Première séance du jeudi 23 janvier 2025
- Présidence de M. Jérémie Iordanoff
- 1. Mesures d’urgence contre la vie chère dans les territoires d’outre-mer
- Présentation
- Discussion générale
- Discussion des articles
- Article 1er
- M. Christian Baptiste
- M. Jean-Victor Castor
- M. Joseph Rivière
- M. Nicolas Metzdorf
- M. Jean-Hugues Ratenon
- Mme Dominique Voynet
- Amendement no 28 deuxième rectification
- Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
- Amendements nos 25, 50, 40, 2, 41, 12, 13, 60, 15, 16, 33 et 39 rectifié
- Après l’article 1er
- Amendements nos 3, 29, 6 et 5 rectifié
- Article 2
- M. Joseph Rivière
- M. Nicolas Metzdorf
- Amendements nos 46, 23 rectifié, 44 rectifié, 45, 64, 47, 48, 42, 65, 26, 27 et 32
- Sous-amendements nos 69 et 70
- Amendement no 43
- Article 3
- M. Joseph Rivière
- Amendements nos 49 et 8
- Après l’article 3
- Article 4
- M. Joseph Rivière
- M. Nicolas Metzdorf
- Amendements nos 30, 19, 20 et 56, 57
- Après l’article 4
- Titre
- Amendement no 58
- Article 1er
- Explication de vote
- Vote sur l’ensemble
- 2. Instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé
- 3. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Jérémie Iordanoff
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures.)
1. Mesures d’urgence contre la vie chère dans les territoires d’outre-mer
Discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Boris Vallaud et plusieurs de ses collègues visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer (nos 522 rectifié, 698).
Présentation
M. le président
La parole est à Mme Béatrice Bellay, rapporteure de la commission des affaires économiques.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure de la commission des affaires économiques
En Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à Mayotte, en Polynésie française, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, en Nouvelle-Calédonie et à Saint-Pierre-et-Miquelon, le peuple est en colère. Cette colère, profonde et légitime, est le cri assourdissant de peuples qui refusent désormais le silence. Elle est aussi la voix de peuples qui refusent, selon les mots de dénonciation de Frantz Fanon, de demeurer dans la peur, l’infériorité, le tremblement, la prosternation, le désespoir, le larbinisme auxquels on voulait les réduire par la violence et la domination. Ni chaînes, ni maîtres, nous ne reculerons et n’abandonnerons jamais notre quête et notre besoin de liberté !
Cette proposition de loi s’inscrit dans une longue continuité historique militante du Parti socialiste et je remercie mes collègues issus de ses rangs pour leur constance et leur solidarité.
Pour mémoire, en 2009, après quarante jours de grève générale en Guadeloupe et en Martinique, des accords, bien plus ambitieux et engageant que le texte dont nous discutons aujourd’hui, posaient les larges bases du combat contre la vie chère. Il faut nous les réapproprier et les mettre en œuvre : l’État ka dwé nou, l’État nous le doit. En 2012, Victorin Lurel faisait adopter la loi relative à la régulation économique outre-mer afin de lutter contre la vie chère. En 2017, les accords dits pou Lagwiyann dékol, pour que la Guyane décolle, naissaient dans un contexte de mobilisation citoyenne d’une ampleur inédite. La même année était adoptée la loi relative à l’égalité réelle outre-mer, texte proposé par une ministre socialiste, George Pau-Langevin, et défendu devant le Parlement par une autre ministre socialiste, Ericka Bareigts. En 2023, Johnny Hajjar, autre socialiste, dressait un état des lieux précis de l’économie des pays des océans et de la vie chère dans le cadre d’une commission d’enquête.
Il nous revient à nouveau de faire face à cette injustice économique et sociale persistante qui enferme 2,8 millions d’habitants des pays des océans dans un système où vivre dignement est un combat quotidien et continu. Ce combat, nous le menons, debout et puissants !
Certes, les moyens de la lutte sont parfois contestables mais la lutte est juste. En Martinique, le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC) est venu lui redonner du carburant : depuis septembre 2024, de Fort-de-France à Paris, les mobilisations ont réuni tous les océans. Nous avons vu des femmes, des hommes, des enfants, des syndicats, des partis politiques se lever ensemble, pour dire : « Stop » ! Au lieu des mesures concrètes pour remplir les frigos et restaurer la dignité que nous espérions, la répression, les matraques, les gaz lacrymogènes, les privations de liberté ont constitué les éloquentes réponses de l’État. Nous en espérons d’autres.
Par l’empoisonnement au chlordécone, c’est aussi notre capacité à vivre de nos terres qui a été étouffée. N’avons-nous pas le droit d’être en colère ? D’être indignés et révoltés quand partout nous sommes témoins de l’insuffisance de la volonté de l’État ?
Aujourd’hui, nous disons stop à cette complaisance envers des rentes économiques qui asphyxient nos territoires, stop à cette vision coloniale qui considère encore nos pays des océans comme des confettis de l’empire. En important plus de 90 % de ce que nous consommons, nous créons de l’emploi et de la richesse mais nous la créons, ici, en France, sur le continent européen.
Les héritiers des anciens geôliers de notre liberté ne peuvent pas rester les geôliers de notre argent, de notre sueur, de nos espoirs et de notre capacité d’émancipation. Vous le savez, nous payons en moyenne 40 % de plus pour notre alimentation, nos voitures, nos télécommunications, nos services. Même l’argent que nous empruntons est plus cher ! Tandis que quelques-uns en profitent, nos petits entrepreneurs tirent la langue, eux aussi asphyxiés par des réalités et un système injustes.
Ce même système crée l’exil des nôtres et de nos forces vives. Qui peut rester insensible à des enfants – je les ai vus – qui, en Martinique, entassent plusieurs morceaux de pain dans leur poche pour se garantir un dîner ? Pas moi. Qui peut croire que c’est la voracité qui emmène des consommateurs à se ruer sur des produits à bas prix et à piètre qualité ? Pas moi.
Ces familles ne réclament ni charité ni pitié. Elles réclament la justice, une justice qui désarçonne les rentes commerciales, combat la misère et ouvre la voie à une véritable émancipation sociale et économique. Je ne suis pas intéressée par des solutions superficielles. Nous devons attaquer les racines du problème.
Cette proposition de loi s’inscrit précisément dans cette démarche. Évidemment, nous l’aurions voulue plus ambitieuse mais nous sommes dans une courte journée d’initiative parlementaire réservée à l’opposition. Cependant si elle intègre cette contrainte, elle se veut efficace et ciblée pour répondre à l’urgence de réformer ce modèle économique.
Ce texte repose sur quatre axes : en premier lieu, renforcer le bouclier qualité prix (BQP), en élargissant son champ à davantage de produits – téléphonie, parapharmacie, pièces détachées automobiles – et en visant des prix équivalents à ceux de l’Hexagone.
Le texte propose, en deuxième lieu, d’imposer la transparence financière en sanctionnant les entreprises qui refusent de publier leurs comptes et celles qui abusent de leur position dominante. Il ambitionne aussi de lutter contre les monopoles et les oligopoles en réduisant les seuils de contrôle des concentrations économiques et en brisant les rentes qui étranglent la concurrence. Enfin, il augmente les moyens des observatoires des prix : il leur donne les outils nécessaires pour protéger les consommateurs, mieux analyser et combattre les mécanismes de la vie chère.
Ce texte n’est pas un simple catalogue de mesures techniques : c’est une première étape cruciale pour construire un nouveau modèle économique, plus juste et plus durable qui s’appuiera sur nos territoires, leur potentiel humain, entrepreneurial, social et culturel dans leur géographie cordiale.
Mes chers collègues, ce qui ne peut être changé doit être affronté. Alors, affrontons avec lucidité et courage cette violence économique qui étouffe nos concitoyens. Cette violence, voici son visage : les marges arrière des distributeurs – outil opaque qui gonfle artificiellement les prix et nourrit les profits de quelques-uns – et la concentration économique, système avec ses monopoles et oligopoles qui construisent les prix et dans lequel chaque maillon de la chaîne, du transporteur au distributeur, prélève une marge grasse et épaisse sur le dos des plus modestes. Leurs conglomérats, leurs groupes performants, c’est chez nous qu’ils les ont construits. Yo ka dwé nou. Ils nous le doivent aussi.
Vous le voyez, cette violence n’a pas le visage de raison mais celui de la pwofitasyon – c’est-à-dire des profits excessifs. Je vous enjoins à la responsabilité collective. À celles et ceux qui tenteraient d’affaiblir cette loi, je dis : chaque recul sera une trahison envers les familles qui, par-delà les océans, attendent de nous, de vous, de l’État, la protection. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
Aujourd’hui, chaque député présent porte cette responsabilité. Vous ne ferez pas votre marché électoral sur nos colères en vous cachant derrière des mots et des promesses que vous ne tenez pas. Ce vote est l’engagement que nous prendrons vis-à-vis des 2,8 millions d’habitants des pays des océans, une promesse d’égalité dans la différenciation.
Ce texte nous appelle à refuser la fatalité, à construire un avenir où nos territoires ne seront plus captifs d’un modèle hérité du passé colonial. C’est une invitation à ouvrir des espaces d’émancipation, de progrès et de justice sociale.
Je vous invite à le voter non par solidarité mais par devoir : le devoir de répondre à cette colère par des actes et de redonner espoir à nos concitoyens. Merci, chers collègues. Sé douvan gadé, sé pou la viktwa ou ka alé. C’est devant que nous devons regarder. C’est pour la victoire que nous nous battons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS, dont les députés se lèvent, ainsi que sur les bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, ministre des outre-mer.
M. Manuel Valls, ministre d’État, ministre des outre-mer
Ce qui nous réunit ce matin ne doit pas être pris à la légère. Il ne s’agit pas d’une question conjoncturelle, accessoire et cantonnée à une problématique purement économique. Il s’agit bel et bien d’un défi structurel, essentiel qui nous amène à nous interroger sur notre conception de l’égalité et même de la fraternité.
Les barricades érigées par les Martiniquais en septembre 2024 sont loin d’être de simples réminiscences des mouvements de 2009 et de 2021. Elles sont le témoignage vivant et brûlant – vous venez de l’entendre – d’une fracture sociale, d’un sentiment d’inégalité et d’un ressenti d’injustice qui s’aggravent dangereusement. La cherté de la vie dans les territoires d’outre-mer n’est pas seulement un « sujet ancien », c’est une véritable bombe à retardement qui menace d’exploser au cœur même de la République.
Certes, des premières réponses fortes ont été apportées, comme la loi dite Lurel relative à l’égalité réelle outre-mer adoptée en février 2017 – vous auriez même pu rappeler, madame la rapporteure, le nom du premier ministre qui avait engagé ces réformes, je le connais bien ! Cependant, face à des écarts de prix qui dépassent parfois 40 % pour certaines catégories de produits et dans certains territoires, comment donner tort à ceux qui parlent de France à deux ou plusieurs vitesses ?
Je pèse mes mots et j’affirme avec force que cette situation met en péril la cohésion sociale et, à travers elle, l’intégrité même de notre nation. Au bord d’une crise qui pourrait déchirer celle-ci, nous ne pouvons donc plus nous contenter de demi-mesures, de déclarations d’intention ou de promesses creuses, je vous l’accorde.
L’heure est venue d’agir avec une très grande détermination, de mettre en place des solutions nouvelles, radicales, efficaces et durables pour combler ce fossé qui menace de devenir un gouffre insurmontable entre l’Hexagone et nos territoires d’outre-mer. Nous avons beaucoup, sinon tout, à inventer.
Ce défi, je l’ai tout de suite identifié comme l’une de mes priorités dès mon arrivée au ministère des outre-mer. Le premier ministre et le gouvernement tout entier partagent cette impérieuse nécessité d’agir. Je nous interroge collectivement et je prends ma part de responsabilité mais chacun – y compris les élus – doit faire de même : comment avons-nous pu ainsi laisser aller les choses ? La responsabilité n’est pas seulement celle de l’État. Cela serait trop facile.
Le constat est sans appel. Selon l’Insee, en 2022, l’écart de prix vis-à-vis de l’Hexagone était de près de 16 % en Guadeloupe et de 14 % en Martinique et en Guyane. Sans vous assaillir de chiffres, ce constat, déjà frappant, est aggravé si l’on y regarde de plus près. En effet, d’abord, la tendance est à la dégradation. Ainsi, entre 2015 et 2022, l’écart de prix augmente de plus de 3 points en Guadeloupe, 2 points en Guyane et 1,7 point en Martinique. Ensuite, si cet écart est particulièrement élevé pour un panier de consommation dit hexagonal, il l’est aussi pour un panier de consommation dit local. Enfin, les écarts de prix sont très importants pour ce qui concerne l’alimentation, ce qui doit vraiment tous nous alerter. Ainsi, toujours en 2022, les écarts de prix sur l’alimentaire étaient de près de 42 % en Guadeloupe, de plus de 40 % en Martinique et en Guyane, de plus de 36 % à La Réunion et de plus de 30 % à Mayotte.
Cette situation est insupportable et insoutenable pour nos compatriotes ultramarins. C’est un défi à la cohésion sociale et un vrai enjeu politique, au sens le plus noble du terme. On ne peut plus se contenter d’enjamber les crises. Les mouvements contre la vie chère, nombreux ces dernières années dans plusieurs territoires ultramarins, ne sont pas seulement le reflet d’un mécontentement face à la cherté de la vie mais aussi, vous l’avez dit, le cri d’une population qui se sent oubliée – oui, oubliée – par l’État face à un défi pourtant connu de tous.
Je condamne fermement et sans ambiguïté toutes les violences qui émaillent parfois ces mouvements. Je condamne plus particulièrement celles qui ont accompagné le mouvement actuel en Martinique et je souhaite, madame la députée, rendre hommage aux policiers blessés. Il n’y a pas de violence policière même s’il peut y avoir des incidents ou des problèmes. Des policiers ont été blessés.
Gouverner, c’est difficile ; maintenir l’ordre public également. Vous avez rappelé à juste titre le rôle joué par votre formation politique en outre-mer depuis plusieurs années. Toutefois, lorsqu’on a gouverné, on sait aussi que, face à des violences, à des intrusions ou encore à des menaces à l’encontre de préfets, madame la députée, (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem) mais aussi d’élus, il est indispensable de préserver l’ordre public. À cet égard, j’appelle les élus à ne céder à aucune complaisance face à la violence. Cependant, je dis aussi qu’il faut entendre et comprendre la colère qui s’exprime.
Ce discours comme cette proposition de loi n’ont pas vocation à régler tous les problèmes ni à apporter toutes les solutions car il serait illusoire de penser que l’on peut régler en quelques semaines une situation qui a mis plusieurs années à s’établir.
Avant de vous indiquer ce que nous avons d’ores et déjà engagé et de vous donner notre point de vue sur la proposition de loi – je vous remercie au passage pour cette initiative – et sur ce qui nous reste à accomplir, je veux tenir devant vous un propos clair, de vérité, qu’il aurait sans doute fallu adopter depuis longtemps.
Oui, le partage et la chaîne de valeur, outre-mer, ne sont pas équitables, pas justes. Il y a des grands groupes très performants mais ils jouent parfois un rôle d’étouffement de l’économie et, à travers elle, des populations, comme je l’ai dit hier. Les pratiques de certains, dans une majorité de territoires ultramarins, par exemple la Martinique, ont été largement dénoncées récemment par les élus et par la presse.
La réalité est sans doute complexe et la situation économique et fiscale différente selon les territoires, y compris d’ailleurs entre la Martinique et la Guadeloupe – il suffit de penser au débat sur l’octroi de mer. Toutefois il convient que la lumière soit faite sur le partage des marges excessives. L’opacité et l’accumulation de celles-ci, à chaque étape de la chaîne d’approvisionnement, sont au cœur du problème. Bien qu’il n’y ait pas de monopole officiel, la concentration du marché aggrave la situation. Il en résulte une crise de confiance profonde qui mine les relations entre les consommateurs et les acteurs économiques ainsi que les institutions en charge de les contrôler et de réguler leur action, jusqu’au pouvoir judiciaire. Ce faisant, c’est bien le rôle protecteur de l’État qui est mis en doute.
Je crois au rôle des entreprises et des entrepreneurs, à leur rayonnement, à leur capacité à créer de la valeur. Je ne stigmatise personne – d’autant que, ne l’oublions pas, de nombreux emplois sont en jeu. Cependant, la vérité des faits et des chiffres s’impose. Je sais aussi que les économies des outre-mer doivent évoluer. Des transformations sont nécessaires et chacun doit prendre ses responsabilités si nous voulons sortir d’une économie de comptoir, marquée par d’importantes pesanteurs qui empêchent les évolutions. (Mme Maud Petit applaudit.) Néanmoins, il faut de la justice.
Le gouvernement précédent avait pris conscience de l’ampleur des défis et engagé des mesures concrètes pour y répondre. Vous l’avez rappelé, le 16 octobre 2024, un protocole d’objectifs et de moyens a été signé entre l’État et la collectivité territoriale de Martinique. J’aurai d’ailleurs l’occasion d’échanger ce midi sur ce sujet avec le président du conseil exécutif de Martinique, Serge Letchimy. C’est un engagement important de l’ensemble des parties prenantes – État et collectivité territoriale de Martinique mais aussi transporteurs et distributeurs –, avec pour objectif de lutter contre la vie chère en Martinique.
Il vise trois objectifs principaux : faire baisser les prix de 6 000 produits de consommation courante ; augmenter la transparence en renforçant les contrôles sur la formation des prix afin que chacun puisse comprendre ce qu’il paie ; doper la production alimentaire locale en soutenant l’agriculture du territoire pour favoriser l’autonomie alimentaire.
La diminution du prix de 6 000 produits de consommation courante de 20 % en moyenne doit résulter d’une baisse conjuguée de l’octroi de mer et de la TVA ainsi que du gel du taux de marge des distributeurs, d’un mécanisme de compensation des frais d’approche et de l’application des prix export. C’est donc un effort conjoint de tous les acteurs qui est demandé.
La baisse de TVA, en miroir de la modulation de l’octroi de mer, a été rendue impossible au 1er janvier en l’absence d’adoption de loi de finances mais cette mesure figure bien sûr dans le projet de budget dont l’examen se poursuit au Parlement. Une première étape a toutefois été franchie avec la suppression, dès le 18 décembre, de l’octroi de mer par la collectivité territoriale de Martinique et avec un effort des acteurs économiques sur leurs marges, permettant d’obtenir une baisse d’environ 8 % des prix dont nous espérons qu’elle sera durable et ne constituera qu’un premier pas.
Cette baisse, qui s’applique aux nouvelles marchandises qui entrent en Martinique, sera perceptible une fois que les stocks qui n’en ont pas bénéficié seront écoulés, sauf si les grossistes et distributeurs décident de procéder à des baisses à leurs seuls frais en allant encore plus loin que les engagements souscrits dans le protocole, ce que l’affichage dans les surfaces de vente semble suggérer – il faut toutefois rester vigilant.
S’agissant de l’application du protocole – je le dis avec beaucoup d’humilité –, il faut toujours apporter une clarification, à l’instant T, sur la question des prix export. Les frais d’approche doivent par ailleurs faire l’objet d’une analyse fine et de propositions précises.
Dans cette perspective, j’ai rédigé une lettre de mission destinée à l’Inspection générale des finances afin qu’elle se saisisse de ce dossier et nous éclaire au plus tôt sur les voies et moyens possibles car la participation de l’État – financière ou non – se heurte à deux incompatibilités majeures par rapport au droit national et européen : l’assimilation à une taxe équivalant à un droit de douane et à une aide de l’État. Une telle démarche suppose aussi un travail étroit avec les transporteurs.
Je suis conscient que ces notions sont complexes et techniques mais je tiens à souligner que nous faisons bouger les lignes au sein de l’administration parce que nous avons la volonté politique d’avancer – d’ailleurs, cette proposition de loi est un des outils qui nous le permettent.
C’est dans cet esprit que nous travaillons à trouver des solutions innovantes et conformes au droit. Cet engagement de l’État représente un défi considérable que nous sommes déterminés à relever.
Les frais d’approche, qui représentent en moyenne 16 % du coût total d’un produit, constituent un facteur clé dans la formation des prix en outre-mer. Leur réduction pourrait avoir un impact significatif sur le pouvoir d’achat des ultramarins.
Nous travaillons donc d’arrache-pied pour trouver une solution à la fois efficace et conforme aux réglementations en vigueur. Je veux aller vite mais faire bien car, si nous nous contentons de proclamations, nous allons décevoir. Malgré les défis juridiques et techniques, mon objectif reste clair : ramener le différentiel de prix moyen avec l’Hexagone de 40 à 20 % en moyenne pour les 6 000 produits ciblés. Nous continuerons à collaborer étroitement avec tous les acteurs concernés – collectivités territoriales, importateurs, distributeurs et transporteurs – pour atteindre cet objectif ambitieux mais nécessaire.
C’est dans ce contexte d’urgence mais avec volonté que nous entamons l’examen de cette proposition de loi. Elle représente une avancée. Dès lors, le gouvernement choisit de l’accompagner tout en considérant qu’elle peut et doit être améliorée – nous allons en débattre – pour répondre pleinement aux attentes des populations d’outre-mer.
Qu’il me soit permis à cet instant de saluer le président du groupe socialiste, Boris Vallaud, l’un des principaux auteurs de la proposition de loi, et surtout vous, madame la rapporteure, Béatrice Bellay, qui vous battez pour la justice sociale et plus d’équité.
La proposition de loi visant à contrer les mécanismes responsables du coût élevé de la vie, que vous venez de présenter, témoigne de votre capacité à rassembler au-delà des clivages politiques pour défendre les intérêts de nos concitoyens ultramarins – notamment ceux de votre circonscription, mais pas seulement.
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Manuel Valls, ministre d’État
Dans le détail, l’article 1er doit, selon nous, être réécrit afin de sécuriser une réelle avancée et de garantir une application efficace des mesures proposées. Cet article, tel que rédigé, impose en réalité un alignement des prix des produits du bouclier qualité prix sur les prix hexagonaux – nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer ce sujet. Nous avancerons au cours de la discussion, ne percevez donc pas dans mes propos une opposition frontale, soyons ouverts au débat, y compris sur les questions techniques et juridiques comme celle-ci.
Je livre mon argumentation afin que chacun l’entende ; en pratique, l’article empêcherait les distributeurs de s’aligner et les pousserait à sortir du mécanisme de négociation. S’y substitueraient une réglementation et une administration des prix anticoncurrentielles et qui ne correspondent pas à notre vision des choses. Surtout, la constitutionnalité du dispositif apparaît fragile dès lors que la fixation des prix ne prendrait pas en compte les mécanismes de formation des prix et porterait ainsi une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. Entendez-moi : je veux avancer mais je souhaite aussi que cette proposition de loi dépasse le stade de la proclamation et qu’elle puisse être réellement appliquée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
Les modifications proposées à l’article L. 410-5 du code de commerce auraient pour effet de transformer l’actuel dispositif de BQP, un accord de modération des prix assis sur le prix le plus bas observé sur le territoire concerné, en un accord de fixation des prix en référence au prix pratiqué en moyenne dans l’Hexagone. En prenant pour référence les prix hexagonaux, il me semble que la mesure néglige, par nature, l’ensemble des coûts de transport et de distribution des produits importés. La grande quantité de produits dont le prix est susceptible d’être encadré suscite également des interrogations s’agissant de la régularité de cette disposition.
Cet article comporte également des mesures visant à considérer les observatoires des prix, des marges et des revenus comme des acteurs à part entière de la négociation, notamment avec le représentant de l’État, au même titre que les transitaires. Cela revient aussi à les ériger en une autorité indépendante qui ferait doublon avec l’Autorité de la concurrence (ADLC) – j’évoquerai celle-ci plus tard –, ce qui supposerait en outre de modifier les textes afin de leur conférer une personnalité juridique.
Nous proposerons, par notre amendement no 28, une rédaction alternative plus équilibrée. Sans exiger un alignement des prix, un objectif de réduction du différentiel de prix entre l’Hexagone et les territoires ultramarins y est clairement affirmé. Laissons le débat ouvert.
L’article 2 vise à renforcer les sanctions en cas de non-publication des comptes par les sociétés. Je soutiendrai résolument cet article car, en pratique, cette obligation est trop peu respectée par certains acteurs qui y sont pourtant soumis – et c’est inacceptable. Il faut donc que les dispositifs d’astreinte soient déployés – sur ce point, le gouvernement est déterminé.
L’article 3 pose la question fondamentale de la concentration dans les territoires ultramarins. Il n’est sans doute pas parfait et mériterait que nous nous y penchions encore davantage. Le jeu de la navette parlementaire – car je souhaite que nous allions jusqu’au bout de l’examen du texte – nous en laissera le loisir. La proposition d’abaissement du seuil d’autorisation à 300 mètres carrés risquerait ainsi d’aboutir à ce que les petits acteurs se voient imposer des démarches administratives assez lourdes. Le gouvernement apporte toutefois son soutien à ce dispositif ; je souhaite qu’il poursuive son chemin.
L’article 4, introduit dans le texte en commission, pose un vrai problème constitutionnel puisqu’il remet en cause le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Le gouvernement ne peut que s’opposer à cet article en l’état – vous-même, madame la rapporteure, avez d’ailleurs déposé un amendement.
Je vous proposerai tout à l’heure de compléter cette proposition de loi par un article additionnel visant à exclure les frais de transport du seuil de revente à perte et ainsi à contribuer à la baisse des prix de détail par les distributeurs, notamment pour les produits de première nécessité.
Vous l’avez compris, en dehors d’une proposition alternative mais qui se rapproche fortement de celle de la rapporteure pour l’article 1er et d’une demande de suppression de l’article 4, le gouvernement soutient cette proposition de loi.
Cependant, au-delà des réponses immédiates, il est crucial de donner une perspective s’agissant de ce que nous voulons accomplir ensemble. Je l’ai dit hier, nous devons aborder cette question en ayant une vision claire et ambitieuse. Il ne s’agit pas seulement d’aplanir temporairement les difficultés financières mais bien de construire un avenir où chacun puisse vivre dignement – vous l’avez très bien dit, madame la rapporteure.
J’ai la conviction qu’il nous faudra aller plus loin – beaucoup plus loin – en matière de lutte contre la vie chère et pour plus de transparence. La proposition de loi visant à lutter contre la vie chère en renforçant le droit de la concurrence et de la régulation économique outre-mer, défendue par le sénateur Victorin Lurel, qui fait déjà l’objet de travaux au Sénat – avant un examen au début du mois de mars, si ma mémoire est bonne – pourrait en être un autre vecteur.
Par ailleurs, le gouvernement devra peut-être aussi s’engager sur une loi de suppression des marges arrière. Une réflexion doit être menée pour aboutir à une clarification juridique et économique. Nous pouvons aussi faire mieux en matière d’optimisation de l’octroi de mer ou encore de bouclier qualité prix. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.) Il nous faut également examiner le prix des services.
Je reprendrai l’initiative nationale d’un nouvel Oudinot du pouvoir d’achat. Il s’agit de s’attaquer aux causes profondes de la cherté de la vie…
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Manuel Valls, ministre d’État
…en travaillant sur plusieurs axes.
Il faut tout d’abord renforcer le tissu économique local car nous devons favoriser l’autonomie alimentaire et garantir un accès équitable aux ressources essentielles en encourageant la production locale. Ensuite, une plus grande transparence s’agissant des prix, des marges et des revenus est nécessaire afin que chacun puisse comprendre ce qu’il paie.
Nous avons parlé ensemble, madame la députée, de l’action de l’Autorité de la concurrence. Je l’ai également évoquée il y a quelques jours au Sénat dans le cadre des débats relatifs à la mission Outre-mer. Cette action doit jouer un rôle essentiel dans l’évaluation et la régulation du marché pour assurer une concurrence juste et équitable et protéger les consommateurs.
Je souhaite saisir cette autorité très prochainement afin qu’elle mette à jour son dernier avis de 2019 au sujet du fonctionnement de la concurrence en outre-mer. Nos outils de contrôle sont insuffisants. Il faut les renforcer et les redimensionner afin d’agir bien plus efficacement sur tout le territoire.
Le soutien aux initiatives locales visant à promouvoir les entreprises et les filières économiques dans nos territoires d’outre-mer constitue évidemment un autre axe prioritaire.
Dernier axe de travail : l’éducation et la sensibilisation de nos concitoyens aux enjeux économiques locaux afin qu’ils puissent devenir acteurs du changement dans leur communauté.
Enfin, le chantier fondamental qui nous attend est celui du mécanisme de compensation des frais d’approche.
L’économie de ces territoires suit une logique de comptoir. Il faut y mettre fin car on trouve des situations de pauvreté telles que nombre de citoyens, de salariés se trouvent dans l’impossibilité d’évoluer. Ces situations donnent lieu à des tensions sociales, parfois à de l’irresponsabilité. Une transformation est nécessaire ; j’ai la volonté qu’elle réussisse et j’espère que nous pourrons avancer en ce sens.
Mesdames et messieurs les députés, je sais qu’il y a beaucoup de défiance, que vous avez entendu beaucoup de discours mais je veux vous convaincre de ma détermination pleine et entière. Que nos compatriotes ultramarins sachent que nous avons compris ce qu’ils attendent de nous et que l’État répondra. Chacun doit prendre ses responsabilités dans le monde économique et social, du côté de l’État et du gouvernement et parmi les élus. Personne ne peut se satisfaire de positions qui se laisseraient aller à la facilité de l’affrontement, de la contestation et de la critique. Je vous remercie d’être animés par la volonté de faire des propositions.
Face au désarroi, au sentiment de désespoir, il faut faire preuve de courage et d’audace pour traiter toutes les vulnérabilités laissées par l’histoire. Nul ne peut nier les relents de colonialisme dans les pratiques économiques en vigueur dans les outre-mer.
En évoquant ces questions hier et aujourd’hui, j’ai pu prendre la mesure des réactions des lobbys, quels que soient les intérêts qu’ils représentent. Je vois bien que l’on veut m’empêcher, nous empêcher d’agir. Ce n’est pas nouveau. Ensemble, nous serons plus forts pour affronter cette volonté de ne pas réformer.
Il faut redonner de l’espérance. Cela implique d’installer un nouveau rapport de force, en faveur des populations, du peuple : j’y suis prêt. Je suis totalement déterminé à avancer avec le Parlement pour transformer en profondeur les économies de nos territoires ultramarins et répondre aux attentes et aux espoirs de nos compatriotes. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et HOR. – Mme la rapporteure applaudit également.)
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Naillet.
M. Philippe Naillet
Disons-le d’emblée : la vie chère constitue une injustice insupportable que subissent depuis trop longtemps nos populations ultramarines. Elle n’a rien de nouveau : c’est une vieille connaissance. Autrement dit, la vie chère vient de loin.
En 2008 en Guyane, en 2009 aux Antilles, en 2011 à Mayotte, en 2017 à nouveau en Guyane, en 2018 à nouveau à Mayotte ainsi qu’à La Réunion, plus récemment encore en 2024 en Martinique : les mouvements de protestation contre cette injustice qui empoisonne l’existence des Français ultramarins sont légion et s’intensifient.
Ne nous voilons pas la face. La vie chère découle directement de l’histoire coloniale de la France, qui a favorisé un fonctionnement économique relevant d’une logique de comptoir, dont les dynamiques perdurent trop souvent dans nos territoires, tous éloignés de l’Hexagone et, pour nombre d’entre eux, insulaires.
Ces derniers souffrent en effet du comportement agressif d’acteurs économiques animés d’une logique de domination. À La Réunion, le rachat en 2020 de Vindémia, filiale du groupe Casino, par le groupe Bernard Hayot – GBH –, dont le siège social se situe en Martinique, l’illustre parfaitement. Ce rachat a fait bondir de 17 % à 37 % la part de marché de GBH dans le secteur réunionnais de la grande distribution. Cela doit nous conduire à nous interroger sur l’efficacité du cadre de régulation actuel.
Ce chiffre de 37 % représente également l’écart qui sépare le prix des denrées alimentaires affiché à La Réunion et celui qui a cours dans l’Hexagone, un écart qui se nourrit des positions dominantes de tels grands groupes.
Pourtant, cette opération de rachat retentissante avait été validée par l’Autorité de la concurrence, dont la décision, il faut bien le dire, était frappée du sceau de la naïveté et teintée d’éloignement parisien.
L’effet ciseaux qui favorise la cherté de la vie alimente la colère légitime de nos populations. Alors que mon niveau de vie est inférieur à celui de mon compatriote de l’Hexagone, où est l’équité républicaine quand je dois payer plus cher que lui mon chariot de courses – 37 % de plus à La Réunion – ou ma voiture – 25 % de plus, alors même qu’il n’existe pas partout d’alternative au tout-auto ? Où est l’équité républicaine quand nos familles n’ont d’autre choix que de se nourrir de produits bas de gamme au détriment de leur santé ? C’est tout simplement inacceptable. Cela fissure le pacte social jour après jour. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs des groupes EcoS et GDR. – Mme Maud Petit applaudit également.)
Il convient de renforcer les dispositifs existants, tels que ceux de la loi relative à la régulation économique outre-mer de 2012, défendue par Victorin Lurel, alors ministre des outre-mer, et de la loi de programmation relative à l’égalité réelle outre-mer de 2017, préparée par Victorin Lurel et soutenue au gouvernement par George Pau-Langevin puis par Ericka Bareigts. Je veux leur rendre hommage. Ces lois ont mis à la disposition des pouvoirs publics des outils de lutte contre les marges abusives et les pratiques anticoncurrentielles.
Par cette proposition de loi, nous ne demandons ni chèque ni mesurettes. Nous voulons changer les choses de manière structurelle. Les dés pipés et les règles du jeu établies pour qu’à la fin, ce soient toujours les mêmes qui continuent de s’enrichir sur le dos de nos populations, ça suffit !
Nous, députés Socialistes et apparentés, menons frontalement le combat contre la vie chère. Sous la précédente législature, notre groupe a ainsi été à l’initiative de la création d’une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales d’outre-mer, dont j’ai eu l’honneur d’être le vice-président. Elle a permis de constater objectivement l’opacité des mécanismes de formation des prix et de formuler des propositions d’actions.
Je défendrai lors de notre débat un amendement visant à renforcer la transparence et le contrôle du dispositif dit des marges arrière.
Nous irons droit au but. Notre ambition est triple : rendre effectif le bouclier qualité prix afin que les prix des biens de première nécessité et de consommation courante soient équivalents à ceux que l’on pratique en moyenne dans l’Hexagone ; renforcer les sanctions encourues par les sociétés qui ne respectent pas l’obligation légale de publication de leurs comptes ; appliquer aux outre-mer le seuil de notification des opérations de concentration spécifique, fixé à 5 millions d’euros.
Les constats convergent et rappellent qu’on ne peut plus attendre. Le rapport de la mission sur l’évolution institutionnelle des outre-mer remis au président de la République en décembre 2024, dont nous attendons encore la publication complète et à la synthèse duquel le journal Le Monde consacre un article, appelle à un changement de modèle économique et à assurer enfin l’exercice d’une concurrence non faussée.
Je ne voudrais pas conclure mon propos sans saluer le travail considérable accompli par notre rapporteure, Mme Béatrice Bellay. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC. – M. Steevy Gustave applaudit également.)
Plus que jamais, des mesures structurelles contre la vie chère et pour la régulation de la concentration des acteurs économiques dans nos territoires sont absolument nécessaires pour permettre leur développement pérenne et pour faire de l’égalité républicaine une réalité vécue plutôt qu’un slogan. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR ainsi que sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Steevy Gustave.
M. Steevy Gustave
Aimé Césaire écrivait : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
Je prends la parole avec gravité et exigence. Le cyclone Chido a frappé Mayotte, laissant derrière lui des habitations détruites, des familles démunies, des infrastructures ravagées. Face à cette épreuve, notre responsabilité est de répondre avec solidarité et efficacité.
Mais ce que vit Mayotte aujourd’hui, d’autres territoires ultramarins le subissent chaque jour, sous d’autres formes, car les outre-mer souffrent d’inégalités systémiques, profondément enracinées dans notre organisation économique et sociale. Des crises différentes ; une même injustice.
Les outre-mer, c’est la France des écarts : écart des prix – les produits essentiels y sont jusqu’à 40 % plus chers qu’en métropole –, écart des services publics – les hôpitaux y sont sous-dotés, les écoles en souffrance, les infrastructures vétustes –, écart des chances – le chômage y atteint des records et la jeunesse y est contrainte à l’exil.
M. Christian Baptiste
C’est la vérité !
M. Steevy Gustave
Et que dire de l’accès à l’eau potable, qui requiert encore un combat quotidien pour des milliers de familles ? Des terres empoisonnées au chlordécone, sans réparation à la hauteur du scandale ? Des infrastructures abandonnées, où les coupures d’eau et d’électricité sont devenues la norme ?
Ces écarts ne se réduisent pas à de simples chiffres. Ce sont des réalités vécues, des souffrances quotidiennes, des inégalités criantes qui pèsent sur des millions de citoyens.
On ne peut plus attendre. Ces inégalités ne sont pas une fatalité. Elles sont le résultat de décisions politiques ; elles procèdent d’un modèle économique qui profite à certains et étrangle les autres ; elles sont le fruit d’un système qui considère encore trop souvent ces territoires comme secondaires.
Nous examinons un texte qui prévoit des avancées importantes. Je tiens à saluer le travail de ma collègue qui l’a défendu avec conviction. Merci, Béatrice.
Mais nous ne devons pas nous en contenter car l’urgence est là. Chaque jour qui passe sans que l’on y réponde efficacement est un jour d’injustice et de souffrance supplémentaire.
Les outre-mer n’ont pas besoin de demi-mesures mais d’un changement structurel, immédiat, concret. Pour avancer, nous devons nous fixer trois priorités.
Première priorité : il faut mettre fin à l’injustice économique en brisant les monopoles qui empêchent toute concurrence saine et étranglent la vie des populations ultramarines. Il faut soutenir la production locale pour redonner à ces populations du pouvoir d’achat, de l’emploi et de l’autonomie économique.
Notre deuxième priorité est de faire en sorte que les services publics soient à la hauteur. L’accès à l’eau potable, à des hôpitaux dignes, à des écoles bien équipées ne doit plus être une promesse lointaine mais une garantie immédiate. La réponse aux catastrophes naturelles doit être plus rapide, mieux anticipée, mieux financée car nous savons que demain, une nouvelle épreuve frappera un de nos territoires.
Notre troisième priorité est de créer un avenir pour la jeunesse ultramarine en investissant massivement dans la formation et l’emploi et en développant des filières adaptées aux enjeux locaux car la réussite de cette jeunesse ne doit pas être subordonnée à un départ forcé vers l’Hexagone.
Ce ne sont pas des revendications démesurées. Ce sont des exigences républicaines. L’histoire nous met face à nos responsabilités. Le texte que nous examinons va dans le bon sens mais il doit être un point de départ et non d’aboutissement.
L’outre-mer ne peut plus attendre des réformes à petits pas. Ceux qui vivent ces injustices ne demandent pas l’impossible mais seulement l’égalité des droits, l’égalité des chances, l’égalité des conditions de vie. La devise de notre République ne peut plus être un slogan à géométrie variable. Liberté, égalité, fraternité : ces principes doivent être vécus pleinement, sur chaque terre de France. (Mme Maud Petit applaudit.) Comme le disait Édouard Glissant, l’égalité n’est pas un droit mais un préalable.
Je conclurai par une paraphrase en créole de Martin Luther King : si pa ni jistiss la ba a péké ni jistiss nulle part – s’il n’y a pas de justice là-bas, il n’y aura de justice nulle part. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcS, SOC et GDR.)
M. le président
La parole est à M. Vincent Jeanbrun.
M. Vincent Jeanbrun
En prenant la parole aujourd’hui, je veux d’abord penser à nos compatriotes ultramarins, à ces familles, à ces femmes, à ces hommes qui luttent contre une réalité injuste, celle de la vie chère. Dans ces morceaux de France, trop de parents éprouvent des difficultés à offrir à leurs enfants une alimentation saine et des fournitures scolaires adaptées, beaucoup trop renoncent, résignés, à des projets essentiels, faute de moyens. La proposition de loi que nous examinons est une interpellation face à ces inégalités criantes. Là-bas, les produits de base, ce que chacun d’entre nous utilise quotidiennement, coûtent parfois le double ou le triple de ce qu’ils valent en métropole.
L’article 1er du texte est la manifestation d’une volonté légitime : réduire l’écart entre les prix de l’Hexagone et ceux des territoires d’outre-mer. Cette aspiration est assurément louable. Mais attention : nous devons y répondre avec des solutions viables et durables. Or ce qui est proposé ici nous amène inéluctablement à nous interroger, par exemple, sur la capacité réelle des entreprises à absorber des pertes et des coûts si élevés. Cela mériterait donc d’étudier sérieusement toutes ses conséquences avant d’adopter un tel texte.
Le bouclier qualité prix dans les territoires d’outre-mer est déjà un outil précieux. Il peut néanmoins être amélioré et renforcé. Et nous devons même aller au-delà en repensant globalement les chaînes de production, de transport et de distribution. Car derrière chaque produit, il y a des choix structurels qui ont un impact direct sur le pouvoir d’achat de nos compatriotes ultramarins. Ainsi, en Martinique, seulement 20 % des besoins alimentaires sont couverts par la production locale, et cette dépendance fragilise non seulement le niveau des prix mais aussi la souveraineté alimentaire de nos territoires. Nous devons donc investir dans la relance de la production locale, soutenir les filières agricoles et encourager une économie de proximité plus écologiste et plus juste.
À cet égard, les articles 2 et 3 de la proposition de loi ouvrent des pistes intéressantes pour réguler des pratiques commerciales parfois opaques. Mais, là encore, il nous faudra veiller à ce que les mesures de contrôle ne soient pas excessives.
En revanche, limiter les groupes de distribution ultramarins à 25 % de parts de marché, comme le prévoit l’article 4, porterait gravement atteinte à la liberté d’entreprendre, ce que le groupe Droite républicaine ne peut accepter. Néanmoins, ce problème ne peut être ignoré. C’est pourquoi nous soutenons l’amendement de notre collègue Philippe Gosselin, qui propose de contrôler toute position dominante abusive sur le marché de gros ou de détail.
Mes chers collègues, en l’état actuel du texte, la Droite républicaine choisira de s’abstenir, mais elle soutiendra les initiatives qui, sans être anticoncurrentielles, permettront de combattre les positions dominantes abusives afin de lutter contre une différence des prix entre l’Hexagone et l’outre-mer. Au sein de notre groupe, autour de Laurent Wauquiez, nous considérons que nos compatriotes ultramarins, leurs familles et leurs enfants, méritent notre soutien absolu. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Vincent Descoeur
Tout à fait !
M. le président
La parole est à Mme Maud Petit.
Mme Maud Petit
Nous entamons dans l’hémicycle l’examen de la proposition de loi visant à prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et à réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer, et je vous remercie, madame la rapporteure, pour votre investissement total sur le sujet. Je voudrais saluer notre collègue Johnny Hajjar, qui lors du mandat précédent avait obtenu et mené avec brio une commission d’enquête sur le coût de la vie dans les outre-mer.
Le sujet de la cherté de la vie en outre-mer n’est, hélas, pas nouveau. Il s’agit d’une problématique récurrente, ancienne, enracinée dans des inégalités structurelles, territoriales, économiques et sociales, qui génèrent une exaspération profonde dans les collectivités et parmi les populations concernées. Ce serpent de mer réapparaît à l’occasion de crises ponctuelles, comme celle de la pwofitasyon en 2009, qui avait déclenché en Guadeloupe une grève générale de quarante-quatre jours, ou encore celle de 2011 à Mayotte, celle de 2017 en Guyane, et des manifestations à La Réunion en juillet 2022 sans oublier les revendications en septembre dernier en Martinique marquées, hélas, par des émeutes et des pillages.
Les prix à la consommation pratiqués en outre-mer pour les denrées alimentaires, pour les télécommunications et pour l’automobile sont largement supérieurs à ceux pratiqués dans l’Hexagone. Ainsi, en Martinique, les denrées alimentaires sont en moyenne 38 % plus chers qu’à Paris,…
M. Philippe Vigier
C’est vrai !
Mme Maud Petit
…et en Guyane, la différence s’élevait déjà à 45 % en 2015. Et ces écarts ne cessent de se creuser – sans même parler de Mayotte. Un paquet de coquillettes peut coûter jusqu’à 138 % de plus, le café soluble affiche une augmentation vertigineuse de 150 % et se connecter à internet en Martinique ou en Guadeloupe coûte en moyenne 35 % de plus que dans l’Hexagone alors même que la qualité du service peut se révéler inférieure en raison des infrastructures locales.
À ces prix exorbitants correspondent pourtant des revenus bien inférieurs : le niveau de vie médian en outre-mer est, selon les territoires, de 20 % à 50 % plus faible qu’en métropole.
Comment s’expliquent de tels écarts de prix ? Ces surcoûts résultent de multiples facteurs : l’insularité, l’éloignement géographique et l’étroitesse des marchés, et, en conséquence, la dépendance quasi totale aux importations, mais aussi la taxation spécifique desdites importations par un impôt, l’octroi de mer, hérité de l’Ancien Régime, donc de la période coloniale. Est également en cause une chaîne d’approvisionnement éclatée qui compte jusqu’à quatorze intermédiaires – transporteurs, port, etc. – quand trois suffisent en métropole. À des coûts logistiques importants s’ajoutent des volumes de ventes trop faibles pour amortir toutes ces charges, dans le cadre de structures de marché monopolistiques ou oligopolistiques limitant en conséquence la concurrence et poussant à maintenir des marges élevées.
La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui est un point de départ important et nécessaire pour remédier à la cherté de la vie. Elle offre des pistes intéressantes que le groupe Les Démocrates soutiendra, mais elle est grosse de défis.
L’élargissement du bouclier qualité prix prévu à l’article 1er, y incluant une gamme plus large de produits, est à saluer. Imposer des prix strictement équivalents à ceux pratiqués en métropole peut paraître séduisant, mais cet objectif ne nous paraît pas atteignable : l’inscrire dans la loi équivaudrait selon nous à mentir et à frustrer nos compatriotes ultramarins. Notre devoir, en responsabilité, est néanmoins de tendre vers cet objectif. C’est l’objet d’un amendement que nous avons déposé.
M. Philippe Vigier
Excellent !
Mme Maud Petit
De plus, nous pensons qu’imposer un alignement total pourrait provoquer deux effets pervers : une augmentation des marges, reportée sur d’autres produits non concernés par le bouclier voire, pire encore, un retrait des distributeurs du dispositif, privant alors les populations des bénéfices qu’elles espéraient.
Les articles 2 et 3 apportent des réponses structurelles et pragmatiques. Ainsi, le renforcement des sanctions financières pour les entreprises qui ne publient pas leurs comptes est un levier indispensable pour limiter les abus et pour pousser à la transparence. De même, l’abaissement à 5 millions d’euros du seuil de notification des concentrations économiques est une mesure intéressante pour veiller à une concurrence loyale et éviter la création de monopole. Toutefois, l’objectif louable d’encourager la concurrence ne doit pas être contrecarré par des mécanismes trop rigides : un blocage généralisé des prix pourrait dissuader l’arrivée de nouveaux acteurs économiques alors que ces derniers, nous le rappelons, sont essentiels pour dynamiser les marchés ultramarins et offrir de réelles alternatives aux consommateurs.
Nos concitoyens ultramarins ne réclament pas de privilèges ; ils demandent seulement l’égalité, en l’occurrence une égalité réelle en matière de prix et de pouvoir d’achat. Nous devons donc agir maintenant avec ambition et avec lucidité en proposant des solutions efficaces et durables qui établissent l’équilibre et la justice sociale que nous devons aux Français des outre-mer. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, et sur plusieurs bancs SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à M. Henri Alfandari.
M. Henri Alfandari
Nos territoires ultramarins, pourtant riches en ressources, font face à une injustice économique, à savoir des coûts de la vie supérieurs à ceux de la métropole, souvent amplifiés par l’éloignement géographique, par les contraintes d’approvisionnement et par les dynamiques de marché.
En 2022, le niveau général des prix à la consommation dans les départements et régions d’outre-mer dépassait largement celui de la métropole, et était même en hausse par rapport à 2015 et à 2010. Les écarts de prix constatés sont en grande partie imputables aux produits alimentaires : les prix, par rapport au panier alimentaire métropolitain, étaient supérieurs de 54 % à Mayotte, de 51 % en Guadeloupe et en Guyane, de 50 % en Martinique et de 46 % à La Réunion. Et encore, ces données sont celles de 2022 !
Cette réalité économique pèse lourdement sur le quotidien de nos concitoyens ultramarins. Elle aggrave une situation sociale souvent fragile et rend l’accès aux biens et services essentiels particulièrement difficile pour une grande partie de la population. Ces derniers mois, les tensions autour de la vie chère dans les départements et régions d’outre-mer se sont d’ailleurs intensifiées, illustrant le profond malaise économique et social qui touche ces territoires ; en Martinique, la situation a atteint un point critique, avec des mouvements de contestation et plusieurs nuits d’émeutes au début du mois d’octobre dernier.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui entend répondre, du point de vue du pouvoir d’achat, à la situation économique préoccupante dans ces territoires. Elle prévoit notamment une montée en puissance du bouclier qualité prix afin que ce dernier s’applique à davantage de produits et permette une réduction plus importante des prix, à un niveau comparable à ceux pratiqués en Hexagone.
En commission, de nombreux amendements ont été adoptés visant à préciser le dispositif et à l’étendre à d’autres secteurs de produits de consommation courante tels que la téléphonie et la parapharmacie ainsi qu’à certaines enseignes.
Si le groupe Horizons & indépendants partage bien évidemment l’objectif de modérer les prix en outre-mer, la rédaction actuelle de l’article 1er ne lui paraît pas satisfaisante. En effet, fixer unilatéralement des prix au niveau de ceux de l’Hexagone sans tenir compte des coûts réels liés à l’éloignement, à la chaîne d’approvisionnement et à la fiscalité fait courir le risque de pénuries en rendant les opérations de vente des produits potentiellement déficitaires.
On ne peut ignorer qu’un ensemble de facteurs participent au renchérissement des prix dans les territoires d’outre-mer, au premier rang desquels la dépendance aux importations en provenance de l’Hexagone et du reste de l’Europe. À cela s’ajoutent l’étroitesse du marché intérieur et la faiblesse des productions locales, d’où une moindre concurrence et une consolidation des positions oligopolistiques ou monopolistiques historiques. Nous soutiendrons donc l’amendement du gouvernement visant à réécrire en partie l’article 1er en restaurant la finalité du bouclier qualité prix, à savoir favoriser la modération des prix ultramarins dans le respect de la réglementation relative aux pratiques anticoncurrentielles.
Le texte prévoit également de renforcer les sanctions en cas de non-publication des comptes des sociétés afin de garantir une plus grande transparence économique et de lutter contre les phénomènes de rente et de captation de la valeur. Il adapte en outre les règles de la concurrence aux spécificités ultramarines en prévoyant un abaissement des seuils de contrôle des concentrations à 5 millions d’euros dans toutes les activités économiques et un seuil de 300 mètres carrés de surface à partir duquel toute création ou toute extension d’un magasin de commerce de détail doit disposer d’une autorisation d’exploitation commerciale.
Le groupe Horizons & indépendants soutiendra ces mesures utiles pour renforcer la concurrence et pour lutter contre les abus de position dominante ou de captation de la valeur. Nous voterons donc en faveur de ce texte car il représente une occasion précieuse d’améliorer la situation dans nos territoires ultramarins, en espérant que l’amendement du gouvernement soit adopté.
Je conclus en soulignant que notre groupe souhaite voir conservées dans le projet de loi de finances pour 2025 les dispositions permettant une différenciation des taux de TVA en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion pour certains produits de première nécessité exonérés temporairement d’octroi de mer. Nous appelons à la préservation de cette mesure sociale issue du protocole d’objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère en Martinique, signé le 16 octobre dernier. Elle s’inscrit pleinement dans l’ambition de la présente proposition de loi visant à améliorer concrètement le pouvoir d’achat de nos concitoyens ultramarins. (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et Dem.)
M. le président
La parole est à M. Max Mathiasin.
M. Max Mathiasin
Monsieur le ministre, je vous ai écouté parler de la question de la vie chère et de cette proposition de loi déposée par le groupe socialiste, et présentée si brillamment, avec quelle verve, par notre collègue Béatrice Bellay. Et elle l’a fait ainsi parce que c’était avec le cœur. Comme la population ultramarine et ses autres élus, elle est au centre de ce drame que constitue le fait de ne pouvoir se nourrir décemment, même avec un bon salaire. En outre-mer, le niveau de vie est plus bas que dans l’Hexagone alors que les taux de pauvreté ou d’illettrisme sont plus élevés.
Je ne veux ni m’étendre ni reprendre les propos déjà prononcés. La situation a été bien analysée et ce qui a été dit est juste. Le consensus est presque général, tant sur le constat que sur les causes de la cherté de la vie. Monsieur le ministre d’État, j’ai apprécié la première partie de votre discours, celle où vous avez dit qu’il fallait que les choses changent. Mais elles ne peuvent changer que si nous changeons de prisme d’analyse. Or, depuis l’économie de plantation et de rente de l’époque coloniale, les choses n’ont pas changé. L’état d’esprit qui fondait l’appartenance à une classe sociale sur la couleur de la peau n’a pas changé. (Mme la rapporteure ainsi que MM. Frédéric Maillot et Philippe Naillet applaudissent.) Lors de l’abolition de l’esclavage, les propriétaires de plantations, qui ne travaillaient pas mais vivaient du travail des autres, ont été indemnisés, mais la terre, principale source de production de richesse, n’a pas été redistribuée, en tout cas pas de façon équitable, en dépit des occupations qui ont eu lieu en Guadeloupe. Et nous vivons toujours avec cette injustice.
Cette iniquité perpétue un système qui ne pourrait perdurer en France hexagonale. Le problème tient au fait qu’on a donné l’habitude de ce système à certains, qui pensent qu’il peut continuer. Par exemple, en Guadeloupe, il y a moins de 400 000 habitants. Avec peu de consommateurs, pour garder un niveau de bénéfices et de marges atteint grâce à un contexte monopolistique, la seule solution est d’augmenter les prix de façon inconsidérée et injuste. Voilà à quoi il faut s’attaquer.
Il y a eu la loi Lurel, il y a eu beaucoup de choses de faites mais, si nous ne rompons pas cette injustice, nous en serons au même point dans cinq, dix ou vingt ans. Alors qu’un procès se tient en ce moment à Fort-de-France, avec des peines importantes requises, je vois que la société martiniquaise est inquiète, je vois le drame qu’elle vit. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – Mme la rapporteure et M. François Ruffin applaudissent également.)
M. Marcellin Nadeau
Oui, c’est inadmissible !
M. Max Mathiasin
Les Guadeloupéens n’ont pas voulu ajouter du désordre au désordre mais nous sommes de la même veine, de la même peine, de la même souffrance, des mêmes inquiétudes. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – Mme la rapporteure et M. Gérard Leseul applaudissent également.)
M. Marcellin Nadeau
Excellent !
M. Max Mathiasin
Voilà ce que je voulais dire. Nous devons aller vers un vote que j’espère unanime sur un texte que je considère comme transpartisan, afin de commencer à voir les choses différemment, en accord avec la promesse républicaine d’égalité. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR. – Plusieurs députés du groupe LFI-NFP se lèvent. – Mme Maud Petit et M. Pierre Marle applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. Frédéric Maillot.
M. Frédéric Maillot
Il faut une loi. Il nous faut une loi pour que nous, peuples d’outre-mer, puissions acheter à manger et à boire au même prix que les Français de l’Hexagone. C’est dire s’il y a deux France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe SOC. – Mme la rapporteure applaudit également.) Nous voulons faire nos courses sans avoir le sentiment de se faire voler par des groupes à l’appétit insatiable et aux marges abusives.
Si vous ne voyez pas de quoi je vous parle, je vais vous donner quelques exemples : les serviettes hygiéniques à 2,23 euros dans l’Hexagone sont vendues 4,85 euros en Martinique, soit 117 % de plus ; un pack de bouteilles d’eau coûte de 8 à 12 euros à Mayotte contre moins de 2 euros dans l’Hexagone ; 162 couches valent 22 euros en Île-de-France mais 32 euros à La Réunion, soit 45 % de plus ; une laitue, c’est 99 centimes dans l’Hexagone et 9,20 euros en Guyane, soit plus de 8 euros de plus.
Mme Sabrina Sebaihi
La honte !
M. Frédéric Maillot
Je préfère devancer les justifications habituelles. Depuis toujours, on tente de nous faire croire que la vie est plus chère en outre-mer parce que ce sont des régions éloignées, parce que les produits arrivent en bateau ou en avion, parce qu’il y a l’octroi de mer. C’est faux ! La raison, ce sont les marges abusives. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR.)
M. Manuel Valls, ministre d’État
C’est ce que j’ai dit !
M. Frédéric Maillot
Pour illustrer mon propos, je pose une question simple : si l’éloignement expliquait que nous payions plus cher, pourquoi les frais bancaires ou les coûts de communication, qui ne prennent ni l’avion ni le bateau, sont-ils plus élevés en outre-mer ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS. – Mme Maud Petit applaudit également.) Le riz, l’aliment de base des Réunionnais, qui n’est pas soumis à l’octroi de mer, est plus cher en outre-mer. (Mêmes mouvements.) Dernier exemple : Orange, dont l’État est actionnaire, a sorti un forfait téléphonique anti-inflation, destiné aux personnes qui touchent le RSA ou l’allocation aux adultes handicapés (AAH), mais ce forfait n’a jamais été proposé aux habitants de l’outre-mer. J’avais pourtant interpellé Jean-Noël Barrot, alors ministre chargé du numérique, qui n’a jamais daigné répondre à mes nombreux courriers. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS. – Mme la rapporteure applaudit également.) Il est resté étranger aux préoccupations des outre-mer – je comprends mieux maintenant sa nomination aux affaires étrangères ! (Sourires. – Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Qui décide de tout nous faire payer plus cher ? Il me semble légitime de poser la question et d’examiner ce qui reste de notre devise, Liberté, Égalité, Fraternité. Où est la fraternité quand ce système couvre et nourrit ceux qui nous font payer l’injustice de la cherté de la vie ? Je ne peux que recommander de regarder le documentaire Les Derniers Maîtres de la Martinique, qui montre clairement le lien étroit entre les grands groupes locaux et l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – Mme Sabrina Sebaihi applaudit également.) Où est l’égalité quand la loi ne fait rien face à l’injustice vécue par les Français d’outre-mer en matière de prix ? Le principe d’égalité entre Français de l’Hexagone et Français d’outre-mer existe-t-il ? La question reste entière. Venons-en maintenant à cette liberté qui nous est si chère. Nul besoin d’aller chercher dans les méandres de l’histoire pour établir que ce principe aussi est bafoué. Christian Tein est toujours en prison (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS) et Rodrigue Petitot a été jugé hier parce qu’il a combattu et dénoncé l’injustice qui frappe nos peuples.
Si la cherté de la vie dans les outre-mer n’est plus un secret pour personne, c’est grâce aux députés de ces territoires, qui n’ont cessé de la dénoncer, et grâce à leur peuple, qui s’est mobilisé en Martinique et dans les rues de Paris. Ce qui demeure secret, en revanche, ce sont les bilans comptables consolidés de GBH. (Mêmes mouvements.) J’espère que la transparence viendra à leur sujet.
Personne ne découvre ici l’injustice de la cherté de la vie. Certes, il y a eu la démarche de l’Oudinot du pouvoir d’achat, le comité interministériel des outre-mer (Ciom) et la loi sur l’égalité réelle, mais le problème n’a jamais été résolu. Aux problèmes systémiques, il faut des réponses systémiques. Mettre le sujet de la cherté de la vie au cœur des débats est une première étape pour mettre en lumière ce système colonialiste devenu capitaliste.
M. Philippe Vigier
Ah !
M. Frédéric Maillot
Je remercie notre collègue Béatrice Bellay pour la pierre qu’elle apporte aujourd’hui à notre édifice. Les parlementaires sont prêts à trouver des solutions. L’État est-il prêt de son côté à dire aux grands groupes de mettre fin à leurs appétits pantagruéliques ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur quelques bancs du groupe EcoS.) Derrière vos marges, il y a des hommes et des femmes. Derrière vos marges, il y a des Réunionnais, des Martiniquais, des Guadeloupéens, des Guyanais. Nous ne voulons plus survivre, nous voulons vivre. Ayen pou yo ! – Rien pour eux ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS. – Les députés du groupe GDR et plusieurs députés du groupe LFI-NFP se lèvent.)
M. le président
La parole est à M. Bernard Chaix.
M. Bernard Chaix
Le premier texte de la niche parlementaire du Parti socialiste a pour ambition de « prendre des mesures d’urgence contre la vie chère et réguler la concentration des acteurs économiques dans les territoires d’outre-mer ». Ces derniers sont des parties intégrantes de notre République qui méritent toute notre attention. Nous venons d’ailleurs de voter unanimement un texte important pour amorcer la reconstruction de Mayotte. Cela ne doit toutefois pas occulter les nombreuses difficultés qu’affrontent nos compatriotes ultramarins.
Au nom du groupe UDR, je tiens donc, en premier lieu, à saluer l’initiative prise par ceux qui ont déposé ce texte car nous reconnaissons pleinement la gravité des défis qu’il entend traiter. Nous partageons le constat dressé par les auteurs de la proposition de loi. Les territoires d’outre-mer souffrent de surcoûts liés à l’éloignement, à l’insularité et à une forte dépendance vis-à-vis d’un nombre limité d’acteurs économiques. Cette situation pénalise lourdement nos concitoyens ultramarins et affecte durement leur pouvoir d’achat.
Il est dès lors indéniable que nous devons agir. Personne dans cet hémicycle ne peut ignorer les difficultés auxquelles font face les territoires d’outre-mer, qu’il s’agisse du coût élevé de la vie ou de la précarité économique. Les prix des produits de première nécessité sont particulièrement élevés et il est nécessaire d’apporter des solutions pour alléger ce fardeau qui pèse si lourd sur le quotidien de nos compatriotes ultramarins.
Cependant, les mesures proposées semblent parfois manquer de pragmatisme et risquent de ne pas atteindre leurs objectifs. Nous craignons même que le texte puisse avoir l’effet inverse de celui recherché. Les mécanismes de régulation économique proposés vont ainsi inévitablement alourdir les contraintes pesant sur les entreprises locales. La régulation de la concentration économique, aussi légitime soit-elle, semble reposer sur des dispositifs insuffisamment définis, ce qui pourrait créer des effets pervers.
Nous devons veiller à ne pas opposer les consommateurs aux acteurs économiques locaux, qui créent de l’emploi et contribuent au dynamisme de leurs territoires. La France d’outre-mer a besoin de solutions sur mesure, adaptées aux spécificités de chaque territoire. Or certaines dispositions inscrites dans ce texte pourraient, à terme, décourager l’investissement privé, pourtant essentiel pour diversifier l’offre économique, et renforcer la dépendance des territoires d’outre-mer aux aides publiques, sans s’attaquer aux causes structurelles de leurs problèmes économiques.
Afin de ne pas entraver le développement économique local, une étude d’impact précise devrait être réalisée avant d’adopter de telles mesures. Cette proposition de loi se concentre sur des réponses immédiates mais n’aborde pas les causes structurelles de la vie chère, parmi lesquelles nous citerons les coûts de transport, la dépendance à l’importation ou encore le développement de filières locales.
Une stratégie complémentaire visant à renforcer l’autonomie économique des territoires ultramarins devrait être intégrée à notre réflexion. Bien que le groupe UDR partage l’analyse des défis à relever pour notre outre-mer, les réponses proposées nous semblent insuffisantes et méritent d’autres développements. En conséquence, le groupe UDR s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
La parole est à M. Joseph Rivière.
M. Joseph Rivière
La vie chère n’est pas un concept abstrait, ni de la théorie pure. Elle est le quotidien de tous nos compatriotes du continent qui sautent un repas sur deux pour survivre. Cette situation de crise et de subsistance est exacerbée en outre-mer, avec des prix trois ou quatre fois plus élevés, un taux de chômage de 25 %, voire 50 % pour les jeunes de moins de 25 ans, et un nombre important de retraités pauvres, en particulier des agriculteurs qui survivent avec 300 euros de pension mensuelle.
Dans le même temps, le gouvernement est plus rapide à répliquer par des lanceurs de balles de défense (LBD) au peuple de Martinique qui a faim qu’à écouter ses revendications sur la cherté de la vie. Les seules réponses du gouvernement à une crise sont l’envoi de douaniers ou, à Mayotte, le blocage de marchandises en provenance de La Réunion. Le gouvernement se préoccupe davantage d’augmenter les impôts et les charges que de se pencher sur les situations de monopole et de concentration des pouvoirs économiques, qui sévissent tant en France hexagonale qu’en outre-mer.
Mesdames et messieurs les socialistes, votre proposition de loi part d’un bon sentiment mais l’économie est avant tout de la rationalité et de la logique. Vous confondez urgence et précipitation.
Cette proposition de loi est timide et insuffisante. Elle ne modifie aucunement la structuration de la formation des prix – elle ne soulève même pas le problème. Elle n’évoque pas la double TVA sur les produits en provenance de l’Hexagone et à destination de l’outre-mer. Elle n’aborde pas le sujet de l’octroi de mer et de sa réforme. Pourtant, seule une réforme de l’octroi de mer, telle que proposée par le groupe Rassemblement national, pourrait faire baisser structurellement le coût de la vie. Une réforme exonérant les produits français et ceux de l’Union européenne permettrait de donner du pouvoir d’achat à nos compatriotes ultramarins. L’éventuelle perte de recettes pour les collectivités territoriales serait compensée à l’euro près par une augmentation de leur dotation globale de fonctionnement. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.)
Mme Karine Lebon
C’est vraiment méconnaître les réalités des collectivités territoriales de nos pays !
M. Joseph Rivière
Cette proposition de loi du groupe socialiste est anachronique, en retard de plusieurs décennies. Rappelons-le : de 2012 à 2017, alors que vous disposiez, chers collègues du groupe socialiste, d’une large majorité, à aucun moment vous ne vous êtes attaqués à la question globale de la vie chère en outre-mer – qui ne date pourtant pas d’hier.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Pourquoi ne pas avoir inscrit un texte en ce sens à l’ordre du jour de votre niche, dans ce cas ?
M. Joseph Rivière
Cette proposition de loi est un pis-aller ; elle n’a pas assez d’ambition.
Néanmoins, pour le peuple ultramarin et parce que nous n’avons aucune volonté de bloquer les institutions, nous voterons globalement en sa faveur, quoiqu’avec beaucoup de réserves. Sans sectarisme, nous voterons pour les amendements et articles qui iront dans le bon sens. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Jean-Philippe Nilor
Pathétique !
M. Davy Rimane
Nul, à côté de la plaque !
M. le président
La parole est à M. Nicolas Metzdorf.
M. Nicolas Metzdorf
Tout le monde l’a rappelé : les causes de la vie chère en outre-mer sont structurelles ; les réponses doivent donc l’être aussi.
Le principal problème est que nous manquons d’ambition économique pour nos territoires ultramarins. La vie n’est jamais aussi chère que lorsqu’on est au chômage, que lorsque le salaire est bas. Or, dans les outre-mer, le taux de chômage est deux fois plus élevé qu’en métropole !
Mme Karine Lebon
Que dans l’Hexagone !
M. Nicolas Metzdorf
Que dans l’Hexagone.
Comment peut-on avoir autant de chômage, autant de difficultés économiques vu le potentiel de ces territoires ? Prenons la Guyane, grande comme le Portugal et pleine de ressources – il y a de l’or, du pétrole, du foncier : comment se fait-il qu’elle souffre autant de la vie chère et du chômage ? Quelle ambition avons-nous portée pour son développement économique ? Prenons les joyaux des Caraïbes, dont le potentiel touristique est si important, de même que la culture agricole : comment se fait-il qu’ils connaissent si peu de développement économique ? Prenons La Réunion, madame Lebon, au marché intérieur de 1 million d’habitants et où des économies d’échelle sont possibles : comment se fait-il qu’on y parle encore de vie chère ? Prenons la Polynésie française, grande comme l’Europe, avec sa puissance maritime : comment se fait-il qu’on pense encore à faire des moratoires sur les fonds marins et qu’on n’exploite pas ses ressources ? Prenons, bien sûr, la Nouvelle-Calédonie, grande comme deux fois la Corse et qui renferme le quart des ressources mondiales de nickel : comment se fait-il qu’on y parle encore de chômage ?
Ce qui manque à nos outre-mer, monsieur le ministre – et vous le savez –, c’est une ambition depuis Paris. On ne réglera pas leurs problèmes à coups de chèques ou de régulation des prix. Il faut insuffler un véritable développement, changer de modèle.
Mais comment y arriver quand en sept ans, on connaît huit ministres des outre-mer différents ? Comment bâtir une politique de fond, conduire une politique de développement, prendre des mesures structurelles quand les responsables politiques changent tous les ans ?
Évidemment, aucun territoire d’outre-mer ne pourra jamais tout produire, tout créer ; il faudra toujours importer. Mais pourquoi ne pas parler d’intégration régionale ? Dans nos territoires, les importations viennent majoritairement de la métropole. Forcément, quand un produit a voyagé sur des milliers de kilomètres dans des bateaux ou des avions, il est beaucoup plus cher. Pourquoi n’importons-nous pas des produits de nos voisins d’Amérique, d’Australie ou d’Inde ?
M. Davy Rimane et Mme Dominique Voynet
Le RN ne l’a pas voulu !
M. Nicolas Metzdorf
Nous sommes trop dépendants de la métropole pour les importations. Jamais nous ne pourrons baisser les prix au niveau de ceux de la métropole compte tenu des distances que les produits importés ont à parcourir.
En définitive, ce texte cherche à toucher aux conséquences de problèmes structurels ; cela ne changera malheureusement pas grand-chose. Depuis combien d’années essayons-nous de réguler les prix et les marges, sans que cela ait de conséquences réellement positives pour nos populations ? Certes, vos intentions sont louables, madame la rapporteure, et nous participerons au débat de manière constructive, mais nous sommes des libéraux et nous croyons davantage à la création de valeur, à l’investissement et à la liberté d’entreprendre qu’à la régulation des prix, de l’économie et des marges. (Exclamations sur les bancs du groupe GDR.) Nous ferons des propositions, discuterons des amendements et verrons à quoi ce texte aboutit – mais sachez que nous avons le souhait de travailler dessus de manière transpartisane, parce que les populations d’outre-mer le méritent. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR. – Mme Maud Petit applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.
M. Jean-Philippe Nilor
Qui aurait pu imaginer que, seize ans après les émeutes de 2009, la vie chère continuerait à asphyxier nos peuples, au point d’animer une fois encore les débats parlementaires ? Ce sont les mêmes schémas, porteurs d’inertie, qui se répètent encore et encore – d’où le cri d’un peuple révolté par le coût insupportable de la vie. C’est grâce à l’extraordinaire mobilisation populaire lancée par le RPPRAC que nous légiférons aujourd’hui. Nous devons lui rendre hommage. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et GDR. – M. Alexis Corbière applaudit également.)
« Nous ne sommes rien sur Terre si nous ne sommes pas d’abord l’esclave d’une cause, celle des peuples et celle de la justice et de la liberté », disait Frantz Fanon. La violence et la criminalisation du mouvement social ne suffiront pas à étouffer les voix et les corps qui s’élèvent dignement contre la vie chère. Conséquence historique d’un mal-développement voulu et entretenu depuis Colbert, la vie chère en tant que violence économique inflige une souffrance terrible à nos compatriotes, notamment les plus défavorisés – de plus en plus nombreux –, à travers leur porte-monnaie. Contrairement à l’idée reçue, elle ne concerne pas que l’alimentaire, elle touche également les transports, les services bancaires, les assurances, les télécommunications, le logement, les pièces détachées automobiles, etc.
Ce qui dans nos pays dits d’outre-mer rend la vie chère d’autant plus insupportable, c’est la généralisation de la pauvreté, issue de vos politiques publiques néolibérales, qui ne sont porteuses d’aucune réponse concrète,…
M. Marcellin Nadeau
Bravo !
M. Jean-Philippe Nilor
…et cela alors même que nous ne cessons de vous alerter sur la situation, dans et en dehors de l’hémicycle, par exemple à travers le rapport parlementaire de juillet 2023 produit par notre collègue Johnny Hajjar, dont le constat a été confirmé par l’avis du Conseil économique social et environnemental d’octobre 2023.
Je tiens à remercier vivement notre collègue Béatrice Bellay, qui a su avec abnégation – elle s’est battue pour cela – saisir l’occasion de présenter cette proposition de loi courageuse.
Celle-ci permet en premier lieu aux parlementaires martiniquais de tenir parole, en concrétisant dans des dispositions législatives les engagements pris à l’issue des nombreuses tables rondes qui se sont tenues en présence de tous les acteurs en Martinique.
Elle assure l’effectivité et l’élargissement du bouclier qualité prix. L’occasion nous est donnée de dépasser définitivement – c’est le sens de nos amendements – la conception purement alimentaire de la vie chère, qui nous réduisait jusqu’alors à de simples tubes digestifs. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
Elle entraîne un renforcement de la transparence, arme indispensable si l’on veut véritablement mettre fin à l’opacité structurelle entourant la formation des prix et les marges en outre-mer, du fait notamment de la non-publication, depuis des décennies et en toute impunité, de leurs comptes par les faiseurs de vie chère.
Elle renforce les moyens et pouvoirs des observatoires des prix, des marges et des revenus – OPMR –, entités jusqu’ici notoirement sous-dotées au regard des missions qui leur sont assignées.
Elle porte, enfin, les germes d’une rupture salutaire avec le modèle néocolonial, qui tend à faire de nos pays des plateformes d’importation et de surconsommation. (Mêmes mouvements.) Nous refusons la perspective que les générations à venir soient réduites au rôle de pousseurs de caddies dans les supermarchés des autres. (Mêmes mouvements.)
M. Christian Baptiste
Il a raison !
M. Jean-Philippe Nilor
Nous sommes conscients que la lutte contre la vie chère revêt d’autres dimensions, auxquelles il faudra résolument s’attaquer et sur lesquelles l’État devra clarifier ses positions. Ce texte n’est peut-être qu’un caillou dans la mare de la vie chère, mais nous croyons fermement que l’addition de tous les cailloux finira par combler cette mare un jour. Desmond Tutu ne disait-il pas : « Faites le bien par petits bouts, là où vous êtes, car ce sont tous ces petits bouts, une fois assemblés, qui transformeront le monde » ? Aucune violence, aucune incarcération abusive, aucune répression, aucune intimidation, aucune CRS 8 ne saurait museler le mouvement décolonial enclenché pour obtenir plus de justice. (Les députés des groupes LFI-NFP et GDR se lèvent et applaudissent. – Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à M. Elie Califer.
M. Elie Califer
Cette proposition de loi est un texte de justice sociale et d’égalité. Madame la rapporteure, elle vous honore. Monsieur le ministre d’État, elle rattrape l’ancien premier ministre que vous êtes.
La vie chère est un phénomène historique qui perdure et qui se traduit par des prix à la consommation dans les territoires ultramarins qui ne sont en rien comparables avec ceux pratiqués sur le territoire hexagonal, qu’il s’agisse de l’alimentation, du logement, de la téléphonie, des transports ou de l’automobile. L’enquête de comparaison spatiale des niveaux de prix à la consommation entre territoires français, publiée par l’Insee en 2022, révèle un écart insupportable, de 40 % en moyenne, sur les produits alimentaires, ce qui a un lourd impact sur le pouvoir d’achat des presque 3 millions de Français qui vivent dans ces territoires ultramarins oubliés et plonge les familles dans la précarité et la malbouffe.
La Martinique a connu récemment une mobilisation citoyenne contre la vie chère, telle qu’on n’en avait jamais vu jusqu’alors sur l’île. Ce n’était donc pas une fantaisie. Plusieurs territoires ultramarins ont été marqués par de forts mouvements de contestation contre la vie chère : sans les égrener toutes, de 2008 à 2018, en passant par 2009, sur mon île, la Guadeloupe, des manifestations récurrentes ont dénoncé l’inaction de l’État face à la domination économique des grands groupes et à la dégradation du niveau de vie. Des blocages de magasins, d’infrastructures, notamment de transport – routes, ports et aéroports –, l’occupation de lieux symboliques – ronds-points, places, parvis de mairies –, mais aussi des confrontations avec les forces de l’ordre et les représentants de l’État se sont succédé, traduisant un véritable malaise vécu par la population ultramarine vis-à-vis de son pouvoir de vivre, de son accès à l’emploi et au droit, des inégalités socio-économiques ou encore de l’insécurité sociale, sanitaire et environnementale à laquelle elle est confrontée.
Pour les socialistes – cela doit vous dire quelque chose, monsieur le ministre d’État –, cela est insupportable. Le problème du coût de la vie dans les territoires d’outre-mer appelle une rupture franche avec les politiques menées depuis 2017 par les gouvernements successifs nommés par le président, pour qui combattre la vie chère dans ces territoires n’a jamais été une priorité. Si nous sommes pour la liberté d’entreprise, nous refusons l’assassinat de tout un peuple. Nous rappelons que les lois de régulation économique de 2012 et la loi relative à l’égalité réelle outre-mer, défendue au Parlement par Victorin Lurel et au gouvernement par les ministres George Pau-Langevin et Ericka Bareigts, ont fourni aux pouvoirs publics – État, collectivités locales et ADLC – des outils pour lutter contre les marges abusives et des pratiques anticoncurrentielles proprement scandaleuses.
Sous la précédente législature, les députés du groupe Socialistes et apparentés ont également été à l’initiative d’une commission d’enquête : nous saluons le travail de Johnny Hajjar, dont nous tirons les enseignements et dont nous retenons les utiles propositions. Il nous faut maintenant agir, et c’est que ce que nous faisons, poursuivant, à travers la présente proposition de loi, le combat contre la vie chère outre-mer et contre le phénomène de concentration des principaux acteurs économiques présents dans ces territoires.
Mes chers collègues, notre devoir est de nous rassembler, quels que soient nos bancs, non seulement pour écouter la misère et la révolte, mais surtout pour affirmer que, même au nom de la liberté d’entreprendre, les grands intérêts économiques ne doivent pas rendre la vie impossible dans les territoires ultramarins. Dans les outre-mer comme en Hexagone, chacune et chacun doit pouvoir vivre dignement ; sur tout le territoire national, nous devons garantir des prix accessibles, en particulier pour les biens de première nécessité et de consommation courante, indispensables à la vie quotidienne. Mettons fin aux économies de comptoir héritées des temps anciens, des temps coloniaux ; concrétisons enfin sur ces terres l’exigence républicaine ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et GDR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. le président
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Manuel Valls, ministre d’État
Quelques mots sur la méthode et sur le fond. Très attaché, comme vous tous, à la liberté d’entreprendre, je suis conscient que les grandes entreprises, les grands groupes, apportent de la valeur ajoutée et créent de l’emploi dans ces territoires. Quand nous en parlons – les uns et les autres le savent parfaitement –, des emplois sont en jeu. Il ne s’agit donc pas, je le répète, de stigmatiser, mais d’affirmer que la liberté d’entreprendre ne se comprend pas sans justice ni sans une juste concurrence. Or dans pratiquement tous les territoires ultramarins existent des monopoles massifs. Nombre d’entre eux perçoivent d’ailleurs des fonds publics, des subventions, qui participent du soutien à certains secteurs économiques comme l’agriculture.
M. Marcellin Nadeau
Absolument !
M. Manuel Valls, ministre d’État
C’est pourquoi, outre la liberté d’entreprendre et la juste concurrence, la transparence sur les marges est nécessaire – il ne faut pas avoir peur de le dire.
Je m’engage donc à agir en ce sens ; je prends, nous prenons des risques – c’est cela, au fond, faire de la politique, à plus forte raison quand on gouverne. On peut bien débattre de ce qui ne s’est pas fait auparavant, et remonter très loin, mais il nous faut aujourd’hui agir avec force. Faute de quoi – je le dis en direction de tous les bancs –, non seulement nous alimenterions le désespoir social et les révoltes que vous avez évoqués, mais nous ferions aussi le jeu de tous ceux et toutes celles qui veulent que ces territoires s’éloignent définitivement de la République et de la nation. (Mme Maud Petit applaudit.) Il faut y prendre garde ! Nombreux sont les prédateurs, tant économiques que politiques, qui veulent que nous nous éloignions de ces territoires.
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Manuel Valls, ministre d’État
Au-delà de toutes les questions institutionnelles et politiques, par ailleurs légitimes, si nous n’agissons pas sur le plan économique et social, une rupture définitive interviendra entre une partie de ses territoires et la République.
M. Philippe Vigier
Comme à La Réunion !
M. Manuel Valls, ministre d’État
Cette affaire doit être prise au sérieux : membres du gouvernement ou parlementaires, nous ne pouvons pas en rester aux proclamations politiques, si compréhensibles soient-elles ; nous devons agir.
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Manuel Valls, ministre d’État
Je souhaite qu’en matière de transparence et d’encadrement des marges, le rôle de l’Autorité de la concurrence soit conforté, approfondi, développé et étendu partout où cela est nécessaire. Que votre proposition de loi, madame Bellay, celle du sénateur Lurel, celles que rappellera Serge Letchimy lorsque je le rencontrerai tout à l’heure, les initiatives provenant des parlementaires et celles que pourra prendre le gouvernement, notamment lors du Ciom annoncé il y a quelques jours par le premier ministre, nous permettent d’aller loin dans ce sens. Il faudra agir ! Pour ma part, je m’engage à travailler avec les différents groupes parlementaires sur des propositions concrètes. Je ne sais pas de combien de temps je dispose, mais là n’est pas l’essentiel : si nous n’agissons pas, le feu reprendra.
Mme la rapporteure a dit une chose très juste, que j’avais moi-même soulignée lors de mon installation : il faut en finir avec la trop fréquente infantilisation de ces territoires par l’État.
M. Davy Rimane
Je suis d’accord !
M. Manuel Valls, ministre d’État
Or cela impose aussi de faire preuve de responsabilité. Pourquoi dis-je cela ? Je tiens à être franc : s’il existe, incontestablement, des situations de monopole, que beaucoup d’acteurs ne veulent pas voir évoluer tant elles sont juteuses, d’autres ne souhaitent aucune évolution sur le plan politique et social pour ne pas remettre en question les positions acquises.
M. Davy Rimane
C’est vrai !
M. Manuel Valls, ministre d’État
En effet, il est bien plus facile de contester et de s’opposer sur le terrain en surfant sur le mécontentement et la colère – ça marche d’ailleurs, en un certain sens – que de prendre ses responsabilités, comme vous le faites à travers cette proposition de loi. Si nous voulons nous montrer responsables, il faut faire ce qui nous semble utile non pas dans l’optique politique, ou pour atteindre des objectifs électoraux, mais pour nos concitoyens, en particulier ceux qui souffrent du chômage, du manque de pouvoir d’achat et d’un sentiment d’injustice.
Deux mots encore. Un mouvement social, nous le savons tous, peut aboutir à des violences. Comme ministre du gouvernement, bien que je comprenne les positions des uns et des autres, je veux répéter ce que j’ai dit à la tribune : nous ne pouvons admettre la moindre violence à l’égard des biens publics ou des forces de l’ordre.
M. Marcellin Nadeau
Il y a des débordements dans tous les mouvements sociaux !
M. Manuel Valls, ministre d’État
Un mouvement social a d’évidentes conséquences. Cela est vrai, mais… (Exclamations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et GDR. – Mme la présidente de la commission des affaires économiques proteste également.)
Madame la présidente Trouvé, vous n’étiez pas là lorsque je suis intervenu tout à l’heure. Comme je l’indiquais, si je peux comprendre les colères et les violences – nous en parlerons de nouveau à propos de la Nouvelle-Calédonie –, aucune complaisance n’est de mise à leur égard, pas plus qu’à l’égard de ceux qui ont non seulement voulu s’en prendre aux bâtiments publics, à l’État, mais font aussi peser des menaces sur les élus – pardon de le dire, mais le taire serait trop facile et vous savez parfaitement ce qu’il en est.
M. Philippe Vigier
Eh oui !
M. Marcellin Nadeau
Et l’instrumentalisation de la justice ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Garantir l’ordre républicain est aussi de la responsabilité du gouvernement.
M. Marcellin Nadeau
Pas de paix sans justice !
M. Manuel Valls, ministre d’État
Il n’y a pas plus d’ordre républicain sans justice sociale que de justice sociale sans ordre républicain, je vous l’accorde bien volontiers. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem.)
Je suis conscient du poids du passé. Les uns et les autres ont évoqué l’esclavage et ce qui s’est passé il y a des dizaines d’années. Ces questions renvoient d’ailleurs – je le murmurais à l’oreille de Mme la rapporteure il y a un instant – à la responsabilité de tous ou presque : beaucoup sur ces bancs ont été au pouvoir, entretenant d’ailleurs des liens très forts avec ces territoires.
Il faut maintenant agir : en matière éducative, dans le domaine de la culture et en faveur d’une profonde transformation économique des outre-mer. Nous ne le ferons pas en quelques jours, encore moins en ce seul matin. Prenons du moins les initiatives les unes après les autres. Puisque le député Nilor a cité Desmond Tutu, je citerai Aimé Césaire, comme il est d’usage ici – chacun le fait, plus ou moins bien : « Un pas, un autre pas, encore un autre pas et tenir gagné chaque pas ! » Voilà ce que nous sommes en train de faire, et je le crois utile à la nation comme à nos compatriotes ultramarins.
Discussion des articles
M. le président
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Article 1er
M. le président
La parole est à M. Christian Baptiste.
M. Christian Baptiste
Je voudrais saluer le travail effectué par Béatrice Bellay et toute son équipe (Mme Dieynaba Diop applaudit) ainsi que l’ensemble des interventions des collègues, qui ont reconnu, comme le ministre d’État lui-même, la nécessité de refonder l’économie de nos territoires. Le rapport de la délégation aux outre-mer le soulignait : c’est le manque de vision, l’absence de stratégie de développement pour ces territoires qui nous a plongés dans ces problèmes de vie chère.
La présente proposition de loi devrait, comme d’autres qui ont été évoquées, constituer un élément politique fondateur de notre sortie de la colonialité, car il y a des relents de colonialisme – vous l’avez dit, monsieur le ministre d’État. Nous sommes dans un système néolibéral-colonial, même si beaucoup sont dans le déni de cette situation. Il faut donc que la proposition de loi dont nous discutons permette de progresser vers une véritable décolonialité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mme Eva Sas et M. Frédéric Maillot applaudissent également.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Victor Castor.
M. Jean-Victor Castor
Je veux simplement réagir aux propos de M. le ministre. Vous avez évoqué une mission de l’Inspection générale des finances, mais je vous signale qu’en mars 2022, cette dernière s’était déjà vue confier une mission relative à la régulation du prix des carburants et du gaz dans nos territoires d’outre-mer. Mon collègue Davy Rimane et moi-même, nous avons mis deux ans à obtenir les résultats de son rapport, et il nous a fallu passer par la Cada, la Commission d’accès aux documents administratifs. Avant cela, tous les ministres macronistes qui se sont succédé nous ont fait tourner en rond pour nous empêcher de le consulter, car les groupes pétroliers avaient interdit sa diffusion. Dans ces conditions, comment vous croire ?
Ensuite, après avoir finalement pris connaissance de ce rapport, nous avons posé une question écrite qui n’a, en plusieurs mois, reçu aucune réponse. Dans ce rapport, il est clairement écrit que les groupes en question, notamment la Sara – Société anonyme de la raffinerie des Antilles –, trafiquent les chiffres et détournent les réalités. Il préconise en outre de réduire immédiatement de 15 centimes le coût du carburant dans nos territoires, et il signale que le bilan comptable de la Sara ne précise à aucun moment qu’elle fait venir du carburant déjà raffiné et qu’elle intègre le coût du raffinage dans le calcul des prix. Je rappelle que le prix des hydrocarbures est déterminé par les préfets et que ces derniers, tout comme le ministre de l’économie et des finances et celui chargé des comptes publics, avaient tous connaissance de ces pratiques.
On aura beau charger l’Inspection générale des finances de telle ou telle mission, la réalité, c’est que l’État cautionne les pratiques de tous ces groupes depuis de nombreuses années ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SOC et sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Joseph Rivière.
M. Joseph Rivière
Le présent article renforce la place des observatoires des prix, des marges et des revenus dans la négociation du BQP et des autres paniers du ménage. Cette place renforcée des acteurs de la société civile dans la vie économique est, pour le Rassemblement national, un premier bon signe envoyé, dans le cadre de nos travaux, pour lutter contre la vie chère ; un premier pas dans le bon sens, qui doit en appeler d’autres.
Toutefois, il est regrettable de ne pas donner plus de moyens à ces observatoires, tant pour garantir leur indépendance que pour leur permettre de mener à bien leurs missions. En effet, les OPMR ont tendance, dans les analyses et les négociations qu’ils mènent, à éluder l’influence majeure des octrois de mer, et notamment de l’octroi de mer régional, sur la surenchère des prix dans nos territoires ultramarins. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Metzdorf.
M. Nicolas Metzdorf
C’est de cet article en particulier que nous souhaitons débattre avec les collègues, dans la mesure où selon nous, l’alignement des prix de certains produits sur ceux pratiqués en métropole occasionnerait des pénuries d’approvisionnement dans nos territoires d’outre-mer. En effet, les entreprises n’auraient alors aucun intérêt à importer ces produits dont elles ne pourraient de toute façon supporter les coûts. Fixer les tarifs de produits importés de métropole en les mettant au même niveau qu’en métropole nous paraît contre-productif.
M. le président
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.
M. Jean-Hugues Ratenon
Nous examinons cette loi au moment où Rodrigue Petitot, leader du mouvement contre la vie chère en Martinique et président du RPPRAC, auquel j’apporte mon total soutien, est inquiété par la justice. Emprisonner Petitot, c’est tenter de réduire au silence la lutte contre la vie chère (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP) ; emprisonner Petitot, c’est emprisonner la justice sociale, et ce n’est pas acceptable.
Cette proposition de loi arrive aussi dans un contexte économique très tendu pour les outre-mer, qui continuent à faire face à l’inflation alors que le coût de la vie y est déjà très élevé. La cherté de la vie n’est d’ailleurs pas seulement un problème de prix : c’est un problème de vie. Avec la vie chère, les difficultés s’accumulent et affectent les ménages tant physiquement que moralement ; elles déclenchent des violences et détruisent la santé. Dans les outre-mer, la cherté de la vie ne touche pas uniquement les denrées alimentaires. Notre collègue Nilor l’a dit : de nombreux secteurs, pour ne pas dire tous, sont concernés.
L’article 1er du texte vise à mettre en œuvre un véritable bouclier qualité prix en faisant participer les observatoires des prix, des marges et des revenus aux négociations sur les prix, mais n’oublions pas que les modes de consommation ont changé ! Ainsi, des amendements ont été déposés sur l’article en vue de l’améliorer, afin de répondre davantage aux attentes de nos populations. Nous avons là l’occasion d’agir concrètement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet
Nous avons bien compris que ce texte concerne d’abord la vie chère, mais je veux vous prendre au mot, monsieur le ministre – « un pas, un autre pas », avez-vous dit –, et parler aussi de la vie saine et de la vie digne.
Il existe à Mayotte un bouclier qualité prix qui concerne un panier de soixante-quinze produits – je suis d’ailleurs étonnée qu’aucun des parlementaires mahorais ne soit présent, alors qu’ils nous ont donné des leçons pendant plusieurs jours, ici même, à propos des conditions de vie sur leur territoire (Mme Catherine Hervieu applaudit) –, mais ce sont des produits que l’on chercherait en vain en métropole. On vend à Mayotte 10 kilos d’ailes de poulet pour moins de 20 euros ; vous imaginez la qualité ! C’est du poulet venu du Brésil, produit sans respecter aucune des conditions exigées en Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
En Guyane, on vend des yaourts ultrasucrés et des sodas bourrés de colorants, qui viennent du Suriname et ne respectent eux non plus aucun des critères de production et de qualité existant en Europe. Pour ma part, je plaide donc pour le renforcement des moyens d’intervention des inspections de la direction départementale de la protection des populations (DDPP), afin qu’elle puisse procéder à des contrôles rendus encore plus nécessaires par la vente de produits périmés qui s’observe actuellement à Mayotte. Le groupe Bernard Hayot, qui met dans les rayons ces produits, sait très bien ce qu’il fait ! (MM. Élie Califer et Dominique Potier applaudissent.) Il pourrait les faire venir de La Réunion en très peu de temps, mais il préfère puiser dans des stocks périmés qui existent sans doute depuis des années. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP, SOC et GDR.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, pour soutenir l’amendement no 28 deuxième rectification, du gouvernement.
Je précise que son adoption ferait tomber certains des amendements qui suivent.
M. Manuel Valls, ministre d’État
Je l’ai présenté tout à l’heure, mais j’insiste : l’objectif du gouvernement est de revenir à la finalité du bouclier qualité prix qui doit favoriser la modération des prix en outre-mer et conserver son caractère d’accord négocié.
Je conçois que nous en débattions, mais j’ai dit tout à l’heure que l’article 1er, tel qu’il est rédigé, instaure une mesure de blocage des prix dont la constitutionnalité apparaît fragile, dès lors que la fixation des prix ne prendrait pas en compte les mécanismes de leur formation, dont les coûts liés à l’importation, et porterait ainsi une atteinte disproportionnée aux libertés de commerce et d’entreprendre, qui sont garanties par notre texte fondamental.
J’ai aussi souligné tout à l’heure que l’exigence d’alignement tarifaire avec l’Hexagone, que propose l’article 1er et dont je comprends l’objectif, n’est pas souhaitable car elle se heurte aux réalités économiques liées à l’éloignement et à l’insularité, qui sont tout de même des faits indiscutables, ainsi qu’à l’absence de référentiel fiable et objectif sur ce que sont les prix hexagonaux. L’alignement tarifaire empêcherait en outre toute concurrence entre les opérateurs, ce qui nuirait au dynamisme économique et à l’innovation.
Toutefois, sans exiger un alignement des prix, le gouvernement choisit de se rapprocher au maximum de la rédaction de la rapporteure et soutient une évolution du dispositif associée à un objectif clairement inscrit dans la loi : la réduction du différentiel de prix entre l’outre-mer et l’Hexagone. C’est à mon sens une avancée claire et nette.
L’association des collectivités territoriales compétentes et des observatoires des prix, des marges et des revenus à la négociation, prévue par la rapporteure et soutenue par le gouvernement, facilitera l’atteinte de cet objectif. De même, en accord avec la rapporteure, nous souhaitons une consultation des associations de santé et de nutrition pour que baisse des prix ne rime pas avec baisse de la qualité voire avec mise en danger de la santé.
Le gouvernement propose également une transmission automatique des données de sortie de caisse des opérateurs à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), ce qui facilitera les contrôles et permettra une meilleure connaissance de l’efficacité du dispositif.
Enfin, le présent amendement vise à supprimer le renforcement des pouvoirs des observatoires des prix, des marges et des revenus – je le dis en particulier à M. Rivière –, qui induit des risques en matière de diffusion d’informations commerciales confidentielles. Vouloir la transparence sur les prix et sur les marges est une chose ; s’attaquer à des informations commerciales confidentielles ou – je l’ai dit – aux principes constitutionnels en est une autre.
En somme, je réaffirme notre soutien à la position de la rapporteure, qui est majoritaire sur ces bancs et que nous avons entendue. Nous proposons toutefois un dispositif que nous considérons comme plus solide sur le plan juridique et qui sera donc sans aucun doute – je l’espère – plus efficace. C’est notre seul objectif.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable.
M. Marcellin Nadeau
Bien, madame la rapporteure !
M. le président
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Je veux très brièvement répondre à M. le ministre. Vous parlez de libre concurrence, mais cela n’existe absolument pas dans les outre-mer !
M. Marcellin Nadeau
C’est une évidence !
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Ce sont nos débats en commission qui nous ont amenés à adopter cet article 1er et vous l’avez dit vous-même, il y a en outre-mer des situations de monopole et d’oligopole. Je ne citerai qu’un seul cas : le groupe Hayot. Cela fait que la libre concurrence ne règne évidemment pas dans ces territoires. C’est justement à cette réalité que nous voulons nous attaquer dans le cadre de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs des groupes SOC et GDR.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Manuel Valls, ministre d’État
Vous ne m’avez pas écouté, madame la présidente ! En effet, la concurrence doit aller de pair avec la justice, la liberté de commerce et l’entière transparence sur les marges ; nous sommes d’accord là-dessus. Je veux simplement appeler votre attention sur un point : si nous ne voulons pas nous contenter de proclamations, si nous ne voulons pas seulement faire un coup un jeudi matin, bref, si nous voulons aller plus loin, alors il faut tenir compte des coûts que doivent assumer les entreprises et faire attention à sauvegarder la liberté d’entreprendre et les libertés fondamentales inscrites dans la Constitution. C’est tout !
C’est la raison d’être de notre amendement et j’ai dit à plusieurs reprises que j’étais d’accord, sur le fond, avec la philosophie de l’article qui nous est présenté. C’est la responsabilité du gouvernement ! Permettez-moi de souligner les risques qui pourraient empêcher cette proposition de loi d’aller jusqu’au bout.
M. Vincent Jeanbrun
Très bien !
M. le président
La parole est à Mme Karine Lebon.
Mme Karine Lebon
Si je comprends bien, l’amendement gouvernemental vise simplement à détricoter la disposition proposée par la rapporteure…
M. Manuel Valls, ministre d’État
Mais non !
M. Nicolas Sansu
Mais si !
Mme Karine Lebon
…et à maintenir le fonctionnement actuel du BQP, alors qu’il est particulièrement inefficace. Nous ne sommes pas opposés, sur le principe, au fait de négocier avec les distributeurs, mais le rapport de force sera toujours, in fine, défavorable au consommateur. Si les collègues font adopter votre amendement, rien ne changera ! Les combats de nos compatriotes ultramarins pour mettre un terme à la cherté de la vie resteront vains.
M. Christian Baptiste
C’est vrai !
Mme Karine Lebon
Votre objectif affiché de réduction du différentiel de prix entre l’outre-mer et l’Hexagone n’a – pardonnez-moi – aucun sens. Passer d’une différence de 37 % à une différence de 36, 35 ou 34 %, ce n’est clairement pas suffisant ! C’est pourtant tout ce que vous proposez.
Soit nous parlons de « prix équivalents », soit nous ne le faisons pas, mais cette histoire d’objectif résonne comme un leurre, et nous ne pouvons pas l’accepter. Vous êtes ministre des outre-mer, monsieur Valls : prenez donc vos responsabilités et expliquez aux ultramarins, qui ne peuvent pas remplir leur frigo, que vous refusez de mettre fin à cette inégalité scandaleuse ! (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à M. Matthias Renault.
M. Matthias Renault
Nous voterons contre l’amendement du gouvernement, qui vise en fait à réécrire entièrement l’article 1er. La réécriture recentre le dispositif sur le respect du bouclier qualité prix, mais elle tue dans l’œuf une disposition assez essentielle, celle qui concerne les observatoires des prix, des marges et des revenus.
Or non seulement les OPMR ont une activité faible, comme l’ont montré les travaux de la commission d’enquête sur le coût de la vie dans les collectivités territoriales d’outre-mer – seul l’OPMR de La Réunion fonctionne à peu près correctement –, mais ils n’exercent en outre aucune activité d’observation des marges qui serait équivalente à ce que fait au niveau national l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM). Ce dernier fournit un rapport annuel très concret qui décortique les marges par secteur d’activité pour la métropole. C’est un exercice qu’il serait intéressant de réaliser en outre-mer !
De plus, dans le travail d’observation des marges qu’il réalise au niveau national, l’OFPM ne viole pas le secret des affaires, dès lors que les sociétés ne sont pas nommément désignées dans ses rapports. J’ai bien peur que l’invocation du secret des affaires ne soit un prétexte pour tuer le dispositif adopté en commission.
L’intérêt de l’observation des marges par les OPMR serait de fournir un panorama par secteur d’activité, sur le fondement duquel l’Autorité de la concurrence pourrait ensuite, le cas échéant, faire son travail, cette fois-ci en visant précisément certaines sociétés.
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Je rappelle ce que j’ai dit dans mon propos liminaire : il s’agit non pas de porter un coup à l’économie, mais de faire baisser les prix d’une série de produits, à l’issue d’une négociation.
Monsieur le ministre, nous avons entendu vos arguments, mais je reste défavorable à votre amendement, qui tend peu ou prou à réécrire l’ensemble de l’article en éliminant tout ce que nous souhaitons ajouter au dispositif en vigueur. Mes chers collègues, je vous invite à voter contre cet amendement du gouvernement.
(L’amendement no 28 deuxième rectification n’est pas adopté.)
(Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EcoS et GDR. – Exclamations sur quelques bancs du groupe EPR.)
M. Arthur Delaporte
Ce n’était pas consensuel !
M. le président
La parole est à M. Jiovanny William, pour soutenir l’amendement no 25.
M. Jiovanny William
Il vise à préciser que la liste des produits bénéficiant d’une réduction de prix grâce au BQP comprendra des produits « de grande consommation » plutôt que seulement des produits « de première nécessité ». Cette liste doit s’étendre bien au-delà des produits de première nécessité. Il est essentiel de reconnaître, lorsqu’on entend lutter contre la vie chère, que la vie n’a pas de prix. Nous ne pouvons pas nous en tenir aux seuls biens de première nécessité.
(L’amendement no 25, accepté par la commission, repoussé par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à Mme Maud Petit, pour soutenir l’amendement no 50.
Mme Maud Petit
Il vise à rendre un peu plus réalistes, du moins atteignables, les objectifs fixés à l’article 1er. Il nous paraît improbable que les prix pratiqués en application du BQP soient similaires aux prix pratiqués dans l’Hexagone, pour un ensemble de raisons que plusieurs d’entre nous ont détaillées précédemment, notamment les frais supplémentaires nécessaires pour acheminer les biens jusqu’aux différents territoires concernés. Nous proposons donc de remplacer la notion de prix « équivalents à » ceux pratiqués dans l’Hexagone par celle de prix « raisonnables, tendant vers » ceux pratiqués dans l’Hexagone. Cela nous paraît un peu plus réaliste et réalisable, donc plus efficace.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
De même qu’en commission, nous demandons à notre collègue de retirer son amendement. À titre personnel, j’y suis défavorable. Nous avons déjà expliqué, en long, en large et en travers, que ces objectifs étaient atteignables.
Mme Maud Petit
Tout le monde n’était pas présent en commission !
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Laissez-nous estimer ce qui est réaliste et réalisable, pour nous, là où nous vivons. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs des groupes EcoS et GDR.)
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
J’allais demander le retrait de l’amendement ; j’y suis défavorable pour des raisons de fond.
Pour le reste, je ne veux pas m’immiscer dans les travaux de l’Assemblée nationale, madame la rapporteure, mais tout ce que je peux vous dire, de la manière la plus ferme, c’est que tous les territoires de France intéressent tous les députés,…
Mme Maud Petit
Exactement !
M. Manuel Valls, ministre d’État
…même si chacun connaît mieux les dossiers de son propre territoire. Les outre-mer, tout particulièrement, doivent intéresser l’ensemble des députés de la nation. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem.)
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
C’est à moi que l’on dit que je devrais être un peu plus réaliste. Ça va ! Je ne suis pas une rêveuse !
M. le président
La parole est à Mme Karine Lebon.
Mme Karine Lebon
Madame Petit, vous mettez en avant la notion de prix « raisonnables ». Mais qu’est-ce qui est raisonnable ? La raison de Bernard Hayot est-elle la même que celle des consommateurs qui peinent à remplir leur frigo ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
Puisque l’on parle de raison, parlons aussi de morale. L’enrichissement auquel se livre le groupe Bernard Hayot, notamment dans les outre-mer, est-il moral, alors que les consommateurs continuent de s’appauvrir ?
M. Marcellin Nadeau
Absolument !
Mme Karine Lebon
Je conteste la formulation de votre amendement. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR, LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à Mme Maud Petit.
Mme Maud Petit
Madame la rapporteure, je trouve insupportables les mots que vous avez employés.
M. Vincent Descoeur et M. Vincent Jeanbrun
Elle a raison !
Mme Maud Petit
Vous êtes nombreux à regretter que trop peu de députés s’intéressent aux outre-mer. Or nous sommes présents aujourd’hui et nous avons nous aussi des idées, des réflexions et des suggestions à formuler à propos de la vie chère. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, EPR et DR.)
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Je suis réaliste, je ne suis pas une rêveuse !
Mme Maud Petit
Vous n’êtes pas la seule à pouvoir en parler, je n’apprécie pas du tout les propos que vous avez tenus. Si tous ceux qui ne sont pas élus dans ces territoires devaient se lever et sortir, vous n’apprécieriez pas.
Le terme « raisonnable » est peut-être mal choisi ; il est possible de sous-amender pour le retirer. En revanche, le reste de la rédaction me semble beaucoup plus réaliste,…
M. Marcellin Nadeau
Encore ce mot !
Mme Maud Petit
…car il sera difficile d’atteindre des prix similaires à ceux pratiqués dans l’Hexagone ; je pense qu’il faut tendre vers ces prix. Je maintiens donc mon amendement.
Vous ne me ferez pas dire, bien sûr, que les agissements du groupe Bernard Hayot sont les meilleurs possibles,…
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Je n’en ai pas parlé.
Mme Maud Petit
…car ce n’est pas vrai ; nous sommes d’accord sur ce point. (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, EPR et DR.)
(L’amendement no 50 n’est pas adopté.)
M. Philippe Vigier
Vous vendez du vent !
M. le président
Votre amendement no 40, madame la rapporteure, semble rédactionnel.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Il vise effectivement à améliorer la rédaction de la troisième phrase de l’alinéa 7.
(L’amendement no 40, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l’amendement no 2.
M. Jean-Philippe Nilor
Le BQP concerne à ce stade les produits alimentaires. Par cet amendement, nous proposons d’aller plus loin, en intégrant à la liste en question des produits qui représentent d’importants postes de dépenses pour les ménages ultramarins. Ainsi, le budget automobile est bien plus élevé dans les outre-mer que dans l’Hexagone, la différence pouvant s’élever à 400 % pour les pièces détachées ! Il en va de même des prix pour communiquer par téléphone ou internet : ils sont jusqu’à 35 % plus élevés en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane.
La mesure que nous proposons permettrait en outre de contenir la stratégie de péréquation utilisée par les grands groupes, qui consiste à augmenter les prix sur les produits non alimentaires pour compenser les efforts qu’ils ont consentis sur les produits alimentaires. Ce que nous aurons pu gagner d’un côté, il ne faudrait pas que nous le perdions de l’autre !
Pour finir, la rédaction adoptée en commission prévoit que seul le préfet peut décider d’intégrer de nouveaux secteurs dans le BQP. Par cet amendement, nous proposons d’y intégrer d’office certains secteurs, étant entendu que la liste pourra toujours être complétée par décision du préfet. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Favorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Maud Petit.
Mme Maud Petit
Si Mme la rapporteure m’en donne la possibilité (Exclamations sur quelques bancs des groupes SOC et GDR), je vais intervenir à ce sujet.
Je m’exprime non pas au nom de mon groupe, mais à titre personnel. Il est exact que, dans les outre-mer, ce ne sont pas seulement les denrées alimentaires qui coûtent cher ; c’est aussi le cas, entre autres, des pièces détachées pour automobiles et de l’accès à internet. Étendre le BQP à plusieurs de ces secteurs me paraît donc une bonne idée. Je voterai pour l’amendement.
M. Philippe Vigier
Très bien !
(L’amendement no 2 est adopté.)
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 41.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Il reprend en partie une proposition du gouvernement : il vise à ce que la collectivité territoriale compétente soit associée à la négociation de l’accord dans le cadre du BQP.
(L’amendement no 41, accepté par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Metzdorf, pour soutenir l’amendement no 12.
M. Nicolas Metzdorf
C’est un amendement rédactionnel, qui tend à remplacer « que soient garanties » par « d’intégrer ».
(L’amendement no 12, accepté par la commission et le gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Metzdorf, pour soutenir l’amendement no 13.
M. Nicolas Metzdorf
Il s’agit là encore d’un amendement rédactionnel, qui vise à rendre le texte plus précis.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Demande de retrait ; sinon, avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Même avis.
(L’amendement no 13 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements, nos 60 et 15, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 60.
Mme la rapporteure
C’est un amendement rédactionnel, portant sur l’alinéa 9, lequel fixe au préfet l’objectif d’établir un dispositif de comparateur de prix qui sera mis à la disposition des OPMR.
M. le président
La parole est à M. Nicolas Metzdorf, pour soutenir l’amendement no 15.
M. Nicolas Metzdorf
Il vise à préciser que le comparateur de prix sera rendu public même en l’absence d’accord entre les parties.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 15 ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
J’en demande le retrait, sans quoi mon avis sera défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement sur ces deux amendements ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Je m’en remets à la sagesse de l’Assemblée.
(L’amendement no 60 est adopté ; en conséquence, l’amendement no 15 tombe.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Metzdorf, pour soutenir l’amendement no 16.
M. Nicolas Metzdorf
Il est presque rédactionnel. Il vise à supprimer du texte une mention inutile.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Cela ne présente guère d’intérêt. Avis défavorable si l’amendement n’est pas retiré.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
C’est intéressant. (Sourires.) Avis favorable.
(L’amendement no 16 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 33.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Les amendements nos 33 à 37 sont rédactionnels, monsieur le président.
M. le président
Je précise que l’adoption de l’amendement no 33 ferait tomber les amendements suivants, jusqu’à l’amendement no 38 compris.
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
Je mets aux voix…
M. Pierre Cazeneuve
Attendez ! Comment l’amendement no 33 peut-il être rédactionnel si son adoption fait tomber les suivants ?
Plusieurs députés du groupe SOC
Il est mis aux voix, vous ne pouvez plus intervenir !
M. Pierre Cazeneuve
C’est au président de séance de décider…
Un député du groupe SOC
Et c’est un bon président de séance !
M. le président
La parole est à M. Pierre Cazeneuve.
M. Pierre Cazeneuve
Je ne fais preuve d’aucune animosité, et tout ira bien. Nous nous apprêtons à passer la journée ensemble… (Brouhaha sur les bancs du groupe SOC.)
M. le président
Dites ce que vous avez à dire, monsieur le député.
M. Pierre Cazeneuve
Monsieur le président, merci de m’avoir donné la parole. Je ne comprends pas comment un amendement purement rédactionnel peut faire tomber les suivants. Il ne me paraît pas aberrant de demander une explication afin de voter de manière éclairée. Nous sommes dans une dynamique très constructive, l’idée est bien de poursuivre dans le calme l’examen de ces textes ; je n’ai pas l’impression de trop en demander.
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
L’amendement no 33 est bien rédactionnel, mais comme il récapitule en quelque sorte les suivants, son adoption entraînerait leur chute.
M. Pierre Cazeneuve
Merci pour cette explication !
Mme Ségolène Amiot
Il faudrait apprendre à lire les amendements !
(L’amendement no 33 est adopté ; en conséquence, les amendements nos 34, 35, 36, 37, 17 et 38 tombent.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 39 rectifié.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Il est également rédactionnel puisqu’il modifie une référence de code.
(L’amendement no 39 rectifié, accepté par le gouvernement, est adopté.)
(L’article 1er, amendé, est adopté.)
Après l’article 1er
M. le président
Je suis saisie de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 1er.
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon, pour soutenir l’amendement no 3.
M. Jean-Hugues Ratenon
L’efficacité des observatoires des marges, des prix et des revenus est limitée car ils manquent de moyens financiers et d’action. Les concentrations économiques extrêmes, comme le monopole de certains grands groupes, étouffent les petits producteurs, détruisent les commerces de proximité et sont la cause directe de l’augmentation des prix. Le rachat de Vindémia par le groupe Bernard Hayot à La Réunion illustre bien ce phénomène. Malgré les efforts et les alertes de l’OPMR, l’Autorité de la concurrence a validé cette opération dont les effets sont maintenant clairs : concurrence affaiblie, hausse des prix et fragilisation de la production locale.
Le journal Libération a récemment mis en lumière les pratiques suspectes de GBH. L’entreprise dissimule des marges dans le secteur automobile quatre fois supérieures à celles pratiquées dans l’Hexagone grâce à un système opaque d’entreprises intermédiaires. Ces pratiques permettent d’accumuler les profits tout en masquant leur réelle ampleur. Cette situation, dénoncée dans plusieurs rapports officiels, est héritée d’une tradition d’économie de comptoir, soutenue par des connivences politiques et un intense lobbying.
Ce capitalisme sauvage détruit nos territoires et dépasse les bornes. Par le présent amendement, nous proposons donc de renforcer les OPMR pour garantir plus de transparence et de contrôle économique. Nous pourrons ainsi rétablir une concurrence équitable et permettre aux populations ultramarines de bénéficier de prix plus justes. Ce faisant, nous augmenterons aussi la légitimité et la visibilité des OPMR, ce qui justifiera par la suite une augmentation de leurs moyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Il est important de contrôler les phénomènes de concentration, mais cette mission relève de l’Autorité de la concurrence. Les OPMR ne souhaitent pas en récupérer la charge. Je vous demanderai donc de retirer cet amendement ; à défaut, avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Perceval Gaillard.
M. Perceval Gaillard
C’est quand même incroyable : à chaque fois que nous voulons aller plus loin qu’une position de principe, que nous voulons mener des politiques efficaces, on nous répond que ce n’est pas possible et que c’est le rôle d’autres institutions.
Il est certes important de rappeler que la question de la vie chère et de la formation des prix est liée non à l’octroi de mer, mais aux marges abusives. Je tiens cependant à appeler l’attention de mes collègues et de ceux qui nous écoutent sur le fait que tout ce qui sera arraché dans cet hémicycle sera récupéré par les monopoles – notamment par le groupe Bernard Hayot, qui jouit de nombreuses rentes de situation. Nous avons parlé des pièces automobiles, mais cela s’applique à d’autres secteurs. Ainsi, les frais bancaires sont aussi concernés : alors qu’il n’y a aucune différence matérielle sur ce plan entre les territoires d’outre-mer et l’Hexagone, les frais bancaires y sont bien plus élevés.
Au-delà de la communication, nous voulons régler réellement la question de la vie chère. Cela passera par des lois antitrusts, comme on l’a fait par le passé, par l’augmentation des salaires et des pensions – les salariés et les retraités ultramarins font partie des plus pauvres de France – et par le contrôle et la coercition pour lutter contre les monopoles, les oligopoles et les ententes sur les prix. Nous n’arriverons à rien si nous en restons uniquement à l’affichage. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
(L’amendement no 3 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, pour soutenir l’amendement no 29.
M. Manuel Valls, ministre d’État
Par cet amendement, le gouvernement propose de réduire le seuil de revente à perte dans les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution, c’est-à-dire dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, afin de permettre aux distributeurs de baisser les prix de détail de certains produits.
Actuellement, le prix du transport entre dans la détermination du prix en dessous duquel les distributeurs ne peuvent pas vendre leur produit au consommateur – le seuil de revente à perte. Pour les seuls départements et régions d’outre-mer, le fait de supprimer le prix du transport des éléments intégrés dans le calcul de ce seuil autoriserait les distributeurs à faire diminuer les prix en rayon. C’est particulièrement vrai s’agissant des produits de première nécessité, dont le prix de transport rapporté à la valeur est généralement proportionnellement plus élevé que celui de produits plus chers.
Cette spécificité s’ajouterait à l’absence de majoration de 10 % du seuil de revente à perte sur les produits alimentaires, majoration qui ne s’applique que sur le territoire métropolitain. Les particularités des territoires d’outre-mer justifient en effet un régime dérogatoire en matière d’interdiction de la revente à perte.
Il s’agit d’une mesure importante pour le pouvoir d’achat. Le gouvernement entend ainsi accompagner l’application de cette proposition de loi, y compris sur des territoires qui sont malheureusement trop souvent oubliés.
(L’amendement no 29, accepté par la commission, est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l’amendement no 6.
M. Jean-Philippe Nilor
Comme nous l’avons expliqué lors de la discussion générale, nous considérons qu’il est crucial de renforcer les observatoires des prix, des marges et des revenus, afin qu’ils puissent enfin orienter les débats et les négociations des prix. Il faut cependant répondre aux critiques relatives à leur manque d’efficacité. Les différents travaux menés dans le cadre de la lutte contre la vie chère ont en effet montré la nécessité d’un net renforcement des OPMR, tant de leurs missions que de leurs moyens.
Nous souhaitons compléter leurs missions – analyse de la structure des prix et transmission régulière d’informations sur leur évolution – en les chargeant d’éclairer les pouvoirs publics sur la formation des marges et des prix. Il s’agit de s’inspirer des dispositions de l’article L. 682-1 du code rural et de la pêche maritime relatives à l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, dispositions qui ont démontré leur efficacité.
Nous proposons aussi de renforcer les OPMR en les autorisant à saisir les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes et en prévoyant une amende pour sanctionner le refus de répondre à une demande d’information formulée par un observatoire. Cette mesure renforcerait concrètement la crédibilité de ces observatoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Frédéric Maillot applaudit également.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Avis favorable de la commission, ainsi qu’à titre personnel.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Avis défavorable du gouvernement, ainsi qu’à titre personnel. (Sourires.)
(L’amendement no 6 est adopté.)
M. le président
L’amendement no 5 rectifié de M. Jean-Philippe Nilor est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Avis favorable, d’autant qu’il va dans le sens d’une autre proposition de loi déposée par des sénateurs socialistes.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Je m’en remets à la sagesse de cette assemblée.
(L’amendement no 5 rectifié est adopté.)
Article 2
M. le président
La parole est à M. Joseph Rivière.
M. Joseph Rivière
L’article 2 s’attarde sur les comptes des dirigeants des entreprises qui, il est vrai, doivent être vertueux pour que notre économie bénéficie à tous et que le jeu du libéralisme soit à somme positive. Éviter les entrepreneurs prédateurs, favoriser la transparence par le dépôt annuel des comptes : nous y sommes favorables.
Le Rassemblement national défendra toujours la transparence, à quelque niveau que ce soit.
Mme Dominique Voynet
Sauf quand il s’agit de ses comptes !
M. Joseph Rivière
Cependant, aucune place n’est faite dans cet article au développement du localisme et des circuits courts, et rien n’est prévu pour attirer les investissements. La question est essentiellement abordée sous un angle punitif. Nous ne sommes pas sûrs que ces dispositions créent les conditions nécessaires pour renforcer la confiance et attirer des investisseurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Metzdorf.
M. Nicolas Metzdorf
Si nous avons des réticences quant à l’article 1er et à l’article 4, qui vont trop loin dans la régulation des prix et de l’économie de manière générale, nous ne sommes pas opposés à plus de transparence en ce qui concerne l’action des entreprises. Les Français devraient pouvoir avoir accès à toutes les données nécessaires à la compréhension des équilibres du marché. Le groupe EPR est donc favorable à l’article 2.
M. le président
Je suis saisi de deux amendements, nos 46 et 23 rectifié, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 46.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Par cet amendement, nous entendons renforcer le dispositif d’injonction sous astreinte. Nous proposons qu’il puisse être prononcé soit d’office par le président du tribunal de commerce, soit sur demande de tout intéressé ou du ministère public.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Je suis défavorable à cet amendement. La possibilité pour le juge de se saisir d’office constituerait une exception dans le droit français – difficile à ce titre de l’inscrire dans la loi.
En l’état, la rédaction du texte pose une difficulté d’articulation puisqu’elle semble obliger le juge à s’autosaisir s’il ne l’est pas par un tiers ou par le procureur de la République. Cette obligation pourrait engager la responsabilité de l’État pour dysfonctionnement du service public de la justice si un juge manquait de s’autosaisir.
Je vous propose donc de retirer votre amendement au profit de l’amendement no 23 rectifié, qui réécrit une partie du dispositif et précise que le juge sera saisi à la demande du procureur ou de tout intéressé. Cela me paraît consolider juridiquement le texte tout en respectant votre intention.
M. le président
J’aurais dû donner la parole à M. Nicolas Metzdorf, pour soutenir l’amendement no 23 rectifié.
M. Nicolas Metzdorf
Il a déjà été très bien défendu par M. le ministre !
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement no 23 rectifié ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Défavorable. Nous maintenons l’amendement no 46. Nous proposons donc bien que le juge prononce l’astreinte après avoir été saisi directement ou s’être autosaisi.
(L’amendement no 46 est adopté ; en conséquence, l’amendement n° 23 rectifié tombe.)
(M. Stéphane Hablot applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 44 rectifié.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Il est rédactionnel.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Défavorable.
M. Pierre Cazeneuve
Comment peut-on être défavorable à un amendement rédactionnel ?
(L’amendement no 44 rectifié est adopté.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 45.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
C’est un amendement rédactionnel. Il s’agit d’apporter une précision légistique.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 45.
(Le vote à main levée n’ayant pas été concluant, il est procédé à un scrutin public.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 163
Nombre de suffrages exprimés 159
Majorité absolue 80
Pour l’adoption 119
Contre 40
(L’amendement no 45 est adopté.)
M. le président
L’amendement no 64 de M. Nicolas Metzdorf est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Défavorable. Il s’agit d’obtenir, par une mesure hybride, les plus larges données possible sur les entreprises.
(L’amendement no 64, accepté par le gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
Les amendements de précision légistique nos 47 et 48 de Mme la rapporteure sont défendus.
(Les amendements nos 47 et 48, acceptés par le gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques nos 42 et 65.
L’amendement no 42 de Mme la rapporteure est défendu.
M. le président
La parole est à M. Nicolas Metzdorf, pour soutenir l’amendement no 65.
M. Nicolas Metzdorf
Il s’agit d’une précision rédactionnelle.
(Les amendements identiques nos 42 et 65, acceptés par le gouvernement, sont adoptés.)
M. le président
L’amendement no 26 de M. Jiovanny William est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Avis favorable dans la mesure où il est question des entreprises qui ne respecteraient pas le droit – le ministre en avait parlé – et devraient par conséquent rembourser tout ou partie des aides publiques qui leur ont été versées.
(L’amendement no 26, repoussé par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
L’amendement no 27 de M. Jiovanny William est défendu.
(L’amendement no 27, accepté par la commission et repoussé par le gouvernement, est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Philippe Naillet, pour soutenir l’amendement no 32, lequel fait l’objet des sous-amendements identiques nos 69 et 70.
M. Philippe Naillet
La transparence, élément essentiel du combat contre la vie chère, est réclamée par nos populations. Le présent amendement vise par conséquent à renforcer la transparence concernant les remises sur les factures. Ainsi, les avantages obtenus par un distributeur auprès du fournisseur devront être mentionnés sur les factures d’achat, dès lors qu’ils sont de principe acquis et de montants chiffrables, même si leur versement est différé. Une compétence en matière de sanctions est attribuée à l’Autorité de la concurrence.
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir le sous-amendement no 69.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Il s’agit d’une précision légistique.
M. le président
La parole est à M. Marcellin Nadeau, pour soutenir le sous-amendement no 70.
M. Marcellin Nadeau
Dans l’esprit de l’amendement, qui vise à renforcer la transparence, nous demandons que la « marge arrière » soit inscrite sur le ticket de caisse. (M. Stéphane Peu applaudit.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement et les sous-amendements identiques ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Avis favorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Même si la rédaction de l’amendement est quelque peu imprécise et pourrait conduire à des interprétations complexes et, ce qui m’inquiète, à une application difficile, comme je souhaite, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, qu’on avance sur la question des marges arrière, je suis favorable aux sous-amendements identiques et donc à l’amendement ainsi sous-amendé.
(Les sous-amendements identiques nos 69 et 70 sont adoptés.)
(L’amendement no 32, sous-amendé, est adopté.)
M. le président
L’amendement no 43 de Mme la rapporteure est rédactionnel.
(L’amendement no 43, accepté par le gouvernement, est adopté.)
(L’article 2, amendé, est adopté.)
Article 3
M. le président
La parole est à M. Joseph Rivière.
M. Joseph Rivière
Nous devrions approfondir la question de savoir si nous souhaitons des géants de l’industrie ou bien un maillage territorial dense par des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME). Si elle n’est pas négligeable dans l’Hexagone où le problème de la vie chère prend de l’ampleur, la question se pose avec plus d’acuité en outre-mer. Quel modèle de développement voulons-nous ? De grosses entreprises qui pèsent lourd face à la concurrence régionale ou bien des TPE et des PME qui nourrissent un territoire et lui rendent sa vitalité ?
La question est légitime en ce que la France des métropoles vide la France des campagnes de ses ressources et de ses forces vives. De la même manière, les très grosses entreprises de la grande distribution tuent le petit commerce à petit feu et refaçonnent nos villes et nos villages dans les territoires d’outre-mer. Où place-t-on le curseur ? Or l’article 3 est très injonctif et ne permet pas une réflexion sur le long terme. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
L’amendement no 49 de Mme la rapporteure est rédactionnel.
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Je propose le retrait de cet amendement au profit du suivant : l’amendement no 18 de M. Metzdorf, dont la rédaction nous semble plus adaptée.
M. le président
Maintenez-vous votre amendement, madame la rapporteure ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Je le maintiens.
(L’amendement no 49 est adopté ; en conséquence, l’amendement n° 18 et les amendements identiques nos 51 et 55 tombent.)
M. le président
La parole est à M. Marcellin Nadeau, pour soutenir l’amendement no 8.
M. Marcellin Nadeau
On a beaucoup dit que les économies des dits outre-mer relevaient de l’économie de comptoir qui suppose une forte concentration. C’est pourquoi, pour limiter les phénomènes de concentration et envisager une sortie de crise durable, nous demandons que le chiffre d’affaires d’un groupe soit limité à 25 % des parts de marché et que la surface occupée n’excède pas 2 000 mètres carrés. Nous ne voulons pas toucher aux TPE et aux PME pour nous concentrer sur les groupes hégémoniques, qu’ils soient oligopolistiques ou monopolistiques. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes GDR et SOC.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
L’amendement ne concerne pas les entreprises existantes mais celles qui pourraient être créées. C’est pourquoi, cher ami Marcellin, j’en demande le retrait.
M. Marcellin Nadeau
Ce serait par amitié (Sourires), mais je le maintiens.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Je ne veux pas m’immiscer dans cette amitié mais j’émets le même avis que la rapporteure.
(L’amendement no 8 n’est pas adopté.)
(L’article 3, amendé, est adopté.)
Après l’article 3
M. le président
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon, pour soutenir l’amendement no 4 portant article additionnel après l’article 3, qui fait l’objet d’un sous-amendement.
M. Jean-Hugues Ratenon
Le présent amendement se fonde sur une réalité bien connue : créer des grandes surfaces ne favorise pas forcément la concurrence dans les territoires ultramarins. Bien au contraire, cela perpétue un système où les ententes illicites restent impunies. Tant que ces pratiques ne seront pas combattues avec fermeté, multiplier les grandes surfaces ne fera pas baisser les prix.
Or ces implantations ont un coût bien plus lourd qu’on ne l’imagine, en particulier du fait de l’accaparement des terres, ce foncier dont nous avons besoin, que ce soit pour le logement ou pour développer notre autonomie alimentaire. En outre, ces grandes surfaces détruisent les commerces de proximité – structures qui incarnent la solidarité dans nos quartiers ainsi que l’entraide.
Je défendrai bientôt l’amendement no 7 par lequel nous entendons répondre aux besoins des commerces de proximité dans nos quartiers et dans nos villes. Nous refusons de laisser prospérer un modèle qui écrase nos petits commerçants au bénéfice de quelques profiteurs qui concentrent les richesses entre leurs mains.
Le présent amendement n’est pas un frein au développement mais une invitation à repenser nos priorités, à préserver nos terres, à soutenir nos commerces de proximité, à combattre les pratiques abusives qui entretiennent la vie chère, à désengorger nos routes et à protéger la planète. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir le sous-amendement no 66 et donner l’avis de la commission.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Limiter l’entrée de nouveaux acteurs peut se révéler contre-productif. C’est pourquoi le présent sous-amendement vise à préciser la mesure proposée. Sous réserve de l’adoption du sous-amendement, je suis favorable à l’amendement.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Défavorable au sous-amendement ainsi qu’à l’amendement.
(Le sous-amendement no 66 est adopté.)
(L’amendement no 4, sous-amendé, est adopté.)
Article 4
M. le président
La parole est à M. Joseph Rivière.
M. Joseph Rivière
Je poserai la même question qu’à l’article 3 : quel modèle de développement voulons-nous ? Limiter ab initio, de façon arbitraire, les parts de marché d’une entreprise à 25 %, est-ce la meilleure manière d’attirer l’investissement, d’attirer des entrepreneurs qui pourront créer des emplois marchands pour rendre à nos territoires leur vitalité ?
Le seuil de 25 % semble ajouter une couche au millefeuille administratif des normes qui enserrent les entreprises en outre-mer. Au Rassemblement national, nous considérons que le développement des filiales locales passe par une totale liberté d’entreprendre dès lors que les carcans administratifs sont levés.
En nous focalisant sur la seule grande distribution, nous prenons le risque d’oublier les autres secteurs que sont la pêche, l’agriculture locale, le tourisme et, potentiellement, des secteurs d’industrie innovants. Les territoires d’outre-mer ont besoin d’oxygène et d’une meilleure respiration. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Metzdorf.
M. Nicolas Metzdorf
Cet article nous apparaît parfaitement antiéconomique. En annonçant aux investisseurs privés qu’ils seront limités dans leur développement, leur investissement et dans leur choix d’emplacement dans nos territoires ultramarins, nous les empêcherons de s’y installer et d’y favoriser la concurrence. L’idée n’est pas de défendre les duopoles ou les oligopoles, mais d’autoriser une saine concurrence qui permette aux meilleurs de gagner et à ceux qui sont moins bons, d’être remplacés. Réguler autant l’économie, a fortiori dans nos territoires, c’est obtenir l’effet contraire, c’est-à-dire de l’inflation, et risquer de provoquer des pénuries. Nous proposerons donc la suppression de l’article 4.
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 30 et 19, tendant à supprimer l’article.
La parole est à M. le ministre d’État, pour soutenir l’amendement no 30.
M. Manuel Valls, ministre d’État
Le gouvernement souhaite supprimer l’article 4, qui introduit l’interdiction pour les groupes de distribution ultramarins de détenir une part de marché supérieure à 25 %. En effet, cette mesure porte une atteinte disproportionnée aux libertés de commerce et d’entreprendre, et constitue un véritable obstacle pour les entreprises qui investissent dans les outre-mer ou qui souhaitent s’y développer.
Sur le plan pratique, les entreprises détenant plus de 25 % de parts de marché seraient contraintes de céder des actifs. Il faudrait dès lors s’interroger sur la solvabilité des repreneurs et la pérennité des actifs cédés.
De plus, une part de marché supérieure à 25 % n’est pas forcément préjudiciable pour le consommateur – c’est le cas de plusieurs groupes. Au contraire, elle peut permettre à une entreprise de bénéficier d’économies d’échelle et de gamme qui se traduiraient par une meilleure compétitivité des prix. À l’inverse de l’objectif qu’il cible, l’article 4 pourrait ainsi provoquer une hausse des prix, en privant les consommateurs des gains d’efficience d’une entreprise. Il limiterait la croissance de certaines entreprises ultramarines et y affecterait potentiellement l’emploi.
En outre, de nombreux outils existent déjà pour parvenir à l’objectif visé. Les opérations de concentration sont contrôlées a priori par l’ADLC, que l’article 3 tend à renforcer, comme nous le souhaitions. Les entreprises qui abuseraient de leur position dominante, véritable problème que nous avons évoqué au cours de nos débats, peuvent être sanctionnées par l’ADLC à hauteur de 10 % de leur chiffre d’affaires mondial. L’ADLC, par ses pouvoirs d’injonction structurelle, peut aller jusqu’à mettre fin aux activités d’une entreprise.
Enfin, l’absence de données ne permet pas de mesurer l’impact de cette proposition sur de plus petits marchés, tels que les territoires ultramarins.
Pour toutes ces raisons, bien que je respecte votre objectif et considère que nous pouvons cheminer ensemble, le gouvernement propose la suppression de l’article 4.
M. le président
L’amendement no 19 de M. Nicolas Metzdorf est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Avis défavorable, puisque l’amendement no 56 proposera un assouplissement de l’article, notamment pour les secteurs innovants.
M. le président
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
Pourquoi la commission a-t-elle voté en faveur du dispositif de l’article 4 ? Vous prétendez que cet article serait antiéconomique, mais de quelle économie parle-t-on ? Une économie fondée sur des oligopoles ou des quasi-monopoles, dans laquelle certains groupes possèdent presque toutes les parts de marché dans chaque île des outre-mer, est-elle bonne ? Peut-on vraiment parler de liberté d’entreprendre lorsque des groupes détiennent plus de 50 % de parts de marché dans la grande distribution ? (Mme Gabrielle Cathala, M. Elie Califer et M. Max Mathiasin applaudissent.) Est-ce ainsi que vous voulez encourager la concurrence ?
Si vous êtes de vrais libéraux sur le plan économique, assumez de dire qu’il faut au contraire faire de la place pour laisser entrer de nouveaux concurrents ! Ce n’est pas possible quand plus de 50 % ou même 25 % de parts de marché sont détenus par un grand groupe. Votez donc l’article 4 pour assurer la liberté d’entreprendre dans les outre-mer et empêcher que ces oligopoles conduisent à des prix qu’une concurrence saine empêcherait ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP et sur quelques bancs des groupes SOC et EcoS.)
M. le président
La parole est à M. Pierre Cazeneuve.
M. Pierre Cazeneuve
De prime abord, Mme la présidente de commission a raison. (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe LFI-NFP. – M. Manuel Bompard applaudit.)
M. Ugo Bernalicis
On a touché une corde sensible !
M. Pierre Cazeneuve
Nous sommes libéraux : notre ADN politique nous conduit à soutenir la libre concurrence et à nous opposer aux situations de trop forte concentration ; l’article 4 pourrait donc nous apparaître comme une bonne idée.
M. Ugo Bernalicis
Oui, soyez libéraux !
M. Pierre Cazeneuve
Je me demande cependant comment il s’articulerait avec l’amendement no 4 de M. Ratenon que nous venons d’adopter, par lequel toute implantation commerciale de plus de 1 000 mètres carrés est interdite dans l’ensemble des outre-mer. Vous l’avez nuancé en restreignant la mesure aux groupes détenant plus de 15 % de parts de marché. Ainsi, d’un côté, vous interdisez la création de supermarchés ou d’hypermarchés dans les outre-mer ; de l’autre, vous interdisez à une entreprise de détenir plus de 25 % de parts de marché dans le secteur de la grande distribution.
Est-ce que cela sera rétroactif ? Fermera-t-on les magasins des groupes qui, aujourd’hui, possèdent plus de 25 % ? Si on les ferme, comment les remplacer, compte tenu de l’amendement de M. Ratenon ? Comment tout cela s’articule-t-il ?
M. Philippe Vigier
Et voilà !
M. Pierre Cazeneuve
Selon une logique libérale, le bloc central cherche à empêcher les trop fortes concentrations, mais en créant des situations de concurrence trop distordue et d’installation trop contrôlée, on risque d’aller à la catastrophe.
M. le président
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor.
M. Jean-Philippe Nilor
La présidente de la commission des affaires économiques m’a, par son intervention, ôté les mots de la bouche, et c’est tant mieux !
Hier, le ministre des outre-mer tenait un discours très offensif : antitrusts, antimonopoles, anticolonial. Aujourd’hui, j’ai la sincère impression que vous avez reculé de deux pas. Que s’est-il passé entre hier et aujourd’hui ? Je n’ose imaginer !
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Manuel Valls, ministre d’État
Peut-être que le discours offensif du gouvernement sur ces sujets vous gêne,…
M. Jean-Philippe Nilor
Non, non, ça nous arrange !
M. Manuel Valls, ministre d’État
…mais c’est dommage, car nous essayons tous d’aller dans le même sens face à certaines situations scandaleuses – je l’ai dit encore tout à l’heure. Je souhaite que nous avancions, c’est pourquoi, malgré des rédactions imprécises, le gouvernement a soutenu les articles 2 et 3 ; l’article 1er cheminera également dans la forme qu’a adoptée l’Assemblée nationale.
Ce que je crains, c’est que ces mesures ne soient pas suffisamment efficaces et qu’elles nuisent aux petites entreprises de certains territoires. Ce n’est pas notre objectif. J’ai cru comprendre que Mme la rapporteure elle-même n’était pas favorable à l’article 4 tel qu’il a été voté en commission et qu’elle en proposera une modification. J’ai expliqué la position du gouvernement ; ne vous inquiétez pas, malgré quelques pressions, nous tenons bon depuis hier. (Sourires.)
M. Marcellin Nadeau
C’est bien de l’avouer !
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Je répète : nous sommes opposés à ces amendements de suppression. Le sous-amendement no 66 à l’amendement no 4 de M. Ratenon répond à vos préoccupations et la réécriture de l’article 4 que nous proposons avec l’amendement no 56 permettra de donner la main aux préfets concernant le seuil.
(Les amendements identiques nos 30 et 19 ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Metzdorf, pour soutenir l’amendement no 20.
M. Nicolas Metzdorf
Nous considérons que l’article 4, qui plafonne les parts de marché à 25 %, aura l’effet contraire de ce que l’on vise, puisque l’on favorisera les oligopoles.
Si on limite les parts de marché et donc le développement, quel intérêt les nouveaux acteurs intéressés par les marchés ultramarins auront-ils à s’installer ? Investir sachant qu’on ne pourra pas dépasser un certain seuil, c’est comme participer à une élection tout en étant assuré qu’on va la perdre. On ne le ferait pas.
M. Alexis Corbière
Pourtant, ça arrive !
M. Nicolas Metzdorf
Jusqu’à présent, cela ne nous est pas arrivé !
Nous proposons un amendement de repli, de bon sens, qui réécrit l’article 4 en soumettant à autorisation le dépassement de 25 % de parts de marché. Respectons la liberté d’entreprendre garantie par la Constitution ! Nous ne sommes pas encore dans un système totalement soviétique.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Demande de retrait ; à défaut, avis défavorable. Votre propos ne correspond pas à ce que l’on constate dans nos territoires. Vous savez bien que la plupart des groupes ne dépassent pas 25 % de parts de marché ; on veut seulement éviter qu’ils deviennent encore plus gros, parce qu’ils ont déjà été suffisamment voraces et qu’ils ont fait de la couenne. Ce n’est pas anticoncurrentiel. Si vous prenez les trois quarts du lit, personne ne pourra s’y retourner ! (M. Frédéric Maillot applaudit.)
(L’amendement no 20, repoussé par le gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir les amendements nos 56 et 57, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
L’amendement no 56 apporte une précision légistique pour éviter que l’on exclue les entreprises de distribution qui opèrent dans des secteurs innovants ou de niche.
L’amendement no 57 tend à créer un délai raisonnable d’entrée en vigueur, inexistant jusqu’à présent, pour que la mesure ne soit pas ineffective pour les pays des océans.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Avis défavorable sur les deux amendements.
M. le président
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon.
M. Jean-Hugues Ratenon
Selon moi, l’amendement no 56 affaiblit la portée de l’article 4, en ceci qu’il donne plus de prérogatives au pouvoir central et au préfet. Or nous devrions plutôt aller plus loin dans l’affaiblissement du pouvoir des sociétés de distribution.
À La Réunion, nous constatons des monopoles et des duopoles ; GBH y détient plus de 30 % de parts de marché, ce qui renchérit le coût de la vie et accroît la pression qui pèse sur les producteurs. Je vous invite donc à rejeter cet amendement.
(L’amendement no 56 est adopté ; en conséquence, l’amendement n° 57 tombe.)
(L’article 4, amendé, est adopté.)
M. le président
Sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisi par le groupe Socialistes et apparentés d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Après l’article 4
M. le président
Je suis saisi de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 4.
On commence par deux amendements identiques, nos 24 et 61.
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon, pour soutenir l’amendement no 24.
M. Jean-Hugues Ratenon
La vie chère n’est pas une fatalité liée à l’éloignement géographique ou au coût de l’approvisionnement, mais la conséquence de pratiques abusives : concentration des acteurs, ententes illicites, bénéfices indécents réalisés sur le dos des plus démunis, et autres vampirisations. Dans nos territoires, même des familles qui travaillent n’arrivent plus à se nourrir correctement. Comment justifier qu’en 2025, un travailleur doive choisir entre remplir son frigo et payer ses factures, alors qu’une poignée de privilégiés qui dominent les marchés de l’alimentation, du transport, de la construction et d’autres services et biens de consommation courante s’enrichissent honteusement ? Des prix étouffants et des profits indécents, voilà le quotidien des habitants des territoires d’outre-mer !
Pour briser ce cercle vicieux, le présent amendement propose de fixer un coefficient multiplicateur maximal entre le prix d’achat et le prix de revient des denrées alimentaires. Cet outil concret permettrait de protéger les consommateurs et de rétablir une certaine justice économique, tout en garantissant l’accessibilité des produits de première nécessité. Nos territoires ne doivent plus servir de terrain de jeux à des acteurs économiques sans scrupule ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 61.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Il est identique à l’amendement précédent, auquel la commission donne donc un avis favorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
La parole est à M. Pierre Cazeneuve.
M. Pierre Cazeneuve
Cette fois, nous sommes loin du paradigme libéral, puisqu’il s’agit d’un encadrement et d’un contrôle quasiment étatique des prix ! Je vois toutefois un certain paradoxe dans votre position : vous voulez d’une part inciter à la concurrence en brisant des trusts et des duopoles et en attirant de nouveaux acteurs sur le marché de la distribution dans nos territoires d’outre-mer, et de l’autre imposer l’encadrement strict des prix, qui découragera les investisseurs.
M. Jean-François Coulomme
Oh, ne vous inquiétez pas !
M. Pierre Cazeneuve
Nous partageons avec vous l’objectif d’éviter les oligopoles et les profits excessifs – c’était d’ailleurs l’objet de la loi Egalim, qui s’applique à l’ensemble du territoire français –, mais face aux députés assis sur les bancs les plus à gauche, qui ont souvent plaidé pour l’encadrement des prix et des marges, nous avons toujours soutenu que c’était une mission très difficile, sinon impossible. Une telle mesure risque d’empêcher l’arrivée de nouveaux acteurs et l’expansion économique. Nous défendons plutôt une répartition de la valeur plus transparente et lisible, quels que soient les territoires considérés.
J’insiste : l’encadrement des prix est parfaitement incohérent avec le reste de la proposition de loi, qui vise à encourager la concurrence.
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Cessez de faire croire que nous sommes contre l’économie !
M. Sébastien Peytavie
Pour ce qu’il en reste…
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Nous ne sommes même pas contre le fait que les acteurs de la distribution fassent des bénéfices ! Mais enfin, quand vous paierez quarante-huit rouleaux de papier toilette à 37 euros, vous comprendrez qu’il faut encadrer le coefficient multiplicateur qu’imposent des distributeurs dont on doute qu’ils connaissent la raison dont vous vous réclamez. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
(Les amendements identiques nos 24 et 61 sont adoptés.)
M. le président
La parole est à M. Marcellin Nadeau, pour soutenir l’amendement no 31.
M. Marcellin Nadeau
Je le retire.
(L’amendement no 31 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Jean-Hugues Ratenon, pour soutenir l’amendement no 7.
M. Jean-Hugues Ratenon
Le modèle de la grande distribution étouffe financièrement les ultramarins et fragilise les commerces de proximité, incapables de rivaliser avec les prix des grandes enseignes. Les petits commerces jouent pourtant un rôle essentiel en renforçant les liens sociaux dans leurs quartiers d’implantation et en favorisant les circuits courts ; ils épargnent aux consommateurs de longs déplacements pour acheter des produits de première nécessité, dans des territoires où se déplacer coûte aussi cher que se nourrir.
Cependant, les petits commerces achètent des produits à des coûts souvent supérieurs aux prix de vente en grande surface. Souvent, ils deviennent même les clients de la grande distribution, dans l’espoir de réaliser de maigres bénéfices. Ne pouvant dégager de marges arrière ou organiser des coopérations commerciales, ils peinent à proposer des prix attractifs, ce qui limite leur compétitivité et compromet leur survie.
L’amendement tend à limiter les marges des grossistes, dans le but d’aligner les tarifs des petits commerces sur ceux des grandes surfaces. L’enjeu est de sauvegarder l’emploi dans les petits commerces, créer une véritable concurrence, réduire les déplacements coûteux vers les grandes surfaces, lutter contre les déplacements carbonés et libérer les routes.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Favorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
La parole est à M. Ian Boucard.
M. Ian Boucard
Je suis bien d’accord pour reconnaître l’anormalité des marges pratiquées en Martinique, en Guadeloupe ou à La Réunion, en comparaison de celles que j’observe dans ma circonscription du Territoire de Belfort, mais il me semble que le thème de nos débats a évolué. Ce n’est pas uniquement dans ces territoires, mais partout dans le monde que les commerces de proximité ne peuvent pas réaliser les mêmes économies d’échelle que les grandes surfaces, et que les grossistes ne leur proposent pas les mêmes prix. De plus, les propos de M. Ratenon ne concordent pas avec le texte de l’amendement : il explique qu’il faut encadrer les marges réalisées par les grossistes, mais ce n’est pas ce qui est écrit ; il espère donc seulement cet effet.
Je crains que l’adoption de cet amendement fasse disparaître les commerces de proximité dans les territoires d’outre-mer, alors qu’ils sont essentiels à la population et à l’entretien du lien social. La proposition de loi me paraît très intéressante, mais l’amendement me semble dangereux.
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Merci de l’intérêt que vous portez à cette proposition de loi, mais je vous rappelle que la politique commerciale des grossistes contribue à la cherté de la vie. En l’occurrence, ils vendent leurs produits plus cher aux petits commerçants – souvent des PME et TPE tenues par des locaux et non par des grands groupes – en leur imposant des coefficients multiplicateurs indécents.
(L’amendement no 7 est adopté.)
M. le président
La parole est à M. Nicolas Metzdorf, pour soutenir l’amendement no 21.
M. Nicolas Metzdorf
Il tend à obtenir un rapport sur la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci n’est pas concernée par la proposition de loi – ses institutions sont compétentes en matière économique, fiscale et de régulation de marché –, mais nous souhaitons bénéficier de l’expertise de l’État pour apprécier l’impact qu’a eu l’insurrection du 13 mai sur les prix dans notre archipel, où plusieurs entreprises ont été détruites. L’État est légitime à établir ce rapport, puisque les sénateurs discutent actuellement d’un soutien de 1 milliard d’euros aux entreprises calédoniennes.
Comme aucune explication de vote ne sera donnée, je profite de ma prise de parole pour vous annoncer l’abstention des députés du groupe Ensemble pour la République sur la présente proposition de loi. Nous soutenons les articles 2 et 3, mais considérons que les articles 1er et 4 sont antiéconomiques : ils produiront les effets inverses de ceux escomptés. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Par un interventionnisme sans limite, on régule les prix, les marges et les parts de marché, alors qu’il faudrait plutôt soutenir de nouvelles filières, de nouveaux investisseurs et la production locale outre-mer. Nous ne faisons que réguler, condamner et vérifier ; ce faisant, nous empêchons de nouveaux investisseurs de s’installer dans les territoires ultramarins et d’y faire jouer la concurrence.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Votre libéralisme est à géométrie variable : vous demandez une étude, mais en définitive, n’est-ce pas le commerce, la libre concurrence et la liberté offerte aux acteurs économiques qui provoquent la hausse des prix ?
Plus sérieusement, il s’agira de demander à l’Institut de la statistique et des études économiques (Isee) une étude spatiale des prix en Nouvelle-Calédonie, sachant que l’OPMR de cet archipel pourra lui aussi réaliser cette analyse. Je demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
Débat idéologique sur le libéralisme économique mis à part, l’amendement no 31, bien qu’indirectement lié à la proposition de loi, a le mérite de rappeler les très grandes difficultés de la Nouvelle-Calédonie, dont l’économie est exsangue. Le message de M. Metzdorf méritant d’être entendu, notre avis est favorable.
(L’amendement no 21 n’est pas adopté.)
Titre
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 58.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Il tend à apporter une précision juridique au titre de l’article, en substituant « collectivités territoriales régies par les articles 73 et 74 de la Constitution » à « territoires d’outre-mer » : les outre-mer n’existent pas et quand je suis chez moi en Martinique, mon outre-mer, c’est l’Hexagone. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Manuel Valls, ministre d’État
L’amendement fait référence à la Constitution et ceux qui ont gouverné pourraient se souvenir de ce texte. Je n’ai pas de conseils à donner, mais soit on fait de cette proposition de loi un simple acte de proclamation, en acceptant que son article 4 ne s’applique pas (M. Thibault Bazin s’esclaffe), soit on est sérieux.
L’amendement vise à préciser juridiquement le titre de la proposition de loi. Or, juridiquement, le titre suggéré n’est justement pas adapté. Pourquoi ? D’abord du fait du statut de la Polynésie française, où le code de commerce ne s’applique pas, ensuite du fait du BQP en vigueur à Saint-Barthélemy.
M. Philippe Vigier
Oui !
M. Manuel Valls, ministre d’État
Les dispositions de l’article 1er ne sont applicables que dans les collectivités territoriales relevant de l’article 73 et dans les collectivités d’outre-mer de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna. Sans vouloir rouvrir un débat de nature politique ou idéologique, n’est-ce pas un petit problème, madame la rapporteure ? Autant faire en sorte que la loi s’applique correctement, quel que soit son titre !
M. François Hollande
Et oui !
M. Manuel Valls, ministre d’État
Je vous demande donc de retirer votre amendement et j’en profite pour remercier chacun d’entre vous pour le travail accompli ce matin.
M. le président
La parole est à Mme Maud Petit.
Mme Maud Petit
Selon moi, l’amendement ne mange pas de pain, monsieur le ministre. Nous pouvons l’adopter. Sous la précédente législature, M. Johnny Hajjar avait fait ajouter cette même précision au titre du rapport de la commission d’enquête sur le coût de la vie en outre-mer, de sorte que nous n’oublions pas les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution. Bref, ce n’est pas gênant.
M. le président
La parole est à M. Marcellin Nadeau.
M. Marcellin Nadeau
Au-delà de l’amendement, je salue le travail de Béatrice Bellay et celui de son prédécesseur, Johnny Hajjar.
Monsieur le ministre d’État, j’ai quelque chose à vous dire en créole, mon propos se voulant sympathique. (L’orateur s’exprime en créole.) Je traduis : hier, nous avions l’impression que vous pouviez avancer comme le manicou – animal du bestiaire martiniquais ; aujourd’hui, j’ai peur que vous ne reculiez comme le makatja – autre animal de ce bestiaire ; au bout du compte, je crains que…
M. Manuel Valls, ministre d’État
Ne craignez rien ! (Sourires.)
M. Marcellin Nadeau
…vous n’avanciez comme le crabe – comprendre, en bon français : en dents de scie. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
M. le président
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Je remercie tous les groupes pour le travail accompli de manière transpartisane.
M. Laurent Croizier
Avec l’extrême gauche !
Mme Béatrice Bellay, rapporteure
Si certains en ont été vexés, je vous prie d’excuser la fougue dont je peux parfois témoigner, fruit d’une certaine colère. Merci à tous, en tout cas (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe SOC), en particulier à mes camarades socialistes et aux membres du Nouveau Front populaire présents lors des auditions ; merci pour ce travail qui marque un nouveau pas vers plus de justice sociale dans nos pays des océans.
Je maintiens mon amendement. (Les députés du groupe SOC se lèvent et continuent d’applaudir, rejoints par ceux des groupes EcoS et GDR. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
(L’amendement no 58 est adopté.)
Explication de vote
M. le président
La parole est à Mme Maud Petit.
Mme Maud Petit (Dem)
Mon explication de vote sera très brève. (Protestations sur les bancs du groupe SOC.) C’est la démocratie ! Je me répète, mais les propos de Mme la rapporteure ont été parfois difficiles à entendre…
Mme Karine Lebon
Elle s’est excusée !
Mme Maud Petit
…même si je la remercie pour ses derniers mots.
Sur le fond, le groupe Dem, qui avait l’intention de voter en faveur de ce texte, s’abstiendra finalement. Nos espoirs d’obtenir quelques réelles avancées ont été déçus. Force est de constater que, sur au moins deux points, nous ne pouvons plus vous suivre.
Ainsi, l’objectif fixé par l’article 1er d’atteindre exactement les prix de l’Hexagone nous paraît irréalisable et ne relever que de l’affichage. Je regrette ce mensonge vis-à-vis de la population locale qui attend des solutions concrètes et efficaces. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
Nous ne pourrons malheureusement pas vous suivre non plus sur l’article 4. (Brouhaha.) Laissez-moi terminer si vous ne voulez pas que ce soit trop long ! Nous considérons que cet article additionnel est une entrave à la libre concurrence,…
M. Emmanuel Maurel
Nous sommes pour l’entraver !
Mme Maud Petit
…qui empêchera la nécessaire dynamisation du marché. Nous avons besoin au contraire de plus de concurrence pour éviter les monopoles ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem et EPR.)
Vote sur l’ensemble
M. le président
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 245
Nombre de suffrages exprimés 181
Majorité absolue 91
Pour l’adoption 180
Contre 1
(La proposition de loi est adoptée.)
(« Bravo » et applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR. – Les députés du groupe SOC applaudissent debout.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à douze heures vingt-cinq.)
M. le président
La séance est reprise.
2. Instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé
Discussion d’une proposition de loi adoptée par le Sénat
M. le président
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé (nos 104, 697).
Présentation
M. le président
La parole est à M. le ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Yannick Neuder, ministre chargé de la santé et de l’accès aux soins
Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi qu’il a déposée au Sénat, le sénateur Bernard Jomier écrit qu’il s’agit, par ce texte, « d’offrir un cadre de travail décent et bien traitant aux professionnels de santé et de permettre une prise en charge des patients conforme aux exigences de qualité et de sécurité des soins ». Je remercie le groupe Socialistes et apparentés de l’avoir inscrit à l’ordre du jour de sa niche parlementaire, et le rapporteur Guillaume Garot d’y avoir travaillé. Il prouve que nous pouvons trouver des solutions dans l’intérêt des Français, de ceux qui, malheureusement, sont malades, des patients potentiels et des soignants.
Cette proposition de loi répond à la quête de sens de nombreux professionnels de santé. Tout ne relève pas de la négociation financière : lorsqu’on décide de s’occuper des autres au terme de ses études, on souhaite le faire dans de bonnes conditions – aussi étonnant qu’il puisse paraître de devoir répéter cette évidence –, en prenant convenablement en charge les patients.
Le débat que nous aurons sur l’instauration d’un ratio minimal de soignants au lit du patient doit naturellement tenir compte de la situation de nos hôpitaux, des conditions actuelles de travail et des mesures d’attractivité qui ont été prises, ainsi que des mesures portant sur la qualité et la sécurité des soins.
Je rappelle quelques chiffres : 21 % des infirmières hospitalières quittent l’hôpital après dix ans de travail. Ce pourcentage traduit la perte de sens à laquelle ce texte apporte une réponse. Néanmoins, quand bien même cette réponse n’existerait pas, nous devrons quand même former 80 000 infirmières d’ici à 2050. Un principe de réalité doit donc nous animer : chercher à améliorer la situation, ce n’est pas uniquement se faire plaisir en votant un texte totalement irréalisable. Cela enverrait un signal très négatif à l’ensemble des soignants et des patients de France.
C’est dans cet esprit que j’aborde ce texte, qui transcende les appartenances politiques puisqu’il a été voté à une très large majorité au Sénat – par 257 voix contre 16. Par ailleurs, le gouvernement a exprimé sa volonté de relever l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam),…
M. Ian Boucard
Très bien !
M. Yannick Neuder, ministre
…les discussions en cours fixant cette hausse à 3,3 %, soit 9 milliards d’euros supplémentaires par rapport à l’Ondam de 2024. Le sous-Ondam dédié aux établissements hospitaliers devrait donc être également rehaussé, de 3,8 % en l’état actuel des discussions budgétaires.
Les structures hospitalières ont besoin de moyens humains, ce qui nécessitera d’en former davantage, qu’il s’agisse du personnel paramédical ou médical – nous avons déjà discuté de ce point avec Guillaume Garot. En effet, nous ne formons pas suffisamment de médecins compte tenu du vieillissement de la population et de sa croissance – la France compte 15 millions d’habitants de plus qu’en 1970. Le rapport au travail a également beaucoup changé, puisque pour un médecin généraliste partant à la retraite, il faut en former 2,3 pour le remplacer.
Former plus, c’est aussi former mieux, et intégrer dans la formation des soignants les nouveaux outils, tels que l’intelligence artificielle. Les professionnels de santé, médicaux et paramédicaux, doivent être formés aux nouvelles technologies, même si l’intelligence artificielle ne remplacera jamais les soignants au lit du malade.
S’agissant des conditions de travail, ce texte doit offrir suffisamment de temps aux soignants pour s’occuper de leurs patients, et renforcer l’attractivité de leurs métiers – avec un rythme de travail garantissant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et personnelle –, tout en laissant aux établissements de santé la flexibilité nécessaire. Il s’agit aussi de renforcer le pouvoir d’achat des soignants en s’intéressant au financement des transports, de la garde d’enfants, des cantines et du logement. Ce sont autant de facteurs de stabilité du personnel que je prenais moi-même en considération dans l’organisation de mes services, avant mon entrée au gouvernement en décembre.
Nous sommes sur la bonne voie. La volonté transpartisane doit permettre à ce texte d’aboutir. Il y a deux façons de procéder, comme nous avons pu l’exposer en commission. Le Sénat, qui souhaite aller vite, voudrait que le texte qu’il a adopté en première lecture soit voté dans les mêmes termes à l’Assemblée nationale – c’est ce qu’a fait la commission des affaires sociales. L’autre voie consiste à amender le texte, pour le rendre plus réalisable. Quelle que soit la méthode que l’Assemblée retiendra, elle recevra mon assentiment, car je suis favorable à cette proposition de loi qui est l’occasion de répondre à la quête de sens des soignants. La première méthode reviendra à confier davantage de pouvoir au ministre, qui prendra par décret les mesures permettant de rendre le texte effectif. La seconde conduira à préciser davantage le texte et nécessitera une deuxième lecture. Tel est le principe de réalité.
Quoi qu’il en soit, le texte devrait mener à une saisine de la Haute Autorité de santé (HAS), afin de déterminer les paramètres techniques et scientifiques qui permettront sa bonne application. En la matière, bien que cela dépende du calendrier d’examen de cette proposition de loi, nous devrons veiller à ne pas confondre vitesse et précipitation, sans quoi le texte restera sans effet.
Par ailleurs, je suis très attaché à ce que les établissements de santé – les directions ainsi que les médecins et les cadres de santé qui pilotent les services – conservent une certaine flexibilité en fonction de leur charge de travail, comme ils nous l’ont demandé. Nous devons laisser aux établissements et aux équipes soignantes une marge de manœuvre et de confiance : il leur revient d’apprécier les conditions de sécurité dans lesquelles ils prennent en charge les patients. Comme ministre de la santé, j’accorde une grande importance à la sécurité des patients, comme à la qualité de vie des soignants, quelle que soit la nature juridique – publique ou privée – de la structure. La qualité des soins et le bien-être des soignants doivent prévaloir.
L’examen des amendements doit permettre de poursuivre le travail amorcé au Sénat par la rapporteure Laurence Rossignol. Des points importants restent à étayer ou à arbitrer : dans quels délais sommes-nous capables d’appliquer ce texte ? En effet, il faudra former davantage, sachant que la formation paramédicale, conformément à la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, est du ressort des régions. Nous devons donc nous coordonner avec ces dernières ; c’est le sens des discussions que j’ai avec la présidente de Régions de France, Carole Delga. Il faudra également déterminer les quotas de personnel à former en fonction des spécialités professionnelles que nous privilégions, en particulier les infirmières et les aides-soignantes. Enfin, nous devrons étudier le financement du dispositif – que j’ai évalué à environ 7 milliards d’euros – afin que, compte tenu des contraintes budgétaires qui sont les nôtres, il demeure juste, équilibré et efficace.
Je suis confiant et j’espère que nos travaux aboutiront, dans l’intérêt des malades, pour améliorer les conditions de travail des soignants et redonner du sens à leur mission si importante, sans quoi ils continueront d’éviter ou de quitter l’hôpital. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, DR et Dem.)
M. Ian Boucard
On a un bon ministre !
M. le président
La parole est à M. Guillaume Garot, rapporteur de la commission des affaires sociales.
M. Guillaume Garot, rapporteur de la commission des affaires sociales
Le 31 décembre dernier, je me trouvais comme chaque année à Laval, dans mon département – la Mayenne –, pour saluer les agents publics qui travaillent pendant la nuit du nouvel an. Avec la préfète, nous avons rendu visite aux pompiers, aux policiers, aux gendarmes, aux surveillants de la maison d’arrêt. Puis nous nous sommes rendus à l’hôpital, au service des urgences. Nous y avons rencontré des infirmières, des aides-soignantes et des médecins qui étaient à bout. Certains ont craqué, parce que la pression était trop forte : des patients se trouvaient dans le couloir, sur des brancards, et allaient y passer la nuit. Telle est la réalité des urgences aujourd’hui. (M. Boris Vallaud applaudit.) Et cette tension rencontrée aux urgences est palpable dans bien d’autres services hospitaliers.
M. Sébastien Peytavie
Ça, c’est sûr !
M. Guillaume Garot, rapporteur
Les soignants nous disent courir d’un patient à l’autre, d’une chambre à l’autre, sans pouvoir faire face dans de bonnes conditions, et se considèrent trop souvent comme « mal traitant » leurs malades. Comme vous l’avez évoqué, monsieur le ministre, un rapport de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) publié en 2023 précise qu’une infirmière sur cinq a quitté l’hôpital au bout de dix ans, bien souvent pour changer de métier. L’hôpital public français est en souffrance et notre devoir est d’y répondre et de réparer l’hôpital pour apporter à chacun, où qu’il soit et qui qu’il soit, la garantie d’être bien soigné. Tel est le sens du pacte républicain et du texte que je défends devant vous, qui vise à redonner espoir aux soignants et confiance aux patients.
Ce texte dessine un cadre législatif clair et trace un horizon pour améliorer le quotidien des soignants, en instaurant un nombre minimum de soignants par patient. Ces règles – ces ratios – existent déjà dans d’autres pays, comme la Californie ou l’État australien du Queensland. Dans ces États, leur efficacité est démontrée : les ratios ont entraîné une amélioration des conditions de travail pour les soignants et une amélioration de la qualité des soins pour les patients. Et les résultats, monsieur le ministre, sont tout aussi probants sur le plan financier : à l’arrivée, cela permet de faire des économies, parce que les séjours d’hospitalisation sont plus courts, les prises en charge plus précoces, les risques mieux évités – avec moins de maladies nosocomiales et moins de complications – et les guérisons plus rapides. Nous devons donc considérer ces ratios non pas comme une charge de fonctionnement mais comme une dépense d’investissement.
Je veux insister sur la démarche pragmatique qui sous-tend ce texte déposé par notre collègue sénateur Bernard Jomier, que je salue. (M. Jomier, présent en tribune, est applaudi par MM. Boris Vallaud et Philippe Brun.) Elle permet de répondre à certaines de vos interrogations, monsieur le ministre. D’abord, ce n’est pas à nous, législateur, de définir ces ratios, mais à la Haute Autorité de santé, qui devra le faire service par service. Cela signifie que la loi ne s’appliquera pas en un claquement de doigts – personne ne le pense – mais sur un horizon de moyen terme, de quatre à six années. Ce délai est indispensable pour évaluer les besoins – ce sera la charge de la HAS – et pour former les soignants nécessaires, avec à la clé une réponse à la crise d’attractivité de ces métiers. Ensuite, toutes les garanties sont données pour pouvoir adapter, le cas échéant, les ratios qui auront été définis aux réalités locales, hôpital par hôpital. C’est ce que contient le texte, puisqu’il prévoit d’associer les instances internes de l’hôpital.
Toutefois, j’entends certains collègues s’inquiéter : « Si le ratio n’est pas respecté, alors les services fermeront ! » Je veux les rassurer : rien n’est plus faux.
Mme Annie Vidal
Si, c’est vrai !
M. Guillaume Garot, rapporteur
En effet, il ne s’agit pas de généraliser à tous les services des ratios de sécurité tels qu’ils existent aujourd’hui, notamment en unités de réanimation, de soins aux grands brûlés ou de néonatalogie. Le texte instaure non des ratios de sécurité mais des ratios de qualité. Cela signifie qu’à aucun moment, et quand bien même nous ne pourrions les atteindre dans tel ou tel hôpital, ils n’entraîneront de fermeture.
Mme Annie Vidal
Mais si !
M. Guillaume Garot, rapporteur
Par ailleurs, il reviendra au ministre de la santé de mener toutes les consultations et concertations nécessaires pour que ces ratios soient réalisables. Bien sûr, il faudra former davantage de soignants – c’est un chantier à ouvrir avec les régions, cela a été dit. Il sera aussi indispensable de revaloriser l’Ondam, année après année, parce qu’on ne fait pas mieux avec moins. Cependant, je le répète, il en résultera finalement une économie pour notre système de santé.
Chers collègues, ce texte est une première brique pour reconstruire l’hôpital, mieux prendre en charge les patients, mieux respecter ceux qui les soignent et mieux anticiper les besoins de formation. Cela signifie que cette loi est un point de départ – pas un point d’arrivée. Personne ne prétend que ce texte permettra de tout résoudre, mais il donne un cadre favorable à une réforme profonde de nos politiques de soin. De la même manière, il nous reviendra de nous saisir, dans une démarche transpartisane, de la question des déserts médicaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Éric Martineau applaudit également.)
Ce texte est coincé depuis deux ans entre le Sénat et l’Assemblée nationale : il n’y a plus de temps à perdre. Il a été adopté conforme en commission, à l’unanimité – avec des votes pour et des abstentions. Je souhaite que nous puissions retrouver, aujourd’hui, cette large approbation – je nous en crois capables. Je tiens à saluer sincèrement l’ouverture et l’esprit de concertation du ministre Neuder, avec qui j’ai échangé à plusieurs reprises et qui, lorsqu’il était encore, il n’y a que deux mois de cela, un député siégeant à cette même commission, s’était prononcé en sa faveur.
Il nous faut donc adopter ce texte conformément à la version votée par le Sénat – sans amendement – pour que nous puissions agir efficacement et ne pas repartir dans un cycle forcément incertain, eu égard au contexte politique que chacun connaît. Je fais confiance au ministre pour conduire, par la suite, toutes les concertations et toutes les consultations nécessaires afin de mettre au mieux en application ce que le législateur, ici, aura voté.
Je vous propose donc, chers collègues, de poser un jalon fort et concret, reconnaissant l’investissement des soignants et redonnant du sens au métier qui est le leur. Les soignants sont présents dans les tribunes, et je les salue ; mais ils nous attendent aussi dans les services de nos hôpitaux. Nous leur devons d’agir : ne les décevons pas, afin de retrouver confiance dans cet hôpital qui doit redevenir, pour la France, une fierté. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – Mmes Naïma Moutchou et Karine Lebon applaudissent également.)
M. Dominique Potier
Merci pour la France !
Discussion générale
M. le président
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Fanny Dombre Coste.
Mme Fanny Dombre Coste
Cette proposition de loi répond à une urgence : l’état critique de notre hôpital public. Les alertes des soignants, des usagers et des élus se multiplient depuis des années. La crise sanitaire a révélé les failles de notre système et aggravé les tensions, plongeant notre hôpital dans une situation alarmante, comme nous avons encore pu le constater lors de l’actuelle épidémie de grippe.
Aujourd’hui, la crise est avant tout humaine. Elle se lit sur les visages des soignants épuisés et dans l’angoisse des patients confrontés à la fermeture de lits et à des temps d’attente interminables. Les soignants sont 85 % à estimer que leurs conditions de travail se sont dégradées depuis la pandémie de covid-19. Ces chiffres traduisent un véritable mal-être : burn-out, départs massifs, démissions silencieuses, recours excessifs et coûteux à l’intérim.
L’hôpital n’a pas besoin de béquilles temporaires. Il a besoin de réformes structurelles.
Cette proposition de loi, défendue par les députés socialistes et le rapporteur Guillaume Garot, apporte à cette situation une réponse de principe, qui devra être poursuivie par le travail du législateur au cours des débats sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Elle propose de garantir un ratio minimal de soignants par patient – parce que les soignants ont besoin de conditions dignes pour accomplir leur mission et que les patients méritent des soins sûrs et de qualité.
Les effets positifs de tels ratios sont documentés : aux États-Unis, en Australie ou ailleurs, ils ont réduit la mortalité hospitalière, amélioré la qualité des soins et, surtout, redonné aux soignants l’envie d’exercer leur métier. Ce texte se veut réaliste. Il s’adapte aux spécificités des services, des spécialités et des territoires. Les standards seront définis en concertation avec la Haute Autorité de santé et les équipes de terrain.
Cette réforme est une question de reconnaissance pour nos soignants, mais aussi de justice pour les patients, notamment dans les territoires où l’accès aux soins se détériore.
Nous savons également que les causes de cette crise sont à chercher au-delà des ratios : salaires insuffisants, désertification médicale, difficultés d’accès au logement, conditions de travail éprouvantes. Lors des débats qui auront lieu sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, les députés socialistes continueront à défendre des propositions ambitieuses pour relever ces défis, dans une démarche budgétaire responsable et cohérente.
Cette proposition de loi fixe un cap et pose les bases d’une réforme globale. Elle complète d’autres initiatives visant à lutter contre les déserts médicaux, à renforcer la prévention et à améliorer l’attractivité des métiers du soin. Adopter ce texte, c’est envoyer un message clair : nous avons entendu les soignants et les patients. Le statu quo mène notre hôpital droit dans le mur. Nous devons agir. Ce texte est un premier pas qui ouvre la voie à un hôpital public plus solide, plus solidaire et plus humain.
Les députés socialistes ont choisi : nous le voterons et nous poursuivrons ce travail lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, afin de garantir à nos concitoyens un système de santé à la hauteur de leurs attentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. Guillaume Garot, rapporteur
Très bien !
M. le président
La parole est à Mme Josiane Corneloup.
Mme Josiane Corneloup
Face au désarroi des personnels de notre système hospitalier, épuisés par l’intensité des cadences de travail qu’exige l’accueil des patients, face aux patients qui perdent confiance dans cette institution, le groupe Droite républicaine a examiné avec beaucoup d’intérêt cette proposition de loi, déposée par le sénateur Bernard Jomier, relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient.
L’ensemble des professionnels du secteur sanitaire appelle de ses vœux une telle mesure, articulée avec les ratios sécuritaires déjà existants ; elle améliorerait leurs conditions de travail tout en proposant aux malades une meilleure prise en charge. Combien de fois ai-je entendu des soignants de ma circonscription me faire part de leur malaise au travail et du sentiment de la perte de sens d’un métier que certains – hélas – ont fini par quitter ! Nous savons que la détérioration des conditions de travail du personnel soignant est l’une des premières causes de départ de l’hôpital. Ce sont ainsi 150 000 infirmiers et infirmières qui, après avoir été formés, ont renoncé à leur métier. Selon la Drees, près de 50 % d’entre eux quittent l’hôpital après cinq ans d’exercice.
Si elle ne saurait suffire à elle seule, l’instauration d’un nombre minimum de soignants par nombre de lits ouverts ou, pour les activités ambulatoires, par nombre de passages, peut néanmoins constituer une première étape, propice à la restauration de l’attractivité du métier de soignant en milieu hospitalier. Les ratios envisagés tiennent compte de la charge de soin associée aux activités et, contrairement aux ratios sécuritaires, leur non-respect n’entraînerait pas, en théorie, de fermeture de lits ou de réduction obligatoire du capacitaire. Il nous semblerait raisonnable de considérer ce texte comme une loi de programmation, car sa mise en œuvre exigera du temps et un très important travail préparatoire.
Si nous nous associons à ce message de soutien adressé aux soignants, dans un contexte tendu, nous souhaitons néanmoins formuler quelques réserves quant au caractère opérationnel de son déploiement. Qu’en est-il, ainsi, de l’opposabilité de ces ratios dont le non-respect, même s’il n’entraîne pas de sanctions, risque toutefois d’engager la responsabilité des établissements concernés ? Ne risque-t-on pas, en pratique, d’assister à des fermetures de services ou de lits d’hospitalisation, qui restreindraient in fine l’accès aux soins des patients – à l’opposé du but poursuivi par le texte ?
M. Philippe Vigier
Eh oui !
Mme Josiane Corneloup
Une étude de l’association allemande des hôpitaux, datant de 2024, citée par les fédérations hospitalières françaises, évalue à plus de 60 % le nombre d’hôpitaux obligés de fermer des lits en raison de la généralisation de tels ratios.
En période de haute fréquentation touristique ou d’épisodes épidémiques exerçant une forte pression sur les hôpitaux, sera-t-il possible de moduler les ratios définis, afin de prendre en compte, autant que faire se peut, la situation de chaque établissement ?
Pourquoi, d’autre part, limiter ces ratios au seul hôpital et exclure ainsi de leurs bénéfices escomptés, pour les personnels comme pour les malades, l’ensemble des établissements qui ne ressortissent pas du secteur public de la santé ? N’est-ce pas introduire là une discrimination ou une rupture d’égalité entre des personnes pourtant confrontées aux mêmes problèmes ?
Enfin, et il est impossible d’éviter cette question à l’heure où notre pays supporte une dette de 300 milliards d’euros, à quel point l’introduction d’un tel dispositif sera-t-elle soutenable pour les établissements ? Des directions d’établissements de santé font déjà état d’une augmentation mécanique de la masse salariale de 7 milliards d’euros, soit une progression de l’Ondam de plus de 6 points. Comment sera compensée cette charge supplémentaire, alors que la situation budgétaire et financière de nombre de ces structures est aujourd’hui fortement dégradée ?
Bienveillance et prudence : voilà l’état d’esprit dans lequel mon groupe aborde l’examen de cette proposition de loi. De la suite donnée aux amendements que nous avons déposés dépendra notre vote : amendement visant à l’extension des ratios à l’ensemble des établissements ; amendement visant à créer des fourchettes concernant les ratios au sein des établissements de santé ; amendement visant à inscrire l’approbation parmi les compétences dévolues, au sein des établissements publics de santé, à la commission médicale d’établissement (CME) et à la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT), lesquelles, à ce jour, ne disposent que d’une compétence consultative.
Nous avons tous la volonté ferme et déterminée d’améliorer les conditions de travail des personnels soignants et de favoriser une prise en charge de grande qualité des patients, en toute sécurité. Mais nous devons impérativement éviter qu’une application précipitée de ces mesures, qui ne satisferait pas à tous les critères nécessaires au déploiement efficace d’une réforme de fond, n’engendre déception et rejet. Une telle catastrophe rejaillirait sur tous les acteurs de notre système de santé, eux qui attendent tant de cette initiative. Nous devons nous assurer de tout faire pour sécuriser celle-ci et optimiser ses chances de réussite. (Applaudissements sur les bancs des groupes DR et Dem.)
M. le président
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
D’année en année, de politique en politique, combien se pressent ici, à ce pupitre, pour défendre, par monts et par vaux, l’hôpital public ? Combien déclarent leur amour et leur admiration sans faille pour les infirmiers, les médecins, les aides-soignants ? Combien encore promettent que l’hôpital public est le joyau de la République française et que jamais, au grand jamais, ils ne laisseront personne attaquer ce beau service public ?
Et pourtant, en vingt ans, l’activité des urgences a doublé, sans aucun investissement à la hauteur des enjeux. Les présidents de tous les centres hospitaliers universitaires (CHU) de France s’alarment du manque d’investissement de leurs établissements. Nos journées sont saturées par des informations toutes plus alarmantes les unes que les autres : le 8 janvier, une patiente meurt en attendant aux urgences de Longjumeau ; le 10 janvier, une autre meurt à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges. On ne peut plus mesurer les retards de diagnostics dus aux heures d’attente et aux conditions de prise en charge très dégradées entraînées par un manque chronique de personnel.
En 2022, un rapport du Sénat chiffrait à quatre heures et vingt-trois minutes le temps moyen d’attente aux urgences. Depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, plus de 30 000 lits d’hôpital ont fermé, tandis que les deux tiers des soignants sont en burn-out. Votre bilan, ce sont 22 millions de Français assignés à un désert médical, des hôpitaux abandonnés, des maternités fermées et un déficit de 2 milliards d’euros pour l’hôpital. Votre majorité a saccagé l’hôpital public, ses soignants et ses patients. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Quel est donc votre objectif, sinon de détruire, au profit du secteur privé, le service public hospitalier ?
Le terme de « secteur public » a un sens. Il signifie que l’on soigne sans regarder à la couleur de peau ou à l’origine sociale, sans compter ses heures ou sa fatigue. Le sens du service public, ce n’est pas de baisser les bras, mais de se mobiliser, chaque fois que c’est nécessaire, pour défendre ce bien précieux.
Je tiens à remercier ceux qui sont aujourd’hui présents en tribune, membres du collectif interhôpitaux (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et LFI-NFP), et ceux qui nous suivent de loin. Je pense à Anne Gervais, Thierry Amouroux, Étienne Lengline, et à d’autres encore, qui sont avec nous. Je pense à tous ces infirmiers, aides-soignants, médecins, qui, au quotidien, se battent sans jamais baisser les bras.
L’hôpital public, c’est le dernier recours pour ceux qui n’ont plus de médecin traitant. À Nanterre, dans ma circonscription, il existe un quartier, proche de la Défense, proche de Paris – le quartier Pablo Picasso. Il n’y a là-bas qu’un seul médecin pour 15 000 habitants. L’Île-de-France, vous la connaissez, c’est ce grand désert médical où, quand on a la chance d’avoir un médecin traitant – car c’est devenu une chance –, il faut bien souvent attendre des semaines avant d’obtenir un rendez-vous. Qui aurait pu prédire qu’en conséquence de cette situation, les patients seraient obligés de frapper aux portes des hôpitaux et des urgences ? Cette surcharge pèse sur un personnel soignant déjà à genoux après la crise du covid. Si l’hôpital tient encore, ce n’est pas grâce à vous, mais contre vous !
Je remercie le sénateur Bernard Jomier, présent dans les tribunes, qui a eu le courage de lier revendications sociales et politiques en déposant cette proposition de loi. Je remercie également Guillaume Garot d’avoir repris ce texte qui, après des années de mobilisation, va enfin être voté. Pour les patients, pour les soignants, le ratio qu’il crée viendra apporter de l’humain, améliorer la qualité des soins et soutenir des professionnels qui, bon gré mal gré, font tenir notre hôpital public. Alors qu’un soignant devrait s’occuper en moyenne de six à huit patients, en France, il doit en gérer le double.
Rassurez-vous, nous n’inventons rien. Ce ratio existe ailleurs dans le monde, comme en Californie. Il a permis de faire revenir des infirmières, d’améliorer la prise en charge des patients et, surtout, d’éviter des complications et des morts. Il n’a pas contribué à fermer des services, pas plus qu’il n’a poussé des hôpitaux à mettre la clé sous la porte ; il a sauvé des vies.
Alors, oui, il faut passer – un peu – à la caisse pour que ce dispositif soit efficace, mais les économies seront bien supérieures à long terme, notamment grâce à la diminution drastique des complications dues à une mauvaise prise en charge. C’est, somme toute, un investissement utile, et plus juste que les milliards d’euros que le gouvernement donne aux entreprises du CAC40, sans contrepartie sociale ni environnementale.
Certes, la crise de l’hôpital public ne date pas d’hier – 37 000 lits ont été fermés sous Nicolas Sarkozy. Mais au lieu de reconnaître votre part de responsabilité, vous renvoyez toujours la balle aux autres. Avec vous, il y a toujours un bouc émissaire, quelqu’un de plus fautif : d’abord les patients qui, faute de médecins, sont obligés de se faire soigner aux urgences – on crée le forfait patient urgences (FPU) ; ensuite, les étrangers, qui ont le culot de ne pas vouloir mourir sur le trottoir – on supprime l’aide médicale de l’État (AME). (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS et GDR et sur quelques bancs du groupe SOC.) Les soignants, eux aussi, râlent quand même un peu trop selon vous, alors qu’ils sont parmi les moins bien payés d’Europe. Enfin, les Français sont ingrats car ils ne savent pas reconnaître les efforts du Mozart de la finance, qui s’est transformé en Beethoven de la dette.
Le problème, ce ne sont ni les patients, ni les soignants, ni les Mamadou, et encore moins les Français, n’en déplaisent à certains. Le problème, ce sont vos tableaux Excel, c’est l’abandon de l’hôpital public, c’est votre mépris. Le problème, monsieur le ministre, c’est vous et votre politique ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et GDR.)
M. Yannick Neuder, ministre
Mais je suis pour cette proposition de loi ! Je suis pour !
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
3. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion de la proposition de loi relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé ;
Discussion de la proposition de loi visant à rendre accessible à tous les étudiants le repas à 1 euro ;
Discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les pannes d’ascenseurs non prises en charge ;
Discussion de la proposition de loi prenant des mesures d’urgence pour protéger nos enfants accueillis en crèches privées à but lucratif ;
Discussion de la proposition de loi portant accélération de la rénovation énergétique des logements ;
Discussion de la proposition de loi visant à former les jeunes aux premiers secours en santé mentale ;
Discussion de la proposition de loi pour plus de sport et moins de sucre.
La séance est levée.
(La séance est levée à treize heures.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra