Question écrite n° 1306 :
Sortir de la crise de la police judiciaire et suite du rapport d'information

17e Législature

Question de : M. Ugo Bernalicis
Nord (2e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire

M. Ugo Bernalicis interroge M. le ministre de l'intérieur sur les suites qu'il entend donner à la réforme qu'il conduit sur la police nationale suite aux mobilisations inédites. Le 7 février 2023, M. le député a rendu avec sa co-rapporteure Marie Guévenoux les conclusions de leur mission d'information sur « la réforme de la police judiciaire dans le cadre de la création des directions départementales de la police nationale ». Après 4 mois de travaux, une trentaine d'auditions et 3 déplacements dans des départements préfigurateurs, les rapporteurs ont formulé 42 recommandations visant à renforcer la filière judiciaire et à lui donner les moyens de réaliser ses missions, quelles que soient les modalités de la réforme finalement retenues. Si les conclusions divergent sur plusieurs points, elles convergent sur un point particulier : le calendrier intenable et le risque considérable de déstabilisation de la filière judiciaire. Depuis, se confirme jour après jour l'échec de la réforme et la crise de la police judiciaire s'aggrave sans que le Gouvernement ne semble revenir à la raison. Persistant à dénoncer l'effet néfaste de cette réforme, il souhaite ainsi connaître précisément recommandation par recommandation quelles suites il entend donner à son rapport.

Réponse publiée le 15 juillet 2025

Les travaux ayant conduit à la rédaction du Livre blanc de la sécurité intérieure de 2020 avaient fait le constat unanime d'un besoin de cohérence, d'unité et de transversalité de la police nationale (hors préfecture de police), qui s'était développé autour de directions centrales devenues au fil du temps autant de silos étanches. Consacrée par la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (rapport annexé), la réforme de la direction générale de la police nationale menée en 2023 et en 2024 a réorganisé en profondeur ses structures centrales et territoriales, dans un souci d'améliorer l'efficacité de sa gouvernance et ses capacités opérationnelles afin de mieux répondre aux enjeux de la criminalité et d'offrir aux citoyens un meilleur service public de la sécurité, et plus lisible pour les partenaires de la police nationale. Pour atteindre cet objectif, cette transformation a reposé sur trois principes : l'unicité de commandement, la déconcentration et le décloisonnement, dans une logique de pluridisciplinarité et de complémentarité entre des « filières métiers » (sécurité publique, police judiciaire, renseignement territorial et police aux frontières). La réforme a également placé au cœur de l'organisation les sujets de formation et de ressources humaines comme elle a rationnalisé et déconcentré les fonctions supports. La réforme a été menée dans une large concertation, avec les partenaires de la police nationale dans les territoires, avec l'autorité judiciaire, et avant tout avec les représentants du personnel. Elle s'est faite en concertation avec le Parlement et ont notamment été prises en compte les conclusions des missions d'information menées par l'Assemblée nationale et le Sénat en 2022 et 2023. La réforme a suscité des inquiétudes et des interrogations qui ont été comprises et auxquelles le ministère de l'intérieur a été très attentif. La réforme s'est faite dans le strict respect des compétences préfectorales et judiciaires. Les magistrats disposent en particulier toujours du libre choix du service enquêteur. L'autorité judiciaire continue d'exercer sa mission de direction, de contrôle et de surveillance de la police judiciaire. Le principe d'une compétence interdépartementale pour certains services (police judiciaire et police aux frontières) a été retenu : l'empreinte géographique de la police judiciaire a donc été maintenue. Les enquêteurs de la « PJ » continuent d'agir en dehors de leur ressort d'affectation, sur la base de compétences judiciaires et territoriales élargies. Par ailleurs, a été retenue la totalité des recommandations formulées en 2023 par la mission inter-inspections (inspection générale de l'administration, inspection générale de la police nationale, inspection générale de la justice) relative au bilan de la création (en 2020 et 2022) des directions territoriales de la police nationale en outre-mer et des expérimentations (en 2021 et 2022) des directions départementales de la police nationale. La nouvelle organisation ne remet pas en cause les filières par métiers, sources d'identités professionnelles fortes auxquelles sont attachés les policiers. Au contraire, elle les consacre. Au niveau national, des directions métiers ont été créées, garantissant un pilotage par filières spécialisées, gage du maintien d'une forte spécialisation, tout en permettant à chacun d'œuvrer en collaboration étroite. Ces directions nationales constituent un échelon de stratégie, de pilotage et d'animation. La réforme n'a donc pas porté atteinte aux spécificités de la police judiciaire. Au contraire, la direction générale de la police nationale dispose dorénavant d'une filière investigation intégrée, clairement pilotée par la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), dotée d'une doctrine spécifique et de moyens humains et budgétaires propres. La DNPJ reste le pilote des structures opérationnelles à compétence nationale de l'ancienne direction centrale de la police judiciaire, qui ont été maintenues. Les offices centraux, en particulier, ont été confortés, avec en outre la création de nouvelles entités nationales au sein de la DNPJ : office mineurs, unité d'investigation nationale… Cette organisation intégrée permet d'améliorer le pilotage de la filière dans toutes ses composantes, avec des structures centrales, zonales, (inter) départementales, qui garantissent le bon traitement de tous les niveaux de criminalité, depuis la prise de plainte dans le cadre de la délinquance du quotidien jusqu'au traitement de la criminalité organisée, complexe ou présentant une particulière gravité. Un seul chef de filière est désormais en responsabilité dans chaque département pour animer l'ensemble des questions de police judiciaire. L'échelle territoriale ne fait en particulier pas obstacle à la prise en compte et au traitement de certains phénomènes qui excèdent les limites d'un département : les services interdépartementaux de police judiciaire (SIPJ) des directions interdépartementales de la police nationale (DIPN), compétents pour traiter notamment le haut du spectre de la criminalité, sont en mesure de se projeter à l'extérieur du département. Les capacités opérationnelles spécialisées de la DNPJ ont été maintenues voire renforcées : entre septembre 2023, soit 4 mois avant la réforme, et décembre 2024, soit 1 an après, les effectifs totaux de la filière judiciaire de la direction générale de la police nationale en métropole ont progressé, passant d'un peu moins de 24 000 agents en 2023 à plus de 24 300 en 2024. L'effectif de la seule ancienne direction centrale de la police judiciaire se montait à 5 600 agents environ. Les moyens dédiés au traitement du haut du spectre de la criminalité ont par ailleurs été renforcés par la loi du 24 janvier 2023 précitée. La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, récemment adoptée par le Parlement, comme la création en mai 2025 d'un état-major de lutte contre la criminalité organisée (EMCO) rattaché à la DNPJ, témoigne de l'importance donnée à la filière judiciaire. L'intégration de la police judiciaire dans la réorganisation produit des résultats extrêmement positifs dans les services (meilleure circulation de l'information opérationnelle, fluidification des saisines de services d'enquête, etc.), même si les apports de la « filiérisation » ne sont pas encore totalement perçus en matière de gestion du contentieux de masse et de gestion des stocks de procédures. Il convient de souligner que la réforme de la police nationale n'est pas en cause dans la crise que traverse depuis plusieurs années la filière judiciaire, et qui se traduit principalement dans la difficulté à attirer et fidéliser dans les services d'investigation. La nécessité de mieux valoriser la filière « investigation », d'y affecter davantage de policiers et de mieux les former est pleinement prise en compte par le ministre d'État, ministre de l'intérieur. Grâce aujourd'hui à l'existence d'une filière judiciaire unique, il est en outre possible de travailler à une réponse globale. À cet effet, des travaux sont menés depuis plusieurs mois par la DNPJ et un ambitieux plan d'action en faveur de la filière investigation sera prochainement présenté. La réforme de la police nationale fait l'objet d'un suivi régulier. La direction générale de la police nationale mène notamment depuis l'automne 2024 des travaux d'évaluation, en lien avec les échelons territoriaux. Ils se poursuivront jusqu'à la fin de l'année 2025 et permettront notamment de détecter d'éventuels « effets de bord » consécutifs à la réorganisation et de procéder aux ajustements pertinents. Une attention particulière est portée aux conséquences de la réforme en matière de lutte contre la criminalité organisée. La réforme fera, en outre, l'objet d'un audit de l'inspection générale de l'administration, de l'inspection générale de la police nationale et de l'inspection générale de la justice à compter de l'année 2026. L'Assemblée nationale et le Sénat ont par ailleurs mis en place des missions d'information (sur le bilan de la réforme de la police nationale pour la première, et sur le bilan de la mise en place des directions départementales de la police nationale sur la filière investigation pour la Haute Assemblée) auxquelles le ministère de l'intérieur apporte toute sa contribution.

Données clés

Auteur : M. Ugo Bernalicis

Type de question : Question écrite

Rubrique : Police

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Intérieur

Dates :
Question publiée le 22 octobre 2024
Réponse publiée le 15 juillet 2025

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