Première séance du vendredi 21 mars 2025
- Présidence de M. Xavier Breton
- 1. Sortir la France du piège du narcotrafic
- Discussion des articles (suite)
- Article 16 (appelé par priorité)
- Amendements nos 2 rectifié, 3, 903, 941 et 962
- Sous-amendement no 998
- Amendement no 939 rectifié
- M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
- Sous-amendements nos 981 et 1004
- M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
- Sous-amendements nos 999, 982 et 1005
- Amendement no 771
- Sous-amendement no 1000
- Suspension et reprise de la séance
- Article 24 (appelé par priorité)
- Rappel au règlement
- Article 16 (appelé par priorité)
- Article 24 (appelé par priorité - suite)
- Discussion des articles (suite)
- 2. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de M. Xavier Breton
vice-président
M. le président
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures.)
M. le président
Comme vous le savez, un incident technique a affecté hier soir le fonctionnement du système de vote électronique ; celui-ci est désormais restauré. En votre nom à tous, j’adresse nos remerciements aux personnels de l’Assemblée qui ont travaillé toute la nuit pour parvenir à ce résultat. (Applaudissements sur tous les bancs.)
1. Sortir la France du piège du narcotrafic
Suite de la discussion d’une proposition de loi
M. le président
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (nos 907, 1043 rectifié).
Discussion des articles (suite)
M. le président
Hier soir, l’Assemblée a poursuivi la discussion des articles, s’arrêtant à l’amendement no 2 rectifié à l’article 16.
Article 16 (appelé par priorité)
M. le président
Je suis saisi de sept amendements, nos 2 rectifié, 3, 903, 941, 962, 939 rectifié et 771, pouvant être soumis à une discussion commune, qui tendent à rétablir l’article 16, supprimé par la commission.
Les amendements nos 3 et 903 sont identiques, ainsi que les amendements nos 941 et 962.
Les amendements nos 941 et 962, l’amendement no 939 et l’amendement no 771 font l’objet de sous-amendements.
La parole est à M. Michaël Taverne, pour soutenir l’amendement no 2 rectifié.
M. Michaël Taverne
L’article 16 est d’une extrême importance. Après la discussion de l’article 8 ter, qui s’est très bien passée, nous en venons au rétablissement de cet article, supprimé en commission, qui crée les procès-verbaux (PV) distincts ou dossiers coffres.
Cet article est attendu par les enquêteurs et par les magistrats, puisqu’il porte sur des techniques d’enquête sensibles. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé des amendements tendant à le rétablir, le présent amendement visant aussi à l’améliorer.
Il s’agit d’une procédure très encadrée : les personnes visées sont mentionnées, ainsi que la technique employée, la date et l’heure. Avant cette séance, le Conseil d’État avait d’ailleurs indiqué qu’elle ne se heurtait « à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel », c’est la raison pour laquelle nous pouvons le réintroduire. Je rappelle quand même à nos collègues de gauche à quel point la mesure est encadrée : le procureur de la République ou un juge d’instruction adresse une requête au juge de la liberté et de la détention ; ce dernier peut s’opposer à la procédure, puis y mettre fin à tout moment ; elle fait ensuite l’objet d’un contrôle de la chambre d’instruction. Tout cela respecte évidemment l’État de droit.
Par ailleurs, mon amendement vise à prolonger à deux mois le délai pendant lequel certaines techniques spéciales d’enquête sont autorisées.
M. le président
Les amendements identiques nos 3 de M. Michaël Taverne et 903 de M. Éric Ciotti sont défendus.
La parole est à M. Éric Martineau, pour soutenir l’amendement no 941.
M. Éric Martineau
Pour lutter contre le narcotrafic, il faut s’en donner les moyens. La procédure de dossier coffre répond à un besoin opérationnel, tant pour nos forces de l’ordre que pour les juges. Elle est par ailleurs nécessaire à la préservation des techniques de renseignement et à la protection des témoins et des sources.
Nous regrettons que sa suppression en commission des lois ait empêché la discussion d’un amendement de réécriture plus robuste du point de vue constitutionnel et appelons de nos vœux la réintroduction de cette procédure dans une rédaction qui ne cible que les cas de nature à mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne.
Il s’agit donc de restreindre ce nouvel usage du procès-verbal distinct à deux catégories d’informations : en premier lieu, celles relatives à la date, l’heure et le lieu de la mise en œuvre des techniques spéciales d’enquête ; en second lieu, celles permettant d’identifier une personne ayant concouru à l’installation ou au retrait du dispositif technique considéré.
La réécriture comporte des garanties rigoureuses : l’autorisation de recourir à cette procédure serait sollicitée par le procureur ou le juge d’instruction auprès du juge des libertés et de la détention ; dès la fin du déploiement de la technique, le procès-verbal distinct serait systématiquement soumis au contrôle de la chambre d’instruction. Ce dispositif inclut donc des vérifications continues par des juges indépendants.
Les magistrats et les enquêteurs, qui sont en première ligne, sont demandeurs de cet outil, propre à garantir l’efficacité de l’action judiciaire : l’expérience leur a appris que ces réseaux disposent de plus de ressources que certaines PME.
Qui plus est, le procès-verbal distinct est utilisé en procédure pénale en France depuis 2002 pour les témoins anonymes et depuis 2014 pour la géolocalisation. Ce n’est donc pas une nouveauté. Le Conseil constitutionnel considère d’ailleurs que ces mécanismes ne sont pas attentatoires aux droits de la défense.
Nous devons permettre à l’autorité judiciaire d’utiliser tous les éléments, dont ces techniques spéciales, et de protéger les personnes impliquées dans ces enquêtes.
M. le président
La parole est à M. Olivier Marleix, pour soutenir l’amendement no 962.
M. Olivier Marleix
On comprend les inquiétudes de principe des avocats, qui craignent de ne pas avoir accès à toutes les pièces de l’enquête, mais l’article 16, tel que nous entendons le rétablir, prévoit uniquement de protéger des informations susceptibles de mettre en péril des fonctionnaires de police ou des indicateurs ayant participé à une opération.
Comme cela a été rappelé, il s’agit d’informations très précises : l’heure, la date et le nom des personnes ayant installé ou désinstallé le dispositif. Tout cela se ferait sous le contrôle du juge, conformément à un principe qui existe déjà dans le code de procédure pénal pour le témoignage anonyme.
Qui plus est, aucun élément du dossier coffre ne peut être à charge contre les prévenus dans le cadre de l’enquête. En réalité, la question de principe est donc très largement cadrée.
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir le sous-amendement no 998, aux amendements identiques nos 941 et 962.
M. Pouria Amirshahi
Nous souhaitons effectivement sous-amender, mais je veux commencer par dire un mot de la réintroduction par la fenêtre de ce dispositif.
Premièrement, contrairement à ce qui vient d’être dit, il existe un principe de droit, consacré constitutionnellement : le contradictoire. Or, dans toute procédure judiciaire, ce principe implique l’égalité de traitement entre les deux parties. Vous ne pouvez donc priver l’une d’elles de certains des éléments, même techniques, qui ont permis à l’instruction de se dérouler.
Par ailleurs, ce principe est constitutif du rapport entre la défense et l’accusation – c’est presque ontologique. Dès l’origine, cela pose problème ; cela s’appelle une contradiction : en démocratie, il existe de belles choses comme celle-là et c’est notre rôle de les gérer. Par exemple, lorsqu’il arrive dans un commissariat, un avocat peut constater que son client placé en garde à vue a choisi de se taire. Pour ceux qui enquêtent, cela représente un problème, parce qu’ils ont besoin d’informations. Nous avons pourtant consacré ce droit au silence, tout en ayant parfaitement conscience de la difficulté qu’il constitue pour ceux qui veulent obtenir des informations. Charge aux enquêteurs d’employer des techniques d’investigation adaptées et tous les moyens légaux à leur disposition pour permettre l’établissement de la vérité. L’article porte donc atteinte au contradictoire.
Deuxièmement, vous avez souligné, monsieur Marleix, que le procès-verbal séparé existait déjà. Eh bien, restons-en là ! Nous avons constaté nous-mêmes au cours du débat sur les coopérateurs ou les collaborateurs de justice – puisqu’on les appelle ainsi désormais – qu’il existait des dispositifs de protection les concernant, s’ils étaient amenés à fournir des informations susceptibles de les mettre en danger. Nous sommes tous convenus de la nécessité de les protéger.
Si vous souhaitez que les procédures se passent bien, avec un concours à parts égales de l’accusation et de la défense, évitez de réintroduire des dispositions qui ne font que jeter le soupçon sur l’ensemble des avocats.
M. le président
La parole est à M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour soutenir l’amendement no 939 rectifié, qui fait l’objet des sous-amendements nos 981, 1004, 999, 982 et 1005.
M. Vincent Caure, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Si cela vous convient, je me contenterai de dire que cet amendement est défendu, avant de faire une réponse d’ensemble à tous les orateurs.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir le sous-amendement no 981.
M. Ugo Bernalicis
Beaucoup d’arguments ont déjà été présentés contre la réintroduction de ce dossier coffre ou PV distinct, à laquelle nous sommes évidemment opposés.
Vous semblez faire constamment une confusion. Vous dites que l’accès de la défense au PV met en danger les enquêtrices et les enquêteurs utilisant ces techniques d’investigation particulières, comme si la personne dont on met le téléphone sur écoute ou dont on géolocalise la voiture en y posant une balise était mise au courant par son avocat de ce qui figure dans le dossier pénal au moment même où la mesure est prise. Ce n’est pas de cela que nous sommes en train de parler : c’est une fois que les écoutes ou la géolocalisation ont pris fin, quand l’enquête est terminée, que les éléments sont communiqués à la défense. Celle-ci peut alors les contester, par exemple en arguant que la personne mise sur écoute ne peut avoir tenu les propos enregistrés par le micro, parce qu’elle était ailleurs ce jour-là. Le débat judiciaire peut avoir lieu pour déterminer si la preuve en est bien une.
Ayez au moins l’honnêteté de dire que ceux qui ont posé ces moyens pourraient être mis en danger a posteriori, plus tard, ou dans une autre enquête. Mais ce n’est pas le même débat, d’autant qu’aujourd’hui ce n’est pas le sujet de préoccupation numéro un parmi les problèmes de sécurité pour les enquêtrices et les enquêteurs.
Vous faites de ce dossier coffre un élément de défiance envers la profession des avocates et des avocats – cela a été dit. J’ai rappelé récemment les propos tenus par MM. Retailleau et Darmanin, de la même veine que ceux des magistrats ayant dressé une liste de cinquante avocates et avocats, dénoncés comme complices des narcotrafiquants sans fournir d’éléments de preuve. Si de tels éléments existent, vous procédez à des enquêtes avec les bâtonniers pour faire avancer les choses, mais vous ne pouvez pas, sous couvert de protéger les enquêtrices et les enquêteurs, jeter l’opprobre sur toute une profession en faisant figurer certains éléments dans un PV distinct. Ce n’est même pas efficace.
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, pour soutenir le sous-amendement no 1004.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État, ministre de l’intérieur
Comme M. le rapporteur, j’interviendrai à la fin de l’examen de l’ensemble de ces amendements.
Un mot sur l’esprit et la lettre de ce sous-amendement : complétant l’amendement du rapporteur, il vise à tenir compte des ajustements proposés par le Conseil d’État.
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir le sous-amendement no 999.
M. Pouria Amirshahi
Ce sous-amendement est dans le même esprit que celui que j’ai précédemment soutenu. Mes chers collègues, si vous considérez que des avocats dont l’éthique ne serait pas au-dessus de tout soupçon risquent de divulguer certaines informations, je rappelle – après M. Bernalicis, qui l’a fait à juste titre –, qu’il existe, comme pour les médecins, un ordre national des avocats et des dispositifs permettant précisément de les sanctionner pour faute grave – car il s’agirait bien de fautes graves.
Je ne sais pas qui a suivi les auditions, mais quant à moi, – je vois M. le rapporteur dodeliner de la tête, peut-être pour me contredire – je n’ai pas rencontré un seul magistrat qui m’ait dit qu’une affaire avait été cassée à cause d’un vice de procédure lié à cette question. Pas un seul !
Par ailleurs, vous créez une usine à gaz : il faut que du parquet soit requise une autorisation, qu’elle aille à la chambre d’instruction, qu’elle revienne ensuite, passe devant le juge des libertés et de la détention, etc. Faites simple ! Laissez faire les professionnels de l’enquête : ils ont leurs techniques spéciales et sont capables – vous le savez parfaitement – de faire comprendre aux magistrats instructeurs qu’ils ont recouru à des dispositifs de surveillance, qui n’ont jamais eu pour effet d’entraver la résolution des enquêtes – ou très rarement. Je ne sais pas si vous avez des exemples en ce sens, pour ma part je n’en ai aucun.
M. le président
Nous en venons à deux sous-amendements identiques, nos 982 et 1005. La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir le sous-amendement no 982.
M. Ugo Bernalicis
Le Conseil d’État ayant formulé des préconisations et rappelé quelques grands principes de notre droit pénal, dont l’égalité de traitement et le contradictoire, des garanties ont été ajoutées, telles que l’obligation de justifier des raisons impérieuses conduisant à mettre certains éléments dans le PV distinct, etc. Le résultat est qu’on ne sait plus très bien ce qui pourra figurer dans ce PV ; cela ressemble plus à une usine à gaz, ou plutôt à une usine à contentieux. Vu la procédure prévue, le recours effectif à ce PV distinct me semble donc complexe.
Et puis, par capillarité, un autre point me préoccupe : vous dites que les seuls éléments qui pourront se trouver dans le PV distinct sont par exemple ceux qui ont trait au placement du micro – quel jour, quelle heure –, s’il s’agit d’un micro, mais une fenêtre d’interprétation me paraît entrouverte.
Vous dites que les informations visées sont celles qui sont de nature à permettre d’identifier la manière dont on a posé le dispositif technique ou les personnes ayant concouru à cette installation. Prenons l’exemple d’un micro qui aurait été posé dans le cadre d’une enquête, mais qui n’aurait rien donné. Imaginez : on n’a rien obtenu de ce qu’on espérait, mais on a entendu des choses qui pourraient être intéressantes par ailleurs, par exemple en matière de renseignement. À un autre endroit du texte, vous avez prévu que les éléments d’une enquête judiciaire pourront être transmis aux services de renseignement ; de la même manière, ne pourrait-on pas imaginer que certains éléments du dossier distinct, par exemple la pose d’un micro, ne soient pas partagés – personne ne saurait qu’il a été posé – mais finissent tout de même dans les mains des services de renseignement ? C’est une hypothèse que l’on pourrait mettre sur la table, parce que je comprends que l’on hésite à signaler la pose d’un micro dans le procès-verbal, si elle n’a rien donné ! En effet, j’ai bien compris que le simple fait de l’indiquer peut mettre en danger le service et la personne concernés – puisqu’il a été posé par quelqu’un. D’après ce que vous dites, le recours à ce type de technique est de toute façon dangereux ; vous voyez donc où je veux en venir. (Mme Mathilde Panot applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle, pour soutenir le sous-amendement no 1005.
Mme Colette Capdevielle
Cet amendement de rétablissement de l’article 16 jette l’opprobre sur toute une profession. Pourtant, celle-ci est soumise à des règles professionnelles et prête serment ; en outre, elle est régie par des ordres qui prennent des sanctions quand leurs membres commettent des fautes professionnelles – et quand ces fautes relèvent du pénal, ils sont poursuivis et perdent leur métier. Je trouve donc absolument incroyable que vous jetiez ainsi l’opprobre sur les avocats.
Par ailleurs, beaucoup d’entre nous ont déjà été inquiétés, à un moment ou à un autre, par une procédure quelconque – disciplinaire, prud’homale ou pénale ; nous pouvons donc comprendre que lorsqu’on est accusé, quelle que soit la formule d’accusation, on doit avoir une connaissance complète du dossier. L’amendement de réécriture donne lieu à un texte fourre-tout qui est aussi une usine à gaz – comme si la profession n’avait que ça à faire. Certains dispositifs existants sont d’ailleurs tout à fait suffisants, qu’il s’agisse des collaborateurs de justice, des agents infiltrés ou des témoins protégés.
Ceux qui ont demandé la réintroduction de cette disposition, fort justement annulée en commission des lois, n’ont manifestement jamais lu une procédure qui concerne la criminalité organisée et ne connaissent donc pas la réalité de ces procédures ! Rien n’oblige les enquêteurs à divulguer leurs méthodes d’exécution et les caractéristiques de fonctionnement de leurs enquêtes ; cela s’observe dans toutes les procédures de ce type.
Nous avons donc affaire à une disposition vraiment malveillante au vu des objectifs recherchés, et manifestement inconstitutionnelle – les collègues ont évoqué la décision de mars 2014 du Conseil constitutionnel sur la loi relative à la géolocalisation. Quant au chemin de croix procédural que vous tentez d’introduire pour la rendre acceptable constitutionnellement, franchement, ce n’est pas du tout sérieux. (M. Pierre Pribetich applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Sébastien Huyghe, pour soutenir l’amendement no 771 qui, je le rappelle, fait l’objet d’un sous-amendement.
M. Sébastien Huyghe
Il vise à rétablir l’article 16 de la proposition de loi, qui a été supprimé par inadvertance en commission des lois, en réintroduisant la procédure dite du dossier coffre. Cette procédure poursuit l’objectif de renforcer la sécurité de certaines personnes et l’efficacité des enquêtes sensibles, en retirant certaines informations du débat contradictoire. Nous avons entendu les réticences de certains de nos collègues quant à ce dispositif ; c’est la raison pour laquelle nous proposons une rédaction complètement différente de celle du Sénat, qui permet tout d’abord de restreindre les cas d’usage à ceux de nature à mettre gravement en danger la vie ou l’intégrité physique d’une personne, ensuite de simplifier la procédure en retirant toute mention des actes rebonds, et enfin de prévoir un recours devant la chambre de l’instruction pour contester à la fois le principe même du dossier distinct et le versement en procédure des éléments recueillis grâce à la technique spéciale d’enquête faisant l’objet d’un dossier distinct.
L’objectif est de trouver un équilibre entre respect des droits de la défense et efficacité de la lutte contre la criminalité organisée.
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour soutenir le sous-amendement no 1000.
M. Pouria Amirshahi
J’entends bien que le dispositif, dans l’article tel qu’il est rétabli, est mieux encadré que dans la version initiale, en particulier s’agissant de la protection d’agents en danger. Puisque nous ne pouvons pas déposer d’amendements de suppression, nous avons proposé, d’autres collègues et moi-même, des sous-amendements pour en diminuer la portée, par exemple en introduisant la possibilité d’un accès sans copie ou d’une transmission au juge d’instruction – vous avez eu connaissance, j’en suis certain, de toutes ces propositions.
Cependant, au-delà du caractère inopérant de la disposition, il faudra me répondre sur un point qui renvoie au fond même du sujet : aucune procédure n’a jamais été arrêtée du fait de l’absence de dossier coffre, n’est-ce pas ? Il faut aussi tenir compte du fait que s’agissant des collaborateurs de justice – les repentis, ou futurs repentis –, plusieurs dispositions ont été adoptées hier en séance. En l’espèce, j’aimerais comprendre exactement quel dispositif et quelles techniques spéciales d’enquête sont ici concernés : pour le moment, rien n’empêche les enquêteurs, quand ils utilisent les techniques spéciales qui sont légalement à leur disposition, de procéder aux enquêtes dont ils sont chargés !
On me dit par exemple que quand on fait une filature, on peut avoir besoin de poser une balise sans que le malfrat le sache. Mais vous prenez les malfrats pour des enfants de chœur ? À ce niveau, ils sont au courant qu’ils sont sous surveillance ! On ne parle pas du petit délinquant de la rue, là ! On parle des chefs de la mafia organisée, qui sont des donneurs d’ordre de crimes de sang, de crimes et de délits très graves ! Vous croyez qu’ils ne savent pas que leurs conversations sont écoutées – nous en avons débattu hier à propos des messageries et des interceptions satellitaires ? Vous croyez une seule seconde qu’ils ne sont pas au courant qu’ils sont sous surveillance ?
C’est d’ailleurs pour cela, on vous l’a dit, qu’ils ont eux-mêmes créé des messageries cryptées qui leur sont propres, financées à coups de millions par l’argent du narcotrafic, qu’ils font fructifier ! C’est la fameuse affaire du logiciel Matrix, dont l’existence a été découverte grâce à des investigations menées dans le cadre d’une coopération franco-néerlandaise. Cette enquête n’a d’ailleurs pas eu besoin de toutes les dispositions de technopolice qui semblaient vous fasciner hier : il s’agissait d’une coopération humaine de surveillance, sur la base de techniques spéciales d’enquête qui sont parfaitement légales et autorisées.
M. le président
Sur cette série d’amendements, je suis saisi de plusieurs demandes de scrutin public : sur l’amendement no 2 rectifié et sur les amendements identiques nos 3 et 903, par les groupes Rassemblement national et La France insoumise-Nouveau Front populaire ; sur les amendements identiques nos 941 et 962, par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire ; sur l’amendement no 939 rectifié, par les groupes La France insoumise-Nouveau Front populaire et Socialistes et apparentés ; sur le sous-amendement no 1004, par le groupe Socialistes et apparentés ; et enfin sur l’amendement no 771, par le groupe La France insoumise-Nouveau Front populaire.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Quel est l’avis de la commission sur l’ensemble de ces amendements et de ces sous-amendements ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Pour débuter ce cinquième jour de débats, permettez-moi d’être un peu plus disert qu’en d’autres occasions, eu égard au nombre d’interventions et à la nature du débat qui nous occupe ce matin. Hier, Mme Martin, sur les bancs de La France insoumise, convoquait Protagoras ; permettez-moi donc de citer Platon. Puisque « la connaissance des mots conduit à la connaissance des choses » et que certains de ces amendements, au sein d’une matière très sensible, ne modifient qu’un paragraphe ou un mot, je prendrai un peu de temps pour vous répondre.
L’amendement no 939 rectifié réécrit entièrement le dispositif du dossier distinct, qui a été supprimé en commission, mais auquel je crois et dont le rétablissement dans notre droit me semble essentiel. Vous êtes plusieurs à l’avoir rappelé, nous évoluons dans un cadre contraint à la fois par le Conseil constitutionnel et par nos engagements conventionnels. Qu’en est-il ? D’abord, en 2014, le Conseil constitutionnel a exposé, et vous avez raison de le rappeler, que la personne mise en cause doit être en mesure de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve ayant une valeur probatoire – je ne l’oublie à aucun moment de ma démonstration.
Ensuite, en 2017, la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) a écarté la violation alléguée du droit à une procédure équitable, considérant que le législateur belge, en matière criminelle, avait limité les éléments qui figuraient dans le dossier à ceux qui sont de nature à compromettre l’identité et la sécurité des personnes concernées, et que la procédure de contrôle effectuée en amont et en aval compensait la restriction des droits de la défense – la CEDH entendant le droit à un procès équitable dans son ensemble.
Le dispositif proposé dans l’amendement no 939 rectifié tient compte de cela, de nos débats et de l’avis du Conseil d’État. Il restreint l’usage du dossier distinct à une finalité unique, au lieu de deux : désormais, seule la protection de la vie d’une personne ou de ses proches peut fonder l’ouverture d’un dossier coffre. En cohérence, il restreint les éléments pouvant être inscrits dans ce dossier distinct et il supprime sa transmission automatique à la chambre de l’instruction ; il affirme le principe selon lequel les éléments recueillis au moyen de la technique spéciale d’enquête qui fait l’objet d’un dossier distinct ne peuvent fonder une condamnation, conformément à la jurisprudence constitutionnelle de 2014, mentionnée à l’instant ; enfin, dans des cas exceptionnels, il prévoit qu’un magistrat indépendant, le juge des libertés et de la détention (JLD), auquel nous avons fait référence à de nombreuses reprises au cours de nos débats, peut autoriser le versement en procédure de certains éléments recueillis grâce à la technique spéciale d’enquête. Ce versement est autorisé par un magistrat du siège et peut être contesté par la personne mise en cause devant la chambre de l’instruction ; c’est donc l’exception, non la règle.
J’ajoute que l’amendement a été soumis au Conseil d’État par le gouvernement ; nous avons été destinataires de son avis en fin de semaine dernière. Sous réserve des ajustements qu’il propose et que nous pourrons – je l’espère – reprendre, le Conseil d’État considère que « l’amendement ne se heurte à aucun obstacle d’ordre constitutionnel ou conventionnel ». L’un des ajustements proposés conduirait à exclure le versement en procédure – vous en avez parlé – des éléments recueillis par la technique spéciale d’enquête dès lors que les éléments contenus dans le dossier distinct sont indispensables à l’exercice des droits de la défense ; c’est ce que je vous propose dans mon amendement.
Le sous-amendement no 1004 du gouvernement, auquel je donnerai un avis favorable, tire les autres conséquences de l’avis du Conseil d’État – le ministre pourra le rappeler. Il ajoute que la requête pour recourir à un dossier distinct précise les raisons impérieuses justifiant que certaines informations ne soient pas versées en procédure, et précise que c’est le président de la chambre de l’instruction, et non la chambre de l’instruction, qui statue sur le recours ou non au dossier distinct, sauf si la complexité du dossier justifie de saisir une formation collégiale pour que ce choix n’écrase pas le seul président de la chambre.
Je suis donc favorable à la combinaison de l’amendement no 939 rectifié et de l’amendement no 1004. En revanche, je suis défavorable au sous-amendement no 981, défendu par M. Bernalicis, qui vise à limiter les informations qui peuvent être versées dans le dossier distinct – les garanties que je viens d’exposer me semblent suffisantes pour laisser lesdites informations dans le dossier distinct –, ainsi qu’aux sous-amendements identiques no 982 et 1005 – ce dernier ayant été défendu par Mme Capdevielle –, qui visent à supprimer l’absence de recours possible contre la décision de la chambre de l’instruction concernant l’emploi du procès-verbal distinct. Je précise que cette absence de recours ne porte pas la régularité de la technique spéciale d’enquête, mais qu’elle concerne bien le recours ou non au dossier distinct. Je suis également défavorable au sous-amendement no 999, qui prévoit que l’avocat peut consulter le dossier distinct : ce serait un contournement complet de la procédure, qui viderait de sa substance le rétablissement de l’article 16.
Quant à l’amendement no 2 rectifié de M. Taverne, qui a été défendu en premier, il vise à réintroduire la version du Sénat, ce qui me pose problème. Cette version comprend les dispositions relatives au dossier distinct, mais elle propose aussi d’allonger les délais encadrant le recours à la géolocalisation. Sur ce dernier point, la durée que vous proposez est trop longue, compte tenu du caractère dérogatoire de ces techniques spéciales d’enquête. Enfin, s’agissant de votre amendement no 3, identique au 903 de M. Ciotti, la mention des actes rebonds est susceptible de porter à confusion.
Je crois donc que le chemin proposé par l’amendement no 939 rectifié, sous-amendé par le gouvernement, est un chemin d’équilibre, qui permet de tenir compte à la fois du cadre constitutionnel, de nos engagements conventionnels et de l’avis du Conseil d’État, et ce de manière suffisamment robuste sur le plan du droit, pour reprendre les termes du président Marleix, pour fournir à nos enquêteurs un outil qui leur est nécessaire.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Mes avis sont identiques à ceux du rapporteur. C’est à mon sens un des dispositifs les plus importants de cette proposition de loi ; je voudrais donc y revenir rapidement. D’abord, c’est un dispositif essentiel et vital. Il ne s’agit pas, madame Capdevielle, de jeter l’opprobre sur quiconque – sur aucune profession.
M. Ugo Bernalicis
Vous l’avez pourtant fait !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je le redis avec toute la solennité qui s’impose : il s’agit simplement de protéger des vies humaines.
Je sais que ce dispositif a pu susciter des débats ; c’est la raison pour laquelle le gouvernement a pris la décision de soumettre l’amendement de Vincent Caure, le rapporteur, au Conseil d’État, dans une démarche parfaitement transparente, pour que les choses soient bien claires et pour que les propositions du Conseil d’État puissent permettre des réajustements – c’est d’ailleurs l’objet du sous-amendement du gouvernement.
J’en viens au fond. Le Conseil d’État a été très clair. Premièrement, il a rappelé que le dispositif du dossier distinct n’était pas nouveau, puisqu’il existe depuis une vingtaine d’années pour les témoignages anonymes ; il existe également en matière de géolocalisation. C’est donc un dispositif déjà ancien.
Deuxièmement, le Conseil d’État a spécifié quelle devait être la règle en matière de dossier distinct et y a admis une seule exception. Dans un dossier distinct, on doit pouvoir verser des informations permettant l’identification des personnes ayant concouru à l’enquête – il s’agit de protéger des vies humaines – et des informations, telles que la date, l’heure et le lieu, relatifs à l’utilisation de techniques spéciales d’enquête. La règle est la suivante : les éléments qui ont été recueillis de cette manière ne peuvent pas être incriminants. Autrement dit, on peut créer un dossier distinct en y versant les informations que j’ai énumérées, mais on est alors contraint : les éléments recueillis ne peuvent pas servir de preuves dans la procédure.
Néanmoins, je l’ai dit, le Conseil d’État a prévu une exception à cette grande règle : lorsque c’est une question de vie ou de mort. Quand la divulgation des informations permettrait d’identifier une personne ayant posé ou retiré un dispositif technique d’enquête et que l’on considère que sa vie risque d’être mise en danger, alors il faut impérativement la protéger.
D’autre part, le dispositif sera très encadré, à chaque étape. Qui requerra, d’abord, la création d’un dossier distinct ? Ce sera un magistrat, soit celui qui est chargé de l’enquête – le procureur –, soit celui qui est chargé de l’instruction – le juge d’instruction. Ensuite, le JLD devra rendre une ordonnance qui sera très motivée. Enfin, un recours sera possible devant la chambre de l’instruction.
Ajoutons que les garanties jurisprudentielles sont très fortes, le Conseil constitutionnel s’étant prononcé à deux reprises à ce sujet et la Cour européenne des droits de l’homme ayant rendu plusieurs arrêts. Je ne vais pas rappeler toutes ces décisions, mais je souhaite citer très précisément un passage très éclairant d’un arrêt rendu par la CEDH le 16 février 2000 : « […] le droit à une divulgation des preuves pertinentes n’est pas absolu. Dans une procédure pénale donnée, il peut y avoir des intérêts concurrents – tels que la sécurité nationale ou la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles ou de garder secrètes des méthodes policières de recherche des infractions – qui doivent être mis en balance avec les droits de l’accusé […]. Dans certains cas, il peut être nécessaire de dissimuler certaines preuves à la défense de façon à préserver les droits fondamentaux d’un autre individu ou à sauvegarder un intérêt public important. » Tout est dit ; ces phrases énoncent exactement ce que nous souhaitons faire avec ce dispositif.
Je pense qu’il devrait recueillir un large consensus. Il est issu, à l’origine, des travaux de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France, dont les conclusions avaient été approuvées à l’unanimité, donc aussi par les groupes de gauche, y compris le groupe écologiste. Il avait fait l’objet, ensuite, d’une proposition de loi. Précisons que le dispositif exposé à l’instant par le rapporteur est un peu différent.
J’y insiste, ce dispositif, qui est assorti de toutes les garanties, est extrêmement important si nous voulons protéger la vie des enquêteurs et de toutes les personnes concourant aux enquêtes.
M. le président
La discussion de l’article 16 consistant en cette unique discussion commune de plusieurs amendements et sous-amendements, je propose de distribuer la parole assez largement à ceux qui souhaitent s’exprimer.
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Le Conseil d’État a relevé qu’il n’y avait aucun obstacle conventionnel ni constitutionnel. Or j’entends nos collègues de gauche évoquer une défiance à l’égard des avocats. Concevraient-ils, pour leur part, des soupçons à l’égard des magistrats ? Je rappelle que le recours au dossier coffre doit d’abord faire l’objet d’une requête du procureur de la République ou d’un magistrat adressée au JLD, lequel peut s’y opposer. Ensuite, la chambre de l’instruction exerce un contrôle. Auriez-vous donc des doutes quant au discernement de nos magistrats ?
Il s’agit de lutter contre des réseaux très bien organisés. Si les enquêteurs doivent utiliser ces techniques dites sensibles, c’est qu’il y a une raison. L’un de nos collègues a travaillé pendant trente-deux ans dans la police judiciaire. Ayant entendu Mme Capdevielle affirmer que les dispositifs actuels étaient suffisants – elle a cité notamment les collaborateurs de justice –, il propose à ceux d’entre vous qui le souhaitent de faire un stage de quelques jours en immersion pour bien comprendre ce qu’est un réseau criminel. Si vous voulez, nous pouvons prendre contact.
M. Arthur Delaporte
Mais pour qui vous prenez-vous ?
M. Michaël Taverne
Le dossier coffre est extrêmement important pour nos enquêteurs et pour nous si nous voulons lutter efficacement contre ces réseaux criminels très bien organisés – vous l’avez dit, monsieur Amirshahi, c’est le haut du spectre qui est en cause. Je le répète, si les enquêteurs doivent utiliser ces techniques sensibles, c’est qu’il y a une raison.
Il faut donc absolument rétablir l’article 16. C’est un élément primordial de ce texte de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz
Je soutiens bien évidemment le rétablissement de l’article 16. Plusieurs orateurs ont évoqué une défiance à l’égard des avocats, mais ce n’est pas du tout le sujet. L’enjeu est de protéger des enquêteurs et des témoins, M. le ministre a été très clair sur ce point.
De quoi parlons-nous ? Nous parlons d’abord de dossiers touchant les têtes du narcotrafic, autrement dit de quelques dossiers bien précis. Nous parlons ensuite d’enquêteurs qui travaillent sur le terrain, au plus près des narcotrafiquants. Il peut s’agir pour eux de poser un système d’écoute, par exemple.
Rappelons que les narcotrafiquants tuent, kidnappent, torturent. En réalité, ils sont sans foi ni loi. Il faut que nous apportions notre protection aux enquêteurs et aux témoins, que nous assurions leur sécurité – nous le leur devons bien. Le recours au dossier coffre est strictement encadré. Saisi pour avis par le gouvernement, le Conseil d’État a mis en évidence le caractère constitutionnel du dispositif.
M. Arthur Delaporte
Ce n’est pas vrai !
Mme Anne Bergantz
Le groupe Les Démocrates votera pour l’amendement no 939 rectifié du rapporteur et le sous-amendement no 1004 du gouvernement. Il votera aussi pour l’amendement no 941 d’Éric Martineau.
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Mme Brigitte Barèges
Je crois que tout a été dit. Je souscris aux propos de M. le rapporteur et à ceux de M. le ministre.
Quel est l’objectif ? Nous sommes dans un cadre tout à fait exceptionnel : il s’agit de faire face à des narcotrafiquants relevant du crime organisé, pour lesquels la vie n’a pas de valeur et qui ne reculent devant aucun moyen. À situation exceptionnelle, moyens exceptionnels.
Selon moi, tout a été fait pour entourer des garanties nécessaires le recours au procès-verbal distinct, conformément aux recommandations du Conseil d’État. Ce dispositif exceptionnel et dérogatoire est placé sous le haut contrôle des magistrats, aussi bien du parquet que du siège, notamment le JLD. Il existe en outre une possibilité de recours devant la chambre de l’instruction. En matière de garanties, on ne peut pas rêver mieux !
Or j’entends la gauche, opposée au principe même du dossier distinct, nous dire que c’est trop compliqué, que les multiples garanties et voies de recours vont transformer cette procédure en chemin de croix. Soyons sérieux ! Il faut savoir si nous voulons traiter complètement une situation, je le répète, exceptionnelle, si nous voulons doter les magistrats instructeurs et les enquêteurs des moyens dont ils ont besoin.
C’est donc sans états d’âme que le groupe UDR votera l’amendement no 939 rectifié et le sous-amendement no 1004, qui me paraissent avoir fait le tour de la question.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
M. le ministre l’a brièvement évoqué et cela figure dans l’avis du Conseil d’État, il existe déjà des mesures qui permettent de protéger les enquêtrices et les enquêteurs. D’une part, les enquêteurs peuvent être anonymisés dans une procédure, de même que les témoins. D’autre part, un dispositif analogue à celui que vous entendez créer existe pour la géolocalisation. Dès lors que l’on peut atteindre ce but par d’autres moyens déjà prévus par la loi, une question se pose : quel est donc l’objectif final ?
Je reviens au cas que j’ai évoqué précédemment. Imaginons qu’un micro ait été posé, qu’il n’ait pas permis de recueillir d’éléments à charge contre les personnes suspectées dans le dossier, mais qu’il y ait sur l’enregistrement des éléments susceptibles d’intéresser les services de renseignement. Dans ce cas, ces éléments pourront-ils être consignés dans le procès-verbal distinct, puisque, par nature, le recours à une technique spéciale d’enquête est dangereux ? Ces éléments pourront-ils être utilisés par les services de renseignement, sachant que d’autres articles de la proposition de loi organisent la transmission d’informations à ces services ? C’est une question fondamentale, car nous parlerions alors de tout autre chose.
Nous nous opposons par principe à la possibilité de soustraire des éléments du dossier. Quand bien même ces éléments ne seraient pas intéressants, ceux qui sont mis en cause doivent pouvoir mobiliser des éléments à décharge – car les enquêtes, on peut le comprendre, sont plutôt menées à charge, même si elles sont censées l’être à la fois à charge et à décharge.
Pour terminer, je tiens à rappeler les propos tenus par le ministre sur France 2 dans l’émission télévisée « Les quatre vérités » – ce n’est pas n’importe où ! – le 28 janvier dernier : « […] si vous versez ces techniques d’enquête au dossier des avocats, tous ceux qui ne sont pas bien intentionnés, notamment ceux qui défendent les mafieux, verront les techniques d’enquête. » Et on prétend qu’il n’y a pas de défiance envers les avocats ? Ils sont considérés comme complices parce qu’ils défendent les mafieux, non pas parce qu’ils auraient commis eux-mêmes des infractions ! Il est inacceptable de tenir de tels propos ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Ils ont d’ailleurs été réitérés – j’ai choisi ceux-là car ce sont les plus clairs et les plus évocateurs. En tout cas, il n’y a aucun doute sur votre intention, qui n’est pas du tout de protéger les enquêtrices et les enquêteurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – M. Jérémie Iordanoff applaudit aussi.)
M. le président
La parole est à M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix
À entendre Mme Capdevielle et M. Bernalicis, je me dis que nous n’avons pas les mêmes priorités ! Évidemment, nous sommes tous très profondément attachés aux droits de la défense et au droit à un procès équitable.
M. Ugo Bernalicis
Je n’en suis pas si sûr !
M. Pierre Pribetich
Prouvez-le !
M. Olivier Marleix
Il y a d’ailleurs bien d’autres domaines dans lesquels notre pays a des progrès à faire au regard du droit à un procès équitable.
Mais là, on ne parle pas de n’importe quelles infractions : on parle du haut du spectre de la criminalité organisée, des gros bonnets du trafic de drogue. Le ministre de l’intérieur a récemment rappelé les chiffres : on dénombre chaque année dans notre pays 300 à 400 assassinats ou tentatives d’assassinat liées à la drogue. Voilà les gens auxquels nous avons affaire !
Madame Capdevielle, monsieur Bernalicis, croyez-vous vraiment que, si ces gros bonnets, qui sont capables d’ordonner des exécutions, ont accès au nom de la personne qui a eu recours à une technique spéciale d’enquête, parfois dans leur intimité ou leur entourage, cela va bien se passer pour la personne en question ? Croyez-vous vraiment une seconde à ce que vous racontez ? Nous ne pouvons pas accepter cela. À l’évidence, notre devoir est de protéger ceux qui consentent, au péril de leur vie, à aider à coincer ces gros bonnets. Ils s’exposent à des dangers bien réels.
Je retire mon amendement no 962 au profit de l’amendement no 939 rectifié du rapporteur et du sous-amendement no 1004 du gouvernement.
(L’amendement no 962 est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
Monsieur Marleix, vous venez d’affirmer : « nous sommes nous aussi très attachés aux droits de la défense, mais là, on parle de la haute criminalité ». Vous rendez-vous compte de ce que vous dites ? Tous les principes du droit dont nous débattons sont faits précisément pour empêcher le règne de l’arbitraire,…
M. Jérémie Iordanoff
Eh oui !
Mme Elsa Faucillon
…pour nous protéger de ce que vous êtes en train de dire. Bien évidemment, quand nous voyons les actes absolument horribles commis par ces gens, que nous arrive-t-il ? Mus par un sentiment des plus humains, nous avons envie qu’ils souffrent.
M. Olivier Marleix
Peut-être, mais vous n’allez pas exécuter ces gens !
Mme Elsa Faucillon
Pourquoi a-t-on institué ces principes ? Précisément pour nous protéger de cet arbitraire, de ce premier élan humain induit par le sentiment que ces gens et leurs actes sont détestables. Tout au long de l’examen de ce texte, nous vous avons entendus dire des choses de cet ordre : « comme c’est très grave, dérogeons à telle règle ».
M. Jérémie Iordanoff
Exactement !
Mme Elsa Faucillon
De la même manière, M. le ministre vient de nous dire : « c’est pour sauver des vies humaines ». Dès lors, nous devrions tous acquiescer : puisque c’est pour protéger des vies humaines, nous sommes d’accord. Eh bien, non ! Nous avons à protéger et des vies humaines et les principes qui nous tiennent ensemble. Il s’agit de préserver et notre État de droit et des vies humaines. C’est ce que nous devons faire ici en tant que législateurs. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.)
M. Emeric Salmon
Quitte à sacrifier des vies humaines ? C’est ce que vous êtes en train de dire ? C’est surréaliste !
M. Stéphane Rambaud
Oui, surréaliste !
Mme Elsa Faucillon
S’agissant du dossier coffre, nous avons encore de très nombreuses questions à poser, car un grand flou persiste.
Mon collègue Bernalicis l’a fait observer : vous nous parlez de sauver des vies humaines alors que l’anonymisation existe déjà. Ainsi, je ne comprends pas cet argument ; peut-être pourriez-vous, monsieur le ministre, répondre sur ce point ?
Le JLD, le procureur et le juge d’instruction disposeront d’éléments auxquels l’avocat n’aura pas accès ce qui créera une distorsion énorme. Comprenez donc que nous ayons de fortes réserves et des questions ! Pour le moment, nous n’avons pas obtenu de réponses et nous voterons donc contre cet article que vous essayez de réintégrer.
M. le président
La parole est à M. Sébastien Huyghe.
M. Sébastien Huyghe
Je l’ai dit dans la présentation de mon amendement : le dispositif du dossier coffre est très important. Certes, les procédures d’anonymisation existent, mais elles sont manifestement insuffisantes. Si les criminels ont connaissance des techniques spéciales d’enquête utilisées, ils peuvent, par déduction, savoir qui a permis leur mise en œuvre. Il faut donc aller plus loin grâce au recours au dossier coffre.
Cela a été expliqué et c’est encadré. L’intervention des magistrats pose les bornes nécessaires à la préservation des droits de la défense.
Nous voterons donc en faveur des amendements de rétablissement de l’article 16. Pour ma part, je retire l’amendement no 771 au profit du no 939 rectifié du rapporteur, sous-amendé par le gouvernement.
(L’amendement no 771 est retiré ; en conséquence, le sous-amendement no 1000 devient sans objet.)
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi
Vous vous trouvez en difficulté pour répondre à l’argumentaire implacable de Mme Faucillon : peut-être auriez-vous dû l’entendre plus tôt !
Je voudrais évoquer à nouveau plusieurs évidences. Monsieur le ministre, vous vous êtes référé au Conseil d’État, or cette instance ne dit pas la loi, elle énonce les garanties minimales sans que cela ne préjuge de la décision du Conseil constitutionnel. Vous avez dit que ce dernier avait rendu deux avis, mais la messe n’est pas dite ! Nous ne nous interdisons pas de déposer un recours en cas d’adoption de l’article : nous verrons alors ce que dira la juridiction de la rue de Montpensier.
Sur le fond, si nous parlons de protéger les techniques spéciales d’enquête, la première d’entre elles – évoquée hier – l’est déjà : un informateur, un infiltré et même un repenti sont tous protégés.
Vous parlez de défendre les agents qui agissent au péril de leur vie : outre que la prise de risque est inhérente à l’engagement professionnel qu’ils ont choisi, l’anonymisation existe – notre collègue Faucillon l’a dit – et est strictement encadrée.
Enfin, je relève une contradiction. Quand une technique spéciale d’enquête est versée au dossier, elle n’est pas immédiatement transmise aux malfrats. Toute votre argumentation, monsieur le ministre, repose sur l’idée qu’il ne faut pas que les malfrats apprennent quelles sont les techniques spéciales d’enquête mais, dans le même temps, vous nous expliquez que les services d’enquête français sont en retard en la matière et les malfrats en avance, grâce à des outils technologiques et des façons de faire, et que cette avance justifierait les mesures exceptionnelles envisagées ! Ainsi, il ne faudrait pas que les malfrats découvrent… des techniques qu’ils connaissent déjà !
Votre seul argument est l’efficacité de l’enquête mais, en réalité, une autre question se pose, celle du respect des droits de la défense, qui ne saurait connaître d’exception – il ne s’agit pas de dire : « nous sommes pour le respect des droits de la défense, mais… »
Mme Elsa Faucillon
Exactement !
M. Pouria Amirshahi
En notre qualité de législateurs, nous sommes là pour poser des principes. Un principe n’est pas amendable au gré des circonstances ; il doit être défendu. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Jérémie Iordanoff applaudit également.) Les droits de la défense, qui sont consacrés, doivent être défendus.
M. Jean-François Coulomme
Ils sont intangibles !
Mme Elsa Faucillon
Et ils nous protègent tous !
M. Pouria Amirshahi
Le principe du respect des droits de la défense est ontologiquement lié à notre République. C’est un élément constitutif de l’État de droit : il a été mis en avant dès l’Ancien Régime pour garantir un procès équitable et nous devrions être fiers qu’il ait irrigué le monde entier à partir de notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
M. le président
La parole est à M. Jean Moulliere.
M. Jean Moulliere
Cet amendement va dans le bon sens. La proposition de M. le rapporteur établit un bon équilibre entre les droits de la défense et l’impératif de lutte contre le crime organisé.
M. Pierre Pribetich
Rien du tout !
M. Jean Moulliere
Le recours à cette procédure dans les cas les plus graves, lorsque l’intégrité physique des personnes est directement menacée, permettra d’avoir un coup d’avance sur des criminels sans foi ni loi. Cet amendement améliore les garanties juridictionnelles en instaurant un double contrôle par la chambre de l’instruction. Le dossier coffre renforcera notre arsenal contre la criminalité organisée tout en garantissant un cadre protecteur pour les libertés individuelles.
Nous voterons donc en faveur de l’amendement no 939 rectifié et du sous-amendement no 1004.
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle
Je me suis interrogée sur ce qui a motivé la rédaction de cette disposition et sur les raisons pour lesquelles vous souhaitez absolument son rétablissement alors que les dispositions du code de procédure pénale permettent déjà l’anonymisation. Ma conclusion est la suivante : vous voulez éviter que la défense puisse s’apercevoir que la procédure n’a pas été parfaitement respectée et en profite pour déposer des requêtes en nullité. Voilà pourquoi vous voulez empêcher que la défense ait accès à cette partie du dossier ! Pourtant, il est extrêmement rare – et c’est heureux – qu’il y ait des nullités de procédure dans ce type de dossier. L’adage selon lequel « la forme est la sœur jumelle de la liberté » montre qu’il est important de respecter les procédures. C’est ici un vrai problème : comme Mme Faucillon l’a dit, vous créez une véritable distorsion, car une partie de ceux qui concourent au procès auront accès à ces éléments, mais pas les avocats.
Même si ce n’est pas le plus important, il sera intéressant de voir comment se dérouleront les choses lorsqu’au tribunal correctionnel un avocat suppléera un magistrat absent – puisque vous manquez de magistrats – et aura ainsi connaissance de ces éléments de dossier !
En bref, le fondement de cette disposition est assez détestable : vous voulez éviter que les avocats fassent leur travail, à savoir vérifier la légalité des procédures.
Je voulais aborder un second point. La référence aux « circonstances particulières de l’enquête », trop imprécise, crée un véritable risque d’inconstitutionnalité. À cet égard, le gouvernement ne s’est pas expliqué sur une intéressante décision du Conseil constitutionnel rendue le 8 avril 2022 après une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : elle indique que seules certaines informations techniques « soumises au secret de la défense nationale » peuvent être soustraites au débat contradictoire.
Enfin, si nous sommes tous d’accord pour protéger les enquêteurs, je suis assez choquée des propos de M. le ministre : si le Conseil d’État fait la loi, à quoi servons-nous ? Fermons cette maison ainsi que le Sénat : nous ferons des économies ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur quelques bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. le président
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Nous sommes dans un débat purement idéologique. Nous ne convaincrons jamais nos collègues de gauche qui, hostiles au texte, ont déposé une motion de rejet préalable et moult amendements de suppression.
M. Pierre Pribetich
Non, il s’agit du respect des principes !
M. Michaël Taverne
Par esprit de responsabilité, parce qu’il nous reste plus de 450 amendements à examiner et qu’il nous faut avancer, je retire mes amendements no 2 et 3 au profit de l’amendement no 939 rectifié de M. le rapporteur, sous-amendé par le gouvernement.
(Les amendements nos 2 et 3 sont retirés.)
M. Olivier Marleix
C’est un comportement responsable !
M. le président
La parole est à M. le rapporteur.
M. Vincent Caure, rapporteur
Madame Capdevielle, personne ne veut la fin de l’Assemblée nationale ou du Sénat !
M. Pierre Pribetich
Montrez-le : retirez votre amendement !
M. Vincent Caure, rapporteur
Si tel était notre souhait, nous n’aurions pas déjà passé cinq jours à débattre de ce texte. Nous sommes tous ici attachés au principe du respect des droits de la défense et personne n’en a le monopole. Nous avons d’ailleurs travaillé à le défendre en commission et écouté le Conseil d’État. Nous le prouvons avec cet amendement qui vise à resserrer le dispositif. S’il n’y avait que le Sénat, cet article n’aurait pas été réécrit, nous ne tiendrions pas compte de l’avis du Conseil d’État et nous ne vous aurions pas proposé une réécriture en commission !
Vous parlez des techniques spéciales d’enquête : elles existent depuis la loi Perben 2, il est évident qu’elles sont connues des délinquants et des trafiquants. La question n’est pas là. Nous ne versons pas au dossier des techniques spéciales d’enquête, mais des « informations relatives à la date, l’heure, le lieu » de leur mise en place et des « informations permettant d’identifier une personne ayant concouru à l’installation ou au retrait du dispositif technique » dès lors qu’il existe un danger pour elle. La comparaison avec le procès-verbal du témoin anonyme l’a démontré : ce que nous proposons est acceptable.
Certains amendements ont été retirés. J’invite mon collègue Martineau à retirer le sien si ce n’est déjà fait, car la rédaction proposée par l’amendement no 939 rectifié apporte une garantie supplémentaire : en cas de contestation, c’est la chambre de l’instruction en formation collégiale, et non son seul président, qui statuera afin que la décision importante de recourir à cette procédure ne constitue une responsabilité écrasante reposant sur une seule personne.
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Mme Brigitte Barèges
Je retire mon amendement no 903.
(L’amendement no 903 est retiré.)
M. le président
La parole est à M. Éric Martineau.
M. Éric Martineau
Nous retirons également notre amendement no 941.
(L’amendement no 941 est retiré ; en conséquence, le sous-amendement no 998 devient sans objet.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
J’ai entendu Mme Capdevielle dire qu’il fallait supprimer l’Assemblée, le Sénat et s’en remettre au Conseil d’État.
Mme Colette Capdevielle
Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Pourtant, depuis quarante-huit heures, les bancs de gauche critiquent le fait que nous débattions non d’un projet de loi, mais d’une proposition de loi – sur laquelle le Conseil d’État ne rend pas d’avis préalable. Il y a là une certaine contradiction !
Le rôle des assemblées est de concilier les grands principes. En l’espèce, nous disposons de décisions du Conseil constitutionnel, de la CEDH et du Conseil d’État. Si la CEDH veille au respect des droits de l’accusé, du principe du contradictoire et des droits de la défense, ces principes doivent être articulés avec d’autres grands impératifs, notamment pour sauvegarder la vie des témoins ou préserver la défense nationale.
Mme Elsa Faucillon
Justement, ici, il n’y a pas d’équilibre !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Dans son application concrète, le droit consiste à articuler entre eux différents principes fondamentaux. Ici, vous disposez de toutes les garanties que cette articulation ne crée aucune distorsion. Je pense que le bon équilibre a été trouvé.
M. le président
La parole est à M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte
Mme Capdevielle a interrogé M. le ministre au sujet de la QPC du 8 avril 2022, qui cantonne les restrictions au principe du contradictoire en matière pénale aux seules nécessités de préservation de la défense nationale.
M. le président
Il reste donc l’amendement no 939 rectifié du rapporteur et les sous-amendements afférents, dont certains font l’objet de demandes de scrutins publics. Avant de procéder aux scrutins, il est nécessaire d’effectuer un test pour s’assurer du bon fonctionnement du système de vote. Je suspends donc la séance.
Suspension et reprise de la séance
M. le président
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures, est reprise à dix heures cinquante.)
M. le président
La séance est reprise.
Nous pouvons à présent passer au vote sur l’amendement no 939 rectifié et ses sous-amendements.
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
Nous retirons notre demande de scrutin public sur le sous-amendement no 1004.
(Le sous-amendement no 981 n’est pas adopté.)
(Le sous-amendement no 1004 est adopté ; en conséquence, les sous-amendements identiques nos 982 et 1005 tombent.)
(Le sous-amendement no 999 n’est pas adopté.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 939 rectifié, tel qu’il a été sous-amendé.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 88
Nombre de suffrages exprimés 88
Majorité absolue 45
Pour l’adoption 57
Contre 31
(L’amendement no 939 rectifié, sous-amendé, est adopté et l’article 16 est ainsi rétabli.)
Article 24 (appelé par priorité)
M. le président
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny
Le Rassemblement national votera cet article qui apporte des réponses concrètes au problème de la prolifération des points de vente aussi bien dans nos villes que dans nos campagnes. Pendant que certains, qui refusent de voir la réalité en face, dénoncent une prétendue atteinte aux libertés, d’autres ont la volonté d’agir.
Un point de deal est un endroit où se retrouvent les dealers – de plus en plus nombreux – afin de commettre leurs multiples méfaits. Dans le monde des affaires criminelles, les narcocapitalistes…
M. Antoine Léaument
Copieur !
M. Jocelyn Dessigny
…ouvrent des points de vente de plus en plus nombreux et rentables. La valeur de ces points de deal dépend de leur chiffre d’affaires et ils se revendent comme on revend une PME sur le marché légal.
L’article prévoit trois avancées majeures. La première est l’interdiction administrative de paraître sur les points de deal, une mesure de bon sens que nous réclamons depuis longtemps.
Je citerai ensuite une disposition attendue et réclamée : l’obligation pour les locataires de respecter la tranquillité des habitants et des logements, car les familles n’ont pas à vivre sous la menace de dealers – fini, les halls transformés en supermarchés de la drogue !
Enfin, l’article prévoit la résiliation des baux forcés pour les trafiquants. La gauche nous parle de droits, mais où sont ceux des familles honnêtes qui vivent dans la peur ? L’État doit cesser d’héberger ceux qui pourrissent la vie des honnêtes citoyens. Un dealer n’a rien à faire dans un logement financé par la solidarité nationale.
L’extrême gauche préfère ne pas sanctionner, ne pas expulser, ne pas interdire. Nous choisissons la sécurité et l’ordre. Ces mesures sont indispensables, encore faut-il qu’elles soient appliquées. Nous ne voulons pas de promesses, mais des résultats. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte
Cet article qui, si l’on écoute nos collègues du Rassemblement national, peut sembler frappé au coin du bon sens, présente en réalité de nombreuses difficultés, soulevées notamment par les associations de défense des locataires.
Tout d’abord, la première partie de l’article n’est pas forcément utile, car le juge judiciaire peut déjà interdire à une personne de paraître dans certains endroits. La mesure visant à accorder cette possibilité au préfet est dérogatoire du droit commun et l’absence de contrôle juridictionnel et de contradictoire pose problème.
Ensuite, la mesure visant à faciliter les expulsions locatives suscite de fortes inquiétudes quant à ses effets sur la précarisation des familles. En effet, elle repose sur des suspicions et non sur des condamnations, si bien que vous risquez d’expulser de leur logement, par exemple, des enfants ou des parents qui n’ont rien à voir avec les trafics – et qui, parfois, ne sont même pas suspects. Il serait évidemment regrettable que ces personnes subissent les conséquences de vos décisions qui pourraient ainsi aller à l’encontre du droit à la dignité et au logement de chacune et de chacun.
Voilà pourquoi nous avons déposé un amendement de suppression de cet article. S’il n’est pas adopté, nous soutiendrons des amendements visant à instaurer des garde-fous face à ces mesures.
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi.
M. Pouria Amirshahi
Avec l’amendement de la présidente Chatelain, nous aurons l’occasion d’évoquer les conséquences des dispositions prévues par cet article sur les droits des locataires.
J’aimerais insister, pour ma part, sur les pouvoirs exorbitants accordés à l’autorité administrative. En cas de trouble à l’ordre public, le préfet peut – et c’est bien normal – prendre les mesures qu’il juge utiles. En revanche, si ce trouble est lié à des trafics, à la vente de produits illicites, convenons qu’une instruction est nécessaire ou au moins que le juge judiciaire doit être directement saisi pour qu’ensuite des instructions soient données au préfet.
Un préfet qui prendrait lui-même des mesures dans ce cas de figure, comme le prévoit l’article, sortirait de son rôle. Cette disposition reflète d’ailleurs la philosophie du texte qui accorde un pouvoir exorbitant à l’autorité administrative, parfois même sans contrôle judiciaire. Or il faut veiller à un certain équilibre, respecter l’ordre des choses.
Pour cette raison au moins, nous sommes opposés à l’article 24.
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
De nombreux arguments ont déjà été avancés par mes collègues. J’aimerais de mon côté insister sur le caractère arbitraire des mesures figurant dans l’article. En effet, l’autorité administrative aurait le pouvoir de prononcer des mesures sur la base de suspicions et non de condamnations – n’est-ce pas le principe même d’une décision arbitraire ?
Je précise que si des éléments sont avérés, dans le cadre d’une procédure, le juge judiciaire – qui, lui, est garant des libertés individuelles, conformément à l’article 66 de la Constitution – peut déjà prononcer des décisions de ce type. Il me semble important que les mesures de restrictions ou à de privations de liberté soient prises par un magistrat de l’ordre judiciaire. Avec cet article, on entre dans une autre logique.
J’ajoute qu’en cas de trouble à l’ordre public en général, le préfet dispose déjà de prérogatives très larges. Vous souhaitez réserver un traitement particulier aux troubles liés au trafic de stupéfiants, mais il sera alors difficile d’apporter des preuves : la préfecture devra-t-elle diffuser une note indiquant que tel jeune est soupçonné de se livrer à un trafic de stupéfiants parce qu’il a été aperçu tel jour, à telle heure, en compagnie de personnes déjà condamnées par le passé et que, sur la base de ces éléments, il pourrait être souhaitable de l’éloigner pendant un mois ?
Je sais déjà que vous nous répondrez que le droit au recours effectif existe puisque la personne pourra saisir le tribunal administratif en référé liberté ou déposer un recours au fond, mais l’office du juge administratif n’est pas le même dans le cadre d’un référé-liberté que dans celui d’un recours au fond. Dans tous les cas, la saisine du tribunal administratif n’est pas suspensive et, en attendant que le magistrat se prononce, la personne concernée sera de fait éloignée ou le bailleur obligé de suivre la procédure qu’on lui impose.
Cela créera des zones de contentieux, en plus de l’arbitraire caractérisant l’application des dispositions de l’article, qui pèsera toujours sur les mêmes individus dans les quartiers populaires – c’est précisément de cela que nous parlons.
On finit par se demander quel sera l’effet des mesures prévues sur le haut du spectre, notamment de l’injonction faite aux bailleurs d’expulser les personnes visées, dont on ne voit guère comment elle serait opérante – à moins que vous n’ayez des contacts parmi les bailleurs de Dubaï !
M. le président
La parole est à M. Sébastien Huyghe.
M. Sébastien Huyghe
L’article propose une réponse ferme et adaptée aux défis que doivent quotidiennement relever nos forces de l’ordre sur le terrain, là où les points de deal gangrènent certains quartiers et empoisonnent la vie des habitants.
Ces mesures, largement attendues par les maires toutes sensibilités confondues, visent à réduire les nuisances qui perturbent la vie de nos concitoyens. Les points de deal s’implantent dans certains quartiers, ce qui restreint parfois la liberté de circulation de leurs habitants. Dans certains immeubles, les réseaux de trafiquants s’approprient des espaces communs pour y organiser leurs activités criminelles, privant les autres résidents de leur tranquillité et de leur droit de jouir paisiblement de leurs logements et de leurs abords.
L’article redonne au préfet la capacité d’agir rapidement et efficacement contre ces foyers de criminalité. Autoriser le préfet à prononcer des interdictions administratives de paraître sur les points de deal, par arrêté motivé et à l’issue d’une procédure contradictoire, c’est instaurer un dispositif préventif et dissuasif contre les réseaux de trafiquants. Il s’agit d’une mesure dont la durée et le champ d’application sont limités.
Il est également question de mettre en demeure de quitter son domicile un individu soupçonné de diriger un trafic, lorsque ce domicile est situé dans une zone où il lui est interdit de paraître ou qu’il est utilisé pour faciliter ledit trafic. La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures. Ce délai est porté à sept jours si le logement constitue la résidence principale du locataire. Lorsqu’il s’agit de sa résidence principale, le relogement d’office est de droit. L’article prévoit donc des garanties procédurales solides : il ne constitue pas une attaque contre les droits des individus, mais une protection contre ceux qui violent les droits des autres.
M. le président
Je suis saisi de quatre amendements identiques, nos 206, 449, 540 et 761, tendant à supprimer l’article 24, sur lesquels les groupes Ensemble pour la République et Socialistes et apparentés demandent un scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Estelle Mercier, pour soutenir l’amendement no 206.
Mme Estelle Mercier
Nous ne sommes pas fondamentalement opposés à l’interdiction de paraître prévue par l’article, mais nous nous interrogeons sur plusieurs points. D’abord, cette interdiction est déjà permise par l’article 131-6 du code pénal, qui dispose que le juge peut prononcer « l’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, de paraître dans certains lieux ou catégories de lieux déterminés par la juridiction et dans lesquels l’infraction a été commise ».
Deuxième point : le texte prévoit que cette interdiction, décidée pour une durée d’un mois, pourra l’être « à l’encontre de toute personne participant à ces activités ». Cette expression est particulièrement problématique, puisqu’elle semble exiger qu’une condamnation judiciaire ait été prononcée, ce dont le texte ne fait pas mention. Sur quel fondement le préfet prendra-t-il une telle décision ?
Troisièmement, aucune procédure contradictoire n’est prévue, ce qui prive la personne visée de la possibilité de se défendre avant la décision du préfet, et l’absence de contrôle juridictionnel immédiat confère à cette mesure un caractère arbitraire, comme l’ont indiqué plusieurs de nos collègues.
Quatrième point, au sujet de la procédure d’expulsion, la formulation retenue par la commission des lois pose problème dans la mesure où elle évoque des « agissements en lien avec des activités de trafic de stupéfiants de l’occupant habituel d’un logement », dont le constat par le préfet lui permet d’« enjoindre au bailleur de saisir le juge aux fins de résiliation du bail ». Cette expulsion s’appliquera donc à l’ensemble des occupants du logement concerné, qui se verront privés de leur droit fondamental à un logement.
Enfin, on voit bien que cette mesure ne vise aucunement le haut du spectre, puisqu’on imagine bien que les narcotrafiquants ne reviennent pas dans les quartiers.
M. le président
La parole est à M. Antoine Léaument, pour soutenir l’amendement no 449.
M. Antoine Léaument
Cet article contient certaines des dispositions les plus problématiques de la proposition de loi. Vous voulez permettre que l’on prononce des interdictions de paraître pour une durée d’un mois, sur la base nominale, applicables à des individus n’ayant fait l’objet d’aucune condamnation par la justice. Vous voulez également donner la possibilité aux préfets d’aller jusqu’à imposer des ruptures de baux de location conclus avec des organismes HLM.
J’ai bien compris que l’on peut saisir le juge pour contester ces décisions, mais votre intention est bien celle que j’ai décrite et M. Retailleau, lors de la présentation du texte, nous a assuré d’un ton martial…
M. Emeric Salmon
À la Léaument !
M. Antoine Léaument
…qu’il chasserait les caïds. Pourtant, ce n’est pas ce que vous apprêtez à faire, monsieur Retailleau. Ce que vous allez faire, c’est mettre en cause l’État de droit – on a bien compris que cela ne vous posait aucun problème ! En défendant ces mesures, vous démontrez de manière indubitable que vous ne voulez pas lutter contre le haut du spectre. Tout ce que vous atteindrez, c’est éventuellement le bas du spectre !
Et vous êtes passé aux aveux : alors que, présentant la motion de rejet préalable déposée sur ce texte par le groupe LFI-NFP, j’indiquais que « les interdictions administratives dont [vous aviez] parlé […] ne viser[aient] pas les caïds condamnés » mais seraient « fondées sur le soupçon », vous avez répondu : « Et sur la condamnation ! Les deux ! » C’est noté au compte rendu de la séance ! Vous avez bien dit vouloir appliquer les dispositions en question à des personnes qui ne font pas l’objet d’une condamnation pour participation au trafic de stupéfiants. Ce n’est pas la République, monsieur Retailleau !
M. Olivier Marleix
« La République, c’est moi ! »
M. Antoine Léaument
Normalement, en République, une personne a le droit de paraître à peu près où elle le veut, si elle n’a pas enfreint la loi. Pour démontrer qu’une infraction a bien été commise, précisément dans le cas du trafic de stupéfiants, il faut que soit menée une enquête et que soit prise une décision de justice.
C’est pourquoi nous avons déposé un amendement de suppression de cet article. Nous nous opposons fermement aux dispositions qu’il contient : prendre ce genre de mesures, ce n’est pas la République ! (M. Éric Coquerel applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon, pour soutenir l’amendement no 540.
Mme Elsa Faucillon
Tout à l’heure, monsieur le ministre, vous avez estimé qu’il fallait trouver un équilibre entre nos grands principes, afin qu’ils fonctionnent ensemble. Mais où est l’équilibre dans cet article ? Il n’y en a pas ! Tout est flou. Le champ d’application des mesures proposées est immense. Je pense par exemple à l’alinéa 10, qui parle de « s’abstenir de tout comportement ou de toute activité qui, aux abords de ces locaux, porte atteinte aux équipements collectifs utilisés par les résidents ». Cette formulation donnera lieu à bien des guerres de voisinage !
M. Antoine Léaument
Ah oui !
Mme Elsa Faucillon
Toute personne, si elle veut que son voisin se voie imposer une interdiction de paraître à tel endroit, pourra expliquer qu’il a fait ceci ou cela, en se réclamant de l’article 24, alinéa 10, de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, censée permettre de lutter contre le haut du spectre du trafic de stupéfiants ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Nous vous disons depuis le début : nous partageons l’intention qu’exprime le rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur l’impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier – s’attaquer au haut du spectre –, de même que l’analyse qu’il présente – suivant laquelle nous avons besoin de consacrer des moyens à cette ambition. Nous estimons également que nous devons trouver l’équilibre qui permettra que ce texte ne porte pas atteinte à certains des grands principes qui régissent notre État de droit.
Mais cet article 24 le fait justement puisqu’il permet, pour n’importe quel motif, que l’on interdise à quelqu’un de paraître, sur décision de l’autorité administrative et sans vérification, avis mis à part, de l’autorité judiciaire. Il fait également peser, sur les membres d’une famille qui ne sont impliqués ni dans un trafic ni dans un trouble à l’ordre public – même si l’on entend ce terme de trouble au sens large –, la menace de se trouver sans logement. Ce n’est pas possible ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP. – M. Pouria Amirshahi applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l’amendement no 761.
Mme Cyrielle Chatelain
Il s’agit d’un amendement de suppression, identique à ceux que nos collègues viennent de présenter. Je reprends à mon compte l’ensemble des positions qu’ils ont défendues. Le groupe Écologiste et social s’oppose fermement à l’adoption de cet article…
M. Antoine Léaument
Très bien !
Mme Cyrielle Chatelain
…pour des raisons qui ont trait à l’accès au droit à la mobilité, mais surtout à l’accès au droit au logement. Ce dernier point concerne non seulement la personne condamnée, mais aussi sa famille. Là est le problème : personne ne peut être condamné ou subir un préjudice aussi important que l’expulsion de son logement pour la seule raison qu’un membre de sa famille pourrait être impliqué dans le trafic de stupéfiants.
Cette mesure est profondément contre-productive. Bien sûr, le trafic de drogue dans les quartiers est un problème, qui peut susciter des difficultés considérables, du sentiment d’insécurité au tapage. Mais quand une personne qui participe au trafic organisé par un réseau criminel, un jeune guetteur de 14 ans par exemple, se fait arrêter, doit-il être expulsé, en même temps que ses frères, ses sœurs et ses parents ? Et quand cette famille aura été expulsée, chassée du lieu où elle habite, où elle est protégée, quand elle n’aura plus de logement, que ses enfants auront du mal à accéder à l’école, qu’arrivera-t-il ? Elle aura été précipitée dans la précarité et l’emprise que le réseau criminel exerce non seulement sur le jeune, mais sur l’ensemble de sa fratrie et sur ses parents, n’en sera que plus forte.
Non seulement cet article est injuste – je pense d’ailleurs qu’il est inconstitutionnel, car personne ne peut être puni pour des actes qu’il n’a pas commis –, mais il est profondément contre-productif. Vous vous apprêtez à aggraver la précarité et à accroître l’influence des trafics sur les familles. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et GDR. – M. Aurélien Saintoul applaudit également.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Je serai bref – il faut se dépêcher, tant que les boîtiers fonctionnent ! Le texte vise effectivement le haut du spectre, mais cela ne nous empêche pas de nous préoccuper du bas : c’est en effet le bas qui nourrit le haut !
Mme Cyrielle Chatelain et Mme Sandra Regol
Non, non !
M. Emeric Salmon
Comment ça, non ? Bien sûr que si !
M. Vincent Caure, rapporteur
On peut donc s’attaquer à la fois au bas et au haut du spectre, et cet article est nécessaire et a toute sa place dans la proposition.
Dans la discussion, on confond deux mesures, l’une qui relève de la police administrative, l’autre, qui a trait au logement, du domaine judiciaire. En effet, il n’est pas vrai que le préfet pourra se substituer au juge pour ordonner la résiliation du bail ; c’est au contraire au bailleur qu’il pourra se substituer, pour saisir l’autorité judiciaire.
S’agissant de la combinaison de l’administratif et du judiciaire, nous sommes au cœur de ce qui fait l’intérêt de cet article, qui confère à l’action de l’État l’efficacité et la célérité requise d’elle pour lutter contre le trafic de drogue. C’est précisément parce que les deux types de mesures fonctionnent ensemble que l’efficacité de l’action publique s’en trouve renforcée.
Concernant l’absence d’encadrement judiciaire de l’interdiction de paraître, elle n’est pas avérée. Il est en effet possible de demander un référé-liberté ou un référé-suspension qui, comme son nom l’indique, présente un caractère suspensif. Le droit commun en matière de contentieux administratif s’agissant d’une décision qui fait grief trouve également à s’appliquer. Par ailleurs – nous en avons parlé en commission –, de telles interdictions de paraître s’appliquent déjà, dans les stades par exemple.
Dernier point : depuis le début de nos travaux, nous nous sommes efforcés de trouver un point d’équilibre. En commission, nous avons amélioré et rendu plus nets certains dispositifs. Je suis attaché à ce travail, dont j’espère que nous le poursuivrons. Je vous proposerai par exemple, par l’amendement no 611, d’expliciter la nature de la procédure contradictoire qui s’appliquera s’agissant de l’interdiction de paraître.
M. Jean-François Coulomme
Vous auriez pu y penser avant, quand même !
M. Vincent Caure, rapporteur
Avis défavorable sur les quatre amendements de suppression.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Même avis. J’ai entendu plusieurs intervenants affirmer que cet article permettait de lutter non pas contre le haut, mais contre le bas du spectre. En réalité, le narcotrafic et la criminalité organisée constituent des écosystèmes, qui articulent le bas du spectre – dealers, hommes de main, petites frappes – avec le haut – tueurs à gages et narcotrafiquants. (« Et banquiers ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
L’article 24 joue un rôle capital. Nos compatriotes les plus vulnérables, les plus modestes, qui n’ont pas les moyens de déménager, qui vivent dans des quartiers dont les équipements publics sont inutilisables – pensez à l’affaire de la médiathèque de Nîmes ou au dispensaire qu’il a fallu fermer à Marseille –, sont aussi ceux qui subissent le trafic dans leur vie quotidienne, que ce soit dans leurs logements ou au bas de leurs immeubles, sur les points de deal. Nous nous préoccupons d’eux, et je l’assume totalement.
Nous avons rencontré de nombreux maires.
Mme Sandra Regol
Nous aussi !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je vous assure que, dans leur très grande majorité, ils sont favorables au rétablissement de l’ordre public sur la voie publique, près des équipements collectifs. (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Depuis le début de nos discussions, la gauche tente méticuleusement de vider le texte de sa consistance. (Mêmes mouvements.)
M. Jean-François Coulomme
Il est déjà vide, votre texte !
Mme Sandra Regol
Il est problématique et peu constitutionnel, ne vous déplaise !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Nombre de maires nous ont demandé de prendre des mesures fortes, et j’assume de le faire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, Dem et DR. – Mme Brigitte Barèges applaudit également.) Ils sont les premiers à se rendre compte de l’emprise territoriale qu’exercent les trafiquants.
M. Antoine Léaument
Ce n’est pas le maire qui a le pouvoir !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
D’ailleurs, en matière de logement, j’observe que l’USH, l’Union sociale pour l’habitat, est favorable à la mesure d’expulsion que nous proposons, qui prévoit que le préfet puisse se substituer au bailleur, social ou privé, pour actionner le levier judiciaire.
Pourquoi ? Mais parce que ces bailleurs n’engagent pas de procédure de résiliation par peur de représailles. J’étais l’autre jour à Grenoble et je me suis entretenu avec plusieurs bailleurs, qui m’ont dit : « Vous avez raison, on hésite parfois parce qu’on a peur d’avoir des représailles. » Eh bien, ce sera dorénavant le préfet qui se substituera au bailleur dans la procédure posée par l’article 24 pour que force reste à la loi. Cet article est donc fondamental. J’appelle donc bien entendu la représentation nationale à le voter, compte tenu des précisions qu’a apportées il y a quelques instants le rapporteur. (M. Franck Riester applaudit.)
M. le président
Sur ces amendements de suppression, je pourrai donner la parole à un orateur par groupe.
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny
Cet article, je l’ai dit, est éminemment important pour pouvoir lutter efficacement contre le trafic de drogue. Il faut bien sûr viser le haut du spectre, mais par quoi est-il alimenté financièrement ?
M. Nicolas Sansu
Par les banques !
M. Jocelyn Dessigny
Fonctionnant comme une entreprise, il a besoin de points de vente pour faire remonter l’argent et c’est donc à ce niveau qu’il faut aussi pouvoir lutter efficacement. Une fois qu’on a identifié des dealers, il faut leur interdire l’accès aux points de vente, quitte à les en expulser, logements sociaux ou pas, d’autant plus qu’il y a des familles honnêtes et des femmes victimes de violences intrafamiliales qui cherchent à en obtenir un et qui n’en trouvent pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.) On a besoin de ces logements pour eux. Entre les dealers et les honnêtes citoyens, nous avons fait notre choix. À vous de faire le vôtre ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Antoine Léaument
Les dealers français, ça leur va !
M. le président
La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric Coquerel
Ce serait bien de ne pas refaire cette parodie avec, d’un côté, des députés de gauche qui ne se préoccuperaient pas de la vie de nos concitoyens dans des points de deal qui sont absolument insupportables (Exclamations sur les bancs du groupe RN)…
M. Stéphane Rambaud
C’est la réalité !
M. Éric Coquerel
… et, de l’autre, tous ceux qui ne sont pas de gauche. Pour notre part, nous sommes beaucoup à être députés de villes populaires dans lesquelles le deal parasite et même broie la vie des habitants. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Cyrielle Chatelain applaudit également.) Je ferai une première remarque : si on s’en soucie, il faudrait aussi se soucier de tout le spectre et de toute la logique du narcotrafic, parce qu’on n’atténuera pas le problème des points de deal si on n’atténue pas celui de la consommation. (Mêmes mouvements.)
M. Emeric Salmon
Eh oui ! Il faut sanctionner les consommateurs !
M. Éric Coquerel
Par cet article, vous laissez penser que le problème va se trouver réglé par le simple fait que quelqu’un qui est soupçonné va se trouver empêché de paraître au point de deal, mais c’est véritablement mal connaître la manière dont les trafiquants s’organisent : le trafic repose sur des petites mains qui peuvent être remplacées quasiment tous les jours. On n’est plus du tout à l’époque où les points de deal étaient tenus par des jeunes des quartiers qui avaient en même temps un rôle social – éventuellement en portant le cabas de tel ou tel habitant. Maintenant, la plupart du temps, on observe l’utilisation, dans le pire style d’exploitation capitaliste, de mineurs isolés qu’on change tous les jours d’emplacement, de façon à n’avoir aucun rapport autre que mercantile avec la population – quand il ne s’agit pas de menaces, évidemment.
M. Emeric Salmon
Il fallait les empêcher de venir !
M. Éric Coquerel
Si vous empêchez par ces dispositions quelqu’un de paraître, ce sera quelqu’un d’autre le lendemain. En réalité, vous n’aurez rien réglé pour la vie de nos concitoyens.
Mme Caroline Colombier et M. Emeric Salmon
Bah non, on ne le laissera pas faire !
M. Éric Coquerel
Par contre, vous aurez une fois de plus enfreint l’État de droit, monsieur le ministre, car même l’expulsion d’un dealer qui a un appartement dans tel ou tel coin devrait passer par la voie judiciaire et non pas administrative – pas par l’ère du soupçon. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.) Toute la question depuis le début de nos débats, c’est de savoir si l’État de droit peut être efficace pour lutter contre le narcotrafic. Nous, on vous dit que oui ! (Mêmes mouvements.) Vous nous avez dit qu’on pouvait le mettre un peu de côté en matière de défense parce qu’il s’agit de narcotrafiquants indéfendables, et maintenant on en vient aux petites mains de la drogue… Jusqu’où irez-vous de cette manière ? L’État de droit n’est pas divisible !
Nous, nous disons que l’ère du soupçon n’est pas acceptable dans un État de droit et que tout dans ce domaine doit donc passer par le judiciaire. Il n’y a pas de problème à partir du moment où le problème n’est pas laissé à l’appréciation d’une autorité administrative, mais confié à un juge. On n’est pas d’accord pour mettre de côté l’État de droit dès lors qu’il s’agit de traiter des problématiques dont nous reconnaissons tous qu’elles rendent la vie de nos concitoyens insupportable. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. le président
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain
Éric Coquerel l’a rappelé : oui, nous pensons que la privatisation de l’espace public par des réseaux mafieux est intolérable et inacceptable. Cependant, monsieur le ministre, faciliter l’expulsion de familles entières ne ramènera en rien l’ordre public dans ces espaces publics, ne garantira pas l’accès aux médiathèques ou aux dispensaires, ce n’est pas vrai.
Vous avez dit, monsieur le rapporteur, qu’il fallait s’occuper du haut du panier, mais le narcotrafiquant pourra rester confortablement dans la maison dont il est propriétaire, puisque l’exploitation sur le terrain est assurée par les petites mains. Vous considérez celles-ci comme le bas du panier, mais en réalité ce sont les consommateurs qui forment le bas du panier !
M. Antoine Léaument
Eh oui !
Mme Cyrielle Chatelain
Ce sont eux, bien souvent des clients aisés, qui viennent dans les quartiers où vivent ces petites mains, profitant de leur détresse pour acheter de la drogue au meilleur prix. C’est inacceptable. En fait, vous vous en prenez au maillon le plus fragile de la chaîne.
Nous demandons qu’il n’y ait pas de confusion entre le droit pénal, qui doit condamner, et le droit de l’habitat, qui doit gérer les relations entre propriétaires et locataires. S’il y a des problèmes en relation avec un logement, des procédures d’expulsion sont possibles et les bailleurs peuvent les engager. J’échange avec eux régulièrement et je sais que ce qu’ils veulent : ce sont des moyens en termes d’accompagnement, de rénovation de logements, de services de proximité et de médiation, mais aussi en effet pour lutter contre l’occupation des halls d’immeuble. Voilà ce qu’ils demandent – et certainement pas, monsieur le ministre, de transformer des frères, des sœurs et des parents de personnes condamnées en dommages collatéraux. C’est pourtant ce qui va se passer, car pour une personne condamnée, vous allez condamner l’ensemble de la famille à perdre son logement.
Puisque vous ne semblez pas concernés quand j’évoque le logement, je vais prendre un autre exemple qui va sans doute parler à tous les élus : c’est comme si nous disions que Marine Le Pen étant condamnée demain à une peine d’inéligibilité pour une affaire de corruption qui a bénéficié à sa famille politique, tous les élus de celle-ci doivent l’être également. Je pense que ce n’est pas le cas et que vous serez d’accord avec moi pour considérer que, si Marine Le Pen est la seule à être condamnée, elle seule doit porter la charge des fautes qu’elle a commises. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mmes Sandra Regol et Elsa Faucillon applaudissent également.) De même, si une personne est condamnée, les membres de sa famille ne doivent pas subir l’expulsion et la perte de leur logement pour l’erreur commise par l’un d’entre eux. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et GDR.)
M. le président
La parole est à Mme Elsa Faucillon.
Mme Elsa Faucillon
Monsieur le rapporteur, vous dites que le haut nourrit le bas et que le bas nourrit le haut. Je pense que c’est une mauvaise analyse de la manière dont s’organise aujourd’hui le trafic de stupéfiants. Nous avons dit dès le début de l’examen de ce texte que l’organisation du trafic de stupéfiants est devenue profondément capitaliste et que le haut du spectre, même si la drogue concerne dorénavant toutes les classes sociales, enrôle dans le trafic en premier lieu les plus précaires et les plus vulnérables. C’est clairement un système qui fonctionne en exploitant la misère et la vulnérabilité.
Voter cet article, c’est raisonner sans comprendre ce qu’est aujourd’hui le système du trafic, qui prospère sur la vulnérabilité et sur la précarité là où elles existent déjà. C’est contre cela que nous voulons vous mettre en garde.
Vous dites, monsieur le ministre, qu’on veut vider le texte de sa substance. Or j’ai plutôt l’impression que depuis qu’il est arrivé à l’Assemblée nationale et que nous l’avons examiné en commission, ce texte a une tout autre allure,…
Mme Cyrielle Chatelain
Elle a raison !
Mme Elsa Faucillon
…qu’il est beaucoup plus encadré et beaucoup mieux écrit qu’il ne l’était – désolé pour les sénateurs.
Mme Cyrielle Chatelain
C’est notre qualité !
Mme Elsa Faucillon
Mais il se rapproche, en revanche, beaucoup plus des préconisations faites dans le rapport de la commission d’enquête du Sénat.
J’entends ce que vous dites sur les maires, monsieur le ministre. Je viens d’une circonscription comportant des villes particulièrement populaires et dans lesquelles les grands trafiquants de drogue cherchent à recruter. Mais vous devez savoir que, de plus en plus, ils ne cherchent pas spécifiquement des habitants de ces quartiers pour trafiquer, ils en amènent d’ailleurs, sur lesquels l’application d’une mesure d’expulsion ne servirait même pas l’objectif que vous visez.
Les maires de ces villes, que vous demandent-ils ? Qu’il y ait de la police en effectifs suffisants pour mener des enquêtes et pour venir au secours des populations dans les quartiers, et qu’on arrête de faire les poches des bailleurs sociaux qui, en l’état actuel des choses, n’ont plus la capacité de payer assez de gardiens dans les immeubles, d’engager des rénovations et de faire tout ce qui, en recourant à la mobilisation citoyenne – je pense par exemple aux veilleurs dans les quartiers – permet d’éloigner les trafiquants. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS. – M. Nicolas Sansu applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Boris Vallaud.
M. Boris Vallaud
Monsieur le ministre, les formules définitives consistant à dire que la gauche, de façon méthodique, chercherait à détricoter ce texte paraissent pour le moins baroques : les socialistes revendiquent en effet une part de paternité sur cette proposition de loi, puisque je rappelle que Jérôme Durain, sénateur socialiste, en a été l’un des coauteurs et que mon collègue Roger Vicot en est aujourd’hui le corapporteur. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Nous ne sommes pas indifférents à la question du narcotrafic et nous comptons dans nos rangs un certain nombre de maires partout en France qui, se trouvant en première ligne de la lutte contre le narcotrafic, en mesurent l’effet déstructurant, ravageur et dévastateur sur leur propre population.
Nous sommes, plus que beaucoup d’autres, convaincus que le droit à la sécurité et à la tranquillité publiques est d’abord un droit des classes populaires, et c’est dans cet état d’esprit que nous débattons, en essayant de parvenir au juste équilibre dans ce texte. Nous, nous ne croyons pas à l’ordre qui tire son autorité de la peur. Nous pensons qu’il n’y a pas d’ordre sans justice, et c’est cette justice que nous essayons d’établir, sans expédients ni fausses promesses.
La question qui se pose maintenant est celle de la constitutionnalité de la mesure que vous proposez, car le droit au logement est un droit constitutionnel, et l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas étranger aux décisions que nous avons à prendre. À cet égard, nous sommes définitivement opposés aux punitions collectives qui, comme l’a dit tout à l’heure Cyrielle Chatelain, reviendraient en réalité à faire des victimes parmi les enfants, cette population que nous avons tout particulièrement l’obligation de protéger.
La loi permet déjà beaucoup. Mais elle souffre d’un manque de moyens criant auquel il vous appartient de répondre. C’est la raison pour laquelle nous voulons l’intervention systématique du juge, pour garantir que les droits fondamentaux, les libertés publiques et les droits civiques autant que l’ordre public et républicain sont respectés. Cela suppose que l’on prenne en considération l’État de droit et l’ordre juridique. La Constitution n’est pas l’ennemi de la volonté populaire ; elle préexiste en réalité à l’expression de la volonté populaire et c’est même la possibilité que les uns et les autres aient des opinions divergentes dans une démocratie. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS. – Mme Elsa Faucillon applaudit également.)
M. le président
La parole est à Mme Anne Bergantz.
Mme Anne Bergantz
On parle de personnes qui, par leur trafic, pourrissent la vie de leurs voisins, font fuir les commerces et les services publics, imposent leurs règles, gouvernent les quartiers et détruisent tous les espaces communs des immeubles, que ceux-ci soient entretenus ou pas – il y a du trafic même dans des immeubles neufs.
Mme Cyrielle Chatelain
Quand il y a un gardien, généralement ça se passe mieux !
Mme Anne Bergantz
Au nom du groupe Démocrates, je pense que nous devons défendre le plus grand nombre, non pas les dealers. Et qu’on ne mente pas : il s’agira non d’expulsions effectuées manu militari, du jour au lendemain, mais ordonnées sur le fondement de procédures encadrées, subordonnées à certaines conditions, notamment des troubles à l’ordre public graves et répétés créant une atteinte à la sécurité ou à la jouissance paisible des résidents du quartier.
Par conséquent, nous ne voterons évidemment pas ces amendements de suppression. (M. Éric Martineau applaudit.)
M. Karl Olive
Très bien !
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl.
M. Charles Sitzenstuhl
Je veux dire quelques mots sur l’interdiction administrative de paraître. Tout d’abord, sur le fond, pourquoi souhaitons-nous la voir s’appliquer ? C’est que nous savons que dans un certain nombre de communes ou de quartiers, la vie des gens, ceux des classes populaires qu’a évoquées M. Vallaud, est pourrie par une minorité de dealers et d’autres personnes qui participent de près ou de loin au trafic de drogue. Il faut donc donner des moyens supplémentaires à l’État de les empêcher de détruire la qualité de vie de nos concitoyens. On ne peut rester insensible à cette demande, qui émane de bon nombre de maires. Et je ne pense pas, quant à moi, que le Sénat ait fait n’importe quoi sur ce sujet.
Ensuite, M. Coquerel a enfourché il y a quelques minutes le cheval de bataille de la Constitution et de l’État de droit, mais je crois qu’en tant que député de Saint-Denis où se trouve le Stade de France, il ne peut méconnaître le fait qu’on a déjà dans notre ordre juridique des interdictions administratives de paraître à tel ou tel endroit. Ainsi, l’article L. 332-16 du code du sport donne la faculté au représentant de l’État d’interdire à une ou plusieurs personnes de paraître dans le cadre d’une manifestation sportive, en l’occurrence dans un stade.
Je crois que ni le Conseil constitutionnel, ni la gauche pendant les cinq années où elle a exercé le pouvoir, n’ont trouvé quelque chose à dire contre cette possibilité donnée à l’État d’interdire, par la voie administrative et non par la voie judiciaire, à un certain nombre de nos concitoyens, de venir au stade parce qu’ils portent atteinte à l’ordre public et représentent une menace. J’estime que nous avançons là de façon prudente et que, si la disposition méconnaissait les principes constitutionnels, le Sénat ne l’aurait pas adoptée. Nous la soutiendrons donc.
M. le président
La parole est à M. Olivier Marleix.
M. Olivier Marleix
Je veux réagir à ce qu’a dit Elsa Faucillon, dont je partage une grande partie du diagnostic. Oui, les gros trafiquants, grâce aux moyens colossaux que la drogue peut apporter, ciblent des jeunes vulnérables et des familles en situation précaire. Cela est révoltant.
Il y a toutefois un élément que notre collègue n’a pas évoqué, c’est l’aspiration de l’écrasante majorité des habitants des quartiers qu’elle représente dans son département, comme des habitants de mon département, l’Eure-et-Loir, où, notamment à Dreux, certains ensembles d’habitations sont malheureusement gangrenés par le trafic de drogue : l’immense majorité des habitants des quartiers populaires nous demandent de rétablir l’ordre et la tranquillité.
Mme Elsa Faucillon
Oui !
M. Olivier Marleix
J’ai reçu à ma permanence une quantité innombrable de mamans me disant qu’elles n’en pouvaient plus de devoir passer au milieu des dealers qui tiennent le hall de leur immeuble quand elles accompagnent leurs enfants à l’école. C’est à cela qu’il faut répondre.
M. Vallaud nous dit qu’il faudrait saisir un juge pour régler ce genre de problèmes. Soyons sérieux !
M. Pierre Pribetich
C’est le droit !
M. Olivier Marleix
Le droit prévoit déjà que l’atteinte répétée à l’ordre public doive être constatée par l’autorité administrative. Apportons une réponse ! Que proposez-vous ? La gauche, qui a laissé faire pendant des années, n’a pas été très efficace sur ce sujet quand elle était au pouvoir.
Mme Cyrielle Chatelain
La droite non plus !
M. Arthur Delaporte
Et les macronistes depuis sept ans !
M. Roger Vicot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Personne ne dit qu’il faut laisser faire !
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Barèges.
Mme Brigitte Barèges
Je soutiens l’ensemble des dispositions de cet article et, plus particulièrement, celle de l’alinéa 15, qui concerne la possibilité pour le préfet d’enjoindre à un bailleur social de résilier un bail dès lors que les agissements du locataire sont en lien avec un trafic de drogue.
Que nous venions d’une ville de gauche ou d’une ville de droite, nous sommes tous des élus de terrain à qui des bailleurs sociaux réclament de telles mesures. J’ai très récemment rencontré des bailleurs sociaux après des émeutes dans un quartier. Il suffit d’une famille pour pourrir la vie d’un HLM et, par capillarité, celle de l’ensemble du quartier. Pourquoi y reste-t-elle, alors que ses membres ont les moyens de se payer des logements confortables, voire très confortables ? Elle reste parce que le quartier est une base arrière qui lui assure une protection et où elle peut faire du prosélytisme et recruter. Vous avez tous décrit ce phénomène.
Faire des exemples, montrer que l’État est ferme, sortir d’un HLM une famille qui y pose problème facilitera la vie des bailleurs. Ces derniers essaient de résilier des baux, mais la justice est longue, complexe, coûteuse et, souvent, il est difficile pour eux d’obtenir satisfaction. Si on est de bonne foi, on doit faciliter la vie des bailleurs sociaux. Nous savons tous que les trafiquants ne sont pas concernés par la précarité, bien au contraire, et que les revenus tirés de l’économie parallèle ne rentrent pas dans les critères pris en compte pour accorder ou non un logement social. En évinçant certaines familles, nous éviterons que leurs logements et, par capillarité, un HLM et un quartier, deviennent des zones de non-droit où le trafic pourrait prospérer. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. le président
La parole est à M. le ministre d’État.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je veux préciser certains points. La capacité donnée au préfet de se substituer au bailleur pour demander une expulsion et l’interdiction de paraître sur les points de deal sont deux mesures fondamentales. Les présidents Coquerel et Vallaud ont sous-entendu que l’article 24 pourrait être contraire à la Constitution qui, comme ils ont eu raison de l’indiquer, protège le droit au logement. Or nous agissons à droit constant.
Nous vous proposons de voter – les sénateurs, parmi lesquels ceux du PS, l’ont fait unanimement – une mesure offrant au préfet un pouvoir de substitution lui permettant d’agir à la place du bailleur social. Ainsi, il est faux de dire que cette action relèverait du juge administratif et non plus du juge judiciaire. Nous ne changeons pas le droit. Le mécanisme de substitution est nécessaire parce que les bailleurs nous disent avoir souvent peur des représailles. Le préfet ne se substituerait à eux que pour préserver la tranquillité de toute une barre d’immeubles, car les trafiquants empoisonnent la vie de familles entières qui n’ont pas les moyens de déménager.
M. Jean-Paul Lecoq
Et les personnes expulsées se retrouvent où ? Sous les ponts ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je veux vous assurer que nous travaillons à droit constant, sans toucher, par exemple, aux principes du relogement ou de la trêve hivernale.
J’ai le souvenir d’un bailleur social qui, dans ma région, à Saint-Nazaire, a déposé 1 200 mains courantes et des dizaines de plaintes en quelques mois, et d’un quartier de Nantes où les agents de l’office public de l’habitat étaient menacés, parfois de mort. Nous devons prendre des mesures fermes, lesquelles sont plébiscitées par tous nos compatriotes modestes qui habitent ces quartiers et n’ont pas les moyens d’en déménager. Je préfère donc déménager les fauteurs de troubles…
M. Jean-Paul Lecoq
Où ? Vous ne répondez pas à cette question !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
…que laisser s’enkyster les problèmes dans ces quartiers. Pour terminer, je rappelle au président Vallaud que je connais bien ce texte puisque c’est sous ma présidence que le groupe LR du Sénat a décidé de consacrer son droit de tirage à la création de la commission d’enquête qui en est à l’origine. Les sénateurs Jérôme Durain et Étienne Blanc ont rassemblé les conclusions de cette commission dans une proposition de loi, après un travail transpartisan fantastique qui a montré que, sur de telles questions, on pouvait dépasser ses attaches partisanes. Le Sénat a adopté le texte à l’unanimité avec la gauche et le groupe écologiste.
Mme Sandra Regol
Mais il y a eu quelques amendements du gouvernement depuis !
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
L’auraient-ils soutenu s’il comportait des atteintes à la Constitution ? J’y insiste : l’interdiction de paraître et le droit de substitution du préfet sont des mesures essentielles, destinées à lutter contre les écosystèmes qui territorialisent le narcotrafic et dans l’intérêt de nos compatriotes les plus modestes.
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour un rappel au règlement.
M. Pouria Amirshahi
Il se fonde sur l’article 100 et porte sur la sincérité et la sérénité de nos débats.
Monsieur le ministre, c’est vous qui avez détricoté le texte. C’est vous qui, au matin de la réunion de la commission, avez changé l’ordre du jour pour y introduire au débotté, par l’intermédiaire des articles 23 et 23 quinquies, un dispositif carcéral qui n’était absolument pas inclus au départ dans la lutte contre le haut du spectre. (M. Arthur Delaporte applaudit.)
M. le président
Merci de conclure, cher collègue.
M. Pouria Amirshahi
Excusez-moi, monsieur le président, je continue.
M. le président
Votre intervention ne doit pas porter sur le fond du texte. Merci de conclure !
M. Pouria Amirshahi
Monsieur le ministre, c’est vous qui avez contrevenu aux travaux de la commission des lois alors qu’elle avait enrichi des dispositions visant à faciliter la lutte contre le haut du spectre.
M. Alexandre Sabatou
C’est en séance qu’on décide, à la fin !
M. Pouria Amirshahi
Avec cet article, vous abordez un sujet qui n’est absolument pas lié au texte, mais à la lutte contre la petite délinquance. (Le président coupe le micro de l’orateur, Mme Sandra Regol et M. Ugo Bernalicis applaudissent ce dernier.)
Article 24 (appelé par priorité - suite)
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 206, 449, 540 et 761.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 103
Nombre de suffrages exprimés 103
Majorité absolue 52
Pour l’adoption 37
Contre 66
(Les amendements identiques nos 206, 449, 540 et 761 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Sauf exception, je vous propose que nous en revenions à un orateur pour et un orateur contre pour chaque amendement.
M. le président
Je suis saisi de trois amendements identiques, nos 228 rectifié, 452 et 762.
M. le président
Sur ces amendements, je suis saisi par les groupes Socialistes et apparentés et Écologiste et social d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Estelle Mercier, pour soutenir l’amendement no 228 rectifié.
Mme Estelle Mercier
Il s’agit d’un amendement de repli visant à supprimer les alinéas 2 à 7, qui concernent le dispositif d’interdiction de paraître.
Monsieur le ministre, nous sommes tous des élus de terrain, nous avons tous été adjoints au maire dans des communes concernées par le narcotrafic. Le groupe socialiste veut améliorer cette proposition de loi, qui est nécessaire. Pour cela, il faut y rétablir un équilibre. L’idée est de sauver le texte et non de l’enterrer, contrairement à ce que vous prétendez.
Pour sauver ce texte important pour nos territoires, pour les maires et pour l’intérêt général, nous souhaitons qu’il soit le plus équilibré possible et qu’aucun arbitraire ne vienne l’entacher.
M. le président
La parole est à Mme Gabrielle Cathala, pour soutenir l’amendement no 452.
Mme Gabrielle Cathala
Il s’agit d’un amendement de repli par rapport à la suppression de l’article que nous avons défendue il y a quelques instants. La mesure proposée, une interdiction de paraître décidée hors de tout cadre judiciaire, porte une très grave atteinte à la liberté d’aller et venir, garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Par ailleurs, elle est totalement inutile. En effet, le droit comporte déjà de nombreuses dispositions qui remplissent cette fonction, mais de manière correctement encadrée. Par exemple, le titulaire d’un pouvoir de police peut déjà prendre des arrêtés interdisant des attroupements ou la station de consommateurs ou de vendeurs de produits stupéfiants lorsqu’ils provoquent des troubles à l’ordre public – un tel pouvoir paraît déjà un peu excessif. À l’issue d’une procédure pénale, après intervention d’un magistrat indépendant, une interdiction de paraître peut être prononcée dans le cadre d’une mesure alternative aux poursuites, d’une composition pénale proposée par un procureur de la République, d’une peine complémentaire substitutive à une peine d’emprisonnement en matière délictuelle ou d’une peine imposée dans le cadre d’un régime de probation, ces mesures pouvant être combinées.
La disposition proposée relève donc de la surenchère et de l’affichage. De plus, comme l’a rappelé notre collègue Coquerel, elle est totalement ridicule. En effet, la personne interdite de paraître sera remplacée par une autre, encore plus vulnérable et elle aussi issue d’un quartier populaire. À son tour, elle sera interdite de paraître et pourra même faire l’objet, en vertu d’une autre disposition du même article, d’une expulsion, c’est-à-dire d’une grave atteinte au droit au logement, un des droits fondamentaux.
Pour toutes ces raisons, j’appelle l’Assemblée à soutenir au moins ces amendements de suppression des alinéas 2 à 7.
M. le président
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l’amendement no 762.
Mme Cyrielle Chatelain
Puisque nous n’avons pas réussi à supprimer l’article 24, nous proposons de supprimer les alinéas 2 à 7 qui concernent l’interdiction de paraître. Celle-ci sera prononcée par le préfet alors qu’il est indispensable, selon nous, qu’elle le soit par une autorité judiciaire. Une telle sortie de l’État de droit ne nous paraît pas acceptable. Ce n’est pas à une autorité administrative de décider si une personne peut accéder ou non à des espaces publics. Cette interdiction doit être prononcée par la justice sur la base de délits constatés pour lesquels la personne aurait été condamnée. C’est pourquoi nous demandons le retrait de ces alinéas.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements identiques ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl.
M. Charles Sitzenstuhl
Ces amendements de repli nous permettent de poursuivre le débat.
La remarque que j’ai faite tout à l’heure à nos collègues de gauche n’a provoqué chez eux aucune réaction. Ils nous expliquent qu’une interdiction administrative de paraître est contraire aux principes de l’État de droit, à la Constitution, à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, etc. Pourtant, je le répète, les interdictions administratives de paraître existent déjà dans notre ordre juridique. C’est ainsi qu’en plus de l’interdiction judiciaire, l’autorité administrative peut prononcer une interdiction administrative de stade.
Pourquoi n’apportez-vous aucune réponse à cette remarque ? Au moins, cessez d’utiliser de tels arguments ! Si les interdictions administratives de stade étaient si attentatoires aux libertés, j’imagine qu’entre 2012 et 2017 un député ou un ministre de gauche aurait demandé qu’elles soient supprimées de notre ordre juridique. Vous ne trouvez rien à y redire, alors que l’interdiction administrative de paraître vous pose un problème s’agissant du trafic de drogue. Pourquoi ? Ce dernier fait pourtant courir un danger bien plus grand à la société.
J’aimerais avoir une réponse des socialistes ou des écologistes sur ce point ; cela concourrait à la clarté du débat.
M. le président
La parole est à M. Arthur Delaporte.
M. Arthur Delaporte
Nous aurons l’occasion de poursuivre cette discussion, mais je vais commencer à répondre au camarade Sitzenstuhl. (Exclamations sur les bancs du groupe EPR.)
M. Charles Sitzenstuhl
Au camarade ?
M. Arthur Delaporte
Oui, au camarade.
M. Charles Sitzenstuhl
Je suis tout au plus un compagnon ! (Sourires.)
M. Arthur Delaporte
L’article 41-1 du code de procédure pénale prévoit une interdiction de paraître, mais cette interdiction est judiciaire : elle est prononcée par un juge à l’issue d’une procédure contradictoire.
M. Pouria Amirshahi
Voilà !
M. Arthur Delaporte
S’agissant de l’interdiction administrative de stade, ne me dites pas qu’il s’agit de la même chose qu’une interdiction de paraître dans un quartier où l’on peut avoir sa propre résidence – parce que ce qui est proposé ici revient à une interdiction temporaire de résidence.
M. Olivier Marleix
Ne prenez pas la parole pour dire des bêtises !
M. Arthur Delaporte
Les effets sur la vie privée ne sont pas les mêmes. En outre, les critères qui fondent cette interdiction de paraître sont extrêmement flous. Reprenons l’alinéa 5 : il s’agit de « faire cesser les troubles à l’ordre public résultant de l’occupation, en réunion et de manière récurrente, d’une portion de la voie publique, d’un équipement collectif ou des parties communes d’un immeuble à usage d’habitation » ; le représentant de l’État peut prononcer cette interdiction « après en avoir informé le procureur de la République ». On ne prévoit qu’une simple information. Il n’y a aucun garde-fou, aucune procédure contradictoire.
M. Olivier Marleix
Il y a deux mesures : l’une juridique, l’autre administrative !
M. Arthur Delaporte
Il serait nécessaire de préciser les choses et de prévoir une procédure contradictoire afin que les personnes visées par une telle interdiction puissent la faire annuler. Ce serait le minimum !
M. Olivier Marleix
Cessez de dire des âneries !
M. le président
Je mets aux voix les amendements identiques nos 228 rectifié, 452 et 762.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 94
Nombre de suffrages exprimés 94
Majorité absolue 48
Pour l’adoption 33
Contre 61
(Les amendements identiques nos 228 rectifié, 452 et 762 ne sont pas adoptés.)
M. le président
Sur l’amendement n° 90, je suis saisi par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
L’amendement no 90 de M. Lionel Causse est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Nous nous apprêtons à prendre une décision importante qui soulève de nombreuses interrogations.
D’abord, l’interdiction de paraître, qui n’est pas une petite décision puisqu’elle empêche d’aller et venir, ce qui est quand même un droit assez fondamental, se prend sur la base de « raisons sérieuses de penser » : va savoir ce que c’est ! Quand le point de deal est au bas de l’immeuble et que l’interdiction de paraître empêchera concrètement la personne concernée d’accéder à son logement, que va-t-il se passer ? Certes, vous avez un deuxième couteau, qui est la possibilité d’expulser les gens – mais nous y sommes tout à fait défavorables.
Plus fondamentalement, nous avons bien compris votre intention. Dans la pratique, si l’on veut véritablement appliquer l’interdiction de paraître, il n’y a pas 36 000 solutions, il n’y en a qu’une : c’est d’utiliser la reconnaissance faciale. Il s’agit encore une fois d’une mesure démagogique et d’une répression développée à tous les étages – sans mauvais jeu de mots.
D’où ma question : avez-vous l’intention d’utiliser la reconnaissance faciale pour appliquer la mesure d’interdiction de paraître – elle nous est d’ailleurs souvent proposée ? Je pense que nous allons tout droit vers cela, mais vous me trouverez toujours sur votre chemin pour m’y opposer, puisque je vais déposer une proposition de loi qui vise tout simplement à interdire la reconnaissance faciale.
M. le président
La parole est à M. Marc de Fleurian.
M. Marc de Fleurian
Chers collègues de gauche et d’extrême gauche, l’interdiction de paraître existe déjà : elle est appliquée par les narcotrafiquants à l’encontre des locataires, des bailleurs sociaux, des services, y compris de ceux de l’État, des policiers et des gendarmes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Brigitte Barèges
C’est vrai.
M. Marc de Fleurian
Tout ce que nous voulons faire, c’est inverser les choses : que l’interdiction de paraître soit appliquée non pas par des chefs de bande, des chefs de guerre, des féodaux narcotrafiquants, mais par l’État, à travers son représentant. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
Je mets aux voix l’amendement no 90.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 89
Nombre de suffrages exprimés 84
Majorité absolue 43
Pour l’adoption 39
Contre 45
(L’amendement no 90 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 773 de Mme Cyrielle Chatelain est défendu.
Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric Coquerel
L’argument consistant à laisser entendre que, parce que nous nous inquiétons de la question de l’État de droit, nous ne nous soucions pas de la vie de nos concitoyens, c’est bon, ça suffit !
Si vous voulez qu’un point de deal disparaisse, je vais vous dire comment il faut faire : il faut restaurer la police de proximité. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Cyrielle Chatelain applaudit également. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.) On a besoin de présence humaine ! Il faut faire en sorte que le point de deal qui rapporte 15 000 à 25 000 euros par jour ne réapparaisse pas aussitôt l’intervention des policiers terminée. L’intérêt économique de ces points est tel que les personnes qui feront l’objet d’une interdiction de paraître seront remplacées dès le lendemain par d’autres. Il faut donc traiter la question de la consommation, ainsi que celle de la présence de policiers, qui devrait être permanente grâce à des îlotiers. Et Elsa Faucillon a raison : il faut donner des moyens aux bailleurs sociaux et réintroduire de la présence humaine dans les quartiers, par exemple avec des gardiens d’immeuble. (M. Paul Vannier applaudit.)
Je parle d’expérience : dans ma circonscription, il y a des points de deal. Lorsqu’il y a en permanence de la présence humaine, ils sont affaiblis, voire disparaissent ; dès lors qu’il n’y a plus de présence humaine, ils repartent. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’ils rapportent 25 000 euros par jour. Vous pourrez prononcer toutes les interdictions de paraître que vous voudrez, les narcotrafiquants trouveront toujours des petites mains pour en remplacer d’autres.
Mme Cyrielle Chatelain
Il a raison !
M. Éric Coquerel
La mesure que vous proposez est démagogique. Elle met à mal l’État de droit et est totalement inefficace pour lutter contre le trafic de drogue – alors que nous sommes tous d’accord pour dire que c’est une cause nationale. (Applaudissements sur les bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
M. Mathieu Lefèvre
Vous voulez plus de policiers ? C’est bien !
M. le président
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Voilà que la gauche appelle à la lutte contre le trafic de stupéfiants ! (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS.) C’est étonnant puisque vous avez déposé une motion de rejet du texte, des amendements de suppression des articles ; depuis le début, vous êtes contre ce texte, vous avez essayé de le dénaturer, de le vider de sa substance.
Mme Estelle Mercier
C’est faux !
M. Pierre Pribetich
C’est nous qui l’avons proposé !
M. Michaël Taverne
S’agissant des interdictions de paraître, ce que vous ne dites jamais, c’est que les individus qui font du trafic de stupéfiants font pression sur les habitants et installent des barrages pour éviter que les policiers pénètrent dans les quartiers.
M. Éric Coquerel
Et qu’est-ce que je viens de dire ?
M. Michaël Taverne
Vous parlez de « police de proximité » ; j’en ai fait partie, moi, je sais ce que c’est. Parlons plutôt d’une proximité policière. Vous n’évoquez jamais ces narcotrafiquants qui installent des barrages pour que les policiers ne puissent pas venir assurer la sécurité des honnêtes gens et qui organisent des contrôles d’identité auprès des habitants. Ceux-ci voudraient juste pouvoir vivre en sécurité et en toute tranquillité. Vous n’avez aucun mot pour eux.
M. Éric Coquerel
Arrêtez !
M. Michaël Taverne
Soyons sérieux. Les interdictions de paraître sont efficaces – les honnêtes gens réclament cette mesure. Et vous parlez – à raison – des quartiers sensibles, mais il n’y a pas qu’eux : dans les zones rurales aussi les gens demandent de la sécurité. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
(L’amendement no 773 n’est pas adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements, nos 70 et 549, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Jocelyn Dessigny, pour soutenir l’amendement no 70.
M. Jocelyn Dessigny
Pour aller dans le sens de mon collègue Taverne, le jour où la gauche consacrera un dixième de l’énergie qu’elle met à défendre les trafiquants à la cause des victimes (Vives exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC et EcoS),…
Mme Sabrina Sebaihi
Vous n’avez pas le droit de dire ça !
M. Jocelyn Dessigny
…on aura quelque chose d’efficace et qui ira dans le bon sens. Mais vous êtes sans cesse, sous couvert de défendre l’État de droit, en train de défendre les narcotrafiquants, les criminels, les délinquants.
Mme Estelle Mercier
Il est inadmissible de se faire insulter ainsi dans l’hémicycle !
M. Roger Vicot, rapporteur
C’est honteux !
M. Jocelyn Dessigny
Jamais vous ne vous souciez des victimes, des honnêtes citoyens qui voudraient simplement vivre tranquilles dans leur quartier, où les narcotrafiquants se substituent à l’État de droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.) Jamais vous ne les défendez. Vous êtes vraiment des tartuffes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à M. Charles Sitzenstuhl, pour soutenir l’amendement no 549.
M. Charles Sitzenstuhl
Je propose d’indiquer que le maire de la commune concernée par l’interdiction de paraître est informé de la mesure par le représentant de l’État.
Monsieur le ministre d’État, vous qui avez été sénateur, donc représentant des collectivités territoriales, vous savez que certains maires ou adjoints au maire chargés de la sécurité considèrent qu’ils sont parfois informés avec retard ou qu’ils ne disposent pas d’assez de renseignements sur les quelques personnes qui peuvent poser un problème dans leur commune. Il serait logique que le représentant de l’État puisse, dans un cadre bien défini, informer le maire, afin que les politiques de sécurité et de prévention déployées par l’autorité municipale soient cohérentes avec les décisions qui émanent de l’État.
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Il est toujours louable de vouloir informer le maire. Nous avons évoqué la question lors des auditions, ainsi qu’avec l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité. Néanmoins, j’émettrai un avis défavorable sur les amendements parce que je pense qu’il vaut mieux que l’information soit transmise en amont qu’en aval. Je ne sais pas ce que représenterait en volume une telle mesure, ni ce qu’elle impliquerait en matière d’informations. En outre, je m’interroge sur sa finalité : si plusieurs interdictions de paraître sont prononcées, à quoi servira-t-il au maire de disposer de toutes ces informations ? Il me semble que cela doit plutôt relever du dialogue permanent entre le maire et le préfet.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Si je comprends parfaitement l’intention des auteurs des amendements, le problème est que, s’agissant de mesures individuelles, on ne peut pas rendre automatique l’information du maire. En revanche, je demanderai par circulaire aux préfets d’assurer la bonne liaison entre la décision des mesures et l’information des maires.
De surcroît, si l’un de ces amendements était adopté, cela pourrait être une nouvelle cause de nullité des procédures, qu’une telle disposition viendrait complexifier. On devrait pouvoir atteindre le même objectif par la voie d’une circulaire qui demanderait au préfet de tenir les maires au courant – mais s’agissant de la transmission systématique d’informations individuelles, cela paraît compliqué.
Demande de retrait ou, à défaut, avis défavorable.
M. le président
J’ai beaucoup de demandes de prise de parole sur cette question, qui mérite un débat. Je vous invite, dans la mesure du possible, à limiter vos interventions à une minute.
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle
Ces amendements ne sont pas dépourvus d’intérêt. Il est important que les maires collaborent avec les services de l’État et je suis donc un peu étonnée de la réponse que vous nous avez faite, monsieur le ministre. Pour monter des usines à gaz judiciaires à propos du dossier coffre, il n’y a pas de problème, on aura les moyens ! Mais quand il s’agit de communiquer avec le maire, cela devient trop compliqué pour l’autorité administrative… Or il est clair que les maires ont envie de mieux collaborer, à la fois avec les services judiciaires et avec les services de l’État.
Par ailleurs, il ne faudrait pas que la procédure administrative supplée la procédure judiciaire au seul motif que cette dernière est trop longue. Si nous tenons à ce qu’une interdiction de paraître soit prononcée par un juge, c’est parce que cela préserve le droit : on peut faire appel de cette décision, laquelle intervient après un débat contradictoire. (M. Arthur Delaporte applaudit.)
M. le président
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
Je voulais réagir à l’intervention de notre collègue d’extrême droite. Je crois que vous ne comprenez pas la distinction entre lutter contre le narcotrafic et s’attaquer à l’État de droit. Peut-être que, pour vous, l’État de droit ne veut rien dire, mais pour nous il est important, et c’est pour cette raison que nous le défendons sur ces bancs.
En ce qui concerne la lutte contre le trafic de stupéfiants, notamment dans les quartiers, la police intervient déjà par des contrôles d’identité lorsqu’elle cherche à faire chuter un point de deal. Le travail est fait. Vous évoquez la police de proximité en parlant de « proximité policière » : je ne sais pas ce que vous voulez dire par là. Peut-être pouvez-vous préciser votre pensée ?
Comme l’a dit notre collègue Éric Coquerel, nous avons besoin d’une présence policière plus importante parce que, dans les quartiers, c’est la double peine : d’un côté, il y a des contrôles au faciès à longueur de journée et, de l’autre, quand les habitants ont besoin de la police et qu’ils appellent le commissariat, on leur dit qu’il n’y a pas d’effectifs disponibles pour intervenir dans leur quartier. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
M. Jean-François Coulomme
Ils s’en fichent !
Mme Sabrina Sebaihi
Ça, c’est une injustice et une inégalité ! Est-ce que vous êtes déjà allés rencontrer ces mères de famille, souvent seules, qui sont obligées d’éloigner leurs enfants de leur logement pour les protéger et éviter qu’ils tombent dans le trafic de drogue ? Arrêtez avec votre démagogie et essayons de travailler à un texte équilibré, qui permette de lutter réellement contre le narcotrafic ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à M. Michaël Taverne.
M. Michaël Taverne
Ma chère collègue, sur l’opérationnalité des forces de l’ordre, je n’ai pas vraiment de leçons à recevoir de vous.
Mme Sabrina Sebaihi
Si !
M. Michaël Taverne
Vous savez, j’étais moi-même dans la police de proximité, il y a vingt-cinq ans,…
Mme Sabrina Sebaihi et M. Ugo Bernalicis
Laquelle ?
M. Michaël Taverne
…alors je sais de quoi je parle ! À propos des contrôles d’identité, vous insultez les policiers du matin au soir… (Protestations sur plusieurs bancs des groupes SOC et EcoS.)
M. le président
Monsieur Taverne, tenez-vous en au fond de l’amendement, s’il vous plaît.
M. Michaël Taverne
Gardez votre calme, chers collègues, ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SOC.)
M. Arthur Delaporte
Arrêtez !
M. Michaël Taverne
Les contrôles d’identité se font systématiquement sous le contrôle du procureur de la République, en vertu de l’article 78-2 du code de procédure pénale.
Vous demandez des moyens supplémentaires. Là où je vous rejoins, c’est qu’il faudrait peut-être revoir la répartition opérationnelle des effectifs de police sur le territoire national, mais quand nous examinons des projets ou des propositions de loi visant à donner des moyens supplémentaires aux policiers, vous votez toujours contre.
Mme Sabrina Sebaihi
Ce n’est pas vrai !
M. Michaël Taverne
En 2022, vous étiez totalement opposés à la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur, alors qu’elle donnait des moyens supplémentaires à nos policiers. Soyez cohérents et, pour une fois, apportez votre soutien aux policiers et aux gendarmes, au lieu de les insulter du matin au soir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
La police nationale déploie actuellement une stratégie qu’elle qualifie elle-même de « harcèlement des points de deal ».
M. Mathieu Lefèvre et Mme Prisca Thevenot
Excellente stratégie !
M. Ugo Bernalicis
Les brigades anticriminalité et les BST, brigades territoriales de contact, anciennement brigades spécialisées de terrain, viennent occuper le terrain et, surtout, faire des contrôles d’identité répétés.
M. Emeric Salmon
C’est une très bonne chose !
M. Ugo Bernalicis
Est-il vraiment pertinent que l’État appelle lui-même à une politique de « harcèlement », qui, dans notre code pénal, est considéré comme un délit ? Cela pose question, mais passons.
Dans les quartiers populaires, où se déploie cette technique de harcèlement des points de deal, nous faisons un meilleur score que toutes les autres organisations politiques ici présentes.
Un député du groupe RN
C’est faux !
M. Ugo Bernalicis
Vous pensez peut-être que les habitants de ces quartiers se sont trompés de bulletin de vote ? Moi, je ne le pense pas, car ils font eux-mêmes le constat de l’échec de cette politique répressive.
M. Charles Sitzenstuhl
Pourrait-on revenir aux amendements ?
M. Ugo Bernalicis
En effet, comme l’ont dit plusieurs collègues, celui qui est viré est remplacé dès le lendemain, et celui qui est contrôlé de manière injuste ou injustifiée vit cela comme une violence, ce qui dégrade les relations entre la police et la population et fait monter les tensions.
Mme Prisca Thevenot
Monsieur le président, ce n’est pas l’amendement !
M. Ugo Bernalicis
On perd donc sur tous les tableaux : non seulement on ne règle pas le problème, mais on dégrade la relation entre la police et la population. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.) C’est pourquoi il faut faire différemment, mettre fin à cette politique répressive, revenir à une police de proximité, et préférer la légalisation et la prévention.
Rappels au règlement
M. le président
La parole est à M. Arthur Delaporte, pour un rappel au règlement.
M. Arthur Delaporte
Il se fonde à la fois sur l’article 100 de notre règlement, relatif au bon déroulement de nos débats, et sur son article 70, alinéa 3, du fait des mises en cause répétées de nos collègues du Rassemblement national. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Monsieur le président, pouvez-vous, s’il vous plaît, faire en sorte que notre honneur collectif soit respecté ? (« Oh là là ! » sur les bancs du groupe RN.) Le Rassemblement national nous insulte en permanence, il prétend que nous ne défendons pas la police, mais les narcotrafiquants. Ce n’est pas possible !
Rappelons que cette proposition de loi a été corédigée par les socialistes et que nous sommes déterminés à mieux assurer la sécurité de nos concitoyens. Mais nous ne pouvons pas accepter une remise en cause de notre État de droit. Ce que nous demandent les forces de police, ce sont des moyens.
M. le président
Merci de conclure.
M. Arthur Delaporte
Monsieur le président, si le Rassemblement national continue à nous mettre en cause, nous demanderons que le bureau soit saisi. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SOC, EcoS et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. le président
La parole est à Mme Prisca Thevenot, pour un autre rappel au règlement.
Mme Prisca Thevenot
Il se fonde sur l’article 54, alinéa 6, de notre règlement.
Plus de 440 amendements restent en discussion et, normalement, nous devons lever la séance à minuit. Or nous assistons, depuis une trentaine de minutes, à une tentative de l’extrême droite et de l’extrême gauche de se donner bonne conscience, les uns parce qu’ils auraient bien lutté contre le narcotrafic, les autres parce qu’ils auraient bien protégé les narcotrafiquants. (Exclamations.) Pourrait-on, s’il vous plaît, revenir à l’objet de ce texte, qui est de protéger les Françaises et les Français ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Article 24 (appelé par priorité - suite)
M. le président
La parole est à M. Jean-Paul Lecoq.
M. Jean-Paul Lecoq
J’ai été, pendant vingt-quatre ans, maire d’une ville très populaire, dans la périphérie du Havre. Avant d’être maire, je considérais que collaborer avec la police, c’était de la « collaboration ». J’avais une mauvaise image…
M. Michaël Taverne
Oh là là, le niveau…
M. Jean-Paul Lecoq
Pardon ? Vous m’insultez ?
M. le président
Seul M. Lecoq a la parole et je vous invite à l’écouter.
M. Jean-Paul Lecoq
Vous m’insultez !
Plusieurs députés du groupe RN
Non !
M. Arthur Delaporte
Bien sûr que si !
M. Jean-Paul Lecoq
Pendant ces vingt-quatre années, j’ai travaillé dans les cellules de prévention de la délinquance, avec la police et l’ensemble des acteurs de la justice, et je crois que je n’ai jamais connu de dispositif plus efficace pour lutter contre la délinquance, le narcotrafic et le deal dans nos quartiers. Or, au fil du temps, les différents acteurs – la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), la police – ont commencé à nous expliquer qu’ils n’avaient plus le temps, faute d’effectifs, de participer à ces réunions et à ces rencontres.
À un moment donné, il faut être cohérent. La vice-présidente de la commission les lois, ici présente, connaît bien la situation, puisqu’elle est havraise. Au Havre, on a toujours des effectifs suffisants mais, dans les villes périphériques, ce n’est pas le cas.
Ces amendements, relatifs à l’information des maires, sont indispensables. Dans les polices – j’insiste sur le pluriel –, municipale et nationale, un travail de cohérence est en train de se faire, dans nos territoires, sur les grands sujets. Or la police municipale, jusqu’à preuve du contraire, est sous l’autorité du maire. Il me paraît donc indispensable d’associer le maire à tout cela et je voterai ces amendements. (Mme Brigitte Barèges applaudit.)
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à M. Pouria Amirshahi, pour un rappel au règlement.
M. Pouria Amirshahi
Je le fais calmement, sur le même fondement que Mme Prisca Thevenot, à savoir l’article 54, alinéa 6, de notre règlement. Je vais le faire d’autant plus calmement que les interventions de MM. Bernalicis et Lecoq ont ramené du calme, pour la simple et bonne raison qu’ils sont intervenus sur le fond.
Vous nous invitez à accélérer les débats, mais nous irions peut-être plus vite si les députés du bloc central avaient été présents en commission, puis durant toute la durée de l’examen de ce texte en séance. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes SOC et LFI-NFP.) Or, le premier jour notamment, vos bancs étaient vides.
Si vous voulez que nos débats soient de bonne tenue, je donnerai un conseil à nos collègues du Rassemblement national, MM. Taverne et Dessigny en particulier : n’allez pas sur ce terrain-là, tâchez vous aussi de maintenir la bonne tenue de nos débats, parce que si vous êtes toujours sur le terrain de la mise en scène et de la mise en accusation, sans étayer vos propos,…
M. le président
Merci de conclure, cher collègue.
M. Pouria Amirshahi
…cela pourrait nous amener à dire – et je ne souhaite pas le faire – que, parce que vous ne vous occupez que de la petite délinquance, vous êtes les amis des grands trafiquants. Et si nous entrons dans ce jeu-là, cela va nuire à la qualité des débats. Alors, un peu de tenue, s’il vous plaît, pour l’honneur de tous. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
M. Emeric Salmon
C’est l’hôpital qui se fout de la charité !
Article 24 (appelé par priorité - suite)
M. le président
La parole est à Mme Naïma Moutchou.
Mme Naïma Moutchou
Monsieur le président Coquerel, croyez-vous sincèrement que l’économie de la drogue, telle qu’elle existe aujourd’hui, va disparaître avec un peu plus de prévention ou un peu plus de police sur le terrain ? D’ailleurs, il ne faudrait pas imaginer qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, de policiers sur le terrain. C’est le cas dans mon département du Val-d’Oise et dans bien d’autres territoires.
M. Coquerel nous parle d’un monde qui n’existe plus ! Nous n’en sommes plus à gérer des points de deal dans des quartiers ou ailleurs. Nous devons affronter des organisations de type mafieux, des criminels qui recourent partout à la violence meurtrière. Nous sommes passés dans une autre dimension.
Mme Elsa Faucillon
Cet article ne parle absolument pas de cela !
Mme Naïma Moutchou
On peut peut-être améliorer la présence humaine sur le terrain, certes, mais il faut absolument que nous nous dotions aussi d’outils beaucoup plus puissants, afin de nous en prendre, non seulement aux points de deal dans les cages d’escalier, mais aussi à tous les lieux qui sont ouverts au public, aux commerces, etc.
J’en viens à la recherche de l’équilibre, puisque c’est un serpent de mer sur ces questions. L’équilibre, c’est cette balance qui représente la justice, et qui est représentée de part et d’autre de notre tribune. Le Rassemblement national a chargé l’un des plateaux de la balance, avec la sécurité aveugle ; la gauche, emmenée par LFI, l’a fait peser de l’autre côté, avec la liberté sans ordre. Eh bien nous, nous pensons que nous pouvons respecter l’équilibre en garantissant à la fois l’ordre et la liberté. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe HOR.)
Un député du groupe SOC
Quelle démagogie !
M. le président
La parole est à Mme Geneviève Darrieussecq.
Mme Geneviève Darrieussecq
Nous avons bien compris désormais les positions de chacun et je crois que tout le monde souhaite avancer dans l’examen du texte.
Moi aussi, j’ai été maire, d’une petite ville moyenne qui commence à être inondée par ces trafics. Ce phénomène ne concerne pas seulement les quartiers ; il touche aussi désormais des petites villes, des centres-bourgs et des zones rurales, ce qui préoccupe les maires. Ces derniers doivent donc être informés. Je sais que c’est difficile, pour les raisons que vous avez évoquées, mais j’ai fait partie de conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) qui ne disposaient pas d’informations, alors que ce sont les lieux où l’on peut organiser les choses. Il est essentiel que les maires soient informés dans la mesure où ils ont des pouvoirs de police et où ils sont maîtres de leur police municipale. Il faut absolument débloquer les choses, par la voie législative si c’est nécessaire.
M. le président
Les amendements nos 70 et 549 sont-ils maintenus ?
M. Jocelyn Dessigny
Oui pour le no 70, monsieur le président.
M. Charles Sitzenstuhl
Je retire le mien, le no 549.
M. Arthur Delaporte
Nous le reprenons !
(L’amendement no 70 n’est pas adopté.)
(L’amendement no 549 est adopté.)
M. le président
Chers collègues, je vous propose de reprendre maintenant la règle du un pour, un contre. Par ailleurs, je vous invite à ne pas vous mettre en cause les uns les autres quant à vos positions politiques respectives. (M. Arthur Delaporte applaudit.) La discussion générale est faite pour cela.
M. Jean-Paul Lecoq
Que cessent aussi les d’insultes durant les interventions !
M. le président
Lors de la discussion des articles, bien que je ne les considère pas comme des injures,…
M. Jean-Paul Lecoq
Nous verrons ce qu’il en est dans le compte rendu !
M. le président
…les prises à partie embolisent les débats. Reprenons le cours normal de l’examen des amendements, s’il vous plaît.
La parole est à M. Jocelyn Dessigny, pour soutenir l’amendement no 47.
M. Jocelyn Dessigny
Il vise à supprimer les restrictions apportées à la mesure d’interdiction de paraître afin d’en renforcer l’efficacité. Les CLSPD évoqués par Mme Darrieussecq sont très utiles mais ils pourraient mieux communiquer avec les bailleurs sociaux. Si ces derniers disposaient d’informations sur des délinquants ou des criminels ayant été jugés, ils pourraient les expulser plus facilement, nous disent-ils. Il y a bien souvent un problème de communication entre le tribunal et les mairies.
Nos collègues de gauche s’insurgent parce qu’on leur reproche de tout faire pour détricoter le texte ; ils assumaient pourtant cette approche en commission – j’ai le souvenir des interventions de M. Léaument, qui n’est pas là aujourd’hui, mais il y a M. Bernalicis, c’est pareil…
M. Ugo Bernalicis
Voilà !
M. le président
Restez sur l’amendement, s’il vous plaît, monsieur Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny
Si vous voulez qu’on cesse de vous reprocher de défendre des criminels, défendez les victimes !
M. Charles Sitzenstuhl
Il continue, monsieur le président ! Vous exagérez, au RN !
M. Ugo Bernalicis
Ce n’est même plus de la récidive, à ce stade…
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Il serait injuste et disproportionné de supprimer, comme vous le souhaitez, les restrictions apportées à l’interdiction de paraître. En ne tenant pas compte « de la vie familiale et professionnelle de la personne concernée », vous risquez de la priver de la possibilité d’accéder à un logement et, dans le cas où elle aurait retrouvé un travail, de renforcer ses difficultés sociales – lesquelles font partie des causes qui peuvent conduire au trafic de stupéfiants. C’est insensé.
Votre démarche, de toute façon, est vaine, que nous conservions ou non ce bout de phrase : le dealer sera remplacé par un autre ! Les habitants désespèrent de constater l’inefficacité des mesures répressives ; les policiers désespèrent aussi de leur côté, conscients qu’on leur demande de vider la mer avec une petite cuillère. Il faut donc, sans tortiller, changer de stratégie, puisque celle que l’on applique depuis des années ne fonctionne pas !
Je m’adresse au député du Rassemblement national qui a exercé le métier de policier : la première qualité d’un policier n’est-elle pas le discernement ? Le discernement n’induit-il pas la faculté d’adaptation – dans le cadre de la loi, évidemment ? Quand quelque chose ne fonctionne pas, on le change !
Quant à vous, monsieur le ministre de l’intérieur, vous pourriez au moins avoir la politesse de me répondre : comment comptez-vous faire appliquer l’interdiction de paraître sans recourir à la reconnaissance faciale ? Dites-nous la vérité, c’est tout ce que nous demandons ! (M. Jean-François Coulomme applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Kévin Mauvieux.
M. Kévin Mauvieux
La lutte contre le narcotrafic n’est pas forcément mon sujet de prédilection, mais j’appuie les propos de Mme Moutchou : ce fléau ne concerne plus seulement les quartiers ou les banlieues, mais aussi les zones rurales. Cela n’est pas forcément nouveau. Nous avons en revanche franchi un cap du point de vue de la violence et de la dangerosité.
J’ai grandi dans une ville de Normandie, Pont-Audemer, qui compte un peu moins de 10 000 habitants. Là-bas, en tout cas depuis que je suis enfant, les trafics sont de notoriété publique. Le niveau de violence a franchi un palier depuis quelque temps : il y a plusieurs mois, un homme de 33 ans a été tué par balle, sans doute à proximité d’un point de deal.
Aussi suis-je quelque peu hérissé d’entendre que nous serions trop sévères, trop restrictifs, voire que nous porterions atteinte à l’État de droit. En face de l’État de droit pour les narcotrafiquants, il y a l’État de droit pour les victimes, lesquelles sont parfois dépossédées de leur droit à la sécurité, de leur liberté de mouvement. Je suis donc plus enclin à lever toute restriction à l’interdiction de paraître des dealers, plutôt que de laisser la peur se répandre chez les victimes, qui n’osent plus sortir de chez elles ou déménagent par crainte de ce qui pourrait survenir au coin de la rue. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
(L’amendement no 47 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. Michaël Taverne, pour soutenir l’amendement no 95.
M. Michaël Taverne
Collègues de gauche, il est normal que nous confrontions nos points de vue. Pour l’heure, les débats se déroulent bien : continuons comme cela.
Par cet amendement, nous proposons d’allonger à deux mois l’interdiction de paraître. Au regard de l’interdiction de stade, qui peut aller jusqu’à deux ans, cela semble équilibré. Nous gagnerions ainsi en efficacité, notamment dans les campagnes, où les réseaux s’infiltrent et où les points de deal se multiplient et s’implantent durablement, tandis que les forces de l’ordre sont en nombre insuffisant.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Nous en avons débattu en commission : s’agissant d’une restriction de la liberté d’aller et venir, nous devons veiller au respect du principe de proportionnalité ; un mois me semble une durée suffisante, d’autant que si la personne concernée ne respecte pas l’interdiction, elle pourra être renvoyée devant le juge judiciaire – nous créons d’ailleurs à l’alinéa 7 l’infraction correspondante. En outre, si, après un mois d’interdiction, la personne revient au même endroit pour reconstituer un point de deal, rien n’empêchera le préfet de prononcer une nouvelle interdiction.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
L’argument est le bon : ce délai d’un mois est renouvelable.
M. Emeric Salmon
Par tacite reconduction ? (Sourires.)
M. le président
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain
Nous voterons contre cet amendement qui vise à durcir une mesure administrative – et non judiciaire.
Mme Moutchou a bien montré, de manière assez éloquente, mieux que je ne saurais le faire, que nous touchons là au cœur du problème : les organisations ont évolué, le trafic de quartier a muté et s’est ubérisé sous l’impulsion de structures mafieuses nationales, voire internationales, brassant des sommes d’argent colossales, sur tout le territoire, y compris dans les zones rurales. Or avec l’argent croît la violence.
La mesure que vous proposez ne changera rien, car elle cible des personnes qui sont aussi victimes du système mafieux, qui sont exploitées et parfois violentées. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Nicolas Dragon
C’est incroyable !
Mme Cyrielle Chatelain
Nous n’atteindrons pas les organisations mafieuses en expulsant des gens de leur logement ! Une interdiction de paraître peut tout à fait être prononcée – à condition qu’elle le soit par un juge –, mais nous devrions surtout augmenter les moyens d’enquête sur le narcotrafic – à Grenoble, ils sont insuffisants –, et aussi lutter contre le blanchiment, car si les fortunes continuent à s’accumuler et l’argent à couler à flots, le trafic continuera. Il faudrait aussi, le ministre l’a dit, renforcer les moyens des douanes. (M. Emmanuel Duplessy applaudit.)
M. le président
La parole est à M. Kévin Mauvieux.
M. Kévin Mauvieux
Je le répète : je ne suis pas un spécialiste des sujets police-justice. Néanmoins, je ne peux pas accepter d’entendre qu’un dealer est une victime ! La victime, c’est la grand-mère, la mère de famille qui ne peut pas sortir de chez elle parce qu’un dealer est sur le pas de sa porte et qu’elle craint pour sa sécurité et celle de ses enfants.
Mme Elsa Faucillon
Son propre enfant peut parfois se retrouver enrôlé dans le trafic !
M. Kévin Mauvieux
On marche sur la tête : comment pouvez-vous faire du dealer une victime ? Il ne faut pas exagérer ! Nous devons d’abord penser à protéger les vraies victimes. Ne savez-vous pas que pour empêcher un mille-pattes d’avancer, il faut lui couper les pattes ?
Mme Cyrielle Chatelain
C’est plus rapide de lui couper la tête !
M. Kévin Mauvieux
Ce n’est pas parce qu’il faut s’en prendre à la tête du système mafieux qu’il faut traiter les petits dealers comme des victimes et les laisser continuer à pourrir la vie des gens dans les immeubles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
(L’amendement no 95 n’est pas adopté.)
M. le président
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 611, qui fait l’objet du sous-amendement no 1011.
M. Vincent Caure, rapporteur
L’interdiction de paraître est une mesure individuelle de police administrative. Cette décision, qui doit être motivée, relève bien, même si le texte ne l’écrit pas, d’une procédure contradictoire. Nous en avons débattu hier avec Mme Capdevielle à propos d’une autre disposition.
Par cet amendement, je propose d’expliciter la procédure contradictoire en question. Le sous-amendement de Mme Chatelain fait quant à lui référence à un article du code des relations entre le public et l’administration. J’y serai défavorable car la mesure que nous examinons, pour qu’elle soit efficace, doit pouvoir être prise rapidement, dans une articulation particulière entre l’administratif et le judiciaire : elle ne nécessite pas qu’une procédure contradictoire intervienne en amont de la décision.
D’une part, le Conseil constitutionnel, que nous citons de plus en plus, précise dans sa décision QPC no 2015-490 que lorsqu’il s’agit de prévenir certaines atteintes à l’ordre public, la procédure contradictoire peut intervenir a posteriori. D’autre part, compte tenu des personnes que l’on vise et de la nature de l’interdiction prononcée, il existe un risque qu’une procédure en amont ne leur fournisse l’occasion de s’organiser pour disparaître, vidant ainsi la mesure de sa substance.
M. le président
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir le sous-amendement no 1011.
Mme Cyrielle Chatelain
La procédure contradictoire doit pouvoir se tenir en amont, ne serait-ce que parce que la définition de cette mesure d’interdiction est tout de même assez floue, comme l’a souligné ma collègue Elsa Faucillon. Il faut donc éclaircir ses motivations en amont pour en mesurer la pertinence et la proportionnalité.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement sur l’amendement et le sous-amendement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je suis très favorable à l’amendement du rapporteur, qui vise notamment à éviter que les individus n’organisent leur « injoignabilité », et, par conséquent, défavorable au sous-amendement, qui en neutralise la portée.
Mme Cyrielle Chatelain
Non, qui l’accompagne !
M. le président
La parole est à Mme Colette Capdevielle.
Mme Colette Capdevielle
Vous ne proposez pas du tout une procédure contradictoire, monsieur le rapporteur, car une telle procédure doit évidemment intervenir avant que la mesure ne soit prise ! Votre exposé sommaire précise que la décision doit être « écrite et motivée » : comme toutes les décisions administratives, fort heureusement dans un État de droit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Vous ajoutez que la personne concernée pourra formuler des observations dans un délai de cinq jours, mais, là encore, vous n’ouvrez aucun droit puisque la décision ne pourra pas être annulée pendant ce délai. Vous nous proposez en fait un semblant de contradictoire, un contradictoire Canada Dry ! Le contradictoire, c’est autre chose.
M. Ugo Bernalicis
Évidemment ! Merci Colette !
Mme Colette Capdevielle
Le contradictoire consiste à organiser un débat à la suite duquel la décision est prise. Monsieur le rapporteur, vous vous moquez un peu de nous en présentant votre disposition comme une procédure contradictoire, car cela n’en est pas du tout une ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.) Mieux valait laisser le texte en l’état plutôt que de déposer un amendement trompe-couillon ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
M. Emeric Salmon
Ce n’est pas une insulte ?
(Le sous-amendement no 1011 n’est pas adopté.)
(L’amendement no 611 est adopté.)
M. le président
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 229 et 457.
La parole est à M. Arthur Delaporte, pour soutenir l’amendement no 229.
M. Arthur Delaporte
Il vise à supprimer les dispositions qui permettent des expulsions locatives sans aucun contrôle, alors que des procédures d’expulsion existent déjà. En effet, ces dispositions présentent le risque, déjà évoqué, d’une paupérisation et d’une précarisation des familles. Elles risquent également de conduire à l’expulsion de personnes vulnérables, telles que des nourrices sous contrainte, des parents ou des enfants qui seraient victimes des agissements de leurs proches. Il est donc nécessaire d’introduire des garde-fous et de rejudiciariser la procédure d’expulsion pour qu’elle demeure protectrice.
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin, pour soutenir l’amendement no 457.
Mme Élisa Martin
Demander au bailleur, pour des motifs qui demeurent vagues, de solliciter le préfet pour qu’il prononce une mesure d’expulsion n’est pas une bonne façon de procéder. Cela ajoutera de la précarité à la précarité, puisqu’aucune garantie de relogement n’est prévue. En quoi mettre dehors les familles des petites mains du trafic de stupéfiants permettra-t-il de lutter contre le narcotrafic ? En quoi cela affectera-t-il les grandes organisations qui sont à l’origine des trafics et des nombreux troubles qu’ils engendrent ?
M. Jocelyn Dessigny
C’est la base !
Mme Élisa Martin
Vous devriez plutôt donner un coup de main aux bailleurs, ce que vous ne faites plus depuis la loi Elan du 23 novembre 2018, particulièrement s’agissant des offices publics de l’habitat. Permettez-leur, par des financements dignes de ce nom, de rémunérer de nouveau des concierges ou des gardiens d’immeuble et, pourquoi pas, d’accompagner les jeunes dans la mise en application de certains travaux d’intérêt général (TIG). Ils n’en ont plus les moyens. Il faut de la coopération, pas des mesures coercitives à tout-va !
M. le président
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Madame Martin, donner un coup de main aux bailleurs, c’est bien ce que nous entendons faire.
Mme Élisa Martin
Pas du tout !
M. Vincent Caure, rapporteur
Si, nous les avons auditionnés : la présidente de l’Union sociale pour l’habitat soutient cette mesure !
Mme Élisa Martin
C’est d’argent qu’ils ont besoin !
M. Vincent Caure, rapporteur
Tout ne passe pas par l’argent. Lorsqu’un locataire organise un trafic, occupe l’espace public pour gérer ses affaires et privatise des lieux pour tenir un point de deal, il porte atteinte aux droits et aux libertés des autres habitants.
Le ministre l’a indiqué lors de l’examen des amendements de suppression : la résiliation des baux ne relève pas d’une décision administrative à la main du préfet ; il s’agit seulement de lui donner la capacité, en cas d’absence de décision ou de volonté d’agir de la part du bailleur, de se substituer à ce dernier pour saisir l’autorité judiciaire, qui demeure souveraine dans sa décision.
La mesure proposée ne constitue pas une révolution juridique : elle s’appuie sur les dispositions déjà en vigueur et propose simplement des évolutions de bon sens. Il existe déjà, dans les baux, des clauses exorbitantes du droit commun qui permettent au bailleur d’engager une résiliation unilatérale. Quant à l’ajout d’une obligation, pour le locataire, de ne pas faire n’importe quoi aux abords du logement qu’il occupe, cela relève, selon moi, de l’évidence.
Mettre fin aux agissements qui troublent l’ordre public de manière grave et répétée relève tout à fait de la compétence du préfet, qui, je le répète, ne pourra pas résilier unilatéralement le bail mais seulement saisir l’autorité judiciaire. C’est cette dernière qui tranchera. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Défavorable.
M. le président
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny
Nous voterons contre ces amendements qui visent à vider l’article 24 de sa substance. Pourquoi est-ce important de pouvoir expulser les dealers et tous ceux qui participent au trafic de drogue dans un immeuble ? À côté de ma permanence, à Villers-Cotterêts, petite ville de 11 000 habitants, se trouvait une famille exténuée par le bruit dans la cage d’escalier et par l’odeur de cannabis qui pénétrait jusque dans son appartement. Le père de famille a demandé aux dealers de partir : ils se sont jetés à six ou sept sur lui, l’ont tabassé, ainsi que sa femme, qui a eu le bras cassé. Ils ont fini tous les deux à l’hôpital. Les dealers, eux, n’ont rien eu…
M. Sébastien Delogu
Que fait la police ?
M. Jocelyn Dessigny
…ou presque : l’un a pu être interpellé grâce au travail de la gendarmerie, mais il n’a écopé, au tribunal, que de six mois avec sursis et d’un bracelet électronique. Au passage, ce ne sont pas de bijoutiers dont nous avons besoin, mais de vrais procureurs.
Mme Sandra Regol
Oh !
M. Jocelyn Dessigny
Ce petit point de deal à Villers-Cotterêts représente 8 000 euros de chiffre d’affaires par jour. Vous dites vouloir lutter contre le haut du spectre de la criminalité organisée. Or le narcotrafic est un système capitaliste – M. le président de la commission des finances sera sans doute sensible à ce rappel. Vous êtes bien opposés au narcocapitalisme ?
Mme Elsa Faucillon et Mme Cyrielle Chatelain
Oui !
M. Jocelyn Dessigny
Pour lutter contre lui, il faut s’attaquer à ce qui fait sa puissance : l’argent. Pour ce faire, il faut supprimer les points de deal qui rapportent cet argent.
Mme Elsa Faucillon et Mme Cyrielle Chatelain
Non ! Le narcotrafic fonctionne de moins en moins à partir des points de deal !
M. le président
La parole est à Mme Élisa Martin.
Mme Élisa Martin
Quand bien même vous expulseriez les personnes, souvent jeunes, qui opèrent sur les points de deal, elles seraient remplacées dès le lendemain.
M. Emeric Salmon
Alors, il ne faut rien faire ?
Mme Élisa Martin
En revanche, s’agissant des bailleurs, en particulier des offices publics de l’habitat, qui, comme ils se plaisent à le dire, « logent la France telle qu’elle est », il convient d’examiner comment la loi Elan, défendue par le gouvernement Macron, les a saignés financièrement, de plusieurs millions d’euros. Aujourd’hui, les ressources d’un office public de l’habitat reposent à 85 % sur les loyers qu’il perçoit. Cette situation financière les met en difficulté pour mener des politiques de proximité,…
M. Sébastien Huyghe
Oh là là !
Mme Élisa Martin
…suivre les locataires, entretenir les halls de façon satisfaisante, etc. Tout cela participe aussi de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Cela a beaucoup plus de sens que de prendre des mesures ultracoercitives qui ne règlent rien. Il faut changer de stratégie, c’est la seule solution !
Mme Brigitte Barèges
Vous l’avez déjà dit !
(Les amendements identiques nos 229 et 457 ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi, pour soutenir l’amendement no 776.
Mme Sabrina Sebaihi
Il s’agit d’un amendement de repli qui vise à supprimer les alinéas modifiant l’article 7 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs. Nous trouvons tous inacceptables que les locaux autour d’un logement ou que les logements eux-mêmes soient squattés, dégradés ou détruits ; que certains locataires, lorsqu’ils souhaitent accéder à leur immeuble, soient contraints de montrer leur pièce d’identité ; que les halls d’immeuble soient occupés et que la vie des locataires devienne un enfer.
M. Jocelyn Dessigny
Alors, pourquoi vous opposez-vous au texte ?
Mme Sabrina Sebaihi
Notre préoccupation est bien de protéger les habitants qui vivent dans ces endroits et qui subissent le trafic au quotidien. Cependant, les mesures que vous proposez restent très floues et ouvrent la porte à diverses formes d’abus ou de décisions arbitraires de la part des bailleurs – décisions qui seraient fondées sur des motifs ne relevant pas du code de la construction et de l’habitation, mais bien du code pénal.
Des sanctions existent déjà en cas de dégradation des parties communes. La disposition proposée part peut-être d’une bonne intention, mais elle aura des conséquences dramatiques sur les familles. Depuis la loi Kasbarian du 27 juillet 2023, les expulsions sont facilitées.
M. Charles Sitzenstuhl
Excellente loi !
Mme Sabrina Sebaihi
Celles menées avec intervention des forces de l’ordre ont augmenté de 200 % depuis 2001 : rien que pour les loyers impayés, 19 000 expulsions ont été effectuées en 2023.
Nous voulons lutter efficacement contre les trafics qui polluent la vie des habitants, mais certainement pas en adoptant des dispositions aussi floues qui permettraient tout et n’importe quoi. (Mme Cyrielle Chatelain applaudit.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Je vous ferai la même réponse que pour les amendements précédents puisqu’ils visaient déjà à supprimer, entre autres, les alinéas 8 à 10. Nous partageons le même objectif : améliorer la qualité de vie des gens qui ne participent pas au trafic de drogue et qui sont victimes des agissements des dealers.
La loi de 1989 que vous mentionnez prévoit déjà que le bailleur puisse introduire des clauses exorbitantes du droit commun dans le contrat de location, qui peuvent conduire à une résiliation unilatérale. Cette dernière peut ensuite être contestée devant le juge. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Éric Coquerel.
M. Éric Coquerel
Je soutiens cet amendement. Je répondrai à Mme Moutchou qui m’a interpellé tout à l’heure. Vous avez mal compris : je dis précisément que le trafic de drogue a changé d’ampleur et qu’il prend davantage la forme, pour reprendre un terme employé précédemment, d’un narcocapitalisme.
La France possède la politique la plus répressive d’Europe, y compris sur le plan pénal – aucun autre pays européen n’a autant de consommateurs de drogue dans ses prisons.
M. Emeric Salmon
Vous êtes sûr ?
M. Éric Coquerel
Pourtant, le trafic ne cesse d’augmenter dans notre pays, avec des produits de plus en plus dangereux, consommés en plus grande quantité – nous détenons le record d’Europe de la consommation de cannabis, et d’un cannabis de plus en plus nocif. Il faudrait donc nous interroger sur les limites de cette politique répressive.
Savez-vous pourquoi les habitants des quartiers frappés par le trafic de drogue continuent de voter pour nous ?
M. Éric Coquerel
D’abord parce que, comme l’indiquait Sabrina Sebaihi, ils peuvent faire appel à nous : nous devons parfois appeler la police quand cette dernière se trouve débordée par ses multiples missions.
Mme Naïma Moutchou
Cela n’a rien à voir !
M. Éric Coquerel
Ensuite, parce qu’ils savent qu’on ne peut plus faire semblant :…
Mme Naïma Moutchou
Je vais vous dire, moi, pourquoi ils votent pour vous !
M. Éric Coquerel
…des opérations Place nette qui se terminent, une fois les policiers partis, par une place nette laissée aux dealers, cela ne marche pas. Alors, comment faire ? Premièrement, il faut une politique préventive.
Mme Brigitte Barèges
Ça ne marchera pas !
M. Éric Coquerel
Lorsque vous organisez une présence de policiers et d’éducateurs sur le terrain, vous avez moins de points de deal.
M. Éric Coquerel
Deuxièmement, concernant le volet répressif, il faut mettre le paquet sur l’institution judiciaire, les douanes et les services de lutte contre le blanchiment.
M. Éric Coquerel
Troisièmement, comme cela a été fait aux États-Unis au moment de la prohibition de l’alcool, il faut réguler la consommation que l’on ne peut réduire, notamment en légalisant le cannabis sous le contrôle de l’État. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mmes Cyrielle Chatelain et Elsa Faucillon applaudissent également. – Exclamations sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. le président
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny
Voici donc la solution miracle de La France insoumise : légaliser le cannabis et ne plus mettre personne en prison !
M. Charles Sitzenstuhl
Cela n’a aucun rapport avec l’amendement !
M. Jocelyn Dessigny
C’est vrai qu’avec ça, il n’y aura plus de problème et plus de narcotrafic !
M. Sébastien Delogu
C’est ridicule !
M. Jocelyn Dessigny
Vous évoquez à juste titre, monsieur Coquerel, le narcocapitalisme, que je dénonce depuis le début. Mais il faut se donner les moyens d’agir contre lui, et pour cela le priver de son argent, qui arrive par en bas !
Mme Sabrina Sebaihi
Non !
M. Jocelyn Dessigny
C’est pourquoi il faut s’attaquer aux points de deal : c’est le bas du spectre qui nourrit le haut du spectre, non l’inverse ! Si vous ne comprenez pas cela, c’est que vous ne connaissez rien aux problèmes de drogue et vous devriez vous abstenir de vous exprimer sur ce texte.
M. Sébastien Delogu
C’est toi qui n’y connais rien !
M. Jocelyn Dessigny
Il ne faut pas légaliser le cannabis. Partout où cela a été fait, c’est un échec : la consommation augmente, les narcotrafiquants s’adaptent et la sécurité diminue.
Mme Sabrina Sebaihi
Pas du tout ! C’est faux !
M. Charles Sitzenstuhl et Mme Prisca Thevenot
L’amendement !
M. Jocelyn Dessigny
Il faut s’attaquer également au consommateur, faire de la prévention et proposer une aide médicale pour que ceux qui ont sombré dans la drogue puissent en sortir.
(L’amendement no 776 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 778 de Mme Cyrielle Chatelain est défendu.
(L’amendement no 778, repoussé par la commission et le gouvernement, n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 91 de M. Lionel Causse est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Avis favorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain.
Mme Cyrielle Chatelain
Ces dispositions ont pour objectif, indiscutable, de protéger les habitants. Plusieurs d’entre nous, sur les bancs du Nouveau Front populaire, ont ainsi proposé des mesures concrètes de lutte contre le narcotrafic. Nous sommes cependant profondément en désaccord avec notre collègue du Rassemblement national quand il prétend que l’élimination des points de deal permettra d’assécher l’argent des gros bonnets.
S’il faut lutter contre les points de deal en raison de la violence qu’ils génèrent, nous constatons malheureusement que l’ubérisation du trafic (MM. Jocelyn Dessigny et Emeric Salmon s’exclament) et l’usage de moyens de communication comme Snapchat transforment les réseaux de vente. Il va donc falloir trouver d’autres outils pour lutter contre les réseaux mafieux, dans la lutte contre le blanchiment notamment.
C’est toutefois par le consommateur que l’argent rentre et il existe, à partir de là, deux moyens de lutte : réduire la consommation et, là où on ne peut pas la réduire, l’accompagner. L’idée simpliste que la suppression des points de deal supprimerait les revenus du trafic ne tient absolument pas.
M. le président
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny
Vous m’en voyez désolé, mais ce que vous dîtes est une bêtise.
Mme Cyrielle Chatelain
Mais non ! C’est la police qui nous le dit !
M. Jocelyn Dessigny
Il faut en effet assécher les réseaux financiers des narcotrafiquants, mais en luttant contre les points de deal. Ils se vendent aujourd’hui comme on vend des PME – les narcotrafiquants se les échangent entre eux.
Mme Sabrina Sebaihi
Ils s’entretuent pour ça !
M. Jocelyn Dessigny
On développe un point de deal jusqu’à ce qu’il atteigne un certain chiffre d’affaires avant de le revendre. Si je parle de narcocapitalisme, c’est que nous sommes tout simplement dans le système de l’offre et de la demande. Ce texte ne traite que de l’offre, en oubliant la demande, et ne nous permettra pas, pour cette raison, d’éradiquer le narcotrafic. Il nous faudrait un deuxième texte consacré au problème de la demande et du consommateur.
Vous avez raison de parler d’ubérisation : nous devons également lutter contre ce phénomène.
Mme Cyrielle Chatelain
Oui !
M. Emeric Salmon
Il faut lutter contre les deux, voilà tout !
M. Jocelyn Dessigny
Nous avons toutefois besoin, à cette fin, de moyens technologiques que vous nous avez empêchés de déployer depuis que nous avons commencé l’examen du texte. Vous ne pouvez donc pas dire qu’il est inutile de lutter contre les points de deal,…
Mme Cyrielle Chatelain
Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Jocelyn Dessigny
…qui sont la première source de revenu des narcocapitalistes. Je suis d’accord avec vous : il faut s’attaquer en même temps à la vente sur internet et sur les réseaux sociaux. Sauf que vous vous êtes opposés aux systèmes techniques nous permettant de lutter efficacement contre le narcotrafic : dispositifs algorithmiques, surveillance des téléphones satellitaires, etc. Vous ne vous intéressez à la défense des droits que dans l’intérêt des délinquants et des criminels – jamais pour défendre les victimes ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
Mme Sabrina Sebaihi
Vous n’écoutez pas !
Mme Elsa Faucillon
Chacun pourra le constater sur les vidéos !
(L’amendement no 91 est adopté.)
M. le président
Les amendements nos 777 et 779 de Mme Cyrielle Chatelain sont défendus.
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à M. Emmanuel Duplessy.
M. Emmanuel Duplessy
Je l’ai souvent constaté ces trois derniers jours, collègues d’extrême droite : vous proposez et défendez des mesures arbitraires, que vous avez de grandes difficultés à justifier dans l’examen de cas concrets – c’est assez significatif.
Vous nous rapportez ainsi ce cas de dealers qui s’en sont pris à un habitant dans un hall d’immeuble – cette victime a tout mon soutien. Un seul de ces dealers a été condamné, les autres n’ayant pas pu être identifiés et interpellés. Mais si nous ne sommes déjà pas capables d’interpeller ces suspects, comment voulez-vous que nous puissions faire respecter une interdiction de paraître ?
La question qu’il faut véritablement vous poser, comme l’on fait certains collègues, est la suivante : pourquoi ce voisin a-t-il dû intervenir par lui-même ? Tout simplement parce que la police ne se déplace presque plus dans ces quartiers-là. La vraie question est donc celle des moyens.
N’oubliez pas, enfin, que la défense de l’État de droit passe par la lutte contre l’arbitraire de l’État. Si un certain nombre de nos concitoyens se tournent vers le marché noir, c’est aussi parce que leurs droits ne sont pas respectés.
M. Emeric Salmon
N’importe quoi !
(Les amendements nos 777 et 779, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
M. le président
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour soutenir l’amendement no 781.
Mme Cyrielle Chatelain
Il vise à supprimer les alinéas qui étendent les procédures d’expulsion. De telles procédures existent déjà, pour des impayés ou des nuisances d’occupation. Ces alinéas ajoutent à ces motifs la condamnation pour trafic de drogue, ou un lien avec le trafic, d’un occupant du logement.
Nous avons là, monsieur le ministre, un très profond désaccord. On ne peut pas expulser toute une famille, même si un de ses membres est condamné. Cela revient à mettre des innocents à la rue. Le bailleur dispose déjà d’outils permettant de gérer la relation entre le locataire et le propriétaire en cas de nuisances. Le logement, en revanche, ne peut pas être considéré comme un avantage susceptible d’être retiré à quelqu’un à la suite d’une condamnation – ce serait une double peine, qui, de surcroît, s’appliquerait, au-delà de la personne faisant l’objet de la condamnation, à toute sa famille.
Ces familles expulsées n’en seront que plus vulnérables. Les réseaux sont extrêmement puissants : ils les relogeront dans des squats et renforceront ainsi leur mainmise sur la personne condamnée et sa fratrie.
Ces dispositions, en plus d’être inconstitutionnelles, car on ne peut être condamné que pour un crime que l’on a commis, seront donc contreproductives.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
On ne peut que prendre acte de notre désaccord sur ce sujet. La modification que nous proposons se fait à droit constant. Le bailleur peut déjà agir, mais on doit aussi prendre en compte les cas où le bailleur est menacé et souhaite voir une autre autorité intervenir.
Mme Cyrielle Chatelain
Ça ne change rien !
M. Vincent Caure, rapporteur
Selon le dispositif prévu par les alinéas 15 à 16, le préfet constate les troubles et enjoint le bailleur de saisir le juge. Si le bailleur décide de ne pas agir, le préfet peut alors se substituer à lui et saisir le juge, qui remplira son office. Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.
Mme Sabrina Sebaihi
Cette double peine pour la famille d’un enfant impliqué dans un réseau méconnaît un aspect du trafic : des mineurs y sont embrigadés contre leur gré. Les pièces d’identité sont parfois confisquées, la fratrie et la famille sont parfois menacées. Certains bailleurs, c’est vrai, le sont également. Il arrive que des familles, pour protéger leurs enfants, demandent d’elles-mêmes à être relogées afin de quitter un quartier au sein duquel elles subissent des menaces quotidiennes. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS et LFI-NFP.) À ces familles, nous n’apportons aucune réponse : parce que la construction de logements sociaux est cruellement insuffisante, parce que des villes refusent de respecter la loi dans ce domaine, parce que des maires ne veulent pas de la mixité sociale. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
M. Pierre Pribetich
Bravo !
Mme Elsa Faucillon
Eh oui, il y a des maires qui ne respectent pas la loi !
Mme Sandra Regol
Et ce sont vos maires !
Mme Sabrina Sebaihi
Les mesures d’expulsion et de sanction de familles entières qui cherchent d’abord à protéger leurs enfants ne résoudront pas le problème ! (Applaudissements sur les bancs du groupe EcoS. – Mme Elsa Faucillon applaudit également.)
M. le président
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny
Vous avez raison : nous devons protéger les honnêtes citoyens pour éviter qu’ils ne tombent…
M. Pierre Pribetich
Ah, les honnêtes citoyens ! (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Jocelyn Dessigny
Les mots « honnêtes citoyens » vous choquent, cher collègue ?
M. Pierre Pribetich
Non, ils ne me choquent pas !
M. Jocelyn Dessigny
Êtes-vous sérieux ? (« Ça va ! » sur les bancs du groupe SOC.) D’honnêtes citoyens, dans les quartiers, sont parfois embrigadés de force : ce n’est pas à eux de quitter leurs logements, mais aux dealers, aux narcotrafiquants, de quitter les immeubles !
Mme Sabrina Sebaihi
Mais les narcotrafiquants ne vivent pas dans ces immeubles, soyons sérieux !
M. Jocelyn Dessigny
Il faut les en éjecter – tant que vous ne le ferez pas, ces familles seront en danger et seront utilisées par les trafiquants. Expulsons les voyous et protégeons les honnêtes citoyens, n’en déplaise à M. Pribetich ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RN.)
(L’amendement no 781 n’est pas adopté.)
M. Arthur Delaporte
Vous avez mal compté, monsieur le président, l’amendement a été adopté ! Nous allons finir par demander des scrutins publics systématiquement !
M. le président
La parole est à M. Jocelyn Dessigny, pour soutenir l’amendement no 49.
M. Jocelyn Dessigny
Il vise à élargir les motifs d’expulsion pour qu’ils ne se limitent pas au trafic de stupéfiants mais s’étendent à la délinquance et à la criminalité organisée. Beaucoup de choses se cachent derrière le trafic de drogue : prostitution, trafics en tous genres – dont le trafic d’armes. En suivant la logique qui nous a fait rebaptiser « parquet national anti-criminalité organisée » le parquet national antistupéfiants, nous devons expulser non seulement les personnes liées au trafic de stupéfiants mais aussi celles qui sont liées au crime organisé dans son ensemble. (Mme Béatrice Roullaud applaudit.)
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Avis défavorable.
M. le président
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Sandra Regol.
Mme Sandra Regol
Vous demandez d’élargir le périmètre de cet article à la délinquance et à la criminalité. Nous sommes au cœur de ce qui nous oppose ; non pas l’objectif, mais la méthode. À force d’élargissements, les risques de dérives finissent par menacer réellement l’égalité entre les citoyennes et les citoyens. Nous ne cessons, à gauche, d’alerter sur la nécessité de respecter un équilibre dans les questions que nous examinons. Nous voulons des moyens pour lutter contre le trafic de drogue, le trafic d’armes, le trafic des êtres humains – tous les trafics qui gangrènent notre société. Nous n’y parviendrons cependant pas en nous attaquant aux personnes qui conjuguent le statut de victime et le statut de participant – qu’elles y soient contraintes par la force ou poussées par la nécessité.
Cet amendement nous ferait poursuivre dans la voie qui est celle de la France depuis trente, quarante et même cinquante ans : celle qui nous fait nous attaquer au bas du spectre. Si une telle politique peut s’avérer utile pour apaiser les rapports quotidiens dans certains quartiers et dans certaines campagnes, elle ne nous avance par pour autant. Voilà quarante ans que la France échoue. Nous avons la législation la plus dure, mais le plus grand nombre de consommateurs et des points de deal si lucratifs que nous nous retrouvons aujourd’hui impuissants.
Créons plutôt de nouveaux outils pour les enquêteurs et la justice, pour lutter contre le blanchiment, pour saisir les biens mal acquis, et j’en passe – mais arrêtons, de grâce, de perdre notre temps avec des dispositifs inutiles.
Rappel au règlement
M. le président
La parole est à Mme Cyrielle Chatelain, pour un rappel au règlement.
Mme Cyrielle Chatelain
Sur le fondement de l’article 100, relatif au bon déroulement de nos débats.
Avant le vote de cet amendement, j’aimerais rappeler que le vote est individuel et doit être exprimé. Or on peut douter que l’amendement précédent ait été rejeté au vu du nombre de mains qui se sont levées.
Mme Brigitte Barèges et M. Emeric Salmon
Vous remettez en cause la présidence ?
Mme Cyrielle Chatelain
Un certain nombre des soutiens d’Emmanuel Macron n’ont pas daigné lever la main (M. Sébastien Huyghe s’exclame), mais leurs voix ont semble-t-il été comptabilisées. J’insiste sur le fait que l’on ne peut pas présumer du vote de chacun. Nous demandons que l’on compte les mains réellement levées, sinon nous allons multiplier les demandes de scrutin public. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.) Le dernier amendement, à mon avis, et au vu de l’état amorphe dans lequel se trouvent aujourd’hui les députés macronistes,…
Mme Naïma Moutchou
Oh !
Mme Cyrielle Chatelain
…passait largement.
M. Olivier Marleix
Assez d’obstruction !
M. le président
Madame la présidente Chatelain, j’ai bien regardé les mains qui se sont levées, en étant attentif au bloc central et en ayant les équilibres entre les groupes présents à l’esprit. L’écart, sur ce scrutin, était d’au moins quatre ou cinq voix.
M. Arthur Delaporte
Ce n’est pas beaucoup !
M. le président
Je veillerai bien sûr, lors des prochains votes, à ce que tout le monde lève la main sur tous les bancs.
M. Pierre Pribetich
Merci, monsieur le président !
Article 24 (appelé par priorité - suite)
M. le président
La parole est à M. Jocelyn Dessigny.
M. Jocelyn Dessigny
Non, madame Regol, il n’y a pas d’« équilibre » à trouver entre les criminels et les honnêtes citoyens. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.) Nous n’arrivons pas à reloger certaines victimes de violences familiales parce que nous manquons de logements. Il faut en construire, nous sommes d’accord,…
M. Sébastien Delogu
D’accord sur quoi ?
M. Jocelyn Dessigny
…mais nous devons faire avec ce que nous avons aujourd’hui. Je préfère, dans ces conditions, que nous expulsions des criminels et des délinquants…
Mme Sandra Regol et Mme Sabrina Sebaihi
Mais pas leurs familles !
M. Jocelyn Dessigny
…des logements sociaux qu’ils occupent – logements qui relèvent de la solidarité nationale – pour les donner aux victimes de violences intrafamiliales, aux victimes du narcotrafic, aux victimes en général. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme Béatrice Roullaud
Ce n’est que du bon sens !
Mme Sandra Regol
Ce n’est pas cohérent ! Les familles des délinquants sont des victimes !
M. Jocelyn Dessigny
C’est ce qui nous différencie de vous depuis le début : notre priorité, ce sont les victimes, pas les délinquants et les criminels ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN. – Protestations sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et EcoS.)
Plusieurs députés du groupe Ecos
Mais là, on parle de leur famille !
(L’amendement no 49 n’est pas adopté.)
M. le président
L’amendement no 612 rectifié de M. Vincent Caure, rapporteur, est défendu.
Quel est l’avis du gouvernement ?
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Je ne souhaite pas que nous tranchions ce sujet aujourd’hui. En Île-de-France, le préfet de région est compétent en matière de logement et le préfet de police en matière d’ordre public. Deux options s’offrent donc à nous, qu’il faut étudier et évaluer. L’organisation de l’exécutif relève en outre du pouvoir réglementaire. Il ne me semble donc pas opportun que ce point figure dans la proposition de loi. J’invite le rapporteur à retirer son amendement.
(L’amendement no 612 rectifié est retiré.)
M. le président
La parole est à Mme Brigitte Barèges, pour soutenir l’amendement no 283 rectifié. (« Il est 13 heures, monsieur le président ! » sur plusieurs bancs.)
Mme Brigitte Barèges
Nous souhaitons que l’injonction du préfet aux bailleurs sociaux soit automatique.
M. le président
Quel est l’avis de la commission ?
M. Vincent Caure, rapporteur
Défavorable.
M. Bruno Retailleau, ministre d’État
Même avis.
M. le président
La parole est à Mme Gabrielle Cathala. (Exclamations sur divers bancs.)
Mme Gabrielle Cathala
Je veux revenir sur les propos tenus par le collègue du Rassemblement national au sujet du précédent amendement.
M. Sébastien Huyghe
Elle n’intervient pas sur l’amendement !
Mme Gabrielle Cathala
Il n’y a pas de différence entre l’État de droit pour les victimes et l’État de droit pour les délinquants et les criminels ! Il est le même pour tous. Lorsqu’il s’agit d’expulser les éventuels trafiquants des logements sociaux – je dis bien « éventuels », car le texte évoque une suspicion –, vous invoquez les victimes de violences sexuelles et les violences intrafamiliales. Mais où étiez-vous lorsqu’il fallait voter pour la construction de nouveaux logements, lorsque nous proposions des mesures pour mieux protéger les victimes ? Il n’y avait personne sur vos bancs.
M. Jean-François Coulomme
Eh oui !
Mme Gabrielle Cathala
Et ceux qui parmi vous étaient là votaient contre toutes ces mesures ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Ayda Hadizadeh applaudit également.)
M. Sébastien Huyghe
Ce n’est pas l’amendement ! On peut revenir au début du texte aussi, si vous voulez !
M. le président
Madame Cathala, revenez à l’amendement, s’il vous plaît.
Mme Gabrielle Cathala
Je m’exprime sur l’amendement précédent car je n’ai pas pu m’exprimer.
Les délinquants et les criminels ont une famille. Lorsqu’on les expulse de leur logement, on porte atteinte non seulement à leur droit au logement, mais aussi à celui de leurs enfants et de leurs conjoints. C’est d’ailleurs l’analyse de la Défenseure des droits, mais, comme d’habitude, vous n’avez pas lu son avis. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LFI-NFP.)
M. le président
La parole est à Mme Naïma Moutchou.
Mme Naïma Moutchou
Les amendements précédents, que nous avons rejetés, illustrent à merveille le positionnement des députés des groupes de gauche : ils se comportent comme les tuteurs des habitants des quartiers. Pensez-vous réellement que ces gens ne peuvent pas se responsabiliser et qu’ils sont des incapables ? (Protestations sur les bancs des groupes SOC et EcoS.)
Le président Coquerel nous explique que les habitants des quartiers votent pour son groupe parce que ses députés appellent la police. Tout d’abord, restez modestes, ils ne votent pas tous pour vous ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes HOR, RN, DR et UDR.) Ensuite, nous savons tous que votre stratégie politique est basée sur le comportement ethnico-religieux. Disons les choses : vous instrumentalisez les quartiers, leurs habitants et nos compatriotes de confession musulmane ou de culture arabo-musulmane ! (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes HOR, RN, DR et UDR.)
Vous instrumentalisez ce qui peut s’apparenter à du ressentiment à de simples fins électoralistes ! Vous ne les aidez pas ! Vous n’êtes pas leurs amis ! Vous ne leur donnez aucune clé d’émancipation. Vous voulez qu’ils restent dans les quartiers parce que cela vous arrange ! (Exclamations sur les bancs des groupes LFI-NFP, SOC, EcoS et GDR.) Nous faisons quant à nous le contraire. Je continuerai de parler à cette communauté parce qu’il s’agit de Français à part entière, qui doivent être traités comme tels ! (Le président coupe le micro de l’oratrice. – Les députés des groupes HOR, RN, DR et UDR applaudissent cette dernière. – Protestations sur les bancs du groupe LFI-NFP. – Mme Mathilde Panot brandit le règlement.)
Mme Mathilde Panot
C’est scandaleux !
(L’amendement no 283 rectifié n’est pas adopté.)
M. le président
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
2. Ordre du jour de la prochaine séance
M. le président
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Suite de la discussion de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic ;
Suite de la discussion de la proposition de loi organique fixant le statut du procureur de la République national anti-criminalité organisée.
La séance est levée.
(La séance est levée à treize heures cinq.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra