Deuxième séance du jeudi 03 avril 2025
- Présidence de M. Roland Lescure
- 1. Exécution des peines d’emprisonnement ferme
- Discussion générale (suite)
- Discussion des articles
- Article 1er
- M. Thibaut Monnier
- Mme Céline Thiébault-Martinez
- Mme Léa Balage El Mariky
- M. Jean-François Coulomme
- M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
- Amendements nos 7, 20, 33 et 42
- M. Loïc Kervran, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Rappel au règlement
- Suspension et reprise de la séance
- Article 1er (suite)
- Article 2
- Suspension et reprise de la séance
- Article 3
- Après l’article 3
- Amendement no 29
- Article 4
- Amendements nos 22, 27, 47 et 66 rectifié
- Article 5
- M. Patrick Hetzel
- Amendements nos 23, 28, 35, 67, 59, 60, 58, 53, 68, 40 et 32
- Après l’article 5
- Article 1er
- Titre
- Explications de vote
- Vote sur l’ensemble
- 2. Modification de l’ordre du jour
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Roland Lescure
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
1. Exécution des peines d’emprisonnement ferme
Suite de la discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi visant à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme (nos 374, 1187).
Discussion générale (suite)
M. le président
La parole est à M. Hervé Saulignac.
M. Hervé Saulignac
Les textes du groupe Horizons se suivent mais ne se ressemblent pas. La proposition de loi que nous allons examiner intervient dans un climat particulier que chacun qualifiera comme il veut, mais qui porte selon moi le parfum désagréable d’une trumpisation de la vie publique qui se répand comme un mauvais virus dans nos démocraties. (M. Jean-François Coulomme et M. Guillaume Garot applaudissent.) Les échanges autour de cette PPL ne doivent pas être un nouveau prétexte pour malmener la justice de notre pays alors que l’autorité judiciaire a été attaquée dans ses fondements mêmes, et les magistrats dans leur intégrité. Aussi, vous me permettrez de rappeler d’emblée ici qu’aucun magistrat n’est aux ordres dans ce pays, que l’autorité judiciaire applique strictement le code pénal et met en œuvre des dispositions que nous avons discutées et votées dans cette assemblée.
M. Guillaume Garot
Excellents souvenirs !
M. Hervé Saulignac
Ce texte va à l’encontre de toutes les études portant sur la récidive, à l’encontre même du modèle que vous citez, monsieur le rapporteur de la commission des lois : celui des Pays-Bas qui mise en grande partie sur la prévention pour des résultats assez peu probants, comme l’a rappelé le garde des sceaux dans son propos liminaire. Il n’en demeure pas moins, et c’est nécessaire de le reconnaître, que trop souvent nos concitoyens ne comprennent pas le sens des décisions de justice. Ils se demandent comment un ancien président de la République, condamné à trois ans de prison dont un ferme pour des faits de corruption, peut passer les fêtes de fin d’année aux Seychelles. (M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit.)
M. Guillaume Garot
Oui, comment ?
M. Hervé Saulignac
Comment peut-on aller en prison pour conduite sans permis et ne pas y aller quand on est reconnu coupable d’un gigantesque système de détournement de fonds publics ? (Mme Léa Balage El Mariky, M. Guillaume Garot et M. Benjamin Lucas-Lundy applaudissent.) Ils se demandent surtout comment 40 % des condamnés récidivent, preuve que notre système judiciaire ne parvient pas à casser l’engrenage délictuel. À toutes ces interrogations, vous apportez une réponse simple : nous n’enfermons pas assez et les peines exécutées ne sont pas les bonnes.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Simpliste !
M. Hervé Saulignac
S’agissant de l’exécution des peines, je tiens à dire ici avec force qu’une peine aménagée est une peine exécutée.
Mme Léa Balage El Mariky
Exactement !
M. Hervé Saulignac
Je veux dire aussi qu’aménager ne signifie en rien améliorer ou alléger. L’aménagement de la peine n’est pas une atténuation de la peine : c’est une autre modalité de sa mise en œuvre.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Tenez-vous le pour dit !
M. Hervé Saulignac
Seulement voilà : les préjugés ont la vie dure et la prison demeure la référence suprême de la peine ; point de salut en dehors de la privation de liberté. L’enfermement n’est pourtant pas une garantie de résultats, c’est même souvent la plus inadaptée des peines. Le gouvernement avait lui-même validé ce constat dans la loi de programmation de la justice 2018-2022, laquelle réaffirmait que la privation de liberté devait rester l’exception et les mesures alternatives la norme. Seulement, six ans après le vote de la loi du 23 mars 2019 qui en était la conséquence, de l’eau semble avoir coulé sous les ponts, tant et si bien que vous ne résistez plus à la surenchère répressive. Vous validez ainsi, monsieur le garde des sceaux, l’antienne entonnée par les partisans de l’extrême droite qui voudraient que la justice, devenue laxiste, ait abdiqué face à la délinquance, les mêmes qui, ces derniers jours, ont sombré dans la contradiction, se plaignant d’une justice qui serait trop répressive avec eux et pas assez avec les autres.
M. Guillaume Garot
Exactement !
M. Hervé Saulignac
Par cette proposition de loi, vous apportez de l’eau à leur moulin d’incohérences, monsieur le rapporteur. La justice, vous aussi, vous la voulez puissante pour les faibles et faible pour les puissants ! Si l’on adoptait votre PPL, on mettrait en prison le voleur de scooter et on laisserait libre l’élu qui en vole 1 000 – je veux parler ici de l’élu qui détourne 4 millions d’euros d’argent public par exemple, c’est-à-dire à peu près la valeur de 1 000 scooters ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Ironie mise à part, je veux dire très solennellement que personne dans cet hémicycle ne saurait se satisfaire des taux de récidive que connaît notre pays. De ce point de vue, l’examen de ce texte signe notre échec collectif. Ce constat d’échec est surtout celui d’une politique pénitentiaire sous-financée par l’État et dont les dotations budgétaires sont majoritairement orientées vers la construction de nouvelles prisons plutôt que vers l’amélioration des conditions de détention dont on sait pourtant qu’elles sont un élément indispensable de la réinsertion des personnes condamnées.
M. Guillaume Garot
Il a raison !
M. Hervé Saulignac
Si ce texte venait à être adopté, il est certain qu’il ne ferait qu’aggraver la situation que vous prétendez vouloir combattre. La prévention de la récidive et la lutte contre la délinquance sont des sujets graves qui appellent un travail de fond et sur la durée : nous devrions essayer de rechercher des voies de compromis autour de la prise en charge spécifique des auteurs condamnés à des courtes peines, porter une attention toute particulière à l’effectivité des mesures alternatives et renforcer leur suivi, de même que l’on pourrait au moins réaffirmer que la réinsertion demeure l’objectif premier de notre politique pénale. Malheureusement, le texte examiné ne vise aucun de ses objectifs. Aussi, le groupe socialiste votera contre lui. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR.)
M. Guillaume Garot
Implacable !
M. le président
La parole est à M. Nicolas Ray.
M. Nicolas Ray
Nous sommes aujourd’hui face à une évidence : notre système pénal souffre d’un manque criant d’exécution des peines d’emprisonnement. Depuis 2012, des choix politiques successifs ont conduit à un assouplissement systématique des peines, donc à leur affaiblissement, allant jusqu’à créer un sentiment d’impunité insupportable pour nos concitoyens et surtout à augmenter la récidive. Rappelons que les peines plancher instaurées par notre famille politique en 2007 avaient permis de sanctionner plus efficacement les récidives. Malheureusement, François Hollande et sa majorité ont choisi de les supprimer, ce qui a envoyé un signal désastreux en matière de fermeté pénale si bien qu’aujourd’hui, plus de 40 % des peines de prison ferme sont aménagées.
Il est temps de restaurer l’autorité de la loi et de garantir que chaque peine prononcée, même la plus courte, sera effectivement exécutée. C’est la raison pour laquelle je ne ferai pas durer le suspense : le groupe DR soutiendra pleinement la proposition de loi. (M. Sylvain Berrios applaudit.) Car en supprimant l’obligation d’aménagement systématique des peines inférieures ou égales à un an et en introduisant la possibilité de prononcer des peines de prison ferme inférieures à un mois, elle permet d’assurer une réponse pénale réelle aux actes de délinquance. Nous réaffirmerons ainsi un principe : une condamnation doit être exécutée pour être crédible. Nos voisins européens l’ont d’ailleurs bien compris : les Pays-Bas, en appliquant une stricte exécution des peines, ont réduit de moitié leur population carcérale ; l’Allemagne et la Suède adoptent une politique similaire et les résultats sont là – 35 % de récidive en Allemagne, 30 % en Suède, alors que le taux en France atteint 60 % pour les condamnés à des peines aménagées.
On m’objectera l’argument entendu au début de cette discussion générale : nos prisons sont pleines et nous allons nous heurter à un problème de faisabilité. Nos prisons sont pleines, certes, mais ce problème est dû beaucoup moins à la surpopulation carcérale qu’à la sous-capacité carcérale. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
En tout cas, face à une telle situation, la réponse ne doit pas être le laxisme, monsieur le garde des sceaux, en l’occurrence l’abandon ou l’affaiblissement des sanctions pénales. Nous devons au contraire appliquer et assumer une politique pénale ferme et cohérente, et construire davantage de places de prison en est la condition.
Mme Andrée Taurinya
Ben voyons !
M. Nicolas Ray
C’est ce que prévoit d’ailleurs la loi d’orientation et de programmation de la justice à travers la création de 18 000 places de prison supplémentaires dont on attend la mise en œuvre. Le président Macron avait pour sa part annoncé 15 000 places supplémentaires d’ici 2027… Nous savons que cet engagement ne pourra être tenu et nous le regrettons : c’est à peine s’il sera à moitié atteint. Pour autant, une peine de prison prononcée doit être une peine de prison exécutée. Sinon, on le sait bien, notre justice perd toute crédibilité.
Mme Léa Balage El Mariky
Une peine aménagée est une peine exécutée !
M. Nicolas Ray
La proposition de loi permet d’améliorer le respect de la loi et de restaurer la confiance de nos concitoyens en notre système judiciaire. Ils attendent d’une justice qu’elle les protège en sanctionnant avec fermeté mais aussi en infligeant des peines qui assurent une véritable dissuasion. Nous devons cesser d’être le seul pays en Europe où la prison ferme devient une exception…
M. Benjamin Lucas-Lundy
Caricature !
M. Nicolas Ray
…en redonnant aux magistrats la liberté d’apprécier au cas par cas la possibilité d’aménager les peines. Nous mettrons ainsi fin à un système inefficace qui a trop souvent sacrifié la sécurité des Français. C’est pourquoi notre groupe votera résolument en faveur de ce texte. Il est temps de rétablir l’exécution des peines d’emprisonnement, de restaurer l’autorité et de protéger les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – M. Loïc Kervran, rapporteur de la commission des lois, applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Pour cinq minutes ferme ! (Sourires.)
M. Guillaume Garot
Et sans peine de substitution ! (Sourires.)
Mme Léa Balage El Mariky
Il arrive que sous les apparences de la fermeté se glissent des raisonnements simplistes qui aboutissent à des retours en arrière fâcheux. Cette proposition de loi en est, hélas, un exemple parfait. Nous examinons aujourd’hui un texte qui prétend corriger une faillite dans l’exécution des peines. Mais de quoi ce texte est-il le nom ? Il s’agit d’une inversion logique, d’une incohérence intellectuelle, qui prétend qu’aménager, c’est renoncer, et que réinsérer, c’est faiblir. Ce texte est un résumé de positions dogmatiques en matière carcérale, de vos impensés en matière de prévention de la délinquance et de la récidive. Il incarne la surenchère mensongère visant à mettre, face à des défis complexes, des réponses simplistes : le premier mensonge, c’est de dire qu’en France, les peines ne sont pas exécutées, alors que 90 % le sont ; le second mensonge, et on vient encore de l’entendre, c’est de prétendre qu’une peine aménagée n’est pas une peine. Et que nous propose-t-on alors ? Il s’agirait de rétablir des peines de moins d’un mois de prison, de supprimer l’obligation d’aménagement ab initio et de supprimer la libération sous contrainte de plein droit. C’est laisser croire que l’enfermement court et brutal serait un début de solution. Mais personne ici ne peut sérieusement dire qu’une peine de quelques mois dans une maison d’arrêt surpeuplée, sans accompagnement, brisant des liens familiaux, des parcours professionnels et des repères sociaux ferait autre chose que nourrir la récidive.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Exactement !
Mme Léa Balage El Mariky
L’école du crime décrite par Victor Hugo se matérialise devant nous car la détention ne permet pas de construire un projet de sortie cohérent. Sur ce point, les chiffres sont têtus : 62 % des personnes condamnées à des peines de prison de moins de six mois récidivent ; la surpopulation carcérale atteint aujourd’hui 153 % en maison d’arrêt et certains établissements dépassent même les 200 %. Comment ne pas voir dans cette logique du toujours plus une logique absurde ?
Au groupe Écologiste et social, nous croyons à la justice de la République : celle qui protège parfois en punissant, jamais en précarisant, celle qui tient compte des faits et non des fantasmes, celle qui sait que le sens de la peine, c’est aussi la possibilité d’un avenir. Oui, nous voulons des peines exécutées, mais des peines utiles, c’est-à-dire des peines qui réparent, qui responsabilisent et qui empêchent que le même geste ne se répète. Nous voulons des peines efficaces. (M. Benjamin Lucas-Lundy et M. Guillaume Garot applaudissent.) Et cette efficacité se mesure à notre capacité à prévenir la récidive, à réinsérer et à ne pas reproduire les inégalités. À l’inverse, la prison, elle, accentue les inégalités sans jamais les corriger.
Il faut aussi insister sur un point : la pénitentiaire est un service public et comme tout service public qui ne fonctionne pas, elle doit être réformée. Aujourd’hui, la prison échoue à prévenir la récidive, à garantir la dignité et à assurer la réinsertion. Si France Travail créait du chômage ou si l’hôpital fabriquait des malades, on aurait depuis longtemps lancé une grande réforme d’ampleur en balayant d’un revers de main les réponses faciles. Et pourtant, s’agissant de la prison, vous persistez.
Plutôt que de rétablir des peines courtes mal exécutées, nous proposons, nous, d’investir massivement dans les alternatives à l’incarcération : semi-liberté, placement à l’extérieur ou encore travaux d’intérêt général. Ces dispositifs existent. Ils fonctionnent. Ils coûtent moins cher que l’enfermement et offrent de vraies perspectives de réinsertion.
Encore faut-il en avoir les moyens. Encore faut-il que les magistrats aient confiance dans l’utilisation de ces dispositifs et, surtout, que personne, ici ou ailleurs, n’exerce de pressions sur eux. Certes, aux Pays-Bas, l’exécution de courtes peines que M. le rapporteur a évoquée permet de lutter contre la récidive et contre la surpopulation carcérale. Mais les moyens alloués à la justice dans ce pays sont bien différents de leurs équivalents français. En 2022, les Pays-Bas consacraient 120 euros par habitant et par an à la justice, contre seulement 70 euros en France. Copier le modèle sans en assumer les investissements, c’est se condamner à l’échec.
La proposition de loi relève d’une logique d’affichage. Elle ne répond ni à la réalité du terrain ni aux attentes de la société, qui aspire à une justice utile et efficace. C’est pourquoi, en responsabilité, le groupe Écologiste et social s’y opposera. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, SOC et GDR. – Mme Sylvie Ferrer applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz
La proposition de loi nous invite à réinterroger notre politique pénale, en mettant l’accent sur les courtes et ultracourtes peines d’emprisonnement que vous nous suggérez de rétablir. Vous proposez ainsi d’abroger le principe d’aménagement obligatoire pour les peines inférieures ou égales à un an, considérant que c’est au juge qu’il appartient d’orienter le condamné vers de la prison ou des peines alternatives, en tenant compte du profil de la personne concernée ainsi que des faits jugés.
Le groupe Les Démocrates salue l’intention de redonner un véritable pouvoir d’appréciation au magistrat. Cela contribue à renforcer l’autorité du juge, qui prononcera des peines plus légitimes car plus individualisées. Ce principe est essentiel pour assurer la confiance de nos concitoyens dans le système judiciaire.
Vous avancez également que le rétablissement de peines d’emprisonnement de moins d’un mois, notamment d’ultracourtes peines, serait de nature à prévenir la récidive. Sanctionner dès la première infraction par une courte peine susciterait un choc suffisant pour dissuader l’auteur des faits de recommencer ou de poursuivre dans la voie de la délinquance.
Nos débats porteront sur les mesures les plus pertinentes et utiles pour réduire la récidive. C’est bien l’enjeu du texte. Je pense qu’on peut s’accorder pour dire qu’en la matière, il n’y a pas de formule magique, mais que le juge doit disposer d’un panel de mesures à personnaliser selon le détenu. C’est ainsi que je comprends la proposition de loi. Soyons modestes, car il est compliqué d’identifier l’effet propre de chacun des facteurs supposés de récidive : âge du prévenu, niveau d’études, situation matrimoniale, profil psychologique ou psychiatrique, caractéristiques de l’infraction, importance du passé pénal, etc. Le risque de récidive est par exemple multiplié par 2,6 pour chaque condamnation pénale antérieure.
Néanmoins, je retiens deux choses de la note d’Infostat Justice intitulée « Mesurer et comprendre les déterminants de la récidive de sortants de prison ». Premièrement, pour les personnes qui ne pensaient pas être emprisonnées pour ce qu’elles avaient fait, le choc de l’incarcération est associé à un moindre risque de récidive. Deuxièmement, et toutes choses égales par ailleurs, le risque de récidive augmente avec le nombre de condamnations antérieures. Ces deux arguments me semblent aller dans le sens de la proposition de loi.
En effet, laisser, comme c’est le cas actuellement, un délinquant cumuler six ou sept condamnations sans jamais l’incarcérer nourrirait un sentiment d’impunité qui le pousserait à commettre des actes toujours plus graves aboutissant à un emprisonnement d’une durée bien supérieure aux quelques jours proposés par les auteurs du texte, avec un gros risque de nouvelle récidive à la sortie.
De plus, des peines de prison ultracourtes ne contribueraient pas à la désocialisation, un enfermement de sept ou quatorze jours ne coupant assurément pas l’individu de la société. Celui-ci ne perd pas son travail, il n’est pas déscolarisé, il garde son logement et il n’est pas coupé de ses proches.
Il nous faut cependant être vigilants quant à l’organisation pratique de ces courtes peines. Pour que l’absence de récidive demeure l’objectif, il faudrait nous assurer que les détenus concernés demeurent isolés des prisonniers les plus dangereux, susceptibles de les faire basculer vers plus de violence. Or cela appelle plus de places de prison ainsi que des moyens supplémentaires et adaptés. Les prisons modulaires, pour lesquelles M. le ministre vient de lancer un appel d’offres, pourraient constituer un élément de réponse. La proposition de loi remet en lumière la question du nombre de places en prison. Or les besoins sont déjà énormes si l’on tient compte de la surpopulation carcérale, qui vient d’atteindre un niveau record avec 82 152 détenus en mars 2025.
Le groupe Les Démocrates reconnaît donc un réel intérêt aux propositions du texte. Il salue notamment la volonté de redonner une marge de manœuvre aux magistrats dans la détermination des peines, pour qu’ils puissent prononcer au bon moment la sanction la plus adaptée à chaque individu. Si nous soutenons cette démarche, nous signalons toutefois des réserves d’ordre pratique qu’il conviendra de clarifier lors de nos débats. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président
La discussion générale est close.
Discussion des articles
M. le président
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Avant d’en venir à l’article 1er, je vous informe que sur les amendements identiques nos 7, 20, 33 et 42, d’une part, et sur les amendements nos 9 et 8, d’autre part, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire de demandes de scrutin public.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Article 1er
M. le président
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article.
La parole est à M. Thibaut Monnier.
M. Thibaut Monnier
L’article 1er lève enfin l’interdiction faite au juge de prononcer une peine de prison inférieure à un mois et supprime l’aménagement quasi obligatoire des peines inférieures à six mois. C’est un premier coup d’arrêt au laxisme judiciaire introduit par la réforme de Mme Taubira. Ce laxisme, qui a été gravé dans le marbre de la loi, a fait s’effondrer le nombre de peines d’emprisonnement réellement exécutées et offert un sentiment d’impunité exceptionnelle à ceux qui cassent, volent, agressent ou s’en prennent aux forces de l’ordre et de sécurité.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Oui, parlez-nous des voleurs !
Mme Léa Balage El Mariky
Et ceux qui détournent de l’argent ?
M. Thibaut Monnier
Selon une étude récente de l’Institut pour la justice, plus de sept délits sur dix sanctionnés en 2022 ont fait l’objet d’une peine de prison inférieure à un an devant quasi obligatoirement être aménagée par le juge pour éviter la prison à leurs auteurs. En conséquence, près de 68 % des peines prononcées pour coups et violences volontaires ne sont pas effectuées en prison. Ce chiffre est de 74 % pour les agressions sexuelles et de 60 % pour les agressions sexuelles sur mineurs. Cette faiblesse structurelle du taux d’incarcération explique en partie l’explosion de la délinquance dans notre pays et l’ensauvagement de la France.
Contrairement à ce qu’affirme la gauche, l’école du crime, c’est non la prison mais les aménagements systématiques des peines.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Ce ne doit pas être le Parlement européen non plus !
M. Thibaut Monnier
L’école du crime, c’est quand les auteurs de délits ne connaissent la prison qu’après les avoir accumulés, comme autant de médailles qui consacrent leur carrière de délinquant.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Douze ans de détournements ! Le million, le million ! En fait, pas un, pas deux, mais quatre millions !
M. Thibaut Monnier
Il est temps de rappeler qu’une peine de prison a deux fonctions sociales puissantes : elle protège les victimes, en empêchant le coupable de récidiver, et dissuade ceux qui seraient tentés de commettre des dommages. Fidèles à notre volonté de protéger la sécurité des Français, nous voterons pour l’article 1er. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à Mme Céline Thiébault-Martinez.
Mme Céline Thiébault-Martinez
L’article 1er remet en question un principe fondamental de notre édifice législatif – n’en déplaise au Rassemblement national : le caractère exceptionnel du recours à la privation de liberté. Depuis plus d’un siècle, notre droit pénal s’efforce de limiter l’incarcération aux cas les plus graves, car enfermer des individus pour de courtes peines ne contribue pas à les réinsérer. Cela les coupe du monde, de leur famille, de leurs amis, de leur emploi, qu’ils sont susceptibles de perdre.
Pour quels résultats ? Pour qu’ils passent quelques jours dans une prison surpeuplée à dormir sur un matelas installé par terre, pour qu’ils apprennent à se protéger des cafards en mettant du papier toilette dans leurs oreilles et dans leurs narines, comme l’a souligné la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté ? Tout cela pour qu’ils soient remis en liberté au bout de quelques semaines, mais parfois après qu’un dommage irréparable leur a été causé ?
La France a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour traitement inhumain ou dégradant en raison d’une surpopulation carcérale structurelle. En septembre 2024, près de 79 000 personnes étaient détenues pour seulement 62 000 places. Nous figurons parmi les pays les plus en difficulté en Europe, derrière Chypre et la Roumanie.
M. Hervé Saulignac
Ce n’est pas glorieux !
Mme Céline Thiébault-Martinez
Cette surpopulation nuit au sens même de la peine. Elle empêche toute perspective de réinsertion et compromet les conditions de détention, rendant la prison plus criminogène que réparatrice.
Maintenir l’aménagement des courtes peines, c’est à la fois garantir l’humanité de notre justice et préserver la société du cycle infernal de la récidive. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cet article.
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky.
Mme Léa Balage El Mariky
L’article 1er prévoit la réintroduction des peines de moins d’un mois. C’est une très mauvaise idée puisque, quand on veut sérieusement combattre la récidive, on lutte contre les courtes peines d’enfermement qui, dans 62 % des cas, produisent de la récidive.
Chers collègues du Rassemblement national, je vais vous expliquer pourquoi vous mentez et vous vous trompez. Une courte peine de prison peut entraîner la rupture du lien social, la perte d’un logement ou d’un emploi…
M. Emeric Salmon
Il faut y penser avant de commettre un délit !
Mme Léa Balage El Mariky
…sans offrir la possibilité d’un accompagnement. De plus, l’entrée en prison constitue un choc qui peut déclencher des difficultés psychologiques ou psychiatriques, ce qui rend la peine encore plus difficile et peut rendre la réinsertion impossible.
L’article 1er contient plein d’erreurs, dont la principale est la réintroduction des courtes peines, qui ne régleront en rien les problèmes de sécurité de notre pays et feront augmenter la récidive.
M. le président
La parole est à M. Jean-François Coulomme.
M. Jean-François Coulomme
Cet article rétablit la possibilité pour le juge de prononcer des peines d’emprisonnement de moins d’un mois. Or, selon le code pénal, une « peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours, si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur [la] rendent indispensable et si toute autre sanction est manifestement inadéquate ». L’article prévoit aussi que les mesures d’aménagement constituent une simple faculté pour la juridiction, c’est-à-dire l’inverse de la norme actuelle pour les peines d’emprisonnement inférieures ou égales à deux ans.
Je veux m’arrêter sur le mot « indispensable ». Est-il indispensable pour la sécurité publique qu’une personne qui s’est rendue coupable d’une infraction au code de la route, d’une conduite en état d’ivresse ou d’une consommation de cannabis soit enfermée ?
M. Sylvain Berrios
Oui, pour cuver !
M. Paul Christophe
Vous êtes pour le cannabis ?
M. Jean-François Coulomme
Je ne le crois pas.
À l’image de l’ensemble de la proposition de loi, cet article va conduire à une inflation de la population carcérale. Nous proposons à l’inverse une politique de déflation pénale et carcérale, seule à même de lutter efficacement contre la récidive. Nous nous opposons au rétablissement des courtes peines, qui sont présentées sans fondement comme la solution à la récidive et à la surpopulation carcérale.
Si vous prévoyez de la prison pour des délits de faible gravité, comme la conduite sans assurance ou sans permis ou un vol simple d’un bien de faible valeur, comme un scooter à 1 000 euros, quelle peine envisagez-vous pour un abus de biens sociaux qui se monterait à 4 millions d’euros, c’est-à-dire l’équivalent de 4 000 scooters ?
M. Sylvain Berrios
Qui vole un scooter…
M. Jean-François Coulomme
On se le demande…
M. Sylvain Berrios
On le sait déjà !
M. Jean-François Coulomme
L’enfermement ne contribue pas à réinsérer les auteurs d’infractions ou de délits. J’ai visité l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Marseille il y a quelques semaines. Les enfants y sont comme en cage, sans solution alternative à l’enfermement, sans enseignement. À quoi cela sert-il ? (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’orateur.)
M. Sylvain Berrios
C’est à l’appréciation du juge !
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Je n’ai pas voulu allonger la discussion générale, mais je profite de l’examen de cet article important de la proposition de loi pour répondre à quelques interrogations qui, toutes légitimes qu’elles soient, ne portent pas réellement sur le texte tel que je l’ai compris en écoutant M. le rapporteur. Plusieurs orateurs ont parlé de la récidive en France. Sur ce point, j’ai dit tout à l’heure à la tribune que nous étions mauvais, avec un taux de récidive de 60 % dans les cinq ans suivant la sortie de prison. Je parle bien de récidive et non de réitération.
Mais, en Europe, aucun pays comparable au nôtre ne fait beaucoup mieux, qu’on regarde vers ceux qui appliquent des peines courtes ou ultracourtes, vers ceux qui pratiquent la déflation pénale que M. Coulomme appelle de ses vœux ou vers ceux qui incarcèrent plus que la France. Au sein de l’OCDE, l’efficacité du choix de faire sortir des gens de prison n’a pas été démontrée. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien changer mais cela prouve que les bonnes solutions ne sont pas faciles à trouver.
M. Kervran a au moins le courage de proposer des mesures dont on peut discuter. Il n’y a pas, d’un côté, une politique pénale dont on est sûr qu’elle permettrait d’éviter la récidive et, de l’autre, des responsables qui seraient heureux d’en appliquer une autre qui créerait cette récidive.
Deuxième point : il ne faut pas confondre l’aménagement de peine avec la peine aménagée ab initio, c’est-à-dire la peine autonome prononcée par le magistrat – je le dis pour le Rassemblement national et un peu aussi pour le groupe écologiste.
Le législateur a tendance à imaginer qu’à chaque infraction correspond un article du code pénal, qui prévoirait une peine de prison et une amende, et que le juge de l’application des peines passerait son temps à interpréter ce qu’a dit non seulement le législateur, mais surtout le juge. On perd tous un peu de temps avec le juge de l’application des peines.
D’ailleurs, monsieur Saulignac, le président Sarkozy a eu, comme tous les justiciables, des difficultés pour voir un juge de l’application des peines. Il faut compter, en moyenne, quatre à cinq mois pour y accéder ; dans le cas du président Sarkozy, cela a pris moins de deux mois. De ce point de vue, la justice a été plus sévère et elle a été plus rapide à lui passer un bracelet électronique que s’il s’était agi de n’importe quel autre citoyen – vous auriez pu le souligner plutôt que de faire œuvre de démagogie,…
M. Hervé Saulignac
Non, ce n’était pas de la démagogie.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…de modifier les faits et de déformer la vérité.
On peut très bien concevoir que des peines prononcées ab initio qui ne soient pas des peines d’enfermement carcéral – bracelet électronique, placement extérieur, voire semi-liberté, ou bien une combinaison de bracelet électronique et de travaux d’intérêt général, ce qui manque d’ailleurs dans notre droit – soient plus efficaces que la prison ; j’en suis d’accord. Néanmoins, ne confondons pas tout. M. Kervran ne dit pas qu’il faut supprimer toutes ces peines.
Mme Léa Balage El Mariky
Non, mais il renverse le principe.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Son texte ne vise absolument pas à ce que tout le monde soit emprisonné. Il part d’un constat : le magistrat est actuellement privé de la possibilité d’envoyer quelqu’un en prison dès la première infraction, s’agissant d’un acte passible d’un mois de prison. Cela ne signifie nullement que M. Kervran souhaite supprimer les peines autonomes que pourrait prononcer un magistrat.
Je l’ai souligné tout à l’heure : le code pénal prévoit très exactement 235 peines possibles ad litteram, hors aménagements de peine. Nous avons construit ensemble, depuis de nombreuses années, un éventail bien trop large de peines, que tous les magistrats ne connaissent sans doute pas par cœur – ils le reconnaissent eux-mêmes.
Je le répète : M. Kervran ne dit pas qu’il faut que tout le monde aille en prison ; il pose la question de l’aménagement obligatoire. Si la proposition de loi est adoptée, le juge pourra toujours aménager ab initio une peine autonome.
Troisième point : je suis tout à fait d’accord avec le côté gauche de l’hémicycle quand il dit qu’il faut accompagner les personnes condamnées en vue de faciliter leur réinsertion. En particulier, je suis heureux d’entendre les membres du groupe socialiste défendre cette idée – que ne l’ont-ils concrétisée lorsqu’ils étaient aux responsabilités, il n’y a pas si longtemps !
Le problème – qui ne date pas d’aujourd’hui –, c’est l’enquête sociale. Cette enquête, qui est réalisée soit par une association, soit par les Spip, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, devrait presque être faite dès la garde à vue. La personne exerce-t-elle un travail ? Perçoit-elle une rémunération ? Est-elle mariée ? A-t-elle des enfants ? Peut-elle porter un bracelet électronique à son domicile ? Cela permettrait, à l’avocat, de préparer sa défense, au procureur de la République et au juge, de connaître la personnalité qui leur est présentée.
Actuellement, il n’existe pas d’enquête sociale en amont de l’interpellation et de la condamnation – ou alors elle est effectuée juste avant. Il serait bon que, dans le cas où la personne est reconnue coupable par le tribunal, on dispose de cette enquête afin de savoir si elle peut porter un bracelet électronique, ce qui n’est pas toujours possible.
Je conviens qu’il existe des risques de désocialisation. Néanmoins, vous ne ferez croire à personne qu’une semaine de privation de liberté conduit à une désocialisation totale.
Mme Andrée Taurinya
Si !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Non, ce n’est pas le cas. Est-ce efficace ? Non – et c’est un autre sujet. Mais est-ce que ça désocialise ?
Mme Andrée Taurinya
Oui !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
La réponse est non – il ne suffit pas de crier quelque chose pour que cela devienne vrai.
En amont de l’examen de la proposition de loi, je me suis rendu en Grande-Bretagne et j’ai reçu le ministre néerlandais de la justice, chargé des prisons. Aux Pays-Bas, on associe les deux aspects : on prononce de courtes peines d’emprisonnement – dont l’efficacité, je l’ai dit à la tribune, est peu prouvée pour ce qui concerne la récidive – et l’on aménage ab initio des peines autonomes. Par exemple, 30 % des peines prononcées aux Pays-Bas consistent en des travaux d’intérêt général, contre 3 % chez nous.
Mme Léa Balage El Mariky
On a des moyens autonomes aussi !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
En effet, là-bas, on ne demande pas l’accord de la personne pour prononcer une telle peine – idem sous le gouvernement socialiste de M. Sanchez en Espagne ou quand les sociaux-démocrates gouvernaient en Italie.
Vous faites semblant de ne pas avoir entendu ce que nous avions dit très honnêtement, avec M. Kervran : la proposition ne pourra pas s’appliquer tant qu’il n’existera pas des lieux carcéraux différents. Il ne s’agit pas d’envoyer des gens séjourner durant quinze jours à un mois et demi dans une maison d’arrêt surpeuplée. Il faut créer d’autres lieux – des prisons à taille humaine, qui n’auront besoin ni de miradors ni de barbelés. On pourra alors prononcer de courtes peines d’emprisonnement dans ces établissements.
M. Pouria Amirshahi
Pour quoi faire ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je terminerai par un point très important. Les aménagements de peine ont produit l’inverse de ce que vous dites. Les dispositions prises par Mmes Taubira et Belloubet étaient sans doute fondées sur de bons sentiments et furent soutenues à l’époque par de nombreuses personnes, mais elles ont augmenté les quanta des peines. Les juges – qui, dans notre pays, sont indépendants – ont étudié la loi et décidé de prononcer des peines de neuf mois ou d’un an de prison plutôt que de six mois afin que l’emprisonnement soit effectif.
Mme Léa Balage El Mariky
Mais non ! Ce n’est pas pour cette raison !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Si, c’est très exactement pour cette raison : parlez-en avec les magistrats !
Le quantum des peines a augmenté, et c’est pourquoi on recense aujourd’hui le même nombre de personnes condamnées à la prison qu’en 1980, 1986 ou 1990. Reprenons l’exemple donné par M. Coulomme : quelqu’un qui vole un scooter ou qui roule sous l’emprise du cannabis ou de l’alcool n’ira jamais à la première infraction en prison – si vous en connaissez un, présentez-le moi !
M. Pouria Amirshahi
En préventive, il y en a plein !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
En revanche, au bout de la troisième, de la cinquième, de la dixième infraction similaire, le magistrat, quand il verra qu’aucune des peines précédemment prononcées n’a fonctionné, décidera probablement d’envoyer cette personne en prison – quand bien même il saurait que cela ne facilitera en rien sa réinsertion ; en effet, il ne voudra pas prendre le risque qu’elle tue quelqu’un ; en outre, il faut bien lui envoyer un jour le signal qu’il faut que cela s’arrête.
Ce système ne peut pas marcher. Pourquoi ? Parce qu’on envoie les personnes en prison lorsqu’elles récidivent. Ce que propose M. Kervran, c’est d’inverser la logique : que dès la première infraction, il y ait une sanction.
Mme Léa Balage El Mariky
Arrêtez, monsieur le ministre ! Il y a déjà une sanction !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Cette sanction consiste-t-elle en une petite peine de prison ? On peut en débattre. Cela peut être autre chose. Néanmoins, vous savez bien que la plus grande part, pour ne pas dire l’immense majorité des détenus en maison d’arrêt sont des gens qui ont récidivé – exception faite des cas qui relèvent du criminel. Que va faire le magistrat ? Il ne va pas prononcer une peine de six mois d’emprisonnement, parce qu’il sait qu’elle sera aménageable. Alors, il prononce une peine de neuf à douze mois – et le quantum de la peine augmente. La surpopulation carcérale découle donc des textes que vous avez vous-mêmes proposés.
Mme Léa Balage El Mariky
En 2019, ce n’était pas nous !
Mme Elsa Faucillon
La loi Belloubet, c’est la Macronie !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
L’obligation d’aménagement ab initio des peines a eu un effet contraire à ce que vous, Assemblée nationale, aviez collectivement souhaité.
Mme Léa Balage El Mariky
Vous avez dit « vous-mêmes » !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Les communistes ont voté pour la loi Taubira et la majorité a voté pour la loi Belloubet. Je parle donc de l’Assemblée nationale, de manière collective. Et j’imagine que Mme Belloubet comme Mme Taubira avaient de bonnes raisons de proposer ces dispositions. En l’occurrence, vous venez de nouveau de défendre les aménagements obligatoires de peine, alors qu’ils ont mené à une augmentation du quantum de la peine et à une surpopulation carcérale.
M. Jean-François Coulomme
C’est faux !
M. le président
Je suis saisi de quatre amendements identiques, nos 7, 20, 33 et 42, visant à supprimer l’article 1er.
La parole est à Mme Andrée Taurinya, pour soutenir l’amendement no 7.
Mme Andrée Taurinya
On pourrait se croire le 1er avril – malheureusement, ce n’est pas le cas. Cette proposition de loi n’est pas une blague. Pourtant, quand vous dites, monsieur le rapporteur, dans votre présentation du texte, que vous voulez lutter contre la surpopulation carcérale et que le texte vise à individualiser la peine, on a du mal à se retenir de rire ! Dans la même niche, vous présentez une proposition de loi visant à restaurer des peines planchers et vous voulez nous faire croire que vous souhaitez individualiser la peine ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Vous prétendez vouloir lutter contre la surpopulation carcérale, mais vous êtes-vous bien renseigné sur le sujet ? En 2023, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté écrivait que, depuis trente ans, les gouvernements successifs avaient échoué à résoudre le problème de la surpopulation carcérale et qu’il faudrait aux décideurs « du courage », parce que « l’action politique se trouve aujourd’hui paralysée par la crainte de l’opinion publique ». Ce que vous faites aujourd’hui consiste précisément à surfer sur l’ambiance sociétale alimentée par des chaînes d’information que l’on connaît bien, tenues par des milliardaires,… (Exclamations sur les bancs du groupe HOR)
M. Emeric Salmon
N’importe quoi !
Mme Andrée Taurinya
…et qui essaient d’alimenter l’esprit vengeur de la justice alors que nous, nous défendons une justice humaniste. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Emeric Salmon
Non : laxiste !
Mme Andrée Taurinya
Enfin, vous avez beaucoup de mépris quand vous écrivez dans votre exposé des motifs que depuis plusieurs années s’est installée en France une idéologie qui voudrait que les courtes peines soient systématiquement de mauvaises peines.
M. le président
Merci de conclure, chère collègue.
Mme Andrée Taurinya
En effet, la conférence de consensus sur la prévention de la récidive et les états généraux de la justice, qui étaient composés de citoyens et d’experts, avaient, à l’issue de leurs travaux, montré l’inutilité des courtes peines. (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’oratrice. – Quelques députés du groupe LFI-NFP applaudissent cette dernière.)
M. le président
Comme il s’agit d’une niche parlementaire, je vous remercie de bien vouloir respecter votre temps de parole.
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 20.
Mme Elsa Faucillon
D’abord, dans les établissements pénitentiaires de notre pays, il n’y a pas que des personnes condamnées à de moyennes et longues peines. Il y a aussi un nombre conséquent de détenus qui purgent de courtes peines – ne faisons pas comme si ce n’était pas le cas. Une forte proportion d’entre eux sont des prévenus, et tous ne sont pas des récidivistes. Ce sont parfois des personnes qui sont poursuivies pour la première fois et qui passent un certain nombre de mois en détention avant d’être jugées. Ne laissons pas courir le bruit, surtout dans la période actuelle, que la justice serait laxiste et qu’elle ne condamnerait pas à des peines de prison, y compris pour de premiers délits.
Ensuite, se dégage de votre discours, monsieur le ministre, ainsi que de celui du rapporteur, l’idée que l’emprisonnement est la peine de référence, la seule à même de véhiculer un message efficace, un message de fermeté. Depuis plusieurs années, en commission des lois, quand quelqu’un veut faire montre de fermeté, qu’il veut s’adresser aux Français pour leur demander de lui faire confiance, il arrive souvent qu’il déclare qu’il faut augmenter le quantum de la peine et mettre des gens derrière les barreaux. Je trouve ce discours mensonger. La prison n’est pas la solution – non qu’il ne faille emprisonner personne mais on doit évaluer l’efficacité de la peine au regard des conditions de détention, de son aménagement, etc.
Quant à prétendre que c’est de la faute des lois Taubira et Belloubet si les quanta des peines augmentent, c’est oublier les comparutions immédiates, la pression politique et médiatique qui pèse sur les magistrats et le rôle du législateur. Les effets de bord des lois Taubira et Belloubet peuvent être corrigés autrement que par cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et EcoS, ainsi que sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Hervé Saulignac, pour soutenir l’amendement no 33.
M. Hervé Saulignac
Il s’agit d’un autre amendement de suppression. Avant de le défendre, j’avoue mon étonnement sur ce qui vient d’être dit : Mme Belloubet appréciera d’apprendre qu’elle porte une part de responsabilité dans la surpopulation carcérale ! C’est peut-être une marque d’honnêteté de la part du ministre de la justice que de l’affirmer mais c’est tout de même assez étonnant.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Et inélégant !
M. Hervé Saulignac
Nous nous interrogeons sur le sens d’un article qui tend à enfermer un plus grand nombre de personnes alors même qu’on ne sait pas gérer la surpopulation carcérale – vous avez eu l’honnêteté de le reconnaître, monsieur le ministre. Ayez donc aussi celle d’admettre qu’il est assez incongru de nous proposer d’enfermer plus, tout en disant que vous ne savez pas où vous allez mettre les détenus.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Ce n’est pas ce que j’ai dit.
M. Hervé Saulignac
Cela ne me paraît pas être la meilleure façon de procéder.
Mais surtout, au-delà de la question de la surpopulation carcérale, on s’interroge sur la situation dans laquelle vous allez placer les magistrats : même si la peine prononcée reste à leur main, vous adressez néanmoins, à travers cette proposition de loi, un message politique invitant à enfermer davantage et à faire exécuter les peines, même courtes. Vous les placez donc dans une situation des plus délicates.
À cela, s’ajoutent les arguments précédemment déployés par mes collègues : l’accompagnement ne figure pas plus que la réinsertion au rang de vos préoccupations. Vous pouvez exposer l’exemple des Pays-Bas, il ne vaut rien tant que l’accompagnement et la réinsertion, corollaires de l’exécution des courtes peines, font défaut.
Enfin, chacun sait qu’une courte peine est désocialisante. Or ce qui est désocialisant entraîne de la récidive, cela même que vous prétendez combattre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS. – M. Maxime Laisney applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 42.
Mme Léa Balage El Mariky
Je défends également la suppression de l’article 1er pour plusieurs raisons. Le principe doit être l’efficacité, c’est-à-dire les peines courtes aménagées. En effet, les peines courtes non aménagées conduisent à la récidive. À travers votre proposition de loi, vous faites au contraire de l’inefficacité le principe et de l’efficacité l’exception.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué l’augmentation du quantum de peine, rappelant que des peines d’emprisonnement supérieures à six mois ont été prononcées de plus en plus fréquemment ces dernières années. D’où vient cette évolution ? Ce n’est pas comme si la liberté des magistrats s’exerçait en dehors de toute pression. Il existe au contraire une pression sociale, politique et médiatique, qu’aggravent les lois. Ainsi, la proposition de loi que nous examinons pose l’emprisonnement en principe, même pour les courtes peines ; elle promeut la rupture des liens sociaux, la fermeté, voire la brutalité d’une incarcération sans accompagnement.
En conservant cet article, nous ne permettrions pas vraiment aux magistrats de rendre leurs jugements librement ni d’aménager les peines, ce qui est aussi leur office – puisque nous ferions peser sur eux une pression supplémentaire. Cela irait dans le mauvais sens pour la justice. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)
M. le président
La parole est à M. Loïc Kervran, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour donner l’avis de la commission.
M. Loïc Kervran, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Tout en motivant mon avis, défavorable, je répondrai à certains des arguments qui ont pu être avancés, y compris au cours de la discussion générale.
Dans nos débats, l’individualisation de la peine vous vient souvent à la bouche.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Et au cœur !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Nous pourrions partager ce souci avec vous, si vous ne cherchiez en réalité à interdire aux juges de prononcer des peines de douze à vingt-quatre mois d’emprisonnement en les obligeant à les aménager. À travers vos amendements de suppression, vous défendez le caractère obligatoire des aménagements de peine ! (M. Sylvain Berrios applaudit.)
Mme Elsa Faucillon
Ne dites pas cela, ce n’est pas honnête !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Ce n’est pas de bonne tenue !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Deuxièmement, touchant l’efficacité de la prison et des peines de substitution, il nous faut, collectivement, faire preuve de mesure. Du pas dont vous allez, vous supprimerez bientôt le travail d’intérêt général (TIG), qui conduit à un taux de récidive – 60 % – équivalent à celui de l’incarcération.
En réalité, vous tenez un discours anti-prison. Vous ne voulez pas que les magistrats aient le choix ; vous êtes contre la prison par principe.
Mme Léa Balage El Mariky
Pas par principe !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Pour ma part, je ne suis pas contre l’aménagement. Si tel était le cas, je n’aurais pas proposé dans ce texte d’en étendre la possibilité, ouverte pour les peines de douze mois, à celles de vingt-quatre mois ; j’aurais au contraire interdit l’aménagement des très courtes peines, ce que je ne fais absolument pas.
La philosophie de ce texte est de n’imposer ni un principe d’aménagement ni un principe d’incarcération ; le seul principe de mon texte, c’est la liberté du juge.
Mme Elsa Faucillon
On pourrait se passer de lois alors !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Nous serions au chômage technique !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Avis défavorable. Vous n’avez pas dû entendre ce que j’ai dit tout à l’heure à la tribune. Je n’ai pas émis un avis favorable à la proposition de loi de M. Kervan. J’ai indiqué que sa mise en œuvre ne sera imaginable qu’à partir du moment où nous aurons construit les établissements spécialisés nécessaires – c’est le contraire de ce que vous m’avez fait dire !
Mme Elsa Faucillon
Ce n’était pas clair !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Soit le débat consiste à échanger des arguments rationnels et nous nous entendons ; soit vous vous livrez à une opposition de principe, parce que vous n’avez pas plus envie d’étudier la proposition de loi du groupe Horizons que de la voter, auquel cas mieux vaut faire autre chose que débattre ensemble. Ne me faites pas dire le contraire de ce que j’ai dit au cours de la discussion générale dans une intervention qui a duré moins de cinq minutes.
Mme Léa Balage El Mariky
C’était trop court !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Premièrement, il faut adopter la mesure sur les courtes peines, indépendamment de la question de leur efficacité. Cette dernière doit encore être tranchée. C’est pourquoi j’ai souligné l’intérêt du débat soulevé par M. Kervan – d’ailleurs, il vous intéresse. Néanmoins, la PPL ne pourra être adoptée que lorsqu’on aura construit des places de prison supplémentaires. Ne faites pas croire que nous voudrions envoyer en maison d’arrêt les personnes devant purger de courtes peines !
M. Hervé Saulignac
Mais pourquoi avez-vous émis un avis de sagesse sur la PPL, alors ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
D’abord, je fais ce que je veux, monsieur le député, si vous me le permettez ! (Sourires.) Ensuite, en écoutant les arguments des uns et des autres, j’ai pensé qu’en cas d’adoption du texte, le groupe socialiste envisagerait peut-être de consacrer davantage de moyens à la justice…
Mme Léa Balage El Mariky
Je les ai évoqués !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…et pourrait éventuellement admettre la construction de nouvelles places de prison lors d’un prochain échange avec le premier ministre.
Par ailleurs, oui, il peut être nécessaire de réviser ce que nous avons fait collectivement.
M. Manuel Bompard
Comme la réforme des retraites ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
J’appartenais au même gouvernement que Mme Belloubet. Cela ne m’empêche pas de reconnaître que certaines mesures ont entraîné des effets inverses de ceux qui étaient souhaités.
Quant à vous, je constate que vous ne revenez jamais sur ce qu’a fait Mme Taubira – par idéologie, sans doute.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Ils ont mieux à faire !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Par principe, vous refusez de revenir sur ce que vous avez fait. Pour notre part, nous osons dire, à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi de M. Kervan, que la question se pose. Se poser des questions, c’est aussi cela la démocratie.
Vous pourriez donc faire un petit pas et reconnaître que les mesures prises à l’époque de Mme Taubira ne sont pas parfaites, puisque ni le problème de la surpopulation carcérale, ni celui de la construction de places de prison, ni celui des moyens du ministère de la justice n’ont été résolus. Je rappelle que c’est sous la présidence d’Emmanuel Macron que les moyens de ce ministère ont été doublés. Vu l’état dans lequel nous l’avons trouvé, certains pourraient se montrer plus modérés dans leurs propos. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. le président
La parole est à Mme Andrée Taurinya.
Mme Andrée Taurinya
C’est Mme Taurinya, non Mme Taubira.
Il y a près de deux siècles, Victor Hugo affirmait qu’ouvrir une école, c’est fermer une prison. Il doit se retourner dans sa tombe : vous faites le contraire, vous voulez construire des prisons et vous fermez les écoles. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – Exclamations sur quelques bancs des groupes RN, HOR et UDR.)
Un député
Elle est folle !
Mme Andrée Taurinya
En construisant des écoles, en développant le service public d’éducation, nous lutterions contre la délinquance par la prévention, mais cela ne vous intéresse pas, car vous défendez une idéologie.
Monsieur le ministre, je suis horrifiée de vous entendre dire qu’une semaine de prison ne désocialise pas. Dans quel monde vivez-vous ? Moi, je visite des prisons, je discute avec les détenus.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Et moi, je fais quoi ?
Mme Andrée Taurinya
Je sais que passer ne serait-ce qu’une semaine en prison prive le détenu de son travail, de son conjoint, de sa famille ! Ce que vous dites est honteux ! Vous êtes complètement en dehors de la réalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Vous ne mentionnez jamais le choc carcéral, évoqué par ma collègue. Alors que les nouveaux détenus sont censés être bichonnés en quartier des arrivants, dans l’idée qu’il faut leur éviter le choc carcéral et leur ménager une transition douce, certains s’y suicident. C’est arrivé à trois détenus de la prison de La Talaudière ces derniers mois : il n’a fallu qu’une semaine pour qu’ils se suicident. Voilà ce qui risque d’arriver ! Une semaine de prison ferme – une semaine ! – et combien de morts ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.)
Rappel au règlement
M. le président
Avant de céder la parole à M. Bastien Lachaud, pour un rappel au règlement, j’aimerais que tout le monde m’écoute. Évoquant le comportement des uns et des autres pendant les journées de niche parlementaire lors d’une récente réunion du bureau, tous les groupes présents sont convenus que les incidents, d’où qu’ils viennent, étaient regrettables. J’aimerais que nous montrions l’exemple : on peut débattre de sujets importants, objets de véritables controverses, dans le respect mutuel. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
La parole est à M. Bastien Lachaud.
M. Bastien Lachaud
J’interviens sur le fondement de l’article 70 de notre règlement. Nous sommes plusieurs à avoir très distinctement entendu l’un de nos collègues traiter la députée Taurinya de « folle ».
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est honteux !
M. Bastien Lachaud
Je pense d’ailleurs que si vous avez tenu ces propos avant ma prise de parole, c’est que vous-même, monsieur le président, avez entendu le mot ou qu’il vous a été rapporté.
Celui-ci n’a pas leur place dans notre hémicycle. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.) Au passage, je constate, une fois encore, que c’est lorsqu’une députée prend la parole que l’on entend ce genre de termes, qui psychiatrisent le débat. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Il faut que la personne qui a tenu ces propos présente ses excuses ou que vous la sanctionniez. (M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit.) En tout état de cause, une suspension de séance est nécessaire pour que chacun reprenne son calme. (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes EPR, Dem et HOR.)
M. le président
Je pense avoir été clair, monsieur Lachaud : je souhaite que nos débats se déroulent dans le climat apaisé que mérite ce type d’examen. La suspension est de droit.
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures.)
M. le président
La séance est reprise.
Article 1er (suite)
M. le président
Je mets aux voix les amendements de suppression nos 7, 20, 33 et 42.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 116
Nombre de suffrages exprimés 116
Majorité absolue 59
Pour l’adoption 44
Contre 72
(Les amendements identiques nos 7, 20, 33 et 42 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements, nos 9 et 8, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l’amendement no 9.
M. Jean-François Coulomme
Vous voudriez voir exécuter des peines de prison inférieures à un mois. Or nous sommes particulièrement opposés, vous l’avez bien compris, à l’idée selon laquelle une peine aussi courte pourrait entraîner la moindre désistance chez les auteurs d’infractions – en l’occurrence des délits. J’ai évoqué tout à l’heure l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Marseille où, depuis cinq semaines, les détenus mineurs ne bénéficient d’aucun enseignement. Cela doit nous inciter à la réflexion : quel est le sens d’une peine qui ne permet en aucune manière d’éviter la récidive ou d’aider les détenus à changer entre leur entrée dans l’établissement de détention et leur retour dans l’espace public ?
Vous ne vous êtes pas posé cette question pourtant nécessaire, et vous n’avez pas non plus réalisé la moindre étude d’impact. En témoigne la contrevérité que nous avons entendue tout à l’heure, selon laquelle les TIG donnaient lieu au même niveau de récidive que les peines d’emprisonnement.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je n’ai pas dit ça !
M. Jean-François Coulomme
Je crois que c’est M. le rapporteur qui l’a dit et non vous, monsieur le ministre – ne prenez pas tout pour vous, même si je sais que vous avez les épaules larges ! Quoi qu’il en soit, c’est faux ! Le Syndicat de la magistrature en convient. Rendez-vous compte : deux tiers des courtes peines entraînent une récidive ! Quel est l’intérêt de ce que vous proposez ? Vous nous dites que vous allez créer de jolies petites maisons d’arrêt très conviviales, dans lesquelles tous les soins nécessaires seront disponibles pour les détenus condamnés à de courtes peines, mais de tels endroits n’existent pas ! Le vote de la proposition de loi entraînerait de facto l’incarcération des personnes concernées dans les établissements existants. Nous vous avons parlé des soucis de surpopulation qui y sont la norme, mais il faudrait aussi évoquer le fait que les agents pénitentiaires n’en peuvent plus de devoir gérer un nombre toujours plus élevé de détenus ! Il faut donc prendre en compte tant la nécessité d’encourager la désistance que le confort de ceux qui travaillent dans ces établissements. (Mme Mathilde Panot applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Andrée Taurinya, pour soutenir l’amendement no 8.
Mme Andrée Taurinya
Cet amendement de repli va dans le même sens que le précédent : nous vous proposons d’interdire les peines d’emprisonnement inférieures à deux mois. Monsieur le ministre, vous avez dit que les mesures alternatives n’étaient pas efficaces ;…
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je n’ai jamais dit ça !
Mme Andrée Taurinya
…comme l’a souligné mon collègue Coulomme, c’est faux ! Surtout, s’il arrive qu’elles ne soient pas efficaces, c’est en réalité parce que l’établissement pénitentiaire souffre d’un problème que vous connaissez bien : un problème d’effectifs. Les Spip ne sont pas du tout assez nombreux pour mener à bien ce travail de réinsertion ! Il va falloir que vous compreniez la chose suivante, chers collègues qui avez la prison pour seul horizon (Sourires sur divers bancs. – Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – M. Éric Martineau et Mme Naïma Moutchou applaudissent également) : la justice doit permettre à ceux qui ont commis des délits – et aussi des crimes, d’ailleurs – de se réinsérer dans la société et de comprendre la gravité des actes qu’ils ont commis, de manière à ne pas récidiver. Dans notre programme, nous appelions de nos vœux – c’est encore le cas – le recrutement de 5 000 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation sur cinq ans, c’est-à-dire la création de 5 000 postes dans les Spip. Avec le budget qui nous a été imposé par 49.3, il est certain que ce ne sera pas possible !
Il s’agit donc d’un nouvel amendement de repli. Nous espérons que tous ces débats permettront enfin de vous convaincre ; peut-être aurez-vous un moment de lucidité ! Vous devez comprendre que cette proposition de loi est vraiment nocive et contre-productive. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Benjamin Lucas-Lundy applaudit également.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Je précise d’emblée que ce n’est pas le ministre qui a parlé des TIG ; c’est moi !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Peut-être serez-vous ministre un jour !
M. Loïc Kervran, rapporteur
J’assume mes propos et je vais vous lire le rapport publié par la Cour des comptes en mars 2025 à ce sujet : « le taux de récidive dans les cinq ans après une condamnation à un TIG atteint près de 60 %, soit un niveau proche de celui observé pour les condamnés à des peines d’emprisonnement ferme. » C’est très comparable, donc ; or je crois savoir que vous ne souhaitez pas supprimer les TIG !
Vos amendements n’illustrent finalement que votre idéologie anti-prison. Assez curieusement, plus la peine est courte, plus vous la rejetez ! (« Excellent ! » sur les bancs du groupe HOR.) Vous préférez des peines longues aux peines de moins d’un mois, qui sont pourtant moins désocialisantes puisqu’elles n’entraînent pas la perte d’un emploi, le desserrement des liens familiaux ou la déscolarisation. (« CQFD ! » sur les bancs du groupe HOR.) Avis défavorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Jean-François Coulomme.
M. Jean-François Coulomme
Il ne s’agit pas ici de réfléchir au sens des peines prononcées, puisqu’on voit bien que vous n’avez pas effectué le travail approfondi qui s’imposait ; mais on peut se demander plus largement à quoi sert la prison, c’est-à-dire quel sens il y a à emprisonner quelqu’un. Une peine de prison n’a lieu d’être prononcée que si elle est utile du point de vue de l’ordre public : il s’agit de retirer de l’espace public des gens qui font peser sur lui un danger. Or ce n’est pas ce qui se passe dans les faits. La plupart du temps, des gens sont incarcérés alors qu’ils représentent un danger surtout pour eux-mêmes, en raison de comportements tels que la conduite en état d’ivresse ou la consommation de stupéfiants.
On mesure l’hypocrisie du dispositif que vous proposez, déjà soulignée par ma collègue Andrée Taurinya : il ne sert ni à sécuriser l’espace public ni à protéger la société. Si c’était le cas, peut-être l’approuverions-nous ; en tout cas, nous verrions l’incarcération d’un œil différent si elle pouvait réellement, dans les cas que vous prévoyez – de courtes peines –, protéger la société des délits que commettent une partie de ses membres. Malheureusement, ce n’est pas l’objectif de la proposition de loi.
Par conséquent, nous sommes absolument opposés au traitement carcéral des petits délits, dont les auteurs n’ont pas leur place en prison. Ils ont plutôt besoin d’un accompagnement qui doit être prodigué par des professionnels de la réhabilitation, et dont l’objectif doit être la désistance. Pour cela – ma collègue vous l’a dit –, il faut des moyens qui ne sont pas là. Où sont passés les éducateurs de rue ? Ils sont de moins en moins nombreux et si mal payés qu’on a du mal à en recruter ! Pourtant, ils ont accompli pendant des décennies un travail remarquable dans les quartiers. En tant qu’adultes, ils pouvaient servir d’exemple aux petits délinquants qu’ils accompagnaient, en les aidant à adopter un comportement plus conforme aux règles de la société. Mais on n’en trouve quasiment plus : il n’y a plus d’éducateurs de rue ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Kervran, rapporteur
Je ne peux pas laisser dire que ces personnes ne représentent un danger que pour elles-mêmes. Au passage, toute vie humaine mérite d’être protégée : même si elles ne représentaient un danger que pour elles-mêmes, il faudrait en tenir compte.
M. Jean-François Coulomme
Ils se suicident en prison !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Quand j’interroge les magistrats sur l’intérêt des très courtes peines, ils me disent par exemple qu’ils n’ont pas du tout envie de placer les primo-auteurs de violences conjugales sous bracelet électronique, à domicile ; dans ces cas-là, ils pensent que l’incarcération de courte durée peut être le choc salvateur permettant d’éviter la récidive.
M. Jean-François Coulomme
Ce n’est pas l’objet de votre proposition de loi !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Vous évoquiez par ailleurs les délits routiers. Il faut savoir que ce texte est né en partie d’un entretien que m’a accordé la maman d’une victime de délit routier, dont le fils a été tué par un chauffard multirécidiviste. Ce dernier, qui s’était déjà rendu coupable de refus d’obtempérer et de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, entre autres, n’avait jamais mis les pieds en prison ! Elle me disait donc son incompréhension. (M. Sylvain Berrios applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Naïma Moutchou.
Mme Naïma Moutchou
On voit bien qu’il y a une totale divergence de vues entre nous : ce qui s’exprime ici, ce sont des visions politiques diamétralement opposées, et nous l’assumons.
Mme Andrée Taurinya
C’est bien pour ça que nous sommes de ce côté et vous de l’autre !
Mme Naïma Moutchou
Les amendements que vous proposez visent à préserver un système qui a échoué ! Il n’y a jamais eu autant d’aménagements de peine mais nous continuons à obtenir des résultats très médiocres, en matière tant de prévention de la récidive que de réinsertion.
Ce que nous voulons est assez simple : nous voulons que les peines prononcées soient exécutées. Tout à l’heure, madame Taurinya évoquait l’école, mais cela n’a rien à voir ! L’école ne peut en aucun cas se substituer à l’exécution d’une peine !
Mme Andrée Taurinya
Si ! C’est l’école qui empêche la délinquance !
M. Sylvain Berrios
Taisez-vous !
Mme Naïma Moutchou
En réalité, c’est l’idéologie anti-prison qui empêche tout ! Quand un individu agresse, vole ou commet n’importe quelle infraction, croyez-vous qu’une salle de classe va y changer quoi que ce soit ? Seule une peine exécutée est susceptible de changer le cours des choses. Je veux donc répondre à Mme Taurinya, puisqu’elle a parlé d’éducation, que nous tenons beaucoup à l’éducation, nous aussi ; mais il n’y a pas pire contre-pédagogie que de défendre l’impunité, notamment auprès de la jeunesse ! C’est grave ! Nous sommes attachés autant à l’école qu’à la justice.
Mme Andrée Taurinya
Ce n’est pas vrai !
Mme Naïma Moutchou
Vous ne parlez que d’école ; quant à nous, nous parlons des deux, parce que nous voulons sauver les deux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
M. Benjamin Lucas-Lundy
On attend votre PPL sur l’école !
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 9.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 119
Nombre de suffrages exprimés 119
Majorité absolue 60
Pour l’adoption 30
Contre 89
(L’amendement no 9 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 8.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 118
Nombre de suffrages exprimés 118
Majorité absolue 60
Pour l’adoption 28
Contre 90
(L’amendement no 8 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir l’amendement no 62.
M. Pouria Amirshahi
Nous sommes forcés de répéter certaines choses,…
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est ça, la pédagogie !
M. Pouria Amirshahi
…mais je voudrais dire à Mme Moutchou et au rapporteur que nul homme – et nulle femme – n’est réductible à sa faute. C’est le principe même d’une justice qui a été pensée précisément pour réparer et pour remettre la personne qui a commis une faute sur des voies de réhabilitation, pour elle-même et pour la société. En l’occurrence, une telle disposition, qui consiste de facto à emprisonner tout de suite, dès la première faute, pour des peines courtes – c’est-à-dire pour des délits très mineurs –, reviendrait à enfermer dès le premier jour un citoyen dans sa faute. Tout ce qui s’ensuivrait aurait une incidence pour la personne comme pour la société !
Nous vous avons décrit la violence d’un choc carcéral et les conséquences sociales d’un emprisonnement immédiat, mais nous pourrions aussi insister sur l’inconséquence d’une telle disposition, puisqu’il est évidemment impossible de mettre en œuvre, dans le cadre d’une peine de prison d’un mois, les dispositifs d’accompagnement qui sont pourtant nécessaires. Si nous pouvons nous mettre d’accord pour dire que dans le cas de peines courtes, concernant des délits mineurs, il faut faire œuvre de pédagogie, réorienter et réinsérer la personne qui a commis une faute, il faut avoir recours aux professionnels de l’accompagnement, à commencer par les Spip, parmi d’autres – nous avons aussi évoqué les éducateurs spécialisés, ces éducateurs de rue dont l’importance doit être prise en compte –, car les personnels de la pénitentiaire ne sont pas capables de s’acquitter seuls de cette tâche.
J’en termine en m’adressant à M. le ministre : vous concédez à la gauche, comme vous l’aviez fait lors des débats récents sur le narcotrafic, que les moyens d’accompagnement sont insuffisants et que nous péchons en la matière.
M. Antoine Léaument
C’est vrai !
M. Pouria Amirshahi
Là encore, nous vous prenons au mot ! Il faut absolument déployer les dispositifs d’accompagnement que nous réclamons, en les assortissant des moyens conséquents qui sont nécessaires à leur bon fonctionnement – vous ne cessez de dire qu’ils font partie de la solution, mais sans jamais agir en ce sens. On ne peut pas se contenter de postures martiales qui ne visent qu’à durcir les peines ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Le débat sur l’efficacité des ultracourtes peines est intéressant ; d’autres amendements suivront sur lesquels je ne m’étendrai pas, mais cela mérite une réponse. Nous pouvons tous déplorer le manque d’études criminologiques sur l’efficacité des peines, de l’emprisonnement ferme et des solutions alternatives.
Mme Léa Balage El Mariky
Tout à fait !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Mais les peines pour lesquelles nous avons le plus de certitudes,…
Mme Léa Balage El Mariky
Attention, soyez prudent !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Je suis prudent, en effet, parce que des certitudes, nous n’en avons pas tant que ça. Celles sur lesquelles nous en avons le plus, donc, ce sont justement les ultracourtes peines. En effet, c’est à leur sujet que nous disposons des études universitaires les plus poussées, qui s’appuient sur les méthodes les plus solides – en particulier la randomisation, qui est très difficile à appliquer dans le monde judiciaire. C’est donc sur l’efficacité de ces peines que nous avons le plus de certitudes, en particulier concernant la réinsertion des personnes concernées et l’absence de nouveaux contacts avec la police ou la justice. Avis défavorable.
M. Pouria Amirshahi
Vous n’avez pas du tout répondu sur l’amendement !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
Madame Moutchou, on ne peut pas prétendre que les peines ne sont pas exécutées. Vous n’arrêtez pas de dire qu’un aménagement de peine n’est en fait pas une peine ; vous en êtes donc encore à penser que la prison est la peine de référence.
M. Pouria Amirshahi
Oui !
Mme Elsa Faucillon
Vous nous dites que les méthodes utilisées n’ont pas fonctionné et qu’il faut en changer ; mais en quoi voulez-vous changer quoi que ce soit ? Vous ne proposez aucunement de transformer le système actuel, qui est très répressif – la prison y est la peine de référence ; vous n’organisez pas le moindre virage par rapport au tout-carcéral ! Nous sommes toujours dans ce système-là, dont nous vous disons, en effet, qu’il ne fonctionne pas.
Les raisons en sont multiples : les courtes peines entraînent une désocialisation ; nous ne sommes pas bons en matière d’individualisation des peines, d’accompagnement et de préparation de la sortie ; nous ne consacrons pas suffisamment de moyens à cette politique. Même si des efforts ont été consentis, les agents d’insertion et de probation ont encore trop de dossiers à traiter. Ils nous le disent toutes et tous : le suivi est meilleur lorsqu’un agent traite 70 ou 80 dossiers que lorsqu’il en traite 110 ou 120.
En tout cas, cessez d’affirmer que les peines ne sont pas exécutées ; c’est faux ! Ne propageons pas dans notre société, en proie en ce moment à de fortes craintes, l’idée que la justice ne serait pas suffisamment ferme, qu’elle serait trop laxiste ; n’accablons pas la justice de tous les reproches. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – M. Jacques Oberti applaudit également.)
La justice est sous pression permanente. Les magistrates et magistrats que Mme Abadie et moi avons rencontrés en préparant notre rapport nous ont tous dit, quel que soit leur corps ou leur office, qu’il revient aux politiques de prendre leurs responsabilités pour sortir du tout-carcéral. Or, ici, vous nous proposez l’inverse.
Vous citez à l’envi l’exemple des Pays-Bas. Certes, on y prononce des courtes peines, mais il existe aussi une peine de probation autonome et, surtout, les Néerlandais ont organisé le virage pour sortir du tout-carcéral et vidé leurs prisons, si bien qu’un agent pénitentiaire surveille en moyenne 12 détenus, contre 60 à 70 en France. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
(L’amendement no 62 n’est pas adopté.)
Mme Léa Balage El Mariky
Dommage !
M. le président
La parole est à M. Nicolas Ray, pour soutenir l’amendement no 3.
M. Nicolas Ray
La proposition de loi vise à faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme afin de lutter plus efficacement contre la récidive. À cette fin, elle tend à supprimer la règle qui empêche le juge de prononcer des peines de prison de courte durée, ainsi que l’automatisme aberrant qui l’oblige à accorder un aménagement pour toute peine inférieure à un an.
Le présent amendement de mon collègue Éric Pauget s’inscrit pleinement dans cette démarche : il vise à empêcher le prononcé d’un sursis pour la totalité d’une peine d’emprisonnement ferme lorsque le délit a été commis en état de récidive légale.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Cette mesure va à l’encontre de ce que je défends : elle contraindrait très fortement la liberté du juge, alors que la proposition de loi vise précisément à la restaurer. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Sagesse.
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky.
Mme Léa Balage El Mariky
Nous voterons contre cet amendement, car il repose sur une logique que nous contestons : tenir compte de la récidive non seulement au moment de la détermination de la peine – ce que le juge fait déjà –, mais aussi au stade de son exécution. De notre point de vue, la distinction entre une personne en situation de récidive et un primo-délinquant doit être opérée exclusivement lors du prononcé du quantum de peine – conformément à la loi, celui-ci peut être plus élevé en cas récidive.
Introduire une double peine pour les récidivistes en les excluant de fait des dispositifs d’aménagement ou en durcissant leurs conditions d’accès à ceux-ci affaiblirait l’un des piliers de notre droit pénal : la réinsertion est l’une des finalités de la peine. Cela reviendrait à considérer que les personnes ayant déjà été condamnées seraient par principe moins susceptibles de se réinsérer, ce qui est non seulement inexact mais aussi contre-productif.
Mme Andrée Taurinya
Je demande la parole, monsieur le président !
M. le président
Il est convenu que nous entendions, après les avis, un orateur pour et un orateur contre. Êtes-vous favorable à l’amendement ?
Mme Andrée Taurinya
Non…
(L’amendement no 3 n’est pas adopté.)
M. le président
Sur l’amendement no 37, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Pierre Cazeneuve, pour soutenir l’amendement no 73.
M. Pierre Cazeneuve
Nous sommes d’accord avec deux des dispositions de la proposition de loi : permettre le prononcé de peines inférieures à un mois ; étendre les possibilités d’aménagement à toutes les peines inférieures à deux ans. En revanche, la position du groupe Ensemble pour la République n’est pas alignée avec celle du rapporteur s’agissant de la troisième disposition, qui consiste à revenir sur le principe de l’aménagement des peines inférieures à un an.
Actuellement, la loi prévoit que la première intention est l’aménagement de la peine, le juge ayant toutefois la possibilité de déroger à cette quasi-obligation en prononçant une peine d’enfermement, ce qui se produit tout de même dans 40 % des cas – j’abonde donc dans le sens des propos tenus précédemment par le garde de sceaux. Le rapporteur propose d’inverser le principe : la première intention serait l’incarcération, le juge ayant la possibilité d’opter pour un aménagement de la peine.
Pour notre part, nous souhaitons que la première intention demeure l’aménagement. Nous considérons que ce principe doit prévaloir pour les peines de courte de durée.
Quand la peine est inférieure à six mois, les conditions dans lesquelles le juge peut décider d’incarcérer sont très restrictives. Comme le rapporteur, nous souhaitons lui donner davantage de liberté en la matière : le juge doit pouvoir prononcer une incarcération s’il l’estime légitime et nécessaire.
Pour les peines comprises entre six mois et un an, le juge bénéficie d’une souplesse plus grande s’il entend prononcer une incarcération. Par cet amendement, je souhaite étendre ce régime à toutes les peines inférieures à deux ans.
Autrement dit, nous ne voulons pas renverser la vapeur, mais donner plus de souplesse au juge. Selon nous, c’est un bon équilibre.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
L’adoption de votre amendement introduirait d’importantes incohérences dans le texte.
En outre, vous dites être favorable à l’extension des possibilités d’aménagement à toutes les peines inférieures à deux ans, mais la rédaction que vous proposez pour l’alinéa 6 ne mentionne que les peines inférieures à un an.
Enfin, vous conservez le principe selon lequel la peine « doit être aménagée », tout en faisant une différence entre les peines inférieures ou supérieures à six mois, alors que le taux d’aménagement ne varie guère en fonction de la durée de la peine.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à retirer votre amendement et, le cas échéant, à en revoir la rédaction. À défaut de retrait, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Sagesse.
M. le président
Maintenez-vous votre amendement, monsieur Cazeneuve ?
M. Pierre Cazeneuve
Avant de me prononcer, je souhaiterais entendre M. Saulignac, qui a demandé la parole.
M. le président
La parole est à M. Hervé Saulignac.
M. Hervé Saulignac
Il y a apparemment quelques problèmes de réglage au sein du bloc central. Le groupe EPR semble chercher, par ses amendements, à lever les dernières réticences à propos du texte. (Exclamations sur quelques bancs du groupe HOR.) Cela vous conduit cependant, monsieur Cazeneuve, à formuler une proposition assez incongrue : rendre plus souvent possible l’incarcération pour des délits de faible ampleur – conformément à l’obsession des auteurs du texte pour les courtes peines – tout en maintenant l’aménagement pour des délits plus graves. L’échelle des peines à un sens. Or – passez-moi cette expression un peu triviale – votre amendement la mettrait cul par-dessus tête !
M. le président
L’intervention de M. Saulignac vous a-t-elle éclairé, monsieur Cazeneuve ?
M. Boris Vallaud
Ce serait une bonne nouvelle !
M. Pierre Cazeneuve
Je fais partie de ceux qui pensent qu’un dialogue intelligent est possible dans cet hémicycle et que l’on peut parfois être convaincu par un orateur qui siège sur d’autres bancs.
Je l’ai dit, nous sommes tout à fait d’accord avec deux des dispositions du texte, mais nous avons une approche un peu différente de celle du groupe Horizons & indépendants en ce qui concerne le principe d’aménagement des courtes peines, que nous ne souhaitons pas remettre en cause.
Nous menons un dialogue franc, ouvert et respectueux avec le rapporteur. Nous avons le droit d’avoir des nuances à l’intérieur du bloc central.
M. Hervé Saulignac
Je vous le confirme !
M. Pierre Cazeneuve
Si tel n’était pas le cas, nous formerions un seul et même groupe. De la même manière, monsieur Saulignac, vous ne siégez pas au sein du groupe La France insoumise – ce qui est d’ailleurs heureux pour vous. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Patrick Hetzel
Excellent !
M. Pierre Cazeneuve
Mon propos ne se voulait pas méchant, monsieur Léaument.
J’entends les arguments de M. le rapporteur et ceux de M. Saulignac : compte tenu des règles de légistique, cet amendement aurait des effets de bord qui n’étaient pas ceux que je recherchais. Soucieux de la cohérence du texte et de la bonne poursuite de nos débats, je le retire. C’est aussi de cette manière que l’on fait la loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et HOR. – M. Hervé Saulignac applaudit également. – «Oh là là ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
(L’amendement no 73 est retiré.)
M. le président
Sur l’amendement no 63, je suis saisi par le groupe Écologiste et social d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Sylvie Josserand, pour soutenir l’amendement no 37.
Mme Sylvie Josserand
L’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale prévoit qu’en matière d’aménagement de peine, les seuils de six mois ou un an d’emprisonnement s’apprécient en prenant en compte non seulement la peine qui vient d’être prononcée mais aussi la révocation du sursis d’une éventuelle peine antérieure.
Dès lors que la proposition de loi étend les possibilités d’aménagement à toutes les peines inférieures à deux ans, il convient de prévoir cette même règle pour l’appréciation du seuil de deux ans. C’est ce que prévoit le présent amendement, tout en inscrivant ladite règle dans le marbre de la loi – à ce stade, elle est seulement de niveau réglementaire. Au risque de heurter mes collègues, je dirai que nous ferions ainsi d’une pierre deux coups. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – M. Alexandre Allegret-Pilot applaudit également.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Vous avez raison : si la proposition de loi est adoptée, le pouvoir réglementaire devra adapter les dispositions de l’article D. 48-1-1 du code de procédure pénale. Mais faut-il inscrire cette règle dans la loi plutôt que dans la partie réglementaire du code ? À titre personnel, je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée, tout en rappelant qu’un amendement identique a été rejeté par la commission.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 37.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 101
Nombre de suffrages exprimés 90
Majorité absolue 46
Pour l’adoption 28
Contre 62
(L’amendement no 37 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 63.
Mme Léa Balage El Mariky
Nous sommes favorables à l’extension des possibilités d’aménagement à toutes les peines inférieures à deux ans – comme vous l’avez évoqué, monsieur le rapporteur. L’amendement vise à réaffirmer que l’aménagement de la peine doit être le principe et l’emprisonnement, l’exception. Il prévoit que, par principe, toute peine inférieure à deux ans doit être aménagée. Il s’agit d’une approche individualisée conforme aux exigences de proportionnalité et d’efficacité de la peine. Je vous appelle à émettre un avis favorable, monsieur le rapporteur, puisque cet amendement va dans le bon sens, celui de l’efficacité de la peine.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Léa Balage El Mariky
C’est une main tendue !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Oui, comme en commission…
J’ai essayé d’expliquer que ma proposition de loi ne posait pas de principe – ni d’aménagement de la peine, ni d’emprisonnement. J’ai en outre évoqué le faible taux de réussite de certaines peines alternatives, notamment des TIG, à tout le moins en matière de prévention de la récidive. J’émets un avis défavorable, car je ne vois pas de raison de favoriser, par principe, l’aménagement de la peine. Il appartient au juge de décider, selon la nature des faits, selon l’auteur de l’infraction qui est en face de lui et selon les informations dont il dispose.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
On ne peut pas prendre position ainsi, sans une étude et une discussion plus approfondies, en faveur d’un principe, que ce soit celui de l’exécution des courtes peines d’emprisonnement – je l’ai dit à M. le rapporteur – ou celui de l’aménagement de la peine – tel que vous l’imaginez ici. Je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
Il y a un vrai débat à ce sujet. Le groupe Horizons défend aujourd’hui des thèses pertinentes, par exemple celles tirées de la théorie de la vitre brisée.
Entrer dans une logique qui privilégierait ex ante l’aménagement des peines, comme tend à le faire cet amendement, est contre-productif et reviendrait à négliger les victimes.
Comment leur expliquer qu’une personne condamnée à une peine d’emprisonnement bénéficiera par principe d’un aménagement, de sorte qu’elle ne sera jamais privée de liberté ? Il y a là un hiatus qui crée un véritable malaise dans notre société, raison pour laquelle cet amendement n’est pas judicieux.
M. le président
Je vais maintenant mettre aux voix l’amendement no 63.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 106
Nombre de suffrages exprimés 106
Majorité absolue 54
Pour l’adoption 25
Contre 81
(L’amendement no 63 n’est pas adopté.)
M. le président
Sur l’amendement no 10, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Hervé Saulignac, pour soutenir l’amendement no 54.
M. Hervé Saulignac
Nos positions et nos propos sur l’aménagement de peines ont souvent été caricaturés : cet amendement atteste que nous ne sommes pas hostiles par principe à la prison. Nous pensons qu’elle peut avoir son efficacité.
Lors de son intervention sur l’article 1er, le Rassemblement national nous a expliqué qu’il fallait absolument incarcérer parce qu’il s’agirait de la seule solution efficace pour se prémunir de la récidive : cela donne à réfléchir !
En réalité, sans être une solution générale, la prison peut parfois être utile. C’est ce qui explique notre amendement. Peut-être est-ce parce que l’on n’a pas assez incarcéré que l’on voit encore des dépositaires de l’autorité publique se livrer à des détournements de fonds, des faits de corruption et même, parfois, d’association de malfaiteurs ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. Boris Vallaud
Eh oui !
M. Hervé Saulignac
Cet amendement invite nos collègues, et plus particulièrement ceux du Rassemblement national, à aller au bout de leur raisonnement s’agissant des dépositaires de l’autorité publique, qui, ayant reçu la confiance des Français, sont tenus à un devoir d’exemplarité.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Eh oui !
M. Hervé Saulignac
Donc, pas d’aménagement de peine possible pour les dépositaires de l’autorité publique qui se sont rendus coupables de délits aussi importants que la corruption, le trafic d’influence ou le détournement de fonds publics.
M. Boris Vallaud
Tout cela avant l’été 2026 !
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Avis défavorable. Je note qu’avec vous, l’individualisation de la peine est à géométrie variable !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky.
Mme Léa Balage El Mariky
Je comprends l’intention du groupe socialiste, mais le groupe écologiste ne votera pas cet amendement. En effet, notre groupe est constant dans ses positions et estime que l’aménagement des courtes peines doit être le principe.
M. le rapporteur a affirmé que, selon le rapport de la Cour des comptes 2025, le taux de récidive serait équivalent après un TIG ou après une autre peine.
En réalité, selon la Cour, le taux de récidive élevé constaté après des TIG est anormal et les TIG, peu coûteux, devraient mieux fonctionner. Il faut être exhaustif quand vous faites référence à un rapport : la Cour estime que, si nous disposions de services pénitentiaires d’insertion susceptibles de suivre lesdits TIG, nous aurions de meilleurs résultats en matière de récidive.
Les personnes ayant commis les infractions citées par nos confrères socialistes pourraient ainsi bénéficier d’aménagements de peines tels que des TIG avec bracelet électronique : cela serait efficace pour éviter la récidive, notamment en matière d’atteintes à la probité.
(L’amendement no 54 n’est pas adopté.)
M. Boris Vallaud
Il est intéressant de voir les votes !
M. Hervé Saulignac
Il faudrait faire une photo !
M. le président
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l’amendement no 10.
M. Jean-François Coulomme
Nous revenons sur le principe, qui nous est cher, d’individualisation des peines.
Mme Naïma Moutchou
Ah !
M. Jean-François Coulomme
Vous voudriez industrialiser la répression et les peines.
M. Patrick Hetzel
Quelle caricature !
M. Jean-François Coulomme
Nous, nous considérons que nous avons affaire à des êtres humains et nous voulons laisser aux juges toute liberté pour décider et prononcer éventuellement des aménagements de peine.
Dans la rédaction actuelle de l’article 1er, le juge « doit spécialement motiver » l’aménagement de peine. Nous pensons préférable d’écrire qu’il « peut prononcer » un tel aménagement. Votre dispositif ajoute une charge de travail inutile aux magistrats.
Il est possible que, dans votre esprit, les magistrats soient, comme la plupart des fonctionnaires, des gens qui gagnent plus qu’ils ne méritent, car ils ne travailleraient pas suffisamment.
Mme Naïma Moutchou
N’importe quoi !
M. Jean-François Coulomme
De notre côté, nous connaissons la charge de travail qui pèse sur eux et nous considérons qu’il n’y a pas lieu de leur demander une motivation supplémentaire – dont, au demeurant, les contours ne sont pas précisés.
Cette rédaction trahit au surplus un manque de confiance dans vos rangs envers nos magistrats. Vous leur faites une injonction de motivation là où nous souhaitons leur laisser une faculté : telle est notre conception d’une justice équilibrée, qui fait une large place à l’individualisation.
Plus philosophiquement, compte tenu des conditions d’incarcération actuelles, l’encellulement ressemble davantage à une mise en cage, une solution vengeresse, qu’à une peine permettant aux détenus de réparer leur crime : en tout état de cause, cela ne compense pas le préjudice subi par les victimes. Nous demandons donc la possibilité pour les magistrats d’aménager librement les peines.
Enfin, nous devrions tous être hostiles au ralentissement du processus judiciaire. Or votre texte aura pour effet de freiner les procédures et, partant, de limiter l’emprisonnement. Tout cela n’est pas cohérent.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Avis défavorable sur le fond, mais aussi sur la forme, car la rédaction proposée est très curieuse.
M. Jean-François Coulomme
« Peut prononcer », cela n’a rien de curieux !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Sylvie Josserand.
Mme Sylvie Josserand
À ceux qui affirment depuis le début de l’examen de ce texte que l’aménagement devrait être le principe, je souhaiterais rappeler qu’il leur faudrait modifier l’article 131-3 du code pénal aux termes duquel : « Les peines correctionnelles encourues par les personnes physiques sont :
1° L’emprisonnement ; cet emprisonnement peut faire l’objet d’un sursis, d’un sursis probatoire ou d’un aménagement conformément aux dispositions du chapitre II du présent titre ;
2° La détention à domicile sous surveillance électronique ;
3° Le travail d’intérêt général ;
4° L’amende ; (…). »
L’article énumère huit types de peines. Si l’emprisonnement figure en première place, ce n’est pas par hasard !
Il n’est pas question de revoir la rédaction de l’article 131-3 cet après-midi ; le principe demeure donc l’emprisonnement. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Léa Balage El Mariky
Ce n’est pas notre proposition de loi !
M. le président
La parole est à Mme Andrée Taurinya.
Mme Andrée Taurinya
Comme Jean-François Coulomme l’a expliqué, notre amendement prévoit de supprimer l’obligation faite aux magistrats de motiver leurs décisions d’aménagement des courtes peines. La raison en est que – M. le ministre le sait – les services de justice sont débordés de travail en raison du fait qu’ils manquent de moyens.
Je rappelle ici que notre programme prévoit le recrutement de 13 000 magistrats et de 20 000 greffiers et greffières. Ces derniers s’étaient beaucoup mobilisés contre la réforme de la justice de votre ex-collègue, M. Dupond-Moretti, lequel avait méprisé et ignoré cette mobilisation tout en faisant semblant de dire qu’il l’avait entendue. Il n’a pas alloué suffisamment de moyens et nous nous retrouvons ainsi en 2025 avec un budget de la justice qui n’a pas été voté, mais imposé au moyen du 49.3 par un gouvernement illégitime. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Je vais maintenant mettre aux voix l’amendement no 10.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 110
Nombre de suffrages exprimés 110
Majorité absolue 56
Pour l’adoption 40
Contre 70
(L’amendement no 10 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur les amendements no 48 et 36, par le groupe Rassemblement national ; sur l’article 1er, par les groupes Rassemblement national, La France insoumise-Nouveau Front populaire et Horizons & Indépendants.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Nicolas Ray, pour soutenir l’amendement no 4.
M. Nicolas Ray
Je défends l’amendement de notre collègue Éric Pauget. Il repose sur un principe de bon sens selon lequel le sursis ne peut être accordé en état de récidive légale. Autant on peut accepter le sursis pour une première peine, eu égard aux principes de proportionnalité, de progressivité et de gradation, autant, en cas de récidive, il est incompréhensible.
Monsieur le rapporteur, si je comprends votre idée de laisser la liberté de décision aux juges, cette solution est difficile à expliquer en cas de récidive. En effet, le sursis pourrait choquer nos concitoyens et renforcer un sentiment de laxisme et d’impunité.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Avis défavorable pour les mêmes raisons que celles exposées à propos de l’amendement no 10, qui visait le même objectif.
(L’amendement no 4, repoussé par le gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Béatrice Roullaud, pour soutenir l’amendement no 48.
Mme Béatrice Roullaud
Cet amendement a pour but de répondre à l’objectif de la proposition de loi : faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme. Plus précisément, il a pour objet de supprimer tout aménagement des peines prononcées pour réprimer les violences les plus sévèrement punies par le code pénal. Nous proposons ainsi de retirer la possibilité d’aménagement de peine pour les infractions prévues par les articles 222-7 à 222-14-1, 222-14-5, 222-15 et 222-15-1.
Nous constatons en effet un ensauvagement de la société. (« Ah ! » sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
On peut rappeler les affaires de Thomas, Yuriy, Mathis…
M. Jean-François Coulomme
Et Marine ?
Mme Léa Balage El Mariky
Oui, et l’affaire Marine Le Pen ?
Mme Béatrice Roullaud
Régulièrement, l’actualité égrène les cas de jeunes – certains nous écoutent – qui se retrouvent agressés sauvagement à coups de couteau. Certains en meurent. Il ne faut pas rire avec cela.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Et vos amis qui ont agressé les juges ?
Mme Béatrice Roullaud
J’aimerais rappeler les trois fonctions de la peine : la première consiste à protéger la société de gens dangereux.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Nous parlons des courtes peines !
Mme Béatrice Roullaud
Effectivement, ce n’est pas notre sujet.
La deuxième fonction de la peine est de réprimer, c’est-à-dire de faire réfléchir le condamné sur son acte en espérant sa rédemption.
Mme Léa Balage El Mariky
Et d’éviter qu’il ne récidive, grâce à l’exécution provisoire !
M. Benjamin Lucas-Lundy
On a vu au journal de 20 heures de TF1 combien cela faisait réfléchir Marine Le Pen !
Mme Béatrice Roullaud
La troisième fonction, appréciée sur les bancs d’en face, est la fonction dissuasive.
Mme Léa Balage El Mariky
Vous n’avez guère été dissuadés !
Mme Béatrice Roullaud
Si vous êtes certain d’exécuter votre peine de prison, vous pouvez, dans certains cas, hésiter à commettre un acte grave susceptible de causer des morts parmi les jeunes.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Pour les 4 millions, vous n’avez pas hésité !
Mme Béatrice Roullaud
Nous devons réagir, protéger nos jeunes et envoyer un signal fort : non, nous n’acceptons pas les violences physiques !
M. Benjamin Lucas-Lundy
Avec 4 millions d’euros, on aurait pu financer beaucoup de programmes de prévention !
Mme Béatrice Roullaud
C’est le signal qu’entend donner Marine Le Pen : pas d’aménagement de peine en cas de violences physiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Sourires sur les bancs du groupe EcoS.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Comme vous l’imaginez, il est défavorable. La philosophie sur laquelle repose ce texte, c’est l’idée que le juge doit être libre. Je crois profondément que lui seul est en mesure de prononcer la peine la plus adaptée. En l’espèce, puisque c’est le débat qui nous occupe en ce moment, lui seul peut choisir entre l’emprisonnement ferme et l’aménagement, même si notre confiance dans les juges va bien au-delà de cette question.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Le Rassemblement national a une conception de la justice bien étrange.
M. Emeric Salmon
Nous condamnons toutes les violences !
M. Antoine Léaument
En règle générale, vous voulez toujours durcir les peines, mais dès que vous êtes concernés par un jugement, bizarrement c’est le contraire !
S’agissant des violences, vous êtes bien silencieux lorsque des groupuscules d’extrême droite vont attaquer des syndicalistes en étant armés de couteaux (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS) et, plus généralement, lorsque les individus violents qui sont derrière les coups de poing et les coups de couteau partagent en partie vos idées.
Posons-nous plus globalement la question des violences dans la société. Vous dites qu’elles sont en augmentation – vous parlez aussi d’ensauvagement –, or c’est faux : si l’on regarde les chiffres fournis régulièrement par le ministère de l’intérieur, elles sont en baisse.
En revanche, l’énorme problème, c’est que le nombre de résolutions d’enquêtes liées à des violences diminue également. Voilà qui devrait tous nous intéresser. Cela s’explique par le manque de moyens, non seulement de la justice, mais aussi la police judiciaire.
M. Emeric Salmon
Ça, c’est pour M. Darmanin !
M. Antoine Léaument
Le ministre au banc porte d’ailleurs une lourde responsabilité en la matière. (Mme Mathilde Panot applaudit.) Avant d’être garde des sceaux, il était ministre de l’intérieur. Il a donc une responsabilité particulière si la police ne dispose toujours pas d’un logiciel de rédaction de procédures pénales efficace et si le nombre de postes au sein de la police judiciaire a diminué.
Mme Mathilde Panot
Exactement !
M. Erwan Balanant
On a mis 15 milliards supplémentaires, rien que ça, sur le ministère de l’intérieur !
M. Alexandre Allegret-Pilot
Vous êtes hors sujet !
M. Antoine Léaument
Si vous voulez faire œuvre utile, mettez à disposition de la police et de la justice des logiciels qui fonctionnent et accordez des moyens à la police judiciaire plutôt que de rédiger des propositions de loi qui, finalement, ne visent qu’à alourdir le code pénal – lequel est devenu tellement lourd qu’on peut l’utiliser comme arme par destination ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 48.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 112
Nombre de suffrages exprimés 112
Majorité absolue 57
Pour l’adoption 31
Contre 81
(L’amendement no 48 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Romain Baubry, pour soutenir l’amendement no 36.
M. Romain Baubry
Il est bon de rappeler que le but de la prison, comme du code pénal, est avant tout de protéger la société – nous devrions tous, ici, nous accorder sur ce point.
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est vous qui remettez en cause les juges !
M. Romain Baubry
Sur l’ensemble du territoire, les trafics de drogue apportent la violence et la misère et sèment la mort. Le trafic de stupéfiants est à l’origine chaque année en France de plus de 100 décès liés à des violences et de plus de 600 causés par des overdoses. Je pense aussi aux victimes collatérales, comme cette jeune fille de 24 ans tuée d’une balle perdue dans sa chambre à Marseille ou cet enfant de 10 ans, mortellement touché alors qu’il se trouvait à l’arrière d’un véhicule dans le quartier de son oncle, à Nîmes.
Il est donc nécessaire de se montrer plus ferme, sur le plan pénal, à l’égard des personnes qui contribuent au trafic de drogue en leur imposant une peine de prison ferme dès le premier délit.
Les trafics continuent de prospérer, parfois même alimentés par des élus siégeant sur ces bancs (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS), qui persistent à promouvoir l’usage de la drogue malgré les morts qu’elle engendre.
M. Benjamin Lucas-Lundy
C’est la bonne semaine pour parler de la probité des élus !
M. Romain Baubry
L’heure n’est plus à la demi-mesure. Ayez le courage d’agir. Dans le cas contraire, nous le ferons en 2027. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. Antoine Léaument
Avec quel candidat ?
Mme Sandra Regol
Comme le dit l’expression, quand on monte à l’arbre, il vaut mieux avoir le cul propre ! Vous devriez y réfléchir !
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Je suis convaincu que la responsabilité du législateur est de donner des outils aux juges. C’est l’idée que j’essaie de défendre cet après-midi et qui est au cœur de ce texte. Il n’est pas question d’obliger le juge à prendre une décision. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Erwan Balanant.
M. Erwan Balanant
Si M. Baubry parlait à l’instant de demi-mesure, je vous invite, pour ma part, à faire preuve de mesure, notamment sur les deux bords de l’hémicycle. (M. Benjamin Lucas-Lundy soupire.)
Je m’adresserai tout d’abord à M. Léaument, qui vient de lancer une charge contre la place Bauveau – car ce n’est pas l’ancien ministre de l’intérieur qu’il a attaqué, mais bien l’ensemble du ministère de l’intérieur. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Mme Sandra Regol
Ce n’est pas l’amendement !
M. Erwan Balanant
Grâce à la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur – que vous n’avez pas votée –, nous avons donné des moyens supplémentaires, à un niveau significatif, pour permettre à ces hommes et à ces femmes, chargés de la sécurité du quotidien et d’affaires plus importantes, de travailler dans de bonnes conditions.
Mme Andrée Taurinya
C’est faux !
M. Erwan Balanant
Vos grands discours, notamment sur le manque de moyens,…
Mme Andrée Taurinya
C’est la réalité ! Allez les rencontrer, vous verrez !
M. Erwan Balanant
…sont donc totalement à côté de la plaque – c’est embêtant.
Je me tourne à présent vers l’autre côté de l’hémicycle pour répondre à M. Baubry qui, de façon tout aussi excessive, estime que tout condamné doit aller en prison dès la première incartade, que tous ceux qui ont fauté doivent payer, quel que soit le cas de figure.
M. Éric Martineau
Bravo !
M. le président
La parole est à M. Romain Baubry.
M. Romain Baubry
Je remercie l’abbé Balanant qui, une fois de plus, a illuminé notre hémicycle de ses belles paroles.
M. Benjamin Lucas-Lundy
Respectez la laïcité ! (Sourires.)
M. Romain Baubry
J’aimerais tout de même dénoncer l’hypocrisie de certains. On nous accuse de prôner le tout-carcéral. Or, quand nous avons proposé, en novembre dernier, lors de l’examen en commission des lois des crédits de l’administration pénitentiaire, de donner des moyens supplémentaires pour recruter des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, vous vous y êtes opposés. D’un côté, vous ne voulez pas enfermer les délinquants mais, de l’autre, vous refusez un accompagnement qui permettrait de lutter contre la récidive. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Andrée Taurinya
Quelle caricature !
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 36.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 116
Nombre de suffrages exprimés 115
Majorité absolue 58
Pour l’adoption 30
Contre 85
(L’amendement no 36 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’article 1er.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 116
Nombre de suffrages exprimés 114
Majorité absolue 58
Pour l’adoption 74
Contre 40
(L’article 1er est adopté.)
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe HOR.)
Article 2
M. le président
La parole est à M. Jean-François Coulomme.
M. Jean-François Coulomme
Cet article détaille les conditions dans lesquelles le condamné pourrait bénéficier d’un aménagement de peine. Ce dernier devra justifier soit de l’exercice d’une activité professionnelle, soit de sa participation essentielle à la vie de sa famille, soit de la nécessité de suivre un traitement médical, soit de l’existence d’efforts sérieux de réadaptation sociale résultant de son implication durable dans tout autre projet caractérisé d’insertion ou de réinsertion de nature à prévenir les risques de récidive.
Si nous sommes opposés à cet article, c’est parce qu’il prévoit des conditions drastiques pour l’aménagement de peine alors que nous savons que, de façon générale, les peines n’ont pas l’efficacité escomptée.
Nous devrions, au contraire, refonder l’échelle des peines et repenser la logique de la justice pénale. Pour cela, il faut favoriser les peines de probation en unifiant les différents dispositifs existants, modulables et individualisables. Une telle politique doit s’articuler autour de trois piliers, qui nous renvoient à la question du sens de la peine évoquée tout à l’heure : la réparation, le suivi et la réinsertion.
Cela suppose de prévoir des moyens spécifiques pour démultiplier les capacités de placement à l’extérieur, avec les associations mais aussi en passant directement par l’administration pénitentiaire.
Je veux citer l’exemple de la ferme de Maisoncelle, qui a fait l’objet d’un documentaire projeté à l’Assemblée nationale. D’anciens détenus sont venus travailler dans cet établissement dans le cadre d’un projet de réinsertion. Or, après leur passage dans un tel sas entre la vie en détention et le retour à la liberté, on ne déplore quasiment aucun cas de récidive.
Certes, la justice est là pour juger et, le cas échéant, sanctionner les délinquants. Cependant, comme cela a déjà été dit, il faudrait parvenir à sortir de la culture de la vengeance.
Non seulement cet article est contradictoire avec la volonté de redonner au juge sa liberté d’appréciation, mais il n’est pas nécessaire, puisque le code pénal mentionne déjà, comme critères, la personnalité ou la situation du condamné. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Ray.
M. Nicolas Ray
Notre groupe soutiendra cet article, qui apporte une réponse équilibrée entre nécessité d’exécuter les peines et impératif de réinsertion, bien loin de certaines visions caricaturales exprimées tout à l’heure.
Comme l’a dit M. le ministre, tout le monde n’ira pas en prison si cette proposition de loi est adoptée. Au contraire, avec l’article 2, nous mettons fin à une approche systématique de l’aménagement des peines, puisque des critères clairs et exigeants sont définis : un emploi, un investissement dans la vie familiale, un suivi médical ou encore des efforts de réinsertion.
Cette réforme permet donc de distinguer les condamnés qui méritent une seconde chance – ils existent bel et bien, nous ne le nions pas – de ceux qui multiplient les infractions sans faire le moindre effort pour s’amender et dont l’impunité exaspère nos concitoyens et menace leur sécurité. (Mme Élisabeth de Maistre applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky.
Mme Léa Balage El Mariky
Si l’article 1er est inefficace, l’article 2 est incohérent et inutile – je suis navrée de vous le dire, monsieur le rapporteur. Tout d’abord, alors que vous nous parliez tout à l’heure de la liberté des magistrats, vous ajoutez ici une palanquée de conditions à l’exercice de cette liberté – c’est un peu incohérent, vous en conviendrez.
Au passage, j’ai été assez étonnée, je l’avoue, que le groupe Rassemblement national ne dépose pas un amendement afin d’ajouter une autre condition : la détention d’un mandat électif. Après tout, cela aurait pu être un critère pour décider, ou non, de l’aménagement de la peine ! Il faut dire que nos collègues du RN sont bien taiseux aujourd’hui.
Si cet article est superfétatoire, c’est parce que le code pénal prévoit déjà que, s’agissant de l’aménagement de peine, la personnalité et la situation du condamné sont prises en considération. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
Je pourrais reprendre les arguments de ma collègue. Premièrement, il y a une incohérence entre cet article et l’argument que vous répétez depuis le début de cette discussion, monsieur le rapporteur, c’est-à-dire la volonté de restaurer la liberté du juge. D’ailleurs, cet argument, qui me pose problème s’agissant de ce texte, ne tient pas : en effet, si l’on devait suivre ce raisonnement, on cesserait de faire des lois, on ne modifierait plus le code pénal sous prétexte d’entrave à la liberté du juge.
Deuxièmement, vous fixez des conditions très précises qui sont déjà, actuellement, à la main du juge.
J’ajoute qu’une telle mesure entraînerait une autre forme d’incohérence – même si le problème dépasse le cadre de ce texte. En effet, ce sont les condamnés les plus éloignés de la réinsertion qui échapperaient à la possibilité de bénéficier de peines alternatives – lesquelles sont pourtant jugées les plus favorables à la réinsertion.
On promet à ces personnes l’incarcération en prétendant que cette solution sera la plus efficace. Or je dois reconnaître que, souvent, le choc que représente la prison est plus fort pour les personnes qui sont le plus insérées dans la société et qui connaissent un accident de parcours. Cependant, pour elles, la désocialisation sera moins importante parce que leurs liens avec la société sont plus solides. En revanche, il faudra faire beaucoup plus d’efforts, s’atteler à un travail de dentelle pour raccrocher à la société celles qui en sont le plus éloignées. Vous prenez donc le problème à l’envers.
Enfin, j’imagine que vous souhaitez que le texte, s’il est adopté aujourd’hui, poursuive son parcours jusqu’à la fin de la navette parlementaire. Or le ministre a expliqué qu’en l’état, il était inapplicable en raison de la surpopulation carcérale – je suis moi-même opposée dans tous les cas à cette proposition de loi, mais encore plus dans le contexte actuel.
Dès lors, si cette proposition de loi est adoptée, allez-vous appuyer sur pause en attendant que, d’ici dix ans, de nouveaux centres pénitentiaires soient construits ? Ou vous satisferez-vous que de nouveaux condamnés – même s’ils ne sont qu’au nombre de 400 par an – viennent augmenter la surpopulation carcérale ?
M. le président
Je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur les amendements no 11 et identiques, par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire et Écologiste et social ; sur les amendements no 12 et identique, par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire ; sur l’amendement no 38, par le groupe Rassemblement national ; sur les amendements no 13 et identique, par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisi de quatre amendements identiques, nos 11, 21, 34 et 43, tendant à supprimer l’article 2.
La parole est à Mme Andrée Taurinya, pour soutenir l’amendement no 11.
Mme Andrée Taurinya
Nous souhaitons supprimer cet article car, encore une fois, vous voulez soumettre les aménagements de peine à des conditions drastiques, alors que nous pensons que ces aménagements sont plus intéressants que les peines de prison ferme, lorsque celles-ci sont courtes. Nous l’avons déjà dit – de toute façon, nous allons beaucoup nous répéter au cours de cette discussion – : selon nous, lorsqu’une condamnation intervient, le prononcé de la peine doit s’appuyer sur trois principes : réparer, suivre, réinsérer. Contrairement à ce qu’a dit la collègue du groupe Rassemblement national, la condamnation à une peine de prison ne doit pas servir à réprimer,…
M. Emeric Salmon
Ben si, quand même !
Mme Andrée Taurinya
…mais, normalement, à réinsérer, à préparer la sortie de la personne incarcérée.
Je veux dire à Mme Moutchou, qui m’a citée tout à l’heure sans avoir compris mon intervention, qu’il faut, bien sûr, de l’école ! Car l’école, l’éducation permet d’éviter la délinquance. Je vous livre un chiffre : aujourd’hui, la moitié des détenus ont moins de 30 ans et deux tiers d’entre eux – deux tiers ! – ont interrompu leur scolarité avant ou pendant le collège. (M. Jean-François Coulomme applaudit.)
M. Jean-François Coulomme
Eh oui !
Mme Andrée Taurinya
Vous rendez-vous compte ? Cela veut dire qu’il y a un manque dans l’éducation et c’est à combler ce manque que nous devrions nous atteler en priorité pour éviter la délinquance ! S’il n’y a pas d’éducation, si des enfants sont déscolarisés, il faut en chercher les raisons, consacrer plus de moyens à tous les services publics, revoir aussi les politiques de logement… Vous pouvez souffler, mais la réalité est là ! (Mme Ersilia Soudais applaudit.)
Mme Naïma Moutchou
Moi, j’ai soufflé ?
Mme Andrée Taurinya
Oui, vous avez soufflé ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) La réalité est là ! Il faut revoir les politiques de service public ! (Mêmes mouvements.)
M. le président
Merci, madame la députée !
Mme Naïma Moutchou
Je n’ai même pas réagi, madame, c’est de la provocation !
M. Jean-François Coulomme
Vous ne soufflez pas !
Mme Naïma Moutchou
Je n’ai pas soufflé, je n’ai même pas bougé !
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 21.
M. Emeric Salmon
A-t-elle soufflé ou non ? C’est surréaliste…
Mme Elsa Faucillon
Je poursuis au sujet des aménagements de peine. Les textes en vigueur prévoient un éventail très important d’aménagements de peine et de types de solutions alternatives à la détention. Je ne suis pas sûr qu’il faille en créer de nouvelles. On constate cependant que, comme l’indique la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), ces solutions alternatives, notamment les plus réinsérantes, tels le placement extérieur, les travaux d’intérêt général dans leur nouvelle version – qui est à améliorer – ou les stages, mordent sur la liberté et non sur la détention. On a donc de plus en plus recours aux aménagements de peines ou aux peines alternatives, mais celles-ci ne contribuent pas à la déflation pénale. Nous estimons en revanche que les aménagements de peine, en tout cas quand ils concernent les courtes peines, peuvent être plus réinsérants.
Tout à l’heure, vous évoquiez les TIG et je voudrais y revenir. Plusieurs rapports ont démontré qu’ils ne permettaient pas une prévention optimale de la récidive. Or, justement, les rapports ont certes été nombreux, mais qu’a-t-on modifié en profondeur dans le système des TIG ? Comment crédibiliser les aménagements de peine ? C’est le cœur de notre discussion puisque, dans la mesure où les aménagements de peine ne sont pas assez crédibles, vous voulez en revenir au renforcement de l’incarcération, alors qu’on a besoin à la fois de crédibiliser les solutions alternatives à la détention et de consacrer des moyens financiers au placement extérieur, comme le demandent celles et ceux qui œuvrent à ce placement dans la société.
M. le président
La parole est à M. Hervé Saulignac, pour soutenir l’amendement no 34.
M. Hervé Saulignac
Nous souhaitons également supprimer l’article 2. En effet, il remet en cause le principe de subsidiarité de la courte peine d’emprisonnement ferme, auquel nous sommes très attachés, et limite donc les aménagements, au moment où la surpopulation carcérale – comme tout le monde l’a dit et comme le garde des sceaux l’a reconnu – atteint des sommets. La situation est presque sur le point de nous échapper et cet article, pour employer le même terme que notre cher premier ministre, nous trouble fortement. Il ne trouble pas que nous, d’ailleurs, mais aussi les agents de l’administration pénitentiaire, qui ne comprennent pas le sens d’une telle disposition, les magistrats, dont la situation deviendra très complexe si cet article est adopté, et les travailleurs sociaux, notamment les chargés de réinsertion, qui savent que ce sont d’abord les moyens de lutter contre la récidive qui font défaut.
On voit bien qu’il s’agit, par cet article en particulier et par l’ensemble du texte en général, de faire croire que l’on agit – précisément parce que l’on n’agit pas là où il faudrait mobiliser des moyens très importants. Si cette proposition de loi était efficace, je crois qu’elle susciterait l’enthousiasme du garde des sceaux, ce qui n’est manifestement pas tout à fait le cas.
M. le président
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi, pour soutenir l’amendement no 43.
Mme Sabrina Sebaihi
L’article 2 soumet les aménagements de peine à des conditions qu’il détaille. Nous souhaitons le supprimer pour plusieurs raisons. D’abord, comme l’ont évoqué mes collègues, nous considérons que les aménagements de peine peuvent être réinsérants. Il se peut que les auteurs de ce texte, lorsqu’ils l’ont conçu, n’aient pas travaillé sur la criminalité en col blanc, alors qu’il peut être intéressant d’y réfléchir.
M. Antoine Léaument
Oui !
Mme Sabrina Sebaihi
Nous avons beaucoup parlé du narcotrafic, contre lequel nous avons tous affirmé qu’il fallait lutter, et des peines très sévères qu’il convenait d’infliger aux narcotrafiquants, mais on n’aborde jamais la criminalité en col blanc. Pourtant, il serait intéressant de le faire.
M. Antoine Léaument
Oui !
Mme Sabrina Sebaihi
Vous avez évoqué la multiplication des infractions. Peut-on considérer qu’instaurer et animer un système de détournement de fonds publics pendant plusieurs années constitue une multiplication d’infractions ? Cela pourrait-il correspondre aux critères dont la vérification empêche l’aménagement de peine ? Je pose la question ! Commenter et critiquer une décision de justice, affirmer qu’elle est totalement injuste, organiser des manifestations contre la justice et les procureurs constitue-t-il un effort sérieux de réadaptation sociale susceptible de conduire au prononcé d’un aménagement de peine ?
On pourrait, vous le voyez, débattre de toutes sortes de subtilités.
M. Emeric Salmon
Tout de même, vous n’êtes pas très subtile !
Mme Sandra Regol
Ni vous efficaces !
Mme Sabrina Sebaihi
Nous trouvons que cet article ne répond pas à toutes les questions que l’on peut se poser ni n’affronte la criminalité dans toute son extension, comme nous devrions le faire. Dans certains cas, il faudrait sans doute réfléchir à empêcher les aménagements de peine, mais je crois que nous ne pensons pas au même type de criminels. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Avis défavorable – ô surprise ! – sur ces amendements de suppression. Deux points : d’abord, loin des caricatures que vous faites de ce texte, l’article 1er, que nous venons d’adopter contre votre avis, rehausse le seuil d’aménagement.
Mme Léa Balage El Mariky
Possible ! Le seuil à partir duquel l’aménagement est possible !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Le texte ne s’oppose donc évidemment pas à l’aménagement. Ensuite, quant aux conditions auxquelles l’article 2 le soumet, elles sont larges. Du reste, elles étaient en vigueur jusqu’en 2019. Elles n’ont donc rien de troublant, monsieur Saulignac.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
Je voudrais revenir sur ce que vient de dire notre collègue Taurinya. Elle insiste sur l’insertion, mais je rappelle le principe inscrit dans notre code pénal à l’article 130-1 : « Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a [deux] fonctions [, dont la première est] de sanctionner l’auteur de l’infraction ».
Mme Sabrina Sebaihi
La deuxième, c’est la réinsertion !
M. Patrick Hetzel
Il faut donc prendre en compte le fait que la peine est là pour sanctionner !
Par ailleurs, la peine a en effet une deuxième fonction : « favoriser [l’]amendement » de l’auteur de l’infraction.
Mme Léa Balage El Mariky
Mais arrêtez ! Aménager une peine, ce n’est pas la supprimer !
M. Patrick Hetzel
Laissez-moi m’exprimer ! Je ne vous ai nullement interrompus, je ne le fais jamais quand vous parlez. Un peu de respect mutuel ne nuit pas dans le débat parlementaire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes DR, RN et UDR.)
Deuxième fonction de la peine, donc : « favoriser [l’]amendement [de l’auteur de l’infraction], son insertion ou sa réinsertion. » On a vraiment l’impression que vous ne parlez jamais de la première fonction prévue par l’article 130-1 du code pénal. C’est, en effet, très troublant !
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Voilà une transition parfaite, monsieur Hetzel ! Nous parlons bien sûr de la punition mais, contrairement à vous, nous n’en faisons pas l’alpha et l’oméga de ce qui doit arriver lorsqu’est prise une décision de justice.
M. Patrick Hetzel
Nous non plus !
M. Antoine Léaument
C’est la seule différence qui nous sépare ! Surtout, nous ne nous arrêtons pas à la première fonction prévue par l’article 130-1 du code pénal, la sanction, mais abordons aussi la deuxième, et nous posons cette question : la prison assure-t-elle efficacement la réinsertion et l’amendement de la personne incarcérée ? La réponse est non ! À l’heure actuelle, la prison fabrique de la récidive. On peut continuer comme ça pendant des plombes, continuer à mettre plein de gens en prison, comme vous proposez de le faire, et laisser le système carcéral continuer à ne pas fonctionner ! On peut se dire : « Continuons à construire des prisons et à y mettre davantage de gens ! Ne nous posons surtout pas de questions : ça a l’air de fonctionner parfaitement ! Aggravons les peines ! Construisons plus de places de prison ! » À ce rythme, vous finirez par avoir mis tout le monde en prison ! Vous voyez bien que cette logique est rigoureusement absurde !
Par ailleurs, j’ai une question très précise à poser à M. le ministre de la justice. Tout le monde a l’air de vouloir mettre des gens en prison sans savoir quel effet ça produit. Je vais expliquer à tout le monde ce que vous proposez de faire très concrètement, pour que nous soyons tous au même niveau d’analyse. Actuellement, lorsqu’une peine d’emprisonnement de moins de six mois peut être prononcée, le juge doit prononcer une peine alternative. Vous proposez de rehausser cette durée à deux ans et d’exiger du juge qu’il se justifie de ne pas avoir prononcé une peine d’emprisonnement. Avez-vous mené une étude d’impact de cette mesure ? Avez-vous calculé le nombre de personnes concernées, le nombre de prisons ou de places de prison qu’il faudra construire ? Monsieur le ministre, vous qui disposez des moyens de l’État, je vous demande de chiffrer les effets qu’aurait eus l’application de cette disposition en 2023 ou en 2024. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Hervé Saulignac
Question pertinente !
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je crois que vous n’étiez pas là, monsieur Léaument, quand je suis intervenu ce matin, ni en début d’après-midi, lorsque j’ai repris la parole. Je veux bien, cependant, me livrer à une session de rattrapage. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Antoine Léaument
J’étais en commission d’enquête !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je ne vous fais pas de reproche, mais de votre côté il ne faut pas me reprocher de ne pas avoir communiqué des informations que j’ai déjà données, il me semble.
Je vous indique donc, monsieur Léaument, ainsi qu’à votre groupe, qu’il me semblait intéressant de débattre de la proposition de loi de M. le rapporteur. En effet, la démonstration que vous nous faites du dysfonctionnement du modèle carcéral devrait sans doute nous inciter à écouter ceux qui proposent un modèle différent. J’ai compris que le vôtre, c’était, en gros : pas de modèle carcéral du tout ! (M. Patrick Hetzel sourit.)
J’ai également évoqué la manière dont le texte avait été déposé, ainsi que le fait que le Conseil d’État n’en avait pas été saisi. J’ai indiqué qu’il fallait d’abord construire des places de prison aménagées qui n’existent pas aujourd’hui car, si des peines d’un mois, un mois et demi ou deux mois de prison étaient prononcées, les prisons que nous devrions construire pour qu’elles y soient purgées ne seraient pas des établissements classiques. En effet, tant que nous n’aurons pas construit de telles places, la proposition ne sera pas viable.
M. Antoine Léaument
Ah !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je l’ai dit tout à l’heure, monsieur Léaument, par deux fois, mais je me répète bien volontiers, puisque la répétition est le meilleur moyen de fixer la notion, comme le disaient les pédagogues.
J’ajouterai, monsieur Léaument, que, dans d’autres pays européens, il existe des peines courtes, voire ultracourtes. En Grande-Bretagne, on peut ainsi passer une journée en prison.
M. Hervé Saulignac et Mme Sandrine Rousseau
Ça s’appelle une garde à vue !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Non ! Dire cela est très méchant et blessant pour les policiers et les gendarmes et n’honore pas les parlementaires qui s’y livrent. (Rires et exclamations sur quelques bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS. – M. Patrick Hetzel applaudit.) La garde à vue protège aussi les personnes gardées à vue, et c’est fort heureux pour elles. Cette réflexion et ces rires montrent que vous tenez en bien piètre estime le travail des policiers et des enquêteurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Hervé Saulignac
Je ne vois pas le rapport…
M. Emeric Salmon
Il a raison !
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 11, 21, 34 et 43.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 101
Nombre de suffrages exprimés 101
Majorité absolue 51
Pour l’adoption 36
Contre 65
(Les amendements identiques nos 11, 21, 34 et 43 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 12 et 45.
La parole est à Mme Andrée Taurinya, pour soutenir l’amendement no 12.
Mme Andrée Taurinya
Il s’agit d’un amendement de repli visant, faute pour nous d’être parvenus à supprimer les dispositions les plus nocives, à rehausser les seuils d’aménagement des peines d’emprisonnement prononcées ab initio.
Comment vous convaincre ? Vous affirmiez, monsieur le rapporteur, que les peines de travail d’intérêt général ne sont pas efficaces. Quand les aménagements de peine se soldent par un échec, pourtant, c’est en raison des insuffisances du travail de suivi et de réinsertion, elles-mêmes dues à l’insuffisance des moyens dont sont dotés les travailleurs sociaux.
Votre vision de la justice est une vision vengeresse, quand la nôtre est humaniste : accompagner les gens au plus près et tâcher de remédier à leur situation sociale. Les courtes peines concernent la petite délinquance, qui est aussi le produit de la précarité sociale. Vous ne voulez rien voir de tout cela, préférant mettre la poussière sous le tapis. Dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, monsieur le rapporteur, vous expliquez que l’aménagement des peines est une politique idéologique. Mais c’est votre texte qui relève de l’idéologie : une idéologie qui consiste à faire passer la répression, la condamnation et l’enfermement avant le service public.
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 45.
Mme Léa Balage El Mariky
Je voudrais poser une question au ministre à l’occasion de la défense de cet amendement. Nous parlions, tout à l’heure, de l’augmentation du nombre des peines de plus de six mois d’emprisonnement, les magistrats ne souhaitant pas être soumis à l’obligation d’aménager les peines qu’ils prononcent. Mais combien de ces courtes peines sont aménagées, immédiatement après, par le juge de l’application des peines (JAP) ? Il serait intéressant de le savoir, car on peut penser que cet effet de seuil de six mois s’explique par une pression s’exerçant sur les magistrats – pression les détournant des objectifs fixés par les lois Taubira et Belloubet.
Cet amendement rejoint l’une des intentions manifestées par M. le rapporteur : porter à deux ans le seuil en-deçà duquel le juge peut intervenir pour aménager une peine – tout en continuant cependant à faire de cet aménagement un principe, et ce jusqu’aux peines à deux ans d’emprisonnement. On pourra de cette manière éviter l’effet de seuil dont nous parlions, et mettre fin à cette incohérence qui permet un aménagement pour les peines d’un an, tandis que les peines de deux ans, qui ne sont pas aménageables ab initio, se voient aménagées, de fait, par le JAP. La connaissance de ce chiffre relatif à l’aménagement des courtes peines par le JAP serait donc de nature, monsieur le ministre, à éclairer nos débats.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Avis défavorable. Si nous parlons d’idéologie à votre endroit, c’est parce que vous voulez que l’aménagement soit systématique.
Mme Léa Balage El Mariky
C’est l’idéologie de la liberté !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Ce texte, au contraire, tend à laisser le choix au magistrat, qui a tous les éléments à sa disposition. L’article 1er – que vous n’avez pas voté – fait quant à lui passer d’un à deux ans le seuil en dessous duquel un aménagement est possible.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je n’ai pas le chiffre que vous demandez, madame la députée.
Mme Léa Balage El Mariky
C’est dommage !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
En effet, car il aurait été intéressant. Nous nous entendons manifestement sur un point : imaginer que des peines autres que des peines de prison puissent être prononcées ab initio. Je ne suis pas plus que vous pour le tout-carcéral. La question qui est posée est celle de la première sanction pour quelqu’un qui n’est pas en état de récidive. La réponse de monsieur Kervran – il est possible d’en débattre – est la courte peine de prison.
Mme Léa Balage El Mariky
La manière dont il pose la question n’est pas sans incidence !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
On peut voir ou ne pas voir les choses comme lui. Mais l’aménagement obligatoire, je vous expliquerai pourquoi, ne marche pas non plus. On pourrait prononcer ab initio une mesure que ne soit pas une mesure d’emprisonnement – le placement extérieur, comme vous l’évoquiez, ou le bracelet électronique, par exemple, à condition qu’il soit possible de réaliser une enquête sociale, avec les membres du Spip, dès la garde à vue et les premiers actes d’interpellation. De telles peines devraient pouvoir être combinées avec des mesures de formation ou d’activité. Les places en semi-liberté, sauf en Île-de-France, ne sont que très peu occupées – seulement 70 % des 1 500 ou 1 600 places. Cela ne s’explique pas seulement par les tensions sur le marché du travail. Si le magistrat choisit d’emprisonner alors que des places en semi-liberté sont disponibles, c’est qu’il ne croit pas à cette procédure, notamment du fait de l’absence de projet de vie qui accompagnerait ce régime de semi-liberté. Il ne croit pas non plus, parfois, au bracelet électronique, faute de TIG, de formation ou d’emploi.
Je peux néanmoins vous répondre que les quanta des peines effectivement exécutées en prison ont augmenté dans leur ensemble. En 2008, la moyenne était de sept mois et demi par détenu. En 2014 – après la loi Taubira –, cette moyenne est passée à neuf mois. Cette augmentation a donc eu lieu postérieurement à l’adoption, par le Parlement et à l’initiative de la garde des sceaux, d’une disposition dont le but était pourtant de faire baisser le nombre de personnes incarcérées. Si le quinquennat de François Hollande n’a pas échappé à la surpopulation carcérale, c’est parce que le magistrat, confronté à une personne en état de récidive et face à un aménagement de peine obligatoire en cas de courte peine, considérant pourtant comme nécessaire d’emprisonner cette personne, choisit d’augmenter le quantum de peine – faute de mieux, car il sait bien que la prison n’est pas un lieu qui lui permettra de se réinsérer. On comptait donc, sous la présidence de François Hollande, plus de personnes en prison avec un important quantum de peine que sous la présidence de Nicolas Sarkozy. (Mme Andrée Taurinya s’exclame.)
Après la loi Belloubet de 2019 et à partir de 2021 – l’année de l’épidémie de covid-19 n’étant pas très significative en raison de mesures justifiées de libération anticipée –, le quantum de peine moyen est passé de dix mois à un peu moins de onze mois.
Mme Léa Balage El Mariky
La justice n’est donc pas laxiste !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Et cela alors que nous avons le même nombre d’entrées, à peu de chose près, depuis 1980. Toutes les mesures d’aménagement de peine ont donc conduit les magistrats à augmenter le quantum des peines de prison, afin d’éviter que le JAP ne les transforme en quelque chose d’autre.
Votre question, madame la députée, est donc intéressante. Je tâcherai de trouver la réponse – et de vous la communiquer si vous le souhaitez – pour la suite de nos débats. Tout ce que je peux vous dire, c’est que le nombre de personnes passant du temps en prison a augmenté durablement depuis que nous avons mis en place les aménagements obligatoires. Si la proposition de M. Kervran m’intéresse, c’est qu’elle laisse la liberté aux juges de prononcer, dès la première infraction, une très courte peine de prison – en l’occurrence d’un mois – sans préjudice de la possibilité d’un aménagement, comme le prévoit l’article 2. Si l’aménagement est obligatoire, le magistrat se retrouve dans une impasse quand il fait face à des personnes qui sont là pour la dixième, la quinzième, la vingtième fois pour des faits similaires. Ne reste plus que la case prison – et donc l’augmentation du quantum.
Mme Naïma Moutchou
Voilà !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Plus vous ferez d’aménagements obligatoires, plus vous augmenterez le quantum de peine et plus vous aggraverez la surpopulation carcérale, au rebours du but que vous vous fixez. Avis défavorable.
Mme Léa Balage El Mariky
C’est que les aménagements préalables n’ont pas été efficaces !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Ça n’a pas marché !
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Je tiens à présenter mes excuses à la représentation nationale pour mon absence de ce matin : j’étais à la commission d’enquête concernant l’organisation des élections en France. J’ai d’ailleurs eu l’occasion d’y évoquer le cas d’une personne condamnée, pour corruption de mineur, à deux ans de prison avec sursis. J’ai demandé au directeur de l’information de la chaîne CNews s’il trouvait normal de donner une audience à cette personne. Le cas de M. Morandini entrerait tout à fait dans le cadre de la proposition de loi dont nous discutons : comment justifier que sa place soit ailleurs qu’en prison ? J’imagine que l’on pourrait arguer, aux termes de ce texte, qu’il occupe un emploi utile à la société !
Mme Béatrice Roullaud
On ne peut pas juger de cette proposition de loi à partir du cas d’une seule personne !
M. Antoine Léaument
Vous avez évoqué, monsieur le ministre, l’exemple du Royaume-Uni. Exemple intéressant : le Royaume-Uni, du moment qu’il avait atteint 100 % de taux d’occupation des prisons, a libéré des détenus (M. le ministre d’État secoue la tête en signe de désaccord) – contrairement à nous qui atteignons les 130 %.
Avez-vous entendu le ministre, collègues du groupe Horizons, quand il a dit que votre proposition de loi n’est pas réaliste ?
M. Hervé Saulignac
Eh oui !
M. Antoine Léaument
Vous savez que ce que vous proposez est impossible – ce n’est que de l’affichage. Vous avez une conception terroriste de la justice …
M. Antoine Golliot
Oh !
M. Antoine Léaument
J’assume ce mot ! Vous m’accusez souvent, parce que je défends Maximilien Robespierre, de défendre la Terreur. C’est votre logique, pourtant, qui est terroriste : faire très peur avec des grosses peines, en imaginant que les gens regardent le code pénal, qu’ils ont toujours sur eux, avant de passer à l’acte. Ce n’est pas ainsi que l’on rend une justice efficace.
M. Pierre Henriet
Un peu de nuance, s’il vous plaît !
M. Antoine Léaument
Mais je suis dans la nuance !
M. Paul Christophe
Pas vraiment !
M. le président
La parole est à Mme Naïma Moutchou.
Mme Naïma Moutchou
Merci, monsieur le ministre, d’avoir rappelé les faits. Ils s’opposent en tout point à l’idée de la justice qu’on se fait à La France insoumise qui, constamment, théorise dans l’abstraction – quand elle n’excuse pas tout.
Mme Andrée Taurinya
Pas du tout !
Mme Naïma Moutchou
À la suivre, on aboutirait à une quasi-généralisation de l’aménagement des peines, en contradiction totale avec l’idée même de justice : celle-ci serait rendue indépendamment des circonstances, indépendamment des faits, indépendamment des casiers judiciaires.
Mme Léa Balage El Mariky
Mais non !
Mme Andrée Taurinya
Vous caricaturez !
Mme Naïma Moutchou
Les condamnations fermes ne le seraient en fait jamais. Parlons, si vous le voulez, de réinsertion ; mais la première chose à faire en la matière est d’avoir des peines claires, des peines assumées – le contraire de ce que vous faites.
Mme Andrée Taurinya
Pour cela, il faudrait davantage de travailleurs sociaux !
Mme Naïma Moutchou
La terreur, monsieur Léaument, c’est aujourd’hui l’impunité – pas l’inverse. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback
Eh oui !
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
La question carcérale, monsieur Léaument, est très importante. Aucun pays, en Europe, n’a trouvé la martingale : soyons tous très modestes à ce sujet, à commencer par nous, en France, avec nos 60 % de récidive, notre surpopulation carcérale et nos conditions de détentions affreuses pour les détenus comme pour les agents pénitentiaires – dans la plupart des prisons de France, et surtout dans les maisons d’arrêt, les établissements pour peine n’étant pas pleinement occupés. Je vous renvoie à nos discussions à propos du narcotrafic.
Je ne peux cependant pas vous laisser dire que le Royaume-Uni a libéré des détenus une fois les places en détention pleinement occupées. Face à une surpopulation carcérale très importante et à de graves problèmes de vétusté, les Britanniques ont commencé par construire 15 000 places de prison en dix ans. Ils ont ensuite fait jouer une disposition existant depuis plus de cinquante ans dans leur droit, qui considère qu’un détenu doit être libéré quand il a purgé 50 % de sa peine. Le gouvernement travailliste, qui vient d’arriver au pouvoir, a fait passer ce ratio à 40 %. Ce n’est donc pas une libération des prisonniers à partir du moment où le taux d’occupation atteint les 100 %, mais une libération de tous les prisonniers – sauf les plus dangereux, classés en catégorie A – quand ils sont arrivés à 50 %, et maintenant 40 %, de leur peine.
Leur taux de récidive est cependant de 60 %, le même que le nôtre. Aucun des deux systèmes ne fonctionne donc mieux que l’autre.
M. Antoine Léaument
Mais vous reconnaissez que leur politique a bien été de libérer des places !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je me suis rendu deux jours en Grande-Bretagne pour observer cette politique : ce n’est pas non plus une réussite absolue. Certaines choses sont à leur avantage. La construction des prisons y est plus rapide. Elles sont à taille humaine, pour les détenus exécutant de courtes peines – elles peuvent n’être que d’une journée, même si la moyenne est plutôt de plusieurs semaines.
Enfin, les détenus sont classés en quatre catégories, de A à D. La catégorie A regroupe les détenus considérés comme très dangereux. La catégorie B concerne les criminels et délinquants des maisons d’arrêt. La catégorie C, ce sont justement les condamnés à des peines courtes, dans des établissements à taille humaine. Enfin, la catégorie D correspond aux détenus en semi-liberté. Cette catégorisation est d’ailleurs aussi utilisée en Allemagne. C’est un système différent du nôtre.
Lorsque leur taux d’occupation a atteint 100 %, les Anglais ont construit 15 000 places supplémentaires, et avancé la date de libération de l’ensemble des détenus.
M. Bastien Lachaud
Et donc ?
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 12 et 45.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 92
Nombre de suffrages exprimés 85
Majorité absolue 43
Pour l’adoption 19
Contre 66
(Les amendements identiques nos 12 et 45 ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à Mme Sylvie Josserand, pour soutenir l’amendement no 38.
Mme Sylvie Josserand
Nous reprenons ici ce que nous avions proposé à l’article 1er afin de permettre aux juges d’appréhender globalement la peine prononcée et la peine révoquée, notamment lorsqu’un sursis a été accordé lors d’une précédente condamnation : une telle mesure doit permettre d’éviter une multiplication des saisines du juge de l’application des peines.
À l’article 1er, l’amendement similaire que nous proposions a été rejeté, alors que le rapporteur s’en était remis à la sagesse de l’Assemblée nationale. Si vous souhaitez alourdir la tâche des juges, votez à nouveau pour le statu quo. En revanche, si vous voulez que ces derniers puissent traiter simultanément deux dossiers concernant un même condamné, cet amendement devrait être adopté sans difficulté. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Même avis que pour l’amendement à l’article 1er : avis défavorable de la commission et sagesse à titre personnel.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Le débat est particulièrement intéressant, car il met en lumière des conceptions différentes de la justice. Madame Moutchou, selon vous, l’approche de La France insoumise favoriserait l’impunité, la culture de l’excuse et le laxisme.
C’est faux. Nous considérons simplement qu’il est essentiel de s’interroger sur l’efficacité des peines et des moyens de justice mis en œuvre. Nous tomberons peut-être d’accord sur le concept de justice restaurative, qui permet à la personne condamnée de réfléchir à ses actes et de prendre conscience des conséquences de ceux-ci. L’objectif est de prévenir la récidive, tout en offrant aux victimes un processus de reconstruction.
Certains affirment que nous ne nous soucions pas des victimes. C’est inexact : la justice restaurative vise justement à éviter la récidive tout en prenant en compte la situation des victimes. (Mme Béatrice Roullaud s’exclame.)
Si votre objectif est de rendre les peines plus efficaces, il est essentiel d’éviter l’incarcération systématique de personnes pour lesquelles la peine carcérale serait non seulement inefficace, mais risquerait d’aggraver les problèmes de la société.
Ainsi, dans le cadre de la lutte contre le trafic de stupéfiants, mettre en prison certaines personnes, c’est parfois les envoyer à l’école du crime – si vous me permettez ce constat cru.
C’est inefficace et stupide, puisque l’incarcération aggrave les situations en exposant les détenus à des influences criminelles plus graves, ce qui peut renforcer la récidive au lieu de la prévenir.
Il faut donc collectivement nous interroger : si nous pensons tous qu’il est utile de sortir la France du piège du narcotrafic, il vaut mieux employer nos méthodes que les vôtres. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 38.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 95
Nombre de suffrages exprimés 93
Majorité absolue 47
Pour l’adoption 28
Contre 65
(L’amendement no 38 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur l’amendement no 71, par le groupe Écologiste et social ; sur les amendements nos 49 et 50, par le groupe Rassemblement national.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 13 et 46.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l’amendement no 13.
M. Jean-François Coulomme
Cet amendement vise à empêcher que l’aménagement de peine reste une exception. Les données du ministère de l’intérieur, ainsi que celles d’Infostat, le service de documentation, d’études et de recherche du ministère de la justice, montrent que les personnes bénéficiant d’une libération conditionnelle après leur période d’incarcération récidivent moins souvent que celles n’ayant bénéficié d’aucun aménagement de peine – 23 %, contre 33 %, de récidive dans l’année suivant la libération d’écrou.
Le taux de récidive dans les quatre ans suivant la libération est également plus faible pour les personnes placées en détention à domicile sous surveillance électronique dès le prononcé de la peine – 47 % – que pour celles incarcérées – 59 %.
Votre camp politique l’a d’ailleurs bien compris. Prenons l’exemple de l’affaire Paul Bismuth, alias Nicolas Sarkozy : condamné à trois ans de prison, dont un an ferme, n’a-t-il pas bénéficié de la compréhension des juges, qui ont estimé qu’un placement sous bracelet électronique était plus adapté que l’incarcération – il aurait alors dormi sur un matelas au milieu de ces congénères ?
Ces exemples soulignent l’importance de privilégier la prévention à la répression. Une surveillance électronique, par exemple, s’avère bien plus efficace que l’emprisonnement pour réduire la récidive. Les statistiques du ministère de la justice soulignent également que le risque de récidive est particulièrement élevé dans les mois suivant la sortie de détention, période où les individus, souvent mal préparés, se retrouvent déstabilisés face au retour à la vie en société.
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 46.
Mme Léa Balage El Mariky
Cet amendement est parfaitement cohérent avec la logique que je défends depuis le début de cette discussion, puisqu’il vise à réaffirmer le principe selon lequel l’aménagement de peine doit être la règle et non l’exception.
Nous évoquons la liberté des magistrats d’aménager les peines. Pourtant, ce qui ressort de nos discussions, ce sont surtout de fausses informations. Certains affirment que les peines aménagées ne sont pas véritablement exécutées, puis s’émeuvent que le port d’un bracelet électronique constitue une sanction injustifiée, voire contraire à l’État de droit – je l’ai entendu.
Vos contradictions sont frappantes. D’un côté, vous minimisez l’intérêt de l’aménagement des peines en prétendant qu’il ne s’agit pas d’une véritable sanction. De l’autre, vous vous indignez lorsqu’une peine est aménagée, considérant qu’un bracelet électronique représente une contrainte excessive.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Vous êtes cohérente, moi aussi : vous imposez au juge ce qu’il doit faire, tandis que, moi, je lui indique ce qu’il peut faire. C’est la différence entre nous.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Naïma Moutchou.
Mme Naïma Moutchou
Madame Balage El Mariky, qui a affirmé qu’une peine aménagée n’était pas une peine exécutée ?
Mme Léa Balage El Mariky
Je l’ai entendu !
Mme Naïma Moutchou
Nous avons seulement exprimé notre volonté que toutes les peines soient effectivement exécutées. Aujourd’hui, 92 % des peines prononcées sont exécutées. Ce chiffre peut sembler impressionnant, mais il signifie tout de même que 8 % – soit environ 10 000 peines – ne le sont pas. C’est considérable, car il y a autant de victimes potentielles.
En outre, parmi ces 92 %, seules 13 % des affaires arrivent devant un tribunal puisqu’en amont, on prononce des alternatives aux peines, des ordonnances pénales ou des classements sans suite. C’est la réalité du fonctionnement de l’institution judiciaire.
Ce que notre collègue Loïc Kervran propose, c’est d’accorder aux juges la latitude nécessaire pour aménager les peines lorsque cela s’avère pertinent. Il ne s’agit pas de restreindre les peines d’incarcération jusqu’à leur disparition progressive, comme vous semblez vouloir le faire, amendement après amendement.
Mme Andrée Taurinya
Mais non, ce n’est pas ça, vous êtes dans la caricature !
Mme Naïma Moutchou
Cette logique correspond parfaitement à votre projet « zéro prison » – appelez-le comme vous voulez. De notre côté, nous ne défendons ni un système sans incarcération ni un système de détention systématique. Nous cherchons simplement à construire un projet cohérent, permettant à l’institution judiciaire de fonctionner. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe HOR.)
M. le président
La parole est à M. Hervé Saulignac.
M. Hervé Saulignac
Il y a des principes auxquels nous sommes profondément attachés, notamment la liberté du juge. Par souci d’honnêteté, il faut reconnaître que ce texte ne fait pas de l’incarcération la règle, et nous souhaitons également que l’aménagement de peine ne devienne pas systématique.
L’équilibre entre l’incarcération, lorsqu’elle est nécessaire, et l’aménagement de peine, lorsqu’il s’avère plus pertinent, doit rester à la discrétion du juge. Dans la majorité des cas, l’aménagement doit être privilégié, mais cette décision doit toujours être prise en fonction de la situation. C’est précisément pour préserver cet équilibre que nous ne pouvons pas soutenir les amendements proposés par nos collègues.
Mme Léa Balage El Mariky
Oh ! (Sourires.)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 et 46.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 92
Nombre de suffrages exprimés 87
Majorité absolue 44
Pour l’adoption 26
Contre 61
(Les amendements identiques nos 13 et 46 ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 71.
Mme Léa Balage El Mariky
Je serai brève : cet amendement vise à ne pas restreindre le périmètre des formations ouvrant droit à un aménagement de peine, afin de laisser une plus large marge de manœuvre au juge lors de sa décision. Le texte de la commission vise les formations académiques et professionnelles. Nous proposons de simplifier pour ne conserver que le mot « formation ». Il s’agit d’éviter que la loi ne soit trop bavarde, tout en préservant la clarté et l’efficacité du texte.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Quand vous êtes brève et qu’en plus vous avez raison, je ne peux qu’émettre un avis favorable ! («Ah ! » et sourires sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et GDR.)
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 71.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 90
Nombre de suffrages exprimés 84
Majorité absolue 43
Pour l’adoption 57
Contre 27
(L’amendement no 71 est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Emeric Salmon, pour soutenir l’amendement no 49.
M. Emeric Salmon
Avec votre permission, monsieur le président, je défendrai conjointement les amendements nos 49 et 50.
L’amendement no 49 porte sur l’alinéa 3, qui précise les conditions liées à l’activité professionnelle, grâce auxquelles une mesure d’aménagement peut être prononcée. Le condamné doit justifier « de l’exercice d’une activité professionnelle, même temporaire, du suivi d’un stage ou de son assiduité à une formation académique ou professionnelle ou à la recherche d’un emploi. »
Nous venons de supprimer les termes « académique et professionnelle », mais nous estimons que la mention de la recherche d’un emploi est trop vague. C’est pourquoi nous proposons de la supprimer.
Quant à l’amendement no 50, qui suivra celui de Mme Balage El Makiry…
Mme Léa Balage El Mariky
C’est Balage El Mariky !
M. Emeric Salmon
Excusez-moi…
Mme Léa Balage El Mariky
Ce n’est pas grave, mais bon…
M. Emeric Salmon
L’amendement no 50 vise à supprimer l’alinéa 6. Si l’alinéa 3, je l’ai expliqué, concerne l’activité professionnelle, l’alinéa 4, la situation familiale, et l’alinéa 5, la santé, l’alinéa 6 vise les « efforts sérieux de réadaptation sociale ». Une telle rédaction nous semble imprécise et ce critère, trop général, ce qui risque d’aboutir à un trop grand nombre d’aménagements de peines. C’est pourquoi nous proposons la suppression de l’alinéa.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 49 ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Le texte précise bien que le condamné doit faire la preuve de son assiduité dans sa recherche d’emploi. La rédaction actuelle excluant toute recherche d’emploi fictive, qui ne nécessiterait qu’une simple inscription à France Travail, elle est équilibrée. Je donnerai donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Avis défavorable.
M. le président
La parole est à M. Emeric Salmon.
M. Emeric Salmon
S’il en est ainsi, monsieur le rapporteur, cela nous convient, mais je n’ai pas l’impression que ce soit ce qui est écrit. Le mot assiduité n’apparaît pas devant « à la recherche d’un emploi », ce qui nous pose un problème.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Collègues, je souhaite vous alerter sur un point. Le Rassemblement national fait ici la démonstration de sa conception de la prison. Pour ces députés, emprisonner consiste à exclure une personne du reste de la société.
M. Emeric Salmon
À la mettre à l’écart !
M. Laurent Jacobelli
Pour le bien de la société !
M. Antoine Léaument
C’est ce qu’ils cherchent à faire avec la prison. (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Vous entendez ? Ils sont d’accord. Ils considèrent que lorsqu’une personne a commis un acte criminel ou délictuel, elle doit être en prison, et y rester !
M. Emeric Salmon
Le temps de sa peine !
M. Antoine Léaument
Si elle en sort, elle représente un danger pour la société. Telle est leur conception de la personne et de la société – ce n’est pas une vision humaniste. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
Vous pouvez protester, mais c’est vrai ! En effet, qu’est-ce que l’humanisme ?
L’humanisme consiste à considérer que l’être humain est acteur et auteur de son existence.
M. Laurent Jacobelli
Revoilà le professeur !
M. Antoine Léaument
Vous pouvez bien hurler, mais c’est la vérité. Allez relire les penseurs humanistes : ils considèrent que l’humain peut s’améliorer.
M. Emeric Salmon
Pas la victime, qui est souvent morte !
M. Antoine Léaument
Vous dites que vous voulez que les gens restent en prison et vous allez très loin : pour le Rassemblement national, même une personne en recherche d’emploi doit rester en prison. C’est complètement lunaire ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.) Quoi de mieux pour se réinsérer que de rechercher et de décrocher un emploi ? C’est bien ainsi qu’on réintègre la société après un passage en prison.
M. Emeric Salmon
Avez-vous seulement écouté mon propos ?
M. Antoine Léaument
Nous avons bien compris que vous vouliez isoler certaines personnes du reste de la société.
M. Emeric Salmon
Oui !
M. Antoine Léaument
Cela vaut pour tout le monde, sauf pour Mme Le Pen, apparemment. En l’occurrence, vous êtes tout à fait à l’aise avec le bracelet électronique alors qu’une peine de prison de deux ans de prison ferme a été prononcée à son encontre. On ne sait pas pourquoi cela ne vous dérange pas que Mme Le Pen ne soit pas concernée par votre vision terroriste – je le maintiens –… (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’orateur. – Les députés du groupe LFI-NFP applaudissent ce dernier.)
M. Hervé Saulignac
Oui, pourquoi ? C’est une bonne question !
M. Laurent Jacobelli
Et Chikirou ?
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 49.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 91
Nombre de suffrages exprimés 91
Majorité absolue 46
Pour l’adoption 28
Contre 63
(L’amendement no 49 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 72.
Mme Léa Balage El Mariky
Nous proposons de supprimer le mot « essentielle » à l’alinéa 4 de l’article 2, étant donné que la présence d’un parent auprès de ses enfants l’est toujours, tant elle contribue à leur bon développement, à leur stabilité et à leur équilibre affectif. J’en resterai là pour vous laisser émettre un avis favorable sur cet amendement, comme tout à l’heure !
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Je vais devoir vous décevoir, chère collègue : ce sera un avis défavorable.
Mme Léa Balage El Mariky
Oh non !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Je n’ai pas durci les critères qui avaient cours jusqu’en 2019. Ils ont été éprouvés au fil des années. La rédaction initiale me semble tout à fait équilibrée, il faut donc la conserver.
(L’amendement no 72, repoussé par le gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 50 de M. Emeric Salmon est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Emeric Salmon.
M. Emeric Salmon
Je souhaite expliquer à M. Léaument mon intention. En répondant au rapporteur, j’ai souligné que c’était l’absence du mot « assiduité » qui me dérangeait. Qui vérifiera que la recherche d’emploi est bien réelle ?
M. Antoine Léaument
France Travail !
M. Emeric Salmon
Dans ce cas, il faut préciser que cette recherche doit être assidue. Sinon, toutes les personnes condamnées prétendront qu’elles recherchent un emploi pour bénéficier d’un aménagement de peine.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Merci ! (L’orateur, surpris, s’éloigne du micro.) Décidément, le volume sonore est un peu élevé : je vous jure que je ne hurle pas.
M. Laurent Jacobelli
Le son est fort, le raisonnement l’est moins !
M. le président
Le volume est le même pour tout le monde, il faut simplement parler moins fort… (Sourires.)
M. Antoine Léaument
Je ne peux laisser notre collègue du Rassemblement national parler d’assiduité sans m’amuser du fait que vous ne l’exigiez pas de votre principal responsable. (Protestations sur les bancs du groupe RN. – Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) M. Bardella est connu pour ses absences au Parlement européen, si bien que tout le monde connaît le numéro de son siège – c’est le numéro 19. Quand on l’évoque, la question de l’assiduité n’en est subitement plus une pour vous.
Plusieurs députés du groupe RN
C’est faux !
Un député du groupe RN
Un mensonge répété 1 000 fois ne fait pas une vérité !
Mme Sandra Regol
Les données sont publiques !
Mme Edwige Diaz
Vous avez fait 6 % aux élections !
M. Antoine Léaument
J’en viens au fond, après cette petite pique qui…
Une députée du groupe RN
Et Manon Aubry ?
M. Antoine Léaument
Manon Aubry est très présente au Parlement européen, vous ne pouvez pas lui reprocher de manquer d’assiduité !
M. le président
Venez-en au fond !
M. Antoine Léaument
Elle siège au numéro 32, elle est présente régulièrement et il n’existe aucun compte Twitter parodique attribué à son siège qui commente ses absences !
M. Laurent Jacobelli
Passionnant…
M. Antoine Léaument
Revenons-en à l’amendement de notre collègue Léa Balage El Mariky. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Vous ne souhaitez peut-être pas que j’y revienne, mais ce n’est pas le cas de tout le monde !
M. le président
Cela fait une minute et six secondes que l’on s’écarte de l’amendement. Peut-on se concentrer sur ce dernier ?
M. Antoine Léaument
La question des parents soulève toujours une grande difficulté. Quand on édicte des règles très dures à l’encontre de parents qui se retrouvent en prison, on se retrouve à punir non seulement ces parents, mais aussi leurs enfants. Ce point-là n’apparaît pas du tout sur votre radar. Cela me choque beaucoup, car un enfant ne peut jamais être considéré comme responsable des crimes ou des délits commis par ses parents. Quand on essaie d’améliorer la société, il faut penser en priorité à la place qu’y tiennent les enfants. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 50.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 91
Nombre de suffrages exprimés 90
Majorité absolue 46
Pour l’adoption 27
Contre 63
(L’amendement no 50 n’est pas adopté.)
M. le président
Sur l’article 2, je suis saisi par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire et Horizons & indépendants d’une demande de scrutin public. Je suspendrai probablement la séance pour quelques minutes après ce vote. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi, pour soutenir l’amendement no 64.
Mme Sabrina Sebaihi
L’objectif est assez simple : il s’agit de laisser toute sa place à l’appréciation du juge. Plutôt que de l’enfermer dans une liste rigide de critères, nous proposons de l’autoriser à prendre en compte tout élément de nature à démontrer une démarche de réinsertion.
Nous entendons ainsi reconnaître la diversité des parcours et valoriser les initiatives atypiques. Il est possible de s’investir dans des associations ou des formations informelles, ce qu’il faut pouvoir prendre en compte.
Le collègue du Rassemblement national insistait sur l’assiduité et la vérification de cette dernière. Des structures sont normalement chargées de fixer des rendez-vous pour s’assurer régulièrement que les personnes recherchent bien un emploi.
M. Emeric Salmon
Oui, mais ce n’est pas dans le texte !
Mme Sabrina Sebaihi
Je vais même vous apprendre quelque chose : il existe des gens qui occupent officiellement un emploi et laissent passer quatre mois avant de demander à visiter leur bureau !
M. Emeric Salmon
Euh ?
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Défavorable, car je suis très attaché aux aspects concrets et crédibles des efforts.
Mme Léa Balage El Mariky
Dommage !
(L’amendement no 64, repoussé par le gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 65.
Mme Léa Balage El Mariky
Il vise à éviter que l’absence d’hébergement stable ne devienne un motif de refus d’aménagement de peine, sauf lorsque cette situation rend manifestement impossible la mise en œuvre de la mesure envisagée.
L’expérience montre que les personnes sans domicile fixe font souvent l’objet d’un traitement pénal plus sévère, faute de pouvoir présenter les garanties attendues.
Nous entendons lutter contre une discrimination touchant les personnes en situation de sans-abrisme…
M. Emeric Salmon
« Personnes en situation de sans-abrisme » ?
Mme Léa Balage El Mariky
…ou qui ne disposent pas d’un hébergement fixe. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement. Nous pouvons sans doute nous accorder sur le fait que cette situation ne doit pas alourdir la peine ou empêcher les aménagements de peine.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
La mesure d’aménagement la plus souvent prononcée, c’est la détention à domicile sous surveillance électronique. En l’absence de domicile fixe, il est évidemment délicat de mettre en œuvre une telle mesure. Je ne suis pas favorable à votre amendement, car il insinue en quelque sorte que les tribunaux n’exploreraient pas les autres possibilités d’aménagement, par exemple la semi-liberté ou le placement à l’extérieur, ce qui est faux. De manière sans doute involontaire, cela sonne comme un geste de défiance à l’égard des magistrats.
Mme Léa Balage El Mariky
Alors là, c’est mal me connaître !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Avis défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky – M. Léaument avait demandé la parole mais il vous la cède !
Mme Léa Balage El Mariky
C’est sympa !
Le rapporteur pourrait-il profiter de la courte pause prévue pour sous-amender mon amendement avant la mise aux voix ? Vous pourriez ainsi modifier la rédaction pour prendre en compte nos objections. Il ne s’agit pas du tout d’alimenter une quelconque défiance envers les magistrats. Sur nos bancs, et j’espère que c’est le cas dans le reste de l’hémicycle, nous les respectons.
Il faut éviter que la rédaction de cet article mène à ce que les personnes sans hébergement fixe ne puissent pas bénéficier d’un aménagement de peine lorsque c’est possible. C’est pour cela que nous souhaitons préciser la rédaction. Si notre version ne vous convient pas, j’aimerais que nous en discutions rapidement pour pouvoir éventuellement aboutir à un sous-amendement pendant la suspension de séance qui a été proposée par le président.
M. le président
La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Kervran, rapporteur
Ce n’est pas une question de rédaction. Une seule mesure d’aménagement sur trois est exclue pour les personnes sans domicile fixe. Les magistrats peuvent prononcer les deux autres, et je leur fais toute confiance pour le faire. Il ne me semble pas nécessaire de l’inscrire dans la loi.
(L’amendement no 65 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements, nos 51 et 2, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Laurent Mazaury, pour soutenir l’amendement no 51.
M. Laurent Mazaury
Nous proposons d’encadrer davantage l’aménagement de peine en cas de délit commis en état de récidive légale, en précisant que les récidivistes ne pourront bénéficier que de la semi-liberté.
La semi-liberté est une mesure d’aménagement sous-utilisée. Comme l’a précisé le garde des sceaux, elle ne représente que 5,6 % des aménagements. Elle permet de placer un individu en établissement pénitentiaire tout en lui permettant de sortir pour travailler. Aussi, cette solution semble pertinente pour des délinquants primo-arrivants, mais aussi particulièrement adaptée pour les récidivistes. On leur envoie bien un message par l’emprisonnement, tout en leur offrant une nouvelle chance de réinsertion.
J’en profite pour dire que je suis d’accord avec notre collègue du Rassemblement national s’agissant de la correction qu’il proposait. Elle me semble rédactionnelle et permettrait d’éviter des interprétations ultérieures en ce qui concerne le contrôle de la recherche d’emploi. Ce n’est pas une question partisane, mais une précision rédactionnelle importante d’un point de vue légal.
M. le président
La parole est à M. Nicolas Ray, pour soutenir l’amendement no 2.
M. Nicolas Ray
Nous sommes favorables à l’aménagement des peines fondé sur des critères précis et sur une appréciation approfondie du juge. Nous souhaitons néanmoins exclure du dispositif prévu à l’article 2 les personnes en état de récidive légale ou de réitération. On sait que la récidive est un fléau pour la société et doit être lourdement sanctionnée. On ne peut pas faire preuve de laxisme et les récidivistes ne sauraient donc bénéficier d’un aménagement de peine, à moins de mettre à mal la sécurité de nos concitoyens et de susciter leur incompréhension.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Je ne rappellerai pas la philosophie de mon texte ni, donc, mon opposition de principe à votre proposition. Il s’agit de laisser au juge la liberté de décider.
Je tiens par ailleurs à rassurer MM. Salmon et Mazaury sur la question de l’assiduité. Il s’agit bien de l’assiduité à un enseignement, à une formation ou à la recherche d’un emploi.
Je suis défavorable aux deux amendements.
(Les amendements nos 51 et 2, repoussés par le gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
L’amendement no 56 de Mme Léa Balage El Mariky est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Je profite de l’occasion qui m’est offerte pour poursuivre la discussion de tout à l’heure. D’abord, monsieur le rapporteur, vous avez défendu votre pragmatisme et votre volonté de faire voter des mesures efficaces. Encore une fois, le ministre vous a déclaré, ce matin et en début d’après-midi, que votre proposition de loi, compte tenu de l’état du système carcéral, n’était pas applicable en l’état, qu’elle n’était que déclarative, en quelque sorte.
Ensuite, Mme Balage El Mariky a présenté un amendement sur lequel nous sommes passés un peu vite et qui concernait les sans-domicile fixe. Au Japon, certaines personnes, notamment les plus âgées, en raison du coût de la vie et des difficultés qui s’ensuivent, commettent des actes délictuels pour se retrouver en prison où la vie est moins chère. Or cette question se pose pour les personnes sans domicile fixe ou les personnes totalement ou presque dépourvues de ressources. On voit bien ici ce avec quoi nous sommes en désaccord avec l’autre partie de l’hémicycle.
Nous considérons pour notre part que la société doit accompagner les personnes les plus en difficulté. Maximilien Robespierre, que vous détestez, avait une formule magnifique : « Nul n’a le droit d’entasser des monceaux de blé à côté de son voisin qui meurt de faim. » (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – M. Pierre Henriet s’exclame.) Je pense moi aussi que nul ne peut entasser des monceaux de blé – je parle ici de l’argent – à côté de son semblable qui meurt de faim. Dans la situation économique dans laquelle se trouve notre pays – pays qui n’a jamais été aussi riche de toute son histoire –, on lutte contre la pauvreté par le partage de la richesse. (Mme Andrée Taurinya applaudit.) Et nous éviterons ainsi peut-être que des personnes malintentionnées essaient d’exploiter la pauvreté pour la transformer parfois, malheureusement, en criminalité.
(L’amendement no 56 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 57.
Mme Léa Balage El Mariky
Nous souhaitons compléter l’article 2. Si les magistrats ont la possibilité de visiter les maisons d’arrêt et les services pénitentiaires d’insertion et de probation, aucune disposition légale ne leur en fait obligation. Certains magistrats nous ont fait part de leur regret de ne pouvoir procéder, faute de temps institutionnellement consacré à cet effet, à ces visites grâce auxquelles ils pourraient apprécier les conditions d’incarcération et réviser la manière dont ils pourraient aménager les peines courtes. Si le texte est adopté, ce que nous ne souhaitons pas, il faudrait donc au moins donner aux magistrats le temps de faire ces visites.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
J’appelle votre attention sur l’article L. 131-1 du code pénitentiaire qui prévoit que « le président de la cour d’appel, le procureur général, le président de la chambre de l’instruction, le président du tribunal judiciaire, le procureur de la République, le juge des libertés et de la détention, le juge d’instruction, le juge d’application des peines […] visitent au moins une fois par an chaque établissement pénitentiaire situé dans leur ressort territorial de compétence ».
Encore une fois, je suis défavorable à l’amendement sur le fond : il pourrait être lu comme le fait que les magistrats qui prononcent des peines d’emprisonnement n’auraient pas connaissance de l’état des établissements pénitentiaires.
Mme Léa Balage El Mariky
Je n’ai pas dit ça ! J’ai parlé de temps institutionnellement consacré à cet effet !
M. Loïc Kervran, rapporteur
J’émets donc un avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
L’amendement de notre collègue vise un objectif important : le fait que le personnel de justice discute plus souvent avec le personnel pénitentiaire. Quand des conventions sont signées, comme à Varces, dans le cadre d’un mécanisme de régulation carcérale, c’est parce que toutes celles et tous ceux qui ont intérêt à connaître les conditions de détention dans le cadre de prononcés de justice se sont rencontrés et ont ainsi pu évoquer les conditions de détention, les impératifs auxquels sont soumis les magistrats, mais aussi les solutions alternatives à l’incarcération. Je vous assure que dans le cadre des auditions que j’ai menées avec Mme Abadie, tant les associations qui œuvrent pour la réinsertion et la probation que les personnels de probation et d’insertion ont dit ne pas connaître tous les dispositifs existant dans les juridictions, donc ne pas être en mesure de faire appel à l’ensemble des acteurs qui œuvrent pour la réinsertion.
L’existence de ces rencontres, parfois sous forme, je l’ai mentionné, de convention, pour réunir autour de la table l’ensemble des acteurs, me semble aller dans le bon sens. Et je ne vois pas comment faire autrement pour contribuer à la déflation pénale. (Mme Mathilde Hignet et M. Antoine Léaument applaudissent.)
M. le président
La parole est à Mme Naïma Moutchou.
Mme Naïma Moutchou
Il est vrai que cet amendement donne l’impression, même si je sais que ce n’est pas son objet, de jeter une forme de discrédit sur les magistrats qui jugeraient, statueraient sur des vies en étant déconnectés de la réalité des établissements pénitentiaires. C’est évidemment faux : les magistrats sont formés, peuvent se rendre dans les lieux d’emprisonnement…
Mme Léa Balage El Mariky et Mme Elsa Faucillon
Oui, ils « peuvent » !
Mme Naïma Moutchou
…et certains le font.
Mme Léa Balage El Mariky
Comme les députés ! Mais ils ne le font pas tous !
Mme Elsa Faucillon
Alors qu’ils légifèrent sur le sujet !
Mme Naïma Moutchou
Les magistrats déplorent avec nous la surpopulation carcérale, ils sont parfaitement au fait de la situation. La vraie difficulté n’est pas la décision prise par le juge d’incarcérer : il y a à peu près autant de détenus aujourd’hui qu’il y a quelques années. Le problème est qu’il y a moins de places en moyenne en France que dans les autres pays. Voilà pourquoi nous ne sommes pas favorables à la régulation carcérale, mais plutôt à la construction de places de prison supplémentaires pour être au moins à la hauteur de nos voisins européens.
Nous souhaitons travailler sur la question fondamentale des conditions de dignité de détention. L’objectif du texte est ainsi d’incarcérer beaucoup moins longtemps et beaucoup plus vite pour vider les prisons – d’autres pays l’ont fait et ont obtenu des résultats. En France, depuis des années, le problème est non l’explosion du nombre de détenus, mais le fait qu’on incarcère beaucoup plus longtemps et très tardivement. Voilà ce qui a causé en grande partie la surpopulation carcérale.
(L’amendement no 57 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’article 2, tel qu’il a été amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 89
Nombre de suffrages exprimés 89
Majorité absolue 45
Pour l’adoption 57
Contre 32
(L’article 2, amendé, est adopté.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures dix, est reprise à dix-huit heures vingt.)
M. le président
La séance est reprise.
Article 3
M. le président
Chers collègues, il nous reste vingt-neuf amendements à examiner. À un rythme de vingt amendements à l’heure, il est possible de terminer l’examen avant vingt heures. Cela dépend de vous ! (Sourires.)
Je suis saisi de trois amendements, nos 52, 39 et 31, pouvant être soumis à une discussion commune, qui tendent à rétablir l’article 3, supprimé par la commission.
La parole est à M. Loïc Kervran, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 52, qui fait l’objet du sous-amendement no 76 de Mme Balage El Mariky.
M. Loïc Kervran, rapporteur
Cet amendement vise à rétablir l’article 3, supprimé par la commission, mais dans une rédaction légèrement différente. Dans sa version initiale, l’article abrogeait purement et simplement l’article 464-2 du code de procédure pénale. Après discussion avec des magistrats et des députés du groupe Ensemble pour la République, je propose de l’adapter aux dispositions prévues par les articles 1er et 2 précédemment adoptés.
L’amendement rehausse d’un à deux ans d’emprisonnement ferme le seuil à partir duquel l’aménagement est envisagé. Par ailleurs, il supprime l’interdiction de décerner un mandat de dépôt différé pour les peines d’emprisonnement inférieures à six mois. L’objectif est de renforcer le caractère moins désocialisant des très courtes peines en permettant au juge de disposer à l’audience d’un autre outil que le simple mandat de dépôt. Ce dernier, en empêchant la personne condamnée de se préparer correctement faute de temps, peut grandement perturber sa vie personnelle.
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir le sous-amendement no 76.
Mme Léa Balage El Mariky
Il vise à assurer la constitutionnalité de l’amendement no 52. Dans leur décision du 2 mars 2018, les sages rappellent que les exigences constitutionnelles qui résultent des articles 7, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen « imposent la motivation des jugements et arrêts de condamnation, pour la culpabilité comme pour la peine ».
M. le président
L’amendement no 39 de Mme Sylvie Josserand est défendu.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l’amendement no 31.
M. Jean-François Coulomme
Aujourd’hui, un tribunal peut décider de fixer une date de mise à exécution de la peine d’emprisonnement prononcée lorsqu’il choisit de ne pas aménager ab initio cette peine. Il serait logique, dans la proposition de loi, de supprimer le mandat de dépôt différé pour les peines fermes comprises entre six et douze mois. Sinon, cela reviendrait à reconnaître qu’un condamné peut être laissé en liberté pendant un mois et donc à démontrer l’absence de nécessité de son incarcération. Il y a là un illogisme profond : on ne peut pas, d’une part, exiger l’exécution systématique des peines inférieures à un mois et, d’autre part, ne pas tenir compte de la situation actuelle. L’absence de nécessité de l’emprisonnement montre que des solutions alternatives sont possibles.
Nous soutenons l’intervention de principe du JAP pour envisager l’aménagement de toutes les peines non assorties d’un mandat de dépôt immédiat. Le mandat de dépôt à délai différé pour les peines d’emprisonnement ferme de six à douze mois favorise uniquement le prononcé de peines fermes non aménagées et pour autant non justifiées. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
L’obligation de motivation de la peine d’emprisonnement ferme est déjà fixée par l’article 132-1 du code pénal. L’amendement est constitutionnel puisqu’il ne fait qu’ajouter une motivation spéciale et facultative.
Avis défavorable sur le sous-amendement no 76 et sur les amendements nos 39 et 31.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée sur l’amendement no 52 et j’émets un avis défavorable sur le sous-amendement et les deux autres amendements.
(Le sous-amendement no 76 n’est pas adopté.)
(L’amendement no 52 est adopté ; en conséquence, l’article 3 est ainsi rétabli et les amendements nos 39 et 31 tombent.)
M. le président
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public : sur l’amendement no 29 par le groupe Rassemblement national ; sur les amendements identiques nos 22, 27 et 47 par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Après l’article 3
M. le président
La parole est à M. Yoann Gillet, pour soutenir l’amendement no 29 portant article additionnel après l’article 3.
M. Yoann Gillet
Quand un individu déjà condamné commet à nouveau un délit ou un crime, il ne devrait plus bénéficier d’aucune indulgence. L’un des piliers de toute justice respectée est la crédibilité de la peine. Or, même en récidive, il reste possible de bénéficier d’un aménagement de peine dès que la condamnation est prononcée : bracelet électronique, semi-liberté, placement à l’extérieur, autant de formules qui, dans la pratique, sont souvent, et à juste titre, perçues comme des peines vidées de leur substance.
Nous proposons d’interdire l’aménagement de peine en cas de récidive. Les Français sont nombreux à critiquer le laxisme de la justice. On ne peut que leur donner raison quand on voit le nombre de récidivistes qui bénéficient d’un aménagement de peine ! Cet amendement de bon sens se veut également un message de fermeté : la peine doit être visible, cohérente et surtout dissuasive.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Avis défavorable. C’est un débat que nous avons déjà eu.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Avis défavorable.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 29.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 85
Nombre de suffrages exprimés 84
Majorité absolue 43
Pour l’adoption 20
Contre 64
(L’amendement no 29 n’est pas adopté.)
Article 4
M. le président
Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 22, 27 et 47, qui tendent à supprimer l’article.
M. le président
L’amendement no 22 de Mme Elsa Faucillon est défendu.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l’amendement no 27.
M. Jean-François Coulomme
Nous sommes opposés à cet article – comme à l’ensemble de la proposition de loi – car il aggrave la surpopulation carcérale et limite drastiquement les possibilités d’aménagement de peine, alors que la littérature scientifique atteste que la prison ferme, loin de décourager la récidive, la favorise – nous ne cessons de vous le dire, mais vous vous obstinez à le nier.
Rappelons que la systématisation des aménagements de peine repose sur le constat du caractère désocialisant des courtes peines, à l’origine d’un grand nombre de récidives. L’aménagement de peine vise, en outre, à préserver l’insertion professionnelle et sociale du condamné. Dans ses conclusions, la conférence de consensus sur la prévention de la récidive de 2012 affirmait ainsi que « le consensus sur l’efficacité des mesures d’aménagement de peine doit emporter une orientation ferme en faveur de leur développement ».
À celles et ceux qui soutiennent qu’une courte peine, inférieure à un mois, n’est pas un facteur de désocialisation, je rappelle que le taux de suicide est bien supérieur chez les détenus qui viennent d’entrer en prison que chez les autres. La population carcérale présente un taux de suicide huit fois supérieur à celui des Français en général ; ce taux est vingt fois plus important pour les détenus placés au mitard.
Alors que ses effets délétères sont démontrés, vous continuez de plébisciter la prison. Vous imaginez certainement que ce ne sont pas vos enfants qui finiront sur un matelas pour purger une courte peine. Peut-être aussi que vos enfants parviendront plus facilement que d’autres à se réinsérer, mais le nombre de personnes qui réussissent à retrouver leur assise sociale après avoir été extraites de la société, même pour une semaine, est très faible.
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 47.
Mme Léa Balage El Mariky
Nous le retirons. En supprimant une distinction établie dans notre droit positif, l’article 4 est sans doute le seul article de ce texte à améliorer le dispositif d’aménagement des peines.
J’espère que ce retrait incitera le rapporteur à émettre un avis favorable sur l’amendement no 66 que je défendrai dans quelques instants et qui vise à assouplir davantage le fractionnement des peines.
(L’amendement no 47 est retiré.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 22 et 27 ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Il est défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Défavorable également.
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 22 et 27.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 88
Nombre de suffrages exprimés 76
Majorité absolue 39
Pour l’adoption 19
Contre 57
(Les amendements identiques nos 22 et 27 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Sur l’article 4, je suis saisi par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire et Horizons & indépendants de demandes de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 66 rectifié.
Mme Léa Balage El Mariky
Il tend à assouplir les conditions de recours au fractionnement de peine et à le permettre pour tout motif lié à la réinsertion. Il supprime donc la limitation applicable en cas de récidive, allonge la durée maximale de la période de fractionnement de quatre à cinq jours et permet, à titre exceptionnel, que ces fractions soient inférieures à deux jours – de toute façon, elles ne peuvent pas être inférieures à un jour.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Le fractionnement des peines est justifié par l’état de santé du détenu. Par ailleurs, d’autres mesures d’aménagement permettent de poursuivre une activité professionnelle ou une formation. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
(L’amendement no 66 rectifié n’est pas adopté.)
M. le président
Sur les amendements no 23 et identiques, je suis saisi par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je mets aux voix l’article 4.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 91
Nombre de suffrages exprimés 78
Majorité absolue 40
Pour l’adoption 60
Contre 18
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
Nos collègues du groupe Horizons ont souhaité supprimer l’automaticité des aménagements de peine et donner une compétence plus importante aux juges.
Certains ont soutenu que l’individualisation des peines s’en trouverait compromise, mais je leur réponds que la proposition de loi contribuera au contraire à la renforcer. Dans ces conditions, la justice prendra tout son sens.
D’autres ont estimé que la privation de liberté ne permettait pas la réinsertion ; en réalité, tout dépend des mesures appliquées. Cette opposition, je la réfute donc fermement !
M. le président
Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 23, 28 et 35, tendant à supprimer l’article 5.
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 23.
Mme Elsa Faucillon
Je suis pleine d’espoir ! Des députés de la majorité…
M. Gabriel Attal
Merci de reconnaître qu’il y a une majorité !
Mme Elsa Faucillon
…défont aujourd’hui des mesures pour lesquelles ils avaient voté il y a quelques années. Espérons qu’ils feront de même sur d’autres sujets, les attaques contre les chômeurs ou les quartiers de haute sécurité, par exemple ! Avec ce texte, en tout cas, le groupe Horizons revient sur des mesures que différents gardes des sceaux ont défendues en 2019 et en 2021.
Pour ma part, je crois que les mesures visées par l’article 5 – la libération sous contrainte de plein droit, notamment – auraient besoin d’être revues, mais pas d’être supprimées. Il est nécessaire de vérifier qu’elles ne contribuent pas à des sorties sèches, elles-mêmes en cause dans la récidive. En tant que législateurs, nous devrions y travailler lors de l’examen du budget et éviter de défaire les mesures qui visent la déflation pénale et la réinsertion.
M. le président
Les amendements identiques nos 28 de Mme Andrée Taurinya et 35 de M. Hervé Saulignac sont défendus.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Défavorable également.
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 23, 28 et 35.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 90
Nombre de suffrages exprimés 89
Majorité absolue 45
Pour l’adoption 30
Contre 59
(Les amendements identiques nos 23, 28 et 35 ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 67.
Mme Léa Balage El Mariky
Il vise à maintenir les seuils actuels de recours au mandat de dépôt immédiat, que l’alinéa 3 de l’article 5 tend à réduire. Le droit en vigueur prévoit déjà l’incarcération immédiate dans certains cas – récidive ou comparution immédiate –, si bien que les dispositions de cet alinéa sont inutiles et dangereuses. Leur entrée en vigueur pourrait accroître davantage l’engorgement des maisons d’arrêt.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Il est défavorable : nous avons besoin des dispositions de l’alinéa 3 de l’article 5.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Défavorable.
(L’amendement no 67 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de quatre amendements, nos 59, 60, 58 et 53, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir les amendements nos 59, 60 et 58, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Mme Léa Balage El Mariky
L’amendement no 59 tend à instaurer une régulation carcérale minimale en élargissant le champ de la libération sous contrainte de plein droit dans les établissements où la surpopulation est avérée. Lorsque le taux d’occupation d’une maison d’arrêt dépasse 100 %, la libération sous contrainte s’applique à tous les détenus de cet établissement condamnés à cinq ans ou moins de détention et dont le reliquat de la peine est inférieur à un an. Ce seuil est cohérent avec l’article L. 211-3 du code pénitentiaire, qui prévoit que les personnes à qui il reste une peine de moins d’un an à exécuter peuvent, à titre exceptionnel, être affectées en maison d’arrêt.
L’amendement no 60 vise à clarifier et à encadrer l’un des motifs de refus de la libération sous contrainte de plein droit, à savoir l’absence d’hébergement. Le sans-abrisme ne doit pas donner lieu à une discrimination. Avant de refuser l’aménagement d’une peine pour absence d’hébergement, le juge d’application des peines doit vérifier si la personne peut bénéficier d’une semi-liberté ou d’un placement extérieur.
Enfin, l’amendement no 58 tend à préserver l’article 720 du code de procédure pénale, qui permet la libération anticipée de plein droit en fin de peine et constitue donc un outil indispensable, bien qu’imparfait, de lutte contre la surpopulation carcérale. Pour rendre son application plus efficace, nous proposons de la conditionner à l’absence d’opposition de la personne condamnée, ce que de nombreux professionnels de la justice recommandent.
M. le président
La parole est à M. Loïc Kervran, rapporteur, pour soutenir l’amendement no 53 et donner l’avis de la commission sur les amendements nos 59, 60 et 58.
M. Loïc Kervran, rapporteur
L’amendement no 53 est un amendement de coordination qui tire les conséquences de l’abrogation de la libération sous contrainte de plein droit, laquelle ne satisfait personne ici ni dans le milieu judiciaire.
S’agissant des personnes sans domicile fixe, nous avons déjà débattu de leur situation.
Mme Léa Balage El Mariky
Non, justement !
M. Loïc Kervran, rapporteur
Avis défavorable sur les amendements nos 59, 60 et 58.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Il est défavorable sur les amendements nos 59, 60 et 58 et favorable sur l’amendement no 53.
M. le président
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.
Mme Gabrielle Cathala
Je soutiens les amendements nos 59, 60 et 58 et tous les amendements qui tendent à limiter la surpopulation carcérale. Le 1er avril, les derniers chiffres ont été publiés : 5 500 détenus dorment sur un matelas au sol dans notre pays ; le taux d’occupation des maisons d’arrêt atteint 159 %.
La France a déjà été condamnée de nombreuses fois par la Cour européenne des droits de l’homme, la surpopulation carcérale représentant un traitement inhumain et dégradant. Des solutions à ce problème existent et la régulation carcérale, recommandée par la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, en est une. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) Ce mécanisme, appliqué dans de nombreux pays, mérite toute notre considération. Nous ne sommes pas seuls à gauche à le soutenir : Elsa Faucillon et Caroline Abadie, ancienne députée macroniste, se sont prononcées en sa faveur, mais elles n’ont pas plus que nous obtenu de réponse du garde des sceaux.
Rappelons que la régulation carcérale a déjà été appliquée : pendant la crise sanitaire, les libérations anticipées de détenus, décidées par les ordonnances de Mme Belloubet, ont permis de revenir à un taux d’occupation de 100 % sans augmentation massive des délits et des crimes. Pour l’avoir rappelé en commission, nous avons été moqués ; c’est pourtant la preuve que certains détenus n’ont rien à faire en détention et que leur libération ne nous ferait courir aucun danger. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Antoine Léaument
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Laurent Jacobelli.
M. Laurent Jacobelli
La surpopulation carcérale est réelle et vous avez raison de l’évoquer. Mais la première solution que vous proposez est de libérer les détenus :…
Mme Léa Balage El Mariky
D’aménager les peines !
M. Laurent Jacobelli
…c’est dire l’importance que vous accordez à la sécurité et à la paix dans nos rues ! (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Que des détenus violent ou agressent d’honnêtes citoyens, cela vous importe peu.
Mme Elsa Faucillon
Que vous êtes fatigants !
M. Laurent Jacobelli
Je vous propose une solution beaucoup plus concrète : stoppons l’immigration ! Les étrangers sont surreprésentés parmi les auteurs de crimes et délits et 25 % des prisonniers sont étrangers. Comme le garde des sceaux, je pense qu’il faut qu’ils purgent leur peine dans leur pays d’origine. Arrêtons l’immigration et libérons nos prisons ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
M. Laurent Mazaury
Je voudrais réagir, monsieur le président !
M. le président
Il y a déjà eu un pour, un contre. Vous aurez la parole sur un autre amendement.
(Les amendements nos 59, 60 et 58, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
(L’amendement no 53 est adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 68.
Mme Léa Balage El Mariky
Il vise à supprimer l’alinéa 10, qui prévoit de remplacer, dans la première phrase du premier alinéa de l’article 723-15 du code de procédure pénale, les mots « bénéficient, dans la mesure du possible » par les mots « peuvent bénéficier ». Or cela veut dire à peu près la même chose. S’agissant des courtes peines, mon groupe réaffirme que l’aménagement est le principe et l’incarcération l’exception.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Défavorable. Cette rédaction est nécessaire pour mettre en cohérence l’article avec le reste du texte.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Laurent Mazaury.
M. Laurent Mazaury
Je reviens sur le débat d’ordre général où s’opposent, d’un côté, ceux qui cherchent à vider les prisons grâce à un système d’écrêtage et, de l’autre, ceux qui insistent sur l’origine des détenus. Je considère, pour ma part, que nous avons surtout besoin de 20 000 places de prison supplémentaires : il faut donc les créer, en construisant des prisons et en nous donnant un calendrier.
M. Laurent Jacobelli
Oui !
M. Laurent Mazaury
Mais il ne faut pas faire que cela ! Dans ma circonscription se situe le centre pénitentiaire de Bois-d’Arcy. L’avez-vous déjà visité ?
Mme Elsa Faucillon
Oui !
M. Laurent Mazaury
Cette prison est vieille ; elle a été mal construite, mal pensée, elle est absolument inhumaine. Le taux d’occupation y est de 170 %,…
Mme Elsa Faucillon
De 205 % ce mois-ci !
M. Laurent Mazaury
…il y a des matelas par terre dans toutes les cellules ! Plutôt que de modifier la loi, nous devons construire davantage de places de prison. Il en va de même pour les centres éducatifs fermés (CEF), dont on ne parle jamais. Est-il normal qu’en banlieue parisienne, nous comptions en moyenne un CEF de douze places pour trois départements ?
Mme Naïma Moutchou
Il a raison !
M. Laurent Mazaury
Nous devrions privilégier une politique de construction au lieu de chercher à modifier la loi !
M. le président
La parole est à M. Hervé Saulignac.
M. Hervé Saulignac
Nous sommes en train de renverser l’idée, qui prévaut depuis plusieurs années, selon laquelle sanctionner ne sert à rien si nous sommes incapables de prévenir la récidive. En l’occurrence, vous faites de la sanction la priorité tandis que l’accompagnement, la réinsertion et la prévention de la récidive pourraient devenir secondaires. C’est très grave ! Notre collègue du groupe Écologiste et social a raison d’insister sur ce point. Nous voterons son amendement avec conviction.
(L’amendement no 68 n’est pas adopté.)
M. le président
Sur l’amendement n° 40, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Sylvie Josserand, pour le soutenir.
Mme Sylvie Josserand
Dans la liste des peines correctionnelles prévues par le code pénal, l’emprisonnement occupe la première place. L’amendement vise à rappeler cette règle et à supprimer les aménagements de peine ab initio, c’est-à-dire ceux qui sont exécutés dès le prononcé de la peine d’emprisonnement ferme par la juridiction concernée.
Mme Léa Balage El Mariky
Voulez-vous évoquer le cas de votre présidente de groupe ?
Mme Sylvie Josserand
L’aménagement ne doit intervenir que lorsqu’au moins un tiers de la peine ferme a été exécuté.
M. Hervé Saulignac et Mme Léa Balage El Mariky
Cela vaut aussi pour les détournements de fonds ?
Mme Sylvie Josserand
Il s’agit ainsi de faire respecter la primauté de l’incarcération et d’éviter que les condamnés puissent prétendre, au motif qu’ils n’auraient pas subi d’emprisonnement, ne pas avoir été condamnés – un argument qui revient fréquemment.
Mme Léa Balage El Mariky
Une peine aménagée reste une peine !
Mme Sylvie Josserand
Comme si le condamné bénéficiait d’un joker, comme si le fait de ne pas aller en prison ne comptait pas.
Mme Elsa Faucillon
Mme Le Pen devrait donc aller en prison au lieu d’avoir un bracelet électronique ?
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Défavorable, car cette faculté d’aménagement, largement utilisée par les juridictions, leur permet d’être plus réactives, et aussi de délester les JAP.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.
Mme Gabrielle Cathala
Notre collègue d’extrême droite, M. Jacobelli, a proféré des propos scandaleux. Premièrement, jamais une seule étude n’a démontré le lien entre immigration et délinquance, ou ne serait-ce qu’apporté le moindre indice de ce lien – aucune ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Laurent Jacobelli
Bah si !
Mme Gabrielle Cathala
Deuxièmement, si vous lisiez un tant soit peu de la sociologie – ce que vous ne faites jamais –, vous sauriez que les classes les plus favorisées sont sous-criminalisées, alors que les classes populaires, auxquelles appartiennent le plus souvent les personnes d’origine étrangère ou issues de l’immigration, sont quant à elles surcriminalisées !
À délit équivalent, les personnes d’origine étrangère ou d’apparence étrangère ont trois fois plus de risque d’être jugées en comparution immédiate, c’est-à-dire par une justice expéditive, une justice de classe, souvent une justice de race,… (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Béatrice Roullaud
C’est faux !
Mme Gabrielle Cathala
…qui envoie davantage les personnes racisées et étrangères en détention. Lorsque l’on est étranger, on a huit fois plus de risque d’être placé en détention provisoire ; cinq fois plus d’être condamné à de la prison ferme.
Autre sujet, qui ne vous intéresse pas : les contrôles d’identité effectués par la police, que les personnes étrangères ou d’apparence étrangère ont treize fois plus de risque de connaître, dans notre pays, que les personnes blanches.
Enfin, à propos des affreux violeurs étrangers qui agresseraient les femmes, je rappelle que le viol – sujet dont vous ignorez tout – est le plus souvent commis dans le cadre de la famille. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – Mmes Elsa Faucillon et Léa Balage El Mariky applaudissent également.) On ne vous entend jamais parler des viols lorsqu’ils sont commis dans des écoles privées, par des gens comme Dominique Pelicot et Joël Le Scouarnec, ou lorsque les mis en cause s’appellent Patrick Poivre d’Arvor ou Gérard Depardieu. On ne vous entend jamais, dans ces cas-là ! (« Exactement » et applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Laurent Jacobelli.
M. Laurent Jacobelli
La théorie du complot, cela faisait longtemps !
Mme Sandra Regol
La paille et la poutre… C’est vous qui vilipendez la justice !
M. Laurent Jacobelli
Vous venez, madame, de traiter la police, la gendarmerie nationale et la justice française de racistes ! Vous niez les faits : les statistiques du ministère de l’intérieur, qui n’est pas encore géré par le Rassemblement national – soyez patiente –, l’indiquent : alors qu’ils comptent pour 8 % de la population, les étrangers représentent 18 % des auteurs de crimes et délits – point barre !
M. Maxime Laisney
Vous n’avez pas écouté Mme Cathala, apparemment !
M. Laurent Jacobelli
C’est une réalité statistique. Vous évoluez dans une réalité fantasmagorique. Cessez de fantasmer, madame, regardez le monde tel qu’il est ! Vous quitterez alors peut-être les bancs de l’extrême gauche… (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 40.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 97
Nombre de suffrages exprimés 96
Majorité absolue 49
Pour l’adoption 18
Contre 78
(L’amendement no 40 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l’amendement no 32.
M. Antoine Léaument
Il aborde la question des mandats de dépôt et je vous invite à l’examiner en détail. Je ne résiste toutefois pas à l’envie de poursuivre le débat sur le lien, établi par certains, entre immigration et délinquance. Ce qu’a dit ma collègue Gabrielle Cathala est parfaitement juste : aucune étude scientifique ne démontre un lien entre immigration et délinquance.
M. Laurent Jacobelli
Ce sont les chiffres !
M. Antoine Léaument
La seule source qui démontrerait ce lien, c’est CNews ! (Sourires sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Matthias Renault
Visitez une prison !
M. Antoine Léaument
À part CNews, en réalité, si vous observez la situation en détail, ce débat n’a pas lieu d’être. Quant aux questions des viols et des violences intrafamiliales, vous les laissez toujours de côté ! C’est même le problème fondamental du Rassemblement national : sur à peu près tous les sujets, au lieu d’étudier ce qui présente un intérêt, vous détournez l’attention. Je prendrai un autre exemple : les refus d’obtempérer. Vous en parlez beaucoup, énormément ! Mais parlez-vous des raisons qui les expliquent, remontez-vous jusqu’aux causes ? Il y a quelque temps, j’abordais la question de l’alcool avec Mme Le Pen. Selon elle, l’alcool ne serait pas une drogue. Je ne sais pas quelle drogue elle avait prise avant de déclarer une chose pareille ! Car l’alcool, je le répète, est bien une drogue.
M. Laurent Jacobelli
Il est où Andy Kerbrat ? Ça fait longtemps qu’on ne l’a pas vu !
M. Antoine Léaument
L’alcool est souvent en cause dans les refus d’obtempérer. C’était le cas, par exemple, lors de l’énorme carambolage qui a eu lieu récemment, ou lors de l’accident qui a vu une voiture percuter un poteau électrique. D’une manière générale, vous cherchez à cibler les personnes immigrées – ou que vous estimez telles. Rappelez-vous toujours que 20 millions de nos compatriotes sont d’origine immigrée… (Le temps de parole étant écoulé, M. le président coupe le micro de l’orateur. – Les députés du groupe LFI-NFP applaudissent ce dernier.)
Et que ça fait de la France un très beau pays !
M. le président
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public : sur l’article 5, par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire et Horizons & indépendants ; sur l’amendement no 15, par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 32 ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
J’y suis défavorable, comme je suis défavorable au fait que nous nous éloignions autant de la discussion des amendements.
M. le président
Il faut bien le reconnaître… Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
Il est assez sidérant, je dois l’avouer, d’entendre le RN établir un lien entre immigration et délinquance, lorsque l’on sait que vingt-quatre membres de ce parti ont été condamnés il y a trois jours ! Faisons-nous pour autant le lien entre parti politique et délinquance ? Non ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP. – « Revenez à l’amendement ! » sur plusieurs bancs du groupe HOR.) Vos raccourcis sont scandaleux ! Il est également assez surprenant de constater que vous ne considérez pas l’aménagement de peine comme une sanction. C’en est pourtant une ! (« Évidemment ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) C’est une sanction qui permet en même temps la réinsertion.
S’agissant des contrôles au faciès, il existe bien des études, y compris des études conduites par la Défenseure des droits, qui démontrent les biais et les discriminations des contrôles dans certains territoires. C’est une réalité que vous ne voulez pas entendre, c’est dommage !
Mme Béatrice Roullaud
Monsieur le président, on ne parle plus du texte, là !
Mme Sabrina Sebaihi
Nous ne prétendons pas qu’il faudrait traiter différemment les affaires judiciaires. D’où mon insistance au sujet de la criminalité en col blanc, dont vous ne parlez jamais ! Je le répète souvent car c’est essentiel.
En défense de votre amendement no 40, vous indiquiez que tout aménagement de peine ne devrait être décidé qu’à condition qu’un tiers au moins de la peine ait été exécutée. Considérez-vous donc que Marine Le Pen, si sa condamnation était confirmée, devrait faire un tiers de sa peine avant de pouvoir obtenir un aménagement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
M. Laurent Jacobelli
Aucun rapport !
(L’amendement no 32 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’article 5, tel qu’il a été amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 102
Nombre de suffrages exprimés 102
Majorité absolue 52
Pour l’adoption 63
Contre 39
(L’article 5, amendé, est adopté.)
Après l’article 5
M. le président
Nous en venons à plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 5.
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir l’amendement no 15, qui fait l’objet du sous-amendement no 74.
M. Jean-François Coulomme
Revoilà le temps des amendements qui demandent des rapports au gouvernement ! Vous voulez toujours vous en exonérer et légiférer sans étude d’impact. En l’occurrence, cet amendement propose un rapport visant à déterminer l’influence des petites peines sur la surpopulation carcérale. Le lien est direct, de toute évidence. M. le ministre rêve que des établissements accueillant les petites peines puissent voir le jour en un claquement de doigts, alors que plusieurs années seront nécessaires. Il aurait fallu y penser bien avant l’examen de ce texte défendu par le groupe Horizons.
Peu de rapports ont été produits sur la question de l’influence des petites peines sur la surpopulation carcérale, mais nous savons qu’en cinquante ans, la durée moyenne d’incarcération a doublé, passant de moins de cinq mois à plus de dix mois aujourd’hui. Quelle est la raison de ce doublement ?
Comme le disait mon collègue Léaument, nous déplorons des conséquences sans chercher à connaître les causes. Nous ne légiférons pas correctement. On ne soigne pas un corps en traitant uniquement les symptômes, sans identifier leur origine. Qu’est-ce qui explique, selon vous, le doublement de la durée d’incarcération en cinquante ans dans notre pays ? Le nombre d’années de prison prononcées par les magistrats est passé, en dix ans, de 54 000 à 90 000. Où cela va-t-il nous mener ? C’est ce que nous voudrions connaître au moyen de ce rapport.
M. Maxime Laisney
Bravo !
M. le président
La parole est à M. Loïc Kervran, rapporteur, pour soutenir le sous-amendement no 74.
M. Loïc Kervran, rapporteur
Douze mois est un délai trop court pour mener une évaluation, en particulier lorsqu’elle porte sur la récidive. Cependant, je suis d’accord pour dire que cette proposition de loi doit s’accompagner de l’étude de ses effets, notamment sur la surpopulation carcérale, comme le ministre l’a rappelé. C’est pourquoi je vous propose de porter le délai de remise du rapport à vingt-quatre mois afin de pouvoir mesurer correctement l’effet du texte sur les deux enjeux que sont la récidive et la surpopulation carcérale.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement sur le sous-amendement et sur l’amendement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Avis défavorable sur l’amendement et sur le sous-amendement : ce n’est pas au gouvernement de rédiger des rapports, mais au Parlement d’évaluer les politiques publiques dans le cadre de commissions d’enquête ou de missions d’information.
Monsieur Coulomme, j’ai déjà proposé au président de la commission des lois de répondre, quand vous le souhaiterez, à toutes les questions relatives au monde carcéral. Concernant le fond de votre intervention, sur la faisabilité de petites prisons ou de prisons à taille humaine pour des détenus purgeant de courtes peines, je ne pense pas que plusieurs années soient nécessaires à leur construction. En seulement dix-huit mois, appels d’offres inclus, nos amis anglais et allemands ont réussi à construire des établissements de ce type, et j’annoncerai le mois prochain la construction de plusieurs petites prisons à taille humaine, qui pourraient notamment accueillir les détenus en semi-liberté. Il faudra compter cinq à six mois pour l’appel d’offres et la définition du cahier des charges, puis un an pour la construction. Je ne sais pas si je serai encore en fonction à ce moment-là, ce qui dépend un peu de vous – mais vous ne savez pas non plus si vous serez encore députés ! (Sourires.)
Mme Sabrina Sebaihi
La vie est pleine de surprises !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Nous sommes d’accord : la vie est faite d’incertitude et il faut cultiver le goût du risque ! Quoi qu’il soit, nous pourrons voir ces nouvelles petites prisons sortir de terre entre septembre 2026 et le début de l’année 2027. Elles accueilleront les détenus condamnés pour des faits qui ne relèvent pas de la criminalité.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
J’entends vos propos, monsieur le garde des sceaux, et j’y adhère pleinement. Cependant, je tiens à vous alerter sur un point que j’avais déjà eu l’occasion de signaler lorsque j’étais rapporteur spécial du budget de la justice : j’avais rendu, en mai 2023, dans le cadre du Printemps de l’évaluation, un rapport d’information sur la planification de la construction des prisons. Comme je l’avais indiqué à votre prédécesseur, M. Dupond-Moretti, vous disposez d’une agence – l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (Apij) – qu’il vous revient, en tant que garde des sceaux, de mettre sous tension afin qu’elle atteigne les objectifs que vous lui fixez. Or cette agence, dans de nombreux cas et sur plusieurs projets, procrastine. Si nous souhaitons que la politique d’application effective des peines se concrétise, comme vous l’envisagez, il faut très rapidement faire en sorte que des centres éducatifs fermés voient le jour.
D’ailleurs, il conviendrait peut-être de revoir la vision de la Chancellerie sur cette question : plutôt que d’externaliser les centres éducatifs fermés auprès de structures associatives, peut-être vaudrait-il mieux, dans certains cas, reprendre la main et construire ou développer des CEF à proximité de centres de détention, afin que l’administration pénitentiaire soit présente sur l’ensemble du spectre de la privation de liberté.
M. le président
La parole est à M. Jean-François Coulomme.
M. Jean-François Coulomme
Nous soutiendrons le sous-amendement de M. Kervran : l’allongement raisonnable du délai de remise du rapport, de douze à vingt-quatre mois, nous convient.
Monsieur le ministre, vous semblez disposer d’un projet de construction de nouvelles petites prisons. Nous avons une solution à vous proposer, qui vous fera économiser du temps et de l’argent public : le maintien à domicile, avec un bracelet électronique. Avec lui, nul besoin de construire quoi que ce soit ; la présidente du Rassemblement national pourra évidemment y avoir droit, puisque les membres de son groupe exigent qu’elle bénéficie d’un régime particulier.
Pour en revenir à votre projet, combien de nouvelles petites prisons souhaitez-vous construire ? Combien de places représenteraient-elles ?
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Monsieur Coulomme, nous ne sommes pas en désaccord s’agissant des solutions alternatives à la prison : le placement à domicile, sous bracelet électronique, constitue une peine intéressante ; il en va de même du placement à l’extérieur, qui a prouvé son efficacité pour certains profils de détenus, même si l’on y a encore peu recours. Tous les placements – y compris sous surveillance électronique – et les modes de détention doivent être envisagés pour remédier à la surpopulation carcérale, qui concerne 20 000 personnes en France, dont 4 000 dorment sur un matelas.
Cependant, dans les Bouches-du-Rhône, il faut compter entre six et neuf mois d’attente – parfois un an – pour poser un bracelet électronique. Il ne s’agit donc pas de choisir une solution en particulier pour remplacer la détention classique, mais d’augmenter, indépendamment de nos préférences idéologiques, les possibilités dont le juge d’application des peines et l’administration pénitentiaire peuvent disposer.
S’ajoute à cela une seconde interrogation : doit-on différencier les lieux de détention en fonction de la personnalité des détenus ou en fonction de leur condamnation ?
Pour le dire vite, le monde carcéral se divise aujourd’hui en deux. D’une part, les personnes en détention provisoire ou condamnées à moins de deux ans de prison sont incarcérées en maisons d’arrêt. Celles-ci présentent des taux d’occupation moyens de 130 % à 140 % – parfois 180 %, 200 % ou 230 % dans certains territoires ultramarins… (M. Jean-François Coulomme et Mme Elsa Faucillon s’exclament.) Ces taux plus élevés peuvent effectivement concerner quelques grands établissements en Île-de-France, mais, en moyenne, les taux d’occupation y sont de 130 % à 140 %.
D’autre part, les prisons pour peine – maisons centrales et centres de détention –, qui accueillent les autres détenus, connaissent des taux d’occupation inférieurs à 100 %. (M. Jean-François Coulomme et Mme Elsa Faucillon s’exclament de nouveau.) Le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil est occupé à 70 % ; celui de Condé-sur-Sarthe à 65 %.
Quant aux centres de semi-liberté, qui disposent de 1 600 places, leur taux d’occupation moyen se situe autour de 60 %, même s’il dépasse les 100 % en Île-de-France, notamment du fait des tensions sur le marché du travail et des difficultés d’accès aux transports en commun.
Quoi qu’il en soit, la question fondamentale qui se pose et que soulève la proposition de loi très intéressante défendue par M. Kervran est la suivante : doit-on différencier les lieux de détention selon la personnalité des détenus ? Ma réponse est résolument positive, à rebours de ce qu’ont fait l’administration pénitentiaire et mes prédécesseurs depuis soixante ans, voire plus d’un siècle. Nous avons pris l’habitude de distinguer les détenus selon le statut qu’ils ont devant la justice : détention provisoire, condamnation à une peine inférieure à deux ans, condamnation à une peine supérieure à deux ans. Je souhaite au contraire, et je crois que ma position est partagée par M. Kervran et une partie de cette assemblée, distinguer les détenus selon leur dangerosité pour la société et la probabilité de leur réinsertion.
C’est ce que nous avons fait dans le cadre de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, adoptée à une large majorité par l’Assemblée nationale – je salue le vote favorable du groupe socialiste et l’abstention du groupe écologiste. Nous y différencions les détenus selon leur dangerosité, les plus dangereux étant placés dans des prisons de haute sécurité, avec un régime carcéral particulier. Les Britanniques catégorisent ainsi les détenus en trois catégories : les détenus dangereux sont classés dans la catégorie A ; les détenus de catégories B sont incarcérés dans des établissements différents ; enfin, les détenus de catégorie C sont envoyés dans de petites prisons.
Je vais lancer un plan pour construire, dans le cadre d’un premier appel d’offres, plusieurs petites prisons à taille humaine, qui compteront 2 000 à 2 500 places au total et n’auront ni mirador ni barbelé. J’espère que nous pourrons en disposer d’ici la fin du quinquennat ou de l’année 2027. Ce seront des lieux de détention, surveillés, mais qui n’auront rien à voir avec les maisons d’arrêt que nous connaissons.
Mme Elsa Faucillon
Ce projet fait-il partie du plan « 15 000 places de prison » ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Oui, en effet, il s’inscrit dans ce plan lancé par mes prédécesseurs.
Monsieur Hetzel, ce n’est pas mon habitude de critiquer les fonctionnaires placés sous mon autorité, mais je comprends votre interrogation. Toutefois, le terme de procrastination que vous avez employé me semble un peu dur à l’égard de fonctionnaires soumis à de nombreuses contraintes. L’Apij rencontre plusieurs difficultés. Premièrement, les terrains ne sont pas toujours libérés par les élus ou par les administrations concernées. Deuxièmement, dans le contexte de tension budgétaire qui est le nôtre – alimenté par la guerre en Ukraine, l’inflation et la motion de censure qui a fait tomber le gouvernement de Michel Barnier –, Bercy, qui siège au conseil d’administration de l’Apij, a joué son rôle et limité les investissements. (M. Paul Christophe s’exclame.)
Je ne crois pas, monsieur Paul Christophe, m’être beaucoup exprimé sur ce texte. Une proposition de loi aussi intéressante mérite que je réponde à certaines questions. C’est mon rôle en tant que ministre ; je prends ce texte au sérieux !
Je reviens à la question de M. Hetzel, que je comprends : en France, nous mettons sept ans pour construire une prison classique, pour un coût moyen de 300 millions d’euros. Là réside le problème : le cahier des charges est trop compliqué car nous cherchons à construire les mêmes maisons d’arrêt partout. Je souhaite inverser cette logique et aider l’Apij à livrer les places de prison promises par le président de la République et par le Parlement – ce qui n’empêche pas une certaine mise en tension de l’Agence par le ministre.
(Le sous-amendement no 74 est adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 15, tel qu’il a été sous-amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 100
Nombre de suffrages exprimés 98
Majorité absolue 50
Pour l’adoption 56
Contre 42
(L’amendement no 15, sous-amendé, est adopté.)
M. le président
Je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur les amendements nos 17, 18 et 19, par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire ; sur l’ensemble du texte, par le groupe Horizons & indépendants.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 44.
Mme Léa Balage El Mariky
Les annonces du ministre sont intéressantes : la construction de ces nouvelles petites prisons devrait offrir des places supplémentaires pour la semi-liberté, donc pour l’aménagement de peine.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Oui !
Mme Léa Balage El Mariky
Dès lors, nous pourrions nous en tenir au droit en vigueur et instaurer un aménagement automatique des courtes peines, en misant sur ces nouvelles places bientôt disponibles qui lèveront l’un des freins identifiés par les magistrats. Ces annonces auraient dû être faites en amont pour que nous n’ayons même pas à examiner la proposition de loi.
J’en viens à la défense de l’amendement. Je sais que le gouvernement va émettre un avis défavorable à son sujet, mais je rappelle que la mission d’information sur les alternatives à la détention, dont mon excellente collègue Elsa Faucillon était la rapporteure avec Caroline Abadie, avait conclu que le placement à l’extérieur était particulièrement efficace, en particulier pour les personnes peu insérées ou en situation de fragilité. C’est la raison pour laquelle, dans la continuité du rapport de cette mission d’information, nous souhaitons que, dans un délai de six mois, un rapport sur l’organisation et le financement du placement à l’extérieur soit remis par le gouvernement au Parlement : cela nous permettrait d’évaluer véritablement cette mesure d’aménagement, que nous proposons de conserver par principe dans l’application des courtes peines. (M. Antoine Léaument applaudit.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Avis défavorable sur l’ensemble des demandes de rapport.
(L’amendement no 44, repoussé par le gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky, pour soutenir l’amendement no 69.
Mme Léa Balage El Mariky
Cet amendement vise à encourager l’évaluation de l’organisation et du développement de la semi-liberté, mode d’aménagement de peine encore sous-utilisé malgré son intérêt en matière de réinsertion. Le rapport demandé devra notamment évaluer « la faisabilité de la mise en place d’un système de suivi en temps réel des places disponibles en semi-liberté ».
Si des places supplémentaires permettent de nouveaux aménagements de peine pour d’autres condamnés, c’est une bonne nouvelle qui rend ce rapport encore plus nécessaire. Je pense donc qu’à titre exceptionnel le gouvernement devrait être favorable à cette demande de rapport.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.
Mme Gabrielle Cathala
Nous soutiendrons cet amendement de Léa Balage El Mariky. Chaque année, nous déposons des amendements pour doubler le budget alloué au placement à l’extérieur et, chaque année, ils sont rejetés. Je rappelle que le budget de la justice qu’on nous présente depuis deux ans comme un budget historique est en réalité un budget carcéral : sur 11 milliards, plus de 5 milliards sont réservés à l’administration pénitentiaire, dont moins de 30 millions pour les mesures de placement à l’extérieur.
Monsieur le ministre, je voudrais vous rappeler la conclusion d’un rapport de l’Observatoire international des prisons, l’OIP, sur le placement à l’extérieur, même si je sais que les travaux de cette institution comme ceux de la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté et de la Défenseure des droits, qui dénoncent votre politique, ne vous intéressent pas. Ce rapport indique que le prix de journée attribué aux associations ne correspond pas au coût de la mesure, celle-ci nécessitant une multitude de cofinancements aujourd’hui de plus en plus compliqués à trouver. Face à une telle incertitude et à la difficulté d’équilibrer cette action, les associations ont tendance à se désengager de la mise en œuvre du placement à l’extérieur, la seule possibilité étant d’envisager le financement d’un service sous forme de dotation globale.
Quelles mesures ont-elles été mises en place depuis la sortie de ce rapport en 2018 ? Si vous ne répondez pas, monsieur le ministre, nous pourrions obtenir une réponse grâce à ce rapport prévu dans les six mois à compter de la promulgation de la loi.
(L’amendement no 69 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi, pour soutenir l’amendement no 70.
Mme Sabrina Sebaihi
Peut-être aurons-nous un peu plus de chance avec cette demande de rapport ! Notre amendement vise à obtenir une évaluation précise de l’adéquation des maisons d’arrêt à la prise en charge des personnes condamnées à de courtes peines d’emprisonnement. En effet, si ces établissements peuvent accueillir des personnes condamnées à de courtes peines, leur capacité à assurer un accompagnement adapté aux objectifs de réinsertion est en question. L’enjeu du rapport que nous proposons est de vérifier que les maisons d’arrêt garantissent un accès aux activités, à la formation, aux soins et aux dispositifs de préparation à la sortie, la brièveté de la peine rendant souvent difficile la mise en œuvre de parcours d’insertion cohérents et utiles, en particulier dans les établissements surpeuplés et sous-dotés en personnels d’accompagnement.
La question de la prise en charge dans les maisons d’arrêt, notamment pour le volet psychiatrique et les addictions, a été peu traitée depuis le début de ce débat. De l’avis même du personnel, certains détenus auraient plus leur place dans un service psychiatrique ou dans un circuit de désintoxication plutôt que dans une maison d’arrêt, qui ne leur permet pas de recevoir les soins et le suivi adaptés à leur situation. Un rapport serait utile de ce point de vue et j’espère que nous allons recevoir cette fois un avis favorable.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Gabrielle Cathala.
Mme Gabrielle Cathala
Ce rapport nous paraît intéressant, notamment parce que, contrairement à ce qu’a dit M. le garde des sceaux il y a quelques minutes, la surpopulation dans les maisons d’arrêt n’est pas de 140 %, mais de 160 %.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Mais non !
Mme Gabrielle Cathala
La publication, le 1er mars, des chiffres clés du ministère de la justice fait foi. Par ailleurs, ce ne sont pas seulement quelques établissements surpeuplés dans les outre-mer, mais plus de vingt maisons d’arrêt dans notre pays qui présentent un taux d’occupation de plus de 200 % ! Une telle surpopulation met forcément à mal la formation et le travail des détenus.
En tant qu’élue du Val-d’Oise, j’ai constaté que moins de 10 % des prisonniers de la maison d’arrêt d’Osny-Pontoise pouvaient avoir une activité salariée au sein de la prison ou accéder à une formation. La surpopulation carcérale a également des conséquences sur l’accès aux soins, un seul médecin étant présent dans l’établissement, dans une annexe de l’hôpital. Les prisonniers font la queue dans la salle d’attente et les surveillants, en nombre insuffisant, peinent à désamorcer les tensions.
La dernière fois que j’ai effectué une visite de contrôle dans cet établissement, la médecin m’a dit se sentir parfois en danger parce qu’il n’y a pas assez de surveillants. Dans de telles conditions, les détenus n’ont même pas accès à des soins spécialisés comme les soins dentaires ou l’ophtalmologie. Il s’agit pourtant d’un droit fondamental, qui devrait être respecté.
M. le président
La parole est à M. Patrick Hetzel.
M. Patrick Hetzel
Permettez-moi une observation sur cet amendement. Sous couvert d’une demande de rapport, il sous-tend une vision que nous dénonçons depuis le début du débat. Le rôle de l’incarcération est complètement écarté alors qu’une peine de prison, même courte, a d’abord pour objectif de sanctionner un comportement répréhensible. Vouloir le nier est problématique. Il suffit de relire le code pénal pour sortir de cette vision biaisée de la peine d’emprisonnement.
(L’amendement no 70 n’est pas adopté.)
Titre
M. le président
Je suis saisi de trois amendements, nos 17, 18 et 19, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l’amendement no 17.
M. Antoine Léaument
La proposition de loi vise officiellement à « faire exécuter les peines d’emprisonnement ferme » alors qu’elle va en réalité « aggraver la surpopulation carcérale ». Nous vous proposons donc de la renommer ainsi en conséquence.
Tout ce que fera cette proposition de loi, c’est d’aggraver la surpopulation carcérale. On ne peut l’admettre au vu des chiffres de la surpopulation carcérale rappelés par Mme Cathala. Ils sont publiés le 1er de chaque mois : le nombre de matelas au sol dans les cellules dépasse désormais 5 000. Ce n’est pas admissible dans un pays comme le nôtre, le pays des droits de l’homme et du citoyen, où la privation de liberté ne peut pas être une privation de dignité !
Mme Sabrina Sebaihi
Exactement !
M. Antoine Léaument
Or c’est précisément ce que nous sommes en train d’avaliser.
Monsieur Hetzel, vous dites, à juste titre, que l’une des fonctions de la peine est de punir. Certes, mais punir n’est pas humilier, punir n’est pas abîmer la dignité des personnes. Comment faire pour que la prison soit un lieu de réhabilitation, comme le prévoit le code pénal, que vous nous invitez à relire ? Comment faire pour que la prison soit un lieu de réhabilitation de la personne humaine si elle est inhumaine ? Un lieu qui prive une personne de sa dignité peut-il la faire en sortir meilleure qu’elle n’y est entrée ?
Pour toutes ces raisons, pour faire coller le texte à la réalité de ce que vous allez faire, nous vous proposons de modifier le titre de la proposition de loi.
M. le président
La parole est à M. Jean-François Coulomme, pour soutenir les amendements nos 18 et 19, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
M. Jean-François Coulomme
L’amendement no 18 vise à souligner que cette proposition de loi va avoir un effet de bord tout à fait délétère sur les agents pénitentiaires.
Je reprends l’exemple de l’établissement pour mineurs La Valentine, à Marseille, que nous avons visité il y a quelques jours à peine : le personnel pénitentiaire n’y atteint même pas le nombre théorique requis ! Ce n’est pas le manque de personnel enseignant ou de personnel de santé qui fait que les détenus n’ont pas accès à l’enseignement ou à la santé, c’est tout simplement le manque de personnel pénitentiaire ! Il manque des surveillants pour procéder aux sorties de cellule et pour emmener les jeunes aux différentes activités.
Les personnels de l’établissement sont en souffrance et cherchent du sens à leur métier alors qu’on leur colle trois fois plus de détenus que le nombre prévu au départ. La surpopulation carcérale dégrade considérablement les conditions d’exercice d’une profession qui aurait besoin d’être soutenue et non enfoncée, comme le fait cette proposition de loi.
Il y a une autre catégorie professionnelle que cette proposition de loi ignore : ce sont les personnels des greffes des tribunaux, au cœur de l’amendement no 19. Je ne sais pas si vous les avez vus à l’œuvre, monsieur le garde des sceaux, mais c’est un métier extrêmement féminisé, qui demande une grande concentration et qui repose sur des outils numériques particulièrement inadaptés. J’ai été saisi du problème dans mon département. Les greffières doivent jongler avec cinq logiciels différents, qui ne sont même pas compatibles entre eux. Leur imposer un travail supplémentaire pour les petites peines ne peut pas se justifier.
Leur charge de travail est incompressible pour une même et unique incarcération. Le texte engendrera donc un surcroît de travail important pour mettre des gens en prison pendant un mois. L’administration pénitentiaire devra procéder aux démarches du parcours entrant, très lourdes, et même placer les personnes pendant au moins une semaine dans les cellules de lutte contre le choc carcéral.
Rien ne va dans cette proposition de loi. À tout le moins, changeons son titre pour qu’il corresponde à la triste réalité à laquelle elle condamne le monde carcéral, les détenus comme les agents pénitentiaires. (M. Antoine Léaument applaudit.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces trois amendements ?
M. Loïc Kervran, rapporteur
Il est défavorable. Ces amendements sont particulièrement caricaturaux, injustes et certainement pas à la hauteur des enjeux.
M. Jean-François Coulomme
Demandez aux professionnels !
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Je reviens sur l’amendement no 18 parce que je suis député de la ville de Fleury-Mérogis, où se trouve la plus grande prison d’Europe, et que la question des conditions de travail des personnels pénitentiaires me concerne de près. Or je dois dire que quand on discute avec eux, on est très loin de certaines propositions faites de l’autre côté de l’hémicycle.
Lors de mes visites de prisons, à Fleury-Mérogis ou ailleurs, les personnels pénitentiaires me disent que tout ce qui conduit à réduire la tension à l’intérieur des lieux de privation de liberté va dans le bon sens. Cela fait diminuer la pression qui peut s’exercer sur eux et, in fine, le risque de violence dans l’établissement.
On comprend facilement qu’être privé de liberté puisse faire augmenter le niveau de violence. Si certains députés en faisaient l’expérience, leur regard sur la prison changerait assez rapidement. Mais quand les condamnations tombent, il n’est plus question de prison et soudain le bracelet électronique devient une solution formidable…
Nous discutons depuis nos fauteuils rouges sans vivre les conditions de détention infligées aux personnes emprisonnées. (Exclamations sur les bancs des groupes RN et HOR.) C’est pourquoi nous devons avoir en tête la situation des personnels pénitentiaires, qui exercent à l’intérieur de la prison un métier extrêmement difficile, subissant les tensions qui la parcourent.
Plusieurs députés du groupe HOR
Temps de parole écoulé !
M. Antoine Léaument
L’amendement no 18 est important pour ma circonscription. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Exclamations sur les bancs du groupe HOR.) Apparemment, cela n’intéresse pas le groupe Horizons !
M. le président
Vous avez parlé pendant deux minutes, monsieur Léaument !
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
M. Antoine Léaument
À Horizons, vous n’aimez pas le débat ! (Protestations sur les bancs du groupe HOR.)
Mme Anne-Cécile Violland
Nous n’avons pas de leçon à recevoir de vous !
M. le président
Seule Mme Sebaihi a la parole !
Mme Sabrina Sebaihi
Les agents pénitentiaires font leur travail dans des conditions très difficiles. S’il y a moins d’aménagements de peine et plus de détenus, elles vont encore se dégrader.
À une période, une maison d’arrêt de ma circonscription a connu un taux d’occupation de 170 %, ce qui a rendu les conditions de travail des personnels extrêmement difficiles, de même que l’accès aux soins pour les prévenus.
Un de nos collègues prétendait tout à l’heure que nous avons oublié qu’une peine de prison était une punition. Personne ne l’oublie, mais punir une personne par une incarcération ne doit pas signifier lui retirer sa dignité ou le priver d’un accès aux soins de santé. Il faut préparer la sortie et la réinsertion des détenus pour faire baisser le taux de récidive.
Entrer en prison ne signifie pas perdre tous ses droits fondamentaux, ni – encore moins – renoncer à sa dignité. Dans une maison d’arrêt où il y a énormément de matelas au sol et où, en période de canicule, l’accès aux douches est limité, les conditions de vie sont très pénibles pour les détenus, mais aussi pour le personnel. Si vous étiez vraiment soucieux de ces agents, vous mettriez tout en œuvre pour améliorer leurs conditions de travail.
Je trouve dommage que notre débat tourne à la caricature et que nous soyons accusés de ne pas vouloir de punition pour les personnes emprisonnées. Comme je l’ai dit plus tôt, une peine aménagée est une sanction. Il faut arrêter de faire croire aux Français qu’une absence d’emprisonnement est une absence de sanction. Ce qui rend souvent difficile la compréhension d’un aménagement de peine est le délai qui s’écoule entre la condamnation et le moment où il est décidé. Avec plus de moyens consacrés à la justice – je suis sûre que le garde des sceaux mettra tout en œuvre pour les obtenir –, nous pourrions décider plus rapidement de la sanction, ce qui permettrait une meilleure compréhension de la peine.
Nous retirons l’amendement no 61.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 17.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 104
Nombre de suffrages exprimés 95
Majorité absolue 48
Pour l’adoption 26
Contre 69
(L’amendement no 17 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 18.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 101
Nombre de suffrages exprimés 92
Majorité absolue 47
Pour l’adoption 26
Contre 66
(L’amendement no 18 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 19.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 102
Nombre de suffrages exprimés 94
Majorité absolue 48
Pour l’adoption 25
Contre 69
(L’amendement no 19 n’est pas adopté.)
M. le président
Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.
Explications de vote
M. le président
Dans les explications de vote, la parole est à Mme Anne Le Hénanff.
Mme Anne Le Hénanff (HOR)
Tout au long de cet après-midi, nous avons eu le temps d’évoquer la politique pénale française menée depuis une dizaine d’années. Marquée par la volonté de limiter le recours à l’incarcération pour les courtes peines, elle n’a pas porté ses fruits. Non seulement, comme cela vient d’être dit, les conditions de détention ne sont pas à la hauteur de notre pays, mais les mesures alternatives n’ont fait baisser ni le taux de récidive ni celui de réitération.
Avec cette politique pénale, la liberté des magistrats a été restreinte ; avec cette politique pénale, certaines victimes ont développé un sentiment d’incompréhension, voire d’injustice ; avec cette politique pénale, nos concitoyens perçoivent trop souvent la justice comme inefficace. La certitude de la peine – ou, pour reprendre l’expression de Cesare Beccaria, son « infaillibilité » – a été remise en cause.
Voilà le constat honnête et lucide dressé par la proposition de loi de notre collègue Loïc Kervran. Ce texte constitue un nécessaire premier pas pour rendre de la liberté aux magistrats et garantir l’effectivité des peines prononcées. Le groupe Horizons & indépendants votera évidemment en sa faveur, avec conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon (GDR)
Je veux d’abord redire que, pour nous, le texte témoigne d’une forme de déni du contexte actuel de surpopulation carcérale dans les maisons d’arrêt, ces établissements où seraient effectuées les courtes peines qu’il entend multiplier. Ce contexte nuit aux possibilités de réinsertion comme aux personnels pénitentiaires, ainsi que plusieurs de nos collègues l’ont dit.
Chaque fois que je visite une maison d’arrêt, les agents, et plus particulièrement les surveillants, me disent qu’ils veulent pouvoir faire leur travail. Or celui-ci ne consiste pas seulement à fermer ou à ouvrir des portes. Ils veulent pouvoir travailler avec les détenus pour leur faire accepter leur peine et tisser avec eux un lien humain, très important pour la préparation de la sortie et pour la réinsertion.
Alors que nombre de pays cherchent à mettre en adéquation valeurs démocratiques et conditions de détention, il est terrible de constater, monsieur le rapporteur, que votre texte renoue non avec la logique du tout-répressif, mais avec celle du tout-carcéral, dont ces mêmes pays tendent à sortir. Vous avez beau dire que vos mesures ne feraient que peu augmenter le nombre de détenus sur une année, vous omettez de souligner qu’elles entraîneraient de nombreuses entrées en détention supplémentaires. Les agents pénitentiaires nous alertent aussi sur ce turnover incessant, notamment le vendredi soir après les comparutions immédiates. Devoir en permanence gérer des primo-arrivants est destructeur pour leurs conditions de travail.
Un aménagement de peine n’est pas uniquement une faveur faite à celui ou à celle qui se comporte bien en prison. C’est un levier pour mieux sanctionner, pour mieux accompagner un détenu et, au bout du compte, pour mieux prévenir la récidive, à condition qu’il soit pensé et individualisé, à condition aussi qu’il tienne compte des besoins et des risques. Le recours à cette mesure nécessite des agents de probation et d’insertion, mais aussi un changement de culture et de logique, y compris de la part des magistrats.
Un tel changement passe par l’affirmation d’un courage politique que les milieux judiciaire et pénitentiaire appellent de leurs vœux. Les professionnels ne peuvent prendre seuls la responsabilité de prononcer plus d’aménagements de peine. Ils ont besoin d’être soutenus par le législateur et par les politiques face à la pression qu’ils subissent, dont on a vu au cours des derniers jours le tournant dramatique qu’elle peut prendre. Cette pression concourt à l’aggravation des sanctions, parce que tous les magistrats redoutent de se voir accusés dans les médias d’avoir décidé à tort un aménagement de peine. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Mme Léa Balage El Mariky
Elle a raison !
Mme Elsa Faucillon
Nous avons besoin non seulement de sortir de la logique du tout-carcéral, mais aussi de crédibiliser les solutions alternatives à la prison, de les renforcer. Pour un détenu, une courte peine est souvent synonyme d’oisiveté. Elle est trop brève pour qu’il puisse suivre une formation, intégrer un parcours de soins ou parfaire la recherche d’un travail. Elle ne permet pas la construction d’un projet de sortie cohérent.
La solution passe évidemment par l’augmentation des effectifs de probation et d’insertion. Ce serait un vrai projet politique, loin de l’obsession carcérale dont témoigne votre niche, qui, en plus de ce texte sur les courtes peines, en comporte un sur les peines planchers, que nous examinerons peut-être ce soir.
M. Hervé Saulignac
Une vraie obsession !
Mme Elsa Faucillon
J’ai entendu plusieurs gardes des sceaux faire des promesses de création de places de prison, certains de ces engagements étant antérieurs à mon premier mandat de députée. Aucun des plans annoncés n’a été mené à bien !
M. Patrick Hetzel
C’est vrai !
Mme Elsa Faucillon
Nous dire qu’il faut adopter ce texte pour venir à bout de la surpopulation carcérale me semble assez mensonger Nous voterons évidemment contre la proposition de loi. (M. Antoine Léaument applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti (UDR)
Le groupe UDR votera en faveur de cette proposition de loi, comme il soutiendra celle rétablissant les peines planchers. Ces deux textes vont dans le sens d’une meilleure application et d’une meilleure effectivité des peines. Il convient de leur redonner un sens dissuasif et d’en finir avec la quasi-automaticité des aménagements de peine issue, au fil des années, de loi Taubira, de la loi Belloubet et de la loi pénitentiaire de 2009, dont je reconnais qu’elle fut une erreur de notre part.
Il y a une immense hypocrisie derrière les aménagements de peine. Il s’est agi d’une forme de régulation de la population carcérale soumettant les sanctions à des contingences matérielles. Nous manquons cruellement de places de prison et, au lieu d’en créer, au lieu de construire les établissements plus légers et adaptés au profil de certains délinquants dont M. le garde des sceaux a parlé, nous avons voulu réguler la population carcérale par des subterfuges. Ce fut une erreur tragique, qui a déconstruit la peine et favorisé la récidive.
La proposition de loi participe de l’indispensable correction qu’il convient d’appliquer. Monsieur le garde des sceaux, avec une détermination forte, au moins en paroles, dont nous verrons si elle se traduit dans les actes, vous vous êtes saisi, depuis votre nomination, de la question pénitentiaire – une première depuis de nombreuses années. Cette orientation très pertinente sera utile si vous arrivez au bout de vos projets.
J’avais rédigé en 2011 – j’étais député –, à la demande du président Sarkozy, un rapport pour renforcer l’efficacité de l’exécution des peines. On comptait alors 58 000 places de prison pour 65 000 détenus. La loi du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines, qui fut la conséquence de mon rapport, prévoyait 80 000 places de prison en 2017. Nous sommes en 2025 et il y en a à peine 62 000. Cette déficience correspond aux quinquennats de Hollande et de Macron, durant lesquels il n’y eut aucune volonté de construction.
Vous semblez, monsieur le ministre, vous engager dans une autre direction. Si tel est le cas, nous vous soutiendrons. Oui, il faut redonner un sens dissuasif à la peine. Oui, il faut qu’une condamnation ait un sens. Non, il ne faut pas que nous retombions dans une accumulation de condamnations jamais suivies d’effets. Oui, les condamnations à de courtes peines de prison peuvent être utiles et vertueuses. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
La parole est à Mme Sylvie Josserand.
Mme Sylvie Josserand (RN)
Au terme de cette longue séance, je tiens à saluer la qualité des débats tant en commission que dans l’hémicycle. Cependant, à titre personnel, je regrette les provocations permanentes, qui n’apportent rien au débat…
Mme Léa Balage El Mariky
Si, cela l’éclaire !
Mme Sylvie Josserand
…et qui ne servent pas à faire avancer les idées. Les Français méritent mieux que des gesticulations.
Mme Sabrina Sebaihi
C’est vous qui demandiez de la fermeté de la part de la justice !
M. Charles Sitzenstuhl
C’est vraiment l’histoire de l’arroseur arrosé !
Mme Sylvie Josserand
S’agissant de proposition de loi elle-même, nous avons assisté à une démonstration de ce que d’aucuns appellent la carcérophobie. On nous a expliqué que, dans une infraction, il fallait considérer exclusivement son auteur, veiller à ce qu’il ne dorme pas sur un matelas et qu’il bénéficie en prison de soins psychologiques et psychiatriques. On a revendiqué le monopole de l’humanité.
Je voudrais rappeler que, dans une infraction, il y a également deux victimes. (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Il y a la victime directe, celle qui prend les coups, qui est parfois tuée.
Mme Léa Balage El Mariky
On parle là de délits, punis par de courtes peines, par exemple des détournements de fonds – vous savez ce que c’est, je crois ?
Mme Sylvie Josserand
Dans notre société, on tue pour un téléphone portable, on donne des coups de couteau à n’importe qui, n’importe où, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Et puis, il y a une deuxième victime, indirecte, qui est la société tout entière.
M. Antoine Léaument
Tout à fait ! C’est le cas quand 4 millions d’euros sont détournés !
Mme Sylvie Josserand
Pourquoi ? Parce que l’ordre public est rompu. Je renvoie mes collègues de la gauche de l’hémicycle au Contrat social de Rousseau.
M. Emmanuel Maurel
Oh non ! Laissez Rousseau tranquille, s’il vous plaît !
Mme Sylvie Josserand
On nous sert Robespierre, mais il y a aussi Rousseau et, dans Le Contrat social, il explique que le délinquant a choisi lui-même d’être puni parce que c’est la loi, expression de la nation souveraine, qui punit et qu’il fait partie de la nation souveraine. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et GDR.)
M. Stéphane Peu
Ah ? C’est donc la faute à Rousseau ? (Sourires.)
Mme Sylvie Josserand
Il ne sert à rien de vociférer, vous ne m’empêcherez pas de parler ! (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
Beccaria…
Mme Léa Balage El Mariky
Ah non ! Ne citez pas Beccaria !
Mme Sylvie Josserand
Vous ne voulez pas que je cite Beccaria parce qu’il prône la punition ! Il rappelle ce que le code pénal dit, à savoir qu’une peine sert à infliger un châtiment et à empêcher la réitération de l’infraction, c’est-à-dire à protéger la société.
M. Antoine Léaument
Comme la peine à laquelle a été condamnée Mme Le Pen !
Mme Léa Balage El Mariky
Donc il ne faut pas de bracelet électronique ?
Mme Sylvie Josserand
Et savez-vous qui a signé la préface de l’édition du livre de Beccaria qu’on trouve dans toutes les bonnes librairies ? C’est Robert Badinter !
Nous voterons bien évidemment pour la proposition de loi. Je pense qu’elle envoie un bon signal – quoiqu’il eût fallu examiner la situation de manière plus globale. Nous avançons à petits pas – mais nous avançons. Je remercie les collègues qui ont contribué au débat. Nous avons procédé à des auditions très fructueuses.
La Conférence nationale des procureurs de la République, qui représente donc des magistrats, a déclaré à notre commission que les aménagements de peine n’avaient jamais prouvé leur utilité et qu’ils ne sont en aucun cas un outil contre la récidive.
Mme Marie Mesmeur
Il y a de bons magistrats, alors ? Hypocrites !
M. le président
Laissez parler l’oratrice, s’il vous plaît.
M. Laurent Jacobelli
Ils ne savent faire que ça : hurler !
Mme Sylvie Josserand
Vous voulez m’empêcher de parler mais je terminerai ce que j’ai à dire.
Il existe un effet de seuil. Comme les magistrats savent qu’ils ne peuvent pas prononcer une peine d’emprisonnement inférieure à un mois, pour être sûrs que le prévenu ira en détention, ils le condamnent à deux mois d’emprisonnement. Du coup, les prisons se remplissent – alors que, normalement, ces personnes auraient dû être condamnées à un mois de prison. L’argument consistant à dire que les prisons se rempliront à cause de ce texte est totalement erroné.
Nous voterons en faveur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Pierre Cazeneuve.
M. Pierre Cazeneuve (EPR)
Je serai bref pour ne pas préempter le temps imparti à nos collègues. Je remercie le garde des sceaux, qui a été présent à nos côtés durant toute la journée, ainsi que le rapporteur, pour cette proposition de loi qui a soulevé un débat extrêmement intéressant.
Des questions restent néanmoins en suspens. Je réitère les réserves que j’avais exposées et je regrette que nous ne soyons pas parvenus à une rédaction qui permette de ne pas inverser le mouvement d’aménagement de la peine – j’en assume bien évidemment en partie la responsabilité.
Pour cette raison, la majorité du groupe Ensemble pour la République s’abstiendra – mais certains voteront pour. Je remercie l’ensemble des collègues pour ce riche débat, qui, je l’espère, annonce une belle soirée. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe HOR.)
M. le président
La parole est à M. Jean-François Coulomme.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP)
Cette niche du groupe Horizons répond à une vision de la justice exclusivement répressive. Pourtant, aucune étude ni recherche sur le milieu carcéral n’ont démontré que la sévérité et la prison étaient des moyens efficaces de régulation des comportements déviants (Mme Marie Mesmeur applaudit) ; à l’inverse, tout le monde – professionnels, associations, observateurs – sait que l’emprisonnement favorise la récidive.
M. Laurent Jacobelli
Tout le monde ? Personne !
M. Jean-François Coulomme
Ces résultats, vous avez pris bien soin de les ignorer. Plutôt que de se fonder sur cette vérité, le groupe Horizons préfère, avec les autres textes inscrits à l’ordre du jour de sa niche, comme celui sur les peines planchers ou celui visant à persécuter les gens du voyage,…
M. Laurent Jacobelli
C’est honteux de dire cela !
M. Jean-François Coulomme
…entretenir les fausses solutions d’un monde autoritaire, sécuritaire et tout répressif. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Laurent Jacobelli
La France n’est pas une ZAD !
M. Jean-François Coulomme
La frénésie carcérale qui sévit dans notre pays est justifiée par le refus de la droite, associée à l’extrême droite, de dénoncer et de combattre en profondeur les maltraitances sociales qui sont à l’origine des comportements déviants.
M. Laurent Jacobelli
Zadiste !
M. Jean-François Coulomme
L’incarcération courte est criminogène ; elle est pire que l’incarcération de moyenne ou longue durée. La prison est un univers qui reste très défavorable à la réinsertion, du fait du manque de moyens et de la faiblesse des dispositifs sociaux. L’emprisonnement augmente les risques de récidive parce qu’il multiplie les facteurs de délinquance recensés. Les difficultés d’insertion socioprofessionnelle sont accrues par un séjour en prison.
On en revient là à la question des effets des peines courtes sur des personnes qui, alors qu’elles étaient bien insérées dans la société, ont pu à un moment dévier, avoir un moment de faiblesse. Ce que vous leur promettez, ce sont la perte de leur emploi et un accès plus difficile à un nouvel emploi du fait du trou dans leur curriculum vitæ, l’interruption du versement des minima sociaux et la perte de leur logement. Ne le niez pas : je connais, dans ma ville de Chambéry, une personne dont le logement social a été remis en question parce qu’elle s’était rendue coupable d’un petit délit. À La France insoumise, nous proposons de dépasser l’horizon carcéral et d’apporter une réponse pénale tournée vers la réinsertion et la réparation.
Vous n’avez pas parlé non plus de la justice restaurative (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP), qui permet de faire prendre conscience à leurs auteurs de la gravité des délits qu’ils ont commis, en les confrontant à des victimes – pas nécessairement les victimes de l’acte qu’ils ont commis, mais des personnes capables de témoigner de la souffrance qu’elles ont ressenti face aux actes commis à leur détriment. Cette question aurait pu faire à elle seule l’objet d’une proposition de loi.
Nous voulons supprimer le référentiel carcéral pour de nombreux délits, en privilégiant une peine de probation en milieu ouvert. Nous vous avons parlé de ces milieux ouverts. Les détenus qui purgent de longues peines, plutôt que d’être reversés dans le monde libre directement depuis la prison, sans sas de décompression, passent par de tels centres – il y en a quelques-uns en France, essentiellement des fermes. Cela permet aux détenus de se réapproprier leur utilité sociale et collective. Eh bien, il n’en a pas été du tout question dans cette proposition de loi d’opinion. C’est bien dommage.
Il faudrait ensuite réguler l’incarcération, de manière à garantir un taux d’occupation inférieur à 100 %. Certains pays européens le font déjà, avec de très bons résultats. Cela non plus, vous ne l’avez pas mis en avant.
Nous avons parlé du taux de surpopulation carcérale. M. le ministre a insisté sur le fait qu’on observait dans les territoires ultramarins des taux dépassant 200 %. Or il suffit de googliser pour voir qu’à Chambéry, on a atteint il y a quelques semaines un taux de presque 240 %. Je ne sais pas si vous vous représentez ce que cela signifie : des cellules de 9 à 10 mètres carrés dans lesquelles vivent quatre détenus, avec deux matelas au sol. Quelle honte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Cette situation a été dénoncée par la Cour européenne des droits de l’homme – celle que certains ici veulent saisir pour se plaindre. Ils feraient mieux d’écouter les discours que la Cour dispense au sujet des conditions de détention en France ! (Mêmes mouvements.)
Nous voterons contre cette proposition de loi scélérate. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Chers collègues, il reste quatre explications de vote. Bien que les règles soient strictes pour les niches, je vous propose d’y déroger de la manière suivante : nous procéderons au vote de la proposition de loi avant la levée de séance, ce qui nous conduira à décaler celle-ci d’un quart d’heure et d’autant la reprise des débats ce soir. (M. Patrick Hetzel applaudit.)
Qu’en pense le président du groupe Horizons & indépendants ?
M. Paul Christophe
Je suis d’accord.
M. le président
Il en est ainsi décidé.
Que cela ne vous empêche toutefois pas de faire bref : les estomacs commencent à gargouiller ! (Sourires.)
La parole est à M. Hervé Saulignac.
M. Hervé Saulignac (SOC)
Je n’abuserai pas de ce temps supplémentaire, monsieur le président. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe HOR.)
Pour commencer, permettez-moi de rendre hommage aux agents de l’administration pénitentiaire, dont on a trop peu parlé aujourd’hui et qui font un travail difficile, méconnu et insuffisamment valorisé. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EcoS et GDR.) Je pense aussi au personnel des Spip, dont on a très peu parlé ; ils attendaient un autre débat que celui-ci, un débat qui aurait porté plutôt sur les moyens, qui leur font défaut. (Mêmes mouvements.)
Je voudrais aussi, monsieur le ministre de la justice, saluer les forces de police et de gendarmerie. Vous avez laissé entendre tout à l’heure que j’avais tenu des propos désobligeants à leur endroit. C’était loin d’être le cas – je vous invite à le vérifier. Les forces de police et de gendarmerie sont très attentives à la question de l’exécution des peines ; elles savent que ces peines peuvent être aménagées et que cet aménagement a des vertus.
À l’issue de ce débat, une évidence apparaît. Il y a, d’un côté, ceux qui pensent qu’il faut punir, et seulement punir, qui jugent que la prison est une punition utile et qui ont la réinsertion honteuse ; et, de l’autre côté, ceux qui, comme nous, estiment qu’une sanction sans réinsertion est vouée à l’échec.
Si vous cherchez une raison de ne pas voter ce texte, je vous invite à relire ce que le ministre de la justice a déclaré au moment de sa présentation. Il a salué l’esprit de la proposition de loi et affirmé qu’il faudrait un jour réussir à faire exécuter de courtes peines de prison ; surtout, il a décrit une situation carcérale « extrêmement tendue », sous-entendant que, quand il n’y avait pas de place, on ne pouvait pas accueillir de nouveaux condamnés dans les prisons. Il a évoqué des établissements inadaptés, souligné la nécessité d’en créer de nouveaux, noté que les personnels n’étaient pas en nombre suffisant pour accompagner et réinsérer les condamnés. Il a laissé entendre que l’efficacité des courtes peines d’emprisonnement n’était pas avérée – en se fondant notamment sur l’exemple des Pays-Bas. Il a même ajouté que « les courtes peines, lorsqu’elles sont mal organisées, peuvent désocialiser encore plus les prévenus ». Ce texte, à l’évidence, n’organise pas les courtes peines ; il se contente de les prévoir, sans les encadrer.
Vous aviez surtout indiqué, monsieur le ministre, avoir « engagé un travail de réflexion sur une refondation – peut-être même une révolution – du droit de l’exécution des peines ». En effet, vous savez sans doute mieux que quiconque qu’une question comme celle de la récidive ne peut être réglée au débotté, à la faveur d’une petite PPL – pardonnez-moi cette expression, monsieur le rapporteur – et qu’il nous faut « une réforme d’ensemble, cohérente et équilibrée ». C’est ce que vous avez affirmé, et je suis parfaitement d’accord avec vous.
Je terminerai en reprenant la formule de Cesare Beccaria, que vous avez cité : ce n’est pas la rigueur de la peine qui compte, mais sa certitude. Eh bien, ce texte n’est qu’incertitude et illusion de rigueur. Il constitue un recul et une dégradation de notre politique pénale.
Le ministre s’en remet à notre sagesse ; la sagesse nous invite à ne surtout pas voter ce texte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP, EcoS et GDR.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Ray.
M. Nicolas Ray (DR)
Nous voterons évidemment en faveur de cette proposition de loi, un texte de bon sens, pragmatique et surtout indispensable pour renforcer notre arsenal pénal et lutter contre la récidive. Il présente plusieurs avancées utiles. Il supprime d’abord une automaticité aberrante qui obligeait les juges à aménager les peines inférieures à un an, les empêchant de prononcer des peines de prison dans ce cas-là. Il réintroduit également la possibilité de prononcer des peines de moins d’un mois, ce qui est une bonne chose. Il met ainsi fin à une dérive qui consistait à trop assouplir les sanctions pénales.
M. Laurent Jacobelli
Eh oui !
M. Nicolas Ray
Il s’agit en outre d’un texte équilibré, bien éloigné des caricatures qui en ont été faites sur certains bancs, puisqu’il prévoit également des aménagements de peine, en fonction de critères précis et moyennant une motivation spécifique de la part du juge.
Le groupe de la Droite républicaine tient à rappeler que la prison n’est pas la cause de la récidive. Bien au contraire, la récidive vient de l’absence de sanction ferme, de l’impunité et du laxisme, de sorte que la peine d’incarcération doit rester au cœur de notre système pénal, du moins quand elle est justifiée.
Nous regrettons que nos amendements visant à exclure les récidivistes du bénéfice des aménagements de peine n’aient pas été adoptés. Il n’est pas acceptable, à nos yeux, de leur octroyer de nouveaux sursis.
Se pose finalement la question de l’applicabilité de cette proposition de loi, eu égard à ce que certains appellent la surpopulation carcérale. Je parlerai plutôt de sous-capacité carcérale, puisque nous souffrons d’un manque criant de places de prison, en raison du retard du programme immobilier, sur lequel mon groupe alerte depuis des années. Les promesses du président de la République ne seront pas tenues en 2027, c’est une déception pour les Français.
M. Laurent Jacobelli
Une de plus !
M. Nicolas Ray
La proposition de loi marque une étape nécessaire, mais il faudra la compléter, l’amplifier et poursuivre dans cette direction afin de renforcer les sanctions pénales, de rendre à la peine son sens dissuasif, de restaurer l’autorité dans notre pays, de sanctionner dès la première infraction et, tout simplement, de protéger les Français. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe HOR.)
M. le président
La parole est à Mme Léa Balage El Mariky.
Mme Léa Balage El Mariky (EcoS)
Je voudrais revenir sur des propos particulièrement graves entendus au cours de notre débat, à commencer par l’idée qu’aménager une peine reviendrait à ne pas la faire exécuter. C’est un contresens et même une fausse information – encore une – propagée sur certains bancs, notamment ceux du Rassemblement national,…
M. Yoann Gillet
C’est une obsession !
Mme Léa Balage El Mariky
…par des députés qui critiquent les peines, même aménagées, quand elles s’appliquent à des proches, voire à des complices.
Un deuxième élément est excessivement grave : comme si un élan sadique vous emportait, seul l’emprisonnement trouve grâce à vos yeux, un emprisonnement inhumain, indigne, qui ne favorise pas la réinsertion et ne permettra pas de lutter contre la récidive. En vérité, vous n’avez que faire de la sécurité collective des Françaises et des Français.
Voilà pour l’ambiance générale et les fausses informations qui ont circulé au cours de la discussion !
Cette proposition de loi arrive à la fois trop tôt et trop tard. Elle nous a permis de mener un débat intéressant sur les aménagements de peine et sur la liberté des juges. Vous semblez leur en octroyer davantage, mais en réalité vous mettez un coup de pression supplémentaire aux magistrats, dont les décisions de ne pas incarcérer font déjà l’objet de commentaires incessants dans les médias où l’on ne jure que par la prison, comme s’il s’agissait de la seule condamnation valable pour réhabiliter les personnes, ce qui n’est pas le cas. Elle arrive donc trop tôt, mais peut-être aussi trop tard. En effet, il aurait fallu que nous discutions aussi du respect que nous devons à celles et ceux qui rendent la justice et aux décisions qu’ils prononcent en notre nom, en vertu des lois que nous avons adoptées ici.
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste et social votera contre la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz (Dem)
Non, ce texte ne participe pas d’une industrialisation de la peine, comme on a pu l’entendre. (« Si ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Léa Balage El Mariky
Nous n’avons jamais dit ça !
Mme Anne Bergantz
Il promeut au contraire l’individualisation des peines.
L’un des dispositifs phares de la proposition de loi est la possibilité des courtes peines de prison. Je rappelle que cette mesure ne vise pas tous les condamnés et qu’elle n’est pas obligatoire. Il s’agit d’une réponse parmi d’autres. C’est pourquoi le groupe Les Démocrates votera le texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR.)
Vote sur l’ensemble
M. le président
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 107
Nombre de suffrages exprimés 105
Majorité absolue 53
Pour l’adoption 63
Contre 42
(La proposition de loi est adoptée.)
(Applaudissements sur les bancs du groupe HOR et sur plusieurs bancs du groupe Dem.)
M. le président
La parole est à M. le rapporteur.
M. Loïc Kervran, rapporteur
Je tiens à remercier chacun d’entre vous, sur l’ensemble des bancs, ainsi que mon groupe parlementaire, de m’avoir fait confiance pour défendre cette proposition de loi.
Merci monsieur le garde des sceaux d’avoir été avec nous aujourd’hui. Merci à notre administrateur, à notre conseillère de la commission des lois. Merci à tous les magistrats, les greffiers et les personnels pénitentiaires que nous avons rencontrés pendant la préparation du texte. J’ai également une pensée pour les élèves magistrats qui m’ont aidé dans ce travail et qui se reconnaîtront.
Pour terminer, je souhaite témoigner de toute notre admiration et de notre confiance à nos juges, à nos greffiers et à nos personnels pénitentiaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR. – M. Éric Martineau applaudit également.)
2. Modification de l’ordre du jour
M. le président
La présidente de l’Assemblée a reçu du ministre délégué chargé des relations avec le Parlement une lettre l’informant de l’ajout en premier point de l’ordre du jour du mardi 8 avril, après les questions au gouvernement, de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à renforcer les conditions d’accès à la nationalité française à Mayotte.
3. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :
Discussion de la proposition de loi pour réformer l’accueil des gens du voyage ;
Discussion de la proposition de loi visant à restaurer l’autorité de l’État ;
Discussion de la proposition de loi visant à renforcer la démographie professionnelle des orthophonistes.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures dix.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra