le cas aujourd’hui, dans le contexte de fragilité que connaît cet État.
Il ne s’agit pas de rejuger l’histoire, mais de l’assumer. C’est ce qu’a fait le président de la République, en avril dernier, à l’occasion du bicentenaire de cette reconnaissance. Dans un discours puissant, il a reconnu « la force injuste de l’histoire » et souligné que la liberté d’Haïti avait été tarifée. Il nous a appelés, collectivement, à affronter cette vérité, non pour diviser mais pour réparer.
Ce regard lucide, cette parole forte doivent désormais s’incarner dans des actes. Tel est le sens de la création, à l’initiative du président, d’une commission mixte franco-haïtienne d’historiens et d’experts. Indépendante et rigoureuse, elle est dotée d’un mandat exigeant : documenter les faits, explorer deux siècles de mémoire, analyser l’impact de l’indemnité de 1825 et surtout proposer des recommandations pour construire une relation renouvelée entre la France et Haïti qui repose sur l’écoute, le respect et la solidarité. Notre groupe salue cette méthode fondée sur la vérité historique, sur le dialogue entre les nations et sur l’humilité qui sied aux grandes démocraties.
L’État d’Haïti traverse aujourd’hui une crise d’une gravité extrême. Les institutions sont désagrégées. Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, il n’y a plus de parlement, plus d’élections, plus de légitimité démocratique. La violence des gangs a plongé le pays dans le chaos. Les affrontements sont quotidiens, les enlèvements se multiplient, des familles sont forcées de fuir leur domicile, les services essentiels sont à l’arrêt. Face à cette situation, la France a pris ses responsabilités. Elle a participé aux discussions internationales, notamment sous l’égide de la Caricom – la communauté des Caraïbes –, en appui d’une transition politique apaisée.
Au-delà de l’urgence, notre pays poursuit un travail de fond. Depuis 2017, il s’est engagé dans une action résolue pour renforcer la coopération avec Haïti en mobilisant à la fois son réseau diplomatique, ses opérateurs de développement et sa voix dans les enceintes internationales. Plus de 160 millions d’euros ont été mobilisés, à travers l’Agence française de développement, pour soutenir des projets dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’accès à l’eau et de la gouvernance locale. Le programme d’appui à la résilience du système de santé ou encore le soutien à la modernisation des administrations publiques et au renforcement des collectivités territoriales illustrent cette stratégie de long terme.
Cet engagement discret mais constant repose sur une conviction simple : accompagner Haïti dans le renforcement de ses capacités et de ses institutions est à la fois un choix de cohérence et une responsabilité politique. À travers les travaux engagés par le président de la République et le dialogue ouvert avec les autorités haïtiennes, nous avançons, ensemble, sur une voie aussi exigeante qu’essentielle. (M. Jean-Paul Mattei applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.
Mme Gabrielle Cathala
« Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné / Comme une terre en labours / Peuple défriché pour l’enrichissement / Des grandes foires du monde / Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle / Nul n’osera plus couler des canons et des pièces d’or / Dans le noir métal de ta colère en crue. »
Ces vers sont extraits d’un poème de René Depestre. Il me semble opportun de les citer à l’heure où Donald Trump menace encore les Haïtiens, où Haïti vit un cataclysme humanitaire et alors que nous sommes réunis pour un débat sur le remboursement de la rançon de l’indépendance imposée par Charles X il y a 200 ans.
Cette rançon constitue un fait inédit dans l’histoire mondiale : la France coloniale, humiliée d’avoir perdu sa colonie la plus riche, a fait payer à des anciens esclaves théoriquement libres une indemnité destinée à leurs anciens maîtres. Elle s’est vengée d’Haïti et lui a fait payer son orgueil d’être devenue la première république noire indépendante.
Au crime d’esclavage a donc succédé celui de la spoliation postcoloniale, doublé de celui de l’indifférence et de l’oubli. Car qui connaît cette histoire longtemps restée taboue ? Où est-elle dans les manuels scolaires de nos enfants ? Nulle part.
Le peuple haïtien a pourtant subi le crime d’esclavage, un crime contre l’humanité commis par la France monarchique, soit la privation de tous les droits humains, la transformation d’un être en marchandise.
Lorsque la révolution haïtienne éclate en 1791, la colonie de Saint-Domingue est peuplée de 500 000 esclaves. En 1789, la grande Révolution a été perçue comme un espoir par les esclaves. « Tous les hommes naissent libres et égaux en droits. » Pourtant, l’Assemblée nationale a trahi nos frères des Antilles puisqu’il y a été décidé, par un vote en 1790, que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen s’appliquerait partout sauf dans les colonies françaises.
C’est donc l’honneur de la Ière République d’avoir proclamé la fin de l’esclavage en 1794 et intégré les Haïtiens en tant que citoyens. N’oublions jamais que, face aux crimes de l’Ancien Régime, au reniement de la monarchie constitutionnelle et au bonapartisme, seule la République a défendu, par des actes, les principes humanistes qui fondent notre culture politique.
Oui, il faut se rappeler qu’avant que le roi Charles X n’écrase Haïti, la Convention et Toussaint Louverture marchaient ensemble, main dans la main, réunis par une seule ambition : Liberté, Égalité, Fraternité. Ainsi, lorsqu’en 1825 la France royaliste revient à Haïti avec 528 canons pour la rançonner, il faut le comprendre comme une injure faite à la France. En contraignant Haïti à payer 150 millions de francs-or aux anciens propriétaires d’esclaves, Charles X a commis un acte impérialiste indéfendable. Il a aussi blessé au cœur les principes qui nous unissent : le respect de tous les droits humains, la fraternité entre des peuples libres et égaux, le refus du crime et l’amour du droit.
On parle de double dette parce que, pour la payer, Haïti a été contrainte de contracter des emprunts auprès de banques françaises. À l’évidence, Haïti aura payé ! Pendant plus de cent ans, jusqu’en 1952, jusqu’au dernier centime. Le paiement de cette dette a plongé Haïti dans la spirale du sous-développement – un mot que l’on utilise en Occident. (M. Stéphane Peu applaudit.) Les traitements de la dette ont représenté la moitié des revenus annuels d’Haïti. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR.)
M. Stéphane Peu
Exactement !
Mme Gabrielle Cathala
Cette double dette a produit une tutelle financière inique et créé un appel d’air pour tous les impérialismes occidentaux. Elle a ouvert la voie aux États-Unis qui, en 1914, ont agressé Haïti, volé 500 000 dollars en or, puis occupé le pays pendant dix-neuf ans sous prétexte qu’Haïti devait de l’argent aux financiers de Wall Street. Voilà bien encore une conséquence de la double dette.
En vérité, l’économie haïtienne a été durablement transformée en une rente postcoloniale qui profite à des actionnaires occidentaux. Sans la double dette, les économistes ont calculé qu’Haïti aurait eu le même PIB que sa sœur, sa voisine, la République dominicaine. Cela signifie que la France coloniale a contribué à diviser par six le PIB d’Haïti.
Nous, députés, devons donc clairement affirmer que la France doit rompre avec ce passé impérialiste. Même si la dette morale n’est pas réparable, la reconnaître nous permettra de construire une coopération égalitaire avec le peuple haïtien, fondée sur le respect mutuel et la solidarité.
Jusqu’à nos jours, Haïti n’a jamais bénéficié d’un traitement honnête en tant qu’État souverain. Nous devons écouter nos amis haïtiens quand ils nous parlent de reconnaissance, de coopération, de réparation, d’initiatives mémorielles communes, voire, comme aujourd’hui, de remboursement.
Au-delà, il nous faut réparer notre relation avec Haïti : réparer les préjudices passés, réparer nos programmes de coopération, réparer cette société qui souffre tant. Réparer pour se projeter vers l’avenir. C’est en reliant ainsi passé et futur, mémoire et projets communs, entraide et solidarité, que nous pourrons passer d’un modèle fondé sur l’aide humanitaire à une relation marquée par l’égalité, le respect et le développement partagé.
Haïti n’est pas un pays pauvre, mais un pays pillé. Haïti est la fille jumelle de la Révolution de 1789 et il ne tient qu’à nous de tendre la main à notre république sœur, qui a tant besoin de notre solidarité. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, GDR et EcoS.)
M. Jean-Victor Castor
Excellent !
M. le président
La parole est à Mme Béatrice Bellay.
Mme Béatrice Bellay
Cécile Fatiman, Dutty Boukman, Toussaint Louverture, Sanité Bélair, Jean-Jacques Dessalines. Leurs noms résonnent encore aujourd’hui car il furent les témoins d’un peuple qui, entre 1791 et 1804, a renversé l’ordre esclavagiste et colonialiste et fondé la première république noire indépendante.
Haïti n’a pas seulement conquis son indépendance : elle a ouvert la voie à l’abolition de l’esclavage, défiant les empires coloniaux. Cette victoire a changé l’histoire des droits humains. Elle a aussi dérangé l’ordre du monde.
Toutefois, à cet acte d’émancipation a succédé une injustice majeure. En 1825, la France a exigé d’Haïti, sous menace militaire – il ne s’agissait pas d’un gage ou d’un simple deal –, la somme de 150 millions de francs-or pour indemniser les anciens colons, en guise de compensation. Cette dette, acquittée pendant plus d’un siècle, représente aujourd’hui l’équivalent de plusieurs milliards d’euros. Elle a étouffé l’économie et la démocratie haïtiennes dès leur naissance, empêchant la consolidation d’un État stable, autonome et prospère – ce qu’elle était déjà.
Haïti est la seule nation à avoir dû payer le prix de sa liberté. Cette dette fut une erreur historique, politique et morale. Elle a lancé un cycle de dépendance et de fragilité budgétaire, sous la pression internationale, dont le peuple haïtien subit encore les conséquences.
La France a une grande part de responsabilité dans cette dette imposée. Le reconnaître, diront certains, ce n’est pas s’accuser. Pourtant, il y a bien des coupables et la France en fait partie. Admettre la vérité, c’est regarder l’histoire avec lucidité, non d’une façon passéiste mais en étant attentif à la situation que vivent au quotidien, aujourd’hui, nos compatriotes haïtiennes et haïtiens. Admettre la vérité, c’est regarder l’histoire sans en négliger certains pans. Il ne faut pas la travestir, ni même se cacher derrière le maigre voile d’un roman national français émancipateur – car celui-ci n’effacera pas les faits historiques.
La récente annonce d’une commission mémorielle franco-haïtienne peut constituer une étape. Cependant elle ne saurait suffire, pas plus que la reconnaissance d’une dette morale, reconnue par le président Hollande. Sa pa ka vo ayen – ça ne vaut pas grand-chose – face aux vies abîmées, aux avenirs individuels saccagés, à l’exil forcé. Les mots, à eux seuls, ne réparent pas. Le temps du symbole ne peut éternellement repousser celui des actes concrets.
Il n’est pas question ici de réclamer une repentance, mais la justice. Haïti ne demande pas l’aumône. Elle veut que soit reconnue, avec sérieux, la réalité. Car ce qui lui a été pris, arraché, volé, ce sont les moyens de son propre avenir. La crise actuelle que traverse Haïti – insécurité, famine, migrations forcées, effondrement des services publics, mais aussi de l’organisation politique – ne saurait être interprétée comme une défaillance de son peuple. Elle est aussi l’héritage d’un système international colonial injuste, auquel la France a contribué.
Notre responsabilité est claire : nous devons reconnaître cette histoire, non pour nous y enfermer, mais pour contribuer à la réparation. Cette double réparation doit prendre des formes variées : un soutien financier spécifique, des partenariats de développement sur la durée, une sécurisation – peut-être même militaire – du pays, un acte de reconnaissance solennel, un geste politique à la hauteur de l’histoire. Haïti a besoin de paix, les Haïtiennes et les Haïtiens de sécurité.
Haïti n’est pas une ruine. C’est un pays dont la culture, la littérature et la dignité rayonnent. De Jacques Roumain à Edwidge Danticat, de Frankétienne à Dany Laferrière, ce peuple a offert au monde une parole forte, libre et profondément humaine.
I tan pou Ayiti suspend pédi – il est temps qu’Haïti ne soit plus mise en défaite ! Nou Matnijé, nou la épizot, fré et sé Ayiti – nous, Martiniquais, nous sommes là, aux côtés de nos frères et sœurs haïtiens !
Mes chers collègues, rendre justice à Haïti, ce n’est pas solder le passé : c’est ouvrir un avenir. C’est restaurer l’honneur d’une République qui se veut attachée à l’universel. C’est faire de notre mémoire un levier de coopération, non un écran de pudeur. Il est temps de dire clairement que la liberté ne se paie pas et que, lorsque celle d’un peuple l’a été, il a droit à la réparation. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NFP, EcoS, LIOT et GDR.)
M. le président
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
Cet hémicycle a rendez-vous avec l’histoire, pas celle que l’on glorifie dans les manuels scolaires mais celle qui a longtemps été tue, celle d’un peuple noir libre que la France a contraint à racheter sa liberté.
Le 1er janvier 1804, Haïti devient la première république noire indépendante du monde. C’est une victoire arrachée par d’anciens esclaves contre l’armée la plus puissante de l’époque, celle de l’Empire français ; une insurrection victorieuse, antiesclavagiste, anticoloniale, qui a été une leçon de liberté pour nombre de peuples. La France quittera donc Haïti, mais elle y reviendra en 1825, lorsque Charles X imposera par la menace militaire le paiement d’une rançon de 150 millions de francs-or pour indemniser les anciens colons, pour compenser, dit-on, la perte de ce que la France n’aurait jamais dû posséder : des êtres humains.
Ce à quoi la France s’est livrée ce jour-là, c’est à une extorsion, à une punition, à une leçon de soumission infligée à tout un peuple colonisé qui avait osé, vingt ans plus tôt, prendre sa liberté sans permission. La France orgueilleuse, enivrée de désir de domination, ne supportait pas l’idée qu’on lui tînt tête.
Pourtant, Haïti a payé, jusqu’au dernier centime. Elle ne l’a pas seulement fait avec une montagne d’argent, mais aussi avec ses terres bradées, son économie saignée et ses générations sacrifiées. Cette dette n’était pas un contrat mais une camisole. Pour y faire face, Haïti n’a eu d’autre choix que de replonger dans l’engrenage de l’endettement, d’abord auprès des banques françaises, puis des banques britanniques et américaines, livrant jusqu’à ses recettes douanières à des créanciers étrangers. L’indépendance arrachée par le sang a été rachetée au prix fort, non pour la liberté, mais pour rester debout.
C’est cela, la double dette : une première dette imposée par les chaînes de l’esclavage, une seconde scellée par celles de la finance. Haïti a brisé les chaînes du maître mais la France l’a mise aux fers de la dette, dont elle paie encore le prix. Cette dette n’est pas un chapitre clos mais la matrice d’un désastre. Reconnaître cela, ce n’est pas s’accabler : c’est réparer, c’est refuser que notre République continue de prospérer sur des dettes impayées d’injustice.
Cette proposition de résolution ne propose pas un chèque, mais une démarche : une commission indépendante, une reconnaissance officielle, une coopération mémorielle. Elle ne demande pas la charité, mais exige ce qui a été refusé si longtemps aux Haïtiens : la justice.
À ceux qui craindraient que ce geste crée un précédent, je réponds que cette dette est unique et documentée. Elle a été extorquée par la France à un État souverain. Ce n’est pas un cas général, c’est un cas d’école. À ceux qui disent qu’il ne faut pas rouvrir les plaies, je dis qu’elles sont encore béantes. L’injustice continue tant qu’elle n’est pas reconnue.
Haïti n’est pas un pays pauvre : c’est un pays appauvri par la privation méthodique de ses ressources – sucre, café, tabac –, de ses moyens et de son droit à l’autodétermination ; un pays appauvri par des siècles de pillage colonial, durant lesquels ses richesses ont alimenté l’économie française au prix du sang et de la sueur des esclaves ; un pays appauvri par une dette imposée sous la menace des canons, puis par les intérêts d’un système bancaire complice. Lorsque les chaînes visibles ont été brisées, ce sont les chaînes invisibles du néocolonialisme qui ont pris le relais : blocus économique, tutelles internationales, missions d’occupation déguisées, ingérences politiques permanentes jusqu’à l’an dernier, lorsque notre président de la République insultait les dirigeants haïtiens, qu’il estimait « complètement cons ».
L’État haïtien, depuis sa naissance, n’a jamais pu se construire librement. Chaque tentative d’affirmation de sa souveraineté a été étouffée par des puissances qui ne supportaient pas qu’un peuple noir se gouvernât lui-même. Sur la liste des premiers responsables de cet appauvrissement, il y a un nom qu’on ne peut ignorer : celui de la République française. La France a tiré profit d’Haïti en esclavagiste, l’a saignée en créancière et l’a abandonnée en donneuse de leçons.
Ce qui est proposé ici, c’est un autre récit, dans lequel la France ne se contente plus de dénoncer l’esclavage du passé mais assume aussi les conséquences économiques de son système colonial. Ce texte est anticolonial et, pour cette raison même, profondément républicain. Son examen est l’occasion, pour notre assemblée, de poser l’acte fondateur d’une diplomatie postcoloniale, une diplomatie de la vérité.
Mes chers collègues, pour que la France soit grande, elle doit être juste. Nous voterons pour ce texte, pour l’honneur de la France et pour l’avenir d’Haïti. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC, LIOT et GDR.)
M. Jean-Paul Lecoq
Grande voix sur ce sujet !
M. le président
La parole est à M. Frantz Gumbs.
M. Frantz Gumbs
Nous examinons une proposition de résolution qui vise à reconnaître l’injustice historique infligée par la France à Haïti au moment même où nous célébrons le bicentenaire de son indépendance, arrachée de haute lutte en 1804 mais reconnue seulement en 1825, au prix d’une dette exorbitante exigée par le roi Charles X. Cette dette, prétendument indemnitaire, visait à compenser les anciens colons pour la perte de leurs biens, c’est-à-dire leurs esclaves, des hommes. Haïti, jeune nation souveraine, a dû s’endetter lourdement, auprès de banques françaises. C’est ce qu’on appelle la double dette, une dette remboursée jusqu’en 1952, qui a durablement entravé le développement d’Haïti et de son économie.
Deux siècles plus tard, le retard alors pris s’est encore aggravé, sous l’effet de facteurs multiples : Haïti est l’un des pays les plus pauvres de la planète, ravagé par la violence et l’insécurité, l’instabilité politique, les catastrophes naturelles et la fragilité institutionnelle. Ce n’est pas seulement le passé qui nous interpelle : c’est aussi et surtout l’urgence du présent.
Je salue cette proposition de résolution pour la volonté dont elle témoigne de reconnaître l’injustice, de comprendre ses conséquences, d’envisager une démarche de restitution et de poursuivre le travail de mémoire franco-haïtien. La création récente d’une commission binationale va dans ce sens.
J’aimerais exprimer une conviction personnelle, qui ne contredit pas cette démarche mais la prolonge. Pour assumer notre responsabilité envers Haïti, ni un geste symbolique, ni un mot, ni même une somme d’argent ne suffisent. Face à l’état du pays, je suis résolument partisan d’un accompagnement actif de la reconstruction d’Haïti, qui mise sur ce que la France peut apporter de mieux : son savoir-faire administratif, sa solidité institutionnelle et judiciaire.
En effet, nos institutions sont parmi les plus robustes du monde en matière d’organisation de l’État, de formation des cadres, de structuration des territoires. Si la France veut réparer, elle peut le faire, non pas à la place du peuple haïtien – c’est absolument fondamental –, mais bien à ses côtés, en accompagnant les forces vives, les administrations locales, les jeunes générations qui veulent rebâtir leur pays sur des fondations stables. Je crois profondément que ce type de coopération est à la fois plus utile, plus durable et plus respectueux que toute autre forme d’aide ponctuelle ou purement financière. Il ne s’agit pas ici de nier la nécessité de la mémoire ni le principe de la justice réparatrice, mais de souligner que la réparation sans reconstruction serait incomplète et que la mémoire sans avenir ne suffit pas.
Le groupe Les Démocrates votera en faveur de cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe LIOT), avec l’espoir qu’elle soit le premier moment non pas d’un regard lancé vers le passé, mais d’un engagement tourné vers l’avenir, un avenir dans lequel Haïti, forte de son histoire, pourra compter sur l’appui sincère, compétent et fraternel de la République française. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, SOC, EcoS, LIOT et GDR.)
M. le président
La parole est à M. Pierre Henriet.
M. Pierre Henriet
La proposition de résolution que nous examinons invite la France à reconnaître officiellement l’injustice historique que constitue la double dette imposée à Haïti par l’ordonnance royale du 17 avril 1825 et à en examiner les conséquences, ainsi que les perspectives de réparation.
Cette dette, mes chers collègues, n’est pas une simple question comptable relevant du passé. Elle est au cœur de l’un des paradoxes les plus douloureux de notre histoire : celui d’un peuple d’esclaves affranchis qui, après avoir remporté son indépendance au prix du sang et de l’héroïsme, a dû payer une indemnité exorbitante à ses anciens maîtres pour être reconnu comme nation souveraine.
En 1804, Haïti devient la première république noire libre et indépendante, fruit d’une révolution anti-esclavagiste unique dans l’histoire mondiale. Pourtant, pendant plus de vingt ans, la France refuse de reconnaître cette indépendance et maintient l’île dans un isolement diplomatique et économique asphyxiant. En 1825, le roi Charles X rompt ce silence en acceptant de reconnaître Haïti, mais au prix d’une rançon colossale : 150 millions de francs-or, soit trois années de production haïtienne, destinés à dédommager les anciens colons pour la perte de ce qu’ils appelaient « leurs biens », à savoir des êtres humains réduits en esclavage. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et LIOT.)
Imposée par la force d’une flotte de guerre, cette dette a contraint Haïti à s’endetter massivement auprès des banques françaises, lançant un cycle d’endettement structurel qui allait peser sur la jeune république pendant plus d’un siècle. Même après la renégociation de cette indemnité à 90 millions de francs en 1838, Haïti n’a terminé de rembourser ses créanciers qu’en 1952, soit 127 ans après la signature de l’ordonnance.
Ce fardeau financier ne peut expliquer seul les instabilités politiques, les tensions sociales et les fragilités de l’État haïtien, mais son impact sur le développement d’Haïti est indéniable. En absorbant les revenus de l’État par le service de la dette, il a empêché la construction d’infrastructures, l’investissement dans l’éducation, la santé ou l’industrialisation.
M. Max Mathiasin
Très bien !
M. Pierre Henriet
L’examen de cette proposition de résolution prend aujourd’hui une signification particulière. En ce bicentenaire de l’ordonnance de 1825, nous avons le devoir moral de regarder cette histoire en face. La France a déjà fait des pas importants : la loi Taubira de 2001 a reconnu la traite négrière et l’esclavage comme crimes contre l’humanité, la Fondation pour la mémoire de l’esclavage œuvre à la transmission de cette mémoire et le président Hollande avait reconnu en 2015 l’existence d’une dette morale, ouvrant la voie à des programmes de développement à hauteur de 130 millions d’euros. Plus récemment, le président de la République a instauré une commission mixte franco-haïtienne d’historiens chargée d’examiner en profondeur ce passé commun et de formuler des recommandations.
Toutes ces initiatives sont importantes. Elles démontrent une volonté sincère de reconnaître la responsabilité historique de la France. Mais elles n’effacent pas totalement le traumatisme originel : on a fait payer la liberté à ceux qui l’avaient conquise au prix du sang. La proposition de résolution que nous examinons ne se contente pas de rappeler cette injustice : elle invite à reconnaître officiellement cette faute historique, à mesurer ses conséquences sur la société haïtienne et à envisager, avec rigueur et transparence, la possibilité d’une réparation, non pas sous la forme d’un chèque en blanc,…
M. Marcellin Nadeau
Un vrai chèque vaudrait mieux !
M. Pierre Henriet
…mais par une réflexion collective sur les modalités les plus adaptées, dans un esprit de justice réparatrice et de concorde universelle.
Certes, il est légitime de s’interroger sur les implications financières et juridiques d’une telle démarche et il est nécessaire de veiller à la bonne utilisation de toute aide qui serait apportée, étant donné la situation politique complexe d’Haïti aujourd’hui. Mais ces interrogations ne sauraient servir de prétexte pour refuser un geste historique de reconnaissance et de solidarité.
En soutenant cette proposition de résolution, nous affirmons la cohérence de la France avec ses valeurs universelles que sont la liberté, l’égalité et la fraternité (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Éric Martineau applaudit également), nous montrons au peuple haïtien et à la communauté internationale que la France sait regarder son passé en face et nous affirmons qu’il est possible de construire une relation renouvelée et équilibrée avec Haïti, une relation fondée sur la vérité, sur le respect et sur la dignité.
Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et Dem.)
M. le président
Sur la proposition de résolution, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Max Mathiasin.
M. Max Mathiasin
L’esclavage a été instauré à l’occasion des conquêtes françaises et européennes dans les Antilles et dans les Amériques. Au moment où ce système de production est établi, l’esclavage n’existe nulle part en Europe. On ne peut donc pas dire qu’il s’agit d’un mode de production normal. Il est basé sur la conviction – explicable selon ceux qui ont instauré ce système – qu’il y a des hommes supérieurs à d’autres, que certains êtres humains sont inférieurs, voire n’en sont pas vraiment.
Parler aujourd’hui de l’indemnisation d’Haïti, c’est-à-dire de ce que la France doit à Haïti, me paraît une évidence. Rappelons que 150 millions de francs-or de l’époque représenteraient aujourd’hui, selon Thomas Piketty, que je considère comme un économiste sérieux, entre 40 milliards et 50 milliards d’euros. Il faut que nous ayons le courage de regarder les choses en face : cette ordonnance était inique ; ni l’Europe ni l’Amérique n’ont accepté l’indépendance d’Haïti le 1er janvier 1804 – une indépendance payée chèrement en vies humaines, en courage, en détermination et en sacrifices.
Dès lors, la question de l’indemnisation ne se pose pas. L’histoire ne peut pas être jugée à l’aune de la morale ou de l’éthique. Il ne s’agissait pas d’une convention entre les Haïtiens et la France, mais d’une indépendance arrachée par de lourdes années de combats et de sacrifices face aux vétérans de l’armée napoléonienne. La question ne se pose pas non plus en termes économiques, car on ne peut pas refaire l’histoire.
Le groupe LIOT demande que la proposition de résolution soit adoptée et que l’indemnisation d’Haïti soit parfaite. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe GDR. – Mme Béatrice Bellay applaudit également.)
Au passage, puisque mon groupe a demandé l’abrogation du code noir, j’espère que nous reviendrons bientôt sur la question de l’indemnisation des colons des Antilles – quand je dis « nous », je pense à tous les Antillais : les Guadeloupéens, les Martiniquais, les Réunionnais, les Saint-Martinois,…
M. Davy Rimane
Les Guyanais !
M. Max Mathiasin
…sans oublier les Guyanais. (Sourires.) Après l’abolition de l’esclavage, en 1848, les colons ont été dédommagés sur la base de l’évaluation de leur cheptel et de leurs biens meubles. (« Eh oui ! » sur de nombreux bancs du groupe GDR.) L’histoire est allée à contresens, dans une injustice que je qualifierai de sacrificielle pour notre peuple, qui ne pourra pas véritablement libérer sa conscience tant que les sommes versées à titre d’indemnisation aux propriétaires d’esclaves ne seront pas reversées à La Réunion, à la Guadeloupe, à la Martinique, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et à la Guyane. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC ainsi que sur de nombreux bancs des groupes LFI-NFP et Dem.)
M. le président
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux.
M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué chargé de la francophonie et des partenariats internationaux
Haïti vit actuellement l’une des plus graves crises de son histoire contemporaine. Sous la pression conjuguée de la violence des gangs criminels, d’une détresse humanitaire sans précédent et de la remise en cause des autorités de transition, c’est tout un pays qui lutte pour sa survie. La France, en tant que pays caribéen, ne peut rester indifférente à cette souffrance. Nos deux pays ont en commun une histoire, des liens culturels et linguistiques profonds. Nos compatriotes d’outre-mer, en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane ou à Saint-Martin, expriment leurs préoccupations face à la situation critique de leur voisin.
Notre devoir aujourd’hui n’est pas seulement celui de la solidarité : c’est aussi celui de la constance de nos actions aux côtés de nos partenaires. Depuis plusieurs mois, Haïti est engagée dans une transition politique. L’accord du 3 avril 2024 a ainsi permis la mise en place d’un conseil présidentiel de transition et d’un gouvernement, avec deux priorités principales : restaurer la sécurité et organiser un processus électoral crédible et légitime qui permette de rétablir les autorités constitutionnelles. La France salue ces efforts et réitère son soutien aux Haïtiens face à une situation qui ne cesse de se dégrader.
La situation sécuritaire est alarmante, disais-je. En effet, la progression des gangs criminels entrave l’économie, qui est en récession depuis 2019, et les populations les plus pauvres sont les premières victimes de cette violence : l’année 2024 avait déjà été marquée par 5 600 morts et un million de déplacés ; depuis le début de l’année 2025, près de 1 500 personnes ont perdu la vie et plus de 78 000 Haïtiennes et Haïtiens ont été déplacés. Les services publics sont paralysés, la moitié de la population haïtienne souffre de la faim, le viol est devenu une arme de guerre et une méthode d’intimidation pour les gangs.
Face à la violence des gangs, les forces de sécurité haïtiennes sont courageuses et je tiens à saluer leur bravoure dans l’accomplissement de leur mission. Mais elles sont malheureusement insuffisantes en nombre et faiblement dotées. La France leur apporte un appui important, avec des formations assurées par nos unités d’élite du Raid – recherche, assistance, intervention, dissuasion – et de l’Ofast – Office français anti-stupéfiants. Nous apportons également un soutien en équipement à la police et, depuis l’année dernière, nous appuyons les forces armées d’Haïti par des formations assurées en Martinique. Par ailleurs, nous soutenons le déploiement de la mission multinationale d’appui à la sécurité dirigée par le Kenya.
Contributeur à hauteur de 40 millions d’euros en 2024 à l’aide humanitaire et au développement, nous sommes le troisième bailleur bilatéral d’Haïti, derrière les États-Unis et le Canada. Nous sommes également, avec l’Espagne, le dernier État européen à maintenir une présence diplomatique permanente à Port-au-Prince et notre ambassade, dont les équipes font preuve d’un courage admirable dans des conditions extrêmes, incarne l’engagement de notre pays : je tiens à saluer ici leur sang-froid et leur dévouement.
Au-delà de l’urgence, 2025 est une année de la mémoire : elle marque le bicentenaire de la reconnaissance par la France de l’indépendance d’Haïti, proclamée unilatéralement en 1804. Mais cette reconnaissance s’est faite au prix d’une indemnité exigée par une ordonnance de Charles X, en date du 17 avril 1825, visant à compenser les anciens colons français pour la perte de leurs « propriétés ».
La France a depuis choisi de regarder son histoire en face. Le 17 avril dernier, le président de la République a solennellement reconnu l’injustice historique que constitue cette indemnité exigée à la première république noire libre du monde. Il a également réaffirmé que notre mémoire commune devait être vivante, partagée et transmise aux nouvelles générations. Ainsi, nos deux pays ont créé une commission indépendante, coprésidée par M. Yves Saint-Geours pour la partie française et par Mme Gusti-Klara Gaillard-Pourchet pour la partie haïtienne, commission chargée d’explorer deux siècles d’histoire, y compris l’impact de l’indemnité de 1825 sur Haïti, et d’aborder les développements de la relation franco-haïtienne au XXIe siècle.
Dans l’immédiat, nous devons continuer d’agir en maintenant notre aide humanitaire, y compris envers les populations haïtiennes expulsées de la République dominicaine, pour lesquelles nous avons versé 2 millions d’euros en 2024, mais aussi en appuyant les autorités dans leur lutte contre les gangs – 11 millions d’euros de soutien sécuritaire depuis 2023 –, en renforçant les sanctions internationales – la France a été à l’origine de plusieurs désignations de chefs de gangs et de leurs financiers auprès des autorités communautaires, et d’autres noms suivront –, en soutenant le processus électoral haïtien – la France a versé 750 000 euros à l’Organisation internationale de la francophonie en ce sens – et en maintenant notre soutien à la jeunesse haïtienne – plus de 4 000 étudiants poursuivent leurs études en France et nous les accompagnons dans leurs projets pour leur avenir.
M. Davy Rimane
Et la Guyane ?
M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué
La France appelle à une implication accrue des Nations unies dans la stabilisation d’Haïti. Mais la mission multinationale d’appui à la sécurité, à laquelle nous contribuons, doit gagner en efficacité et en légitimité. Si le secrétaire général de l’ONU a pour l’heure écarté sa transformation en opération de maintien de la paix, la France reste ouverte à toute évolution permettant de restaurer durablement la sécurité.
Haïti n’est pas un pays lointain. C’est une île voisine, une sœur.
Un député du groupe GDR
Drôle de façon de traiter sa sœur !
M. Thani Mohamed Soilihi, ministre délégué
La France n’oublie pas que ce pays s’est libéré en prônant la devise Liberté, Égalité, Fraternité et que sa souveraineté a été arrachée au prix du sang. Sa dignité mérite et méritera toujours notre engagement.
Mesdames et messieurs les députés, notre responsabilité est historique. Elle est morale. Elle est politique. Les Haïtiennes et les Haïtiens attendent plus qu’un soutien : ils attendent notre solidarité dans le respect mutuel. C’est à quoi le gouvernement s’emploie, et je sais pouvoir compter sur votre mobilisation à nos côtés. Le gouvernement s’en remet à la sagesse des députés pour le vote de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et SOC ainsi que sur quelques bancs du groupe GDR.)
Explication de vote
M. le président
La parole est à Mme Béatrice Bellay.
Mme Béatrice Bellay (SOC)
Cette proposition de résolution est d’autant plus pertinente que la France a historiquement reconnu des fautes mais systématiquement évité de procéder à des réparations juridiques ou financières, que ce soit en Haïti, en Algérie ou au Rwanda.
M. Nicolas Sansu
C’est l’arroseur arrosé !
Mme Béatrice Bellay
C’est une solidarité caribéenne que je tiens ici à exprimer. En tant que Martiniquaise, j’affirme que nous ne sommes pas, nous Caribéens et Ultramarins, des témoins extérieurs, mais des parties prenantes d’un destin régional commun. Cette proposition de résolution a donc une dimension géopolitique forte. La voix des outre-mer, notamment celle des Antilles, n’est pas périphérique mais centrale dans les enjeux postcoloniaux.
La revendication portée par la proposition de résolution est historique ; elle est aussi réaliste. La France est vulnérable sur la question des réparations, notamment au regard de la Convention du 26 novembre 1968 sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.
Cette proposition de résolution pousse à rompre avec l’impunité mémorielle et à transformer la mémoire en réparation. À cet égard, je veux évoquer un précédent récent : l’Allemagne a versé 1,1 milliard d’euros à la Namibie en 2021 en reconnaissance du génocide des Herero et des Nama. Monsieur le ministre, cet exemple pourrait servir de cadre juridique et diplomatique pour une démarche de la France envers Haïti. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, LFI-NFP, EcoS et GDR.)
Vote sur l’article unique
M. le président
Je mets aux voix l’article unique de la proposition de résolution.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 65
Nombre de suffrages exprimés 62
Majorité absolue 32
Pour l’adoption 53
Contre 9
(L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble de la proposition de résolution.)(Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR, dont les députés se lèvent, et sur les bancs du groupe Dem.)
Plusieurs députés du groupe GDR
C’est historique !
3. Mesures de justice pour limiter les frais bancaires
Discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Yannick Monnet et plusieurs de ses collègues portant plusieurs mesures de justice pour limiter les frais bancaires (nos 1345, 1476).
Présentation
M. le président
La parole est à M. Yannick Monnet, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Yannick Monnet, rapporteur de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire
Au sein du groupe GDR, nous savons conclure dignement les niches puisque je m’appelle Monnet et que je vais vous parler d’argent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sourires.)
M. Jérôme Guedj
Excellent !
M. Yannick Monnet, rapporteur
La proposition de loi que nous examinons soulève une question de fond : quel rôle souhaitons-nous attribuer aux banques dans notre société ? Ces institutions ne sont pas de simples acteurs économiques : elles gèrent un bien commun, la monnaie, et assurent sa circulation au sein d’un réseau dont chacun dépend au quotidien. En 2008, face à la crise financière, l’État a mobilisé 360 milliards d’euros pour soutenir le système bancaire, dont 40 milliards de recapitalisation, qui n’ont jamais été remboursés. Il est donc légitime d’exiger qu’en retour les banques protègent les usagers et ne tirent pas profit de leur vulnérabilité. Or tel n’est pas le cas.
En facturant des frais bancaires, les banques exploitent la vulnérabilité de leurs clients. Selon le Comité consultatif du secteur financier (CCSF), un compte bancaire sur quatre connaît chaque année au moins un incident de paiement et près d’un foyer sur deux est confronté à un découvert. Si, en moyenne, une personne débourse chaque année 113 euros en frais bancaires, cette moyenne masque des disparités criantes. Une étude de l’Union nationale des associations familiales (Unaf) menée en 2017 révélait ainsi que 20 % des personnes interrogées s’acquittaient de plus de 500 euros de frais liés à des incidents de paiement et à des agios – 500 euros pour un virement arrivé trop tard, pour une dépense imprévue, pour une simple erreur de trésorerie survenant souvent dans une période de grande fragilité personnelle ou familiale. C’est précisément pour cela que les associations familiales parlent d’une « bouée en plomb » : ces frais, loin d’aider à garder la tête hors de l’eau, précipitent encore davantage les ménages en difficulté dans les abysses de la précarité financière.
Certes, des mesures ont été mises en place : des plafonnements ont vu le jour et des offres spécifiques ont été conçues pour les publics les plus fragiles.
M. Daniel Labaronne
Oui !
M. Yannick Monnet, rapporteur
Preuve, s’il en fallait, que l’encadrement des pratiques bancaires s’imposait. Mais ces dispositifs demeurent largement insuffisants pour trois principales raisons. D’abord, parce que les frais bancaires ne cessent d’augmenter : s’agissant des frais de gestion courante, les tarifs des opérations effectuées en agence se sont littéralement envolés : en dix ans, leur coût moyen est passé de 1,43 euro à plus de 17 euros par an – soit une hausse de plus de 1 000 %. Cette inflation tarifaire intervient paradoxalement dans un contexte de raréfaction des agences, de fermeture des guichets et de déshumanisation de la relation bancaire, pénalisant encore davantage les usagers contraints de recourir aux services en présentiel.
À cela s’ajoutent de fortes inégalités territoriales : en 2024, dans les départements et territoires d’outre-mer, les frais de tenue de compte atteignent en moyenne 24,88 euros, soit près de 18 % de plus qu’en métropole.
Mme Karine Lebon
Eh oui !
M. Yannick Monnet, rapporteur
Ensuite, si certains frais bancaires ont été encadrés, nombre d’entre eux échappent encore à tout plafonnement et les établissements bancaires ne manquent pas d’ingéniosité pour en tirer parti, multipliant les lignes tarifaires aux intitulés nouveaux.
M. Emmanuel Maurel
Ça, c’est sûr !
M. Yannick Monnet, rapporteur
L’un des exemples les plus éloquents est celui des lettres de notification annonçant l’approche d’un découvert : facturées parfois plus d’une dizaine d’euros, elles peuvent – paradoxe cruel – précipiter le compte dans le rouge et justifier ainsi la facturation immédiate de frais supplémentaires pour découvert non autorisé !
M. Emmanuel Maurel
Un scandale !
M. Yannick Monnet, rapporteur
Enfin, un constat particulièrement préoccupant s’impose : même lorsque la réglementation existe, elle est contournée. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) l’a établi : 17 % des agences contrôlées présentent des irrégularités, dont 6 % relèvent de manquements graves.
Notre position est claire : il faut interdire purement et simplement les frais bancaires là où leur existence est inacceptable et plafonner l’ensemble des autres frais qui, par leur nature même, demandent une régulation stricte. Nous proposons donc l’interdiction stricte de certains frais particulièrement préjudiciables, tels que les commissions d’intervention et les frais de lettre de notification, et préconisons un plafonnement global de tous les autres frais bancaires. Ce plafonnement serait fixé par décret. Nous comptons sur la vigilance et le discernement du gouvernement pour établir des seuils justes, proportionnés et adaptés à la réalité économique. Enfin, il est impératif d’accompagner ces mesures d’un renforcement significatif des sanctions afin d’assurer leur application effective.
L’examen de cette proposition de loi est une invitation à choisir quel modèle bancaire nous souhaitons défendre : celui d’une banque qui offre un véritable service en valorisant la confiance que nous lui accordons ou celui d’une banque qui, en taxant abusivement ses clients, contribue à fragiliser davantage les plus vulnérables de notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire
Nous sommes réunis ce soir pour examiner une proposition de loi qui touche un sujet aussi sensible que fondamental : les frais bancaires, question qui intéresse beaucoup de nos concitoyens. Je tiens à saluer ce débat, monsieur le rapporteur, car il reflète une préoccupation partagée par tous : celle de protéger les consommateurs, notamment les plus vulnérables, face aux éventuelles dérives. Cependant, la proposition de loi que vous nous présentez, issue des travaux de la commission, fait fausse route.
Depuis plus de dix ans, les pouvoirs publics ont agi pour encadrer les frais bancaires. Cela s’est traduit, par exemple, par un plafonnement strict des commissions d’intervention, déjà appliqué, ainsi que par une offre bancaire spécifique destinée aux personnes en situation de fragilité financière – toutes les banques la proposent pour 3 euros par mois. En outre, l’ensemble des établissements de crédit ont signé une charte ambitieuse en faveur de l’inclusion bancaire. Enfin, la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat institue le remboursement des frais bancaires injustifiés en cas de rejets multiples pour une même opération.
M. Daniel Labaronne
Eh oui !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Plus précisément, quelles mesures ont-elles été prises au cours des douze dernières années ? La loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires a introduit un plafonnement des commissions d’intervention en cas de dépassement du découvert autorisé pour les personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels. Ainsi, pour un client en situation normale et non fragile financièrement, le plafond est de 8 euros par opération et de 80 euros par mois.
La même loi a organisé un dispositif pour les personnes en situation de fragilité financière afin de limiter leurs frais en cas d’incident de paiement tout en apportant des services de base à des prix encadrés – 3 euros maximum par mois. Toutes les banques ont l’obligation de proposer cette offre aux personnes en situation de fragilité financière, il est important de le rappeler. Sous l’impulsion de l’Observatoire de l’inclusion bancaire, chargé de surveiller les pratiques des établissements de crédit, en particulier à l’égard des populations en situation de fragilité financière, l’augmentation substantielle du nombre de souscripteurs traduit une meilleure appropriation de l’offre par les conseillers bancaires et les clients eux-mêmes.
Des mesures supplémentaires ont été prises pour réduire les frais bancaires des plus vulnérables. En 2019, un décret a durci l’encadrement bancaire s’agissant des publics fragiles, permettant à plus de 4 millions de Français de bénéficier de ces dispositions. En 2020, les pouvoirs publics ont homologué une charte en faveur de l’inclusion bancaire et de la prévention du surendettement, charte signée par tous les établissements de crédit et les entreprises d’investissement.
Quelques années plus tard, la loi du 16 août 2022 précitée a limité les frais perçus au titre des incidents de paiement : lorsque plusieurs demandes de paiement concernant la même opération sont rejetées, le prestataire de services de paiement doit rembourser à l’utilisateur les frais perçus au titre de ces incidents au-delà du montant prélevé au titre du premier rejet.
Enfin, très récemment – certains d’entre vous étaient probablement présents au moment de son adoption –, le gouvernement a apporté son soutien à la proposition de loi visant à réduire et à encadrer les frais bancaires sur succession, adoptée en deuxième lecture à l’unanimité par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ce dispositif prévoit qu’aucune facturation n’est autorisée dans trois cas précis : lorsque la succession fait suite au décès d’un enfant mineur, quel que soit le montant sur les comptes ; dans le cas d’une succession modeste, lorsque le solde total des comptes et des produits d’épargne du défunt est inférieur à 5 910 euros ; en cas de succession simple d’un point de vue administratif. Ce n’est pas rien et cela constitue une action cohérente, ciblée et pragmatique.
Or que nous propose votre texte ? Une suppression quasi totale des frais d’incident, un plafonnement généralisé de tous les frais courants, une remise en cause frontale de la liberté tarifaire des banques, sans concertation préalable, sans évaluation de l’impact de ces mesures et sans considération de leurs conséquences.
Monsieur le rapporteur, vous affirmez que les organismes financiers tirent profit des incidents bancaires : je ne peux pas ne pas réagir. Votre approche radicale soulève des difficultés juridiques majeures : elle entre en contradiction directe avec la liberté du commerce et de l’industrie, ainsi qu’avec la liberté contractuelle, deux principes à valeur constitutionnelle.
M. Emmanuel Maurel
Oh là là !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Mais surtout, elle est contre-productive.
M. Emmanuel Maurel
Non !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
La suppression des frais bancaires que vous envisagez comporte des inconvénients.
M. Emmanuel Maurel
Vous irez dire cela à des millions de Français !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Elle pourrait in fine se retourner contre les consommateurs. En cas d’interdiction de prélever des frais d’incident, les facilités de découvert et les possibilités de dépassement risquent d’être supprimées, entraînant un rejet automatique de toutes les opérations irrégulières.
M. Daniel Labaronne
Bien sûr, c’est évident !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Ainsi, les créanciers ne seront pas payés, y compris les créanciers publics, ce qui affectera leur trésorerie. Si le client n’a plus de commission d’intervention à payer à la banque, il sera néanmoins exposé aux pénalités de retard appliquées par ses créanciers.
M. Daniel Labaronne
Qui, eux, ne sont pas encadrés !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Un débat sur le niveau de plafonnement des frais d’incident et des commissions bancaires d’intervention aurait été plus constructif et plus utile. Le plafond aujourd’hui appliqué par mois et par opération n’est pas complété d’un plafond annuel, cela a été souligné en commission. Il est dommage que la proposition de loi emprunte la voie d’une solution radicale et sans nuance, la suppression, plutôt que celle d’un travail plus fin sur un plafonnement annuel des commissions d’intervention, qui aurait pu nourrir la délibération de la représentation nationale – je suis ouverte à ce type de proposition. On prétend protéger les usagers, mais on risque en réalité de les exposer à plus de rigidité, plus d’arbitraire, plus de frais indirects.
M. Daniel Labaronne
Bien sûr !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
De même, la suppression envisagée des frais pour tous les particuliers sans distinction de profil ni de type de service revient à imposer une forme d’économie administrée.
M. Daniel Labaronne
Eh oui !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
En définitive, le texte remet en cause de manière disproportionnée la liberté commerciale des établissements de crédit, avec un sérieux risque que le plafonnement tarifaire ne se retourne contre les consommateurs. On peut s’attendre ainsi à une suppression massive des facilités de découvert et des possibilités de dépassements, ainsi qu’à un rejet automatique de toutes les opérations irrégulières.
Au travers de cette proposition de loi, ce n’est la voie ni de l’efficacité ni de la justice sociale que vous empruntez ; ce que vous préparez, c’est la fin de la différenciation concurrentielle au détriment des plus fragiles.
Je veux vous alerter sur une autre conséquence majeure qu’aurait l’adoption de ce texte : il s’agit de la fragilisation du réseau des agences physiques. Dans votre propos liminaire, monsieur le rapporteur, vous avez pourtant souligné le risque d’une disparition de ces agences. Or vous allez renforcer cette tendance puisqu’en empêchant les banques de facturer leurs services, vous allez mécaniquement favoriser les acteurs entièrement numériques. Il s’agit d’un choix politique lourd, qui va à rebours des efforts menés contre la désertification bancaire. Mesdames et messieurs les députés, est-ce vraiment ce que vous souhaitez ?
Soyons clairs : un débat sur les frais bancaires est légitime – j’ai eu l’occasion d’échanger sur le sujet avec le rapporteur. Toutefois, si un travail sur un plafonnement annuel des commissions d’intervention aurait été utile, la présente proposition de loi ne fait pas dans la nuance. Elle ne régule pas ; elle supprime. Elle ne corrige pas ; elle détruit. Je veux vraiment vous mettre en garde contre les effets potentiels qu’aurait l’adoption du texte, tel qu’il nous est présenté aujourd’hui. Dans ces conditions, le gouvernement, prenant ses responsabilités, y sera défavorable.
Il y sera défavorable, parce que nous sommes persuadés qu’une régulation équilibrée est nécessaire ; parce que nous refusons les effets de manche ; parce que nous avons déjà prouvé qu’il était possible d’agir efficacement, sans fragiliser tout un pan de notre économie. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à M. Julien Brugerolles.
M. Julien Brugerolles
Permettez-moi de commencer par une question : qu’attendons-nous des banques ? Qu’elles fournissent un service indispensable à la vie quotidienne ou qu’elles s’enrichissent grâce aux fragilités économiques de leurs clients ? Il se trouve que, pour de plus en plus de personnes, ce service indispensable que chacun d’entre nous est en droit d’attendre se transforme en véritable parcours du combattant, en course d’obstacles pavée de frais d’incident bancaire. Pour toutes celles et tous ceux qui se trouvent en situation de précarité, dès que le découvert malencontreux surgit, les banques se servent et leur assènent une série de frais automatiques.
Cela commence par la « commission d’intervention » : sous ce doux nom se dissimule un racket légal, certes plafonné, mais toujours appliqué au niveau maximum. Puis vient la lettre d’information, simple courriel facturé 12,50 euros, envoyé, renvoyé et encore renvoyé. Puis ce sont éventuellement les frais de rejet, parfois les frais de saisie. Cette spirale infernale, cette cascade de frais sont l’expression du modèle économique du secteur bancaire, qui se nourrit de la précarité et de la vulnérabilité. La précarité conduit à être à découvert et être à découvert entraîne une cascade de frais qui aggravent encore la précarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. Frédéric Maillot
Exactement !
M. Stéphane Peu
C’est la vraie vie, ça !
M. Julien Brugerolles
Ce cercle vicieux, les banques ont choisi de l’entretenir pour gonfler leurs profits dans l’opacité la plus complète. Elle commence par des plaquettes tarifaires illisibles, d’une complexité telle qu’elle décourage même les esprits les plus aguerris. Elle se poursuit à travers le secret jalousement gardé du montant total des frais d’incident bancaire prélevés. Nous avons eu beau, avec le rapporteur, faire des recherches, auditionner et interroger les banques, elles refusent obstinément de communiquer, s’abritant derrière le sacro-saint « secret des affaires ». Les dernières estimations recueillies datent de 2019 : 6,5 milliards d’euros auraient été prélevés pour de simples frais d’incident bancaire – tous les indices donnent à penser que cette manne est aujourd’hui bien plus élevée.
M. Stéphane Peu
Bien sûr, personne ne leur demande des comptes !
M. Julien Brugerolles
Soyons clairs : ces frais ne reflètent aucunement le coût réel des interventions bancaires. Il s’agit majoritairement d’interventions automatisées, qui prennent quelques secondes et ne coûtent que quelques centimes.
Les offres spécifiques censées protéger les clients fragiles et que vous avez évoquées, madame la ministre, sont très insuffisantes. À peine un tiers des clients éligibles y souscrivent. Vous avez cité le chiffre de 4 millions de personnes, mais il s’agit du nombre de personnes identifiées comme de potentiels bénéficiaires ; 1 million seulement y souscrivent, en raison de critères flous et de pratiques commerciales douteuses, comme la limitation drastique des services bancaires offerts.
Ces frais seraient-ils justifiés par le maintien des agences et de la relation bancaire dans les territoires ? Nous avons appris que les principales banques françaises s’apprêtaient à supprimer 12,5 % de leurs agences d’ici à 2027, accentuant l’isolement des populations déjà fragiles. Pendant ce temps, les frais bancaires, eux, continuent leur ascension vertigineuse – ils ont augmenté de 5 % en 2025 –,…
M. Daniel Labaronne
Où avez-vous trouvé ce chiffre ?
M. Julien Brugerolles
…dans le silence assourdissant des pouvoirs publics.
Cette hausse ininterrompue contribue à faire des frais bancaires un véritable impôt sur la précarité. Face à cette situation, le législateur doit intervenir fermement, au moyen d’un plafonnement ambitieux. La raquette législative ne doit pas être trouée et l’encadrement doit être strict. Tenue de compte, carte, relevés, retraits : le législateur doit fixer les règles, afin que le service bancaire de base reste accessible à tous.
Certes, les lois passées ont commencé à poser les bases d’une meilleure régulation des pratiques bancaires, mais elles sont insuffisantes. Les plafonds actuels sont régulièrement appliqués au maximum, sans aucune remise ; nombre de frais sont en dehors de leur champ d’application. En outre, les critères pour définir la fragilité bancaire sont si restrictifs et subjectifs qu’ils excluent la majorité des personnes en difficulté. À l’inverse, le dispositif que nous proposons garantirait une protection universelle, prévenant ainsi les effets pervers des contournements.
Enfin, cette bataille est une question de justice sociale, économique et fiscale. En 2024, les cinq grands groupes bancaires français ont engrangé 32,2 milliards d’euros de bénéfices, soit une hausse de 11 % par rapport à l’année précédente. Et pendant ce temps, des millions de Français croulent sous les frais bancaires ! La suppression des frais d’incident que nous proposons et le plafonnement global des frais constitueraient ainsi un levier important en faveur du pouvoir d’achat.
Avec cette proposition de loi, nous ne demandons pas aux banques d’être généreuses ; nous œuvrons simplement pour faire cesser l’abus de prélèvements injustifiés envers des millions d’usagers et de personnes fragiles et, pour paraphraser René Fallet, pour que les banques cessent tout simplement de se comporter comme des détrousseurs d’économiquement faibles. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Charles Fournier applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Éric Michoux.
M. Éric Michoux
La moitié des Français sont à découvert au moins une fois dans l’année et un Français sur quatre l’est à la fin du mois. Les frais bancaires sont devenus un poste à part entière du budget des ménages, en particulier des plus modestes d’entre eux. La situation est telle que certains sont prisonniers d’un cercle vicieux : ils travaillent pour rembourser leurs frais bancaires. Malheureusement, cette tendance touche également de plus en plus d’entreprises, notamment les artisans, les autoentrepreneurs et les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME). Comme les ménages, de nombreuses structures sont en sursis, asphyxiées par les frais bancaires et maintenues de justesse hors de l’eau. Telle est la triste réalité de la crise que nous traversons depuis des années. Loin d’être anecdotique, le fait de se retrouver à découvert tout en travaillant est devenu un véritable phénomène de société.
La demande de limitation des frais bancaires est légitime. Nous partageons pleinement l’ambition de renforcer la protection des consommateurs et des entreprises face à des frais bancaires parfois excessifs. Toutefois, si la régularisation est nécessaire, elle doit se faire en concertation avec les acteurs du secteur bancaire.
Or la présente proposition de loi résulte d’une démarche unilatérale du monde politique, une démarche qui ne tient pas compte des contraintes opérationnelles des établissements bancaires. Nous déplorons que le texte n’ait pas été construit avec les professionnels du secteur. Le dispositif proposé est déséquilibré. Il remet en cause le principe de la facturation de certains services bancaires. Il menace à terme la relation contractuelle équilibrée entre les banques et leurs clients. Il risque de restreindre l’offre bancaire accessible et crée une catégorie de clients jugés trop risqués, donc non rentables, ce qui entraînera la fermeture de certains comptes. Enfin, il n’établit pas de distinction entre les grands groupes bancaires et les petits établissements mutualisés ou coopératifs.
M. Daniel Labaronne
Eh oui !
M. Éric Michoux
Ce sont ces derniers qui seraient les premières victimes du dispositif.
M. Daniel Labaronne
C’est sûr !
M. Éric Michoux
L’UDR est parfaitement consciente des enjeux du sujet pour nos concitoyens et nos entreprises. Nous partageons l’objectif de limiter les frais bancaires et de protéger les plus fragiles financièrement. Cependant, nous récusons la méthode employée pour résoudre ces difficultés et craignons que le remède soit pire que le mal. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UDR s’abstiendra lors du vote sur la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR.)
M. le président
La parole est à M. Emeric Salmon.
M. Emeric Salmon
Depuis plus de dix ans, l’explosion silencieuse des frais bancaires se poursuit. Frais d’incident, frais de gestion, commissions d’intervention forment pour les banques une véritable rente, un jackpot qu’elles empochent sur le dos des ménages français. Ce constat, nous l’avions fait dès 2017, puis en 2018, lors de la crise des gilets jaunes, et de nouveau en 2023, lorsque le gouvernement avait promis un bouclier contre les frais bancaires – une promesse bien vite oubliée. Pourtant, en 2024, les cinq grands groupes bancaires français ont réalisé plus de 32 milliards d’euros de bénéfices. Dans le même temps, 45 % des Français se retrouvent à découvert au moins une fois par an, et 22 % dès le 16 de chaque mois. Ces situations de précarité sont lourdement sanctionnées par des frais automatiques souvent opaques et largement déconnectés du coût réel de ces opérations pour les banques. Ces frais représentent un montant de plus de 7 milliards d’euros par an, soit 250 euros par ménage en moyenne.
Face à cette réalité, la présente proposition de loi apporte une réponse partielle, tardive et déséquilibrée. Nous partageons pourtant l’esprit de justice sociale qui l’anime : oui, il faut plafonner les frais ; oui, il faut encadrer les pratiques abusives. Cependant, nous ne pouvons nous contenter d’un dispositif qui, en l’état, manque de lisibilité, de cohérence et de réelle portée. C’est pourquoi, comme en commission, nous présenterons en séance par voie d’amendement une série de dispositions réalistes et immédiatement applicables.
Premier axe : un plafonnement clair, lisible et annuel des frais bancaires. Nous ne voulons plus d’un plafond aléatoire décidé à huis clos à Bercy ; nous souhaitons une règle claire, transparente, opposable, fixée chaque année par la Banque de France, dans un souci de cohérence, de visibilité pour les établissements bancaires et de justice pour les consommateurs.
Deuxième axe : interdire les frais manifestement abusifs. Il est aujourd’hui encore possible pour une banque de facturer des frais pour l’envoi d’un courrier électronique ou d’un relevé papier. Cela peut paraître anodin ; c’est en réalité profondément injuste. Nous devons exiger leur gratuité. De même, nous défendons la suppression des frais de clôture ou de transfert de comptes, qui sont un frein à la mobilité bancaire.
Troisième axe : instaurer des sanctions à la hauteur des abus. L’article 4 propose une amende équivalant à 100 % du surplus facturé en cas de non-respect des plafonds. Ce n’est pas suffisant. Pour certains établissements, c’est encore un calcul gagnant. Nous proposons une amende allant jusqu’à 15 000 euros, avec possibilité de publicité, car dans le secteur bancaire, l’image compte. Publier le nom d’une banque sanctionnée est plus dissuasif qu’un rappel à la loi.
Ces amendements ne sont pas symboliques ; ils sont concrets, applicables, et ils traduisent la position constante de notre groupe : défendre le pouvoir d’achat, encadrer les abus et protéger les Français face à des structures qui ont trop longtemps profité de leur passivité.
Notre antériorité sur ce sujet, notre combat pour l’ordre économique et notre engagement pour la justice sociale nous conduisent à vouloir voter pour ce texte. Néanmoins, si la ligne politique suivie n’était pas raisonnable, nous pourrions nous abstenir.
Protéger les Français, ce n’est pas les faire rêver avec des demi-mesures, c’est voter des règles claires, opposables et durables. C’est ce que nous continuerons à défendre dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Jean-Philippe Tanguy
Bravo !
M. le président
La parole est à M. Daniel Labaronne.
M. Daniel Labaronne
Nous examinons une proposition de loi censée instaurer davantage de justice en matière de frais bancaires. Malheureusement, c’est l’inverse qu’elle produirait si elle était adoptée.
M. Pierre Henriet
Eh oui !
M. Daniel Labaronne
Sous couvert de protéger les plus fragiles, ce texte défend une vision du tout gratuit, du tout administré et du tout contre les banques, y compris les banques coopératives, qui représentent près des deux tiers de l’activité bancaire française. Ces banques coopératives ne font pas de profits, et leurs bénéfices – que vous évoquiez tout à l’heure – sont mis en réserve, comme leur statut le leur impose.
Avec le maillage territorial le plus dense d’Europe, les banques françaises offrent un accès physique aux services partout sur le territoire, y compris dans les zones rurales. Ce modèle universel – banques de détail, assurances et services financiers – permet une offre intégrée, simple et coopérative.
Malgré ce modèle unique en Europe, les frais bancaires ne représentent que 0,49 % du budget des ménages, contre 1,28 % en Allemagne. Cet écart significatif montre que notre système de tarification bancaire est loin d’être le problème ; le fragiliser au nom d’un dogme serait une erreur.
À force de vouloir imposer aux banques une logique politique déconnectée, vous prenez le risque de pénaliser ceux que vous prétendez défendre.
Ce texte manque sa cible : en supprimant la majeure partie des frais d’incidents bancaires, vous demandez aux agents bancaires de travailler gratuitement. Les 375 000 salariés du secteur bancaire apprécieront. Travailler gratuitement, cela n’existe pas.
Les banques vont être contraintes de réduire ou de supprimer les facilités de trésorerie comme les découverts autorisés, de multiplier les rejets automatiques et d’affaiblir le suivi personnalisé de situations parfois complexes. En croyant faire œuvre de justice, vous risquez surtout d’aggraver les inégalités.
Depuis 2017, – et je voudrais ici saluer l’action de Bruno Le Maire – nous avons obtenu par la concertation, à laquelle je suis heureux d’avoir contribué, des résultats tangibles pour les publics fragiles. En 2019, les frais d’incidents bancaires pour les personnes en situation de fragilité financière ont été plafonnés, suivant des critères clairs, à 20 euros par mois et à 200 euros par an. Cet engagement a été respecté, contrôlé et corrigé quand c’était nécessaire. En 2022, nous avons adopté le bouclier sur les frais bancaires, permis la limitation à 2 % de l’augmentation des tarifs en 2023 et la division par trois des frais pour les publics les plus vulnérables. Depuis 2025, enfin, les frais bancaires sont encadrés sur certaines successions.
Quelles seraient les conséquences de cette proposition de loi si elle était adoptée ?
Avec l’article 1er, c’est la fin du suivi personnalisé pour les clients les plus fragiles – car ce suivi a un coût. Son adoption aurait pour conséquences la suppression des facilités de découvert et le rejet automatique de toutes les opérations irrégulières. Certes, les frais seraient moindres, mais il y aurait plus de pénalités de retard, de rejets de paiement et in fine davantage de fragilité bancaire. Est-ce votre conception de la justice bancaire ?
L’article 2 entraînerait une perte nette pour les banques sur un service qu’elles sont tenues de rendre et qui, en devenant gratuit, leur coûterait de l’argent. Les banques auraient alors moins de moyens, réduiraient leurs effectifs et l’accompagnement des clients… merci pour les banques coopératives !
L’article 3 porte atteinte à la liberté du commerce, instaure un plafonnement qui tue la concurrence et un pilotage administratif, seulement possible dans le cadre d’une économie administrée – mais on ne se refait pas ! (Sourires.)
L’article 4 instaure une sanction sans objet, sur un sujet déjà encadré. Le droit actuel est clair, les outils existent et les abus sont déjà sanctionnés. Il y a des dérives, mais elles sont contrôlées, notamment par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Faut-il légiférer uniquement pour le principe ?
L’article 5, enfin, crée une nouvelle charge administrative, sans effet prouvé, avec un risque clair : déséquilibrer un modèle bancaire français qui fonctionne, pour un bénéfice inexistant.
En conclusion, ce texte incarne une dérive que nous devons combattre : celle d’un interventionnisme, guidé davantage par la posture que par la réalité, au détriment des plus fragiles. Nous défendons une régulation efficace, construite, équilibrée. Vous proposez une régulation punitive, rigide, inopérante. Nous voulons une banque humaine, proche, responsable, solidaire. Ce texte produit une banque affaiblie, robotisée, déshumanisée.
C’est pourquoi le groupe Ensemble pour la République votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à M. Carlos Martens Bilongo.
M. Carlos Martens Bilongo
Je m’inscris en faux contre les propos de M. Labaronne. Le texte que nous examinons n’est pas technique, il est profondément politique.
M. Daniel Labaronne
C’est bien cela le problème !
M. Carlos Martens Bilongo
Il traite d’une forme d’impôt illégitime, prélevé par des banques privées sur les plus modestes : les frais d’incidents bancaires.
En commission, nous sommes parvenus à faire adopter plusieurs amendements, sur lesquels le rapporteur s’est prononcé favorablement. Le premier visait à inclure les associations à but non lucratif, les microentreprises, les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME) dans le périmètre de la clientèle pour laquelle il est interdit de facturer des frais d’incident. Le deuxième avait pour objet de relever le montant de l’amende encourue par une banque qui ne respecterait pas la loi, de 100 % du surplus facturé à un montant compris entre 100 % et 200 %. Le troisième prévoyait l’application de loi à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna.
C’est un texte de justice sociale qui a été adopté en commission car ces frais – 20 euros pour un prélèvement rejeté, 12,50 euros pour un simple mail de notification – rapportent chaque année 6,5 milliards d’euros aux banques françaises. Rappelons qu’en 2024, BNP-Paribas a dégagé 48,8 milliards d’euros de produit net bancaire et que, la même année, les banques françaises ont versé des dividendes gigantesques : plus de 6 milliards d’euros pour BNP-Paribas et Axa, 3 milliards d’euros pour le Crédit agricole, 1,7 milliard pour la Société générale.
Les banques se portent très bien, alors que nos concitoyens peinent à joindre les deux bouts et sont à découvert dès le 10 du mois.
En France, les frais de rejet sont dix-sept fois plus élevés qu’en Allemagne, huit fois plus qu’en Italie, trois fois plus qu’en Belgique. On peut parler d’un modèle français de la prédation bancaire.
L’association UFC-Que Choisir a donné un exemple édifiant : un rejet de prélèvement, facturé 20 euros à un client, représente un coût réel estimé de 20 centimes. Le tout est automatisé, informatisé, sans intervention humaine. Pour la banque, la marge est de 100 pour 1.
Tandis que les frais d’incident représentent 6,5 milliards de recettes pour les banques, les frais courants explosent : ils ont progressé de 14 % en cinq ans, de 5 % en 2025.
Selon l’enquête sur la tarification bancaire de l’association Consommation logement cadre de vie (CLCV), les commissions diverses sur des opérations rejetées se chiffrent à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Les commissions d’intervention peuvent monter jusqu’à 80 euros par mois, jusqu’à 50 euros par chèque rejeté, et jusqu’à 100 euros par saisie administrative à tiers détenteur.
Cette rentabilité repose exclusivement sur la précarité. Nous avons affaire à un véritable mécanisme d’exploitation de la pauvreté par la rente. Des personnes dépendantes de services bancaires essentiels se voient prélevées, sur leurs modestes revenus, une sorte d’impôt privé.
Pour les banques, les frais d’incident ont l’avantage d’être extrêmement rentables : 86 % de marge en moyenne pour une minute trente de traitement et des coûts très faibles.
Dans ma circonscription du Val-d’Oise, je rencontre chaque semaine des habitants de Garges, de Villiers-le-Bel ou de Sarcelles qui vivent ces frais comme une punition. C’est une double peine pour ceux qui ont déjà du mal à finir le mois. Un prélèvement rejeté entraîne une notification, puis une intervention, puis un nouveau rejet ; c’est ainsi que s’installe une spirale infernale.
Les plus pauvres, ceux qui sont en situation de vulnérabilité financière, paient près de neuf fois plus de frais et d’agios que les autres. Ils supportent en moyenne 296 euros de frais d’incidents et agios par an, contre 34 euros pour la population générale.
Ces inégalités sont renforcées par le développement des banques en ligne, qui multiplient les avantages pour leurs clients fortunés tout en augmentant les tarifs applicables aux plus pauvres. Les hausses de tarifs s’élèvent en 2025 à 5,46 % pour les petits consommateurs, contre seulement 3,8 % pour les souscripteurs de services haut de gamme.
Ces injustices, produites par les politiques commerciales agressives des banques, mettent en danger les salariés, exposés aux clients chez qui ces frais génèrent des frustrations. Une violence psychologique, voire physique, peut ainsi être exercée par des clients sur leur conseiller bancaire.
Le gouvernement n’a pas été à la hauteur pour protéger les Français. L’exemple de l’offre « client fragile », issue d’un décret de 2014, en témoigne : 22 % des banques ne la proposent pas, manquant ainsi à leurs obligations.
L’examen de cette proposition de loi n’ira pas à son terme, mais je remercie le rapporteur d’avoir permis ce débat. J’espère que d’ici la fin de cette législature, nous aurons le temps de faire adopter un texte similaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président
La parole est à M. Jacques Oberti.
M. Jacques Oberti
Les groupes bancaires nous offrent une nouvelle fois l’occasion d’échanger sur leur sort. En l’occurrence, il s’agit ici des commissions diverses prélevées sur nos comptes. Puisque certains s’apitoient volontiers sur la santé financière des banques, il est important de rappeler deux choses.
Premièrement, les commissions représentaient en 2023 un peu plus du tiers du chiffre d’affaires des banques françaises, soit 55 milliards d’euros sur 146 milliards d’euros. Le reste de leurs revenus provient principalement de la marge d’intérêt nette, soit l’écart entre le taux auquel la banque se finance et celui auquel elle prête. Autrement dit, au-delà des commissions, les banques gagnent déjà beaucoup d’argent en utilisant notre propre argent, puisqu’elles le prêtent à un taux supérieur à celui de la rémunération de nos dépôts.
Deuxièmement, il convient de rappeler que le marché bancaire français est un oligopole bien protégé, et que les banques détiennent le monopole de la création monétaire.
Dès lors, les arguments qui mettent en avant les entraves à la concurrence et à la liberté tarifaire sont au mieux un contresens, au pire une faute morale. Qu’on ouvre un débat sur les frais bancaires semble donc légitime. Je me réjouis d’ailleurs de la promulgation, il y a quelques jours, de la loi de Mme Christine Pirès-Beaune, qui vient réduire et encadrer les frais bancaires sur succession.
Les quatre articles de la proposition de loi du groupe GDR nous semblent aller dans le bon sens, celui de la protection de nos concitoyens, notamment les plus précaires. Nous n’avons identifié aucun effet de bord significatif. Aussi soutiendrons-nous ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Paul Mattei.
M. Jean-Paul Mattei
Ce texte touche à un sujet éminemment sensible pour nos concitoyens : les frais bancaires. Le groupe Les Démocrates partage pleinement l’objectif d’assurer une protection renforcée des consommateurs, en particulier des publics les plus fragiles. Nous sommes également conscients que les frais bancaires peuvent peser sur certains foyers et que les dérives doivent être corrigées lorsqu’elles sont constatées.
Mais au-delà de cet objectif, c’est bien la méthode retenue par cette proposition de loi et l’approche de fond qu’elle traduit qui nous posent problème. Lorsqu’une dérive est identifiée, le premier levier doit être celui du dialogue avec les acteurs du secteur, afin d’aboutir à un accord de place qui permette de bâtir des solutions adaptées et durables. Lorsque ce dialogue n’aboutit pas, alors l’intervention législative, ciblée et proportionnée devient nécessaire, comme nous l’avons vu récemment avec les frais bancaires sur succession.
C’est cette méthode qui a permis au gouvernement et aux majorités successives, depuis 2017, d’aboutir à des avancées concrètes : plafonnement des commissions d’intervention, encadrement des frais pour les publics fragiles, mise en place d’un bouclier sur les frais bancaires dans un contexte inflationniste. Ce sont autant d’avancées obtenues de façon pragmatique et efficace.
Or ce texte repose sur une logique de contrôle généralisé, qui vise à faire de la loi l’outil de pilotage direct de l’ensemble des tarifs de la banque de détail. Mais en supprimant massivement les frais d’incidents bancaires et en généralisant le plafonnement des tarifs, ce texte risque d’aboutir à des effets inverses à ceux recherchés : réduction drastique des facilités de découvert, automatisation des rejets d’opération, rigidification des offres au détriment des plus fragiles eux-mêmes. Il ne protégera pas ces publics ; il déplacera les coûts et les exposera à d’autres formes de pénalités. En clair, ce ne sont pas les plus modestes que vous protégerez.
C’est également méconnaître sur le fond le fonctionnement économique d’un secteur qui repose sur des équilibres fragiles, notamment pour certains établissements comme La Banque Postale, dont l’État est l’actionnaire majoritaire. Casser cet équilibre, c’est risquer de restreindre l’accessibilité même des services.
M. Daniel Labaronne
Bien sûr !
M. Jean-Paul Mattei
Ce texte repose sur une vision biaisée de la relation bancaire. Il postule que le cadre actuel de protection serait insuffisant. Or le droit en vigueur est déjà l’un des plus protecteurs : droit au compte, taux d’usure, offre spécifique, plafonds sur les frais d’incidents et d’irrégularité, transparence renforcée, contrôle strict de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
À cela s’ajoute une approche qui tend à confier à l’exécutif un pouvoir de plafonnement généralisé des frais, sans distinction des prestations concernées ni prise en compte de la diversité des situations. Un tel dispositif reviendrait à instaurer un contrôle administratif des prix dans un secteur soumis à la concurrence, au risque de figer les pratiques commerciales.
La logique de sanction prévue dans ce texte obéit à la même philosophie. La création d’un nouveau régime d’amende administrative, cumulable avec les pouvoirs déjà conférés à l’ACPR, viendrait alourdir un dispositif de contrôle qui est déjà particulièrement robuste. Nous savons que l’ACPR a su, ces dernières années, exercer pleinement ses compétences en sanctionnant des manquements avérés avec des pénalités dissuasives. Ajouter un échelon supplémentaire de sanction ne renforcerait en rien l’efficacité du cadre existant.
En somme, cette proposition de loi semble répondre davantage à une volonté d’affichage qu’à une démarche construite et équilibrée. Elle méconnaît les avancées obtenues par le dialogue, ignore les instruments existants et prend le risque de bouleverser l’équilibre économique d’un secteur essentiel. Le groupe Les Démocrates continuera de défendre une approche fondée sur la responsabilité, le dialogue et l’efficacité des outils de régulation. C’est par cette voie que nous avons obtenu des résultats tangibles et c’est cette démarche que nous entendons poursuivre. Nous ne croyons pas à une législation qui prétend résoudre des problèmes complexes par des solutions uniformes et rigides. En cohérence avec cette vision, le groupe Les Démocrates votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EPR.)
M. le président
La parole est à M. Pierre Henriet.
M. Pierre Henriet
Le texte que nous examinons soulève une question légitime : la protection des publics fragiles face aux frais bancaires. Personne dans cet hémicycle ne peut ignorer la réalité des difficultés financières que rencontrent de nombreux Français, en particulier celles et ceux qui, chaque mois, jonglent avec un budget contraint. Ce sujet appelle donc toute notre attention.
Mais cette attention ne peut se traduire par une approche déséquilibrée, dogmatique ou déconnectée, quand certains suivent nos débats et connaissent les réalités du secteur bancaire. C’est pourquoi le groupe Horizons & indépendants souhaite exprimer une position claire : oui à une régulation efficace, non à un encadrement rigide.
Depuis plusieurs années, des progrès notables ont été accomplis en matière d’encadrement des frais bancaires. Le droit fixe déjà des plafonds stricts pour tous les clients et des plafonds particuliers pour les clients en situation de fragilité. Pour ces derniers, les frais sont limités à 20 euros par mois, soit bien en deçà de ce que prévoient de nombreux pays européens.
Ces plafonnements ne sont pas symboliques, ils sont appliqués, contrôlés et renforcés année après année. La Banque de France a récemment rappelé que les frais d’incident ont baissé de 25 % depuis 2019 pour les clients identifiés comme fragiles et de 45 % pour ceux bénéficiant de l’offre spécifique. C’est un résultat concret, mesurable. Saluons-le.
Dans ce contexte, cette proposition de loi, telle qu’elle ressort de la commission des finances, ne va pas dans le sens d’un progrès maîtrisé. Les frais d’incidents participent à l’équilibre global d’une activité qui repose sur une large mutualisation des coûts. Leur suppression brutale ou leur plafonnement arbitraire ne ferait pas disparaître les coûts ; ils seraient déplacés au détriment de l’ensemble des usagers.
M. Daniel Labaronne
Eh oui !
M. Pierre Henriet
Qui en paierait le prix ? Les plus modestes, une fois encore.
M. Daniel Labaronne
Eh oui !
M. Pierre Henriet
Car les banques, confrontées à un cadre trop rigide, pourraient réduire leur offre de services de base, restreindre l’accès au crédit, fermer certaines agences, notamment dans les territoires ruraux, ou répercuter les coûts autrement et de façon moins lisible.
M. Yannick Monnet, rapporteur
C’est déjà le cas !
M. Pierre Henriet
C’est un risque réel, documenté, que nous ne pouvons pas ignorer.
La France n’est pas en retard sur ces sujets. Au contraire, notre cadre réglementaire est l’un des plus protecteurs d’Europe en matière de procédures de rejet, de notification préalable, de plafonnement des frais. Comparons ce qui est comparable ! Ici, les plafonds sont stricts, la médiation bancaire accessible, les procédures encadrées.
Mais tout cadre, aussi bien conçu soit-il, appelle à être renforcé dans son application. C’est là que doit porter notre attention. Il ne s’agit pas d’écrire une loi de plus, mais de mieux faire respecter les engagements existants, de mieux identifier les publics fragiles et de renforcer les contrôles. Nous pourrions aussi améliorer la diffusion de l’offre spécifique, qui reste trop peu connue.
Malheureusement, ce texte prend une tout autre direction. Il durcit le cadre, il remet en cause la logique contractuelle, il traduit une méfiance de principe envers la nature commerciale de l’activité bancaire. Il exprime une volonté de rupture, là où nous plaidons pour une amélioration ciblée.
La justice sociale ne se décrète pas par une nouvelle contrainte. Elle se construit grâce à des dispositifs lisibles, applicables, efficaces, qui tiennent compte de la situation des usagers et des équilibres économiques. Ce texte, tel qu’il est rédigé, ne répond pas à cette exigence. C’est pourquoi le groupe Horizons & indépendants ne le soutiendra pas.
Nous restons ouverts au dialogue, à des ajustements, à des améliorations, mais nous refusons de sacrifier l’efficacité sur l’autel de l’affichage politique. Nous ne voulons pas une loi de plus ; nous voulons une régulation mieux appliquée, une transparence renforcée et une banque de détail accessible, durable, au service de tous les Français. C’est sur ce chemin que nous continuerons d’agir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. Daniel Labaronne
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Stéphane Lenormand.
M. Stéphane Lenormand
Cette proposition de loi du groupe GDR entend poser un jalon essentiel dans le combat pour la justice sociale et l’équité bancaire. Le groupe LIOT salue cette initiative, qui s’inscrit dans un contexte de pression sur le pouvoir d’achat.
Cependant, notre groupe n’a pas attendu ce texte pour s’emparer de cette question. Depuis plusieurs années, nos collègues ont défendu des propositions concrètes pour renforcer la transparence, élargir la définition des publics fragiles et plafonner les frais injustifiés. En février 2022, l’assemblée a examiné notre ambitieuse proposition de loi visant à lutter contre l’exclusion financière et à plafonner les frais bancaires, défendue par Charles de Courson et Bertrand Pancher. Malgré son rejet, elle a suscité un débat nourri.
Notre engagement est intact. C’est dans cet esprit de continuité que nous abordons l’examen de ce texte. Les frais bancaires représentent un véritable fardeau pour des millions de citoyens, dont les premières victimes sont souvent les Français les plus fragiles. Chaque année, des centaines d’euros disparaissent des comptes de celles et ceux qui n’ont pas assez pour vivre dignement. Ce sont des clients qui sont à découvert dès le 16 du mois. Il s’agit aussi des frais perçus pour un simple rejet de prélèvement ou d’incidents souvent automatisés, mais lourdement facturés.
Or, face à cette situation, les réponses ont été incomplètes, trop timides et parfois sans effet contraignant. Certes, des plafonds existent, mais ils sont appliqués au maximum autorisé, contournés dans certains cas et les sanctions demeurent inexistantes. Les établissements bancaires poursuivent leur course aux profits pendant que les ménages modestes paient.
Nous savons combien cette réalité frappe nos territoires, notamment dans les outre-mer, où les frais bancaires sont plus élevés que dans l’Hexagone et où les hausses tarifaires sont encore plus marquées. À la Martinique, en Guadeloupe, en Guyane ou à Mayotte, les associations de consommateurs rapportent des écarts tarifaires allant de 5 à 6 euros par service. Le sentiment d’abandon que ressentent nos concitoyens y est renforcé. L’adoption en commission d’un amendement élargissant le champ de la proposition de loi aux territoires de Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et de Nouvelle-Calédonie est positive. Il protégera les consommateurs partout sur le territoire national.
Cette proposition de loi arrive donc à point nommé. Elle agit sur plusieurs fronts. D’abord, elle interdit purement et simplement la facturation de frais liés aux incidents bancaires courants. Le texte plafonne les frais liés aux saisies administratives et aux saisies-attributions à 10 % du montant dû, dans la limite d’un plafond qui sera fixé par décret. Il introduit un plafonnement général des frais de gestion de compte : frais de tenue de compte, d’envoi de relevés et autres frais « courants ». C’est une réponse attendue, tant ces frais sont hétérogènes et opaques. Enfin, l’article 4 constitue la principale innovation par rapport aux pratiques actuelles. Il prévoit des sanctions financières en cas de dépassement des plafonds entre 100 % et 200 % du surplus facturé. C’est une disposition sur laquelle nous appelons à la vigilance afin que ce mécanisme n’encourage pas des stratégies d’évitement de la part des banques. Nous souhaitons qu’un dialogue constructif soit favorisé en amont de toute sanction.
Ce texte ne doit pas être un levier de stigmatisation des banques ni un moyen de les affaiblir. Nous sommes conscients de leur rôle essentiel dans le financement de l’économie, l’accompagnement des projets, l’épargne et l’investissement. Il est de notre responsabilité de garantir une relation équilibrée entre les citoyens et les institutions bancaires – ce qui ne peut plus attendre. Chaque euro prélevé en trop est un euro de moins pour remplir le frigo, payer les factures, faire face à l’imprévu. C’est ici un enjeu de dignité, de cohésion et de justice.
Cette proposition de loi n’est pas parfaite, elle ne résout pas tout, mais elle marque une avancée importante et si nous exprimons des réserves sur le régime de sanctions prévues, cela reste un texte que nous devons accompagner. Nous le ferons avec la conviction qu’il répond à une attente forte du pays et avec la volonté de poursuivre notre travail parlementaire pour bâtir un cadre bancaire plus juste, plus humain et plus transparent.
M. le président
La discussion générale est close.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Yannick Monnet, rapporteur
Selon moi, ce texte n’est pas radical. Il aurait pu faire l’objet de compromis, mais je comprends que nous ne défendions pas les mêmes intérêts. Soyons clairs, nous n’avons pas les mêmes préoccupations.
Vous regrettez notre méthode, mais parlons des méthodes employées par les banques : consultent-elles leurs clients lorsqu’elles augmentent leurs tarifs ? Non. Elles procèdent arbitrairement, sans consulter personne.
Vous dites que la situation actuelle est protectrice des plus fragiles, ce qui revient à considérer que le système va bien. Pourtant, vous ne pouvez pas dénoncer des injustices tout en craignant que les plus fragiles paient encore plus si l’on change de système !
Tel qu’il est, le système ne nous va pas et il y a urgence à le changer. Vous pouvez déclarer que ce n’est pas le cas, mais je suis alors curieux de ce que vous dites, dans vos permanences, aux administrés qui sont acculés par certaines banques. Leur dites-vous que tout va bien ? Qu’il ne faut rien changer et rien plafonner ? Que ce qui leur arrive est juste ?
Je ne leur tiens pas ce discours.
Mme Soumya Bourouaha
C’est vrai !
M. Yannick Monnet, rapporteur
Je leur dis plutôt qu’il faut essayer d’agir, notamment en faisant changer la loi. Vous savez bien qu’un député qui intervient auprès des banques obtient très rarement gain de cause pour ses concitoyens.
Mme Karine Lebon
Mais nous devons continuer de les accompagner.
M. Yannick Monnet, rapporteur
Vous suggérez que cette proposition de loi ne servirait qu’à faire de l’affichage politique. Absolument pas ! Elle est inspirée par les rencontres que nous faisons au quotidien, dans nos circonscriptions, et par ce que les Français vivent concrètement.
M. Pierre Henriet
L’enfer est pavé de bonnes intentions !
M. Yannick Monnet, rapporteur
Quand on a déjà accompagné des personnes face à des banques, on comprend l’intérêt de changer la loi, pour gagner en force face à des établissements dont les pratiques à l’égard des plus fragiles sont loin d’être acceptables ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR.)
Madame la ministre, vous nous expliquez que des agences fermeront si la proposition de loi est votée. Élu d’une circonscription rurale, dans l’Allier, je peux vous dire que les agences ont déjà fermé, et depuis longtemps. Certaines banques ont déserté nos territoires ruraux de longue date, si bien que je ne crois pas que le risque que vous évoquez se réalisera.
Au sujet de la liberté de commerce, votre analyse est inexacte. L’Autorité de la concurrence elle-même a souligné, dans son avis de 2007 relatif à un projet de décret relatif au plafonnement des frais bancaires applicables aux incidents de paiement, que certaines banques appliquent des frais « très élevé[s] au regard du montant de la transaction rejetée ». Elle a également estimé que « les risques d’atteinte à la concurrence qui pourraient résulter du plafonnement de la tarification des incidents de paiement restent […] relativement limités ».
M. le président
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Je retiendrai de la discussion générale que tous les intervenants se sont accordés sur la nécessité de se préoccuper des frais bancaires, notamment ceux appliqués aux plus fragiles. Ce qui a déjà été fait à ce sujet – et M. le rapporteur ne l’a pas nié – a aussi été souligné.
Certains ont évoqué un texte politique, mais la proposition de loi est aussi un texte technique, qui traite, non sans une certaine orientation, de montants et de frais. On ne peut donc pas se contenter d’une lecture politique de ce texte relatif aux frais bancaires.
Beaucoup ont souligné la nécessité d’aboutir à un équilibre – ce terme a été utilisé – et d’obtenir un accord de place. Beaucoup ont reconnu l’importance de l’enjeu, mais la proposition de loi qui s’en saisit n’a pas fait l’objet d’une concertation, ce qui me gêne.
Personne n’a soutenu qu’il ne fallait rien changer. J’ai moi-même indiqué que nous pourrions nous accorder sur un plafond annuel des commissions d’intervention, qui remplacerait le plafond mensuel en vigueur – 80 euros, soit 960 euros par an –, pourvu que nous en décidions de manière concertée.
Je suis moi aussi élue d’un département rural, comme un certain nombre d’entre vous. C’est vrai, certains services sont désormais rendus aux citoyens d’une autre manière après que des établissements ou des bureaux de poste ont fermé, mais des banques restent implantées dans nos territoires et nous devrions tout faire pour les préserver et les faire durer.
Or je vous rappelle que rien n’est gratuit. L’article 1er tend à interdire l’application de certains frais, dont la liste est d’ailleurs importante, mais quelqu’un devra nécessairement payer pour cela. Nous devons donc chercher à atteindre un équilibre, car nous en avons réellement besoin.
J’y insiste une dernière fois : si le fond est important, la forme l’est aussi et il me semble indispensable de procéder par concertation.
Discussion des articles
M. le président
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Article 1er
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 15 et 35, tendant à supprimer l’article.
La parole est à M. Daniel Labaronne, pour soutenir l’amendement no 15.
M. Daniel Labaronne
Pourquoi supprimer cet article ? Parce qu’il tend à rendre tout gratuit. Or la ministre l’a dit, il faut bien que quelqu’un paie ! Quand on fait cette objection, vous signalez les 35 milliards de bénéfices des banques. Arrêtons-nous un moment sur le sujet.
Vous le savez tous, le secteur bancaire est par définition très capitalistique. Il doit répondre à des exigences réglementaires, notamment européennes. Celles découlant de l’accord de Bâle III en sont un exemple : elles imposent l’immobilisation de fonds propres très importants.
Comment ces fonds propres sont-ils constitués ? Par les bénéfices des banques ! La mobilisation des 35 milliards d’euros que vous évoquez est censée financer la suppression des tarifs et frais que vous avez listés, mais cette somme ne représente que 0,3 % du bilan cumulé des banques françaises.
Je tiens beaucoup au secteur coopératif, exemplaire en matière de solidarité, d’ancrage territorial et de soutien aux entreprises locales et aux agriculteurs. Ses banques ne réalisent aucun profit, puisqu’elles réinvestissent leurs bénéfices dans leur réseau ! En généralisant la gratuité des frais, vous fragiliserez le système bancaire coopératif français !
M. le président
La parole est à M. Jean-Paul Mattei, pour soutenir l’amendement no 35.
M. Jean-Paul Mattei
Si j’ai souligné la radicalité de ce texte, c’est que j’ai l’impression qu’il tend à casser la relation entre le client et le banquier : les facilités de découvert, quelques autres arrangements se paient, mais si leur facturation devient impossible, il est à craindre que la relation commerciale se rigidifie. Au premier incident de paiement, elle pourrait même être rompue !
Nous en avons déjà discuté à l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires, actuellement débattue au Sénat : nous avons besoin de cette relation commerciale et des personnes qui l’animent. Son automatisation serait contreproductive.
Le problème des frais bancaire reste entier et doit être traité, mais comme le problème de la surfacturation des frais de succession l’a été par la proposition de loi de Christine Pirès Beaune. Ce n’est pas le cas, raison pour laquelle je crois que nous faisons fausse route.
Je considère qu’il est dommage de casser la relation entre le client et le banquier, d’autant que ce sont les clients les plus vulnérables qui en ont le plus besoin. S’il n’institue pas un outil de négociation contrôlé, votre texte manquera son objectif.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Yannick Monnet
À l’évidence, il est défavorable.
La déshumanisation a déjà eu lieu et le traitement des incidents bancaires est déjà automatisé : il n’y a déjà plus de relation entre la banque et le client concerné par ces incidents.
En outre, il n’est pas question de gratuité, puisqu’on considère que la banque s’est déjà rémunérée. Jusque dans les années 1970, les frais de tenue de compte n’existaient pas, car les banques considéraient qu’elles se rémunéraient sur les intérêts des crédits.
M. Jean-Philippe Tanguy
C’est vrai !
M. Yannick Monnet
Cela n’a pas changé, de sorte que les frais occasionnés par les incidents bancaires ne sont plus justifiés. Vous parlez de gratuité car vous les considérez comme normaux, mais ce n’est pas notre cas : pour nous, ces frais ne méritent pas d’être facturés. À nos yeux, il est préférable d’accompagner plutôt que de sanctionner financièrement, quand dans la situation actuelle, le client est sanctionné mais n’est pas accompagné.
M. Jean-Philippe Tanguy
Très bien !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
L’amendement tend à supprimer l’article 1er, qui est le socle de la proposition de loi et qui vise à supprimer tous les frais liés à une irrégularité de fonctionnement ou à un incident de paiement. Vous contestez l’emploi du terme de gratuité, car vous considérez qu’une banque se rémunère déjà, d’une autre manière.
Or on parle de services différents. Rappelons que plusieurs frais peuvent s’appliquer : les commissions d’intervention, les frais de lettre d’information préalable pour chèque sans provision, les frais de lettre d’information pour compte débiteur non autorisé, le forfait de frais par chèque rejeté pour défaut de provision, les frais de rejet de prélèvement pour défaut de provision, les frais de non-exécution de virement permanent pour défaut de provision, les frais suite à la notification signalée par la Banque de France d’une interdiction d’émettre des chèques, les frais pour déclaration à la Banque de France d’une décision de retrait de carte bancaire ou encore les frais d’opposition de la carte par la banque.
Dans tous les cas, des interventions ont lieu et des services sont fournis ; quelqu’un travaille et accomplit un certain nombre d’opérations ; les conseillers, en agence, décident d’agir, d’autoriser ou non une opération et selon quelles modalités, de prendre contact avec le client.
M. Jean-Philippe Tanguy
On n’est plus dans les années 1950 !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Il est donc bien normal que la banque facture ces services !
M. Stéphane Peu
Non, c’est un abus !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Comment l’organisme financier s’adaptera à l’interdiction de ces frais ? Il n’autorisera plus de facilités de caisse, mais, par précaution, supprimera plutôt les autorisations de découvert, voire organisera le rejet automatique de toutes les opérations irrégulières !
La mesure que vous projetez ne protégera pas les consommateurs d’éventuels frais. Elle ne contribue pas du tout à l’encadrement juste et équilibré des frais bancaires.
M. Daniel Labaronne
Bien sûr !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Mon avis est donc favorable.
M. le président
La parole est à M. David Amiel.
M. David Amiel
Je soutiens les amendements de suppression défendus par MM. Labaronne et Mattei. Ceux-ci, comme la ministre, ont rappelé les dispositions notamment prises par Bruno Le Maire pour protéger les clients les plus fragiles.
Ne nous trompons pas de diagnostic. Les frais restent parfois trop élevés en France à cause de la trop grande concentration du secteur bancaire. Nous héritons d’une situation qui voit quelques grandes banques se partager le marché, ou même se trouver en position de monopole dans certains territoires, compte tenu de la faiblesse du réseau bancaire. Si l’on veut durablement réduire les frais bancaires et pas seulement les répercuter différemment sur les consommateurs, il faut donc – cela ne va pas vous plaire – stimuler la concurrence dans le secteur.
M. Jean-Philippe Tanguy
La concurrence bancaire ? Quelle blague !
M. David Amiel
J’en veux pour preuve les banques en ligne, dont le développement a entraîné une baisse des frais des banques traditionnelles. Il y a encore de nombreux freins, notamment en ce qui concerne les produits d’épargne : il est, par exemple quasiment impossible de transférer une assurance vie d’une banque à une autre, ce qui donne aux établissements un pouvoir exorbitant sur leurs clients. Nous devrons plutôt travailler dans ce sens.
M. le président
La parole est à M. le rapporteur.
M. Yannick Monnet, rapporteur
Quand on aborde le sujet des banques, j’ai l’impression que vous perdez votre discernement ! Nous ne voulons pas interdire tous les frais ; lisez l’exposé des motifs : nous voulons uniquement interdire les commissions d’intervention et les frais liés aux lettres de notification de refus ! Les autres frais seraient plafonnés, et les plafonds, fixés par décret, resteraient à la main du ministère ! Je veux bien faire figure de vilain gauchiste à vos yeux, mais l’article 1er ne vise à supprimer que deux types de frais qui nous paraissent injustifiables, et pas davantage ; il ne s’agit tout de même pas d’une grande révolution !
M. le président
La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane Peu
La tournure du débat m’étonne. Dans une économie de marché – certains diront dans un monde capitaliste –, un grand principe veut que si vous touchez le smic, la banque est un problème pour vous, tandis que si vous êtes milliardaire, vous êtes un problème pour la banque – la défaillance de l’un ou de l’autre n’entraîne pas les mêmes conséquences. La banque s’enrichit sur le smicard plutôt que sur le milliardaire.
En raison de la dégradation du pouvoir d’achat et de l’accroissement des inégalités, certaines personnes se retrouvent à découvert systématiquement le 15 du mois, même en travaillant dur et en se levant tôt le matin… Elles subissent ainsi une double peine : à leur petit salaire et à des frais de logement et de consommation élevés viennent s’ajouter 50, 60, 100 euros par mois liés au paiement des agios.
M. Jean-Paul Mattei
C’est la banque qui a de l’argent à découvert !
M. Stéphane Peu
C’est une injustice totale ! À l’inverse, je peux vous garantir qu’aucun compte bancaire disposant d’une certaine somme ne sera pénalisé dans les mêmes proportions en cas de découvert passager.
M. Daniel Labaronne
Ce n’est pas vrai !
M. Stéphane Peu
Nous sommes bien face à une situation dérégulée, à la main des banques et du secteur privé, qui mérite d’être encadrée ! L’article 1er est totalement justifié : nous devons imposer des règles et protéger les petites gens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Jean-Philippe Tanguy applaudit également.)
(Les amendements identiques nos 15 et 35 ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Philippe Tanguy, pour soutenir l’amendement no 1.
M. Jean-Philippe Tanguy
Très brièvement, car je ne voudrais pas user du temps de niche de nos collègues : le groupe RN propose un dispositif différent. Je suis d’accord sur le principe, il est évident qu’il faut limiter très strictement les frais bancaires. Vous avez échoué sur ce point, chers collègues du bloc central, alors que vous aviez promis maintes et maintes fois d’agir. Or la situation ne s’arrange pas, les banques ne sont pas coopératives. Les arguments présentés par le groupe GDR sont tout à fait valables. Les banques sont devenues des espèces fainéantes ! Se contentant désormais de répercuter le taux directeur de la banque centrale, elles ne cherchent plus à faire leur travail et se concentrent désormais soit sur les activités de marché spéculatives, soit sur le fait de pomper l’argent des gens en leur facturant des frais imaginaires !
Madame la ministre, je suis désolé mais ce que vous dites n’est pas vrai : désormais, presque tout est automatisé, il n’y a personne derrière un guichet, c’est du pipeau ! (Mme la ministre déléguée proteste.) En fait, plus les frais sont élevés, moins il y a de travail réel derrière ! D’ailleurs c’est une bonne illustration de ce qu’est devenu le secteur de la finance : moins on y travaille, plus on gagne d’argent sur le dos du vrai travail.
Nous refusons cette situation, nous sommes opposés à cette dérive des banques. Faisons plutôt en sorte qu’elles fassent leur travail, à savoir financer l’économie réelle, repérer les secteurs innovants et ceux où des gains de productivité sont possibles, au lieu de les laisser prospérer aux dépens des gens qui n’ont pas les moyens de se défendre ! Ce que dit M. Peu est évidemment vrai : quand vous êtes riche, vous ne payez rien, et quand vous êtes très pauvre, vous payez beaucoup trop !
Ce sera ma seule intervention. Afin de gagner du temps, vous pouvez considérer tous mes autres amendements comme défendus. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Yannick Monnet, rapporteur
Nous en avons débattu en commission : par votre amendement de réécriture de l’article, vous proposez notamment que la Banque de France fixe les plafonds de frais. Nous considérons quant à nous que la Banque de France peut émettre un avis, mais que le plafonnement doit rester une décision politique prise par le ministère, par décret. Au reste, la Banque de France ne dispose peut-être pas du pouvoir réglementaire pour fixer les plafonds. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Il est également défavorable, pas forcément pour les mêmes raisons. Permettez-moi de vous rappeler certaines règles que vous connaissez bien, M. Tanguy : les montants des frais sont librement déterminés par le jeu de la concurrence !
M. Jean-Philippe Tanguy
Mais il n’y a pas de concurrence, enfin !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Que vous le vouliez ou non, le jeu de la concurrence détermine les prix, c’est la règle ! Lorsque la concurrence ne joue pas son rôle, les pouvoirs publics interviennent, comme ils l’ont fait en fixant des plafonds – j’ai rappelé ce qui a été fait en la matière ces douze dernières années. Les dispositions que vous proposez ne reposent sur aucune justification particulière et semblent disproportionnées au regard de la liberté du commerce et de l’industrie.
Du reste, si tous les établissements bancaires choisissaient d’égaler le même montant plafonné, on pourrait même risquer d’annuler la concurrence. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas propre au secteur bancaire : de manière générale, les acteurs qui se voient imposer un plafond ont tendance à tous s’aligner sur son niveau. Il faut avoir cela en tête.
M. Emeric Salmon
Ce n’est pas vrai des juges !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Enfin, je ne peux pas vous laisser dire que les banques seraient fainéantes et ne feraient pas leur travail : elles emploient des personnes qui travaillent et les organismes financiers répondent aux demandes qu’ils reçoivent !
M. Jean-Philippe Tanguy
Allons, allons !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Je ne peux que vous rejoindre lorsque vous demandez que les banques financent davantage l’économie réelle, mais pas sur le reste de vos propos, qui ne sont ni admissibles ni corrects à leur égard. Avis défavorable.
M. le président
La parole est à M. Daniel Labaronne.
M. Daniel Labaronne
Je me réjouis du retour de M. Tanguy…
M. Jean-Philippe Tanguy
Je ne suis jamais loin !
M. Daniel Labaronne
J’ai cependant toujours un peu de mal à comprendre votre appréciation de l’activité bancaire française, laquelle a ses spécificités : nous avons un système universel, avec des banques de détail, des produits d’assurance, des produits financiers. S’agissant des crédits immobiliers, notre système bancaire propose des taux d’intérêt parmi les plus faibles d’Europe ; il est le seul à proposer des taux fixes ! Partout ailleurs, on connaît des taux variables. Ce secteur emploie 375 000 agents, dont certains sont dédiés aux personnes en grande fragilité bancaire, lesquelles bénéficient d’une attention particulière. Rendez-vous dans un réseau bancaire, allez voir les agents, parlez-leur !
M. Jean-Philippe Tanguy
Ils sont malheureux, on leur interdit de faire leur boulot !
M. Daniel Labaronne
Par ailleurs, le Comité consultatif du secteur financier, déjà évoqué, joue un rôle très intéressant pour organiser l’activité bancaire, financière et assurantielle. Connaissez-vous cet organisme ?
M. Jean-Philippe Tanguy
Oui, ils sont nuls !
M. Daniel Labaronne
Il regroupe tous les professionnels du secteur financier ainsi que leurs clientèles – qui payent des frais financiers – afin de trouver des compromis. Ceux-ci peuvent donner lieu à des accords de place, signés par l’ensemble des banques – c’est ce qu’on appelle de la soft law, et ça fonctionne, sans requérir l’intervention du législateur !
M. Jean-Philippe Tanguy
Non !
M. Daniel Labaronne
Vous prétendez que le dialogue au sein du secteur n’a donné aucun résultat afin de modérer les tarifs bancaires : c’est faux ! (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’orateur.)
(L’amendement no 1 n’est pas adopté.)
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
M. le président
Je suis saisi d’un amendement no 22, tendant à supprimer l’article. La parole est à M. Daniel Labaronne, pour le soutenir.
M. Yannick Monnet, rapporteur
Retiré !
M. Daniel Labaronne
Faut pas rêver ! (M. Jean-Philippe Tanguy indique l’horloge.) L’article 2, prévoit que le « montant des frais bancaires afférents à la saisie-attribution perçu par les établissements de crédit ne peut dépasser 10 % du montant dû au créancier, dans la limite d’un plafond fixé par décret. » Que se passera-t-il en cas de non-paiement d’une dette envers un particulier ou une entreprise, ou en cas d’impayé à l’égard de l’administration ? Le créancier, qu’il soit public ou privé, ne sera pas payé et il devra immobiliser la somme. Cela pourrait avoir des effets délétères !
N’oublions pas non plus que le traitement d’une demande de saisie-attribution nécessite des opérations manuelles de la part des agents. Vous dites que les collaborateurs des banques ne font rien, mais enfin, tout de même : ils recherchent l’identité du débiteur et celle du saisissant, ils analysent les comptes du débiteur pour vérifier, par exemple, qu’il n’est pas lié au versement d’une pension alimentaire – sans quoi le montant total de la créance ne pourra être prélevé. Bref, c’est du boulot !
M. Jean-Philippe Tanguy
On n’est plus en 1950 !
M. Daniel Labaronne
Votre déconsidération des agents me frappe beaucoup. Je veux pour ma part leur rendre hommage et les remercier pour leur travail. Des députés ne connaissent pas le secteur et ne prennent peut-être pas le temps de s’informer,…
M. Jean-Philippe Tanguy
Arrête ton cirque, tu n’y crois pas toi-même !
M. Daniel Labaronne
…mais ceux qui prennent ce temps le reconnaissent : ils font un boulot remarquable ! (Mme Joséphine Missoffe applaudit.)
M. le président
Sur l’amendement n° 22, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Yannick Monnet, rapporteur
J’y suis défavorable. À trois minutes de la fin de notre niche parlementaire, je voudrais, à moins que nous ne prolongions la séance de trois heures…
M. le président
Cela n’arrive pas !
M. Frédéric Maillot
Sauf si tu pleurniches ? (Sourires sur les bancs du groupe GDR.)
M. Yannick Monnet, rapporteur
Quoi qu’il en soit, je ne désespère pas que nous puissions poursuivre l’examen de ce texte. Nous reparlerons en tout cas de ce sujet, pourquoi pas en déposant un texte transpartisan après avoir identifié des points d’accord possible.
Nous n’avons pas encore évoqué la dissymétrie du rapport contractuel entre la banque et le client : si la banque peut toujours se passer de nous, nous ne pouvons pas nous passer d’elle ! Le rapport de force que j’encourage ne vise pas à dénigrer les banques ni ceux qu’elles emploient – nous sommes beaucoup à avoir un membre de notre famille qui y travaille – mais à rééquilibrer une relation contractuelle qui est aujourd’hui totalement déséquilibrée (Approbations sur les bancs du groupe Dem), en dépit des plafonds qui ont été instaurés et du travail effectué pour réduire les injustices.
Il faut aller plus loin, car les gens se sentent maltraités par les établissements bancaires, alors même que nous, citoyens, leur avons sauvé la mise en 2008 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Jacques Oberti applaudit également.) Bref, nous y retravaillerons ensemble.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Jean-Philippe Tanguy
Accélérez, laissez-nous voter le texte avant la fin de la séance !
Mme Véronique Louwagie, ministre déléguée
Lorsque le créancier est public et que l’impayé donne lieu à une saisie administrative, l’opération est délimitée dans le temps et les frais afférents sont plafonnés. Par analogie, l’article 2 prévoit un plafonnement similaire des frais bancaires afférents à une saisie-attribution, dès lors que le traitement de cette demande par un créancier privé nécessite, de la même manière, plusieurs opérations manuelles de la part des collaborateurs de la banque – même si, à la différence de la saisie administrative, une saisie-attribution peut donner lieu à beaucoup d’autres événements susceptibles de retarder la clôture du dossier, en fonction de la procédure judiciaire. Si un tel plafonnement peut, dans l’esprit, être envisagé, une étude d’impact précise et chiffrée est nécessaire. Le fait de procéder par analogie reste intéressant ; c’est pourquoi je m’en remets à la sagesse de l’assemblée.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 22.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 37
Nombre de suffrages exprimés 36
Majorité absolue 19
Pour l’adoption 8
Contre 28
(L’amendement no 22 n’est pas adopté.)
4. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, mardi 10 mai, à neuf heures :
Questions orales sans débat.
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra