Prix des carburants en Corse
Publication de la réponse au Journal Officiel du 8 juillet 2025, page 6115
Question de :
M. Paul-André Colombani
Corse-du-Sud (2e circonscription) - Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires
M. Paul-André Colombani alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la situation d'inflation des prix des carburants en Corse, qui fait peser une forte pression économique sur les ménages corses. La Corse est un territoire caractérisé par un coût de la vie courante supérieur dans toutes ses composantes à celui des autres territoires, un salaire moyen identifié comme le plus bas de France métropolitaine, avec un différentiel de - 440 euros et un taux de précarité supérieur à toutes les régions du continent, avec notamment 18,5 % des ménages vivant sous le seuil de pauvreté - soit le taux le plus élevé de métropole. La moitié des personnes en Corse ont un niveau de vie annuel inférieur à 21 500 euros, contre 22 320 euros au niveau national et la dégradation du niveau de vie des Corses ne cesse de s'amplifier, notamment du fait de la forte augmentation du prix des carburants depuis 2020, prix largement supérieurs à ceux de la France métropolitaine. En effet, l'utilisation plus fréquente de la voiture conjuguée à des temps d'accès souvent plus long a un impact sur le budget de la plupart des foyers : en 2008, 28 % des ménages étaient considérés en situation de vulnérabilité énergétique liée aux déplacements (dépenses de carburants), proportion la plus élevée de France (10,2 %). À ce jour, les mesures mises en place par le Gouvernement dans l'ensemble de la métropole ont eu un effet insuffisant en matière de lutte contre la cherté des carburants en Corse. De plus, l'Autorité de la concurrence, dans son avis 20-A-11 en date du 17 novembre 2020, note que « sur le plan concurrentiel, le secteur est par ailleurs très concentré : à l'aval, la vente au détail dans les stations-service se caractérise par un oligopole de trois réseaux de distribution : chacune des 133 stations-service de l'île est rattachée à l'un d'entre eux. Cette situation risque de perdurer, l'entrée de nouveaux concurrents étant soumise à des barrières à l'entrée importantes. En effet, d'une part, le développement de stations-service exploitées par les grandes et moyennes surfaces ou de stations-service discount se heurte aux réticences des entreprises et des pouvoirs publics face au développement de ce mode de distribution en Corse. D'autre part, à l'amont, les dépôts pétroliers sont contrôlés exclusivement par une entreprise verticalement intégrée. Celle-ci bénéficie d'un monopole de fait sur l'approvisionnement et le stockage des carburants en Corse et contrôle une « infrastructure essentielle » : ses dépôts sont un point de passage obligatoire à toute activité de distribution de carburant en Corse. L'organisation actuelle de l'approvisionnement des carburants en Corse ne permet pas à un simple usager (s'il n'est pas actionnaire des dépôts pétroliers par ailleurs) de s'approvisionner directement auprès des fournisseurs de son choix. Ces spécificités constituent une barrière à l'entrée sur le marché pour tout nouvel acteur souhaitant s'approvisionner auprès de ses propres fournisseurs de produits pétroliers raffinés pour les distribuer en Corse. Ainsi, depuis l'analyse réalisée par l'Autorité de la concurrence en 2009, la situation du marché de la distribution de carburants a sensiblement évolué. Si, à cette époque, l'entrée du groupe Rubis avait conduit à un « léger rééquilibrage des parts de marché [...] », l'Autorité de la concurrence note « qu'un mouvement inverse de concentration s'est fait jour depuis ». Dès lors, une telle situation de monopole implique la nécessité pour le Gouvernement de pratiquer une régulation des prix, conformément à l'article L. 410-2 du code du commerce, qui dit que « dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'État peut réglementer les prix après consultation de l'Autorité de la concurrence ». En 1985, il a été mis un terme à la régulation des prix par l'État sur l'ensemble du territoire. Cependant, sur le continent, les prix pratiqués par la grande distribution ont permis une régulation du marché des carburants. En Corse, comme à La Réunion, la grande distribution ne commercialise par les carburants car elle ne maîtrise par leur importation, ce qui est pour elle une condition indispensable à son entrée sur le marché. C'est pourquoi, conformément à la demande formulée par l'Assemblée de Corse, il est nécessaire d'envisager la mise en œuvre d'un cadre législatif et réglementaire adapté aux contraintes et besoins spécifiques de la Corse, territoire insulaire, en matière de contrôle des situations de monopole et des seuils de concentration, de fixation du prix des carburants et de fiscalité, s'inspirant notamment des articles L. 410-2, L. 410-3 et L. 752-27 du code de commerce, tels que visés dans le rapport de l'Autorité de la concurrence du 20 novembre 2020, ainsi que des décrets « Lurel ». Aussi, il apparaît essentiel que la régulation des prix des carburants en Corse concerne l'intégralité des segments de la chaîne de distribution insulaire et aille même au-delà (achat aux producteurs, stockage au sein des dépôts pétroliers du continent, acheminement en Corse et stockage local) et ce afin d'éviter que les acteurs bénéficiant d'une situation de monopole ne se contentent de décaler leurs surmarges en aval des segments réglementés dans le but de contourner les mesures de régulation des prix des carburants. Face à cette situation de monopole que connaît la Corse, l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office le 15 décembre 2021 de pratiques présumées anti-concurrentielles dans le secteur de l'approvisionnement, du stockage et de la distribution des carburants en Corse. Dans l'attente des résultats de l'enquête menée depuis près de trois longues années par l'Autorité de la concurrence, dont les conclusions doivent fournir les éléments permettant la mise en œuvre de solutions pérennes de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des carburants en Corse, il lui demande donc quelles mesures spécifiques il entend prendre pour la Corse, et ce afin de répondre à la situation exceptionnelle que connaît le marché de la distribution des carburants dans l'île.
Réponse publiée le 8 juillet 2025
Les pouvoirs publics sont très soucieux de l'évolution des prix à la consommation en Corse et la problématique de la cherté des prix des carburants fait l'objet d'une attention particulière du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Plusieurs rapports et analyse relatifs aux prix des carburants en Corse ont été réalisés ces dernières années. Le rapport de la mission de l'inspection générale des finances (IGF) relatif à une économie corse du XXIème siècle de 2018, l'avis de l'Autorité de la concurrence relatif au niveau de concentration des marchés en Corse, rendu en 2020, ou encore le rapport de 2020 du CGEDD/CGEIET sur la sécurisation de l'approvisionnement en carburants en Corse, font ainsi le constat, qu'en dépit d'une fiscalité réduite sur les carburants (taux de la TVA à 13 %), les prix des carburants en Corse sont supérieurs à ceux qui sont constatés en moyenne dans les autres régions métropolitaines, en raison des particularités du marché de l'approvisionnement et de la distribution de carburants en Corse. Ces rapports précisent que divers facteurs, tels que l'insularité (acheminement des carburants uniquement par transport maritime), le relief montagneux (acheminement routier plus onéreux), la saisonnalité de la demande (afflux touristique, impact sur les chaines logistiques d'acheminement) ou encore le faible nombre de dépôts de stockage sur l'île, contribuent à faire en sorte que les prix sont plus élevés que sur le continent. La mise en place de prix réglementés pour les carburants peut apparaître comme une solution pour résoudre un déficit d'intensité concurrentielle, et pour éviter qu'un ou quelques opérateurs profitent d'un marché isolé pour augmenter leurs prix. Pour autant, s'agissant de la Corse, il existe une concurrence sur les prix des carburants, avec des écarts relevés sur l'île réels. En moyenne, entre les 10 % de stations les plus chères et les 10 % avec les prix les plus bas, il est relevé un écart de prix de l'ordre de 10 c€/L pour le gazole et de 8 c€/L pour le SP95, illustrant la diversité de l'offre. En outre, il apparaît que certaines stations proposent des prix équivalents, voire inférieurs, à la moyenne observée en métropole continentale. Par ailleurs, une réglementation des prix des carburants devrait s'appuyer sur les coûts pertinents constatés des différents opérateurs de distribution et incluant une marge raisonnable. Ainsi, le recours à l'imposition d'un prix réglementé (plafond) pourrait même être susceptible de générer un effet contre-productif d'alignement généralisé vers le haut des prix pratiqués par l'ensemble des stations pour se caler sur le plafond. Cet effet d'alignement des prix à la pompe sur toute l'ile au maximum réglementé risquerait alors de figer les surcoûts au lieu de les réduire. L'objectif poursuivi par les pouvoirs publics en Corse est d'assurer un fonctionnement concurrentiel optimal des marchés tenant compte des spécificités locales et garant de prix plus attractifs pour les consommateurs. La saisine d'office de l'Autorité de la concurrence du 15 décembre 2021 relative à des pratiques présumées anti-concurrentielles dans le secteur de l'approvisionnement, du stockage et de la distribution des carburants en Corse est de nature à contribuer à cet objectif. La décision de l'autorité de la concurrence devrait être rendue prochainement sur ce dossier. Le Gouvernement examinera ainsi avec une grande attention les conclusions à venir de l'autorité de la concurrence
Auteur : M. Paul-André Colombani
Type de question : Question écrite
Rubrique : Énergie et carburants
Ministère interrogé : Économie, finances et industrie
Ministère répondant : Industrie et énergie
Signalement : Question signalée au Gouvernement le 3 mars 2025
Dates :
Question publiée le 8 octobre 2024
Réponse publiée le 8 juillet 2025