Multiplication des retenues pour vérification du droit au séjour
Question de :
Mme Brigitte Klinkert
Haut-Rhin (1re circonscription) - Ensemble pour la République
Mme Brigitte Klinkert appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur les conséquences de l'arrêt du Conseil d'État du 2 février 2024 n° 450285 dit « Association des avocats pour la défense des droits des étrangers » (ADDE). Cet arrêt a annulé la seconde phrase de l'article L. 332-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en tant qu'elle ne limite pas l'édiction de refus d'entrée aux frontières intérieures aux cas dans lesquels ils sont pris en vue de la réadmission de l'intéressé par l'État membre dont il provient en application d'un accord ou d'un arrangement passé par la France avec cet État existant le 13 janvier 2009. Autrement dit, la France, qui a conclu avec ses voisins, notamment l'Allemagne et l'Italie, des accords de réadmission des étrangers en situation irrégulière ou en demande d'asile, ne peut désormais plus, en application de ces accords bilatéraux, demander la réadmission immédiate et sans formalités des étrangers susvisés qui auraient illégalement franchi la frontière française depuis un autre État membre de l'Union dans le pays avec qui l'accord de réadmission est conclu. Selon le raisonnement du Conseil d'État, par application de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne sur le fondement de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (dite « directive retour »), les autorités françaises doivent désormais permettre, avant la réadmission dans le pays frontalier des étrangers en situation de séjour irrégulier, un délai afin que ces personnes puissent volontairement quitter le territoire. L'arrêt du Conseil d'État traduit en droit interne cette exigence européenne et modifie ainsi de manière significative le travail de la police aux frontières en imposant la retenue pour vérification du droit au séjour de l'étranger pour une durée de 24 heures, imposant donc une mesure privative de liberté assortie d'un certain nombre de droits liés à l'exercice même de la privation de liberté (tel que le droit à voir un médecin ou un conseil) au lieu d'une réadmission directe et sans délai dans le pays voisin qui traite le dossier. Dans certains secteurs comme la frontière italienne (Hautes-Alpes et Alpes-Maritimes) ou à la frontière allemande dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, ces exigences nouvelles requièrent des services de la police des moyens supplémentaires en locaux et en effectif pour assurer l'effectivité de cette mesure. Dans ce contexte, elle l'interroge sur les lieux où les retenues pour vérification seront exercées et l'impact que pourrait avoir cette exigence nouvelle sur le fonctionnement du centre de rétention administrative de Geispolsheim en particulier ou tout autre CRA placé dans une situation similaire en zone frontalière. De manière plus générale, elle l'interroge sur les moyens nouveaux qui seront affectés à ce type de mission dans le projet de loi de finances pour 2025.
Réponse publiée le 17 juin 2025
La décision n° 450285 du Conseil d'État a annulé la seconde phrase de l'article L. 332-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) « en tant qu'elle ne limite pas l'édiction de refus d'entrée aux frontières intérieures, lorsque le contrôle à ces frontières est rétabli, aux cas dans lesquels ils sont pris en vue de la réadmission de l'intéressé par l'État membre dont il provient en application d'un accord ou d'un arrangement passé par la France avec cet État existant le 13 janvier 2009 » (point 14 de la décision). Toutefois, le dispositif de la décision n'a pas pour effet d'interdire le prononcé de refus d'entrée de manière absolue, ni de prohiber le recours aux accords de réadmission. En effet, en application de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne C-143/22 (point 46), le Conseil d'État (points 9 et 14) vient préciser que les refus d'entrée ne peuvent être prononcés que s'ils sont accompagnés d'une mesure prévue par la directive « retour » n° 2008/115, c'est-à-dire d'une décision de retour de l'étranger en situation irrégulière vers son pays d'origine, ou dans un pays tiers où il décide de retourner et sera admis, ou une réadmission dans un État membre de l'espace Schengen par lequel il a transité. Dès lors, il n'est plus possible de prononcer des refus d'entrée autonomes, directement exécutables. La France ayant conclu des accords de réadmission avant 2009 avec l'ensemble des États voisins membres de l'espace Schengen, ceux-ci sont applicables comme le prévoit l'article 6, paragraphe 3, de la directive « retour ». Les autorités françaises ont donc la possibilité de solliciter les États membres frontaliers afin qu'ils réadmettent les étrangers en situation irrégulière qui proviennent de leur territoire selon les conditions prévues par lesdits accords. Ces demandes de réadmission peuvent être formulées en dehors de la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures et indépendamment de tout refus d'entrée. Ces réadmissions se font sans délai de départ volontaire comme l'article 7 de la directive « retour » qui le prévoit ne s'applique pas. La mise en œuvre d'une réadmission suppose la capacité pour l'administration de maintenir les étrangers en situation irrégulière à sa disposition. Ainsi, après l'interpellation d'un étranger en situation irrégulière pour vérification de son identité ou de son droit de circulation ou de séjour, il est possible de le placer en retenue, respectivement sur le fondement des articles 78-3 du code de procédure pénale ou L. 813-1 du CESEDA. Le placement en retenue vise à vérifier l'identité ou le droit de circulation et de séjour, ce qui peut conduire à formuler une demande de réadmission aux autorités des États membres frontaliers. Les réadmissions dites « simplifiées » peuvent se faire dans des délais très courts, prévus par les accords, directement entre autorités de police, mais elles sont subordonnées à la réponse et à la disponibilité des États frontaliers. Par ailleurs, la révision du code frontières Schengen adoptée le 13 juin 2024 a inséré dans le règlement 2016/399 un article 23 bis portant création d'une procédure de transfert simplifié des étrangers en séjour irrégulier « appréhendés dans les zones frontalières intérieures ». Un État membre qui intercepte un ressortissant de pays tiers (RPT) en séjour irrégulier en zone frontalière pourra le transférer dans l'État membre dont il provient directement, en suivant des formalités minimales (un formulaire uniforme de décision doit être remis à la personne), sous deux conditions cumulatives : L'étranger doit arriver directement de l'autre État membre et être manifestement dépourvu de droit de circulation ou de séjour en France; l'étranger doit être appréhendé dans le cadre d'une coopération bilatérale, qui peut comprendre une patrouille de police commune aux deux États membres. La retenue implique des procédures plus contraignantes pour les autorités françaises que le fait de prononcer des refus d'entrée autonomes directement exécutables. Les articles 78-3 du code de procédure pénale et L. 813-4 à L. 813-7 du CESEDA prévoient effectivement l'exercice de plusieurs droits. En outre, les procédures de retenue sont réalisées sous l'autorité d'officiers de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, et dans des locaux de police ou de gendarmerie en application des articles 78-3 du code de procédure pénale et L. 813-1 du CESEDA. La jurisprudence du Conseil d'État, ayant pour conséquence l'amplification du nombre de retenues et de demandes de réadmission, l'administration a procédé à l'adaptation et l'agrandissement de plusieurs locaux de police et gendarmerie. La plus-value de la procédure de transfert résidera, selon les négociations menées avec les États frontaliers, dans une charge de la preuve assouplie et une rapidité accrue par rapport aux réadmissions simplifiées. La remise aux autorités de l'État dont proviennent directement les ESI pourra s'opérer immédiatement ou au plus tard dans les 24 heures de leur interpellation, mais dépendra des bonnes relations et de la diligence des partenaires comme pour les procédures actuelles. Les procédures de retenue pour vérification d'identité ou du droit au séjour demeureront encore utiles pour maintenir les ESI à la disposition des autorités françaises aux fins de transfert aux autorités des États frontaliers. Si le délai de 24 heures est dépassé, les dispositions de la directive 2008/115/CE dite « retour » s'appliqueront y compris la possibilité de transmettre une décision de réadmission à l'État membre de provenance. Enfin, lorsque les procédures de réadmission « simplifiées » échouent, les préfectures peuvent mettre en œuvre des procédures de réadmissions dites « standard », qui font l'objet de formalités plus approfondies, ou prendre des « obligations de quitter le territoire français » (article L. 611-1 du CESEDA). Dans ces deux cas, les étrangers en situation irrégulière peuvent être assignés à résidence ou placés en centre de rétention administrative afin de procéder à leur réadmission ou à leur éloignement effectif (articles L. 731-1 et L. 741-1 du CESEDA). Il est à rappeler que l'instruction du 3 aout 2022 préconise de privilégier le placement en centre de rétention administrative des étrangers auteurs de troubles à l'ordre public. Hors cas avéré de trouble à l'ordre public, les cas de réadmission issues de l'application de l'arrêt ADDE ne devraient pas avoir de conséquence sur les placements en CRA des zones frontalières.
Auteur : Mme Brigitte Klinkert
Type de question : Question écrite
Rubrique : Étrangers
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 29 octobre 2024
Réponse publiée le 17 juin 2025