Deuxième séance du lundi 17 mars 2025
- Présidence de M. Xavier Breton
- 1. Sortir la France du piège du narcotrafic - Statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée
- Présentation commune
- M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
- Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
- M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Éric Pauget, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Roger Vicot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- M. Florent Boudié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Motion de rejet préalable (proposition de loi)
- Explications de vote
- Motion de rejet préalable (proposition de loi organique)
- Explications de vote
- Discussion générale commune
- Présentation commune
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Xavier Breton
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
1.
Sortir la France du piège du narcotrafic
-
Statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique adoptées par le Sénat
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (nos 907, 1043 rectifié) et de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée (nos 908, 1044).
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
Sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, à la demande du gouvernement et en application de l’article 95, alinéa 4, du règlement, l’Assemblée examinera par priorité, à l’issue de la discussion et du vote sur l’article 2, les articles 23 quinquies, 23 et 23 bis A, puis l’article 14, les articles 8, 8 bis et 8 ter, l’article 16, les amendements portant article additionnel après ces articles, ainsi que l’article 24 et les amendements retenus par le gouvernement portant article additionnel après celui-ci.
Présentation commune
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice
Je suis heureux de soutenir cette initiative parlementaire avec le ministre d’État, ministre de l’intérieur et avec la ministre chargée des comptes publics. La présente proposition de loi, déposée au Sénat par le sénateur socialiste Jérôme Durain et son collègue du groupe Les Républicains, Étienne Blanc, permet à l’ensemble des services de l’État d’être bien mieux armés, bien plus rapides et efficaces contre le narcotrafic.
La drogue, notamment de synthèse – je pense au fentanyl –, est la première cause de mortalité aux États-Unis. Elle déstabilise les États qui nous entourent, en particulier la Belgique et les Pays-Bas. Les stupéfiants et la masse d’argent immense que génère leur trafic représentent une menace pour la santé publique, la sécurité et la tranquillité de nos concitoyens, mais aussi pour la démocratie.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Lorsque des journalistes, des avocats, des magistrats, des hommes et des femmes politiques, des douaniers, des policiers, des gendarmes sont assassinés, lorsque des menaces sont directement exercées sur les agents pénitentiaires ou sur les dirigeants, lorsque la corruption, en raison de la surface financière des organisations criminelles, s’insinue partout, jusqu’à ruiner l’autorité de l’État, nous nous devons de réagir. Remettre l’État à sa place et sectionner les têtes de cette hydre, les bras de la pieuvre du narcobanditisme, implique des moyens judiciaires, policiers, fiscaux.
Voilà quelques années, notre pays s’est réveillé pour lutter contre le terrorisme. Je ne dis pas que nous ne faisions rien ou n’étions pas efficaces auparavant…
M. Ugo Bernalicis
Jolie précaution !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…mais les autorités françaises ont dû s’adapter, notamment du fait de l’État islamique et d’Al-Qaïda. Le gouvernement d’alors, un gouvernement socialiste, a dû ainsi réorganiser les services de police – en créant la DGSI, la direction générale de la sécurité intérieure – et surtout les services judiciaires – en créant le Pnat, le parquet national antiterroriste. Si le parallèle avec la lutte contre la drogue n’est évidemment pas parfait, nous devons adopter une démarche similaire et nous inspirer de ce qui a fonctionné afin de créer des structures à même de nous aider à lutter contre un narcobanditisme qui tue davantage, si l’on se réfère au nombre d’homicides ou de règlements de compte qui y sont liés chaque année, que les attentats terroristes – lesquels n’en demeurent pas moins un sujet crucial pour les services de sécurité.
Quatorze ans : c’est l’âge du plus jeune tueur à gages de l’histoire. Il sévissait dans les rues de Marseille et a été interpellé il y a quelques mois par les services de police, suspecté d’être passé à l’acte à la demande d’organisations criminelles. Dix-sept mille : c’est le nombre de trafiquants de stupéfiants actuellement écroués dans les prisons françaises.
L’affaire Amra prouve que nous n’avons pas su protéger les agents pénitentiaires, qui luttent courageusement contre le narcotrafic lorsqu’ils conduisent les détenus pour qu’ils soient présentés devant la justice. Le 14 mai dernier, Mohamed Amra, un trafiquant placé en détention provisoire, qui n’était pas particulièrement connu par la police, la justice et l’administration pénitentiaire comme le plus grand des voyous, qui n’était même pas un DPS – un détenu particulièrement signalé –, est parvenu à s’évader en faisant assassiner, en pleine journée, deux agents au péage d’Incarville. Il aura fallu l’entière mobilisation du ministère de l’intérieur pour qu’il soit interpellé neuf mois plus tard, comme une trentaine de complices.
Cette affaire illustre qu’au sein des ministères de la justice et de l’intérieur, les services de l’État ont manqué quelque chose : ils n’ont pas été capables de cerner correctement M. Amra, pourtant visé par trois procédures judiciaires distinctes, dans trois juridictions interrégionales spécialisées (Jirs). Si un juge d’application des peines centralisé avait été chargé du suivi de sa détention, comme c’est le cas dans les affaires de terrorisme, ils auraient pu l’écrouer dans un centre de détention particulièrement surveillé, où il aurait été évidemment privé de téléphone portable, et ils n’auraient pas eu à le conduire auprès d’un juge d’instruction à Rouen, facilitant son évasion ; enfin, ils auraient pu le priver de la surface financière que requièrent une telle opération et la cavale de plusieurs mois qui s’ensuit.
Les services de l’État ont donc failli. Cette faillite s’explique par l’absence de centralisation des informations liées au narcobanditisme, comme c’est le cas dans les affaires de terrorisme. L’article 1er du texte, défendu par le ministre de l’intérieur, doit régler ce problème, et surtout l’article 2, visant à créer un parquet national anti-criminalité organisée (Pnaco).
En commission, certains ont émis des doutes à l’égard du Pnaco, arguant que la loi Perben 2 du 9 mars 2004, qui a créé les Jirs, était suffisante. Précisons que nous ne comptons pas remplacer les Jirs mais bien les renforcer : quatre-vingt-quinze magistrats supplémentaires les rejoindront d’ici le mois de septembre, dont la moitié à partir du mois d’avril. Jirs et Pnaco fonctionneront donc de manière complémentaire. Je rappelle que lorsque Dominique Perben, garde des sceaux, avait défendu la création des Jirs en 2004, de nombreuses oppositions s’étaient exprimées, certains groupes politiques dénonçant même un jour noir pour la justice française. Or tout le monde considère aujourd’hui que les Jirs font un travail remarquable. Je m’en réjouis : cela prouve qu’il convient de s’adapter aux évolutions comme aux nouveaux moyens dont disposent les organisations criminelles – elles sont pires qu’auparavant, et ce partout dans le monde.
Le Pnaco nouvellement créé pourra s’appuyer sur les Jirs et les parquets locaux : le travail des services de police sera ainsi suivi grâce à un chef de file ; des magistrats seront chargés du suivi des personnes en détention – comme au sein du Pnat ; les juges d’application des peines seront centralisés.
Enfin, un régime de détention spécifique sera créé pour les narcotrafiquants. C’est l’objet de l’article 23, dont le gouvernement a demandé qu’il soit examiné par priorité. Les dispositions très contraignantes contenues dans ce nouveau régime ont été globalement validées par le Conseil d’État : je serai favorable aux amendements qui permettront de s’aligner précisément sur son avis. Au bout du compte, ce régime de détention très strict nous permettra, j’en suis convaincu, de mettre fin, comme en Italie, à cette mafia et de prévenir les futures affaires Amra sur le territoire national.
En tant que garde des sceaux, j’ai conscience du caractère exceptionnel du régime de détention qui vous est présenté. Si la France est familière des quartiers de haute sécurité, elle n’a jamais connu de prisons de haute sécurité disposant d’un régime spécifique permettant à l’administration pénitentiaire, aux services judiciaires et aux forces de l’ordre d’éviter jusqu’à la phase de jugement les extractions judiciaires, grâce à la visioconférence.
Je n’ignore pas que le Conseil constitutionnel a censuré le recours à cette technologie en l’absence d’accord du détenu. Je constate cependant qu’en matière de contentieux administratifs, l’autorisation du détenu n’est pas requise. Je pense à M. Salah Abdeslam, coutumier des requêtes administratives, à qui la visioconférence est imposée, ce qui permet d’éviter – sans pour autant nuire à ses droits – des extractions judiciaires potentiellement périlleuses, s’agissant de l’un des détenus les plus dangereux du pays. Enfin, et surtout, la décision du Conseil constitutionnel est une décision de principe qui vise l’ensemble des 82 000 détenus de France. En l’occurrence, nous proposons avec ce texte que la visioconférence ne puisse être imposée qu’aux 700 à 800 personnes considérées comme particulièrement dangereuses par la direction de l’administration pénitentiaire (DAP), parce qu’elles sont impliquées dans des affaires relevant du terrorisme ou du narcobanditisme. Cela se pratique déjà en Italie, avec l’aval de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), ainsi que l’a constaté le Conseil d’État dans son avis. Précisons que la visioconférence pourra toujours être refusée par le magistrat instructeur dès lors qu’il aurait besoin de rencontrer de visu une personne en détention provisoire, mais en aucun cas l’être par le détenu lui-même. Ce régime dérogatoire permettra donc d’éviter les extractions judiciaires, ce qui soulagera les forces de l’ordre, mais surtout l’administration pénitentiaire, qui n’aura plus besoin de faire cinq heures de trajet à l’aller puis cinq heures au retour pour quelques minutes passées dans le cabinet d’un juge d’instruction, en silence – comme c’est le cas lorsque le détenu refuse de parler.
Pour ces détenus particulièrement dangereux, ce régime ne prévoit pas les mêmes droits que pour les autres détenus – y compris ceux qui sont à l’isolement. Actuellement, les détenus peuvent téléphoner vingt-quatre heures sur vingt-quatre depuis leur cellule avec un téléphone fixe. Nous proposons, comme en Italie, de diminuer largement cet accès au téléphone pour les personnes placées sous ce régime, sans les empêcher pour autant de communiquer avec leur avocat ou leur famille. Comme en Italie, nous proposons aussi de les priver de l’accès aux unités de vie familiale (UVF). Nous proposons enfin de rétablir les hygiaphones et les fouilles systématiques lors des parloirs, qui sont souvent l’occasion de recevoir des téléphones portables et d’autres informations, au point que certains y conçoivent de funestes projets, continuent de commander des points de deal, passent des ordres, commanditent des assassinats et maintiennent ainsi leur autorité depuis la prison, menaçant des policiers, des magistrats, des douaniers, des agents pénitentiaires, jusqu’à organiser leur évasion. Cela ne sera plus possible.
Le ministre pourra prendre des arrêtés individuels, suivant les préconisations des services de son ministère ou du ministère de l’intérieur, de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), des magistrats instructeurs, de la DAP. Ces arrêtés seront évidemment susceptibles de recours devant le tribunal administratif.
Le Conseil d’État a estimé que ce régime de détention était constitutionnel et conforme à la Convention européenne des droits de l’homme,…
M. Ugo Bernalicis
Il n’a pas toujours raison !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…tout en invitant le Parlement et moi-même à restreindre de quatre à deux ans – renouvelables – la durée d’affectation des détenus à ces quartiers de haute sécurité.
M. Pouria Amirshahi
Au maximum !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je serai donc favorable aux amendements qui iront dans ce sens.
La création de ce régime de détention va de pair avec la réforme du statut des repentis, que je détaillerai à présent afin que la représentation nationale en saisisse la logique. Je salue d’ailleurs le travail des rapporteurs en cette matière éminemment morale, mais aussi pragmatique.
Si l’Italie a inventé la mafia, elle a aussi inventé l’antimafia. Par un régime de détention sévèrement durci, semblable à celui que je vous propose, et par un statut de repenti applicable y compris aux crimes de sang – ce qui soulève d’importantes questions morales –, elle a mis fin à de très nombreuses organisations criminelles et à la série d’assassinats – une soixantaine – qui, après celui du juge Falcone, a ensanglanté l’Italie des années durant. Grâce à ces mesures, des personnes se sont mises à table, comme on dit : elles ont accepté de parler et de dénoncer leur organisation criminelle, tout en cessant leurs propres agissements.
Pour que ce statut du repenti soit efficace, il faut pouvoir proposer des choses fortes. Dans une organisation criminelle, on ne parle pas si l’on sait n’avoir aucun avantage à le faire et courir le risque d’être assassiné. C’est la raison pour laquelle, à l’instar du régime italien, le régime du repenti devra permettre au ministère de la justice de négocier, non pas en promettant une absence de peine de prison lorsque des crimes de sang ont été commis, mais en garantissant à la personne qui collabore avec la justice et qui donne les noms et les financements de son organisation qu’elle n’entrera pas dans le régime durci de détention en prison de haute sécurité.
C’est exactement ce qui se passe en Italie : les repentis y font de la prison, mais ils ne purgent pas leur peine dans les mêmes conditions que celles prévues, depuis plus de vingt ans, à l’article 41 bis du règlement pénitentiaire italien. Ce statut du repenti devra aussi être ouvert à ceux qui, une fois placés dans le régime durci de détention, souhaiteraient parler, et empêcher ainsi de nouveaux homicides ou des actes de torture et de barbarie dont ces organisations criminelles sont coutumières – j’imagine que le ministre de l’intérieur vous en parlera.
M. Ugo Bernalicis
Laissez-lui du temps pour qu’il puisse s’exprimer, quand même ! (M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, sourit.) Ah, il est fort ce Gérald Darmanin !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Par ailleurs, une caractéristique importante du régime durci de détention tient à l’effacement de la distinction entre la détention provisoire et la condamnation définitive. C’est déjà le cas, puisque le régime carcéral ne change pas vraiment pour une personne qui se trouve condamnée après avoir été placée en détention provisoire – vous remarquerez d’ailleurs que M. Amra, bien qu’il soit toujours présumé innocent, se trouve en détention provisoire dans un établissement pour peine, en l’occurrence la prison de haute sécurité de Condé-sur-Sarthe. Dans la mesure où le régime de détention durcie s’appliquera aux personnes les plus dangereuses – notamment à ces jeunes qui, à l’âge de 20 ou 30 ans, continuent de vouloir commander leur organisation et des points de deal en faisant montre d’une grande violence –, il devra concerner à la fois celles condamnées définitivement et celles placées en détention provisoire. Nous aurons sans doute un débat sur ce point.
Ces mesures régissant le régime carcéral, le parquet national spécialisé et le statut de repenti s’accompagnent de nombreuses dispositions qui visent à lutter contre le blanchiment. Je salue le travail effectué par les services de renseignement de Bercy, sous l’autorité de la ministre des comptes publics. Après avoir été longtemps cantonnés aux produits que nous saisissions, nous devons désormais, grâce à ce texte, lutter contre le produit de ces produits, à savoir l’argent, que nous avons actuellement du mal à tracer.
Mme Sandra Regol
Sur ce sujet, il n’y a pas grand-chose dans le texte !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Le rapport du Sénat évoque entre 4 et 6 milliards d’euros d’argent liquide qui, chaque année, passe par des commerces licites et illicites et par des opérations de blanchiment, que nous peinons à suivre et pour lesquelles les instructions des magistrats, il faut bien le dire, ne sont pas toujours au rendez-vous. En effet, nous ouvrons peu d’enquêtes pour blanchiment à l’occasion d’enquêtes de saisie ; c’est cette pratique que le texte vise à changer.
Il s’agit donc d’un texte très important, qui donne des moyens aux magistrats, aux agents pénitentiaires…
M. Pouria Amirshahi
Non, le texte ne prévoit pas de moyens supplémentaires, c’est bien le problème !
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
…ainsi que des moyens pour lutter férocement et efficacement contre le narcotrafic. C’est un texte difficile qui, tout en préservant nos libertés, vise à protéger l’intégrité et la sécurité des agents publics, à commencer par celles des agents pénitentiaires. Mesdames et messieurs les députés, je voudrais – comme vous, j’imagine – avoir une pensée pour les agents qui sont morts ou ont été blessés à Incarville. Nous leur devons ce texte et ces dispositions. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LIOT.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Ugo Bernalicis
Parlera-t-il aussi longtemps que Darmanin ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Jamais nous n’avons autant saisi de drogue : par centaines de kilos, par tonnes, ce week-end encore, sur l’A7 ou en pleine mer avec 6 tonnes interceptées par la marine nationale.
M. Ugo Bernalicis
Mais que fait la police ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Pour autant, jamais le prix du gramme de cocaïne n’a été aussi bas. Cela montre bien que ce que nous prélevons est plus que compensé par les arrivées massives de drogue dans notre pays. Les drogues, y compris les plus dures, sont désormais disponibles partout, en ville comme à la campagne,…
M. Laurent Jacobelli
Il n’est pas là, Louis Boyard ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…dans les outre-mer aussi, ces territoires traversés par les grandes routes de la drogue et qui rencontrent des problèmes spécifiques, notamment de pauvreté parmi la jeunesse. La drogue est disponible tout le temps, et pas seulement sur des points de deal : avec l’Uber shit, c’est la drogue qui vient désormais au consommateur.
Nous faisons face à une double menace. Le narcotrafic, c’est d’abord la cause racine d’une hyperviolence, totalement débridée, partout en France. La seconde menace, c’est une menace existentielle, qui vise directement notre démocratie et les intérêts fondamentaux de la nation, notamment au moyen du couple corruption-violence. C’est pourquoi ce texte est un texte de combat, un texte refondateur qui doit vous permettre de voter l’arsenal à même de faire reculer le narcotrafic dans notre pays.
Je le déclare très solennellement à la tribune de l’Assemblée nationale : aujourd’hui, nous ne menons malheureusement pas ce combat à armes égales.
M. Ugo Bernalicis
C’est fini, la loi du talion !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Nous devons impérativement doter nos services et les forces de sécurité intérieure des armes dont ils ont besoin. Il s’agit d’un combat vital pour sauver des vies humaines, protéger ceux qui craignent de mourir parce qu’ils habitent des quartiers d’où ils ne peuvent déménager, protéger ceux qui démolissent leur vie dans les addictions, protéger ceux qui se perdent dans les trafics ou les règlements de compte.
Nous constatons un effroyable rajeunissement de ceux qui tuent et de ceux qui sont tués. Le narcotrafic et la criminalité organisée créent à la fois des enfants soldats et des enfants victimes. Je me souviens de ce jeune de 15 ans, à Marseille, lardé de cinquante coups de couteau et brûlé vif. Voilà la perspective que les narcotrafiquants offrent à notre jeunesse : un chemin de larmes et un destin de sang.
Notre réaction se doit d’être vigoureuse, car il y va de vies humaines autant que de la vie de notre nation. Si nous laissons prospérer des narco-enclaves sur notre sol,…
Mme Élisa Martin
Ou des narco-ministres !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…la voie de la cartellisation s’ouvrira. Si nous laissons prospérer la corruption et les menaces, les intérêts fondamentaux de notre pays seront en danger.
C’est pourquoi nous devons nous doter d’une nouvelle organisation, qui rende l’État beaucoup plus efficace, et d’un nouvel arsenal juridique. Face à des réseaux criminels parfaitement structurés, l’État demeure trop souvent éparpillé et cloisonné.
M. Ugo Bernalicis
Et même départementalisé, grâce à Gérald Darmanin !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
C’est la raison pour laquelle doivent être institués, dans le domaine judiciaire, comme l’a annoncé Gérald Darmanin, un parquet national et une chaîne judiciaire dédiés. Cela exige aussi, symétriquement, que le ministère de l’intérieur s’organise et se dote, comme en matière de lutte contre le terrorisme, d’un état-major à la fois permanent et interministériel. Cet état-major réunira en un même lieu, à Nanterre, l’ensemble des services de renseignement des quatre ministères concernés – intérieur, justice, finances et armées – et les services d’enquête. Cet état-major aura pour chef de file la direction nationale de la police judiciaire, qui traite actuellement 80 à 85 % des affaires de criminalité organisée. Cette organisation permettra de mieux coordonner l’État et, avec la justice, nous donnera davantage de force et d’efficacité.
En outre, de nouvelles armes sont nécessaires pour lutter efficacement contre cette criminalité organisée. Ainsi, certaines mesures vous seront proposées pour lutter contre le blanchiment et la corruption, par exemple en confiant au préfet certains leviers d’action…
M. Antoine Léaument
On va en parler !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…afin que, lorsqu’un caïd, qui pourrit la vie de toute une barre d’immeuble est condamné pour trafic de drogue,…
M. Antoine Léaument
Pas condamné, suspecté ! Il ment !
M. Julien Odoul
Pour protéger les caïds, vous êtes toujours là, vous !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…le préfet puisse se substituer au bailleur social ou privé de l’appartement pour l’expulser de son logement. Il faudra aussi donner au préfet le pouvoir d’empêcher de paraître autour d’un point de deal des individus qui occupent l’espace public… (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. Sylvain Maillard et M. Alexandre Portier
Très bien !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…ainsi que la capacité de fermer des commerces qui font office de blanchisseries d’argent sale.
Mme Élisa Martin
Ce n’est pas dans le texte. Ne commencez pas ce petit jeu !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je voudrais revenir sur certaines dispositions qui ont suscité – ce qui est parfaitement normal – des débats. Je me souviens de l’année 2015 et de celles qui ont suivi, lorsque nous avons dû légiférer face au terrorisme. À chaque fois, nous avons dû placer le curseur au bon niveau, entre les libertés et la sécurité publiques. C’est le travail des deux chambres du Parlement que de légiférer au niveau adéquat, de façon à concilier les impératifs de sécurité publique et de protection des libertés individuelles.
Le premier point, qui sera sans nul doute très débattu, a trait aux techniques de renseignement et notamment à la question du chiffrement.
M. Éric Bothorel
Oui, parlons-en !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je parlerai clair : les écoutes de grand-papa, c’est terminé. Désormais, les grands criminels se servent massivement de messageries cryptées, qu’ils utilisent comme centrales d’achat, pour recruter des petites mains ou des tueurs à gages. Nous ne pouvons rester inactifs face à ce phénomène. L’État ne peut pas, dans cette lutte et ce combat si ardus, où des vies humaines sont en jeu, avoir une guerre de retard sur les pratiques de la criminalité organisée. (M. René Pilato s’exclame.)
Nous partageons tous deux objectifs : mettre ces criminels hors d’état de nuire ; préserver les libertés publiques, qui nous sont chères. Ces deux impératifs sont parfaitement conciliables. La nouvelle rédaction que nous vous proposerons précisera les choses et permettra de faire en sorte que les backdoors,…
Mme Élisa Martin
Vous ne pouvez pas parler français ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…c’est-à-dire les portes de vulnérabilité, qui pourraient affaiblir le chiffrement, soient interdites. Nous ferons aussi en sorte que les solutions de renseignement ne soient pas proposées à l’insu des plateformes mais qu’une coopération ait lieu pour déterminer ces solutions progressivement, plateforme par plateforme,…
Mme Sandra Regol
Ça n’existe pas, techniquement !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…en conciliant la sécurité publique et les libertés. C’est un point fondamental : ou nous laissons nos services aveugles, ou nous tentons de concilier ce qui est conciliable. Nous pouvons trouver une solution sans avoir à sacrifier la sécurité ou la liberté.
Une autre mesure a été beaucoup débattue : celle du dossier coffre, qu’il convient désormais d’appeler le « procès-verbal distinct ». Je veux rendre hommage au rapporteur Vincent Caure : il a beaucoup travaillé à une nouvelle mouture qui, je pense, sera satisfaisante.
M. Jiovanny William
Non !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Le Conseil d’État, que nous avions saisi, a rendu son avis, le 13 mars, dans sa forme la plus large et solennelle, puisqu’il a été délibéré en assemblée générale.
M. Pouria Amirshahi
Ce n’est pas lui qui fait la loi !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je rappelle qu’il s’agit, avec cette mesure, de faire en sorte que les criminels n’aient pas accès aux noms des enquêteurs qui ont directement permis la pose de certaines techniques, ou aux noms de ceux qui les y ont aidés. Si les noms sont dévoilés, des personnes sont menacées et des vies humaines sont en danger. On peut, là encore, concilier les priorités.
Le Conseil d’État a reconnu qu’il n’y avait là rien de nouveau dans notre droit : le témoin anonyme existe depuis plus de vingt ans et la géolocalisation depuis plus de dix ans. Il a également reconnu la constitutionnalité du dispositif, en se référant à la décision du Conseil constitutionnel du 30 mars 2018, et a indiqué qu’elle était conforme à l’arrêt rendu en 2006 par la CEDH. Il a ajouté que les renseignements obtenus sans que soient révélés les noms, les lieux et les techniques utilisées ne pourront pas être utilisés comme preuve, à une exception près, fondamentale :…
M. Antoine Léaument
Ah !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…quand des vies humaines sont en jeu. Il y a là un élément décisif à l’établissement de la proportionnalité de cette mesure, qui permet de concilier les droits de la défense, le principe du contradictoire avec la protection de l’intégrité physique des enquêteurs.
Ce texte sera fondamental. Gardez à l’esprit que ces organisations criminelles tuent et torturent.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Le parallèle a souvent été fait avec la lutte contre le terrorisme. Le terrorisme, depuis les attentats perpétrés à Toulouse et à Montauban par Mohamed Merah, a tué 174 personnes ; les narcotrafiquants en ont tué 104 dans la seule année 2024. En trois ans, ils ont fait plus de victimes que le terrorisme depuis 2012. Cela exige de nous un sursaut, que les Français, pour leur sécurité, appellent de leurs vœux. Nos services ne seront pas condamnés à l’immobilisme et à l’impuissance si nous répondons à cet appel au terme d’un débat nourri, légitime…
Mme Élisa Martin
C’est mal parti !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…et qui permettra, avec fermeté et détermination, de faire reculer la grande criminalité et le narcotrafic. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. Ugo Bernalicis
Quatre minutes de moins que Gérald !
M. le président
La parole est à Mme la ministre chargée des comptes publics.
Mme Amélie de Montchalin, ministre chargée des comptes publics
La proposition de loi des sénateurs Jourda, Blanc et Durain répond à une urgence nationale, qui préoccupe tous les élus, de territoires urbains ou ruraux, et inquiète l’ensemble de nos concitoyens. Cette urgence, c’est celle de la lutte contre les fléaux du narcotrafic et de la criminalité organisée. Je remercie très sincèrement les sénateurs de cette initiative et je veux souligner que le gouvernement soutient pleinement ce combat, dont il a fait une priorité – et même une cause d’intérêt national. Dès sa déclaration de politique générale, le premier ministre en a souligné l’urgence.
Chaque jour, l’actualité nous montre combien est pressante la menace de la criminalité organisée. Elle enrôle notre jeunesse, gangrène notre économie. Elle menace de corrompre nos institutions, les agents publics, les personnels des entreprises de logistique. Elle fragilise, au bout du compte, notre contrat social et notre démocratie : il est urgent d’agir.
Je tiens à saluer le travail de grande qualité des trois rapporteurs – Vincent Caure, Éric Pauget et Roger Vicot – et l’engagement dont ils ont fait preuve ces dernières semaines. Je suis certaine que les débats que nous aurons dans les heures qui viennent permettront d’améliorer ce texte et de trouver, ensemble, des solutions efficaces pour notre pays. (M. Pouria Amirshahi s’exclame.)
Je tiens également à souligner, en tant que ministre des comptes publics, que la criminalité organisée conduit à de considérables pertes de recettes fiscales. Dans une situation budgétaire qui nous appelle à consentir à des efforts inédits pour préserver les générations futures d’une dette massive,…
Mme Élisa Martin
Pour faire la guerre !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
…c’est particulièrement intolérable. De la bonne gestion de nos ressources dépend aussi notre crédibilité vis-à-vis de nos partenaires européens et internationaux.
Face aux criminels, notre main ne doit pas trembler. Nous devons nous munir des outils adaptés à une lutte contre des trafiquants et des réseaux qui ne connaissent, eux, aucune limite morale ou financière. Les masses d’argent qu’ils brassent leur procurent une capacité d’action quasiment à la hauteur de celle des États, avec des moyens colossaux de transport, de communication, de dissimulation et de défense. Face à l’amplitude de ces trafics et à leur montée en puissance, l’État, dans toutes ses dimensions – judiciaire, de contrôle, de détection ou de coercition – ne peut rester désarmé. Il doit adapter ses outils, ses pouvoirs, ses moyens d’investigation et donc son cadre législatif, garantie de notre État de droit.
L’ensemble des services qui concourent à la lutte contre la criminalité organisée accomplissent un travail considérable – à Beauvau, place Vendôme comme à Bercy – dans cette lutte contre les trafics de stupéfiants et la criminalité organisée, contre le blanchiment et les flux financiers illicites.
Je veux saluer ici ceux qu’on ne salue jamais, ceux qu’on ne connaît que trop rarement. Je veux saluer en particulier l’engagement infatigable de la douane (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR et sur quelques bancs du groupe RN), de sa direction nationale du renseignement et de Tracfin.
M. Ugo Bernalicis
Bravo les douanes !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Je veux également saluer la direction générale du Trésor, l’Office national antifraude (Onaf), la direction générale des finances publiques (DGFIP), l’Agence française anticorruption ou encore l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) qui, chacun dans son domaine, luttent dans le silence et dans l’ombre pour la disparition de ce fléau.
Mme Élisa Martin
Quand vous ne leur enlevez pas des moyens !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Grâce à son positionnement privilégié en matière de surveillance et de sécurisation des frontières extérieures de l’Union européenne, à l’instar des autres douanes européennes, la douane est à l’origine de 60 à 75 % des saisies de stupéfiants, toutes administrations confondues.
M. Ugo Bernalicis
Mais que fait la police ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Elle collabore avec les services de police judiciaire et l’autorité judiciaire, et inscrit son action dans le cadre interministériel du plan national de lutte contre les stupéfiants.
Je veux vous rappeler quelques événements récents, afin que nous prenions tous bien conscience de l’ampleur de cette menace, qui n’a rien de fictif. À Dunkerque, il y a quelques jours, c’est un conteneur de 10 tonnes de cocaïne qui a été saisi.
M. Antoine Léaument
Encore les douanes !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
On a saisi, il y a deux jours, 826 kilogrammes de cocaïne sur l’autoroute A7 et, il y a quelques heures, quelques kilogrammes d’héroïne laissés sur un bas-côté. Nous devons beaucoup à ces douaniers qui, à chaque fois, risquent leur vie.
L’argent du trafic et le produit de son blanchiment sont très vite envoyés à l’étranger. Tracfin a donc pour mission d’identifier les avoirs criminels des têtes de réseau, qu’ils se trouvent en France ou non, pour que nous puissions rapidement saisir leurs comptes bancaires et révéler les activités économiques des groupes criminels. Depuis septembre 2023, grâce à l’action de Tracfin et des parquets, 40 millions ont été saisis sur les comptes de société « lessiveuses ».
M. Ugo Bernalicis
Ce n’est pas avec des fermetures administratives à la mords-moi le nœud qu’on va résoudre le problème !
Mme Amélie de Montchalin, ministre
En 2024, le service a pu mettre à jour des réseaux structurés agissant bien au-delà des frontières françaises. L’Onaf, en 2024, a saisi 600 millions d’euros au cours de toutes ses enquêtes en matière de fraude aux aides publiques – fraudes trop souvent liées, vous le savez, à la criminalité organisée.
La présente proposition de loi, issue d’un travail transpartisan remarquable mené par les sénateurs Jourda, Blanc et Durain à la suite des conclusions de la commission d’enquête sur l’impact du narcotrafic en France, nous permettra de nous fixer les objectifs les plus ambitieux. Sa grande vertu est de donner les outils juridiques à ceux qui, comme les douaniers, sont mobilisés sur le terrain vingt-quatre heures sur vingt-quatre, au péril parfois de leur propre sécurité, pour traquer des trafiquants toujours plus agiles et agressifs. Nous ne pouvons pas nous permettre de prendre le moindre retard sur ces trafiquants. (M. Laurent Jacobelli s’exclame.) L’État doit pouvoir les traquer partout où ils sévissent.
C’est pourquoi ce texte renforce significativement les moyens d’action de mon ministère. Comme l’ont rappelé Gérald Darmanin et Bruno Retailleau, les flux financiers sont au cœur de la lutte contre les trafics. L’extension de la présomption de blanchiment douanier – notamment aux cryptoactifs – permettra d’inverser la charge de la preuve quant à la provenance délictueuse des fonds, qui incombera désormais aux fraudeurs. La création d’un dispositif de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants, semblable à ce qui se fait déjà dans la lutte contre le terrorisme, nous permettra de leur bloquer l’accès au financement, en complément de l’action judiciaire, dans les cas de fuite ; le dispositif pourra être élargi aux personnes de l’entourage comme aux structures écrans.
Notre main ne tremblera pas non plus en interdisant aux fournisseurs de services d’actifs numériques de proposer des comptes anonymes ou des mixeurs de cryptoactifs, vecteurs majeurs de blanchiment de trafic de stupéfiants.
Ce texte permet à Tracfin d’accéder à l’immatriculation des véhicules afin d’élargir ses enquêtes patrimoniales. Plusieurs services pourront également accéder à certains fichiers : l’Onaf, par exemple, aura un accès enrichi au fichier informatisé des données juridiques immobilières.
Cette proposition de loi permet d’élargir l’action de l’Onaf qui, sous la tutelle des douanes et de la DGFIP, est le premier service d’investigation en matière de blanchiment. Elle permet également aux agents des douanes d’avoir accès aux données de certains opérateurs privés dans le transport et la logistique. Il est essentiel que nous puissions nous assurer que les principaux opérateurs visés soient bien couverts par cette facilité, afin de connaître leurs échanges, de savoir où partent les conteneurs et où sont les flux – comme le font déjà les membres anglo-saxons de l’alliance « Five Eyes ». Je vous remercie, monsieur le rapporteur Pauget, d’élargir par votre amendement le champ de cette proposition.
Nous voulons également donner à nos services la possibilité d’appréhender des criminels qui n’ont pas d’horaires lorsqu’il s’agit d’alimenter le trafic – les trafiquants travaillent la nuit, quand personne ne les regarde. Les douaniers doivent pouvoir les arrêter la nuit également, et effectuer des visites domiciliaires après 21 heures, sur ordonnance du juge des libertés et de la détention.
En outre, les lanceurs d’alerte pourront désormais signaler tous types de faits, notamment de blanchiment de trafic de stupéfiants, à Tracfin, ce qui permettra aux services, pour la première fois, de traiter des informations provenant de personnes physiques.
Enfin, ce texte permet aux douanes de ne plus limiter leur action à la saisie de stupéfiants ou de matériel utilisé pour le trafic : elles pourront entraver les flux financiers générés par ces derniers pour enfin, comme on le dit trivialement, « taper les criminels au portefeuille ». (« Ah ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
La création de la procédure d’appréhension des comptes bancaires et des instruments financiers en cas de notification d’infraction douanière permettra, quant à elle, la saisie des comptes et des avoirs, quand les douaniers ne peuvent aujourd’hui saisir que les voitures ou les bateaux.
La lutte contre la criminalité organisée et le narcotrafic repose sur des femmes et des hommes qui sont engagés et que nous devons protéger. C’est le sens des amendements que nous vous proposons d’adopter, qui visent à doter les agents des douanes de caméras piétons, à l’instar des agents des autres services luttant contre la criminalité organisée, ou encore à permettre leur pseudonymisation. Protégeons ceux qui nous protègent.
Nous voulons asphyxier le trafic en asphyxiant l’argent qui le génère.
M. Ugo Bernalicis
Vous voulez légaliser alors ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre
La nation est unie ; elle ne sera pas vaincue. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
M. le président
La parole est à M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Ugo Bernalicis
Il fait corps avec le gouvernement !
M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Le texte dont nous commençons aujourd’hui l’examen est un texte important. En raison de son sujet, d’abord : la lutte contre la délinquance et le crime organisé. En raison de son ampleur et de son ambition, ensuite : il touche à l’organisation judiciaire, au droit, à la procédure pénale ainsi qu’à l’exécution des peines. En raison de sa singularité politique, enfin : rapporté au Sénat par un sénateur socialiste et une sénatrice Les Républicains, il a été voté à l’unanimité par la Chambre haute. Une même unanimité ne nous animera peut-être pas jusqu’à la fin de la semaine, ni peut-être jusqu’à la fin de cette soirée,…
M. Ugo Bernalicis
Eh non !
M. Vincent Caure, rapporteur
…mais je suis certain que la lutte contre le narcotrafic doit dépasser nos clivages, comme c’est le cas dans certaines municipalités.
M. Fabien Di Filippo
Tous ceux qui sont consommateurs au NFP devraient se déporter, il y a conflit d’intérêts !
M. Vincent Caure, rapporteur
J’espère ainsi que nous serons nombreux à ne pas faire obstacle à l’adoption de ce texte, nombreux à le soutenir. Je remercie mes collègues commissaires aux lois pour le travail de grande qualité que nous avons pu mener, au-delà de nos appartenances politiques.
Ce texte est le reflet d’un constat largement partagé par les personnes que nous avons entendues. Et c’est parce qu’il l’est largement que nous avons pu véritablement exercer notre rôle de législateur, en travaillant avec les différents groupes dans un objectif commun d’amélioration. Ce texte n’est ni tiède ni liberticide.
La spécialisation de nos juridictions et l’adaptation de notre architecture judiciaire doivent permettre de faire face aux organisations structurées qui dirigent les groupes criminels.
Il nous faut un acteur à l’incarnation forte et reconnue, capable de faire face aux enjeux de coordination de l’action judiciaire. C’est pourquoi la proposition de loi prévoit la création d’un parquet d’envergure nationale, consacré à la lutte contre la criminalité organisée.
Le texte prévoit aussi le renforcement et la modernisation de nos moyens d’investigation. Les moyens financiers, techniques et humains des organisations criminelles sont très conséquents. Leurs investissements sont à la hauteur des profits qu’elles tirent de leurs activités criminelles.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Vincent Caure, rapporteur
Pour ne pas nous laisser dépasser par ces stratégies de plus en plus sophistiquées, nos modes d’action doivent évoluer. C’est l’objet de certaines dispositions innovantes, comme la possibilité de recourir à un procès-verbal distinct.
Ces évolutions doivent s’inscrire dans le respect des principes qui irriguent notre démocratie et notre procédure pénale. En tant que rapporteur, j’y serai particulièrement attentif et je vous proposerai la réécriture de plusieurs dispositions.
Concernant les articles 15 ter et quater, qui permettent l’activation à distance des appareils électroniques, le Conseil constitutionnel a tracé le chemin permettant d’assurer la proportionnalité de ce procédé.
M. Ugo Bernalicis
Pas sûr…
M. Vincent Caure, rapporteur
C’est ce chemin que j’entends suivre. C’est pourquoi je soutiendrai le rétablissement de ces dispositions, tout en veillant à en renforcer les garanties juridiques.
Les articles 22 et 22 bis contiennent d’importantes mesures pour renforcer nos moyens de lutte contre la corruption. Nos débats en commission ont permis de recentrer ces dispositions et d’en assurer la cohérence en supprimant des mesures redondantes par rapport au droit existant.
Ils ont également contribué à rendre les mesures de lutte contre la corruption dans les ports plus opérationnelles, en tenant compte des contraintes particulières de l’activité dans ces points stratégiques de notre territoire.
L’incarcération des personnes condamnées et le renforcement de la sécurité des établissements pénitentiaires constituent le troisième axe de la lutte contre la délinquance et la criminalité organisée. Ce renforcement suppose, d’abord et avant tout, une meilleure protection de la sécurité des personnels. Il passe aussi par le recours à de nouvelles techniques, comme les drones. Enfin, il se concrétise avec la création des quartiers pénitentiaires de lutte contre la criminalité organisée, assortis d’un régime d’incarcération spécifique. Le but, nous le rappelons, est d’isoler les narcotrafiquants de leur organisation criminelle.
Certaines de ces nouvelles dispositions – notamment celles relatives à la visioconférence et aux quartiers pénitentiaires – ont suscité des débats, parfois des inquiétudes sur le plan juridique. Nous veillerons à y répondre. En présence du garde des sceaux, du président de la commission des lois, nous avons pu assister aux débats de la section de l’intérieur du Conseil d’État sur ces sujets. Nous avons été destinataires de l’avis rendu en assemblée générale, qui apporte des précisions concernant la robustesse juridique du dispositif et le chemin à suivre. Ces éléments nous permettront d’améliorer ces dispositifs, essentiels pour la sécurité des établissements pénitentiaires et de leur personnel, et de rassurer pleinement chacune et chacun d’entre vous.
J’espère qu’à la lumière de cet avis, nous pourrons débattre plus précisément et sereinement, restaurer les dispositions d’importance que ce texte contenait à l’origine et consolider leur sécurité juridique. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. le président
La parole est à M. Éric Pauget, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Éric Pauget, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Face à la cartellisation du trafic de drogue, qui a créé de véritables narcomafias françaises, nous avons le devoir de réarmer la France. Mais nous ne pourrons remporter ce combat sans transformer notre culture de lutte contre les stupéfiants en une véritable guerre contre les narcotrafiquants.
Fortement attendue par les praticiens et les services opérationnels, largement saluée par les personnes auditionnées, cette proposition de loi doit nous permettre d’adapter notre arsenal juridique au fléau du narcotrafic. C’est un texte avant tout pragmatique, dépourvu de toute forme d’angélisme ou de naïveté, que nous allons examiner.
Oui, les besoins opérationnels sont majeurs, nos outils de lutte contre la criminalité organisée obsolètes ou inadaptés.
M. René Pilato
On se demande qui a été au pouvoir pendant huit ans…
M. Éric Pauget, rapporteur
Certes, les dispositions de ce texte sont nombreuses et variées, mais toutes visent le même impératif d’efficacité. Pour adapter nos modes d’action, il faut tenir compte de l’évolution des stratégies criminelles et des méthodes des réseaux.
D’abord, nous devons renforcer nos méthodes de lutte contre le blanchiment. Pour les narcotrafiquants, la recherche du profit financier est le nerf de la guerre. Le texte comprend plusieurs dispositifs efficaces, fondés sur des pouvoirs de police administrative plus rapides à mettre en œuvre, comme le gel administratif des avoirs criminels des personnes liées au trafic de stupéfiants. C’est dans le même objectif qu’en commission, nous avons précisé les modalités de fermeture administrative des établissements de blanchiment de l’argent du crime.
Nous avons aussi renforcé les pouvoirs des agents des douanes engagés dans la lutte contre le blanchiment. En effet, ils sont stratégiquement positionnés aux points d’entrée des marchandises et des capitaux sur notre territoire.
Il faut davantage taper les trafiquants au portefeuille – c’est encore la meilleure manière de leur causer du tort et de déstabiliser leurs organisations.
Ce texte comporte également des dispositions innovantes pour répondre à l’évolution des organisations criminelles qui se structurent sur un mode mafieux.
Ainsi, l’article 9 prévoit la création d’une nouvelle infraction sanctionnant l’appartenance à une organisation criminelle. Cette disposition inspirée du droit italien devrait nous permettre de mieux lutter contre les réseaux criminels organisés qui sont souvent bien identifiés sur le territoire. Pleinement convaincu par ce dispositif, qui a déjà fait ses preuves en Italie, je vous proposerai de redéfinir cette nouvelle infraction et d’en accroître l’intérêt opérationnel en créant une liste noire des organisations criminelles qui agissent dans notre pays.
Nous devons aussi évoluer sur le plan numérique. Trop souvent, des contenus fleurissent impunément sur les réseaux sociaux et dans l’espace numérique, offrant à la vente des produits stupéfiants dangereux à destination d’un public parfois très jeune. C’est pourquoi les articles 10 et 12 visent à renforcer nos outils pour améliorer la lutte contre les trafics en ligne.
L’article 10 bis crée une dérogation aux règles de prononcé des peines en cas de concours d’infractions liées à la criminalité organisée. Cela constitue une évolution largement saluée par notre commission, dont je me réjouis. Elle permettra de punir davantage la réalité des actes des narcotrafiquants.
Au titre des dispositions innovantes, je m’attarderai sur l’article 14, relatif au statut des repentis.
M. Ugo Bernalicis
Pour le coup, je préfère la version des sénateurs…
M. Éric Pauget, rapporteur
Cet article pragmatique tire les conséquences des évolutions de la criminalité organisée, en partant du constat que nos techniques d’enquête traditionnelles sont parfois insuffisantes pour infiltrer et démanteler des structures criminelles. Face aux limites d’un dispositif largement sous-utilisé, avec seulement 42 personnes concernées quand l’Italie gère plus de 1 000 repentis, les débats en commission nous ont permis de renforcer son efficacité, tant sur le plan procédural que sur l’attractivité.
Enfin, je regrette la suppression de l’article 11, qui visait à renforcer les moyens de lutte contre les passeurs de produits stupéfiants, communément appelés « mules ».
M. Pouria Amirshahi
C’est une bonne nouvelle !
M. Éric Pauget, rapporteur
Si l’importation de produits stupéfiants est un enjeu de sécurité publique, elle présente aussi des risques importants en termes de santé publique.
M. Ugo Bernalicis
Surtout !
M. Éric Pauget, rapporteur
Il faut mieux accompagner ces passeurs, qui risquent leur vie en ingérant des quantités importantes de stupéfiants, et adapter nos outils juridiques à ce phénomène. Je vous proposerai de rétablir les dispositions de l’article 11.
M. Pouria Amirshahi
Non !
M. Éric Pauget, rapporteur
Je le répète, les organisations criminelles utilisent les lacunes de notre arsenal répressif et la vulnérabilité de tiers pour faire prospérer leur trafic de drogue.
J’espère que nos débats en séance nous permettront de consolider les dispositions de ce texte d’importance et d’en rétablir l’équilibre initial. Ensemble, soyons à la hauteur des enjeux soulevés par la lutte contre la narcocriminalité organisée et répondons aux attentes des services opérationnels, ainsi que des Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem, ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. le président
La parole est à M. Roger Vicot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Roger Vicot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi préparée par des travaux parlementaires dont j’ai eu l’occasion de saluer la qualité en commission : ceux de la commission d’enquête de nos collègues Durain et Blanc au Sénat, qui ont débouché sur un rapport documenté, précis – terrifiant par certains aspects –, et ceux de la mission d’information menée par les députés Léaument et Mendes. Ces travaux nous permettent de mieux appréhender une partie des dispositions sur lesquelles nous sommes amenés à nous prononcer.
M. Antoine Léaument
Merci et bravo !
M. Roger Vicot, rapporteur
Je l’ai déjà dit en commission, ce texte est riche – voire complexe – et, parfois, hétéroclite. Je regrette que les conséquences potentiellement très importantes de certains articles aient peut-être été mal anticipées ou mal évaluées. C’est notamment le cas en matière de renseignements, mais nous aurons largement l’occasion d’y revenir cette semaine.
Depuis son dépôt, la proposition de loi a significativement changé d’ampleur.
M. Antoine Léaument
Eh oui !
M. Roger Vicot, rapporteur
Initialement centrée sur le trafic de stupéfiants, elle a été élargie à la lutte contre la criminalité organisée ; c’est bienvenu. Il est temps que notre pays prenne conscience de l’ampleur de la menace et lutte contre la consolidation d’un véritable écosystème criminel, qui corrode notre pacte social et nos institutions, et contribue au développement d’autres crimes – trafic d’armes ou traite des êtres humains.
Si la réponse à cette menace doit être ferme, il faut défendre nos principes fondamentaux tout aussi fermement. Avec mes collègues rapporteurs, et au sein de la commission des lois, c’est dans cette optique de juste équilibre que nous avons cherché à placer le curseur au bon endroit. Nous avons donc remanié le texte adopté par le Sénat de manière assez importante. Je remercie d’ailleurs mes collègues de la commission des lois pour la qualité de nos échanges la semaine dernière.
Les articles relatifs aux techniques de renseignement ont beaucoup contribué aux débats ; certains collègues de la commission, mais également l’opinion publique, ont fait part de leur inquiétude et de leurs questionnements. À l’article 8, la commission des lois a adopté mon amendement qui restreint l’extension du renseignement algorithmique à la seule criminalité organisée portant sur les trafics de stupéfiants, d’armes et le blanchiment des bénéfices de ces trafics. L’article 8 ter, dont nous avons beaucoup parlé, a rencontré un écho bien au-delà de notre assemblée.
M. Ugo Bernalicis
C’est vrai !
M. Roger Vicot, rapporteur
Les auteurs du texte ont cherché à adapter l’encadrement législatif de la réquisition des données de connexion, ce qui a suscité de nombreuses inquiétudes quant à l’affaiblissement du chiffrement des services de communication en ligne. À l’initiative de huit groupes, et à la quasi-unanimité, la commission des lois a supprimé cet article.
M. Emmanuel Duplessy
Bravo la commission !
M. Roger Vicot, rapporteur
Je note que le gouvernement proposera une nouvelle rédaction en séance. Si elle apporte certaines réponses aux critiques exprimées, elle semble encore inaboutie.
M. Éric Bothorel
Il a raison !
M. Roger Vicot, rapporteur
Lors des nombreuses heures d’auditions, nous avons perçu combien le sujet était techniquement et politiquement complexe. L’adaptation des réquisitions de données à l’évolution technologique devrait faire l’objet d’un projet de loi dédié, précédé des consultations nécessaires et d’une étude d’impact comportant des éléments techniques solides.
M. Éric Bothorel
Très bien !
M. Roger Vicot, rapporteur
La commission des lois a également supprimé les dispositions de l’article 19 qui autorisaient l’infiltration de civils – ni policiers, ni gendarmes, ni douaniers – au sein des organisations criminelles. Dans la mesure où ce sont des civils déjà impliqués dans des activités criminelles qui auraient bénéficié, sous l’autorité judiciaire, d’un tel dispositif, on pouvait nourrir des inquiétudes légitimes sur la fiabilité des informations ainsi recueillies.
La commission a aussi supprimé l’article 20 ter, qui étendait la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) – notre plaider-coupable à la française – aux crimes prévus en matière de trafic de stupéfiants. L’application de la CRPC en matière autre que délictuelle est un sujet trop fondamental pour être examiné dans un tel texte.
Telles sont les principales modifications apportées par la commission dans les articles dont j’ai la charge. Pour conclure sur une note positive, les articles 17, 17 bis et 18, qui portent sur des techniques d’enquête – infiltrations, opérations de coup d’achat – ont pratiquement fait l’unanimité lors de leur examen en commission. Ils sont la preuve que nous pouvons trouver un chemin transpartisan sur ces sujets pourtant délicats. J’espère que cet exemple nous inspirera pour la suite des débats. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et sur quelques bancs des groupes EPR, EcoS et Dem, ainsi que sur les bancs des commissions.)
M. le président
La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
M. Florent Boudié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Jamais le trafic de drogue n’a été aussi prospère et violent dans notre pays. J’en veux pour preuve les saisies effectuées par les forces de l’ordre, qui atteignent des niveaux records – 23 tonnes de cocaïne ont été saisies en 2023, 53 en 2024. Des territoires jusqu’ici épargnés, notamment des villes moyennes, sont à présent touchés par le poison mortel du crime organisé, qui se joue de notre droit et de nos institutions.
Le premier défi est celui de la sécurité, alors que les violences liées au trafic de stupéfiants explosent. En 2024, on a dénombré 110 homicides et un peu plus de 300 personnes blessées, dont des victimes collatérales.
L’enjeu est aussi économique : le marché clandestin dégage entre 3 et 6 milliards d’euros par an. Il finance le crime organisé, renforce des réseaux tentaculaires, encourage leur diversification et développe leurs capacités de blanchiment – nous en reparlerons dans les prochains jours.
C’est enfin un enjeu de santé publique et de société : le trafic de stupéfiants détruit des vies, disloque des familles et fracture la cohésion sociale. La France n’est évidemment pas un narco-État, mais certains territoires vivent déjà sous l’influence de structures qui s’apparentent à des narco-entreprises.
Cet état des lieux impose d’agir vite et fort : c’est le sens de la proposition de loi issue des travaux transpartisans du Sénat et de ceux de la commission des lois autour des grandes orientations proposées par le texte.
Premièrement, il convient de renforcer l’arsenal pénal et les techniques spéciales d’enquête. Comme cela fut le cas en matière de lutte contre le terrorisme, il faut des lois plus efficaces pour mener la guerre contre les trafiquants. Le texte durcit les sanctions pénales, facilite les infiltrations, consolide les interceptions et renforce le statut des repentis, qui a démontré son efficacité, notamment en Italie.
Deuxièmement, il faut renforcer les capacités d’action des forces de sécurité et de l’autorité judiciaire. L’offensive contre le crime organisé s’inscrit dans la continuité des moyens dégagés par la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur (Lopmi) et celle du ministère de la justice (LOPJ), en dépit de nos difficultés budgétaires. Dans ce contexte, l’organisation en miroir, avec l’Office français antistupéfiants (Ofast) d’un côté et le Pnaco de l’autre, doit unifier la lutte contre le crime organisé, du renseignement jusqu’à la répression judiciaire. En parallèle, nous devons renforcer nos dispositifs anticorruption, notamment dans les secteurs portuaires et aéroportuaires.
Troisièmement, nous devons frapper les profits des narcotrafiquants, comme vous l’avez dit, madame la ministre. Par le passé, notre stratégie a consisté à saisir les stupéfiants – il fallait le faire – et à sanctionner les consommateurs. Mais l’arme la plus décisive, c’est la saisie et la confiscation des avoirs criminels, et donc la traque du blanchiment d’argent,…
M. Emmanuel Duplessy
On a déjà du mal à traquer les fraudes sur le marché légal !
M. Florent Boudié, président de la commission des lois
…y compris lorsqu’il passe par des commerces qui semblent être des commerces de proximité alors que ce sont de vraies lessiveuses.
Si la commission des lois a validé la majorité des dispositions de la proposition de loi, toutes les incertitudes n’ont pas été levées. Je pense notamment à l’article 16, relatif au procès-verbal distinct, qui a suscité des réserves.
Mme Élisa Martin
C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Florent Boudié, président de la commission des lois
Cette disposition pourrait nous faire cruellement défaut si nous devions ne pas la réintroduire dans le texte. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Elle existe déjà au Royaume-Uni et en Allemagne.
M. Ugo Bernalicis
Elle n’existe pas en Allemagne !
M. Florent Boudié, président de la commission des lois
J’appuierai personnellement sa réintroduction, avec les ajustements demandés par le Conseil d’État.
Je pense aussi à l’article 8 ter, relatif à l’accès aux messageries cryptées, que la commission a supprimé. En l’occurrence, je suggère au contraire d’adopter une position de vigilance et de mener un travail d’approfondissement dans les semaines et les mois qui viennent – travail qui n’a eu lieu ni au Sénat ni à l’Assemblée nationale.
En revanche, la commission des lois a approuvé la création des quartiers sécurisés de lutte contre le crime organisé. Nous pourrons progresser sur cette question en nous fondant sur les ajustements demandés par le Conseil d’État. La saisine préalable du Conseil d’État nous a éclairés, que ce soit sur l’article 23 quinquies, qui porte sur les quartiers sécurisés, l’article 23 bis A, relatif à la visioconférence, ou l’article 16, sur le procès-verbal distinct. Ainsi, l’avis du Conseil d’État nous a conduits à circonscrire l’utilisation de la visioconférence aux personnes qui seront placées dans les quartiers de lutte contre le crime organisé.
Nous devons agir, et vite. Nous devons aussi trouver les voies du consensus – nous avons une semaine pour le faire. L’éclairage du Conseil d’État et le travail mené en commission des lois nous ont déjà permis d’avancer vers des solutions plus équilibrées. Pour toutes ces raisons, un large rassemblement sur les bancs de cet hémicycle me paraît possible. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem. – MM. Vincent Caure et Éric Pauget, rapporteurs, applaudissent également.)
Motion de rejet préalable (proposition de loi)
M. le président
J’ai reçu de Mme Mathilde Panot et des membres du groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire une motion de rejet préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Monsieur le président, messieurs les ministres de l’intérieur…, mes chers collègues. Lutter contre le trafic de stupéfiants et la criminalité organisée est une nécessité. Ce n’est pas celui qui a remis, avec Marie Guévenoux, un rapport d’information sur la réforme de la police judiciaire dans le cadre de la création des directions départementales de la police nationale, voulue par Gérald Darmanin, qui vous dira le contraire. L’ensemble des services d’enquête, en particulier le haut du spectre, nous avaient alertés sur la criminalité organisée prédatrice, qui gagnait du terrain, et sur la corruption qui l’accompagnait. Nous avons relayé cette alerte.
Que le crime doive être réprimé, c’est une évidence pour tout le monde.
Mme Émilie Bonnivard
On a quelques doutes !
M. Ugo Bernalicis
Mais comment, avec quels moyens et de quelle manière ? Nous présentons cette motion de rejet préalable car ce texte ne prévoit pas de réprimer efficacement le crime organisé. Il n’est d’ailleurs nullement besoin de changer la loi pour être plus efficace – c’est surtout une question de moyens. Par ailleurs, ce texte comporte des articles qui posent de grandes difficultés quant aux libertés fondamentales, voire à l’État de droit – une notion que le ministre Retailleau, nous le savons, n’affectionne pas particulièrement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Enfin, ce texte passe intégralement sous silence une politique publique qui devrait être centrale car elle permet notamment de lutter contre la consommation de stupéfiants : la prévention. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur plusieurs bancs du groupe EcoS.) Pour beaucoup d’entre vous, la prévention est un gros mot ; pour nous, c’est un objectif, car elle est efficace.
M. Fabien Di Filippo
On voit les résultats au sein de votre groupe !
M. Ugo Bernalicis
Or c’est bien l’efficacité qui nous préoccupe. Nul besoin de changer la loi pour être plus efficace. Vous proposez qu’il existe, en matière de répression, un chef de file. Mais l’Ofast est déjà chef de file dans la lutte contre le trafic de stupéfiants ; l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) est, comme son nom l’indique, chef de file en matière de lutte contre la criminalité organisée ; l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) est chef de file dans son propre domaine. S’il vous fallait un chef de file des chefs de file, sachez qu’une telle instance a été créée dans le cadre de la réforme de M. Darmanin : c’est la direction nationale de la police judiciaire, qui a remplacé la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ). Tout cela existe déjà, nul besoin d’une nouvelle loi.
Il vous semble également nécessaire de créer une juridiction nationale. Cela tombe bien, elle existe déjà : c’est la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée, la Junalco, qui a été créée en 2019, alors que M. Darmanin faisait déjà partie du gouvernement – cela devrait donc lui rappeler quelque chose.
Vous souhaitez renforcer les moyens des douanes en les dotant de nouveaux scanners. Les différents rapports, notamment l’excellent rapport d’information de MM. Léaument et Mendes (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP),…
Mme Nathalie Oziol
J’applaudis Léaument, pas Mendes !
M. Ugo Bernalicis
…ainsi que celui des sénateurs Blanc et Durain, soulignaient l’importance de ces scanners.
M. Antoine Léaument
Eh oui, il ne faut pas se contenter d’applaudir les douaniers, il faut aussi les écouter !
M. Ugo Bernalicis
Mais nul besoin d’une nouvelle loi pour acheter des scanners supplémentaires !
A-t-on vraiment besoin d’un texte de loi pour renforcer les moyens de la police, en faisant en sorte que les offices centraux disposent des effectifs cibles – les moyens qui devraient théoriquement leur être alloués ? Non ! En l’état actuel de la loi, il est également possible de mettre sur écoute, de sonoriser, de géolocaliser. Anonymiser les enquêtrices et les enquêteurs du haut du spectre dans les procédures l’est tout autant, tout comme infiltrer un réseau, perquisitionner de nuit,…
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Non !
M. Ugo Bernalicis
…mettre à l’isolement les prévenus ou les condamnés pour trafic de stupéfiants, saisir l’argent sale des trafiquants.
Mais alors, pourquoi recourir à une nouvelle loi ?
Mme Danièle Obono et M. Antoine Léaument
Pourquoi ?
M. Ugo Bernalicis
Ne serait-ce pas simplement de la communication politique destinée à masquer votre incurie en matière de lutte contre la criminalité organisée – avant, d’autres étaient au pouvoir, mais depuis sept ans, c’est bien vous qui n’arrivez pas à lutter efficacement contre ce phénomène ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Qui dit lutte contre la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants dit police judiciaire – des enquêtrices et des enquêteurs rompus à la procédure pénale, déterminés dans leurs investigations, et en nombre suffisant. En matière d’effectifs, on repassera. Par le passé, ce n’était déjà pas très reluisant : quand nous avons rendu notre rapport en 2023, le ministre Darmanin, alors ministre de l’intérieur, expliquait lui-même qu’il manquait 5 000 officiers de police judiciaire (OPJ). Nous n’y sommes pas, et c’est même le contraire qui s’est produit. L’ensemble de la filière judiciaire, c’est-à-dire les officiers de police judiciaire, les agents de police et le reste du personnel affectés à la police judiciaire, correspondait l’année dernière à 46 745 équivalents temps plein (ETP), d’après les bleus budgétaires – je le précise pour le ministre Retailleau, qui ne sait pas trouver l’information dans les bleus budgétaires. Les mêmes documents, mais relatifs au budget 2025, indiquent qu’il n’y aurait plus que 41 664 ETP. La filière judiciaire a donc perdu un peu plus de 5 000 agents. On nous explique que nous aurions mal compris, mal calculé. Mais ces 5 000 agents en moins, on les retrouve bien dans d’autres cases – l’ordre et la sécurité publics. L’objectif était bien de faire place nette !
Mme Élisa Martin
Et ce n’est pas net !
M. Ugo Bernalicis
Pourquoi évoquer les opérations Place nette ? Au moment de la réforme visant à départementaliser la police nationale, qui a eu de lourdes conséquences sur la police judiciaire, l’objectif assumé du ministre Darmanin était déjà d’améliorer la lutte contre le trafic de stupéfiants. Devant la commission d’enquête de MM. Blanc et Durain, celui qui était alors ministre de l’intérieur – je ne sais pas vraiment si cela a changé – a d’ailleurs déclaré : « L’excuse de dire qu’il faut absolument des enquêtes judiciaires parfaites pour ne pas faire de voie publique, c’est justement ce qui fait me semble-t-il l’inefficacité publique que le Français moyen voit dans la rue. » Il opposait donc très directement les moyens mis sur la voie publique à ceux alloués aux enquêtes judiciaires. (M. Emmanuel Duplessy applaudit.) Par voie de conséquence, on a retiré des moyens à la police judiciaire au profit de la présence sur la voie publique, pour réaliser des opérations Place nette – XXL ou non, cela dépend de l’endroit où vous habitez, des enjeux politiques du moment et des circonstances.
Mme Nathalie Oziol
Ça ne marche pas, c’est de la pure communication !
M. Ugo Bernalicis
Mon collègue Antoine Léaument y reviendra. Vous avez organisé ces opérations, et vous revenez quand même avec un texte de loi sur le narcotrafic : on se demande donc bien à quoi elles ont pu servir.
Mme Nathalie Oziol
À rien !
M. Ugo Bernalicis
N’ont-elles pas fonctionné ? N’est-ce pas justement parce que la police judiciaire ne dispose pas des moyens suffisants pour mener des enquêtes au long cours que tout cela est inefficace ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Nous avons la réponse, puisque c’est vous qui présentez ce texte sur le narcotrafic du haut du spectre : c’est un aveu de votre part. Vous constatez l’échec de la politique que vous menez depuis sept ans, en particulier lorsque M. Darmanin était aux responsabilités.
La situation n’est guère meilleure en ce qui concerne l’économique et le financier. Avec Jacques Maire, j’ai remis en 2019 un rapport d’information consacré à la lutte contre la délinquance économique et financière. Nous avions constaté que les enquêtrices et les enquêteurs étaient trop peu formés et en nombre insuffisant.
J’avais auditionné, à l’époque, les représentants de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), lequel ne comptait que soixante-dix agents. Eux-mêmes nous disaient que pour atteindre leurs objectifs, ils devraient être quatre-vingt-dix. Les recrutements ont été faits, à la va-vite puisque l’attention politique était concentrée sur le sujet. Qu’en est-il en 2025 ? Ils sont soixante-quatorze !
M. Maxime Laisney et M. Antoine Léaument
Waouh !
M. Ugo Bernalicis
Et encore, ils ne sont pas tous officiers de police judiciaire puisque le métier n’est pas assez attractif – et on comprend pourquoi quand on sait qu’il y a 20 euros de différence entre la prime de voie publique et la prime OPJ, voilà qui ne fait pas forcément envie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
Pour ce qui est de l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière, spécialisé dans la lutte contre les circuits de blanchiment – vous entendez tous les jours à la télé qu’il faut frapper les trafiquants au portefeuille et nous l’avons encore entendu tout à l’heure –, combien compte-t-il d’agents ? Soixante-deux – pour la France entière.
Mme Ségolène Amiot
Ah ben, forcément !
M. Ugo Bernalicis
Et c’est avec ça que le parquet national anti-criminalité organisée va fonctionner ? On se pince. Finalement, nous aurons des enquêtes sans enquêteurs et sans enquêtrices, et c’est bien le plus problématique.
M. René Pilato
Eh oui ! Que de la com’ !
M. Ugo Bernalicis
Quant à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’Agrasc, ses moyens se sont améliorés, moyens grâce auxquels le nombre de saisies et de confiscations a augmenté, de même que les rentrées pour l’État. Je me demande donc bien ce qu’on attend pour libérer les vannes, pour recruter davantage de fonctionnaires dans ces services, vu combien ils rapportent par agent. Vous qui cherchez des milliards à tire-larigot, c’est le moment de mettre le paquet – mais il n’en est pas question avec le présent texte.
Je reviens sur le Pnaco puisqu’il semble qu’il y ait un relatif consensus sur la concentration des moyens. Il faut savoir que dans le cadre de la Junalco, la fonction du Pnaco est remplie par le parquet de Paris. Mais les procureurs travaillent sous la coupe des magistrats du siège avec les Jirs, ce qui donne plus de garanties pour une justice efficace et respectueuse des droits et libertés.
Il nous faut absolument un Pnaco, nous dit-on. Ne nous racontons pas d’histoires : pendant les premiers mois, il ne va pas fonctionner comme on l’espère car le temps que les magistrats prennent leur poste, examinent leurs dossiers, il va y avoir un peu de cafouillage, il faut en être conscient, c’est le cas pour toute réforme. Seulement, ce n’est peut-être pas le moment de créer du cafouillage dans la lutte contre la criminalité organisée. Passons.
Il y aura également des problèmes d’absorption des moyens et pas dans le sens où vous l’entendez, monsieur le ministre, ce ne sont pas les moyens des Jirs qui seront aspirés par le Pnaco – de toute façon, dans l’état actuel des choses, il y a trop peu de moyens à aspirer et vous n’avez donc pas d’autre solution que de les augmenter. En fait, tout va être aspiré par la seule lutte contre les stupéfiants. Le texte initial ne portait d’ailleurs pas sur la criminalité organisée mais seulement sur la lutte contre les stupéfiants – le narcotrafic. Évidemment, vos services respectifs, Place Vendôme comme Place Beauvau, se sont agrippés à votre manche pour vous expliquer qu’il y avait tout de même des ramifications entre le narcotrafic et la criminalité organisée, et qu’on ne pouvait pas se contenter de lutter contre l’un sans lutter contre l’autre.
Reste que votre objectif, qui est un objectif de communication, est bien de vous concentrer sur la lutte contre les stupéfiants. Si l’on renforce tout de même les Jirs, quelle est la vraie plus-value d’un Pnaco par rapport à la Junalco ? Je le répète : vous avez un objectif de communication politique – point barre – (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) et de remontée d’informations sur les enquêtes en cours afin que le ministre soit le premier informé d’une enquête lancée n’importe où dans le territoire pour ensuite faire le tour des plateaux télé et jouer les cow-boys.
M. Fabien Di Filippo
C’est tout ce que vous avez trouvé pour masquer vos positions laxistes ?
Mme Danielle Brulebois
C’est creux…
M. Ugo Bernalicis
Or la justice, ce n’est pas le spectacle.
Désolé, monsieur Darmanin, ça tombe sur vous mais les scanners qui manquent – vous étiez alors à Bercy –, c’est vous ! La réforme de la police judiciaire, c’est vous ! Les amendes forfaitaires délictuelles pour les consommateurs de stupéfiants, lesquelles sont inopérantes, c’est vous ! Le logiciel XPN dont le dysfonctionnement ne permet pas aux policiers et aux enquêteurs de faire leur travail, c’est vous !
M. René Pilato
Quelle catastrophe !
M. Ugo Bernalicis
Finalement, pour sortir du piège du narcotrafic, il vaudrait mieux sortir Darmanin du gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Ce serait peut-être plus efficace.
Le texte remet par ailleurs en cause les principes fondamentaux. La surveillance algorithmique a montré son inefficacité, y compris dans la lutte contre le terrorisme. Vous voulez accéder aux conversations cryptées alors que, de toute façon, ce ne sera pas possible. Le renseignement va et vient dans les enquêtes. Le dossier coffre, cerise sur le gâteau, fait des avocats les potentiels complices de ceux qu’ils défendent. Je mentionnerai aussi la loi du soupçon, avec les interdictions de paraître. J’en passe. Voilà qui montre bien les problèmes que vous avez avec l’État de droit, sans parler de vos narcoprisons où la dignité humaine est une variable d’ajustement.
M. Antoine Léaument
Darmanin, narcomique…
M. Ugo Bernalicis
Je l’affirme solennellement : la dignité humaine ne se négocie pas. Nous n’utilisons en effet pas les mêmes armes que les criminels. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) C’est ça, la force de la République et de l’État de droit.
Mme Mathilde Panot
Tout à fait !
M. Ugo Bernalicis
C’est ne pas s’abaisser à de tels comportements.
Mme Elsa Faucillon
Exactement !
M. Ugo Bernalicis
Pour ce qui est de l’étanchéité que vous pensez obtenir des prisons, franchement, ce sera un rêve tant que vous n’aurez pas réglé le problème de la surpopulation carcérale. Il serait d’ailleurs temps d’instaurer un mécanisme de régulation carcérale, ce qui serait bien plus efficace pour le pays. (Mêmes mouvements.)
En conclusion, et je n’oublie pas M. Retailleau, pour sortir le pays du piège du narcotrafic, il faudrait plutôt sortir le pays du piège de votre politique inefficace et dangereuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – MM. Emmanuel Duplessy et Steevy Gustave applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Je ne prendrai que quelques instants, afin que M. Bernalicis ne se sente pas méprisé car il s’est manifestement exprimé comme s’il était dans un groupe de parole. (Sourires.) Il a réussi à s’opposer à un texte qui a fait l’unanimité au Sénat, mesdames et messieurs les députés.
Mme Élisa Martin
Et alors ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Les communistes, les socialistes et les écologistes ont voté ce texte des deux mains. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.) Mais M. Bernalicis, dans une sorte de quart d’heure warohlien, avait très envie de nous parler ce soir de ses nombreux problèmes et qui s’accumulent puisqu’il n’est toujours pas à Beauvau, le pauvre Ugo. (Rires et applaudissements sur de nombreux bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
Il est sans doute temps de revenir au sérieux, c’est-à-dire à la lutte contre le trafic de drogue, et de laisser les élucubrations de M. Manatane ailleurs. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR.)
M. Ugo Bernalicis
Au moins, moi, je n’ai pas un bilan catastrophique !
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Cette intervention de M. Bernalicis était stupéfiante (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes EPR, DR et Dem) et, franchement, je ne pensais pas avoir à entendre ce tissu d’une contre-argumentation qui n’en est pas une.
Vous dites, monsieur Bernalicis, que les leçons que nous avons tirées du terrorisme en créant une chaîne judiciaire spécialisée, en créant un état-major permanent, seraient vaines pour lutter contre le narcotrafic. Or, grâce à cette nouvelle organisation, à ce nouvel arsenal, nous avons pu déjouer quatre-vingt-six attentats. (Mêmes mouvements.)
Mesdames et messieurs les députés, n’écoutez pas cette partie de l’hémicycle qui est celle du laxisme et qui donc ne veut pas vraiment lutter contre le narcotrafic. (Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Danièle Obono
Le laxisme, c’est vous !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Nous, nous le voulons, nous obtenons des résultats et nous en aurons encore plus une fois que ce texte aura été adopté. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
Explications de vote
M. le président
La parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac (LIOT)
Nous aurions préféré que le texte soit un projet de loi plutôt qu’une proposition de loi. Certaines dispositions sont en effet inquiétantes comme celle portant sur le recueil de renseignements ; mais d’autres sont positives comme la confiscation des avoirs. En outre, la suppression de l’article 8 ter est une bonne chose.
M. Antoine Léaument
Il va revenir !
M. Paul Molac
Enfin, pour ce qui est du statut de repenti, nous pourrons l’améliorer en séance.
On pourrait croire que cette proposition de loi n’est qu’un coup de com’ et que l’arsenal législatif en vigueur suffit. Le groupe LIOT ne partage pas cet avis et affirme que nous devons aller plus loin.
Nous ne pouvons pas tolérer que les narcotrafiquants se fassent la guerre à coups de kalachnikovs dans nos quartiers. L’inaction serait coupable.
M. Ugo Bernalicis
Le texte n’y changera rien !
M. Paul Molac
Des centaines d’auditions, un millier d’amendements déposés dont 150 défendus âprement par le groupe LFI-NFP… Nous avons besoin de cette loi…
M. Marc Fesneau
Voilà !
M. Paul Molac
…pour nos forces de sécurité, pour nos élus, pour nos concitoyens, en particulier pour ceux qui habitent dans les banlieues et sont directement sous le coup des narcotrafiquants. Nous ne devons pas faiblir sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe LIOT et sur de nombreux bancs des groupes EPR et Dem.)
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Mme Brigitte Barèges (UDR)
J’avoue que nous ne sommes pas étonnés. Au sein de la commission des lois, dès les premières minutes, vous avez commencé à essayer de détricoter le texte et, aujourd’hui encore, vous tentez de le censurer.
M. Ugo Bernalicis
Oui !
Mme Brigitte Barèges
Vous êtes mal à l’aise avec ce texte.
Mme Ségolène Amiot
Pas du tout !
Mme Brigitte Barèges
Vous êtes mal à l’aise avec l’ordre. Vous prônez toujours l’anarchie ; nous, nous aimons l’ordre, nous sommes pour les victimes et non pour les criminels et nous n’avons pas, au sein de notre groupe, de gens qui consomment des stupéfiants.
Mme Farida Amrani
Vous n’avez pas été condamnée, vous ?
Mme Brigitte Barèges
Je me souviens que l’un d’entre vous a osé, en commission des lois, prôner la dépénalisation du cannabis.
M. Ugo Bernalicis
Sa légalisation !
Mme Brigitte Barèges
Sa légalisation. Ce sont peut-être vos pratiques, ce ne sont pas les nôtres.
Les ambitions du texte ont été quelque peu révisées à la baisse. Soyez assurés que le groupe UDR s’emploiera à le rendre encore plus ferme face aux criminels organisés et face au danger que représente le narcotrafic pour la jeunesse, pour la population et pour notre avenir. Vous ne nous aurez pas à l’usure, nous serons là jusqu’à la fin des débats. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne (RN)
Il n’est pas étonnant que l’extrême gauche (« La gauche ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP) dépose une motion de rejet préalable sur ce texte ô combien important, attendu par les policiers, par les gendarmes, par les douaniers, par les agents pénitentiaires et par les magistrats, qui ont une volonté commune contraire à la vôtre, celle de lutter efficacement contre les narcotrafics et, au-delà, contre les réseaux criminels sous toutes leurs formes. Il y a encore quelques minutes, je discutais avec un magistrat qui me disait que c’était le texte de la dernière chance.
En commission, la gauche, dans sa globalité, mais avec la complicité de plusieurs macronistes, a voulu vider le texte de sa substance en supprimant des dispositions prévoyant l’utilisation de certains moyens technologiques ou encore le dossier coffre destiné à sécuriser des techniques d’enquêtes sensibles.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Vous n’êtes pas capable de faire un truc aussi magistral que Bernalicis !
M. Michaël Taverne
Bref, pendant que les réseaux criminels utilisent des moyens technologiques dernier cri, la gauche propose aux enquêteurs de revenir au papier carbone, à la machine à écrire, au Minitel,…
M. Ugo Bernalicis
Ça, c’est Darmanin, on lui laisse !
M. Michaël Taverne
…de dépénaliser la cocaïne, de légaliser le cannabis et de libérer les détenus – quel beau programme pour les Français !
Messieurs les ministres, le texte a deux inconvénients : d’abord, il arrive un peu tard, alors qu’avec Marine Le Pen et Jordan Bardella, nous alertons les gouvernements successifs depuis des années sur la situation, tout en formulant des propositions sans qu’elles soient reprises, sans que des politiques efficaces soient appliquées. Que du blabla, comme d’habitude.
Enfin, le texte ne va pas assez loin. C’est pourquoi nous avons déposé des amendements de rétablissement d’articles supprimés par la gauche, mais aussi des amendements visant à faire gagner le texte en efficacité.
Monsieur le garde des sceaux, je me souviens que vous avez déclaré, lors de votre prise de fonctions, qu’il fallait collectivement nous réveiller. Oui, réveillez-vous car cela fait trop longtemps que vous dormez. Au Rassemblement national, ne vous inquiétez pas, nous sommes bel et bien réveillés et nous voterons donc contre la motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Sébastien Huyghe.
M. Sébastien Huyghe (EPR)
Malheureusement, je ne suis pas surpris que, fidèles à leurs habitudes, nos collègues du groupe LFI-NFP préfèrent l’obstruction au débat,…
M. Ugo Bernalicis
Ça nous avait manqué !
M. Sébastien Huyghe
…l’invective aux propositions, le dogmatisme à la responsabilité.
Ce texte est attendu, le narcotrafic fait partie des préoccupations majeures des Français et, pourtant, vous nous proposez de l’éluder. Notre rôle de parlementaires est d’œuvrer pour la démocratie en favorisant un débat éclairé. Pourtant, vous nous proposez lâchement l’immobilisme et de faire fi du travail parlementaire.
Le narcotrafic et la criminalité organisée tuent en France et à nos frontières, mais vous nous proposez d’abandonner les victimes à leur sort et de laisser les trafiquants de drogue ainsi que les chefs de réseau criminel prospérer en toute impunité.
L’exigence est immense, les victimes et leurs familles attendent de nous responsabilité et action. Nous devons nous montrer à la hauteur, unis et déterminés pour répondre avec force et clarté.
Votre rejet de principe n’est rien d’autre qu’un aveu d’impuissance car refuser d’examiner un texte, c’est refuser de se confronter à la réalité, c’est fuir ses responsabilités en se réfugiant dans des postures stériles et idéologiques, c’est priver les Français d’un travail parlementaire utile et nécessaire.
Notre groupe assume une autre vision du débat démocratique. Nous croyons au rôle du Parlement, à la richesse des échanges, à la force du compromis lorsqu’il est possible.
Chers collègues, j’en appelle à votre responsabilité de parlementaires. Écartez cette motion de rejet ; vous le devez aux citoyens qui vous ont élus. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin (LFI-NFP)
Nous déposons cette motion de rejet préalable, non pas, comme vous aimeriez le faire croire, parce que nous ne voudrions pas lutter contre ceux que vous appelez les narcotrafiquants,…
M. Laurent Jacobelli
Vous les appelez comment, vos amis ?
Mme Élisa Martin
…mais parce que ce texte ne réglera rien.
Votre texte est voué à l’échec, puisque vous ne traitez pas des causes. Cette idée, bien que simple, vous échappe.
Concernant la consommation, vous ne pensez qu’à interdire et prohiber. Vous vous enferrez dans une voie qui a toujours échoué. Malgré vos politiques répressives, nous sommes le premier pays d’Europe consommateur de cannabis. (M. Antoine Léaument applaudit.)
M. Antoine Léaument
Voilà !
Mme Élisa Martin
Une première réponse serait d’en légaliser la consommation pour que l’État reprenne le contrôle de la situation. Vous couperiez ainsi l’herbe sous le pied des grands criminels. Or vous vous y refusez catégoriquement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Vous ne prévoyez aucun moyen pour mener des politiques sanitaires d’accompagnement des addictions, alors qu’elles touchent de plus en plus de personnes et qu’elles se multiplient pour le plus grand bénéfice et le plus grand bonheur des trafiquants.
Vous n’apportez aucune réponse aux premières victimes du narcotrafic. Pendant que vous vous targuez de fermeté, de tolérance zéro et d’autres éléments de langage creux, vous ne faites rien pour empêcher les jeunes de tomber dans le trafic.
M. Julien Odoul
C’est pathétique !
Mme Élisa Martin
Alors que, et nous le savons, les mineurs en difficulté constituent la cible privilégiée des narcotrafiquants, vous ne prévoyez rien pour la protection de l’enfance, rien pour l’école de la République. (Mêmes mouvements.)
Il faut tarir la demande, prévenir la consommation et lutter contre la précarité de celles et ceux qui deviennent les petites mains indispensables de ces trafics.
M. Laurent Jacobelli
Qu’est-ce que c’est ringard ! C’est d’un gauchisme rance !
Mme Élisa Martin
Au contraire, ce texte continue de nous enfermer dans une spirale sécuritaire inefficace et donc dangereuse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle (SOC)
Nous avons malheureusement manqué de temps pour étudier cette proposition de loi alors qu’elle touche à des points essentiels de notre droit.
Mme Frédérique Meunier
Nous sommes dans l’urgence !
Mme Colette Capdevielle
Nous regrettons qu’il n’y ait pas eu d’étude d’impact sur l’ensemble du texte, qui, de surcroît, n’a pas été examiné dans son intégralité par le Conseil d’État.
M. Julien Odoul
Une étude d’impact ! Pour quoi faire ?
Mme Colette Capdevielle
Le groupe Socialistes et apparentés votera cependant contre cette motion de rejet préalable, tout simplement parce que nous souhaitons débattre de manière approfondie et contradictoire de ce texte, notamment sur certains de ses points clés : le nouveau régime de détention proposé par le gouvernement, voté en commission des lois sans pour autant avoir été préalablement examiné au Sénat, ce que nous regrettons, le retour des Imsi-catchers et la visioconférence généralisée.
Nous voudrions par ailleurs sanctuariser les apports de la commission des lois, en combattant la réintroduction de l’article 8 ter relatif aux messageries cryptées, en confirmant la suppression du dossier coffre, la fin de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour la criminalité organisée, c’est-à-dire le plaider-coupable criminel, et l’annulation du prolongement à cent-vingt heures du délai des gardes à vue pour les mules. (Mme Estelle Mercier applaudit.)
Nous souhaitons une discussion en séance sur les points clés de la proposition de loi pour que ce texte permette à la fois – si ce n’est « en même temps », pour reprendre une expression maintenant bien connue – de lutter efficacement contre le trafic de produits stupéfiants et de respecter les grands principes du droit et de la procédure pénale. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. le président
La parole est à M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix (DR)
Monsieur Bernalicis, j’ai écouté avec attention vos quinze minutes d’intervention…
Mme Élisa Martin
Tant mieux !
M. Olivier Marleix
…et je constate qu’il y a un mot que vous n’avez pas prononcé, celui de « victime ». Pourtant, la drogue fait des victimes. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme Élisa Martin
Il n’y a rien sur elles dans le texte !
M. Olivier Marleix
Vous êtes visiblement les seuls à ne pas vous intéresser aux victimes de la drogue et le spectacle que vous avez donné en commission a créé l’impression que vous vous préoccupiez davantage de garantir les droits des narcotrafiquants que de prévenir les drames qui frappent notre société. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme Élisa Martin
Il n’y a rien sur les victimes dans le texte !
M. Olivier Marleix
Pourtant, s’il y a une criminalité que l’on peut éradiquer, c’est bien le trafic de drogue, parce qu’il est organisé en réseaux. Son éradication n’est qu’une question de volonté et de moyens. Ce n’est pas le cas de toutes les criminalités.
M. Ugo Bernalicis
L’histoire vous donnera tort ! Comme toujours !
M. Olivier Marleix
Visiblement, ce n’est pas votre volonté. Nous soutiendrons le texte et voterons contre votre motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. le président
La parole est à M. Emmanuel Duplessy.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS)
Depuis de longues années, la France est l’un des pays les plus consommateurs de stupéfiants en Europe. La consommation augmente, ainsi que les violences, qu’elles soient liées ou non au trafic.
M. Julien Odoul
C’est la faute de la gauche française !
M. Emmanuel Duplessy
Nous ne réglerons pas ce problème majeur à coups de communications politiques et de remises en cause des droits et libertés fondamentaux.
Les dernières années démontrent que le tout-répressif ne marche pas. La France est championne d’Europe en matière de consommation de cannabis, malgré la politique la plus répressive du continent.
Le groupe Écologiste et social considère que l’augmentation de la précarité et la dégradation de la santé mentale des Français sont les premiers facteurs de l’augmentation de la consommation de stupéfiants.
M. Laurent Jacobelli
Toujours dans l’excuse !
M. Emmanuel Duplessy
Ajoutez à cela la quasi-absence de toute forme de prévention et le démembrement de services sociaux tels que l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et vous obtenez une bonne partie des raisons de l’échec de vos politiques pénales successives.
Il est pourtant possible de frapper là où cela fait mal, au porte-monnaie des criminels, en ciblant les circuits financiers et logistiques des trafiquants, en remontant l’itinéraire de l’argent, en luttant contre le blanchiment et en faisant tomber les têtes de réseau et les voies d’approvisionnement. Telles devraient être nos priorités car une nouvelle étape dans la surenchère pénale ne réglera rien.
M. Charles Rodwell
Elle a été votée au Sénat !
M. Emmanuel Duplessy
En commission, nous avons en partie travaillé de manière transpartisane et sans obsession sécuritaire, ce qui a permis d’aboutir à un texte pertinent, dont la majorité des dispositions est conforme à la Constitution. Nous continuerons à défendre l’idée qu’il faut d’abord combattre le haut du panier et s’en donner les moyens, et nous bataillerons pour que les mesures inconstitutionnelles qui restent dans le texte soient retirées.
M. Charles Rodwell
Elles ont été votées au Sénat !
Mme Élisa Martin
Et alors ?
M. Emmanuel Duplessy
Parce que nous souhaitons que le débat ait lieu, nous ne voterons pas cette motion de rejet préalable. Collègues du socle commun, nous en appelons toutefois à la responsabilité : ne tombez pas dans le piège de l’illibéralisme et des fausses solutions tendu par l’extrême droite et les prétendus Républicains, qui expliquent ne se distinguer de ce parti que sur les questions économiques. Si l’état du droit peut évoluer, l’État de droit est quant à lui intangible en République, si ce n’est sacré. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – Mme Elsa Faucillon applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz (Dem)
Comment concevoir de refuser encore une fois le débat, alors que nous partageons le même constat ? Nous sommes tous d’accord pour admettre que le narcotrafic représente une menace croissante, multiforme, existentielle et majeure en France.
Au-delà du problème préoccupant de santé publique qu’il pose, il plonge des dizaines de milliers de nos concitoyens dans la peur et fait parfois d’eux des victimes collatérales de la guerre des gangs.
Bien sûr, nous pouvons ne pas être d’accord sur les réponses à apporter et estimer, comme vous l’avez déclaré en commission, que la réponse phare devrait être la légalisation du cannabis – je doute de l’efficacité de cette mesure, puisque les trafiquants adaptent en permanence leur modèle économique. Discutons-en.
Mme Ségolène Amiot
Vos solutions sont inefficaces et inutiles !
Mme Anne Bergantz
Vous avez déjà voté contre ce texte en commission et vous ferez probablement de même en séance. C’est votre droit, mais ne nous empêchez pas de débattre.
En réalité, avec cette motion de rejet préalable, vous dites aux Français que face à l’expansion continue de la criminalité organisée et aux menaces qu’elle fait peser sur leur quotidien, il n’est pas besoin de faire évoluer le droit et que vous n’avez pas l’intention de chercher à mieux les protéger.
Vous dites aux magistrats et aux enquêteurs que face au recours toujours plus massif des dealers aux nouvelles technologies, il n’est pas besoin de moderniser nos outils judiciaires et nos procédures, ni d’améliorer la coordination de nos services de police et de justice, et qu’ils n’ont qu’à se débrouiller avec des outils du siècle dernier.
Mme Ségolène Amiot
Pas besoin de loi pour changer les outils !
Mme Anne Bergantz
Vous dites aux narcotrafiquants qu’ils peuvent continuer leur business, que vous ne ferez rien de plus pour les en empêcher et qu’ils peuvent se rassurer car ils auront le loisir de continuer à communiquer en toute discrétion. Voilà le sens de votre motion de rejet préalable à laquelle Les Démocrates s’opposeront, évidemment. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Dem et EPR.)
M. Éric Martineau
Excellent !
M. le président
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès Firmin Le Bodo (HOR)
En déposant ces deux motions de rejet préalable, le groupe LFI nie la réalité de la violence exacerbée et désinhibée du narcotrafic, du besoin impérieux de renforcer notre arsenal juridique pour aider les magistrats, de la nécessité d’adapter nos moyens pour accompagner les agents qui luttent contre le narcotrafic, du sentiment légitime de disparition de la République qu’éprouvent certains de nos concitoyens dans les quartiers qu’ils habitent. Ce faisant, il fait fi des victimes, comme Olivier Marleix l’a rappelé, victimes parce qu’elles ont sombré dans la consommation, victimes parce qu’elles ont lutté contre le trafic – je m’associe à M. Darmanin qui a rappelé le souvenir des deux agents pénitentiaires tués au péage d’Incarville – ou encore victimes parce qu’elles ont cédé à la corruption – l’élue portuaire que je suis a une pensée pour ce docker lâchement assassiné dans le port du Havre il y a quelques mois, et pour sa famille.
M. Ugo Bernalicis
Votre texte ne parle pas des victimes ! Il aurait fallu le lire !
Mme Agnès Firmin Le Bodo
Pour toutes ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera contre cette motion de rejet préalable.
M. Ugo Bernalicis
C’était bel et bien de la justification !
Mme Agnès Firmin Le Bodo
Nous sommes là pour légiférer. Nous le devons aux citoyens car c’est un texte absolument nécessaire et attendu. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR ainsi que sur quelques bancs du groupe EPR.)
(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
Motion de rejet préalable (proposition de loi organique)
M. le président
J’ai reçu de Mme Mathilde Panot et des membres du groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire une motion de rejet préalable déposée en application de l’article 91, alinéa 5, du règlement.
La parole est à M. Antoine Léaument.
M. Antoine Léaument
Par cette proposition de loi organique, vous prétendez sortir la France du piège du narcotrafic. Quand bien même nous partageons l’objectif affiché par le titre – à même de rassembler notre assemblée –, celui-ci s’avère trompeur, car vous échouerez.
Après un an et demi de collaboration avec M. Ludovic Mendes, en tant que rapporteurs de la mission d’information visant à évaluer l’efficacité de la politique de lutte contre les trafics de stupéfiants, je constate qu’un mot est absent de votre proposition de loi, celui de « consommation ». Or toutes les personnes que nous avons auditionnées nous l’ont affirmé : ne pas aborder le sujet de la consommation, c’est continuer d’essayer de vider la mer avec une petite cuillère.
Votre texte n’en parle pas, parce que votre objectif est de ne pas dévier du chemin dans lequel vous vous êtes engagés, quitte à aggraver encore davantage les conséquences d’une politique en échec. La France, malgré sa politique la plus répressive d’Europe, détient le taux de consommation le plus élevé : 50 % de la population française admet avoir déjà consommé du cannabis, 10 % de la cocaïne et 10 % de l’ecstasy. Vous n’avez rien dit de tout cela, et quand je vous en parle, vous n’écoutez pas – n’est-ce pas monsieur le ministre ? Cela ne vous intéresse pas ?
M. Gérald Darmanin, ministre d’État
Ce n’est pas grave : je fais ce que je veux !
M. le président
Monsieur Léaument, n’interpellez pas les membres du gouvernement. Je vous prie de continuer.
M. Fabien Di Filippo
On l’écoute seulement parce que nous y sommes obligés.
M. Antoine Léaument
Je me permets seulement de dire que si l’on souhaite sortir la France du piège du narcotrafic, il faut parler de la réponse pénale qui y est apportée : 83 % des mesures sont dirigées contre les consommateurs. Vous avez l’impression de lutter contre le haut du spectre du trafic mais ce n’est pas du tout le cas.
Monsieur Marleix, vous nous avez reproché de ne pas parler des victimes. Précisément, nous en parlons – 110 morts l’année dernière, 139 l’année précédente – ; mais ce n’est pas nous qui sommes au pouvoir, c’est vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) La proposition de loi comptait quatre-vingt-dix-sept pages lorsqu’elle est arrivée en commission, elle en compte désormais environ quatre-vingts. Savez-vous quel mot est absent du texte ? Celui de « victime ». (Mêmes mouvements.) Nous en parlons à la tribune de l’Assemblée nationale ; vous n’en parlez même pas dans votre texte, alors que vous prétendez sortir la France du piège du narcotrafic.
Voici votre bilan – il est catastrophique ! (Mme Mathilde Panot applaudit.) Vous faites des opérations Place nette qui portent bien mal leur nom, car si elles faisaient réellement place nette, il n’y aurait plus rien. Or en 2023, vous en avez mené 20 000, pour 3 000 points de deal. Comment se fait-il qu’il y ait plus d’opérations Place nette que de points de deal ? Serait-ce parce que les points de deal reviennent ? Je n’ose le croire, monsieur Darmanin. (Mme Élisa Martin applaudit.)
Peut-être est-ce parce que vous ne luttez pas réellement contre le haut du spectre et que vous vous contentez depuis des années de mesures inefficaces. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Au fond, vous vous contentez d’arrêter les vendeurs des supermarchés de la drogue, sans jamais faire fermer les grossistes, les capitalistes ou les multinationales de la drogue (Mêmes mouvements. – Mme Sandra Regol applaudit également), car votre action est inefficace sur ce point. Croyez bien que je le regrette car, précisément, nous nous soucions des victimes. Nous en avons par-dessus la tête de voir nos jeunes se faire tuer par les trafiquants. Nous aimerions beaucoup que la politique menée soit efficace pour arrêter ces morts. Personne ne peut se satisfaire de voir des gamins torturés, tués ou entraînés dans le piège du narcotrafic. Mais de cela, vous ne parlez pas. (Mêmes mouvements.)
M. Pouria Amirshahi
Très bien, Léaument !
M. Antoine Léaument
Vous n’en parlez pas, sinon pour faire des effets de manche en nous accusant, nous, de laxisme, comme M. Retailleau l’a fait tout à l’heure. Nous ne sommes pas laxistes ; nous proposons des solutions qui fonctionnent.
M. Retailleau a dit qu’il fallait trouver un équilibre entre la sécurité et la liberté. Il a prononcé ces mots dans un endroit très approprié car il y a devant vous, chers collègues, deux immenses statues. Regardez-les ! À votre gauche, la liberté ; à votre droite, l’ordre public. Si elles ont été placées ici, c’est pour inviter le législateur à toujours chercher l’équilibre entre les deux, entre la liberté d’un côté et l’ordre public de l’autre. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Que faites-vous, législateurs, lorsque vous croyez un ministre qui ment ? M. Retailleau, après avoir ouvert son discours par une blague qu’il m’a piquée – au sujet des choses stupéfiantes –, a commencé par mentir. Il a fait les gros bras, il a promis de frapper les caïds de la drogue d’interdictions administratives qui les empêcheront de paraître sur les points de deal et de semer le trouble dans les appartements. Eh bien, je vais vous expliquer, chers collègues législateurs, pourquoi M. Retailleau est plutôt du côté de l’ordre public que de celui de la liberté.
Mme Béatrice Roullaud
La première des libertés, c’est de pouvoir travailler en sécurité !
M. Antoine Léaument
Non, c’est l’inverse : la première des sécurités, c’est la liberté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Je comprends que le Rassemblement national ait des difficultés avec cette idée, puisque ses députés nous ont reproché en commission de trop parler des libertés. Eh bien, nous parlerons des libertés jusqu’à notre mort, s’il le faut, même si elle devait venir de votre côté.
M. Ugo Bernalicis
La liberté ou la mort !
M. Antoine Léaument
Oui, la liberté ou la mort. C’était un slogan de la Révolution, et encore aujourd’hui, nous ne disons pas autre chose.
Non, les interdictions administratives dont a parlé M. Retailleau ne viseront pas les caïds condamnés. Elles sont fondées sur le soupçon.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Et sur la condamnation ! Les deux !
M. Antoine Léaument
Sur le soupçon aussi, donc. Vous dites « les deux », monsieur le ministre ; vous reconnaissez ainsi que des interdictions administratives seront prononcées sur la base du soupçon. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, fait un geste de dénégation.) Si ! Vous avez dit « les deux ». J’espère que cela sera noté au compte rendu.
M. le ministre vient de dire que, sur la base du soupçon, on pourra interdire nominativement à des gens de paraître dans l’espace public. « Monsieur Machin, madame Truc, vous n’aurez pas le droit de paraître ici pendant un mois. »
Un député du groupe RN
Abrège !
M. Antoine Léaument
Sur la base du soupçon également, le préfet pourra demander au bailleur social de rompre un contrat de location avec une personne dont il pense qu’elle a participé au trafic de stupéfiants. Entendez bien, vous qui écoutez nos débats en dehors de l’Assemblée nationale, ce que dit M. Retailleau : il veut faire annuler des contrats de location sur la seule base du soupçon et, puisqu’il parle des bailleurs sociaux, il vise les habitants des quartiers populaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Enfin, messieurs les ministres, il va me falloir défendre à votre place le droit de propriété, au risque de me faire huer par mes collègues de La France insoumise.
M. Ugo Bernalicis
Oh non ! Bouh !
M. Antoine Léaument
L’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que la propriété est un droit inviolable et que « nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Or vous avez prévu de rendre possible la fermeture administrative de commerces suspectés de participer au trafic de stupéfiants. Quand, en commission, nous avons demandé sur quoi ce soupçon pouvait être fondé, on nous a littéralement répondu : « Cela se sait. » Les débats promettent d’être sympathiques !
Vous allez fermer des commerces pendant six mois sur la base du seul soupçon. C’est complètement improductif, car une personne qui participerait effectivement au trafic de stupéfiants pourrait alors être indemnisée par les trafiquants, tandis que celles qui n’y participent pas subiraient des difficultés économiques en raison de la fermeture. Vraiment, c’est brillant ! En outre, vous faites ainsi la démonstration que vous ne comptez lutter que contre le bas du spectre ; où sont les grands trafiquants, les caïds ?
Mme Danièle Obono
Hors de France !
M. Ugo Bernalicis
À Dubaï !
M. Antoine Léaument
Ils ne sont pas là.
Enfin, avec votre système de backdoor, on nage en plein délire ! Vous voulez permettre la surveillance d’une partie des conversations. D’une part, c’est un risque pour les libertés. D’autre part, cela augmente le nombre de fragilités numériques pouvant être exploitées lors des actions d’ingérence étrangère. Enfin, c’est inefficace pour lutter contre les trafiquants, puisque l’expérience des messageries Sky ECC, Encrochat, ou encore Matrix – je remercie la gendarmerie française et la police judiciaire d’avoir réussi à les décrypter (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) – a montré que les trafiquants se soucient d’utiliser des moyens de communication qu’ils considèrent comme sûrs. Si vous leur annoncez que vous avez installé des dispositifs qui mettent en cause la confidentialité de leurs communications, alors vous n’aurez plus aucun moyen de les surveiller.
Mme Élisa Martin
Bien sûr ! Ils feront autrement !
M. Antoine Léaument
Je vais vous dire ce qu’il faudrait faire, à mon avis, pour sortir la France du piège du narcotrafic. Il faudrait considérer enfin le trafic de stupéfiants comme un marché ultracapitaliste. Mme Firmin Le Bodo a parlé de déni de réalité,…
M. Paul Christophe
Eh oui !
M. Antoine Léaument
…mais c’est vous qui le commettez en ne traitant pas la question des trafics, c’est-à-dire de l’offre et de la demande. Pour lutter contre l’offre, il faut installer des scanners dans les ports – mon collègue Bernalicis l’a rappelé –, il faut mettre des moyens dans la lutte contre le blanchiment ou dans la lutte contre la corruption. Cela implique des formations obligatoires, que notre groupe a fait ajouter au texte par voie d’amendement lors de l’examen en commission des lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Ugo Bernalicis
Exactement !
M. Antoine Léaument
Il faut enfin des moyens logiciels pour la police et pour la justice. Je commence à en avoir un peu assez…
M. Éric Bothorel
Nous aussi !
M. Antoine Léaument
…d’entendre vos leçons sur la police, alors que vous n’avez pas été capables, en huit ans, de donner à la police nationale un logiciel efficace de rédaction des procédures pénales. Huit ans de travail, 20 millions d’euros envoyés à Capgemini, toujours pas de logiciel pour la police nationale ! Commencez donc par donner des logiciels qui fonctionnent à la police et à la justice, qui en a aussi bien besoin.
Il faut aussi rétablir la police de proximité, que M. Narkozy a supprimée. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Il faut surtout lutter contre la demande, dont vous n’avez rien dit. Cela implique de faire de la prévention pour éviter l’entrée dans la consommation ; d’en faire également, une fois que les gens sont entrés dans la consommation, pour réduire celle-ci ; de permettre enfin aux personnes dépendantes de sortir de la dépendance. Trois ministres sont présents devant nous ce soir, mais il en manque ! Il manque la ministre de la santé. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Cela dit, il faudrait pour cela commencer par sortir de l’hypocrisie. Si nous marchons trente ou quarante mètres, nous trouverons, à l’intérieur même de l’Assemblée nationale, un lieu légal de vente de drogue : la buvette, qui vend de l’alcool. (« Ah ! » sur divers bancs.) Ah, l’alcool, l’autre grande menace pour la sécurité des Français ! Quand je rends visite aux gendarmes, ils me disent que leurs pics d’activité se situent le vendredi soir et le samedi soir, en raison de l’augmentation de la consommation d’alcool, ou encore que les violences intrafamiliales sont très liées à l’alcool. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Face à cette consommation, quel est notre réflexe ? Faire de la prévention. La prévention fonctionne pour lutter contre l’alcoolisme ou contre le tabagisme ; elle fonctionne aussi pour faire baisser la consommation de stupéfiants.
Enfin, il faut une politique globale en la matière. Nous ne pourrons pas débattre de la légalisation du cannabis puisque nos amendements ont été jugés irrecevables, mais elle aurait été un moyen de dégager la France du piège du narcotrafic. Elle aurait permis, premièrement, de sortir une immense manne financière des mains des narcotrafiquants (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) ; deuxièmement, de faire entrer dans les caisses de l’État l’argent nécessaire à des politiques de prévention ; troisièmement, de concentrer les moyens de police et de justice sur la lutte contre le trafic de cocaïne, qui est un fléau ; quatrièmement, d’éviter le passage à d’autres types de consommation. En effet, contrairement à ce que vous dites, on ne peut pas compter sur les dealers pour faire de la prévention : ils ont tout intérêt à amener les consommateurs vers la consommation de cocaïne, substance plus rémunératrice pour eux car vendue plus cher et créant plus de dépendance.
Comme vous le voyez, nous avons, nous, des mesures pour sortir la France du piège du narcotrafic. Vous riez beaucoup ; commencez à écouter. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Sur la motion de rejet préalable, je suis saisi par les groupes Rassemblement national et Droite républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Explications de vote
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Mme Karen Erodi
La condamnée !
M. François Piquemal
Rendez l’argent public !
Mme Brigitte Barèges (UDR)
Comme je l’ai dit à l’occasion de la motion précédente, ces motions s’expliquent par les éternelles pulsions de censure de nos collègues d’extrême gauche. Après avoir échoué à détricoter entièrement le texte en commission de lois comme elle en a l’habitude, l’extrême gauche souhaite tout faire pour étouffer le débat relatif au narcotrafic et au crime organisé.
M. René Pilato
Après un discours brillant, en voilà un qui ne brille pas beaucoup !
Mme Brigitte Barèges
Qui voulez-vous protéger ? La proposition de loi organique dont nous débattons n’est certes pas le grand soir de la lutte contre le crime organisé dont notre pays aurait tant besoin. Elle est sans doute perfectible ; à cet égard, le réflexe de centralisation parisien pourrait être interrogé.
M. René Pilato
Rendez-nous Valérie Rabault !
M. François Piquemal
Rendez l’argent !
Mme Brigitte Barèges
Comme cela a été évoqué en commission, placer le Pnaco à Marseille, par exemple, ou à Lyon aux côtés d’Interpol, pourrait avoir du sens, tant les juridictions parisiennes sont déjà embolisées. Cependant, la création du Pnaco constitue à n’en pas douter un pas dans la bonne direction, car cette structure est dédiée au haut du spectre de la criminalité, qui est susceptible de déstabiliser rien de moins que l’État tout entier.
Face à l’hydre de la criminalité organisée, notamment dans le domaine du narcotrafic, il faut avoir le sens des responsabilités et se mettre au travail. C’est ce que feront Éric Ciotti et l’ensemble du groupe UDR, aux côtés de ses alliés du Rassemblement national. Nous sommes au travail au service des Français. Nous entendons débattre en toute transparence, devant les Français, pour améliorer ces deux importantes propositions de loi. Pour toutes ces raisons, nous voterons sans hésitation contre cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR et sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne (RN)
Merci, monsieur Léaument, pour cette belle prose qui, je l’avoue, m’a beaucoup intéressé, en particulier quand vous avez indiqué remercier les policiers et les gendarmes – ça changera puisque vous les insultez du matin au soir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
M. Antoine Léaument
Seulement quand ils tiennent des propos racistes !
M. Michaël Taverne
Coordination et spécialisation pour une meilleure efficacité, voilà ce qui doit nous inciter à voter la création d’un parquet national anti-criminalité organisée. Les multiples mesures prévues permettront d’être plus efficaces contre la criminalité organisée. Lors de la création du parquet national antiterroriste, des voix s’élevaient pour protester contre un dispositif qui ne servirait à rien, mais à présent le Pnat n’est plus contesté et personne ne veut sa suppression.
Monsieur le garde des sceaux, comme je l’ai dit précédemment, il faut collectivement se réveiller. Vous avez raison, et je rappelle que l’initiative du parquet national antiterroriste est celle d’un député du Rassemblement national, Jean-Paul Garraud, qui avait effectivement un temps d’avance sur vous.
Pour les députés qui connaissent la vraie vie, sur le terrain, notamment celle des magistrats et des policiers, la création du Pnaco est indispensable. Nous voterons donc bien évidemment contre cette motion de rejet préalable, comme nous l’avons fait contre la précédente. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Sébastien Huyghe.
M. Sébastien Huyghe (EPR)
Une fois encore, nous assistons à une tentative de blocage avant même le début du débat. Une motion de rejet préalable marque le refus d’entendre, d’amender et de construire. Cette fois-ci, vous prenez le prétexte de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti-criminalité organisée. Chers collègues Insoumis, les Français ne sont pas dupes ; vos électeurs ne sont pas dupes. Je vous laisserai expliquer aux familles endeuillées, aux victimes de la drogue et de la violence pourquoi vous choisissez d’obstruer les débats parlementaires, pourquoi vous choisissez de laisser les chefs de réseau, les blanchisseurs, les financiers du crime prospérer sur leur misère. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Antoine Léaument
Non, c’est vous ! Heureusement que nous sommes là !
M. Sébastien Huyghe
Je vous laisserai porter cette responsabilité, celle de l’immobilisme, lorsque vous retournerez dans vos circonscriptions respectives. De notre côté, nous n’avons jamais fait ce choix, parce que nous savons quel est notre rôle et nous savons que représenter les Français, c’est avoir le courage de défendre ses idées et de porter des textes jusqu’au vote dans l’hémicycle. Nous refusons l’immobilisme, l’obstruction systématique et les postures stériles. Ce texte mérite d’être débattu, amélioré et adopté.
Les questions régaliennes divisent souvent l’hémicycle mais, face à un enjeu d’une telle gravité, nous avons le devoir de chercher des points de convergence. Chers collègues, contribuons ensemble à œuvrer pour notre démocratie, pour celles et ceux qui nous ont élus et qui attendent de la responsabilité de notre part. Écartons ensemble cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis (LFI-NFP)
J’entends beaucoup parler du nombre de morts liés au trafic de stupéfiants. Mais savez-vous, chers collègues, que là où le nombre de morts liés à ce trafic a diminué, ce sont précisément les endroits où des politiques publiques ont été déployées pour la légalisation ou la dépénalisation et pour la prévention ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Plusieurs députés du groupe EPR
À Grenoble ?
M. Ugo Bernalicis
Voilà quels sont les pays qui ont réussi à atteindre des objectifs de diminution de la violence et du trafic… (Protestations sur les bancs des groupes RN et EPR.)
M. Laurent Jacobelli
C’est totalement faux !
M. Ugo Bernalicis
…et vous le savez parfaitement. Si vous ne le saviez pas, lisez le rapport Léaument-Mendes, vous en saurez davantage. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
On nous parle des victimes, mais savez-vous, chers collègues, qu’en centralisant la procédure grâce au parquet national anti-criminalité organisée, ce sont aussi les victimes qui devront faire plusieurs heures de route pour aller voir le juge d’instruction et obtenir des nouvelles de leur affaire, qui devront se déplacer pour le procès, trouver une chambre d’hôtel, s’organiser pour plusieurs jours, parce que la justice ne sera plus territorialisée. Croyez-vous vraiment que dans les Jirs, on soit si mauvais qu’il y ait une nécessité de concentrer les moyens ? Non, pas du tout.
Peut-être votre inquiétude tient-elle au manque de coordination dans les informations. Ainsi M. Darmanin soulignait que, dans le cas de l’affaire Amra, trois Jirs suivaient les dossiers, sous-entendant, je suppose, qu’elles ne communiquaient pas entre elles. Et pour cause, car il n’y avait pas de logiciel pour communiquer entre elles il y a deux ans, puis on a déployé un nouvel outil, dans Cassiopée, le logiciel de la justice, mais il ne fonctionne pas.
Les Jirs ne parviennent donc pas à communiquer entre elles. Ce n’est pas qu’elles ne le veulent pas. J’ai appris lors d’une audition qu’elles avaient créé un forum dédié et sécurisé pour discuter entre elles, sans l’aide de l’administration du ministère de la justice.
M. Laurent Jacobelli
On ne comprend rien !
M. Ugo Bernalicis
Le fonctionnement actuel du pays relève de l’artisanat. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Et ça, c’est votre responsabilité politique, car c’est vous qui êtes au gouvernement depuis sept ans. Nous pensons effectivement que ce texte n’est pas opportun, car il sera inefficace et dangereux. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix (DR)
Monsieur Léaument, vous nous demandez de ne pas nous en prendre aux petits dealers, aux petits trafiquants…
M. Antoine Léaument
Non, je n’ai pas dit ça.
M. Olivier Marleix
…mais de nous attaquer au haut du spectre,…
M. Antoine Léaument
Oui !
M. Olivier Marleix
…aux multinationales de la drogue. Nous sommes entièrement d’accord avec vous. C’est justement l’objet de ce texte.
M. Antoine Léaument
Non !
M. Olivier Marleix
Il nous permettra de disposer de nouveaux moyens d’investigation, en utilisant des algorithmes, en décryptant les messages ou en écoutant les communications satellitaires. C’est bien pour s’attaquer au haut du spectre que nous avons besoin de ce texte.
Mais en réalité, haut du spectre ou bas du spectre, à LFI tout est bon pour ne jamais s’attaquer au trafic de drogue. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe DR.) Vous devriez écouter un peu plus les habitants des quartiers populaires…
M. Antoine Léaument
Pourquoi votent-ils pour nous ?
M. Olivier Marleix
…que vous êtes censés représenter. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Ils sont les premiers à réclamer de l’ordre et à nous demander de combattre le trafic de drogue.
Mme Élisa Martin
Vous ne faites rien !
Mme Émilie Bonnivard
Oh, vous, ça suffit !
M. Olivier Marleix
Ce sont les mères qui ne veulent pas voir leurs enfants grandir au milieu des trafiquants de drogue. Nous avons donc besoin de ces outils et de ce texte, mais pas de votre motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi (EcoS)
Nous ne voterons pas cette motion de rejet préalable. Cependant, je voudrais vous alerter, messieurs les ministres Retailleau et Darmanin, car ce n’est pas une façon de s’adresser à des parlementaires. Vous qui avez été des parlementaires aguerris pendant de longues années, vous adoptez une posture désinvolte et satisfaite, lorsque nous vous adressons des remarques et des critiques, alors que celles-ci ont fait l’objet des discussions en commission pendant toute une semaine, et que, contrairement à ce que vous affirmez, elles ne viennent pas que d’un seul groupe. Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui défendraient les délinquants – nous n’admettons pas l’injure – et, de l’autre, ceux qui défendraient l’ordre. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.) La vérité, c’est que, dans ce débat qui a été de qualité, des députés de vos propres rangs ont voté avec nous…
M. Antoine Léaument
Exactement !
M. Pouria Amirshahi
…pour adopter des dispositions défendant les droits et les libertés. Lorsque des parlementaires vous disent que cette proposition de loi organique est inefficace, vous devriez les écouter. En effet, lorsque nous estimons que nous ne nous donnons pas les moyens d’aller chercher l’argent là où il est, après avoir étudié ces questions et, pour certains d’entre nous, établi des rapports, vous devriez nous écouter.
De même, lorsque nous vous expliquons qu’un principe essentiel dans ce pays, car nous sommes encore dans un État de droit, est la défense des droits et des libertés, dont les droits de la défense, et que l’attachement à ces principes n’exclut pas du tout de chercher à capturer les chefs des grands trafics, vous devriez aussi nous écouter, car pour défendre l’État de droit, il faut le prôner et le clamer plutôt que le piétiner.
Enfin, vous devriez écouter nos alertes au sujet du tout carcéral, cette vision qui consiste à penser la peine comme un châtiment,…
M. Laurent Jacobelli
Mais c’est ça, exactement !
Mme Émilie Bonnivard
Bah oui, ça fait partie de la loi aussi !
M. Fabien Di Filippo
Oh là là !
M. Pouria Amirshahi
…qui doit faire mal, alors que celles et ceux qui font mal, ce sont les trafiquants et les chefs des réseaux organisés. Ceux-là ne commettent pas des crimes en se demandant s’ils vont prendre cinq ans de plus ou de moins. Ceux-là sont tranquilles pour le moment, car ce qui nous manque, au-delà d’une administration et d’une juridiction mieux identifiée, dont nous sommes partisans, ce sont des moyens supplémentaires et une volonté politique qui, jusque-là, a fait défaut chez vous. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz (Dem)
Chers collègues Insoumis, vous présentez encore une motion de rejet préalable. Ce soir, vous n’en présentez pas une mais deux. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Antoine Léaument
Il y a deux textes !
Mme Anne Bergantz
De façon extraordinaire, en dépit des chiffres implacables en matière de violences dues au narcotrafic, vous nous rétorquez : « Circulez, il n’y a rien à voir ! », car il ne s’agirait que de soixante-deux individus. En dépit des saisies de drogue colossales que les douanes et les forces de l’ordre parviennent à réaliser, vous nous rétorquez qu’il n’y a pas besoin de loi, et que la proposition de loi organique que nous présentons ne serait qu’un texte d’affichage.
Votre motion de rejet préalable ne répond qu’à une seule logique, la volonté d’empêcher les débats, de bloquer même les mesures les moins clivantes. Ce texte est, quoi que vous en pensiez, attendu par nos concitoyens, les policiers, les douaniers, les magistrats, les maires. Alors, mes chers collègues, allons à l’essentiel : repoussons cette motion. (« Bravo ! » et applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. le président
La parole est à Mme Naïma Moutchou.
Mme Naïma Moutchou (HOR)
Nous examinons un texte sur le narcotrafic, texte important car il vise à apporter une réponse à une situation particulièrement brutale. Des quartiers entiers sont pris dans le trafic de drogue, des familles sont menacées, des témoins sont mis sous pression, les forces de l’ordre et des locaux sont pris pour cible, des adolescents et des enfants sont enrôlés très tôt – nous en avons parlé – pour commettre des crimes.
Mme Élisa Martin
Oui !
M. Ugo Bernalicis
Rien dans le texte !
Mme Naïma Moutchou
Il y a des règlements de comptes. On sait très bien que le narcotrafic n’est pas seulement un trafic. On n’en est plus à gérer les points de deal, mais nous parlons d’un système entier qui déstabilise et qui fracture les territoires. Comment alors peut-on choisir de ne pas débattre sur un sujet aussi fondamental ? Comment imaginer présenter deux fois la même motion de rejet préalable – car c’est la même et vous les voterez seuls, d’ailleurs – pour soutenir que le danger n’est pas le narcotrafic mais le débat parlementaire ? Faire cela sur un sujet pareil, c’est un exploit. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.) Évidemment, ce sujet important ne peut pas être éludé, car on imagine bien le signal désastreux qui serait envoyé à ceux qui veulent que la représentation nationale agisse, tels que les maires, les habitants des quartiers, les magistrats et les victimes. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Cela a été souligné, le Sénat a voté à l’unanimité ce texte – y compris les forces politiques de gauche. En réalité, il ne s’agit pas d’un texte partisan, qui opposerait un camp à un autre. Le débat est bien sûr légitime et l’Assemblée nationale ne va évidemment pas se museler. Je le dis à mon collègue Léaument, débattons des sujets qu’il a mis sur la table, à mon collègue Bernalicis, parlons des Jirs, de la Junalco, de la police judiciaire, de votre projet de légalisation du cannabis, de dépénalisation de la cocaïne. Ce sera mieux que ce qui sous-tend le comportement de LFI et qui se résume en un mot : l’inaction. Nous rejetons évidemment cette motion de rejet préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR ainsi que sur quelques bancs des groupes EPR et DR.)
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle (SOC)
Les questions posées par le groupe LFI sont des questions sérieuses, qui méritent d’être débattues. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et SOC.) Dans d’autres pays, on en débat sans que cela pose de difficultés et sans qu’on nous prenne pour des imbéciles ou des naïfs. Dans d’autres grandes démocraties, on a une autre manière d’appréhender ces questions, en termes de santé publique, de prévention et de moyens.
J’espère donc que les questions posées pourront l’être de nouveau au cours des débats. En effet, il est vrai qu’avec ce texte, on marche uniquement sur une jambe, alors que nous avons besoin de la deuxième pour marcher droit. Il manque au texte un volet sanitaire et social qui est absolument indispensable. J’espère que nous sommes tous d’accord pour dire que les victimes sont les personnes qui se droguent, parce que les drogues c’est…
Mme Émilie Bonnivard
…mal !
Mme Colette Capdevielle
…– je vais me taire plutôt que d’employer un terme extrêmement vulgaire. Je pense également que notre objectif est d’éviter que les personnes qui commettent des infractions récidivent ; nous luttons tous contre la récidive. Ne nous moquons donc pas des questions posées.
Nous souhaitons qu’il y ait un débat. Lors de la présentation de la première motion de rejet préalable, nous avons expliqué pourquoi nous voulions un débat, pour conforter ce qui a été voté en commission et nous battre sur d’autres thématiques. Les questions que vous posez, sur les bancs du groupe LFI, méritent d’être discutées. C’est pour cela que nous voulons un débat et que nous ne voterons pas la motion de rejet. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Karen Erodi applaudit également.)
M. le président
Je mets aux voix la motion de rejet préalable.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 209
Nombre de suffrages exprimés 201
Majorité absolue 101
Pour l’adoption 23
Contre 178
(La motion de rejet préalable n’est pas adoptée.)
Discussion générale commune
M. le président
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Paul Molac.
M. Paul Molac
Nous examinons une proposition de loi venue du Sénat visant à sortir la France du piège du narcotrafic, ainsi qu’une proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée. Disons-le tout de suite : ces textes sont les bienvenus, tant le trafic de drogue est devenu un fléau. Le phénomène n’est certes pas nouveau mais au vu de la gravité des crimes et de l’ampleur du blanchiment généré par ce trafic, une réponse plus adaptée doit être apportée par la puissance publique. C’est pourquoi nous accueillons avec satisfaction ces textes, même si certaines dispositions attentatoires aux libertés publiques n’auront pas notre soutien.
En premier lieu, je souhaite signaler un écueil et rappeler quelques fondamentaux. La France est le pays d’Europe où l’on consomme le plus de cannabis,…
Mme Élisa Martin
Eh oui !
M. Paul Molac
…alors que c’est aussi l’un des pays où la répression contre les consommateurs et les petits revendeurs est la plus lourde. Reconnaissons que les peines visant les consommateurs et les petites mains du trafic n’ont que peu d’impact sur cette économie gigantesque, estimée à 6 milliards d’euros par an. S’il est effectivement nécessaire de s’attaquer aux têtes de réseau – c’est l’objectif de ce texte –, je tiens à rappeler que la consommation de drogue est également un enjeu de santé publique.
Une politique plus ambitieuse de prévention et d’accompagnement des personnes dépendantes serait la bienvenue, d’autant plus que la consommation concerne tous les pans de la société. La lutte contre la consommation de drogue et les conséquences du trafic ne saurait donc s’envisager sous le seul angle répressif.
J’aurai un autre regret, qui nous touche particulièrement au sein du groupe LIOT. Dans la version du texte transmise par nos collègues sénateurs, un chapitre s’intitulait « Lutte contre le narcotrafic dans les outre-mer », sans que l’on puisse véritablement comprendre en quoi les dispositions qui y étaient prévues avaient un quelconque lien spécifique avec les outre-mer.
Pourtant, les territoires comme les Antilles ou la Guyane sont en première ligne face au grand banditisme et à l’importation de drogues venues d’Amérique du Sud. Il conviendrait de prévoir les moyens et les mesures adéquats pour protéger ces territoires qui subissent de plein fouet le trafic de drogue.
Cela étant dit, nous partageons l’esprit de ce texte, qui tend à renforcer les moyens des services de renseignement, des gendarmes, des douaniers, des personnels pénitentiaires et des policiers, et à créer un parquet national anti-criminalité organisée.
J’apporterai cependant un petit bémol : nous nous demandons si le périmètre du parquet n’est pas trop large. Peut-être aurait-il été pertinent de limiter le champ de son action aux crimes les plus graves, car le nombre de dossiers à traiter depuis Paris risque d’être très important.
Désormais, la lutte contre le blanchiment doit être dirigée contre les têtes de réseau, et non plus seulement les petites mains du trafic, visées notamment lors des très médiatiques opérations Place nette. Actuellement, notre pays ne parvient à saisir que 3 % du chiffre d’affaires du blanchiment chaque année. Nous devons faire bien plus. En ce sens, nous soutiendrons le renforcement de la réponse pénale contre le blanchiment.
Avant de terminer, je souhaite rappeler que dans le nom LIOT se trouve la lettre « L », qui évoque les libertés.
M. Antoine Léaument
Ah ! C’est bien !
M. Paul Molac
Quels que soient les objectifs poursuivis, le texte doit conserver un équilibre en matière de respect des libertés fondamentales et limiter les excès des techniques de renseignement. Hélas, on le constate, de nombreuses dispositions visant à lutter contre le terrorisme ou le séparatisme sont détournées, au détriment de nos concitoyens.
M. Emmanuel Duplessy
Les calculs ne sont pas bons, Kevin !
M. Paul Molac
L’État doit garder pour boussole la préservation de nos libertés. Aussi saluons-nous la suppression en commission du mécanisme des portes dérobées dans les messageries cryptées.
M. Antoine Léaument
Très bien !
M. Paul Molac
La justice doit se montrer sévère à l’égard des narcotrafiquants, mais elle doit tout de même respecter les principes fondamentaux de notre droit.
Notre groupe se prononcera en faveur de ces deux textes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
La criminalité organisée, dans son organisation comme dans ses cibles, est un système profondément capitaliste. En effet, si la hausse record de la consommation touche de trop nombreuses victimes issues de tous les milieux sociaux, le trafic se nourrit des plus précaires et des plus exploitables. Je pense aux mères seules contraintes de devenir nourrices, aux choufs exploités, aux enfants de l’aide sociale à l’enfance, étrangers ou non, drogués pour dealer, et aux jeunes filles victimes de réseaux de prostitution. Tous ont en commun une vulnérabilité sociale et économique sur laquelle prospèrent les trafiquants de drogue. C’est la raison pour laquelle le groupe GDR partage l’une des importantes préconisations du rapport de la commission d’enquête : frapper le haut du spectre pour toucher ceux qui exploitent la misère.
Un travail d’investigation sérieux est nécessaire, ce qui obligerait à mobiliser des moyens plutôt que de s’épuiser dans des opérations de communication organisées à des fins électorales – je pense aux opérations Place nette, jugées dispendieuses et inefficaces par le rapport même.
M. Antoine Léaument
Très bien !
Mme Elsa Faucillon
Or la traduction législative du rapport de la commission d’enquête semble s’éloigner de cet objectif. Nous voyons, dans certains articles issus du texte du Sénat, une énième occasion de déroger au droit commun pour traiter de la petite délinquance, sans aucune preuve d’efficacité. Je pense aux articles 8, 8 bis et 8 ter qui instaurent une législation d’exception, en prévoyant l’utilisation de moyens d’enquête intrusifs, notamment des techniques spéciales d’enquête, initialement réservées à la lutte contre le terrorisme.
Ces mesures gravement attentatoires aux libertés, en particulier au respect de la vie privée, comportent un risque élevé de dérive vers une surveillance généralisée de la population. La question de leur efficacité se pose également.
Contrairement au ministre de l’intérieur, nous pensons que l’État de droit est la réponse, et non pas un obstacle.
Une partie du texte est également une attaque à peine voilée contre les droits de la défense et le principe du contradictoire.
L’article 16 instituait un dossier coffre, c’est-à-dire un dossier caché visant à empêcher les personnes poursuivies de connaître les modalités exactes de leur surveillance pendant l’enquête. Il a heureusement été supprimé en commission, tout comme les quatre-vingt-seize heures de garde à vue pour les mules, qui sont souvent des jeunes filles mineures.
Mme Sandra Regol
Eh oui !
Mme Elsa Faucillon
Nous resterons très vigilants sur leur retour dans le texte par voie d’amendement.
Il reste néanmoins la création de quartiers de haute sécurité, pourtant supprimés en 1982, notamment pour des raisons de dignité humaine. Pour nous, ces écoles du crime sont une ligne rouge.
Si nous pensons que la lutte contre le narcotrafic ne doit pas se limiter à la répression, nous reconnaissons que des mesures fortes sont largement fondées pour toucher le haut du spectre. Nous approuvons les dispositifs suivants, qui représentent des avancées importantes, bien qu’insuffisantes : lutte contre le blanchiment, interdiction du recours aux mixeurs de cryptoactifs qui rendent intraçable l’origine des fonds, grâce aux cryptomonnaies, systématisation des enquêtes patrimoniales, instauration d’un gel judiciaire des avoirs et confiscation des biens.
Une question centrale demeure, celle des moyens. Dans le rapport sénatorial comme dans les auditions que j’ai menées, tous les acteurs déploraient le manque de moyens pour lutter contre le narcotrafic. Officiers de la police judiciaire, dockers, personnels de Tracfin, magistrats, douaniers et marins : tous demandent, d’une même voix, des moyens adéquats et plus élevés. L’efficacité de leur mission et leurs conditions de travail en dépendent. Dans le texte, certaines professions – en particulier, les dockers –, semblent mises en doute, au détriment du nécessaire accompagnement face aux risques de corruption. Sans engagement financier important de la part de l’État, les mesures positives de ce texte ne seront que des coquilles vides.
Lutter contre le trafic de drogue, c’est protéger les plus vulnérables et renforcer les services publics en soutien aux plus fragiles. C’est aussi faire un travail de dentelle avec les élus locaux, les bailleurs sociaux et les éducateurs de l’ASE, afin de soutenir les victimes du trafic et assécher les réseaux de la criminalité organisée.
C’est encore se former à la détection de victimes de traite et consacrer des moyens humains et financiers à la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).
C’est enfin lancer un chantier de prévention des drogues. Nous sommes l’un des pays les plus consommateurs, ce qui doit nous interroger sur l’état de notre société.
M. Pouria Amirshahi
Elle a raison !
Mme Elsa Faucillon
Le trafic de drogue est un sujet sérieux. Il ne s’agit pas de savoir qui serait ferme ou laxiste. En revanche, je vois qui s’appuie sur les passions tristes pour remplir un agenda politique auquel nous ne participerons évidemment pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS.)
M. Emmanuel Duplessy
Excellent !
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Mme Brigitte Barèges
Que de temps perdu, par angélisme ou par laxisme ! En dix ans, le chiffre d’affaires du narcotrafic a doublé. En dix ans, la violence et la délinquance se sont démultipliées dans la même proportion. Comme l’a rappelé M. le ministre, pour la seule année 2024, il y a eu 110 morts et 341 blessés.
En parallèle, le narcotrafic s’est développé de manière exponentielle, prenant le contrôle de certains territoires et reconfigurant son offre – commande par internet et livraison à domicile. Des pavillons ont été transformés par des marchands de sommeil pour y entasser des clandestins auxquels ils fournissent un toit et un travail de dealer ou de proxénète – si on peut parler de travail. Les narcotrafiquants exploitent sans scrupule la misère humaine : demandeurs d’asile, mineurs isolés, profils instables sur le plan psychiatrique et toxicomanes, tous sont contraints de passer par l’économie souterraine et l’habitat indigne pour survivre. Les trafiquants achètent des fonds de commerce – barbiers, épiceries de nuit et cafés – pour blanchir leur argent.
Face à ce constat alarmant, je tiens à remercier les sénateurs Étienne Blanc et Jérôme Durain de s’être enfin emparés de ce dramatique fléau. Toutefois, ce projet ambitieux nécessite des moyens humains et financiers importants que ni les forces de l’ordre ni la justice ne détiennent pour le moment.
Dès lors, pourquoi ne pas s’appuyer sur les élus locaux qui se trouvent au premier rang de ces enjeux de sécurité et de santé publique ? Dans son édition de février-mars 2025 consacrée à ce sujet, Le Courrier des maires s’est fait l’écho de la volonté des élus locaux, quel que soit leur bord politique, de s’impliquer dans ce combat – à l’exception de quelques-uns appartenant à l’ultragauche ou au parti écologiste, à Grenoble ou à Bordeaux.
Les maires s’impliquent déjà avec les moyens dont ils disposent et qu’il aurait fallu renforcer. Je pense à l’apport non négligeable des polices municipales, véritable police de proximité. Dans le cadre de conventions de coordination et sous le contrôle du procureur, elles pourraient mettre à disposition leurs chiens stups et délivrer des amendes forfaitaires délictuelles aux consommateurs de produits illicites. Cela soulagerait la police nationale dans son traitement des petits délits.
Les maires, que votre texte initial avait prévu de tenir informés et qui ont été rayés par la volonté de quelques députés extrémistes en commission des lois,…
M. Antoine Léaument
Oh !
Mme Brigitte Barèges
…seraient des collaborateurs précieux en matière d’information de terrain, grâce aux remontées de leurs services : médiateurs, centres sociaux, centres de supervision urbaine dont les caméras sont déjà mises à disposition des commissariats. C’est donc à juste titre qu’ils souhaitent être consultés et tenus informés de l’avancée des enquêtes des parquets et de la police, ne serait-ce que pour protéger la population.
Cela se ferait, bien entendu, dans le respect de la confidentialité à laquelle est astreint tout officier de police judiciaire. Toutes les forces vives sont nécessaires pour mener cette lutte dans laquelle nous avons déjà perdu beaucoup de terrain.
C’est pourquoi notre groupe de l’UDR a déposé de nombreux amendements, afin de restaurer les mesures détricotées par la gauche et l’extrême gauche en commission des lois.
M. Antoine Léaument
Oh !
Mme Brigitte Barèges
Je pense notamment à la compétence universelle de la justice française en matière de narcotrafic et à la procédure d’injonction pour richesse inexpliquée. Nous proposerons d’aller plus loin : anonymat du personnel pénitentiaire, suspension des allocations familiales pour les parents d’un mineur condamné, peines planchers d’emprisonnement en matière de stupéfiants et d’autres mesures de fermeté.
Doit-on attendre que des policiers tombent sous les balles des trafiquants, que des juges soient assassinés ou que nos ministres soient menacés, avant d’agir avec la fermeté et la détermination indispensables pour éradiquer ce véritable fléau ?
Ne devons-nous pas, dès aujourd’hui, nous mobiliser dans un partenariat entre les collectivités et l’État, afin d’éviter que la France ne devienne un narco-État ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR.)
2. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au gouvernement ;
Discussion du texte de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports ;
Suite de la discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic ;
Suite de la discussion de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée.
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra