Avenir du Comité d'évaluation de la déontologie policière et de son rapport
Question de :
M. Ugo Bernalicis
Nord (2e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Ugo Bernalicis appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur le Comité d'évaluation de la déontologie policière (CEDPN) rattaché à l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Créé en octobre 2020, le CEDPN ne s'est réuni qu'à 7 reprises entre le 21 novembre 2021 et le 13 décembre 2023. M. le député déplore d'abord la composition du comité : déterminée par un arrêté du ministre de l'intérieur, elle apparaît problématique du point de vue de sa faible mixité entre membres policiers et non-policiers. Alors que le comité était pensé, selon les propres termes de l'ancienne directrice de l'IGPN, Brigitte Jullien, comme « une façon d'ouvrir l'IGPN vers l'extérieur », les membres non-policiers y demeurent minoritaires. Certaines ONG comme Amnesty France et l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (Acat) avaient d'ailleurs refusé de siéger au sein du comité, estimant pour certaines que la place des ONG était trop réduite, ce dont M. le député s'alarme compte tenu du rôle joué par ces associations dans la dénonciation des atteintes aux libertés fondamentales. En outre, dans un article publié le 29 avril 2024, Médiapart révélait que le premier rapport établi par le CEDPN avait été enterré par le ministère de l'intérieur. Portant sur les contrôles d'identité dans la police, le rapport se veut porteur d'une réflexion sur leur opportunité et sur les conditions de leur usage, dans un contexte de visibilisation accrue des contrôles discriminatoires. Il s'ajoute aux constats établis par un rapport de la Cour des comptes du 6 décembre 2023 qui dénombre 47 millions de contrôles d'identité sur l'année 2021. Ce rapport soulignait, outre la complexité de leur cadre juridique, la nécessité de clarifier les règles qui encadrent les contrôles d'identité et de renforcer leur contrôle par l'autorité judiciaire, de même qu'il relevait les difficultés à déterminer les objectifs poursuivis par les policiers ainsi que l'efficacité des contrôles. En ce qui concerne le rapport du CEDPN, M. le député constate qu'il n'est signé que par la directrice de l'IGPN ; ni la Défenseure des droits ni le Conseil national des barreaux n'ont souhaité s'y associer, ce qui l'interroge sur l'effectivité de la concertation avec les membres non-policiers du comité. Dans le même temps, M. le député prend acte des constats établis par un dossier thématique plus récent de la Défenseure des droits (28 février 2024), qui rappelle d'une part l'incidence de la faible prescriptivité du cadre juridique et de l'insuffisante traçabilité des contrôles sur la dynamique des contrôles discriminatoires, dont la réalité a d'ailleurs été reconnue à plusieurs reprises par le juge judiciaire et le juge administratif, et d'autre part la nécessité de concilier plus généralement les contrôles d'identité « avec les droits et libertés des personnes contrôlées, notamment la liberté d'aller et venir et le droit au respect de la vie privée ». Après la transmission du rapport du CEDPN au ministre de l'intérieur en décembre 2023, celui-ci a refusé de le rendre public et ce malgré l'avis favorable de la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada) rendu le 28 mars 2024. M. le député s'interroge sur les motivations du prédecesseur de M. le ministre visant à dissimuler un tel rapport, dont les recommandations apparaissent pourtant relativement modérées. À cet égard, il rappelle que l'encadrement des contrôles d'identité par un cadre légal strict et renouvelé est un enjeu majeur du rétablissement du lien de confiance entre la police et les citoyens et que cette question devrait en ce sens faire l'objet d'un traitement politique à part entière. Par ailleurs, le comité ne s'est plus réuni depuis la transmission du rapport au ministère, alors même qu'il devait poursuivre ses réflexions sur des thématiques comme l'identification des forces de l'ordre et l'intelligence artificielle. M. le député craint qu'une telle dynamique engage le CEDPN sur la même voie que l'éphémère « Comité d'orientation et de contrôle interne de la police nationale » ; il ne s'était réuni que 9 fois entre 2014 et 2017 avant de tomber en désuétude. Ainsi, M. le député aimerait obtenir des précisions sur les éléments suivants : les raisons pour lesquelles l'activité du CEDPN est interrompue depuis décembre 2023 ; les motifs du refus par le ministère de l'intérieur de publier le rapport, malgré l'avis favorable du CADA. En outre, M. le député aimerait connaître les intentions de M. le ministre sur les propositions visant à renouveler la composition du CEDPN, notamment celles conduisant à élargir la proportion de membres non-policiers et à laisser une place plus importante au contrôle citoyen ; les suites qu'il entend donner aux recommandations établies par le rapport du CEDPN, notamment l'ouverture d'un « chantier conjoint entre ministère de l'intérieur et des outre-mer et ministère de la justice [...] pour interroger la lisibilité du cadre légal existant et portant sa possible modification » de même que le renforcement de la formation initiale et continue des policiers (proposition 6.2) ou la réalisation d'une évaluation qualitative sur « l'efficacité des contrôles d'identité dans la poursuite des différentes finalités qui lui sont assignées » (propositions 6.5 et 6.6) ; l'application de mesures préconisées par d'autres rapports d'associations ou émanant de sources institutionnelles, telles que l'expérimentation du récépissé de contrôle d'identité ou l'interdiction explicite des contrôles discriminatoires dans le code de procédure pénale. Il souhaite connaître sa position sur le sujet.
Réponse publiée le 3 juin 2025
Policiers et gendarmes se doivent d'être exemplaires, et également de faire preuve de la plus grande fermeté, dans leur défense et leur respect des valeurs et des lois de la République. Le ministre d'État, ministre de l'intérieur, y attache la plus grande importance, alors même qu'il est conscient de l'extrême difficulté de leurs missions et des conditions souvent difficiles dans lesquelles elles s'exercent, notamment face aux provocations, aux injures et aux violences. Le ministre d'État attache tout autant d'importance au respect qui leur est dû et à la défense de leur travail. Alors qu'ils sont engagés au quotidien au service de l'intérêt général et de la protection de nos institutions et de nos concitoyens, ils sont trop souvent injustement et parfois honteusement mis en cause, trop souvent verbalement et physiquement agressés. Le ministre d'État souhaite à cet égard rappeler que policiers et gendarmes bénéficient d'un soutien net de la majorité de la population et d'une image positive auprès de la majorité de nos concitoyens. La déontologie et la lutte contre les discriminations sont un élément central de la formation, aussi bien initiale que continue. La police nationale ne transige ni avec la déontologie ni avec le respect du droit. Tout écart portant atteinte à la déontologie et à l'image des forces de l'ordre est combattu avec fermeté et tout manquement avéré expose son auteur à des sanctions disciplinaires et, le cas échéant, à des poursuites pénales. L'inspection générale de la police nationale (IGPN) est un élément clé, mais qui n'est pas le seul, de la transparence et du contrôle, caractéristiques d'un État de droit. Comme peu d'autres le sont, la police nationale est en effet une institution extrêmement encadrée et contrôlée, par l'autorité hiérarchique, des corps d'inspection, des autorités administratives indépendantes et des organes et juridictions nationaux et européens. Elle est également soumise au contrôle du Parlement, dans sa mission de contrôle de l'action du Gouvernement. Les forces de l'ordre sont en outre placées, dans l'exercice de leurs missions de police judiciaire, sous le contrôle de l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle. Le contrôle médiatique, associatif et citoyen n'a également cessé de prendre de l'importance au cours des dernières années, conforté par le droit, par exemple en matière de lanceurs d'alerte. Les dispositifs de contrôle, internes et externes, nationaux ou internationaux, n'ont, de fait, pas cessé de se développer au fil des ans. S'agissant du comité d'évaluation de la déontologie de la police nationale (CEDPN), sa création a été décidée par le précédent ministre de l'intérieur en octobre 2020. Cet organisme a succédé au comité d'orientation du contrôle interne de la police nationale, qui avait été créé en 2013. Composé de 8 représentants de la police nationale et de 9 représentants de diverses administrations et de la société civile (Défenseur des droits, deux magistrats de l'ordre judiciaire, un conseiller d'État, un membre du Conseil économique, social et environnemental, un professeur des universités, un avocat, un journaliste, un dirigeant associatif), ce comité vise à renforcer la crédibilité du contrôle pratiqué par la police nationale et sa capacité à interroger ses pratiques. Contrairement à ce qu'indique la question, sa composition n'est pas « déterminée par un arrêté du ministre de l'intérieur ». Par ailleurs, estimer que « la composition du comité apparaît problématique du point de vue de sa faible mixité entre membres policiers et non-policiers » ne correspond pas à la réalité, comme en attestent les chiffres indiqués ci-dessus. Il convient d'ailleurs de rappeler que le contrôle par les pairs reste en soi une pratique bien établie, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Le premier thème de réflexion du CEDPN a porté sur les contrôles d'identité. Lors de sa dernière réunion, en décembre 2023, le comité a décidé de consacrer ses prochains travaux aux deux sujets suivants : « Faciliter l'identification des policiers » et « L'intelligence artificielle dans la police ». Même si les travaux du CEDPN ont été interrompus provisoirement, du fait, notamment, des jeux Olympiques et Paralympiques, il est souhaité par chacun de ses membres qu'ils perdurent. S'agissant des contrôles d'identité, il paraît en premier lieu fondamental de rappeler que les pouvoirs publics ne disposent d'aucun élément attestant d'une pratique généralisée de contrôles d'identité discriminatoires, dits « au faciès ». Les « dénonciations » en la matière s'apparentent trop souvent à une mise en cause implicite mais générale de l'État et, par suite, de la société française qui serait « systémiquement » discriminatoire et donc raciste. Il paraît également utile de rappeler que de telles pratiques sont prohibées par le droit et que l'organisation de la police nationale permet de prévenir la violation d'une telle interdiction. Alors que le constat d'un excès de normes est largement partagé, il doit être souligné qu'un cadre normatif très développé existe déjà en la matière : les contrôles d'identité sont encadrés par le code de procédure pénale, le code de la sécurité intérieure (code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale), le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le code de la route. S'agissant de la proposition formulée dans la question, tendant à « l'interdiction explicite des contrôles discriminatoires dans le code de procédure pénale », le droit est donc déjà clair en la matière, tel qu'énoncé dans l'article 225-1 du code pénal (dispositions reprises dans le code de déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale). La violation des règles applicables par les policiers peut constituer un manquement ou une faute et peut donc faire l'objet de sanctions disciplinaires - indépendamment des suites pénales. Toute victime de discrimination est fondée à déposer plainte auprès des services de police, de gendarmerie ou directement auprès du procureur de la République. Par ailleurs, de nombreuses mesures ont été prises au cours des dernières années pour éviter tout risque de contrôles d'identité à caractère discriminatoire, et plus largement pour améliorer les modalités de leur exercice et leur acceptabilité. La Cour de cassation et le Conseil constitutionnel ont par ailleurs précisé en 2016 et 2017 leur cadre juridique. Les garanties du caractère non-discriminatoire des contrôles d'identité ont donc été renforcées. Le déroulement concret des contrôles d'identité est depuis 2014 juridiquement encadré. La formation théorique et pratique aux contrôles d'identité et aux palpations de sécurité a été renforcée au cours de la formation initiale. Par ailleurs, les policiers et les gendarmes sont tenus, depuis 2014, de porter un numéro d'identification individuel (RIO), ainsi qu'il était recommandé par le Défenseur des droits, et des instructions sont régulièrement diffusées qui rappellent l'importance qui s'attache à un strict respect du port effectif et apparent de ce numéro d'identification. Tel a encore été le cas dans les services de la préfecture de police, en septembre 2023, et dans ceux de la direction générale de la police nationale, en avril 2024. Des travaux sont également en cours pour en améliorer matériellement la visibilité en application d'une décision du 11 octobre 2023 du Conseil d'État. Par ailleurs, afin de donner à nos concitoyens l'assurance que les manquements aux règles commis par les membres des forces de l'ordre sont poursuivis et sanctionnés, des plateformes internet de signalement ont été mises en place dès 2013 à l'inspection générale de la police nationale et à l'inspection générale de la gendarmerie nationale, permettant à quiconque de signaler tout comportement perçu comme inapproprié dont il penserait être la victime ou le témoin. La généralisation du port des « caméras-piétons » s'inscrit également dans cette volonté de créer un cadre de transparence, de contrôle et de désescalade. Toutes les patrouilles de police et de gendarmerie en sont désormais équipées. En outre, depuis 2021, toute personne victime ou témoin d'un comportement discriminatoire, notamment pour un motif supposé de haine raciale ou ethnique, peut réaliser un signalement sur une plateforme dédiée, dont l'État a confié la gestion au Défenseur des droits. Il doit également être rappelé que le ministère, déjà doté d'un déontologue ministériel, a en outre institué en juin 2020 un collège des inspections générales, présidé par le chef du service de l'inspection générale de l'administration, chargé notamment de veiller à la cohérence méthodologique et déontologique des pratiques professionnelles des inspections générales du ministère. Par ailleurs, le ministère dispose depuis mai 2023 d'un collège de déontologie, directement placé auprès du ministre et présidé par un membre du Conseil d'État, et composé, notamment, de personnalités extérieures qualifiées, dont un magistrat de l'ordre judiciaire et un universitaire. Il est chargé, en particulier, de promouvoir l'éthique et la déontologie. De nouvelles avancées concernant les contrôles d'identité sont à l'étude à la suite de travaux menés par la Cour des comptes - sollicitée sur le sujet par le Défenseur des droits - et le comité d'évaluation de la déontologie de la police nationale, pour améliorer encore les pratiques. Le ministère de l'intérieur, attaché à l'incontestable nécessité opérationnelle des contrôles d'identité, n'en partage en effet pas moins le souhait de renforcer leur acceptabilité. Des réflexions sont en cours pour, notamment, améliorer la traçabilité des contrôles. En revanche, concernant « l'expérimentation du récépissé de contrôle d'identité », préconisée de longue date par certaines associations et groupes militants, la position du ministère de l'intérieur reste identique à celle déjà formulée il y a plus de dix ans : au-delà des problèmes de droit qu'un tel dispositif soulèverait, et du formalisme bureaucratique supplémentaire qu'il ferait peser sur le travail policier, il n'aurait aucune plus-value en matière de prévention des discriminations. Un tel outil pourrait, certes, a posteriori, établir des statistiques sur les volumes, le cadre et la localisation des contrôles. Pour autant, il ne permettrait pas de faire apparaître le caractère éventuellement discriminatoire d'un contrôle, sauf à intégrer des données ethniques dans le traitement des données. Or, les statistiques ethniques sont interdites. De surcroît, un tel dispositif nuirait automatiquement à l'efficacité des services en matière d'enquêtes judiciaires et à l'exécution des décisions de justice (respect du contrôle judiciaire, des peines complémentaires, recueils de renseignements, etc.).
Auteur : M. Ugo Bernalicis
Type de question : Question écrite
Rubrique : Police
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 22 octobre 2024
Réponse publiée le 3 juin 2025